REPUBLIQUE FRANÇAISE
CENTRE DE GESTION
DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE
DE LA GUADELOUPE
Exercices 2015 à 2018
Poste comptable :
Paierie régionale de la
Guadeloupe
Jugement n° 2021-0007
Séance publique du 19 octobre 2021
Prononcé le 9 novembre 2021
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LA CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES DE LA GUADELOUPE,
Vu,
le code des juridictions financières ;
Vu,
le code général des collectivités territoriales ;
Vu,
l
’
article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 portant loi de finances pour 1963
modifiée, notamment, par l
’
article 90 de la loi de finances rectificative
n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
Vu,
le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
Vu,
le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du VI de
l
’
article 60 de la loi de finances pour 1963 modifiée ;
Vu,
les comptes produits, en leur qualité de comptable du centre de gestion de la
fonction publique territoriale de la Guadeloupe, par M. Y, du 1
er
janvier 2015 au
30 novembre 2017, et par M. Z, du 1
er
décembre 2017 au 31 décembre 2018 ;
Vu,
le réquisitoire n° 2021-009 du 4 juin 2021 de M. Christian PAPOUSSAMY,
procureur financier près la chambre régionale des comptes de la Guadeloupe,
saisissant la chambre à fin d
’
instruction sur des faits susceptibles d
’
engager la
responsabilité personnelle et pécuniaire de MM. Y et Z ;
2
Vu,
la décision n° 8/2021, en date du 8 juin 2021, du président de la chambre attribuant
à Mme Anne-Marie THIBAULT, premier conseiller, l
’
instruction du jugement des
comptes du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe ;
Vu,
la notification de ce réquisitoire et de cette décision à Mme Denise BLEUBAR,
présidente du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la
Guadeloupe, qui en a accusé réception le 24 juin 2021 ;
Vu,
la notification de ce réquisitoire et de cette décision à M. Y, le 29 juin 2021, et à
M. Z le 16 juin 2021, et leur réception, respectivement, les 30 juin 2021 et
5 juillet 2021 ;
Vu,
les lettres, en date du 1
er
juillet 2021, invitant l
’
ordonnateur et les comptables à faire
part de leurs observations et à produire toutes les pièces utiles complémentaires ;
Vu,
la lettre, en date du 1
er
juillet 2021, invitant la direction régionale des finances
publiques (DRFiP) de la Guadeloupe à communiquer le montant des garanties
constituées par les comptables sur la période en jugement ;
Vu,
les réponses de M. Y, le 15 juillet 2021, et de M. Z, le 5, le 11, le 12, le 13 et
le 18 juillet 2021, enregistrées au greffe ;
Vu
, les lettres, en date du 7 septembre 2021, informant les parties de la clôture de
l
’
instruction, du dépôt du rapport et de la date de l
’
audience publique ;
Vu
, les
conclusions
du
procureur
financier
n° 2021-043-CJU-0068
du 13 septembre 2021 ;
Vu,
les pièces du dossier ;
Après avoir entendu, lors de l
’
audience publique, Mme Anne-Marie THIBAULT,
premier conseiller, en son rapport, et M. Christian PAPOUSSAMY, procureur financier,
en ses observations ;
MM. Y et Z, comptables, et Mme Denise BLEUBAR, présidente du centre de gestion de
la fonction publique territoriale de la Guadeloupe, n
’
étant ni présents, ni représentés ;
Après en avoir délibéré hors de la présence du rapporteur et du procureur financier ;
Considérant ce qui suit :
PREMIERE CHARGE :
Restes à recouvrer
–
exercices 2015 à 2018
Les réquisitions du ministère public
Par le réquisitoire susvisé, le ministère public a requis de la chambre régionale des
comptes de la Guadeloupe qu’elle se prononce
sur la responsabilité personnelle et
pécuniaire de MM. Y et Z, au motif que les compt
ables n’auraient pas effectué les
diligences adéquates, complètes et rapides nécessaires au recouvrement de deux titres de
recettes totalisant 4 613,04
€
, pris en charge le 31 décembre 2012 et dont l
’
action en
recouvrement pourrait avoir été prescrite le 31 décembre 2016.
3
Les obligations des comptables
Aux termes des dispositions du I de l
’
article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée,
« les
comptables
publics
sont
personnellement
et
pécuniairement
responsables
du
recouvrement des recettes
[…]
» ; «
[…]
La responsabilité personnelle et pécuniaire
prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors
[…]
qu
’
une recette n
’
a pas été
recouvrée
[…]
».
La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics en matière de
recouvrement des recettes s
’
apprécie au regard de leurs diligences. Le IV du même article
dispose que
« La responsabilité pécuniaire d
’
un comptable public ne peut être mise en
jeu que par le ministre dont il relève, le ministre chargé du budget ou le juge des
comptes ».
L’article
11
du
décret
n° 62-1587
du
29 décembre 1962
applicable
jusqu
’
au
31 décembre 2012, charge les comptables publics «
du recouvrement des ordres de
recettes qui leur sont remis les ordonnateurs
». A partir du 1
er
janvier 2013, le décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 prévoit, à son article 18, que le comptable public est
seul chargé «
4. de la prise en charge des ordres de recouvrer et de payer qui lui sont
remis par les ordonnateurs
» et
« 5.°Du recouvrement des ordres de recouvrer et des
créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ;
6.°De l
’
encaissement des droits au comptant et des recettes liées à l
’
exécution des ordres
de recouvrer ».
En outre, aux termes de l
’
article 60-III de la loi du 23 février 1963,
« La responsabilité
pécuniaire des comptables publics s
’
étend à toutes les opérations du poste comptable
qu
’
ils dirigent depuis la date de leur installation jusqu
’
à la date de cessation des
fonctions »
.
Les comptables sont tenus d
’
accomplir les diligences adéquates, complètes et rapides en
vue du recouvrement des créances publiques avant l
’
expiration du délai de prescription
régi par l
’
article L. 1617-5 du CGCT qui précise que
« L
’
action des comptables publics
chargés de recouvrer les créances des régions, des départements, des communes et des
établissements publics locaux se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge
du titre de recettes. Le délai de quatre ans mentionné à l
’
alinéa précédent est interrompu
par tous actes comportant reconnaissance de la part des débiteurs publics et par tous
actes interruptifs de la prescription […]
».
En matière de créances détenues à l
’
encontre de débiteurs publics et compte-tenu des
caractéristiques des diligences que le comptable est tenu d
’
effectuer, il lui appartient, pour
le moins, de veiller à l
’
interruption de la prescription quadriennale prévue par la loi
n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Il peut aussi, soit, demander au préfet du département
de recourir à la procédure du mandatement d
’
office, soit, saisir la chambre régionale des
comptes d
’
une demande d
’
inscription d
’
office des crédits nécessaires à l
’
acquittement de
la créance au budget du débiteur public lorsqu
’
il relève de l
’
article L. 1612-15 du code
général des collectivités territoriales.
Seules les preuves matérielles, apportées par le comptable public, que le débiteur a eu
connaissance de son action telles que des commandements de payer, mises en demeure,
oppositions à tiers détenteur, lettres de relance pour les débiteurs publics, paiements
partiels, saisie-vente,
etc.
sont susceptibles d
’
exonérer le comptable de toute
4
responsabilité
personnelle
et
pécuniaire
en
application
de
la
loi
précitée
du 23 février 1963.
L
’
existence de manquements de la part des comptables
Parmi les restes à recouvrer du compte
4116
« Redevables
–
Contentieux »,
arrêtés au
31 décembre 2018,
figurent deux titres de recettes, n° 481 et 631, qui ont été pris en
charge le 31 décembre 2012 mais qui n
’
ont pas été recouvrés. Le total de ces créances
s
’
élève à 4 613,04
€ et intéresse la
seule gestion de M. Y, comptable en fonction à la
paierie régionale de la Guadeloupe du 3 janvier 2006 au 30 novembre 2017.
Le tableau suivant récapitule les diligences effectuées pour procéder au recouvrement de
titres précédemment visés par M. Y puis par M. Z, comptables en fonction auprès du
centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe au cours de la
période sous revue, du 1
er
janvier 2015 au 30 novembre 2017 pour le premier et du
1
er
décembre 2017 au 31 décembre 2018 pour le second :
Tableau n° 1 :
Titres de recettes non recouvrés au 31 décembre2018
Exercice
Date
de prise
en charge
Débiteur
Date de
prescription
Reste à
recouvrer
(
€
)
Titre
n°
Diligences exercées
Compte 4116
« Redevables - Contentieux »
2012
31/12/2012
Complexe sportif
région B/T
31/12/2016
2 963 ,04
T-481
MD* 18/07/2013 ;
MD du 4/10/2013
MD du 14/03/2017
AR* du 21/03/2017
2012
31/12/2012
Préfecture de la
Guadeloupe
31/12/2016
1 650,00
T-631
MD du 13/03/2017 ;
AR du 20/03/2017
Total
4 613,04
*
LR = Lettre de relance ; MD = Mise en demeure de payer ; AR = Accusé de réception
Source Etat des restes à recouvrer au 31 décembre 2018
Le titre n° 481, d
’
un montant de 2 963,04
€
a été pris en charge le 31 décembre 2012 par
M. Y ; la prescription de l
’
action en recouvrement était donc susceptible d
’
intervenir le
31 décembre 2016.
Si le comptable a effectivement transmis au débiteur du titre n° 481 deux lettres de mise
en demeure en date du 11 juillet 2013 et du 26 septembre 2013, aucune de ces lettres
n
’
était susceptible d
’
interrompre la prescription, en l
’
absence de preuve rapportée de leur
notification.
M. Y n
’
a apporté la preuve d
’
aucune diligence supplémentaire qu
’
il aurait effectuée par
rapport à celles précédemment décrites et susceptibles d
’
avoir interrompu l
’
action en
recouvrement de ce titre. A cet égard, la lettre de mise en demeure du 14 mars 2017 dont
la preuve de la notification est en l
’
espèce rapportée, est sans incidence dès lors que
l
’
action en recouvrement était déjà prescrite à cette date.
De même, il n
’
est justifié d
’
aucun paiement partiel au cours de la période durant laquelle
M. Y a assumé la charge du poste comptable. En conséquence, l
’
action en recouvrement
du titre n° 481 a expiré le 31 décembre 2016.
5
Le titre n° 631
, d’un montant de
1 650,00
€
, a été pris en charge le 31 décembre 2012 par
M. Y ; la prescription était de même susceptible d
’
intervenir le 31 décembre 2016.
M. Y ne justifie d
’
aucune diligence ni d
’
aucun paiement partiel de nature à interrompre
la prescription de l
’
action en recouvrement avant l
’échéanc
e de celle-ci, le 31 décembre
2016. En effet, la lettre de mise en demeure du 13 mars 2017, notifiée le 20 mars 2017,
est postérieure à la date à laquelle l
’
action était déjà prescrite.
Il s
’
ensuit que l
’
action en recouvrement des titres n° 481 et 631 était prescrite à la date du
31 décembre 2016. M. Z n
’
assumant la responsabilité du poste comptable qu
’
à compter
du 1
er
décembre 2017, sa responsabilité personnelle et pécuniaire ne peut être engagée et
il y a lieu de l
’
écarter.
Par suite, faute de diligences interruptives de prescription, M. Y a définitivement
compromis le recouvrement des titres de recettes n° 481 et 631 dont l
’
action en
recouvrement est désormais éteinte et sa responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve
engagée
.
Il n
’
en irait autrement que si le comptable pouvait exciper de la force majeure
telle qu
’
elle résulte de l
’
article 60-V de la loi n° 63-156 lequel indique que
«
lorsque […]
le juge des comptes constate l
’
existence
de
circonstances constitutives de la force
majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable
public
».
En l
’
espèce, M. Y, qui indique que les manquements reprochés sont susceptibles d
’
avoir
causé
« un préjudice financier au CDG sauf si les titres sont contestés par les débiteurs
(peut-être le titre 631 de 2012, Préfecture de Guadeloupe) »
ne fait pas valoir d
’
élément
exonératoire de responsabilité et les circonstances constitutives de la force majeure ne
sont ni établies par l
’
instruction, ni alléguées par le comptable.
Il résulte de ce qui précède que M. Y se trouve dans le cas prévu par les dispositions
précitées
de l
’
article 60 de la loi du 23 février 1963 et que sa responsabilité personnelle
et pécuniaire est engagée pour les recettes non recouvrées d
’
un montant total
de 4 613,04
€
.
L
’
existence d
’
un préjudice financier
Lorsque le comptable a manqué aux obligations qui lui incombent au titre du
recouvrement des recettes, faute d
’
avoir exercé les diligences et les contrôles requis, le
manquement doit en principe être regardé comme ayant causé un préjudice financier à
l
’
organisme public concerné. Toutefois, lorsqu
’
il résulte des pièces du dossier, et en
particulier des éléments produits par le comptable, qu
’
à la date du manquement, la recette
était irrécouvrable en raison notamment de l
’
insolvabilité de la personne qui en était
redevable, le préjudice financier ne peut être regardé comme imputable audit
manquement. Une telle circonstance peut être établie par tous documents, y compris
postérieurs au manquement.
En l
’
espèce, alors que l
’
ordonnateur n
’
a pas répondu au réquisitoire, M. Y ne démontre
pas que les deux recettes en cause étaient irrécouvrables.
Par conséquent, le manquement du comptable a causé un préjudice financier au centre de
gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe.
6
Le lien de causalité entre les manquements du comptable et le préjudice financier
Le lien de causalité entre les manquements reprochés à M. Y et le préjudice causé au
centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe est établi par le
simple fait que, faute de diligences adéquates, complètes et rapides, le comptable a
compromis les chances de la collectivité de recouvrer les créances en cause.
La sanction des manquements
En application des dispositions du troisième alinéa du IV de l
’
article 60 modifié de la loi
du 23 février 1963 susvisée,
« lorsque le manquement du comptable
[…]
a causé un
préjudice financier à l
’
organisme public concerné,
[…]
le comptable a l
’
obligation de
verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante »
.
En application de ces dispositions, il y a lieu de constituer M. Y débiteur vis-à-vis du
centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe, à hauteur de
4 613,04
€,
correspondant aux titres de recettes visés précédemment.
Aux termes du paragraphe VIII de l
’
article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée,
« les
débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics »
, c
’
est-à-dire à compter
du 30 juin 2021, date de notification du réquisitoire à M. Y.
DEUXIEME CHARGE :
Paiement de la sur-rémunération à trois agents
contractuels
–
exercice 2018
Les réquisitions du ministère public
Par réquisitoire n° 2021-009 du 4 juin 2021, le procureur a requis de la chambre régionale
des comptes de la Guadeloupe qu’elle se prononce
sur la responsabilité de M. Z en raison
du paiement, au cours de l
’
exercice 2018, de mandats relatifs à la rémunération de M. A,
de Mme B et de M. C, agents contractuels, comprenant une surrémunération, dite
improprement «
prime de vie chère
», à concurrence de 45 503,16
€
, sans avoir procédé
au contrôle de la validité de la dette et, à ce titre, de l
’
exactitude de la liquidation ainsi
que de la production des pièces justificatives. Les paiements en cause sont récapitulés
dans le tableau suivant.
7
Tableau n° 2 :
Surrémunération indiciaire versée en 2018 à Mme B,
M. A et M. C (montant en euros)
Exercice 2018
B
A
C
Compte n° 6413
Mandat
collectif n°
Date de
paiement
Janvier
699,15
1 546,39
1546,39
2
31/01/2018
Février
699,15
1 546,39
1546,39
15
28/02/2018
Mars
699,15
1 546,39
1546,39
82
31/03/2018
Avril
699,15
1 546,39
1546,39
194
30/04/2018
Mai
699,15
1 546,39
1546,39
291
31/05/2018
Juin
699,15
1 546,39
1546,39
381
30/06/2018
Juillet
699,15
1 546,39
1546,39
434
31/07/2018
Août
699,15
1 546,39
1546,39
493
01/08/2018
Septembre
699,15
1 546,39
1546,39
578
30/09/2018
Octobre
699,15
1 546,39
1546,39
637
31/10/2018
Novembre
699,15
1 546,39
1546,39
704
30/11/2018
Décembre
699,15
1 546,39
1546,39
751
31/12/2018
Total par agent
8 389,80
18 556,68
18 556,68
Total
45 503,16
Source : bulletins de paie et mandats collectifs
Les obligations du comptable
Aux termes du paragraphe I de l
’
article 60 de la loi du 23 février 1963,
« les comptables
publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu
’
ils sont
tenus d
’assurer en matière […] de dépenses […] dans les conditions prévues par le
règlement général de la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et
pécuniaire prévue ci-
dessus se trouve engagée dès lors […] qu’
une dépense a été
irrégulièrement payée […]
».
En vertu de l
’
article 17 du décret du 7 novembre 2012, applicable à compter du
1
er
janvier 2013, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement
responsables de l
’
exercice régulier des contrôles prévus aux articles 19 et 20 dudit décret,
lesquels prévoient que «
Le comptable public est tenu d
’
exercer le contrôle
: [...] 2°.
–
s
’
agissant des ordres de payer
: [...]
de la validité de la dette dans les conditions prévues
à l
’
article 20
[...] » ; et que «
Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette
porte sur
:
la justification du service fait et l
’
exactitude des calculs de liquidation
;
l
’
intervention préalable des contrôles réglementaires ; la production des pièces
justificatives
[...] ».
Pour apprécier la validité des dettes, les comptables doivent exercer leur contrôle,
notamment, sur la production des justifications. A ce titre, il leur revient d
’
apprécier si
les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée. Ils
ont l
’
obligation de vérifier, en premier lieu, si l
’
ensemble des pièces requises au titre de
la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces
pièces sont, d
’
une part, complètes et précises, d
’
autre part, cohérentes au regard de la
catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l
’
objet
de la dépense telle qu
’
elle a été ordonnancée.
8
Le comptable doit donc disposer de l
’
ensemble des pièces justificatives, conformément à
l
’
annexe I au code général des collectivités territoriales (CGCT) constitutive de la
nomenclature des pièces justificatives des dépenses des collectivités publiques applicable
en l
’
espèce, établie en vertu de son article
D. 1617-19, qui prévoit, afin de pouvoir
procéder au paiement d
’
une prime à un agent, dans sa rubrique
« 210223. Primes et
indemnités »
la production de :
-
la décision de l
’
assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d
’
attribution
et le taux moyen des indemnités,
-
la décision de l
’
autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux
applicable à chaque agent.
En outre, les indemnités doivent impérativement être prévues dans le contrat qui lie
l
’
agent à la collectivité. Le contrat doit donc viser la délibération prévoyant le versement
de ces indemnités au bénéfice des agents contractuels et précisant les caractéristiques des
fonctions donnant droit à chaque indemnité.
L
’
existence de manquements de la part du comptable
L’
article 3 de la loi n° 50-407 du 3 avril 1950 concernant les conditions de rémunération
et les avantages divers accordés aux fonctionnaires en service dans les départements de
la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de La Réunion dispose : «
Une
majoration de traitement de 25 % est accordée, à partir du 1
er
avril 1950, à tous les
fonctionnaires des départements considér
és. L’indemnité dite de recrutement instituée
par le décret n° 48-167 du 31 mars 1948 est supprimée à partir de la même date
».
L’
article 1 du décret n° 57-87 du 28 janvier 1957 portant majoration du complément
temporaire alloué aux fonctionnaires de l’Eta
t en service dans les départements de la
Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane française précise : «
À compter du
1
er
janvier
1957, le montant du complément temporaire institué par l’article 10 du décret
susvisé du 22 décembre 1953 est porté à 15 %
à l’égard des fonctionnaires de l’Etat en
service dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane
française
».
Selon l
’
article 88 de la loi n° 84- 53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires
relatives à la fonction publique territoriale : «
Les organes délibérants des collectivités
territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la
limite de ceux dont bénéficient les différents services de l
’
Etat.
».
Ce complément de rémunération pré
sente toutes les caractéristiques d’une indemnité
attachée à l’exercice des fonctions et est lié au séjour de l’agent dans un département
d’outre
-
mer. En l’absence de justification explicite à son existence et sans que le niveau
des prix entre dans ses paramètres de calcul, elle a été qualifiée usuellement
«
d’indemnité
de vie chère »
par les collectivités qui l’attribuent.
Les articles précités de la loi n° 50-407 du 3 avril 1950 et du décret n° 57-87 du
28 janvier 1957 accordent respectivement 25 % et 15 % de majoration de traitement et de
complément temporaire aux agents titulaires de l’Etat mais seulement à ceux
-ci. Si, en
vertu du principe de parité, les collectivités territoriales ont la faculté d’accorder un
avantage équivalent à leurs agents titulaires, elles doivent en décider explicitement, par
une délibération. En effet, l’article
1 du décret n° 91-875 du 6 septembre 1991 pris pour
9
l’application du premier alinéa de l’article
88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant
dispositions statutaires
relatives à la fonction publique territoriale, applicable en l’espèce,
dispose que
« les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont
bénéficient les d
ifférents services de l’Etat
».
En l’absence de délibération de l’organe
délibérant compétent, le versement de la majoration de traitement et du complément
temporaire aux agents titulaires d’une collectivité est sans fondement.
En l
’
espèce, ni la délibération n° 6 du 5 février 2003 «
portant instauration du régime
indemnitaire
» des agents du CGFPT de la Guadeloupe ni la délibération° 8 du
23 mai 2008 portant modification de la précédente, ne contiennent de disposition relative
à l
’
octroi
de l’ind
emnité litigieuse aux agents contractuels du centre de gestion. Ainsi,
aucune des délibérations applicables au cours de l
’
exercice 2018, n
’
instaure de
surrémunération indiciaire au bénéfice des agents contractuels.
Les arrêtés d
’
engagement, les contrats de recrutement ainsi que leurs avenants, de M. A
et de Mme B recrutés, respectivement, en qualité de médecin et d
’
infirmière à compter
du 1
er
mai 2008 et du 1
er
septembre 2012 ne font pas référence à la surrémunération
indiciaire sous les termes de «
prime de 40 %
» ou de «
prime de vie chère
». En revanche,
s
’
agissant de M. C qui a été recruté en tant que médecin à compter du 17 juin 2013, le
contrat à durée déterminée pour la période du 17 juin 2016 au 16 juin 2019 dont il a
bénéficié stipule, à son article 3 «
Rémunérations
», qu
’
aux autres indemnités
expressément mentionnées, s
’
ajoute «
l
’
indemnité de vie chère de 40 pour 100
».
Ainsi, le contrat de M. C prévoyait, seul, le paiement de la prime en litige, cette mention
n
’
étant toutefois pas suffisante pour procéder au paiement des mandats concernés.
En prenant en charge les mandats de paiement relatifs à la surrémunération aux trois
agents contractuels précités, qui n
’
étaient pas accompagnés des justifications
réglementaires, et en procédant à leur paiement
alors qu’il aurait dû les
suspendre, M. Z
a manqué à son obligation de contrôle imposée par l
’
article 19 du décret du
7 novembre 2012 susvisé. Il a ainsi engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire
pour les mandats visés au réquisitoire, pour un montant de 45 503,16
€
au titre de
l
’
exercice 2018, en vertu des dispositions de l
’
article 60 de la loi 63-156
du 23 février 1963.
Il ne pourrait en être autrement que si le comptable pouvait exciper de circonstances de
force majeure. En effet, l
’
article 60-V de la loi n° 63-156 indique que «
lorsque […] le
juge des comptes constate l
’
existence de circonstances constitutives de la force majeure,
il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public
».
En l
’
espèce, alors que l
’
ordonnateur n
’
a pas répondu au réquisitoire, M. Z, en soutenant
que même en l
’
absence en l
’
espèce de circonstances de force majeure, la problématique
de cette prime soulevée récemment doit justifier que des circonstances atténuantes soient
retenues au bénéfice des comptables, ne fait valoir aucun élément exonératoire de
responsabilité. Aucune circonstance constitutive de la force majeure n
’
est dès lors établie
par l
’
instruction, ni même alléguée par le comptable.
Il résulte de l
’
ensemble de ce qui précède que M. Z se trouve dans le cas prévu par les
dispositions précitées
de l
’
article 60 de la loi du 23 février 1963 et sa responsabilité
personnelle et pécuniaire est engagée pour une dépense d
’
un montant de 45 503,16
€
irrégulièrement payée.
10
L
’
existence d
’
un préjudice financier
Pour déterminer si le paiement irrégulier d
’
une dépense par un comptable public a causé
un préjudice financier à l
’
organisme public concerné, il appartient au juge des comptes
de vérifier, au vu des éléments qui lui sont soumis à la date à laquelle il statue, si la
correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d
’
éviter
que soit payée une dépense qui n
’
était pas effectivement due.
Lorsque le manquement du comptable porte sur l
’
exactitude de la liquidation de la
dépense et qu
’
il en est résulté un trop-payé, ou conduit à payer une dépense en l
’
absence
de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non échue, ou à priver le paiement d
’
effet
libératoire, il doit être regardé comme ayant par lui-même, sauf circonstances
particulières, causé un préjudice financier à l
’
organisme public concerné. A l
’
inverse,
lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent au titre du
paiement d
’
une dépense porte seulement sur le respect de règles formelles que sont
l
’
exacte imputation budgétaire de la dépense ou l
’
existence du visa du contrôleur
budgétaire lorsque celle-ci devait, en l
’
état des textes applicables, être contrôlée par le
comptable, il doit être regardé comme n
’
ayant pas par lui-même, sauf circonstances
particulières, causé de préjudice financier à l
’
organisme public concerné.
Le manquement du comptable aux autres obligations lui incombant, telles que le contrôle
de la qualité de l
’
ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la
production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait, doit être
regardé comme n
’
ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l
’
organisme
public concerné lorsqu
’
il ressort des pièces du dossier, y compris d
’
éléments postérieurs
aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il
appartenait au comptable de vérifier l
’
existence au regard de la nomenclature, que
l
’
ordonnateur a voulu l
’
exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait..
En l
’
espèce, par la délibération n° 8 du 28 novembre 2019, le CGFPT a manifesté
l
’
intention de poursuivre le versement de l
’
indemnité de 40 % dite «
de vie chère
»
« aux
agents fonctionnaires titulaires-stagiaires et aux agents contractuels de droit public
recrutés par le centre de gestion ».
Comme le fait valoir M. Z, une telle délibération, même postérieure aux manquements en
cause, est de nature à établir que l
’
ordonnateur a effectivement entendu exposer la
dépense en cause et à démontrer que ces manquements n
’
ont pas causé de préjudice
financier au CGFPT de la Guadeloupe.
Dans ces conditions, le manquement de M. Z à ses obligations de contrôle n
’
a pas causé
un préjudice financier au CGFPT de la Guadeloupe.
La sanction des manquements
Aux termes du troisième alinéa du VI de l
’
article 60 modifié de la loi du 23 février 1963
susvisée,
« Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n
’
a
pas causé de préjudice financier à l
’
organisme public concerné, le juge des comptes peut
l
’
obliger à s
’
acquitter d
’
une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des
circonstances de l
’
espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en
Conseil d
’
Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II. »
.
11
Le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 prévoit que ce montant est fixé «
à un
millième et demi du montant du cautionnement prévu par le poste comptable considéré
».
En application des dispositions précitées, le cautionnement de M. Z pour l
’
exercice 2018
s
’
élevant à 180 000
€
, le plafond de la somme rémissible s
’
établit à la somme de 270
€.
Il est fait une juste appréciation des circonstances de l
’
espèce et des sommes en cause en
prononçant à l
’
encontre de M. Z l
’
obligation de s
’
acquitter d
’
une somme irrémissible
totale de 150
€
,
en application du paragraphe VI alinéa 2 de l
’
article 60 modifié de la loi n° 63
156 du 23 février 1963
.
Par ces motifs,
DÉCIDE
Article 1
–
Charge n° 1
M. Y est constitué débiteur du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la
Guadeloupe sur le fondement du troisième alinéa du VI de l
’
article 60 de la loi n° 63-156
du 23 février 1963 modifiée, pour la somme de quatre mille six cent treize euros et quatre
centimes (4 613,04
€
), augmentée des intérêts de droit à compter du 30 juin 2021, date de
la notification du réquisitoire au comptable.
En cas de remise gracieuse de ces débets par le ministre chargé du budget, une somme au
moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa du VI de l
’
article 60
de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 sera laissée à sa charge.
Article 2
–
Charge n° 2
La responsabilité personnelle et pécuniaire de M. Z est engagée sur le fondement de
l
’
alinéa 2 du VI de l
’
article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée et une
somme de cent-cinquante euros (150
€
) est mise à sa charge. Cette somme n
’
est pas
susceptible de remise gracieuse, conformément au paragraphe IX de l
’
article 60 précité.
Article 3
–
Sursis à décharge
M. Y ne sera déchargé de sa gestion du 1
er
janvier 2015 au 30 novembre 2017 qu
’
après
apurement du débet prononcé à son encontre.
M. Z ne sera déchargé de sa gestion du 1
er
décembre 2017 au 31 décembre 2018 qu
’
après
apurement de la somme non rémissible prononcée à son encontre.
Fait et délibéré par la chambre régionale des comptes de la Guadeloupe,
le 19 octobre 2021.
Présents :
-
M. Yves COLCOMBET, président de la chambre, président de séance,
-
M. Patrick PLANTARD, président de section ;
-
Mme Anne-Maude DUBOST, réviseur ;
12
-
M. Alexandre ABOU, premier conseiller ;
-
Mme Louise AREND, conseillère ;
Ont signé : Mme Martine AZARES, greffière, M. Yves COLCOMBET, président.
Collationné, certifié conforme à la minute étant au greffe de la Chambre régionale des
comptes de la Guadeloupe et délivré par moi, secrétaire générale.
Aurélie ROSSAT
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de
mettre le présent jugement à exécution ; aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près
les tribunaux de grande instance, d
’
y tenir la main ; à tous commandants et officiers de la force publique
de prêter main-forte lorsqu
’
ils en seront légalement requis.
En application des articles R. 242-19 et R. 242-23 du code des juridictions financières, les jugements
prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d
’
appel devant la Cour des comptes
dans le délai de deux mois à compter de la notification, selon les modalités prévues aux articles R. 242-22
et R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l
’
étranger.
La révision d
’
un jugement peut être demandée après expiration des délais d
’
appel, et ce, dans les conditions
prévues à l
’
article R. 242-29 du même code.