ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
DÉCEMBRE 2021
L’INSERTION DES JEUNES
SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
COUR DES COMPTES
3
SOMMAIRE
5
AVERTISSEMENT
7
SYNTHÈSE
9
INTRODUCTION
11
1 - UN ENSEMBLE DE MESURES QUI PEINE
À COMPENSER LES DIFFICULTÉS D’INSERTION
DES JEUNES
11
A - Face à une grande variété de situations,
de nombreux dispositifs et des acteurs
multiples
14
B - Une politique publique qui s’est réformée
dans la période récente
14
C - Une situation pourtant toujours défavorable
pour les jeunes, et des dispositifs aux résultats
modestes
15
2 - QUATRE DÉFIS À RELEVER POUR UNE ACTION
PLUS EFFICACE
17
A - Systématiser et approfondir la démarche
en direction des publics dits « invisibles »
17
B - Mieux cibler les dispositifs
19
C - Garantir la qualité du contenu des parcours
« intensifs »
20
D - Renforcer la coopération entre les acteurs
25
CONCLUSION
26
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX DE LA COUR DES COMPTES
COUR DES COMPTES
5
La présente note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à présenter,
sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels
seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années
et les leviers qui pourraient permettre de les relever. Cette série de
publications, qui s’étale d’octobre à décembre 2021, s’inscrit dans le
prolongement du rapport remis en juin 2021 au Président de la République,
Une stratégie des finances publiques pour la sortie de crise.
Ce travail de
synthèse vise à développer, sur quelques enjeux structurels essentiels,
des éléments de diagnostic issus de précédents travaux de la Cour et des
pistes d’action à même de conforter la croissance dans la durée tout en
renforçant l’équité, l’efficacité et l’efficience des politiques publiques.
La Cour, conformément à sa mission constitutionnelle d’information des
citoyens, a souhaité développer une approche nouvelle, qui se différencie
de ses travaux habituels, et ainsi apporter, par cette série de notes
volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat
public, tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes
envisageables.
Cette note a été délibérée par la 5
e
chambre et approuvée par le comité du
rapport public et des programmes de la Cour des comptes.
Les publications de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
.
AVERTISSEMENT
COUR DES COMPTES
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SYNTHÈSE
Malgré des dispositifs nombreux, résultat de réformes successives, l’insertion
professionnelle des jeunes demeure difficile dans notre pays, et leur parcours
vers l’emploi incertain et heurté. L’accent mis dans la période récente sur
un accompagnement plus intensif des jeunes demandeurs d’emploi et sur
l’apprentissage, plutôt que sur l’emploi aidé, n’a pas encore permis une
amélioration décisive de leur situation. En particulier, les résultats des dispositifs
d’accompagnement vers l’emploi qui leur sont destinés demeurent modestes.
Pour améliorer cette performance, quatre enjeux ont été identifiés par la Cour. Il
s’agit tout d’abord de mieux orienter les jeunes vers les dispositifs adaptés à leurs
besoins. Il convient ensuite de garantir la qualité et l’intensité de chacune des
phases des parcours d’accompagnement qui leur sont proposés, et donc de veiller
à la performance des acteurs qui les mettent en œuvre. Il est aussi nécessaire
d’étendre la capacité du service public de l’emploi à s’adresser à tous les jeunes qui
en ont besoin, même à ceux qui ne viennent pas spontanément se faire connaître
de lui. Enfin, pour atteindre l’objectif d’un parcours « sans couture », les différents
acteurs impliqués dans l’accompagnement d’un jeune jusqu’à l’emploi doivent
encore faire des progrès en matière de coordination.
Face à ce constat, et dans le contexte de l’annonce de la mise en œuvre
d’un « contrat d’engagement », qui consacre l’orientation vers une offre
d’accompagnement intensif du jeune, accompagnée du versement d’une indemnité,
la Cour développe plusieurs pistes de progrès. Un meilleur ciblage des dispositifs
implique d’évaluer la situation de chaque jeune de manière objective et partagée, et
de bien définir la cible de chaque dispositif, en réservant les plus coûteux aux jeunes
les plus éloignés de l’emploi. Garantir la qualité de l’accompagnement proposé
suppose un resserrement du cahier des charges des dispositifs et une meilleure
prise en compte de la performance dans les financements accordés. Enfin, pour
une meilleure coordination des acteurs, la Cour identifie deux leviers d’action, qui
peuvent commander des réformes institutionnelles : simplifier le parcours des
jeunes et redistribuer les compétences en matière de formation.
8
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Chiffres clés :
•
698 000
demandeurs d’emploi âgés de moins de 25 ans en France
métropolitaine au 3
e
trimestre 2021 inscrits à Pôle emploi en catégories A,
B et C (c’est-à-dire exerçant ou non une activité et tenus de rechercher un
emploi) ; un taux de chômage des jeunes âgés de
15 à 24 ans
égal à
19,8 %
au 2
e
trimestre 2021, un peu meilleur qu’avant la crise sanitaire
(20 % au dernier trimestre 2019) ;
•
Environ
750 000
jeunes sortant du système éducatif par an, dont près
de 10 % sans qualification ;
•
Hors mesures exceptionnelles, des crédits en faveur de l’insertion des jeunes
dans l’emploi de l’ordre de
10 Md€
par an.
COUR DES COMPTES
9
INTRODUCTION
Si l’emploi des jeunes a retrouvé son niveau d’avant-crise, leur situation demeure
préoccupante, à la fois par comparaison avec celle des générations plus âgées et
par rapport aux résultats observés dans d’autres pays. La situation des jeunes sur
le marché du travail est, dans la plupart des pays, plus difficile que celle de leurs
aînés. En France, les jeunes actifs ont 2,5 fois plus de risques d’être au chômage
que l’ensemble des actifs, alors que ce ratio est inférieur à 2 en Allemagne et
aux Pays-Bas où, de surcroît, le taux de chômage est plus faible. Le passage par
l’intérim ou par des contrats de courte durée est plus marqué pour les jeunes
que pour le reste de la population. Au cours de la décennie écoulée, le nombre
de demandeurs d’emploi âgés de moins de 25 ans et disponibles pour travailler a
varié entre 700 000 et 800 000 par an en France. L’emploi des jeunes est, dès lors,
une préoccupation constante des pouvoirs publics qui ont progressivement mis
en œuvre une palette de mesures spécifiques, allant de la formation aux contrats
aidés, en passant par des dispositifs spécifiques d’accompagnement vers l’emploi.
La Cour a publié en 2016 un diagnostic des dispositifs en faveur de l’emploi des
jeunes, qui mettait en évidence d’importantes faiblesses. Elle relevait alors la fragilité
structurelle de certains acteurs de l’insertion et montrait que les dispositifs mis en
œuvre étaient à la fois trop nombreux et mal articulés entre eux. Leur efficacité
apparaissait problématique, malgré un coût alors estimé à 10,5 Md€ par an.
À l’occasion de la mise en œuvre du plan « #1jeune1solution » en réponse à la crise
sanitaire, la Cour a mené de nouveaux travaux qui l’ont conduite à réexaminer les
limites structurelles de cette politique publique, à un moment où la question de
l’insertion des jeunes dans l’emploi, et plus généralement de leur intégration dans
la société dans toutes ses dimensions (logement, revenu, santé, citoyenneté), paraît
opposer, plus que jamais, les intérêts des jeunes générations à ceux de leurs aînés.
La présente note n’a pas pour ambition d’embrasser toutes les problématiques
liées à l’insertion des jeunes sur le marché du travail, ni de trancher la question des
conditions dans lesquelles les jeunes pourraient percevoir plus systématiquement
un revenu, mais d’examiner les conditions d’un accompagnement vers l’emploi plus
efficace et plus efficient.
COUR DES COMPTES
11
1 - UN ENSEMBLE DE MESURES QUI PEINE À COMPENSER
LES DIFFICULTÉS D’INSERTION DES JEUNES
A - Face à une grande variété
de situations, de nombreux dispositifs
et des acteurs multiples
La politique en faveur de l’emploi des jeunes
en France est mise en œuvre, sous l’égide
du ministère chargé du travail (à l’échelon
national, la délégation générale à l’emploi et
à la formation professionnelle (DGEFP) et en
région, les directions régionales de l’économie,
de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets)),
principalement par Pôle emploi, qui assure
un accompagnement professionnel des
demandeurs d’emploi inscrits, quel que soit
leur âge, et par les quelque 450 missions locales
pour l’insertion sociale et professionnelle des
jeunes, qui assurent celui des jeunes âgés de
moins de 26 ans, dès lors qu’ils rencontrent des
difficultés autres que professionnelles à l’entrée
sur le marché du travail. Ces associations
présidées par des élus locaux ont l’objectif
d’offrir à chaque jeune le parcours vers l’emploi
qui lui est adapté, en combinant des actions de
remobilisation, d’aide à la construction d’un
projet professionnel, d’orientation vers des
formations et de soutien à la recherche d’emploi.
Elles favorisent aussi l’accès à l’autonomie et
apportent des solutions aux problèmes de
mobilité, de logement ou de santé des jeunes.
Depuis le 1
er
janvier 2017, les jeunes en
difficulté d’insertion sont suivis par les
missions locales dans le cadre du « parcours
contractualisé d’accompagnement vers
l’emploi et l’autonomie » (Pacea ), dont le
contenu varie selon les besoins du jeune - et
qui peut donner lieu ponctuellement à une
rémunération - ou de la Garantie jeunes, qui
en est la forme supposée la plus intensive.
La Garantie jeunes, expérimentée à partir de
2014 et généralisée en 2017, est fondée sur
une démarche de remobilisation collective
dans les premières semaines, puis sur un
accompagnement individuel et des périodes
de mises en situation professionnelle avec des
entreprises partenaires ; elle est assortie d’une
allocation d’un montant mensuel maximum
aujourd’hui fixé à 497,50 € pendant une
période de douze mois au plus, contrepartie de
l’engagement demandé au jeune en matière
de présence à des ateliers de mobilisation ou
de soutien, ou de participation à des mises
en situation professionnelle. Cette allocation
a vocation à permettre au jeune de résoudre
certaines difficultés d’ordre social dans l’accès
à l’emploi, de faire l’expérience de l’autonomie
financière et de s’investir dans son projet
professionnel. Sur la base de premières
évaluations favorables, la Garantie jeunes est
rapidement devenue la principale réponse
des pouvoirs publics à la question des jeunes
éloignés de l’emploi.
Pôle emploi et les missions locales agissent ainsi
comme les « ensembliers » du parcours des
jeunes, en leur apportant directement un service
améliorant leur capacité à occuper un emploi
par des conseils, des formations et des ateliers
– internes – et en les orientant vers d’autres
acteurs, si nécessaire (organismes de formation,
associations et entreprises accueillant des
stagiaires, des personnes en insertion ou
des jeunes en service civique, employeurs de
contrats aidés, etc.). Ces parcours sont d’autant
plus longs et complexes que les jeunes sont
éloignés du marché du travail. En outre, des
actions de repérage et de remobilisation de
publics dits « invisibles », c’est-à-dire des jeunes
inconnus des acteurs du service public de
l’emploi, sont expérimentées à ce titre dans
le cadre du plan d’investissement dans les
compétences lancé en 2018.
12
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Les régions, quant à elles, établissent des
catalogues de formations collectives et
assurent leur financement pour tous les
publics en recherche d’emploi, y compris les
jeunes. Des dispositifs dits « de deuxième
chance », financés sur fonds publics, offrent
un accompagnement spécifique aux jeunes
les moins qualifiés : les « écoles de la
deuxième chance » offrent un programme
de remobilisation et d’aide à la construction
d’un parcours professionnel, l’établissement
public pour l’insertion dans l’emploi (Épide)
propose une offre du même type en incluant un
hébergement. Les associations subventionnées
qui accueillent des personnes en difficulté et qui
dispensent une offre en matière d’acquisition
des savoirs de base, d’assistance dans les
démarches administratives et d’hébergement
comptent également des jeunes parmi les
publics accueillis.
Schéma n° 1 : acteurs et dispositifs spécifiques de l’insertion des jeunes dans l’emploi
Source : Cour des comptes d’après les données du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion
Actions de formation
des jeunes chômeurs
345 000 / an
→ 415 000 en 2021
→ 375 000 en 2022
Prépas apprentissage
15 000
EPIDE
3 000
Écoles
de la 2
ème
chance
15 000
Dominante
« Formation »
Actions de repérage
des « invisibles » :
30 000
bénéficiaires
2019-2020 d’actions
financées par l’appel
à projets DGEFP
Acccompagnement
intensif des jeunes
par Pôle emploi
100 000 →
240 000
Objectif emploi
accompagnement
par l’APEC*
52 000
jeunes accueillis
entre septembre 2020
et l’été 2021
GARANTIE JEUNES
105 000 →
200 000
PACEA
340 000 →
420 000
Dominante
« Accompagnement »
Effectif 2019
→
Objectif 2021
* Mesures spécifique crise
Mesure hors périmètre Travail et Emploi
Jeunes en IAE
25 000 →
35 000
Service
civique
140 000
missions →
245 000
Apprentissage
350 000
→
500 000
Contrats prof.
220 000
Dominante
« Expérience professionnelle »
Emploi francs :
10 000
Contrats aidés « fléchés »
PEC jeunes*
→
80 000
CIE jeunes*
→
50 000
D
I
S
T
A
N
C
E
À
L
’
E
M
P
L
O
I
Les parcours d’accompagnement Garantie jeunes et Pacea peuvent intégrer des séquences
de formation ou d’expérience professionnelle, de même que les parcours proposés par l’Epide
et les E2C
COUR DES COMPTES
13
Enfin, les pouvoirs publics peuvent recourir à
divers mécanismes pour baisser le coût du travail
des jeunes, tels que les primes à l’embauche, les
« emplois francs » qui s’adressent aux habitants
des quartiers prioritaires de la politique de
la ville, les contrats aidés dans les secteurs
marchand ou non-marchand ou les aides au
poste versées aux entreprises et associations
de l’insertion par l’activité économique. Ces
dispositifs visent à faciliter chez les jeunes
la découverte du monde du travail et d’une
première expérience professionnelle. Cette
offre multiple, dont les modalités varient le plus
souvent en fonction de la distance à l’emploi
des jeunes, a vu ses objectifs en nombre de
bénéficiaires relevés en réponse à la crise
sanitaire (cf. schéma n° 1).
Ainsi, en fonction de ses besoins, chaque jeune
peut, en principe, bénéficier d’un parcours
d’accès à l’emploi qui lui est adapté. Si la
multiplicité des dispositifs peut y contribuer,
celle des acteurs est potentiellement un
inconvénient qui ne peut être surmonté que
si ceux-ci, en particulier Pôle emploi et les
missions locales, coopèrent efficacement, se
transmettent les informations nécessaires et
disposent de repères partagés sur la cible de
chacun de ces dispositifs.
B - Une politique publique qui s’est
réformée dans la période récente
De façon générale, les réformes mises en œuvre
depuis 2016 en matière d’insertion des jeunes
dans l’emploi ont permis un recentrage vers la
formation et l’accompagnement renforcé.
Dans le domaine des emplois aidés (hors
apprentissage), le nombre de bénéficiaires
a été fortement réduit avant la crise pour
recentrer le dispositif vers les personnes les
plus éloignées de l’emploi. Ainsi, de près de
110 000 emplois aidés pour les jeunes en 2016,
ce nombre a chuté à environ 17 500 en 2019.
Cette diminution tient pour beaucoup à la
suppression des « emplois d’avenir », décidée
en 2017, au bénéfice d’un développement plus
volontariste de l’apprentissage.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de
choisir son avenir professionnel a modifié le
paysage de l’alternance, avec pour ambition
de susciter davantage d’offres d’apprentissage
et d’accroître au total le nombre de places
d’apprentis dans les centres de formation ; les
entrées en apprentissage ont augmenté de
plus de 40 % en 2020.
S’agissant de l’offre de formation aux jeunes
en recherche d’emploi, la période est marquée
par le passage de la logique de plans successifs
ne ciblant pas particulièrement les jeunes,
à celle du plan d’investissement dans les
compétences
(PIC), qui, au contraire, leur
réserve explicitement une large place, avec
pour objectif de former entre autres un million
de jeunes sans qualification sur 2018-2022.
Enfin, les dispositifs d’accompagnement dits
intensifs destinés aux jeunes, notamment ceux
éloignés de l’emploi, ont été généralisés sur
la période 2016-2019, non seulement avec
la Garantie jeunes pour les missions locales,
mais aussi, à Pôle emploi, avec le dispositif
« accompagnement intensif jeunes » (AIJ), qui
prévoit un suivi resserré par des conseillers
spécialisés.
Par ailleurs, la mise en place du plan
« #1jeune1solution », en réponse à la crise
sanitaire, comporte diverses mesures en
faveur de l’insertion des jeunes et a permis
d’améliorer l’articulation des acteurs et des
dispositifs. Sous l’égide de l’État, les deux
réseaux de Pôle emploi et des missions
locales ont été réunis dans les instances
de pilotage du plan, ce qui a été propice à
leur coopération à différents échelons. Ce
rapprochement a permis de leur fixer, dans
chaque territoire, un objectif commun et
de les mobiliser autour de projets concrets.
D’autre part, le plan a permis de réduire la
14
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
concurrence entre certains dispositifs. Ainsi,
le relèvement de l’indemnité versée aux
stagiaires de la formation professionnelle au
niveau de celle de la Garantie jeunes a permis
de rendre plus attractive l’orientation des
jeunes vers la formation. Enfin, les situations
dans lesquelles l’accompagnement peut ouvrir
droit à une indemnité ont été multipliées
(en particulier dans le cadre de l’AIJ de Pôle
emploi), supprimant, là encore, une source
de biais dans l’orientation des jeunes vers les
différentes solutions.
C - Une situation pourtant toujours
défavorable pour les jeunes,
et des dispositifs d’insertion
aux résultats modestes
Malgré les réformes et l’amélioration des
performances en matière d’emploi des
jeunes, leur taux de chômage est demeuré,
au cours de la période 2016-2019, plus
élevé que celui du reste de la population, et
ce, dans une proportion quasi inchangée. La
crise sanitaire et les mesures prises pour y
faire face n’ont pas amélioré cette situation.
La Cour, dans son rapport
Une stratégie des
finances publiques pour la sortie de crise
de
juin 2021, a ainsi souligné que les jeunes ont été
particulièrement affectés par la crise sanitaire
et ses conséquences et que, insuffisamment
performant, notre système de formation
conduit à un niveau trop faible de compétences,
qui ne facilite pas l’insertion professionnelle
des jeunes éloignés du marché de l’emploi et
nuit à la compétitivité de l’économie : il est
essentiel de mieux orienter les jeunes actifs
et en formation vers des filières et les métiers
dans lesquels la demande de travail et la valeur
ajoutée seront élevées dans les prochaines
années, tels ceux créés par la transition
écologique et la révolution numérique.
Durant la même période, la situation de
l’emploi s’est améliorée dans la plupart des
pays comparables au même rythme qu’en
France, cette dernière conservant une place
intermédiaire entre les pays du Sud de l’Europe,
où le chômage des jeunes est élevé, et ceux du
Nord, où il est faible. Cette situation, malgré les
moyens engagés et la succession des dispositifs
depuis de nombreuses années, conduit donc à
s’interroger sur l’efficacité de ceux-ci.
Graphique n° 1 : taux de chômage des jeunes sur la période 2015-2020
dans différents pays de l’Union européenne
0
10
20
30
40
50
60
Source : Eurostat
COUR DES COMPTES
15
Qu’il s’agisse de recenser le nombre de sorties
en emploi de l’ensemble des bénéficiaires ou
de comparer la situation d’une cohorte de
jeunes ayant suivi tel ou tel de ces dispositifs,
par rapport à une autre qui n’en a pas bénéficié,
les résultats sont dans les deux cas assez ténus.
Pour s’en tenir aux principaux dispositifs, selon
une étude du ministère chargé du travail, le
taux d’emploi, un mois après la sortie de la
Garantie jeunes, est en baisse d’année en année
de 2015 à 2019 : il est passé de 28,7 % en 2015
à 23,9 % en 2019, alors que la situation de
l’emploi s’est améliorée dans l’intervalle et que
le profil des bénéficiaires n’a pas changé.
D’après les données recueillies par la Cour des
comptes à partir d’un échantillon significatif
établi dans la population de jeunes sortis de
l’AIJ entre début 2018 et mars 2020, le taux
de sortie vers l’emploi, un mois après la sortie
de ce dispositif, était de 46 %. S’il est supérieur
à celui observé pour le Pacea et la Garantie
jeunes, cela s’explique en partie par le fait qu’il
s’agit d’un public moins éloigné de l’emploi.
La mesure de la « valeur ajoutée » du passage
par l’un de ces programmes sur l’insertion
d’un jeune dans l’emploi représente mieux
la performance des dispositifs. Selon une
étude de la Direction de l’animation, de la
recherche, des études et des statistiques
(Dares) réalisée sur les premières cohortes
de bénéficiaires de la Garantie jeunes, entrés
dans le dispositif en 2014, l’effet sur le taux
d’emploi des bénéficiaires serait de + 9,9 points
de pourcentage 11 mois après l’entrée dans
le dispositif et de + 11,4 points 22 mois après.
Encore cette performance a-t-elle été réalisée
dans des territoires-pilote, armés et mobilisés
sur ce dispositif ; elle n’a pas été mesurée
depuis sa généralisation.
S’agissant de l’AIJ, par rapport à une population
témoin comparable, en 2017, les jeunes
bénéficiaires de l’accompagnement intensif
jeunes étaient plus souvent en emploi huit mois
après leur entrée dans le dispositif (+ 10 points).
S’agissant enfin des contrats aidés, le dernier
dispositif de grande ampleur ciblé sur les
jeunes, les « emplois d’avenir », présentait
des résultats encore inférieurs en matière
d’amélioration de l’accès à l’emploi : la
probabilité des bénéficiaires d’être en emploi
trois ans après l’entrée dans le dispositif était
de deux points supérieure à celle qu’ils auraient
eue sans avoir bénéficié du dispositif, et de
huit points quatre ans après. Le recul manque
encore pour analyser l’effet sur l’emploi des
jeunes des « parcours emplois compétences »,
dispositif qui a succédé aux contrats aidés du
secteur non-marchand et qui, avant la crise, ne
s’adressait pas spécifiquement à eux.
2 - QUATRE DÉFIS À RELEVER POUR UNE ACTION PLUS EFFICACE
Les politiques d’insertion des jeunes dans
l’emploi ne peuvent pas remédier aux
défaillances de la formation initiale, ni
aux choix sociaux tacites qui conduisent à
donner une priorité de fait à des salariés plus
expérimentés. Pour autant, leur enjeu principal
doit être d’offrir aux jeunes les parcours vers
l’emploi de qualité et adaptés à leurs besoins.
Pour y parvenir, quatre défis sont à relever. Le
premier est de parvenir à atteindre les jeunes
dits « invisibles » qui ne sont pas en contact
avec les institutions censées leur apporter une
réponse. Le deuxième est de parvenir à orienter
chaque jeune vers le ou les dispositifs adéquats,
16
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
ce qui suppose de parvenir à diagnostiquer le
besoin, puis à construire un parcours qui peut
comporter différentes étapes. Le troisième
est d’assurer la qualité de l’accompagnement
proposé à chacune de ces étapes. Enfin, le
dernier est de faire en sorte que les acteurs qui
concourent à la réalisation d’un tel parcours vers
l’emploi parviennent à coordonner leurs actions
de manière à ce que le jeune ne connaisse pas
de rupture dans sa prise en charge.
Ces principaux défis peuvent se résumer de la
manière suivante :
Schéma n° 2 : les défis du service public de l’emploi des jeunes
MISSIONS LOCALES
FINANCEMENT
Mission
COORDONNER
« ALLER
VERS »
« Invisibles »
RÉGIONS
Découverte
du milieu
professionnel
Construction
d’un projet
Formation /
Apprentissage
Recherche
d’emploi
ASSURER LA QUALITÉ DE L’ACCOMPAGNEMENT
PARTENAIRES DES PARCOURS :
Opérateurs de formation, CFA, E2C, Epide,
acteurs de l’IAE, entreprises, associations
Soutien social
Rémunération
des phases intensives
EMPLOI - AIDE
EMPLOI
1 + 5
x 9 =
MIEUX CIBLER LES DISPOSITIFS
Remobilisation
Source : Cour des comptes
COUR DES COMPTES
17
A - Systématiser et approfondir
la démarche en direction des publics
dits « invisibles »
Comme la Cour le soulignait, dans son
rapport
Une stratégie des finances publiques
pour la sortie de crise
de juin 2021, il apparaît
indispensable d’accroître dans la durée
l’efficacité des mesures en faveur des jeunes
décrocheurs vers l’emploi. L’acronyme «
jeunes
NEET
» (
Neither in education, nor in employment
or training
) désigne les jeunes sortis du système
scolaire et qui ne sont ni en emploi, ni en
formation, soit environ 13 % des 16-25 ans et
28 % des 16-25 ans sortis de formation initiale.
Parmi ceux-ci, il est difficile d’estimer la part des
jeunes « invisibles », inconnus du service public
de l’emploi.
Cependant, selon un récent travail de la direction
interministérielle de la transformation publique,
parmi les «
jeunes NEET
», en 2018, 37 %
seraient sans contact avec le service public de
l’emploi ou tout autre organisme d’insertion. De
plus, entre 150 000 et 220 000 jeunes précaires
seraient « sans solution » dans le système
existant. Les modes usuels d’accompagnement
proposés ne sont pas adaptés à ces jeunes
en grande difficulté, notamment parce qu’ils
peinent à s’adapter à un programme, à respecter
des règles dans la continuité, mais aussi à cause
de leurs réticences vis-à-vis des institutions : le
Pacea, la Garantie jeunes, l’inscription à Pôle
emploi représentent des contraintes trop fortes
pour eux. Il apparaît nécessaire d’engager une
démarche active envers eux pour les faire entrer
dans les dispositifs d’accompagnement et
d’insertion.
Cette problématique commence à être prise
en compte. Dans le cadre du PIC, un premier
appel à projets en faveur du « repérage
des invisibles », doté de 60 M€, a financé
237 projets. Le ministère chargé du travail en a
fait l’une de ses priorités, qu’il encourage auprès
des missions locales. Certaines collectivités
locales mettent en œuvre des actions « hors
les murs », avec l’appui de missions locales et
d’associations implantées dans les quartiers où
vivent ces jeunes. De plus, un effort important
en direction des décrocheurs scolaires, dont
le flux peut alimenter ces « invisibles », a été
initié depuis quelques années, et la Cour en a
déjà souligné les succès et les limites dans un
rapport de janvier 2016.
Pour autant, l’investissement en direction
des « invisibles » est très variable selon les
territoires. Un premier bilan a été réalisé de
l’appel à projets lancé en 2019, mais il est
essentiellement quantitatif et descriptif. Il
ne permet pas de tirer de conclusions sur les
facteurs de succès des différentes initiatives, ni
sur la possibilité de les reproduire dans d’autres
territoires. Il convient donc de mener une
évaluation qualitative des expérimentations
déjà effectuées. Dans son prolongement, la
généralisation des actions les plus efficaces
serait encouragée au profit du public le plus
éloigné de l’emploi, qui aujourd’hui est le moins
bien pris en charge.
B - Mieux cibler les dispositifs
Trois dispositifs clés de l’insertion dans l’emploi
s’avèrent aujourd’hui insuffisamment ciblés
sur les jeunes qui seraient les plus à même
d’en bénéficier : l’apprentissage, les dispositifs
d’accompagnement intensif (Garantie jeunes
et AIJ) et les contrats aidés.
Comme la Cour le soulignait, dans son rapport
Une stratégie des finances publiques pour la
sortie de crise
de juin 2021, les dispositifs d’aide
à l’apprentissage se sont multipliés. Toutefois,
la politique d’incitation au développement
18
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
de l’apprentissage s’est faite d’une manière
indifférenciée pendant la crise sanitaire : la
prime à l’embauche exceptionnelle de 5 000 €
à 8 000 € selon l’âge de l’apprenti, prolongée
jusqu’au 30 juin 2022, a été attribuée sans
considération du niveau de diplôme. Ainsi, le
développement de l’apprentissage, avec des
entrées passant de 289 000 en 2016 à 368 000
en 2019 et 525 600 en 2020, a eu lieu au prix
d’un élargissement vers les niveaux de diplôme
élevés. La part des diplômés de niveau bac+2
et plus est en effet passée de 35 % en 2016 à
56 % en 2020. L’essentiel des nouvelles places
créées a profité aux élèves capables de suivre
un cursus long et a peu bénéficié aux publics
vulnérables. Si ce choix peut être justifié pour
développer l’apprentissage dans notre pays,
il n’améliore qu’à la marge l’insertion sur le
marché du travail des jeunes les plus diplômés,
au demeurant déjà bonne.
Par ailleurs, le profil des jeunes en dispositif
d’accompagnement intensif ne se distingue pas
véritablement de celui des autres jeunes suivis.
Ainsi, les critères qui déterminent la difficulté
d’accès à l’emploi (niveau de diplôme, situation
de chômage de longue durée, résidence en
quartier prioritaire de la politique de la ville)
ne se différencient qu’à la marge pour les
publics du Pacea ou de la Garantie jeunes, de
même que les résultats en matière d’insertion
dans l’emploi. Le choix de l’orientation vers la
Garantie jeunes est souvent principalement
guidé par la motivation du jeune et par ses
difficultés financières, et non par l’ampleur
objective des difficultés auxquelles il est
confronté. « L’accompagnement intensif
jeunes » de Pôle emploi n’est pas non plus
orienté vers les plus éloignés du marché du
travail. Ces résultats observés en 2019 n’ont
pas été modifiés en 2020 dans le contexte de
crise et d’augmentation du nombre de jeunes
accompagnés.
S’agissant enfin des contrats aidés, moins de
la moitié des jeunes en « parcours emplois
compétences » étaient non-bacheliers (48 %)
en 2020. Même si le baccalauréat ne suffit pas
à assurer un meilleur accès à l’emploi, cette
proportion demeure trop limitée.
Ce manque de ciblage des publics de jeunes
s’explique aussi par l’absence persistante de
critères précis et partagés pour apprécier la
pertinence de l’orientation proposée par les
conseillers de Pôle emploi et des missions
locales, tout particulièrement vers les
dispositifs intensifs, avec une insuffisante
délimitation des frontières entre les deux
réseaux. Le profilage est pourtant devenu une
procédure standardisée pour les services de
l’emploi de nombreux pays de l’Organisation
de coopération et de développement
économiques (OCDE), notamment les pays
nordiques, afin d’offrir le dispositif le plus
adapté et d’identifier les difficultés d’ordre
social (santé, logement, mobilité, etc.). Il permet
aussi de proportionner les financements
dévolus aux acteurs de l’accompagnement, en
fonction des progrès effectivement réalisés
par les bénéficiaires dans leur parcours vers
l’emploi.
Pour améliorer le ciblage des dispositifs et
proposer à chaque jeune le dispositif qui lui est
adapté, plusieurs voies peuvent être suivies.
Une première voie porte sur l’amélioration
des outils de diagnostic. Une plus grande
formalisation gagnerait à être mise en place,
sans pour autant transformer en algorithme
l’affectation des jeunes dans les dispositifs.
Ces outils pourraient être mieux partagés
entre les missions locales et Pôle emploi, afin
d’assurer une cohérence d’approche entre
les deux réseaux. Par ailleurs, en poursuivant
l’harmonisation de la rémunération attachée
aux dispositifs suffisamment intensifs, il sera
COUR DES COMPTES
19
possible de lutter contre les biais en défaveur
de l’orientation vers des solutions aujourd’hui
assorties d’une rémunération plus faible.
Pour assurer que l’orientation vers une
entrée en formation est suffisamment prise
en considération par les missions locales,
l’expérimentation faite à l’occasion du plan
« #1jeune1solution » consistant à leur fixer
des objectifs chiffrés en la matière pourrait
être pérennisée, pour autant que ces objectifs
soient adaptés à la réalité des profils des jeunes
sur chaque territoire concerné.
Ensuite, compte tenu du coût des parcours
intensifs, ceux-ci pourraient s’adresser
davantage aux jeunes les plus éloignés de
l’emploi, alors qu’ils privilégient aujourd’hui
souvent, dans les faits, les jeunes dont le projet
a une certaine maturité ou qui peuvent se
confronter rapidement au marché du travail.
Enfin, pour assurer l’adéquation entre les
besoins des jeunes et les dispositifs qui leurs
sont proposés, il pourrait être envisageable
d’offrir le bénéfice d’un accompagnement
intensif également aux jeunes disposant de
petits revenus pour lequel il constitue une
solution adaptée, quitte à moduler l’allocation
servie en conséquence. Les annonces récentes
concernant le futur « contrat d’engagement »
paraissent aller dans ce sens.
C - Garantir la qualité du contenu
des parcours « intensifs »
Le service public de l’emploi propose une prise
en charge à chaque jeune (accompagnement
de droit commun à Pôle emploi ; Pacea dans
les missions locales) mais la difficulté réside
surtout dans la capacité à l’accorder sur un
mode intensif lorsque c’est nécessaire.
Cet enjeu est d’autant plus important qu’il
croise, dans notre pays, la question du niveau de
vie des jeunes et de leurs moyens d’existence.
De nombreux pays assurent par principe une
allocation aux jeunes, avec des obligations
plus ou moins fortes en contrepartie.
Schématiquement, dans ces modèles, un
jeune a droit à une allocation, en contrepartie
de laquelle il prend divers engagements,
contrairement à la France, qui a plutôt choisi de
faire émerger un droit à l’accompagnement et
à l’assortir d’une allocation versée à certaines
conditions, dès lors que cet accompagnement
est suffisamment intensif.
Or, l’objectif consistant à proposer un parcours
de qualité à chaque jeune n’est pas aisément
atteignable. D’une part, le réseau des missions
locales, aux performances inégales, n’est pas en
mesure, aujourd’hui, de garantir uniformément
l’intensité de l’accompagnement proposé. D’autre
part, la qualité des parcours ne dépend pas
que des opérateurs, mais aussi de l’écosystème
local de l’emploi et du dynamisme économique,
notamment lorsque l’offre de mise en situation
professionnelle dans certains territoires fait
défaut, là où elle est la plus nécessaire.
De manière préoccupante, la Cour a pu observer
que le degré d’intensité de la Garantie jeunes
tend à baisser. Ainsi, à Paris, entre 2017 et 2019,
le nombre d’actions d’accompagnement par
jeune est passé de 19 à 15. La Garantie jeunes
se présente davantage comme l’enveloppe,
assortie d’une rémunération assurée sur
sa durée (douze à dix-huit-mois), d’un
accompagnement devenu variable dans ses
objectifs et ses modalités. Son contenu réel
apparaît peu suivi par les pouvoirs publics.
En particulier, le nombre de journées de
mise en situation professionnelle, phases qui
constituent la clé de voûte de ce parcours, est
parfois comptabilisé, mais peu exploité.
L’expérience du plan « # 1jeune1solution »
montre, en outre, que la forte augmentation des
effectifs en Garantie jeunes a pu s’accompagner
20
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
d’une baisse de l’intensité de la prestation,
notamment, dans certains territoires, en
raison de trop faibles possibilités de mise en
situation professionnelle dans les entreprises
ou d’un vivier trop étroit de jeunes capables
de s’engager. L’augmentation forte du nombre
de bénéficiaires présente ainsi, même hors
situation de crise, des limites selon les
territoires.
Plus fondamentalement, lorsqu’une
mission locale connaît des difficultés de
fonctionnement, l’État ne dispose pas des
prérogatives pour y remédier, ces structures
associatives, présidées par un élu local, mettant
en œuvre les actions décidées par plusieurs
financeurs (État, mais aussi région, département
et communes) dans des cadres conventionnels
distincts. En outre, lorsque les performances
d’une mission locale ne sont pas satisfaisantes,
malgré le cadre de conventionnement qui
prévoit d’en tenir compte dans la subvention
versée par l’État, celui-ci n’est pas appliqué
ou ses effets sont compensés, faute d’une
alternative pour rendre le service attendu. Le
cadre de la contractualisation pluriannuelle sur
les objectifs et les moyens des missions locales
gagnerait à être élargi et renforcé, pour donner
à l’État les leviers nécessaires au pilotage des
dispositifs dont il leur confie la mise en œuvre.
Assurer la qualité des parcours passe aussi
par un lien plus étroit avec les entreprises, un
encadrement plus strict de leur contenu, un
contrôle accru de leur mise en œuvre concrète,
et un lien plus affirmé entre financement,
qualité et performance.
La récente annonce de la mise en place
d’un « contrat d’engagement », qui associe
le versement d’une allocation et un volume
horaire hebdomadaire d’accompagnement
de 15 à 20 heures, va dans ce sens, en fixant
une exigence minimale en nombre d’heures
d’accompagnement. Il restera néanmoins à
garantir la qualité du contenu de celui-ci.
Pour améliorer cette qualité, la Cour considère
que chacune des étapes du futur contrat
d’engagement devrait être définie, inscrite
dans un calendrier, et ses résultats évalués en
tant que tels. Seuls des programmes dont la
qualité est ainsi avérée pourraient continuer à
bénéficier des financements de l’État.
Une alternative à un suivi très rapproché par
l’État de la réalité du contenu des contrats
d’engagement serait de poser le principe
d’un financement de Pôle emploi et des
missions locales, et des autres intervenants
(associations, prestataires), qui soit davantage
en relation avec leur performance d’insertion
dans l’emploi. Il pourrait être expérimenté en
tenant compte du degré d’éloignement de
l’emploi des publics accompagnés.
D - Renforcer la coopération
entre les acteurs
Il paraît indispensable de renforcer la
coopération entre les acteurs pour assurer
le meilleur service aux jeunes accompagnés.
Elle suppose une organisation concrète
pour accueillir les jeunes et répondre à leur
demande, l’instauration de circuits d’échange
d’informations utiles pour basculer de façon
fluide d’un dispositif à l’autre, une limitation
des effets de concurrence. Elle implique aussi
une meilleure articulation des compétences
entre l’État et les régions en matière de
formation, ainsi qu’une meilleure coordination
des acteurs de l’éducation nationale et de
l’insertion dans l’emploi.
Selon les travaux menés par l’OCDE, disposer
de services intégrés est une bonne pratique
pour mener des politiques en faveur de
l’insertion des jeunes. Cette intégration
nécessite soit un réseau unique, soit un
partage de l’information et une prestation
de services coordonnée entre réseaux. Près
de la moitié des pays de l’Union européenne
propose un guichet unique, répondant à tous
COUR DES COMPTES
21
les besoins des jeunes en un seul endroit. À
l’inverse, en France, la dualité des réseaux est
source de coûts de coordination élevés et de
complexité pour les usagers.
Malgré les progrès constatés à l’occasion
du plan « #1jeune1solution », la bonne
coopération au niveau local entre les deux
réseaux demeure aléatoire. Les tensions se
nourrissent d’une concurrence sur les publics,
résultant d’une ligne de partage peu claire
entre Pôle emploi et les missions locales. De
fait, les cas où les difficultés d’ordre social
empêchent d’orienter directement un jeune
vers la recherche d’emploi ne font pas l’objet
d’une définition harmonisée. Les missions
locales demeurent attachées à l’idée qu’elles
peuvent accueillir tous les jeunes qui se
présentent à elles, et non pas seulement ceux
qui présentent de telles difficultés.
Par ailleurs, les échanges d’information sont
insuffisants. En premier lieu, le déploiement du
partage d’informations concernant les jeunes
âgés de 16 à 18 ans soumis à l’obligation de
formation n’est toujours pas achevé, alors
que cette obligation édictée par la loi du
26 juillet 2019 pour une école de la confiance
repose précisément sur la transmission par les
établissements scolaires de listes de jeunes
sortis du système éducatif aux missions
locales, à charge pour celles-ci d’identifier
ceux qui refusent les solutions proposées. Le
partage entre tous les acteurs concernés des
données sur les formations disponibles et
sur les affectations de jeunes dans celles-ci
n’est pas non plus entièrement finalisé. Parmi
les priorités, il convient aussi d’accélérer la
dématérialisation des dossiers de mise en
paiement de la Garantie jeunes, désormais
programmée pour 2022, la procédure papier
étant source de retards de traitement,
de perte de temps pour les conseillers et
d’incompréhension de la part des bénéficiaires.
Des cas de concurrence entre les solutions
offertes persistent, en particulier en ce qui
concerne la formation. Les missions locales ne
sont pas toujours incitées à programmer des
formations pendant la durée de la Garantie
jeunes, car cette solution concurrence, par
exemple, les immersions en entreprise. Elles ne
sont pas non plus incitées à le faire à l’issue de
la Garantie jeunes, car cette orientation n’est
pas considérée comme une « sortie positive »,
bien que cette option constitue un indicateur
de leur performance.
En outre, la coordination entre l’État
et les régions en matière de formation
n’est pas complètement assurée. Si la loi
du 5 septembre 2018 précitée permet
désormais à l’État d’intervenir en matière
de formation professionnelle des jeunes et
des demandeurs d’emploi, la compétence
de principe des régions n’a pas été remise
en cause. Or, le PIC puis le plan « #1jeune
1solution » fixent de fait des orientations,
soit en contrepartie des financements
complémentaires des plans régionaux
de formation, soit par des appels à projets
nationaux (« 100% inclusion », « repérage
des invisibles », « formations numériques »,
« tiers-lieux », etc.), qui conduisent parfois,
selon les régions, à dupliquer des actions
qu’elles ont déjà engagées. Dans le cadre
actuel, l’État devrait s’assurer que son action
ne vient qu’en complément des initiatives
régionales. Certaines régions, de leur côté,
devraient renoncer à financer des formations
ou des initiatives déjà financées au niveau
national, par exemple dans le domaine des
aides financières au passage du permis de
conduire.
Enfin, les pouvoirs publics n’ont que récemment
pris la mesure de la nécessité de développer
dès le collège et le lycée la connaissance des
réalités de marché du travail par les jeunes.
22
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Le défi d’une meilleure coordination n’est pas
seulement un but en soi, mais constitue la
condition de l’efficacité de la réponse apportée
aux jeunes. Les pistes de progrès énoncées
ci- dessus ont déjà été identifiées à diverses
occasions par la Cour, et n’ont donné lieu qu’à
des avancées limitées, en particulier du fait de
la multiplicité des acteurs et de la gouvernance
particulière des missions locales. Si certaines
améliorations en matière de coordination
sont possibles à cadre institutionnel constant
(par exemple, en menant à bien les projets
de partage d’informations en cours), des
progrès décisifs requerraient des réformes plus
profondes dans la répartition des rôles entre
les parties prenantes.
Aussi, deux leviers pour progresser dans cette
voie ont été identifiés par la Cour. Le succès de
telles évolutions suppose, en toute hypothèse,
de créer l’adhésion des acteurs autour du
projet retenu.
Premier levier d’action : la simplification
de l’offre pour les usagers
Certaines difficultés de positionnement des
acteurs dans la construction des parcours
peuvent être surmontées par une répartition
différente des fonctions. Ainsi, un recentrage
des missions locales pourrait s’effectuer au
profit du seul objectif de mobilisation vers
l’emploi, Pôle Emploi étant chargé de la
recherche de placement en emploi. Dans ce
schéma, dès sa prise en charge par le service
public de l’emploi, le jeune serait orienté
conjointement et selon une grille commune
par Pôle emploi et par la mission locale ; vers le
premier, s’il est apte à occuper un emploi, vers
la seconde, s’il nécessite un accompagnement
préalable. Dans ce second cas, sa situation
ferait l’objet d’un réexamen commun régulier,
jusqu’à ce qu’il rejoigne Pôle emploi au travers
d’un passage de relai formalisé.
Une articulation entre les politiques d’insertion
et le milieu scolaire encore en devenir
Plusieurs études récentes de l’OCDE (dont l’enquête
Dream Jobs
, publiée en
2020) se sont concentrées sur l’intérêt de faciliter une bonne connaissance
du marché du travail par les jeunes dès leur formation initiale, afin de leur
permettre de mûrir leur projet et leur orientation. Selon ces études, les
situations de prise de connaissance précoce des réalités du marché du travail
en milieu scolaire sont peu développées en France.
Cette question commence toutefois à être mieux prise en compte. La
loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a
renforcé l’accompagnement des élèves pour l’élaboration de leur projet
d’orientation. Elle prévoit un créneau dans l’emploi du temps scolaire consacré
à l’accompagnement à l’orientation. Ce temps peut inclure, au choix des
établissements, l’accueil d’intervenants extérieurs et des expériences de
découverte du milieu professionnel. Ainsi, Pôle emploi, à titre expérimental,
va prochainement intervenir dans certains lycées. Cette réforme se met en
œuvre progressivement, dans le contexte de la crise sanitaire ; ses résultats ne
peuvent donc pas encore être évalués.
COUR DES COMPTES
23
Les missions locales se consacreraient à
l’accompagnement social, la remobilisation,
l’identification d’un projet, l’orientation en
formation, éventuellement en relation avec les
conseils départementaux. Dans cette option,
la performance des missions locales serait
évaluée à l’aune de l’accompagnement social
et de la préparation vers l’emploi, et non de
l’entrée dans l’emploi.
Cette option présente l’avantage d’encourager
une spécialisation des acteurs sur leur cœur de
métier, en facilitant le découpage du parcours
en « modules » dont chacun peut être évalué
en fonction de ses objectifs propres. Elle peut
présenter l’inconvénient d’une discontinuité
de parcours pour certains jeunes, d’une
démobilisation de certaines missions locales à
qui serait retirée une phase pouvant être jugée
la plus gratifiante du parcours, celle de la mise
en emploi, et pourrait être considérée comme
une forme de retour en arrière.
Les défauts récurrents de coordination des
acteurs pourraient aussi être surmontés
par une organisation visant à proposer un
« guichet unique ». Cette formule éviterait
les risques de discontinuité dans la prise en
charge du jeune, sans pour autant contraindre
les acteurs à fusionner, perspective qui avait
soulevé de fortes résistances en 2018. L’offre
de services pourrait être conçue au travers de
conventionnements négociés dans chaque
région, associant les services déconcentrés
du ministère chargé du travail, la région,
Pôle emploi et les associations régionales
de missions locales. Ces conventionnements
prévoiraient les conditions pratiques de
l’accueil réalisé dans chaque bassin d’emploi
sous un même toit.
Une telle évolution pourrait faire l’objet d’une
expérimentation dans un petit nombre de
régions volontaires, en complément du référent
unique annoncé dans le cadre du futur contrat
d’engagement. Le schéma ci-dessous illustre
les deux possibilités évoquées :
Schéma n° 3 : deux possibilités de simplification du parcours des jeunes usagers
du service public de l’emploi
MISSIONS LOCALES
Levée des freins
périphériques
et accompagnement
à la recherche d’emploi
Accompagnement
à la recherche d’emploi
EMPLOI
1 + 5
x 9 =
EMPLOI
1 + 5
x 9 =
MISSIONS LOCALES
+
Source : Cour des comptes
24
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Second levier d’action : une redistribution
des compétences en matière de formation
Outre l’instauration d’un guichet unique pour
un parcours intégré, une modification des
compétences respectives de l’État et des
régions permettrait une meilleure intégration
de la formation dans les parcours et une plus
grande efficacité des politiques de formation
des jeunes.
Il s’agirait de se donner les moyens d’atteindre
l’objectif d’un « parcours sans couture », en
unifiant l’action, aujourd’hui dispersée, des
acteurs, soit autour de l’État, soit autour de
la région.
Dans la première direction, l’État assurerait
la fonction de planification et d’achat de
formation professionnelle des demandeurs
d’emploi, en lieu et place des régions, et
l’attribuerait aux services déconcentrés ou
plus probablement à Pôle emploi : l’achat de
formations et l’orientation vers la formation
seraient ainsi étroitement imbriqués. Cette
réorientation devrait être rendue compatible
avec les autres compétences régionales
transférées pour assurer la cohérence des
nouvelles attributions : en effet, les régions ont
reçu, au cours des années précédentes, une
compétence en matière de formation, mais
aussi d’orientation et de politiques de jeunesse.
Les transferts à opérer vers l’État seraient donc
potentiellement importants.
Dans la seconde, l’État opèrerait une nouvelle
étape de décentralisation en faveur des régions.
Il leur serait conféré un rôle prépondérant dans
l’animation et le financement des missions
locales, ainsi qu’une place plus affirmée dans
le pilotage régional de Pôle emploi, sous forme
de conventions conditionnant l’allocation de
certains financements. Cette perspective se
heurterait cependant au fait, qu’en période
de crise au moins, une approche unifiée par
l’État des questions de travail et d’emploi
demeurerait nécessaire.
Une telle évolution comporterait des risques
opérationnels pendant la phase transitoire,
résultant notamment de la difficulté d’unifier
les cultures d’entreprise des personnels de Pôle
emploi et des régions. Dans l’hypothèse d’une
recentralisation, les réticences des collectivités
territoriales perdant leurs compétences
devraient être surmontées, notamment en
leur garantissant un espace de dialogue et
d’échanges sur les résultats obtenus. Dans
l’hypothèse d’une décentralisation accrue, un
cadre garantissant une égalité de déploiement
dans les différentes régions devrait être
trouvé et les modalités de fonctionnement de
Pôle emploi réinventées avec une présence
régionale plus forte.
COUR DES COMPTES
25
CONCLUSION
Quatre priorités doivent guider l’action publique dans le domaine de l’insertion
des jeunes : aller vers les publics dits « invisibles », mieux cibler les dispositifs
selon les profils, assurer leur qualité et améliorer la coordination entre les
acteurs. En parallèle, il convient de finaliser de manière cohérente l’articulation
des dispositifs d’insertion dans l’emploi avec la question du revenu des jeunes
dans le cadre du futur contrat d’engagement, dont le déploiement est prévu à
compter du 1
er
mars 2022. Sur ces différents plans, compte tenu de l’ampleur
des moyens financiers mobilisés et de l’importance de l’enjeu que constitue
l’insertion de la jeunesse, l’impératif de la performance, en termes quantitatifs
et qualitatifs, doit davantage guider l’action de l’État, notamment en ce qui
concerne le financement qu’il octroie aux différents acteurs.
L’objectif final d’insertion dans l’emploi sera d’autant mieux atteint que des
évolutions institutionnelles seront entreprises pour surmonter les difficultés
persistantes de coordination. Les évolutions proposées s’inscrivent dans des
temporalités différentes : si le guichet unique d’accueil peut être expérimenté
assez rapidement, une redistribution de compétences entre État et régions ne
saurait s’inscrire que dans une réflexion globale de moyen terme.
26
L’INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX
DE LA COUR DES COMPTES
Outre l’instruction menée au cours des derniers mois en matière d’emploi des
jeunes, la Cour a conduit de nombreux travaux ces dernières années sur lesquels
elle s’est appuyée, en particulier les publications suivantes :
l
Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise,
communication au
Premier ministre, juin 2021 ;
l
L’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Épide),
communication à la
commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de
l’Assemblée nationale, juin 2021 ;
l
Les relations entre le ministère du travail et les acteurs associatifs : un pilotage à
renforcer,
rapport public annuel 2021, mars 2021 ;
l
La gestion de Pôle emploi, dix ans après sa création,
rapport public thématique,
juillet 2020 ;
l
L’accès des jeunes à l’emploi : construire des parcours, adapter les aides,
rapport
public thématique, octobre 2016 ;
l
Les dispositifs et les crédits mobilisés en faveur des jeunes sortis sans qualification
du système scolaire,
communication à la commission des finances, de l’économie
générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, janvier 2016.
Plusieurs travaux des chambres régionales des comptes ont également été
exploités, parmi lesquels :
l
Observations définitives de la chambre régionale des comptes Pays de Loire sur
l’association mission locale de l’agglomération mancelle
, 2021 ;
l
Observations définitives de la chambre régionale des comptes Pays de Loire sur
le Groupement d’intérêt public mission locale de la Mayenne
, 2021.
Les publications de la Cour des comptes sont consultables sur le site Internet :
www. ccomptes.fr
Le présent rapport
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
DÉCEMBRE 2021