ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
AUDIT FLASH
Décembre 2021
LA MISE EN ŒUVRE
DU « PLAN CRACK »
À PARIS
COUR DES COMPTES
3
SOMMAIRE
5
PROCÉDURES ET MÉTHODES
7
SYNTHÈSE
11
INTRODUCTION
14
I - L’OBJECTIF PRINCIPAL DU « PLAN CRACK » :
LA PRISE EN CHARGE MÉDICO-SOCIALE
14
A - L’engagement des acteurs publics à partir
de 2018 pour intensifier et mieux coordonner
leurs interventions
16
B - La réduction des atteintes à la tranquillité
publique : une finalité indirecte du plan
17
C - Les limites intrinsèques du plan adopté
en mai 2019
19
II - DES RÉSULTATS RÉELS MAIS PARTIELS
ET DÉPOURVUS D’EFFETS SUR LES ATTEINTES
À LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE
19
A - Une majorité d’actions mises en œuvre
et des moyens budgétaires nettement
plus élevés que prévu
21
B - La mise en œuvre inégale des actions,
du premier accueil à l’hébergement d’urgence
26
C - La logique de parcours souvent bloquée
par le manque d’hébergement « en aval »
28
D - La rareté des ressources humaines
et foncières, deux goulets d’étranglement
non anticipés
4
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
SOMMAIRE
29
III - L’URGENCE DE TIRER LES ENSEIGNEMENTS
D’UN DISPOSITIF DÉSORMAIS DÉPASSÉ
30
A -
Une coordination progressivement distendue
après la mobilisation intense du début de la crise
sanitaire (avril-mai 2020)
32
B - L’essoufflement de la dynamique initiale
du plan
33
C - Le défaut de suivi de l’exécution du plan
à l’origine de la perte d’une vision partagée
35
D - Le dépassement du « plan crack » par d’autres
instances et initiatives
36
LISTE DES ABREVIATIONS
38
ANNEXES
44
RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS ET ORGANISMES
CONCERNÉS
COUR DES COMPTES
5
PROCÉDURES ET MÉTHODES
Les rapports de la Cour des comptes sont réalisés par l’une des sept chambres
que comprend la Cour ou par une formation associant plusieurs chambres
et/ou plusieurs chambres régionales ou territoriales des comptes.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité de la Cour
ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes, donc aussi bien
l’exécution de leurs contrôles, et enquêtes que l’élaboration des rapports publics
qui en résultent : l’indépendance, la contradiction et la collégialité.
L’
indépendance
institutionnelle
des
juridictions
financières
et
l’indépendance statutaire de leurs membres garantissent que les contrôles
effectués et les conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique que toutes les constatations et appréciations faites
lors d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes les observations
et recommandations formulées ensuite, sont systématiquement soumises
aux responsables des administrations ou organismes concernés ; elles ne
peuvent être rendues définitives qu’après prise en compte des réponses
reçues et, s’il y a lieu, après audition des responsables concernés.
Sauf pour les rapports réalisés à la demande du Parlement ou du
Gouvernement, la publication d’un rapport est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte, que la Cour se propose de publier, aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Dans le rapport
publié, leurs réponses accompagnent toujours le texte de la Cour.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des procédures
de contrôle et de publication. Tout contrôle ou enquête est confié à un ou
plusieurs rapporteurs. Le rapport d’instruction, comme les projets ultérieurs
d’observations et de recommandations, provisoires et définitives, sont
examinés et délibérés de façon collégiale, par une formation comprenant
au moins trois magistrats. L’un des magistrats assure le rôle de contre-
rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
*
**
Consacré à la mise en œuvre du plan « crack » à Paris, cet audit résulte d’une
enquête réalisée par des magistrats de la chambre régionale des comptes
Île-de-France dans le cadre d’une formation interjuridictions constituée avec
trois chambres de la Cour des comptes. L’analyse porte sur le plan d’action
triennal conclu en 2019 entre la préfecture de région Île-de-France (PRIF), la
préfecture de police (PP), la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre
les drogues et les conduites addictives), l’agence régionale de santé (ARS) et
la Ville de Paris dans le but de renforcer leur coopération et la mutualisation
de leurs moyens.
6
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Trois
questionnaires
ont
été
adressés
aux
signataires
du
plan
susmentionnés ; les associations ayant été destinataires d’un questionnaire
unique adapté. Des entretiens se sont tenus avec les représentants des
signataires du plan ainsi qu’avec ceux des associations qui contribuent
à sa mise en œuvre. Les rapporteurs ont effectué des visites de terrain
et pu aussi rencontrer des représentants de l’observatoire citoyen de la
toxicomanie.
*
**
Le projet de rapport a été délibéré, le 27 septembre 2021, par la formation
interjuridictions présidée par M. Christian Martin, conseiller maître, président
de la chambre régionale des comptes Île-de-France, et composée de
Mmes Casas, Mondoloni et Reynier, conseillères maîtres, M. Alain Stéphan,
conseiller maître, ainsi que, en tant que rapporteure, Mme Sarah Birden,
première conseillère à la chambre régionale des comptes Île-de-France, et,
en tant que contre-rapporteure, Mme Anne Mondoloni, conseillère maître,
présidente de section.
Il a été examiné et approuvé, le 12 octobre 2021, par le comité du rapport
public et des programmes de la Cour des comptes, composé de M. Moscovici,
Premier président, Mme Camby, rapporteure générale du comité, M. Morin,
M. Andréani, Mme Podeur, M. Charpy, M. Gautier, Mme Démier, M. Bertucci,
présidents de chambre de la Cour, M. Martin, M. Meddah, M. Lejeune,
M. Advielle, Mme Bergogne, Mme Renet, présidents de chambre régionales
des comptes, Mme Hirsch, Procureure générale, entendue en ses avis.
COUR DES COMPTES
7
SYNTHÈSE
Depuis les années 1990, le trafic et la consommation du crack, drogue dure
dérivée de la cocaïne, se sont enracinés dans le nord-est de Paris. Au cours de
la dernière décennie, ils ont donné lieu à la concentration d’un nombre croissant
de toxicomanes dans certains lieux des 18
ème
, 19
ème
et 20
ème
arrondissements.
Quand les tensions deviennent trop fortes avec les riverains, la police déplace les
regroupements d’un quartier à l’autre.
Face à cet épineux et lancinant problème, à la fois de santé et de sécurité publiques,
la préfecture de la région Île-de-France, la préfecture de police de Paris, la Mission
interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca),
l’agence régionale de santé (ARS), la Ville de Paris et le parquet de Paris ont décidé
de renforcer et de mieux coordonner leurs actions en signant, le 27 mai 2019, un
protocole en forme de plan d’action commun couvrant les années 2019 à 2021.
L’objectif premier du plan était de tenter de sortir les usagers du crack
de la rue et de traiter les risques et dommages pour leur santé.
Le « plan crack » était structuré autour de l’idée centrale que proposer aux
consommateurs de cette drogue, en errance sur la voie publique, un accueil, une
solution d’hébergement, un accompagnement médico-social, était la meilleure
stratégie pour les éloigner de la rue. Aussi, la grande majorité des 33 actions du
plan se plaçaient sur le terrain de la prise en charge sanitaire et sociale. Il s’agissait
à la fois de donner davantage d’ampleur à des actions déjà en cours, comme les
maraudes, mais aussi d’expérimenter de nouveaux dispositifs d’accompagnement
des personnes dans une logique de parcours visant, dans un premier temps, à les
mettre à l’abri puis à prendre en charge leur addiction.
La réduction des atteintes à la tranquillité et à la sécurité publiques était un objectif
indirect et de second rang, tributaire de la réussite des actions à caractère médico-
social. La plus-value indéniable du « plan crack » par rapport aux démarches
antérieures était de proposer une approche globale, rassemblant l’ensemble
des acteurs publics concernés et les associations de travailleurs sociaux et de
médecins, chargées de la mise en œuvre des actions sur le terrain.
Au regard de son objectif principal, le plan a produit des résultats réels
mais partiels et sans effet sur les atteintes à la tranquillité publique.
En juin 2021, une majorité des actions programmées (19 sur 33) avaient été
mises en œuvre. Les dépenses réalisées par la Ville de Paris et surtout l’État de
2019 à 2021 ont dépassé largement leurs engagements initiaux. Elles devraient
finalement s’élever à près de 25 M€ au lieu des 3 M€ par an (soit 9 M€ au total)
prévus au départ. Cependant, la mise en œuvre des actions a été inégale.
8
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Les maraudes assurées par des associations, déjà pratiquées avant le plan, se
sont développées et diversifiées. Surtout, le résultat le plus marquant est le grand
développement de la mise à l’abri en hôtels, qui a été favorisé par le contexte de la
crise sanitaire. Ainsi, l’accroissement des dépenses correspond en grande partie à
l’augmentation du nombre de places dans les dispositifs d’hébergement d’urgence
et de réinsertion sociale et d’hébergement avec accompagnement sanitaire
(Accompagnement Social et aux Soins, Orientation. Réinsertion Ensemble - Assore,
Pour un hébergement et un accès aux soins ensemble - Phase).
En revanche, les structures de premier accueil (salles de repos, salles de
consommation à moindre risque) n’ont pas connu le développement attendu. Le
plan n’avait pas anticipé l’impact de deux freins puissants : d’une part, la difficulté
rencontrée par les associations pour recruter davantage de personnels soignants
(infirmiers, médecins addictologues, psychologues) mais aussi d’éducateurs et
de travailleurs sociaux ; d’autre part, la rareté des emprises foncières disponibles
pour implanter de nouvelles structures d’accueil.
Plus fondamentalement, la logique de parcours, qui était au cœur de la prise en
charge médico-sociale, a été entravée par le manque de places d’hébergement
« en aval », destinées à un séjour plus pérenne que l’hébergement d’urgence. Leur
nombre a été dépassé par l’afflux de nouveaux consommateurs.
Le plan adopté en mai 2019 comportait des limites intrinsèques qui expliquent
ses résultats incomplets.
Certaines étaient relatives à son champ d’intervention, géographiquement
circonscrit à Paris
intra muros
et, surtout, laissant de côté l’action des services de
police et de justice en matière de lutte contre les trafics. Même si la préfecture
de police de Paris et le parquet de Paris en étaient signataires, le plan « crack »
ne comportait aucune mesure particulière visant à renforcer l’interpellation des
revendeurs. La préfecture de police estime que la mobilisation de ses services a
permis de procéder à un nombre accru d’interpellations de dealers. La Ville de
Paris juge l’action répressive insuffisamment efficace.
De plus, la portée des actions retenues a été limitée au regard des propositions
formulées en 2018 au cours de la concertation préalable organisée par la Mildeca.
Concernant les espaces de repos, le plan n’a pas imposé leur ouverture la nuit,
période pourtant la plus sensible. S’agissant des « salles de consommation à
moindre risque », il a seulement prévu une réflexion sur l’ouverture de nouvelles
structures, une seule existant à ce jour. En matière d’hébergement d’urgence et
d’accompagnement médical, le plan a été conçu dans une logique d’expérimentation
et n’a pas été dimensionné pour couvrir l’ensemble des consommateurs de crack en
errance dans la rue (700 à 800 consommateurs précaires).
Dans ces conditions, seuls les dispositifs de premier accueil tels que les maraudes ou
la distribution de matériels de réduction des risques étaient susceptibles de couvrir
la majorité de la population concernée, mais sans avoir pour vocation de réduire le
nombre de toxicomanes présents dans l’espace public.
COUR DES COMPTES
9
En conséquence, même si les actions du plan, par leur nature, peuvent apparaître
pertinentes au regard des buts recherchés, leur impact, en termes de réduction
des troubles causés à la tranquillité publique, s’avère limité.
Alors que le « plan crack » (2019-2021) arrive à son terme, il apparaît urgent de
tirer les enseignements d’un dispositif désormais dépassé.
La volonté de renforcer la coordination des acteurs publics et associatifs était à
l’origine du « plan crack » de mai 2019. De fait, cette coordination a été étroite
au début de la crise sanitaire (avril-mai 2020), qui a imposé dans l’urgence la
mobilisation intense de tous les intervenants. Par la suite, elle s’est progressivement
relâchée. Les réunions des instances de gouvernance du plan sont devenues moins
fréquentes et, surtout, moins conclusives. Les actions nouvelles se sont faites
rares. Des faiblesses sont apparues dans l’articulation des différents dispositifs. La
dynamique initiale du plan est retombée.
De surcroît, l’exécution du plan a fait l’objet d’un suivi insuffisant. Certes, celui-ci
a pu être assuré par action, dans la relation entre pilote/financeur et opérateur
associatif, mais les informations n’ont pas été consolidées au niveau global. Il
en a résulté la perte d’une vision partagée ainsi qu’une évaluation parcellaire.
Les acteurs ont repris leurs distances au moment où ont émergé des initiatives
citoyennes face à la poursuite des atteintes à la tranquillité publique.
En septembre 2021, bénéficiant du soutien du Premier ministre, la maire de Paris
a engagé ses services dans la recherche de sites permettant d’ouvrir de nouveaux
espaces intégrés de prise en charge des usagers de crack. Toutefois, les conditions
d’acceptabilité par les riverains rendent cette recherche difficile.
En conclusion, il apparaît que des efforts supplémentaires doivent être conduits
afin de réduire la présence des consommateurs de crack sur la voie publique.
La coordination des acteurs publics (préfecture de région Île-de-France Ville
de Paris, ARS, préfecture de police, Mission interministérielle de lutte contre
les drogues et les conduites addictives, Parquet de Paris) et des opérateurs
associatifs doit être relancée. À cette fin, il paraît souhaitable de tirer sans tarder
les enseignements du « plan crack » 2019-2021, sur la base d’une appréciation,
partagée par l’ensemble des partenaires, des acquis et limites de chacune des
actions réalisées et des modalités de leur mise en œuvre.
10
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Nombre
Item
700 à 800
Le nombre de consommateurs de crack à Paris dans l'espace public
3
Le nombre d'arrondissements parisiens sur lesquels se concentrent les
consommateurs : le 18
e
, le 19
e
et le 20
e
; plus particulièrement : la place
Stalingrad, la Porte de la Chapelle et le jardin d'Eole
3
Le nombre d'années sur lesquelles s'étale le "plan crack" (2019-2021)
4
Le nombre d'axes du "plan crack" : premier contact, hébergement, espaces
publics, connaissance scientifique
6
Le nombre de signataires du "plan crack" : à l'initiative de la Mildeca, la
préfecture de la région Île-de-France, la préfecture de police de Paris, l'ARS
d'Ile-de-France, la Ville de Paris et le Parquet de Paris décident de mieux
coordonner leurs actions
6
Le nombre d'opérateurs identifiés par le "plan crack" et qui prennent part à la
mise en oeuvre opérationnelle du volet médico-social : les associations Gaïa,
Nova Dona, Oppélia Charonne, Aurore et Safe et le GIP Samusocial.
33
Le nombre d'actions comprises dans le plan crack ; la majorité relève de la prise
en charge médico-sociale
20
Le nombre d'actions mises en oeuvre en juillet 2021, soit cinq mois avant
l'échéance du plan (cinq partiellement mises en oeuvre et huit dont la mise
en oeuvre n'a pas commencé)
Près de 25 M€
En millions d’euros, le coût actualisé du plan depuis sa mise en oeuvre
440
Le nombre maximal de consommateurs mis à l'abri durant la crise sanitaire
Source : Cour des comptes
Les dix chiffres clés du « plan crack » :
COUR DES COMPTES
11
INTRODUCTION
La présence de consommateurs de crack dans les arrondissements du
nord-est de Paris date des années 1990 mais s’est fortement accentuée depuis
en raison de la plus grande disponibilité de la cocaïne. La population concernée
par la consommation de crack à Paris dans l’espace public est estimée, dans les
différentes études, à environ 700 à 800 personnes.
Le présent rapport porte sur un protocole, ci-après dénommé « plan crack », qui
a été signé le 27 mai 2019 par la préfecture de région Île-de-France, la préfecture
de police de Paris, la Ville de Paris, l’agence régionale de santé (ARS), la mission
interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)
et le parquet de Paris. D’une durée de trois ans (2019-2021), il avait pour objectif
« une meilleure régulation de l’espace public » et « une politique coordonnée
de réduction des risques et des dommages en faveur des usagers de crack et
poly-consommateurs en errance »
.
Schéma n° 1 : les acteurs du plan crack
1. Définition du concept de réduction des risques et des dommages par la Mildeca. Il s’agit d’« une
politique entre humanisme, sciences et pragmatisme. La consommation de produits psychoactifs
(alcool, tabac, drogues) comporte des risques sanitaires et peut provoquer des dommages sociaux. La
réduction des risques et des dommages (RDRD), sans nier le caractère illicite de certains usages, permet
de considérer l’addiction comme une maladie chronique. Elle s’adresse également aux personnes non
dépendantes dont les pratiques s’avèrent particulièrement dangereuses. Elle reconnaît que l’arrêt de
la consommation n’est pas possible pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire,
et qu’il faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour améliorer leur qualité de vie ».
Parquet
de Paris
Mildeca
Préfecture de police
ARS Île-de-France
Préfecture de région
Île-de-France
(DRIHL)
Signataires
Opérateurs
Financeurs
Ville
de
Paris
Nova Dona
Safe
Aurore
Gaïa
Dispositif Phase
Dispositif Assore
Oppelia
Samusocial
Source : Cour des comptes
Le « plan crack » est centré sur l’accompagnement des consommateurs de cette
drogue et la réduction des risques et dommages auxquels ils s’exposent
1
. Il
cherche à engager un parcours de réinsertion. Il ne vise pas directement l’arrêt de
la consommation par les toxicomanes ni l’élimination du trafic.
12
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Il comprend 33 actions dont la majorité relèvent de la prise en charge médico-sociale
à travers le renforcement des maraudes, l’accueil, l’hébergement, l’accompagnement
social et sanitaire.
L’audit-flash conduit par la Cour des comptes et la chambre régionale des comptes
d’Île-de-France s’est attaché à analyser le degré de mise en œuvre des actions
inscrites dans le plan.
Les rapporteurs ont mené des entretiens avec les représentants des signataires
du plan et avec ceux des associations qui ont assuré sa mise en œuvre
opérationnelle (Aurore, Gaïa, Nova Dona, Safe)
2
. Malgré le contexte de la crise
sanitaire, la majorité des entretiens ont eu lieu sur place. Les rapporteurs ont
effectué des visites de terrain. Ils ont aussi rencontré des représentants de
l’Observatoire citoyen de la toxicomanie.
La finalisation du présent rapport a été tributaire de la qualité des informations
fournies, dont il n’a pas toujours été possible, dans les délais impartis, de vérifier
la fiabilité et la cohérence. Dans le cadre de la procédure de contradiction, il a été
tenu compte des réponses au rapport provisoire, y compris les plus tardives, des
signataires du plan et des opérateurs associatifs.
2. L’association Oppelia n’a pas donné suite ainsi que le Samusocial.
Qu’est-ce que le crack ?
Le « crack » ou «
free base
» est l’appellation couramment utilisée pour
désigner une drogue obtenue à partir d’une même substance psychoactive,
la cocaïne base, issue d’un mélange de cocaïne, d’eau, de sel et d’une base
(ammoniaque ou bicarbonate de sodium). En chauffant ce mélange, la
cocaïne précipite en se solidifiant. Le résidu solide est alors extrait de l’eau.
Le crack se consomme fumé à l’aide d’une pipe à crack mais peut également
s’injecter grâce à l’adjonction d’acide citrique pour le rendre soluble. Les seuls
éléments indispensables à la production de la cocaïne base sont un peu d’eau,
un récipient, un outil pour mélanger et une flamme. Un savoir-faire spécifique
est important mais les consommateurs déclarent souvent que le « coup de
main » est rapide à acquérir. Les réseaux de dealeurs sont de faible importance.
Les quantités de produits et les sommes saisies lors des interpellations sont
le plus souvent modestes. Les dealeurs de crack, appelés « modous », sont
généralement originaires de l’Afrique de l’Ouest, notamment du Sénégal. Ce
trafic est étroitement dépendant de celui de la cocaïne.
COUR DES COMPTES
13
La consommation de crack exerce un puissant effet de stimulation mentale
et de plaisir, quasiment immédiat. Cet effet ne persiste que quelques
minutes, ce qui fait naître chez le consommateur une envie compulsive de
renouveler la prise. La consommation de crack est fréquemment associée à
celle de l’alcool ou d’autres produits stupéfiants comme le cannabis. Le crack
provoque une forte dépendance psychique et, consommé intensivement,
une rapide désocialisation. Toute la vie du consommateur tourne autour
de la recherche et de la consommation de crack. En outre, il n’existe pas,
comme pour les opiacés, de traitement de substitution.
Le crack peut être fabriqué par le consommateur lui-même. Quand il est
acheté déjà préparé, il est moins pur en cocaïne (généralement 50 % à
70 %) car coupé avec divers produits. Par dose, il coûte beaucoup moins
cher que la cocaïne. Même s’il peut être le fait de publics insérés, l’achat
à des dealeurs de crack déjà préparé concerne principalement des
populations pauvres ou précaires, et plus encore quand il est consommé
dans la rue. Le crack consommé à Paris est préparé dans la région, souvent
en Seine-Saint-Denis, par des « cuisineurs ». Les lieux de vente, qui sont
exclusivement dédiés au crack, se situent actuellement dans les 10
ème
,
18
ème
et 19
ème
arrondissements. Les acheteurs consomment généralement
le crack immédiatement et sur place.
Il arrive que les consommateurs se revendent entre eux de petites quantités
de crack, en un sous-trafic de faible envergure. L’unité classique de revente du
crack est la « galette », qui correspond en moyenne à deux consommations.
Les consommateurs les plus désocialisés, qui vivent dans la rue, achètent
deux à trois galettes par jour environ. En 2017, une « galette » se négociait
autour de 14 € dans la rue ou dans le métro parisien et s’achetait 20 € dans
certains points de revente. D’autres quantités peuvent être revendues au
détail. Une prise, appelée « kiff », est revendue entre consommateurs au prix
de 5 €. Un « kiff » peut aussi être échangé, cédé. D’autres types de galettes,
plus grosses, peuvent être revendues de 30 à 50 €.
14
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
I - L’OBJECTIF PRINCIPAL DU « PLAN CRACK » : LA PRISE
EN CHARGE MÉDICO-SOCIALE
Le
trafic
et
la
consommation
du
crack
dans le nord-est parisien constituent une
problématique ancienne qui a pris une acuité
croissante. Les lieux de consommation ont
connu deux évolutions marquantes depuis
une dizaine d’années avec, d’une part, l’arrivée
de consommateurs venus d’Europe de l’Est,
principalement de Géorgie et de Russie, et,
d’autre part, les conséquences directes et
indirectes des flux de migrants au milieu des
années 2010, dont une partie se trouvent en
situation irrégulière sur le territoire français.
A - L’engagement des acteurs publics
à partir de 2018 pour intensifier
et mieux coordonner
leurs interventions
Face
à
l’acuité
grandissante
de
la
problématique du crack sur le territoire
parisien, la préfecture de région et la
Mildeca ont organisé en 2018 une première
phase de concertation avec tous les acteurs
institutionnels
et
associatifs
concernés,
destinée à aborder des sujets considérés
comme
indissociables
:
la
désinsertion
sociale
des
consommateurs
de
crack
(errance et exclusion sociale, difficultés
d’accès aux soins, à l’hébergement, au
logement, à l’insertion)
et l’impact de cette
consommation dans les territoires urbains
concernés.
Un document établi à l’issue de cette période
tirait un premier bilan des actions existantes
et en proposait de nouvelles. Il constatait la
déconnexion entre les réponses apportées et
l’ampleur du phénomène. La conclusion reposait
sur l’idée que
« seule une dynamique de travail
collective, sur le long terme, en lien étroit et
permanent avec les usagers, permettra d’affiner
la compréhension des phénomènes qui mettent
en difficulté voire en échec l’ensemble des acteurs
concernés, d’identifier précisément les freins et les
leviers et d’actionner rapidement, efficacement et
durablement les solutions identifiées qui doivent
être évolutives et adaptées au fur et à mesure de
leur mise en œuvre »
3
.
La Mildeca a alors proposé aux acteurs
concernés de poursuivre ce travail et de
formaliser une stratégie commune. Après une
nouvelle phase de concertation et la création
d’un « comité stratégique sur le crack dans le
nord-est parisien », un plan complet a été arrêté.
Un protocole qui réunit les acteurs
institutionnels autour d’une approche
globale
Les 33 actions opérationnelles du « plan
crack » sont organisées autour de quatre axes
(cf. annexe n° 1) : le renforcement des maraudes,
l’hébergement d’urgence, l’accompagnement
social et sanitaire, le meilleur repérage des
publics. En 2019, pour sa première année de
mise en œuvre du plan, le total des engagements
financiers s’élevait à 3 M€, répartis entre l’ARS
(1,4 M€), la Ville de Paris (1 M€) et la Prif (1,2 M€
sur deux ans).
3. Les propositions des groupes de travail sont détaillées en annexe 2 du présent rapport.
COUR DES COMPTES
15
L’intention était de poursuivre deux priorités :
d’une
part,
la
nécessité
de trouver
des
réponses adaptées à un problème spécifique
de santé publique et, d’autre part, l’impératif
d’apporter aux riverains, en lien avec les mairies
d’arrondissement,
des
réponses
concrètes
pour le maintien de la tranquillité publique.
Les troubles publics engendrés par la consommation de crack
Outre le trafic et la consommation de drogues, le crack génère différents
troubles associés qui atteignent l’ordre public, la tranquillité publique et la
salubrité publique.
Les consommateurs de crack provoquent beaucoup de bruit (cris, vociférations)
liés notamment à la consommation d’alcool ou à l’état de manque. Pour
acheter et consommer leur drogue, ils occupent des espaces publics (rues,
parcs, stations de métro) et des espaces privés (parkings, parties communes
d’immeubles, squats) en générant parfois des dégradations. Ils laissent
souvent des déchets, dont du matériel usagé pouvant représenter un risque
sanitaire (seringues en particulier). Il se produit parfois des violences entre
consommateurs, dont des agressions sexuelles pouvant aller jusqu’au viol.
La grande majorité des consommateurs, précaires et sans ressources, se
procurent de l’argent par la mendicité, fréquemment agressive, le vol (dont le
vol à l’arraché) et la prostitution (à laquelle recourent la majorité des femmes
consommatrices en rue).
Tous ces troubles se produisent sur la voie publique, dans des zones densément
peuplées, et sont très visibles. Ils perturbent fortement la vie des quartiers et
font naître chez les riverains un fort sentiment d’insécurité qui, même sans
trouble constitué, peut résulter de l’aspect dégradé et du comportement
erratique de certains consommateurs.
Quand les tensions avec les riverains deviennent trop fortes, la police disperse
les regroupements et évacue les consommateurs de crack vers d’autres lieux.
Ainsi, ce fut le cas de la porte de La Chapelle à la place de Stalingrad, puis de
celle-ci au jardin d’Eole et, enfin, le 24 septembre, de la rue Riquet au square
de la porte de La Villette.
Un plan ciblé sur la prise en charge médico-
sociale des consommateurs de crack
Le plan s’articulait autour de l’idée centrale
qu’éloigner de la rue les consommateurs de
crack était le meilleur moyen de répondre au
double défi de leur prise en charge sociale et
sanitaire et du respect de la tranquillité et de
l’ordre publics, en particulier pour les riverains. Il
reposait aussi sur l’idée d’un parcours progressif
destiné dans un premier temps à mettre à l’abri
les consommateurs de crack puis à prendre en
charge médicalement leur addiction.
Ainsi, les actions prévues par le plan crack
relevaient surtout, notamment en termes de
moyens, de la prise charge médico-sociale des
consommateurs à la rue (cf. annexe n° 2). Elles
étaient principalement de deux types.
16
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Un premier groupe de 13 actions visait à
accompagner les consommateurs, grâce aux
travailleurs sociaux, pour réduire les risques sur
leur santé et favoriser les parcours de soins :
renforcement des maraudes, extension des
dispositifs de premier accueil (salles de repos
4
,
salles de consommation à moindre risque
5
), accès
amélioré au matériel de réduction des risques
(notamment par la distribution du « kit crack »).
Un deuxième groupe de 11 actions portait sur
la mise à l’abri et l’hébergement : augmentation
du nombre de personnes prises en charge dans
le cadre du dispositif Assore
6
, du dispositif
Phase
7
et des unités d’hébergement spécialisé
(UHS), amélioration de l’accès aux accueils de
jour et aux centres d’hébergement de droit
commun, renforcement du soin résidentiel
par la création de places d’hébergement, de
places de lits halte-soins-santé (LHSS) et de
lits d’accueil médicalisés (LAM).
En complément, six actions avaient pour objet
d’intervenir dans l’espace public à la rencontre
des consommateurs et de répondre aux besoins
des habitants, et trois actions avaient pour but
de mieux connaître les usages, les profils et
les besoins des consommateurs de crack afin
d’adapter les stratégies d’intervention.
Pour chaque action, le plan détaille, d’une part,
les pilotes et financeurs, principalement la
préfecture de région, l’ARS et la Ville de Paris,
et d’autre part, les opérateurs, généralement
les associations habituées à intervenir auprès
des publics visés, ainsi que des services de la
Ville de Paris pour le volet de l’aménagement
urbain et la mise à disposition de ressources
foncières. La préfecture de police et le parquet
de Paris contribuent dans l’exercice de leurs
attributions respectives sans apporter de
financement dédiés
8
.
L’adoption du « plan crack » se caractérise donc
à l’origine par la volonté affirmée de travail en
commun et de coordination renforcée des divers
acteurs publics et associatifs impliqués, aux
cultures professionnelles parfois très éloignées.
B - La réduction des atteintes
à la tranquillité publique :
une finalité indirecte du plan
Le sous-titre du protocole (
« pour une meilleure
régulation de l’espace public et une politique
coordonnée de réduction des risques et des
dommages en faveur des usagers de crack et
poly-consommateurs en errance »
) montre sa
principale dimension, à savoir la prise en charge
sanitaire et sociale des consommateurs de crack.
Plus précisément, le plan ne vise ni l’élimination
du trafic ni l’arrêt de la consommation mais la
réduction des risques de santé associés.
Derrière l’expression aux contours flous de
«
meilleure régulation de l’espace public
», il vise
aussi, en lien avec les maires d’arrondissement,
à atténuer l’impact de l’usage de crack vis-à-vis
des riverains malgré l’existence de lieux de trafic
et de consommation, en s’efforçant d’éviter les
situations d’errance des toxicomanes.
4. Les espaces de repos qui offrent une halte en journée et proposent des lits, des douches, une machine à laver et
quelques activités.
5. La salle de consommation à moindre risque (SCMR), souvent improprement appelée « salle de shoot », permet de
consommer hors la rue, en sécurité, avec du matériel sûr et sous supervision. Les consommateurs présentent le produit
stupéfiant puis le consomment en box individuel.
6. Assore : dispositif d’orientation des personnes vers des structures d’hébergement d’urgence et à l’hôtel pour, dans un
premier temps, les mettre à l’abri, et ensuite envisager un accompagnement médico-social.
7. Phase : dispositif d’hébergement géré par l’association Aurore, destiné à des adultes isolés, sans domicile, malades et
présentant une dépendance aux psychotropes.
8. Voir le protocole de mise en œuvre du plan en annexe 1.
COUR DES COMPTES
17
En d’autres termes, le plan était conçu pour
rendre possible une forme de coexistence
dans l’espace public entre consommateurs de
crack et riverains. La limitation des atteintes
à la tranquillité publique était une résultante
espérée de la prise en charge médico-sociale
des toxicomanes.
C - Les limites intrinsèques du plan
adopté en mai 2019
Le protocole du 27 mai 2019 a opéré des choix
relatifs aux types d’actions retenues et à leur
ampleur, qui expliquent pour partie le caractère
partiel des résultats obtenus (cf. partie 2).
L’absence de volet sur la lutte
contre le trafic
La consommation de crack dans l’espace public
est favorisée par sa grande disponibilité. Pourtant,
le plan ne comporte pas d’actions relatives
spécifiquement à la répression du trafic par les
services de police et de justice, à l’interpellation
des
dealers
et au démantèlement des réseaux.
Ces actions sont conduites sans lien apparent
avec la mise en œuvre du plan. Il en est ainsi de
manière générale en matière de sécurité publique
qui n’est pas traitée directement.
En réponse au rapport provisoire de la Cour, la
préfecture de police a évoqué le déploiement
des effectifs des commissariats des 18
ème
et
19
ème
arrondissements, de ses services spécialisés,
notamment de police judiciaire, et des unités des
forces mobiles. Selon elle, cette mobilisation a
permis «
une amélioration très significative de la
tranquillité publique
» dans les secteurs ciblés et
«
une action très forte contre les réseaux de trafic
du crack
», permettant de déférer 42 mis en cause
en 2021 (de janvier à septembre) contre 46 en
2020 (année pleine).
Pour autant, dans sa lettre à la maire de Paris,
datée du 16 juin 2021, le Premier ministre
a jugé utile de lui annoncer que
« l’action
judiciaire sera renforcée sous l’autorité du
procureur de la République avec l’intensification
de l’action du groupe local de traitement de la
délinquance dédié à la consommation de crack,
la poursuite de la politique de déferrement
systématique des dealers et consommateurs
et le renforcement de l’efficacité des décisions
d’interdiction de paraître avec un éloignement
géographique plus important »
.
Une partie des propositions initiales
écartées ou limitées en matière
médico-sociale
Le plan crack se fonde sur le diagnostic posé
par les groupes de travail mis en place en 2018
dans le cadre de la concertation conduite par la
Mildeca. Il a retenu certaines des propositions
formulées. L’accent est mis sur le renforcement
des maraudes et la création d’un nombre
substantiel de places d’hébergement.
Cependant, alors que les groupes de travail
préconisaient
« la mise en place d’espaces de
consommation adaptés aux consommateurs
de crack »
, le plan se propose simplement
de réfléchir à la mise en place de
« salles
de
consommation
à
moindre
risque
9
»
.
S’il n’appartient pas à la Cour de juger
l’opportunité de mettre en place un tel
dispositif, il convient de noter que l’intérêt
des salles de consommation destinées aux
« inhaleurs » est mentionné dans toutes les
études ayant précédé le plan crack et a fait
l’objet de nombreux échanges entre les acteurs
institutionnels en réunion ou par courrier.
9. Action 13.
18
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
De même, alors que les groupes de travail
proposaient la création d’espaces de repos
accessibles en journée et la nuit, le plan crack
restreint cette mesure à la journée, l’accueil de
nuit devenant facultatif (
« et/ou la nuit »
) . Or, les
principales nuisances pour la tranquillité publique
sont principalement constatées la nuit.
Enfin,
contrairement
aux
propositions
formulées par les groupes de travail en 2018,
le principe de la coordination préalable à
l’évacuation
des
lieux
de
consommation,
identifiée comme centrale pour maîtriser
l’évolution des nuisances dans l’espace public,
n’est abordé qu’à la marge dans le plan.
Le dimensionnement des actions
en-deçà de l’importance du public visé
La proposition d’un changement d’échelle,
préconisée par les groupes de travail de 2018,
a été inégalement reprise dans le « plan crack ».
Les actions n’ont pas été retenues dans la
perspective de couvrir toute la population des
consommateurs, d’ailleurs croissante, mais de
dessiner des parcours. Cette logique de parcours
impliquait de procéder à des expérimentations.
La phase de la généralisation des actions
dépassait l’horizon temporel du plan.
Ainsi, le plan prévoyait initialement la création
de 145 places d’hébergement supplémentaires.
Cette mesure a été développée de fait sous
l’effet de la crise sanitaire qui a conduit à
mobiliser plus de 400 chambres (voir
infra
).
Cependant, l’association gestionnaire estime
qu’il demeure 300 à 350 consommateurs
à la rue. Le besoin d’hébergement est bien
supérieur à l’offre. Le même constat peut être
formulé pour l’ensemble des actions de mise à
l’abri et de prise en charge médico-sociale.
Les
différents
dispositifs
n’ont
pas
été
dimensionnés en fonction de la population
totale concernés (700 à 800 consommateurs
précaires). Par exemple, l’espace de repos
de la Porte de la Chapelle déclare une « file
active », c’est-à-dire un groupe d’utilisateurs,
de 200 personnes environ. L’autre espace de
repos est davantage fréquenté mais les ordres
de grandeur sont comparables. Le parquet de
Paris assure le suivi d’environ 400 injonctions
thérapeutiques. Les autres consommateurs
de crack, non concernés par ces différents
dispositifs, se retrouvent aux deux extrémités
du spectre : consommateurs insérés, qui
ne sont au demeurant pas en demande
d’accompagnement et génèrent un trouble
limité, et consommateurs les plus désocialisés,
qui ne sont pas en mesure de s’adapter à
l’hébergement, refusent les soins et sont
davantage générateurs de troubles.
Seuls les dispositifs de premier accueil tels que
les maraudes ou la distribution de matériels
de réduction des risques sont susceptibles à
ce jour de couvrir la majorité de la population
concernée. Cependant, ils ne sont pas suffisants
pour réduire le nombre de consommateurs de
crack présents dans l’espace public.
Le périmètre géographique
du plan circonscrit à Paris
La
consommation
de
rue
concerne
principalement
le
nord-est
parisien
mais
déborde sur la Seine-Saint-Denis. Les filières
d’approvisionnement, quant à elles, s’étendent
sur l’ensemble de la région Île-de-France. La
question de l’extension du plan hors Paris
intra
muros
a été posée lors de son élaboration
mais seule la Ville de Paris figure parmi les
10. Action 12.
COUR DES COMPTES
19
signataires du protocole. En juin 2021, le
Conseil de Paris a d’ailleurs estimé que d’autres
collectivités (métropole du Grand Paris, région
Île-de-France, départements voisins) devaient
« se saisir de cette question »
. La question de
l’adhésion
d’établissements
hospitaliers
a
également été posée. Le choix d’un périmètre
resserré
a
prévalu.
La
coordination
des
six signataires constituait déjà un défi
notable.
II - DES RÉSULTATS RÉELS MAIS PARTIELS ET DÉPOURVUS D’EFFETS
SUR LES ATTEINTES À LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE
Dans l’ensemble, une grande partie des actions
inscrites dans le plan ont été effectivement
mises en œuvre et ont obtenu des résultats
par rapport aux objectifs de prise en charge
médico-sociale des consommateurs de crack.
Les moyens budgétaires alloués au plan
par l’État et la Ville de Paris ont dépassé
très largement leurs engagements initiaux
du fait particulièrement de la très forte
montée en puissance des actions en matière
d’hébergement et de mise à l’abri.
Pourtant, face à l’accroissement du nombre
de
consommateurs
de
crack
et
à
leur
concentration dans quelques lieux de l’espace
public, les moyens mis en œuvre n’ont pas
permis suffi
samment de les écarter de la rue
et de réduire ainsi les troubles à l’ordre public.
A - Une majorité d’actions mises
en œuvre et des moyens budgétaires
nettement plus élevés que prévu
En juillet 2021, à cinq mois de l’échéance du
plan 2019-2021, la mise en œuvre de 20 des 33
actions programmées était achevée ou en voie
de l’être ; cinq actions bénéficiaient d’une mise
en œuvre partielle. Pour huit actions, la mise
en œuvre n’avait pas commencé ou n’en était
qu’à ses prémisses.
Ce constat global doit être nuancé puisque
toutes les actions n’ont pas la même portée.
De plus, toutes ne se prêtent pas de la même
manière au suivi de leur réalisation : neuf
seulement comportaient un objectif chiffré, un
« livrable » ou un résultat objectivable. Parmi
celles-ci, sept ont été réalisées.
11. Note de lecture : Axe 1 – « Accompagner les consommateurs pour réduire les risques et les dommages et favoriser
les parcours de soins » ; Axe 2 – « Héberger, mettre à l’abri, créer des espaces de repos et des unités d’hébergement et de
soin résidentiel dédiés afin de permettre une sortie de la rue » ; Axe 3 – « Intervenir dans l’espace public à la rencontre
des consommateurs et répondre aux besoins des habitants, dans un souci d’améliorer la tranquillité publique et lutter
contre les trafics » ; Axe 4 – « Améliorer les connaissances ».
Graphique n° 1 : état de la mise en œuvre
11
du plan crack (juillet 2021)
Nombre d’actions
Mises en oeuvre
Partiellement mises en oeuvre
Non ou à peine mises en oeuvre
Axe 1
Axe 2
Axe 3
Axe 4
Source : Cour des comptes
20
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Enfin, une part non négligeable des actions
étaient déjà en cours avant l’adoption du plan
alors que d’autres étaient nouvelles. Ainsi,
15 actions sur 33 avaient déjà démarré fin
2018 ou début 2019 avant la signature du
protocole qui, les concernant, est davantage
venu consacrer une dynamique que l’impulser.
De
surcroît,
parmi
ces
actions
entamées
précocement,
figurent
assez
logiquement
celles prolongeant des actions déjà existantes.
En revanche, les projets nouveaux accusent du
retard et sont loin d’être finalisés.
Sur la base des informations communiquées
par les différents signataires du plan, le
total des dépenses budgétaires effectuées
pour sa mise en œuvre de 2019 à 2021 peut
être estimée au minimum 24,6 M€ qui se
répartissent comme suit :
12. C’est particulièrement le cas de l’axe 3 auquel la Ville de Paris a indiqué consacrer des moyens conséquents mais
qu’elle ne peut chiffrer.
Ces sommes correspondent principalement
aux charges afférentes aux actions nouvelles
et aux subventions versées aux opérateurs
associatifs.
Les
dépenses
correspondant
à
la
prolongation
ou
au
renforcement
d’actions
existantes
menées
directement
par les signataires n’ont pas toujours pu être
chiffrées
12
.
Graphique n ° 2 : répartition globale des dépenses identifiées du plan (en M€)
Graphique n ° 3 : dépenses identifiées du plan crack par financeur (en M€)
Mildeca
1,33 M€
5 %
ARS IDF
6,08 M€
25 %
Ville de Paris
4,28 M€
17 %
Prif
(Drhil)
12,94 M€
53 %
1,40
0,87
1,89
0,23
1,75
1,55
4,11
0,50
2,94
1,87
6,94
0,60
ARS IDF
Ville de Paris
Prif (Drhill)
Mildeca
Source : Cour des comptes
Source : Cour des comptes
Note : Les crédits de la Mildeca sont exécutés par la préfecture de région - Prif (Direction
régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement)
COUR DES COMPTES
21
B - La mise en œuvre inégale
des actions, du premier accueil
à l’hébergement d’urgence
Sur la durée de vie du plan (2019-2021), les
actions consacrées à l’hébergement (axe 2)
ont consommé 70 % des crédits identifiés du
fait de leur essor considérable. En particulier,
leur poids a progressé sensiblement en 2021.
Les maraudes (axe 2) ont consommé la
quasi-totalité des crédits restants. En termes
budgétaires, les autres actions ont un poids
marginal, même s’il est probable que les
moyens consacrés à l’axe 3 sont sous-estimés
dans la mesure où les dépenses afférentes
n’ont pas été distinguées au sein du budget
des services concernés de la Ville de Paris.
Tableau n° 1 : répartition des dépenses réalisées
en €
2019
2020
2021 (prévision)
Axe 1 – « Accompagner les consommateurs
pour réduire les risques et les dommages et
favoriser les parcours de soins »
Prif
41 000
49 000
50 000
ARS
1 029 250
1 122 052
1 583 240
Ville de Paris
742 266
1 040 650
1 137 000
Total
1 812 516
2 211 702
2 770 240
% des crédits
44%
30%
24%
Axe 2 – « Héberger, mettre à l'abri, créer des
espaces de repos et des unités
d'hébergement et de soin résidentiel dédiés
afin de permettre une sortie de la rue »
Prif
2 031 273
4 542 712
7 482 449
ARS
335 910
627 775
1 352 554
Ville de Paris
116 600
490 616
703 400
Total
2 483 783
5 661 103
9 538 403
% des crédits
57%
72%
77%
Axe 3 – « Intervenir dans l'espace public à la
rencontre des consommateurs et répondre
aux besoins des habitants, dans un souci
d'améliorer la tranquillité publique et lutter
contre les trafics »
Prif
6 400
3 000
3 000
ARS
0
0
0
Ville de Paris
0
0
0
Total
6 400
3 000
3 000
% des crédits
0%
0%
0%
Axe 4 – « Améliorer les connaissances »
Prif
41 034
20 000
0
ARS
30 000
0
0
Ville de Paris
15 000
14 005
25 000
Total
86 034
34 005
25 000
% des crédits
2%
0%
0%
Source : Cour des comptes
Note de lecture : Les sommes de la Prif incluent celles de la Mildeca.
Il en ressort que les signataires ont finalement engagé des sommes bien supérieures au total à
celles prévues lors de la signature du plan (3 M€ par an).
22
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
L’accent d’abord mis sur le premier accueil
Des maraudes plus nombreuses, davantage
coordonnées et « outillées »
In fine
, les maraudes représentent environ
30 % des moyens budgétaires alloués au plan
crack sur la période 2019-2021.
Leur accroissement était au cœur de l’axe 1
«
Accompagner
les
consommateurs
pour
réduire les risques et les dommages et favoriser
les parcours de soins »
. Le plan (actions n° 1
à 7) prévoyait l’augmentation du nombre de
maraudes et l’extension de leur amplitude
horaire.
L’axe 1 regroupait aussi les actions
relevant du premier accueil, à savoir les espaces
de repos et le suivi des consommateurs.
Auparavant limitées aux jours de semaine, les
maraudes ont désormais lieu sept jours sur
sept, grâce à la création de trois maraudes
pédestres le samedi après-midi et trois autres
le dimanche après-midi, complétées par trois
maraudes en bus et une le dimanche soir.
Quelques maraudes en soirée la semaine ont
aussi été créées.
Le plan ne prévoyait pas de maraudes de nuit,
lorsque les nuisances sonores sont les plus
perceptibles et perturbantes. Ainsi, la plupart
des maraudes se déroulent pendant la semaine
(lundi-vendredi) et en journée, notamment
du fait des surcoûts salariaux associés aux
interventions le soir ou le week-end.
Les maraudes dans le métro, qui préexistaient
au plan, ont été pérennisées. De nouvelles lignes
sont désormais couvertes. Leur organisation
« à
titre expérimental
13
»
a été reconduite par une
convention du 27 mai 2019,distincte du plan crack,
qui lie l’ARS et la Ville de Paris aux signataires
initiaux
(RATP,
Prif,
Mildeca,
associations
Charonne, Nova Dona, Aurore et Gaïa).
Enfin, une maraude dite
« de médiation »
à
destination des riverains a été mise en place
par la Ville de Paris pour recueillir et traiter
leurs signalements.
Plus
nombreuses,
les
maraudes
devaient
aussi être pluridisciplinaires afin d’intégrer les
importantes problématiques sanitaires des
consommateurs, notamment de santé mentale.
Si les associations opératrices des maraudes
indiquent avoir recruté des infirmiers et des
psychologues, ces profils sont encore trop
rares pour permettre de mener des maraudes
en binôme, un soignant accompagnant un
travailleur social. De même la
« coordination
médicosociale, psychiatrique et sociale autour
des cas complexes »
reste encore à construire.
La coordination des maraudes spécifiques
aux consommateurs de crack est assurée
notamment via l’espace de veille piloté par
la
mission
métropolitaine
de
prévention
des conduites à risques (MMPCR), en lien
avec l’ARS et la Mildeca. La coordination des
autres maraudes sociales s’effectue selon
les modalités antérieures. Le renforcement
ambitionné par le plan est à peine préfiguré
par quelques réunions préparatoires.
Certaines
des
maraudes
auprès
des
consommateurs de crack contribuent à la
stratégie de réduction des risques et des
dommages via la distribution de matériel. Le
plus courant est le « kit crack », composé d’une
pipe à crack en verre, de quelques embouts
et d’un filtre de rechange. Il permet d’éviter
l’utilisation de matériel artisanal peu sûr, le
partage des pipes à crack entre consommateurs
et les risques infectieux associés ainsi que
les dégradations pour fabriquer ce matériel
artisanal (arrachage de fils électriques pour
confectionner les filtres notamment).
13. Selon les termes de la convention-cadre du 9 novembre 2017.
COUR DES COMPTES
23
Les actions prévues pour la distribution de
matériel ont été mises en œuvre : le nombre
d’automates distributeurs de kits cracks est
passé de quatre à dix. Ce matériel a bénéficié
d’une
évaluation
scientifique
menée
par
l’association Safe avec des laboratoires de
recherche universitaires, qui a conduit à
améliorer le « kit crack », actuellement en
phase de test auprès des consommateurs.
Des structures de premier accueil qui ont
peiné à prendre leur essor
Les actions relatives aux lieux de premier
accueil sont nettement moins avancées que
celles concernant les maraudes.
Carte n° 1 : carte des CAARUD, CSAPA, SCMR et espaces de repos à Paris
Caarud
- Centre d'accueil d'accompagnement
à la réduction des risques pour usagers
de drogues
Csapa Hopitalier
Espace de repos
Structure disposant d’au moins
une antenne mobile
Salle de consommation
à moindre risque (SCMR)
Caarud Hospitalier
Csapa
- Centre de soins, d'accompagnement
et de prévention en addictologie
Source : MMPCR - ville de Paris ; mise à jour au 24 octobre 2019
Les salles de repos
L’une des innovations du « plan crack » résidait
dans l’ouverture de salles de repos en journée afin
d’accueillir des consommateurs en errance. Sur
les six espaces de repos prévus, deux seulement
ont été ouverts : le
sleep-in
, situé à proximité
du jardin d’Eole, de 15 places, qui offi
ciait déjà
comme hébergement de nuit, et l’espace de la
Porte de la Chapelle de 26 places, élevé sur un
terrain de la Ville de Paris. Un troisième espace
est évoqué depuis le lancement du « plan crack »
sans suite concrète à ce jour.
24
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
La salle de consommation à moindre risque
(SCMR)
Si la SCMR proche de l’hôpital Lariboisière
(10
ème
), est désormais ouverte le matin, elle
est destinée à accueillir les consommateurs de
drogues injectables. Or, un faible nombre de
consommateurs de crack le consomment injecté.
L’Inserm
14
, dans son
rapport d’évaluation
établi
en avril 2021, estime cependant que la demande
pour un usage de ces lieux de consommation par
inhalation existe
15
. La réflexion qui devait être
engagée sur l’ouverture de nouveaux espaces
dits
« de consommation supervisée »
est à l’arrêt,
malgré plusieurs réunions en 2019, en raison de
désaccords de principe entre les acteurs.
Les outils informatiques
Enfin,
l’une
des
actions
de
l’axe
1
du
plan portait sur la création d’un système
d’information, venant renforcer l’accent mis
sur la connaissance du terrain. L’application
développée par la MMPCR
16
avec les services
de la Ville de Paris, dénommée GEOCODER,
n’est pas encore déployée. Elle se trouve
encore en phase de test. En revanche, une
autre application, baptisée MANO, développée
par l’association Aurore, est désormais active.
Elle est utilisée lors des maraudes et dans
les lieux d’accueil. Elle permet de suivre
les consommateurs (qui s’identifient sous
l’identité de leur choix), leurs demandes et
leurs besoins. Les opérateurs associatifs en
soulignent l’utilité dans leur travail. En outre,
une application de cartographie est en cours
de développement.
Le grand développement de l’hébergement
hôtelier sous l’effet de la crise sanitaire
Le développement de l’hébergement était
la priorité de l’axe 2 du plan qui prévoyait de
créer un
« parcours d’insertion »
, après l’étape
du premier contact, grâce à des solutions
d’hébergement et d’accompagnement visant à
sortir le consommateur précarisé de la rue. Les
actions de l’axe 2 présentent le degré de mise
en œuvre le plus variable.
L’hébergement d’urgence et de réinsertion
sociale
Le plan prévoyait le renforcement de deux des
plus importants dispositifs d’hébergement que
sont Assore et Phase. À l’échéance du plan crack,
ils devaient doubler de capacité pour Assore
(de 60 à 120 places) et bénéficier de 11 nouvelles
places pour Phase.
À partir d’avril 2020, la crise sanitaire est
venue percuter ces projections et conférer à
l’hébergement en chambre d’hôtel une ampleur
inédite : pour répondre à la priorité de mise à
l’abri portée par le gouvernement, un nombre
nettement supérieur de chambres d’hôtel,
jusqu’à
426
(hébergeant
440
personnes),
ont été mobilisées durant plusieurs mois. La
vacance des hôtels durant le confinement et
la désaffection touristique de Paris ont facilité
cette massification du dispositif Assore qui s’est
depuis quelque peu réduit mais est resté à un
étiage de 400 chambres en 2021.
Le contexte de la crise sanitaire du printemps
2020 a permis d’aller au-delà de ce que le
plan prévoyait, rendant possible une forme
d’expérimentation assez radicale.
14. Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale.
15. Les responsables de la SCMR évoquent ainsi avoir rencontré plusieurs cas de consommateurs venus s’injecter un
stupéfiant pour leur première visite uniquement afin de pouvoir accéder à la salle de consommation, voire faire semblant
d’utiliser les postes d’injection pour accéder aux postes d’inhalation.
COUR DES COMPTES
25
Ainsi, la
restriction
consistant
à
ne
pas
concentrer
les
consommateurs
hébergés
dans les mêmes hôtels et à éviter qu’ils en
constituent la clientèle exclusive a été levée
moyennant une sécurisation des hôtels et
un travail de médiation accrus. Au niveau
individuel, l’association Aurore, en coopération
avec les CAARUD
16
partenaires, a accueilli au
sein d’Assore des profils de consommateurs
plus difficiles pour lesquels la capacité à se
maintenir dans un hébergement fixe et à se
conformer à ses règles n’était pas garantie.
Après les périodes de confinement strict,
l’investissement
considérable
dans
les
hébergements et les accompagnements du
dispositif Assore s’est poursuivi.
Concernant Phase, cinq places supplémentaires
par rapport à celles inscrites au plan ont été
créées pour aboutir à 31 places. De même,
six
places
d’hébergement
destinées
aux
consommateurs sous injonction thérapeutique
existent depuis 2019, rattachées à un centre
d’hébergement d’urgence géré par l’association
Charonne-Oppélia, tout comme les 30 places
d’hébergement
hôtelier
adossées
à
des
CAARUD, qui ciblent désormais uniquement
les usagères. Enfin, en juillet 2021, 26 places
supplémentaires en unités d’hébergement
spécialisé ont été ouvertes sur les 68 prévues
au plan.
L’hébergement avec accompagnement
sanitaire
En revanche, les places au sein des autres
dispositifs peinent encore à voir le jour, en
particulier les dispositifs à orientation sanitaire.
L’appel à projets pour les unités d’hébergement
spécialisées,
qui
aspirent
à
répliquer
les
26 places en appartement diffus du dispositif
Phase, a été lancé. L’association Aurore a été
retenue dès novembre 2019. Pour autant, la
recherche de lieux d’implantation n’a toujours
pas abouti. La création de places de LHSS (lits
halte soins santé) et de LAM reste encore à
l’état de projet, tout comme les appartements
de coordination thérapeutique (ACT). Enfin, la
sortie des consommateurs de ces dispositifs
d’hébergement ad hoc vers des dispositifs de
droit commun n’a pas connu d’amélioration
sensible en raison de la saturation desdits
hébergements. Par ailleurs, pour les personnes
étrangères, le passage vers un établissement
social ou médico-social peut nécessiter que les
conditions de séjour soient régularisées.
Le degré de mise en œuvre des autres
actions plus difficile à apprécier
Comme relevé plus haut, les actions des axes 3
et 4 du plan paraissent plus périphériques dans
leurs ambitions et moins bien définies dans
leurs modalités. L’axe 3 est celui dont le degré
de mise en œuvre est le plus difficile à cerner
car il est le seul à ne comporter aucune action
assortie d’un objectif chiffré ou d’un « livrable »
identifié. On constate de réelles avancées pour
les actions portées par un seul pilote mais une
coordination plus formelle qu’effective.
La physionomie des lieux publics
Les deux actions portant sur le nettoiement
et l’aménagement urbain ont été largement
mises en œuvre par les services de la Ville
de Paris qui se montre vigilante sur ces
problématiques : la porte de la Chapelle et la
place Stalingrad ont ainsi été réagencées et
ont bénéficié d’équipements urbains destinés
à prévenir troubles et trafics.
26
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
La formation et la sensibilisation
Les deux actions de formation des acteurs et
d’information des riverains avaient un libellé
généraliste si bien que la Ville de Paris et
certaines associations ont pu identifier leurs
activités propres comme en ressortant. Ainsi,
la Ville de Paris indique avoir organisé des
sessions de présentation du « plan crack »
auprès de ses services mais aussi d’agents
de la RATP et de la SNCF, qui constituent
également le public des formations conduites
par
certaines
associations.
Ces
actions
conduites en parallèle mettent en évidence
une coordination encore insuffisante. Elles
montrent toutefois que différents acteurs
ont été convaincus par la nécessité de ces
sensibilisations et ont souhaité s’y impliquer.
En revanche les forces de l’ordre, pourtant au
contact fréquent des consommateurs, n’ont
pas demandé à bénéficier de ces formations.
La coordination des acteurs
La mise en œuvre des deux autres actions de
l’axe 3 montre des faiblesses. Ainsi, dans la
pratique, la
« remontée régulière d’informa-
tions »
sur les points de deal et de trafic s’est
opérée en dehors des instances de gouver-
nance du « plan crack ». Quant à la
« mise
en place de visioconférences mensuelles »
destinées à améliorer la coordination opéra-
tionnelle et à
« assurer une cohérence entre les
différentes actions »
, le libellé vague de cette
action permet à la Ville de Paris de considérer
qu’elle renvoie au rôle des différents comités
chargés du pilotage du plan.
La construction d’un corpus
de connaissances
L’axe 4 du plan portait sur la connaissance du
terrain à travers trois actions correspondant à
la réalisation d’une étude conjointe de l’Inserm
et de l’OFDT
16
sur le trafic et la consommation
de crack en Île-de-France et les parcours
des consommateurs, de cartographies des
maraudes et des structures d’addictologie.
Ces « livrables » ont été produits et diffusés :
les cartes ont été intégrées à des dépliants
d’information et l’étude a fait l’objet d’une
synthèse aisément accessible.
C - La logique de parcours
souvent bloquée par le manque
d’hébergement « en aval »
L’efficacité de la logique
de parcours pour les personnes
prises en charge
La mise à l’abri apparaît comme la condition
préalable de tout travail médical. Ainsi, selon
l’association Aurore, 70 % des consommateurs
hébergés
ont
entamé
des
démarches
sanitaires ou sociales en 2021 qu’alors qu’ils
n’étaient que 30 % au démarrage du plan
en 2019. Cette stratégie de prise en charge
est d’autant plus essentielle que le public
accueilli est extrêmement précaire : 72 %
des consommateurs hébergés ont passé plus
d’un an dans la rue et 20 % plus de cinq ans.
16. OFDT : Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
COUR DES COMPTES
27
À leur tour, les dispositifs d’hébergement ont
réussi à stabiliser une part importante des
consommateurs accueillis, y compris parmi
ceux
présentant
des
profils
plus
difficiles
qu’antérieurement.
Une
fois
hébergés,
une
majorité
de
consommateurs
entreprennent
des programmes de soins et des démarches
administratives
et
sociales
(domiciliation,
renouvellement
des
papiers
d’identité,
réouverture
des
droits,
démarche
de
régularisation ou de retour dans le pays d’origine
pour les personnes en situation irrégulière, etc.).
Ils sont plus nombreux à le faire à mesure que leur
séjour s’allonge, ce qui témoigne de l’efficacité
de l’accompagnement. Une petite majorité de
consommateurs
hébergés
et
accompagnés
réussissent à réduire leur consommation de
produits stupéfiants. Dans l’ensemble, le public
des consommateurs de crack est ainsi mieux
connu tant au niveau collectif qu’individuel.
L’insuffisance des capacités d’hébergement
« en aval » au regard de l’afflux
de nouveaux consommateurs
Depuis le début de 2020, le nombre de
consommateurs de crack dans l’espace public
a augmenté du fait de l’arrivée d’un public
nouveau. Il s’y est ajouté un phénomène
de concentration lié à la succession des
évacuations qui ont progressivement fusionné
les
différents
lieux
de
consommation,
regroupés au sein du jardin d’Éole puis,
après l’évacuation de ce dernier, autour de
la place Stalingrad. L’évacuation de la place
Stalingrad en mai 2021 les a ramenés dans
le jardin d’Éole, puis à ses portes lors de son
évacuation, et ensuite au square de la porte de
La Villette. Aux consommateurs stabilisés se
sont substitués de nouveaux consommateurs
en errance, plus nombreux.
Schéma n° 2 : parcours de prise en charge des consommateurs de crack
Source : Cour des comptes
28
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Le « plan crack » n’avait pas été dimensionné
pour absorber cet afflux. Les capacités d’accueil
ont été saturées. Ainsi, pour l’hébergement en
hôtel Assore, le plan prévoyait de «
tendre vers
un objectif de trois à dix nouvelles prises en
charges par semaine
», ce qui impliquait, étant
donné l’objectif initial de 120 places, un séjour
moyen compris entre 12 et 40 semaines. Or, les
bilans fournis par l’association Aurore indiquent
que, fin avril 2021, 85 % des consommateurs
étaient hébergés depuis plus de six mois.
En grande partie, cette stabilisation des
consommateurs dans l’hébergement traduit le
manque de solutions « en aval ». De janvier à
octobre 2020, le dispositif Assore a enregistré
100 sorties (positives, vers d’autres solutions
d’hébergement, ou négatives telles que le
retour à la rue, l’incarcération, le décès, etc.) et
100 autres entre octobre 2020 et mai 2021. Vu
ce rythme, on peut estimer qu’en moyenne un
consommateur reste hébergé deux ans et demi
avant de trouver une sortie. Comme seulement
une petite moitié des sorties sont positives,
le délai moyen de séjour avant d’obtenir une
place « en aval » peut être estimé à cinq ans.
Le même problème se pose pour les 26 places
en appartements du dispositif Phase d’où ne
parviennent pas à sortir les consommateurs
stabilisés pour aller vers l’hébergement social
ou
l’hébergement
médico-social
de
droit
commun, tous deux saturés. L’engorgement
des solutions d’hébergement se répercute en
amont sur l’efficacité des autres dispositifs,
tant l’hébergement ressort comme un facteur
clef de stabilisation.
Ainsi, le manque de solutions d’hébergement « en
aval » a compromis la mise en œuvre de la logique
de parcours qui était censée éloigner durablement
de la rue les consommateurs de crack.
D - La rareté des ressources humaines
et foncières, deux goulets
d’étranglement non anticipés
La rareté des ressources foncières et celle
des ressources humaines se sont révélées
comme les deux principaux freins, limitant
structurellement la création de nouveaux lieux
de prise en charge médico-sociale.
Les consommateurs de crack ne s’éloignent
que très peu de l’endroit où ils peuvent se
fournir et retrouver d’autres consommateurs.
La consommation se pratiquant beaucoup en
commun. Or, le nord-est parisien est l’une des
zones urbaines les plus denses d’Europe. Les
emprises foncières qui peuvent être consacrées
à une finalité sociale sont très limitées
et
presque
exclusivement
publiques.
Les
emprises nécessaires aux structures chargées
de la prise en charge des consommateurs
de crack se trouvent en concurrence avec
tous les autres besoins sociaux (logement,
hébergement d’urgence, etc.), d’autant plus
que ces structures impliquent des contraintes
particulières,
notamment
en
termes
d’acceptabilité
a priori
par les riverains. Les
emprises relativement éloignées des résidents,
comme celle accueillant l’espace de repos de la
porte de la Chapelle, sous le périphérique, sont
rares et présentent d’autres inconvénients (en
l’occurrence le bruit).
Pour cette raison, les
acteurs publics privilégient autant que possible
l’implantation au sein de structures existantes.
Au total, la pénurie foncière est à l’origine de
la plupart des retards de mise en œuvre des
actions relevant de l’axe 2 du plan. Dans sa lettre
à la maire de Paris, datée du 16 juin 2021, le
Premier ministre constate que «
les opérateurs
se trouvent dans une impasse en raison de
l’absence de locaux disponibles. Ainsi, seules
10 places en appartements thérapeutiques
sur 26 et 26 places en unités d’hébergement
COUR DES COMPTES
29
spécialisé sur 68 sont couvertes ; les 50 places
de LAM et de LHSS prévues ne sont pas
installées ; il manque 3 salles de repos sur les
6 prévues ; le CAARUD du 18
ème
est en attente
de réimplantation
».
À cet égard, l’une des faiblesses importantes
du plan était de ne pas avoir comporté un
recensement préalable du foncier mobilisable
et de ne pas avoir prévu les emprises destinées
aux nouvelles structures de prise en charge
médico-sociale.
Le
second
frein
important,
qui
a
particulièrement affecté la mise en œuvre des
actions de l’axe n°1, réside dans la pénurie de
ressources humaines sur le créneau spécifique
de la prise en charge des consommateurs de
crack. Les associations en mesure de traiter
ces problématiques sont peu nombreuses.
Elles
font
état
de
leurs
difficultés
de
recrutement,
particulièrement
accentuées
pour les profils de soignants (infirmiers,
médecins addictologues, psychologues) mais
aussi d’éducateurs et de travailleurs sociaux.
Ces
difficultés
ont
constitué
une
limite
évidente à la mise en place des approches
pluridisciplinaires prônées par le plan. Elles
ont été identifiées comme telles par les
signataires du « plan crack » au cours de son
exécution. On peut regretter qu’elles n’aient
pas été anticipées lors de son élaboration.
Au total, les actions du plan sont parvenues
à améliorer la situation sociale et sanitaire
d’une partie des consommateurs de crack en
errance dans l’espace public. En revanche, elles
n’ont pas permis de modifier sensiblement
la perception des résidents des quartiers
concernés, qui sont demeurés durablement
exposés à la poursuite des atteintes à la
tranquillité et à la sécurité publiques.
III - L’URGENCE DE TIRER LES ENSEIGNEMENTS D’UN DISPOSITIF
DÉSORMAIS DÉPASSÉ
L’audit conduit par la Cour et la chambre
régionale des comptes tend à montrer que la
volonté de coordonner plus étroitement les
interventions des différents acteurs, qui était la
matrice du plan, s’est progressivement essoufflée.
Certes, dans un premier temps, les exigences
opérationnelles imposées par la crise sanitaire en
matière d’assistance aux sans-abris ont conduit à
intensifier les échanges. Par la suite, toutefois, les
réunions des instances de coordination se sont
espacées et sont devenues moins conclusives.
L’articulation des différents dispositifs de prise
en charge a montré des faiblesses. La dynamique
initiale du plan s’est essoufflée. Peu d’actions
nouvelles ont été engagées.
La mise en œuvre des actions de nature
médico-sociale a fait l’objet d’un suivi, au cas
par cas, entre le pilote/financeur et l’opérateur
associatif concerné. Mais ce suivi, d’autant
plus essentiel que le plan avait une forte
dimension expérimentale, n’a pas été assuré
suffisamment au niveau global. Il n’a pas assez
porté sur la cohérence et la bonne articulation
de l’ensemble.
Du
coup,
la
convergence
des
cultures
professionnelles s’est étiolée. Les échanges
entre les acteurs ont eu lieu en dehors
du cadre prescrit par le plan alors que les
protestations des riverains imposaient de
prendre de nouvelles initiatives. Le plan s’est
trouvé dépassé.
30
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
A - Une coordination progressivement
distendue après la mobilisation
intense du début de la crise sanitaire
(avril-mai 2020)
Une coordination indispensable
initialement confiée à des instances
de gouvernance
La première vertu du protocole signé en
2019 a été de montrer la volonté des acteurs
publics et associatifs, très divers, aux cultures
professionnelles parfois très éloignées, de
travailler ensemble et de coordonner leurs
interventions. Le diagnostic posé par les groupes
de travail mis en place par la Mildeca en 2018
insistait sur cette coordination nécessaire des
actions existantes, comme condition pour
traiter des sujets jugés indissociables.
La
coordination
des
parties
prenantes
constitue l’objet de certaines des actions du
plan (action 30 par exemple) mais elle est
surtout la condition de la réussite du plan.
La gouvernance du plan, c’est-à-dire le rythme
et le format des réunions entre acteurs, était
organisée en trois niveaux :
l
un comité stratégique, présidé par le préfet
de région, chargé de déterminer les grandes
orientations et les priorités du plan : il
réunit
les
administrations,
les
acteurs
associatifs et les élus de la Ville de Paris et
des arrondissements concernés. Après la
phase de démarrage, le comité stratégique
devait se réunir au moins une fois par an ;
l
un comité opérationnel, présidé par la
secrétaire générale de la préfecture de
région, préfète de Paris, qui a pour mission
de suivre la mise en œuvre des mesures et
de lever les points de blocage. La fréquence
de ses réunions devait être mensuelle, au
moins durant la phase de lancement, puis
régulière en fonction des besoins ;
l
enfin,
un
comité
technique
réunissant
les associations présentes sur le terrain
et certaines des administrations parties
prenantes du plan selon l’opportunité des
sujets discutés. Son travail devait porter sur
les modalités concrètes de coopération et
de déploiement des mesures. La fréquence
de ses réunions devait être mensuelle.
La coordination de l’ensemble des acteurs a
été confiée à la préfecture de région et, dans
la pratique, à la secrétaire générale, préfète
de Paris.
Les réunions moins fréquentes
des instances de coordination
et surtout moins conclusives
en fin de période
Dans les faits, la gouvernance du plan s’est
rapidement éloignée de ce schéma annoncé :
le comité technique ne s’est jamais réuni ; les
comités opérationnels ont été nombreux dans
les premières semaines (trois entre mars et
mai 2019) mais beaucoup moins réguliers
ensuite (un fin 2019 et deux en 2020)
17
.
17. À noter que cinq réunions se sont tenues depuis le 24 septembre 2021, à l’initiative du préfet de la région d’Île-de-France,
soit après la clôture de la présente enquête.
COUR DES COMPTES
31
Les
signataires
arguent
de
la tenue
de
nombreux échanges informels, en marge des
instances prévues par le plan, destinés à traiter
des questions opérationnelles entre acteurs
étatiques notamment. Ces échanges informels
n’ont pas donné lieu à des comptes rendus.
En fait, il ressort nettement qu’en début de
période, les réunions des comités du plan
ont validé des décisions prises en commun
mais aussi que cette dynamique de décision
n’apparaît plus après le printemps 2020.
L’appauvrissement
du
rôle
des
instances,
davantage que le nombre de leurs réunions,
signale l’étiolement de la coordination entre
les acteurs passée la période exceptionnelle
du printemps 2020. Ce point est corroboré
par les comptes rendus des réunions qui
témoignent
d’échanges
moins
nourris
qu’au début de la mise en œuvre du plan. Ils
attestent que les réunions prennent de plus
en plus la forme d’un tour de table, chaque
acteur décrivant ses actions et exposant ses
problématiques propres. Dans leurs réponses
au rapport provisoire de la Cour, le préfet de
région et le préfet de police ont contesté cet
essoufflement. La Ville de Paris a indiqué
que les comptes rendus ne reflètent pas
complètement la réalité des échanges. Or, ils
auraient dû constituer un outil essentiel de
traçabilité des décisions et de diffusion des
informations dans les services concernés et les
opérateurs associatifs.
Le contraste
a posteriori
avec le pilotage
serré du plan au cœur de la crise sanitaire
Le déficit croissant de coordination apparaît
manifeste par comparaison avec la période
exceptionnelle de la crise sanitaire à son
acmé, au printemps 2020. Alors même que les
acteurs institutionnels étaient très mobilisés
par ailleurs, les instances de pilotage du plan
ont été fortement et efficacement réinvesties.
Sous un format
ad hoc
, six réunions se sont
tenues entre le 14 avril et le 26 mai 2020
ainsi que trois points opérationnels, pour
organiser et coordonner les actions destinées
aux personnes toxicomanes. Les comptes
rendus traduisent un véritable pilotage. Les
réunions de cette période se distinguent par
leur caractère opérationnel et conclusif. Le
partage d’informations précises et chiffrées
soutient la prise de décisions stratégiques. Les
difficultés et freins sont clairement identifiés
et débouchent sur la recherche collective de
solutions, assorties d’engagements fermes
et concrets des parties. Les contacts et la
coopération qui existaient déjà entre acteurs
du « plan crack » ont facilité la réponse
rapide et massive apportée via l’extension
exceptionnelle
de
l’hébergement
hôtelier
et de l’accompagnement social gérés par
l’association
Aurore.
L’attention
prioritaire
portée aux personnes les plus précaires a
facilité le financement de leur mise à l’abri.
Mais la coordination ne s’est pas maintenue
à ce niveau, ni même rétablie au niveau
initialement prévu, après le printemps 2020.
Les faiblesses apparues dans l’articulation
des différents dispositifs
Dans la pratique, l’approche en termes de
parcours, qui sous-tend la logique d’ensemble
du
plan,
s’est
appliquée
avec
quelques
difficultés dans les cas individuels. Ainsi,
l’injonction
thérapeutique
prononcée
par
la justice, qui consiste en un suivi médical
par
des
psychologues
et
éventuellement
des
psychiatres,
ne
s’accompagne
pas
nécessairement d’une solution d’hébergement
alors qu’il s’agit pourtant d’un facteur clef pour
la continuité des soins.
32
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
De plus, les retards de mise en place des
différentes étapes du parcours en perturbent la
fluidité et peuvent donner l’impression de son
inefficacité du fait de la poursuite ou de la reprise
de troubles causés par des consommateurs
laissés ou rendus à l’espace public.
Au début de la mise en œuvre du plan, la priorité
a été donnée aux maraudes qui n’avaient
initialement guère de solutions d’orientation
à proposer faute de pouvoir déjà dérouler la
suite du parcours. La déconnexion entre les
actions est patente en particulier pour l’espace
de repos de la Porte de la Chapelle : destiné
aux consommateurs de la colline du crack, il
a ouvert juste après son évacuation et a donc
peiné à trouver son public.
B - L’essoufflement de la dynamique
initiale du plan
Le fléchissement de la mise en œuvre
d’actions nouvelles
L’affaiblissement de la coordination apparaît
corrélé à l’essoufflement de la dynamique
de
réalisation
des
actions,
aussi
bien
temporellement
que
fonctionnellement.
Les actions dépendant d’un seul acteur ou
d’opérateurs
de
même
nature,
s’avèrent
également plus avancées que celles impliquant
la coopération de plusieurs d’entre eux.
Le rythme de réalisation a connu un premier
fléchissement dès le second semestre de
2019.
Après
la
mobilisation
intense
du
printemps 2020, la seule réalisation porte sur
la prorogation des 400 places d’hébergement
en hôtel du dispositif Assore. En revanche,
la mise en œuvre des actions nouvelles
s’est essoufflée. De même, l’état des lieux
et les décisions prises diffèrent peu entre
deux
réunions
d’instance
pourtant
plus
espacées. Alors que le comité opérationnel
de novembre 2020 avait décidé la création
de trois groupes de travail (préparation d’un
document de communication, acceptabilité
vis-à-vis des riverains, gestion de l’occupation
de la voie publique), aucun n’avait vu le jour au
printemps. Pourtant, les décisions du comité
du 10 mai 2021 se limitaient à créer deux
autres groupes de travail : le premier dédié à
la thématique de l’espace public réunissait les
parties prenantes, dont des riverains, sous le
pilotage de la préfecture de région, en lien avec
la Ville de Paris et l’ARS ; le second consacré au
parcours de soins des consommateurs de crack
était piloté par l’ARS en lien avec la préfecture
de région et la Ville de Paris. Ces groupes de
travail se sont réunis en juin 2021, augurant
possiblement une relance de la dynamique
en fin de plan, comme l’atteste l’ouverture de
nouvelles places d’UHS en juillet 2021.
L’absence d’actualisation d’un plan
pourtant conçu comme évolutif
Tel
qu’il
a
été
conçu
initialement,
la
mise
en
œuvre
du
plan
impliquait
une
actualisation ou une revue périodique. En
effet, l’échéancier associé à chaque action ne
courait généralement pas au-delà de 2019.
Les rares mesures programmées pour 2020
ou 2021 portaient sur le suivi ou l’évaluation.
Cette exigence était rappelée dès le comité
opérationnel du 15 mars 2019 par le directeur
de l’ARS : «
de par sa nature innovante, cette
politique devra être évaluée en permanence et
de manière transparente, d’autant plus qu’elle
repose sur une multitude d’acteurs
». Or, les
actions inscrites dans le plan en mai 2019 et
non engagées en 2020 et 2021 n’ont pas été
relancées ni même réexaminées. Les facteurs
bloquants, non anticipés, n’ont pas davantage
été analysés. Aucune actualisation n’est encore
intervenue alors que la crise sanitaire a conduit
à profondément infléchir les priorités du plan.
COUR DES COMPTES
33
C - Le défaut de suivi de l’exécution
du plan à l’origine de la perte
d’une vision partagée
Des indicateurs de suivi adaptés
à un plan expérimental
Le « plan crack » avait une dimension innovante
et expérimentale. L’un de ses apports était
d’apprécier l’efficacité des dispositifs retenus,
de relever ceux qui donnaient les meilleurs
résultats, d’en tirer des enseignements sur les
conditions de leur mise en œuvre.
Pour
chacune
des
actions
programmées,
le plan définit un ou plusieurs indicateurs,
souvent
quantitatifs
mais
généralement
descriptifs et non prescriptifs : peu d’objectifs
chiffrés ont été fixés. À sa conclusion, ce choix
a été justifié et revendiqué par les signataires
en raison de leur relative méconnaissance à
l’époque du nombre et des caractéristiques des
consommateurs de crack, d’où l’axe consacré
à une meilleure connaissance de leurs profils
et usages. Cette option paraît cohérente et
adéquate : le management par les indicateurs
présente
de
nombreux
biais
connus
et
documentés et se prête mal à l’ambition
expérimentatrice d’un plan comprenant une
forte dimension qualitative.
Pour autant, le suivi de la mise en œuvre du
plan et son évaluation étaient consubstantiel à
la démarche adoptée. Or, l’investissement des
diverses parties prenantes du plan dans le suivi
de son exécution paraît nettement en retrait
de leur engagement dans son élaboration puis
sa déclinaison opérationnelle.
Des indicateurs renseignés
mais non suivis au niveau global
Le plan comprenait un état des lieux des
moyens mobilisables, notamment en places
d’hébergement,
mais
le
niveau
initial
des
indicateurs retenus n’a pas été renseigné et
présenté au sein des instances de gouvernance, ce
qui a compliqué ensuite la mesure de son efficacité.
Surtout, le suivi de ces indicateurs s’est
opéré « en silos » : ils sont renseignés par les
opérateurs de terrain et discutés dispositif par
dispositif avec le ou les financeurs, mais ce suivi
est parcellaire, non consolidé, et ne débouche
pas sur vision d’ensemble de l’exécution d’un
plan qui se voulait intégrée.
Alors que le protocole prévoyait «
un suivi de la
mise en œuvre et une évaluation chaque année
»,
aucun point de l’ordre du jour des différentes
instances n’y a été consacré. Là encore, seules
les réunions imposées par le contexte de la
crise sanitaire ont conduit à la remontée et au
suivi de données chiffrées, essentiellement sur
l’hébergement en hôtel (Assore).
L’examen de bilans intermédiaires étaient
inscrits à l’ordre du jour des réunions du
comité opérationnel du 28 novembre 2020 et
du comité de pilotage du 10 mai 2021. Lors
de la première, certains des signataires ont
présenté quelques chiffres mais aucune revue
des indicateurs n’a eu lieu. Lors de la seconde,
l’examen s’est avéré encore plus succinct,
réduit à l’expression par chaque signataire
de ses impressions à l’égard des actions le
concernant. Aucun support ni note n’a été
produit ou discuté lors dans ces deux instances.
Un relevé des indicateurs du plan a été entrepris
en octobre 2020 mais seule la Ville de Paris, en
lien avec l’ARS, a renseigné le document pour
les actions relevant de sa responsabilité. Ce
relevé n’a d’ailleurs jamais été évoqué au sein
des instances de gouvernance.
En termes financiers, il s’avère difficile de suivre
les crédits consacrés au « plan crack » et surtout
de les distinguer des sommes déjà engagées
antérieurement, aucun suivi spécifique de
la consommation des crédits alloués au
plan n’ayant été effectué. Le défaut de suivi
empêche
ex post
de tirer les enseignements
des réalisations et d’interprêter leurs résultats.
34
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Une culture commune
qui s’est estompée
En l’absence de base objective de discussion,
des discordances sont apparues sur le degré
de mise en œuvre de quelques actions.
Leurs
pilotes
les
ont
identifiées
comme
largement réalisées tandis que les associations
opératrices les ont estimées à peine entamées.
Ce décalage interroge sur la compréhension
partagée de la mise en œuvre du plan.
Au-delà, la perspective d’une vision commune
s’est éloignée alors que la démarche au
fondement du plan ambitionnait de rapprocher
des acteurs aux cultures professionnelles
différentes, voire divergentes. Plusieurs acteurs
ont indiqué à la Cour leur sentiment que les
problématiques dont ils ont la charge sont
insuffisamment considérées par les autres
acteurs ou encore que l’attente vis-à-vis de
leurs actions dépasse leur capacité à agir.
En
outre,
la
Cour
a
relevé
des
visions
discordantes relatives non seulement aux
consommateurs et à leurs problématiques
mais aussi aux actions conduites à leur endroit
et à leur perception par les autres acteurs
du plan. La préfecture de police estime par
exemple que l’action des forces de l’ordre
est ressentie par les associations comme
contrariant leur relation aux consommateurs
alors que celles-ci expriment une appréciation
beaucoup plus nuancée, voire louent le travail
policier et la bonne communication de terrain.
La préfecture de police considère pourtant
la coopération avec les associations comme
indispensable
à
la
réussite
des
missions
de police : les objectifs des parties sont
concordants mais non communs et partagés.
La vision qu’ont les différents acteurs du public
des
consommateurs
est
nécessairement
incomplète
:
par
exemple,
la
préfecture
de
police
a
principalement
affaire
aux
consommateurs à la rue et se trouve peu
confrontée aux consommateurs stabilisés qui
génèrent beaucoup moins de troubles. Par
conséquent, elle perçoit moins nettement que
les associations gestionnaires des dispositifs
d’accompagnement les chances de succès
d’une prise en charge médico-sociale. Des
retours réguliers sur la mise en œuvre des
différentes actions et de leur impact auraient
sans doute permis d’assurer une meilleure
compréhension de l’action de chacune des
parties et de construire ainsi une culture et
une vision partagées.
Cette
absence
de
socle
commun
peut
aller jusqu’à obérer l’efficacité des actions.
Ainsi, d’après le compte rendu du comité
opérationnel du 8 janvier 2020, la préfecture
de police a conclu au bilan positif de l’espace
de repos de la porte de la Chapelle au motif de
son manque de fréquentation, ce qui contredit
totalement l’objectif assigné à ce dispositif,
clairement traduit par les indicateurs retenus.
Cependant, ceux-ci n’ayant pas été rappelés,
la contradiction a été éludée et le défaut
de partage des objectifs par l’ensemble des
signataires s’est installé.
Faute de vision globale, les activités des parties
prenantes peuvent en venir à se contrecarrer.
Ainsi, les interpellations de consommateurs
de
crack
donnent
généralement
lieu,
conformément aux directives du parquet de
Paris (pourtant signataire du plan comme
la préfecture de police), à la destruction des
pipes à crack qui sont trouvées par les forces de
l’ordre sur les personnes interpellées. Pourtant,
celles-ci font souvent partie du matériel
d’inhalation à moindre risque distribué par les
CAARUD ou l’association Safe et financés par
l’ARS, la Ville de Paris et la Mildeca.
COUR DES COMPTES
35
Une évaluation encore parcellaire
Il en va de même de l’évaluation du plan,
qui
constitue
l’aboutissement
logique
de
l’approche globale et expérimentale retenue.
Quoiqu’évoquée dans le protocole lui-même,
elle n’a pas à ce jour été définie dans ses
modalités. Les signataires s’accordent sur la
nécessité d’une évaluation, d’un bilan ou au
moins d’un retour d’expérience mais aucun
d’entre eux n’a encore préfiguré l’exercice.
Des
bilans
de
dispositifs
particuliers,
notamment les plus importants en termes
de financement, ont été établis par les
associations
gestionnaires
(notamment
sur
l’hébergement
en
hôtel
Assore,
en
appartements thérapeutiques Phase et les
maraudes) dans le cadre de leurs obligations
à l’égard des financeurs. La Ville de Paris a en
outre commandé à une experte indépendante
une évaluation du mode d’hébergement en
hôtel durant la crise sanitaire, qui conclut à
un bilan globalement positif sous réserve
d’un
accompagnement
suffisant
des
consommateurs et des hôteliers.
Toutefois, aucune évaluation du plan dans son
ensemble, dans une perspective de parcours,
en recueillant la parole de l’ensemble des
parties prenantes, n’a été prévue à ce jour.
D - Le dépassement du « plan crack »
par d’autres instances et initiatives
Du fait de son relatif désinvestissement au
fil du temps, notamment au cours de l’année
passée, le cadre posé par le plan voit sa
légitimité concurrencée et n’est plus forcément
reconnu comme le bon niveau de traitement
de la problématique du crack. S’opèrent un
mouvement de dépassement et l’émergence
d’instances concurrentes.
Des acteurs plus distanciés
Le repli de certains acteurs sur leur strict
champ de compétence et leur retrait de
certains projets menés dans le cadre du
plan crack traduit ce contournement. Ainsi,
la préfecture de police n’a pas souhaité voir
son logo figurer sur l’étude « crack en Seine
» prévue à l’action 31, et justifie ce refus par
le fait que «
[le] rapport [est] centré sur une
étude sociale, sociologique et médicale de la
population des consommateurs, objet qui est
très éloigné de son champ de compétence. Il ne
s’agit ni d’un désengagement ni d’un désaveu
mais l’effet d’un raisonnement administratif
».
La concurrence d’autres instances
et circuits de décision
D’autres instances prennent le pas sur celles
mises en place autour du plan crack. Le parquet
de Paris et la préfecture de police se réfèrent
plus souvent au groupe local de traitement
de la délinquance (GLTD) « crack »
18
qu’aux
comités opérationnels et aux comités de
pilotage du plan. Les associations chargées de
la mise en œuvre du plan disposent aussi de
leurs propres instances de coordination et de
gouvernance, notamment via l’espace de veille
mis en place par la Ville de Paris, qui réunit
l’ensemble des CAARUD et l’ARS.
18. Les membres du GLTD « crack » sont : le Parquet de Paris, la Ville de Paris, la RATP, la SNCF, la Direction de la sécurité
de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), la Direction régionale de la police judiciaire (DRTJ) de la préfecture
de police de Paris, l’ARS IDF et la Mildeca.
36
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
La translation est patente concernant la
procédure
suivie
lors
des
évacuations
:
initialement
abordées
lors
du
comité
opérationnel
préalable,
en
présence
des
acteurs institutionnels et associatifs, elles sont
depuis septembre 2020 discutées uniquement
entre la préfecture de police, la préfecture de
région et la mairie de Paris, comme l’a confirmé
la première à la Cour. Les associations et la Ville
de Paris le déplorent, estimant que ce travail
d’organisation était utile car il leur permettait
d’anticiper l’accueil et la prise en charge
d’une partie des consommateurs évacués. La
Ville de Paris considère au demeurant qu’il
conviendrait de «
clarifier la comitologie
»
du plan crack et notamment, outre «
la
programmation régulière des instances
», «
le
niveau de représentation attendu pour chaque
instance
».
Le « plan crack » désormais débordé
par des initiatives citoyennes
L’interrogation autour de l’efficacité et même
de l’effectivité du plan a motivé la création
d’un observatoire citoyen de la toxicomanie
en février 2021 à l’initiative du maire du
19
ème
arrondissement afin «
d’évaluer et
orienter les actions engagées ou à engager
»
au regard de «
l’expertise citoyenne
». Cet
observatoire, animé par Jean-Pierre Couteron,
psychologue au sein de l’association Oppélia-
Charonne, réunit des membres d’associations
de riverains ainsi que des citoyens tirés au
sort. Il conduit des groupes de travail qui ont
procédé à l’audition de différents acteurs du
plan. Or, ni les remontées ni même l’existence
de cet observatoire n’ont été abordés lors
des instances de gouvernance. Ils n’ont pas
davantage été évoqués lors des entretiens
conduit par la Cour. Il n’est pas neutre d’ailleurs
que les riverains n’aient pas été représentés au
sein des instances du plan.
Une
nouvelle
instance,
citoyenne
et
non
institutionnelle, s’est mise en place. Elle pourrait
susciter
l’émergence
d’autres
initiatives
concurrentes. Pour parer ce risque, la Ville de
Paris a annoncé en juin 2021 son intention de
pérenniser un comité de suivi citoyen.
La relance hors plan par les signataires
eux-mêmes
Le protocole conclu en 2019 est également
débordé par les prises de positions publiques
antagonistes de ses signataires ou encore
par leurs initiatives prises en dehors de son
cadre. Ainsi, la Ville de Paris s’est retiré de la
concertation propre du « plan crack » pour saisir
directement le Premier ministre et solliciter
une relance de l’action publique avec l’appui
du gouvernement. Cette initiative a débouché
sur l’insertion d’une disposition dans le projet
de loi de financement de la sécurité sociale
(PLFSS) pour 2022 relative à la création de
« haltes soin addiction ».
En réponse au rapport provisoire de la Cour, la
maire de Paris a indiqué que cette disposition
reprend sa proposition «
de sortir d’une
logique de silo entre les différents dispositifs
ambulatoires
de
premier
accueil
(…)
et
d’intégrer la consommation supervisée dans une
approche globale du parcours de stabilisation
et de réinsertion des consommateurs de
crack
». Cette affirmation résonne comme la
reconnaissance implicite de l’échec, au moins
partiel, du « plan crack » dans la mesure où
faire primer une approche globale du parcours
de prise en charge sur la logique de silo était
l’un de ses objectifs majeurs.
Pour la Ville de Paris, il s’agit désormais de
développer un «
réseau de petites unités ouvertes
jour et nuit, combinant hébergement temporaire,
soin et consommation supervisée
». En septembre,
conformément à cette orientation, après avoir
expertisé 35 lieux au cours de l’été, la Ville de
Paris a proposé quatre sites en vue d’ouvrir de
nouveaux espaces intégrés de prise en charge
des usagers de crack.
COUR DES COMPTES
37
LISTE DES ABRÉVIATIONS
ACT :
Appartement de coordination thérapeutique
Assore :
Accompagnement Social et aux Soins, Orientation Réinsertion Ensemble
ARS :
Agence régionale de santé
CAARUD :
Centre d’Accueil d’Accompagnement à la Réduction des risques
pour Usagers de Drogues
CSAPA :
Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie
DRIHL :
Direction
régionale
et
interdépartementale
à
l’hébergement
et au logement
GLTD :
Groupe Local de Traitement de la Délinquance
ILS :
Infraction à la Législation des Stupéfiants
Inserm :
Institut national de la santé et de la recherche médicale
LAM :
Lits d’Accueil Médicalisé
LHSS :
Lits Halte Soin Santé
Mildeca :
Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites
addictives
MMPCR :
Mission Métropolitaine de Prévention des Conduites à Risques
OFDT :
Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
PLFSS :
Projet de loi de financement de la Sécurité sociale
PP :
Préfecture de police
Prif :
Préfecture de la région Île-de-France
RATP :
Régie autonome des transports parisiens
RDRD :
Réduction des Risques et des Dommages
SCMR :
Salle de Consommation à Moindre Risque
TAPAJ :
Travail alternatif payé à la journée
ANNEXES
38
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Annexe n° 1.
Les 33 actions du plan crack
Annexe n° 2.
L’accompagnement médico-social
Annexe n° 3.
La fréquence des réunions des instances de gouvernance du plan
COUR DES COMPTES
39
Axe 1 - Accompagner les consommateurs pour réduire les risques
et les dommages et favoriser les parcours de soins
1.1.
Renforcer les maraudes médico-sociales
de réduction des risques
(action 1) et souterraines (action 3), et créer deux nouveaux types de maraudes :
une maraude spécialisée sur la médiation de proximité auprès des riverains,
commerçants et consommateurs de l’espace public (action 2) et des maraudes
interdisciplinaires psychiatriques et sociales (action 5). La coordination avec les
maraudes sociales doit être renforcée (action 4) et les interventions médico-psy-
sociales doivent favoriser le suivi des cas complexes, notamment des doubles
diagnostics (action 6). Un système d’information permettant de mettre en place
des modalités d’évaluation de la situation des personnes, de leur suivi et de leurs
parcours doit être développé (action 7).
1.2.
Améliorer l’accès au matériel de réduction des risques et des dommages
par le renforcement des actions existantes en matière d’accès au matériel de
consommation (actions 8 et 9) et l’évaluation qualitative du « kit crack » (action 10).
1.3.
Renforcer les dispositifs de premier accueil
(CAARUD, CSAPA, salle de
consommation à moindre risque) en étendant l’ouverture des structures, matin et
soir) (action 11), en ouvrant six lieux de repos en journée et/ou nuit (action 12) et
en réfléchissant à de nouveaux espaces de consommation supervisée en lien avec
l’évolution du cahier des charges national relatif à l’expérimentation des salles de
consommation à moindre risque (action 13).
Axe 2 - Héberger, mettre à l’abri, créer des espaces de repos et des unités
d’hébergement et de soin résidentiel dédiés afin de permettre une sortie
de la rue
2.1.
Augmenter le nombre de personnes suivies et mises à l’abri
dans le cadre
du dispositif Assore (action 14).
2.2.
Renforcer l’hébergement
à travers deux dispositifs existants, Phase
(action15) et les unités d’hébergement spécialisé (UHS, action 16), l’amélioration
de l’accès aux accueils de jour et aux centres d’hébergement de droit commun
(action 18) et la création de six places d’hébergement supplémentaires dédiées
aux consommateurs de substances psychoactives illicites faisant l’objet d’une
mesure d’injonction thérapeutique (action 17).
Annexe n° 1
Les 33 actions du plan crack
40
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
2.3.
Renforcer le soin résidentiel
grâce à la création de places d’hébergement
adossées à des CAARUD (action 19) et de places de lits halte soins santé (LHSS) et
de lits d’accueil médicalisés (LAM) (action 20), et au développement de passerelles
entre les dispositifs de réduction des risques et des dommages (RDRD) et les
dispositifs des « appartements de coordination thérapeutique – « un chez soi
d’abord » (action 21).
2.4.
Accéder aux dispositifs d’insertion
avec la mise en place d’un dispositif
expérimental d’insertion type « Travail alternatif payé à la journée - TAPAJ adultes »
(action 22).
2.5.
Mettre en place un dispositif d’accompagnement de personnes sous-main
de justice :
mesures d’injonction thérapeutique (action 23) ; dispositif expérimental
de lutte contre la récidive à destination des publics ayant des conduites addictives
(action 24).
Axe 3 - Intervenir dans l’espace public à la rencontre des consommateurs et
répondre aux besoins des habitants en vue d’améliorer la tranquillité publique :
renforcement de la vigilance par la remontée régulière d’informations
(action 25) ; renforcement des actions d’information et de formation des
acteurs du territoire (action 26) et des habitants (action 27) ; renforcement
du nettoiement et des aménagements urbains (actions 28 et 29) ;
amélioration de la coordination opérationnelle par la mise en place de
visio-conférences mensuelles (action 30).
Axe 4 - Améliorer les connaissances :
réalisation de l’étude « crack en Seine » sur
les usages, les profils des consommateurs et leurs besoins (action 31) ; élaboration
d’une carte des structures médico-sociales et sanitaires et des maraudes
(actions 32 et 33).
COUR DES COMPTES
41
L’accompagnement médico-social se présente comme une forme de parcours du
consommateur vers la réinsertion et la désaccoutumance du crack. Ce parcours
n’est pas toujours linéaire : de nombreux consommateurs ont besoin de plusieurs
allers-retours avant de franchir définitivement une étape et de se stabiliser.
Le point d’entrée se fait avec les
maraudes
et plus généralement les différents
dispositifs qui relève de « l’aller vers ». Les maraudes ont lieu en binômes, composés
généralement d’un travailleur social et d’un infirmier. Elles permettent d’entrer en
contact avec les consommateurs ou de maintenir un lien noué précédemment,
d’évaluer leurs demandes, d’identifier leurs besoins et d’orienter vers les structures
à même d’y répondre. Elles peuvent aussi distribuer du matériel de réduction des
risques ou dispenser quelques soins basiques (notamment traiter des plaies liées
aux brûlures de pipe à crack ou aux violences de la vie en rue).
Le contact peut aussi se nouer lors du premier accueil organisé dans les espaces
de repos qui offrent une halte en journée et proposent des lits, des douches, une
machine à laver et quelques activités. La
salle de consommation à moindre risque
(SCMR)
permet de consommer hors la rue, en sécurité, avec du matériel sûr et
sous supervision. Les consommateurs présentent le produit stupéfiant puis le
consomment en box individuel. Dans les deux types de structures, des travailleurs
sociaux accueillent et orientent les usagers.
Le traitement de l’addiction au crack se fait en ambulatoire dans les
CAARUD
(centre
d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des consommateurs
de drogues) et les
CSAPA
(centre de soins, d’accompagnement et de prévention
en addictologie). Les premiers sont des accueils permettant de dispenser du
matériel de réduction des risques, de répondre à des besoins primaires (accès à
l’hygiène, soins de base, contacts sociaux) et d’orienter vers la suite du parcours.
Les seconds impliquent de s’engager dans une démarche de soin et/ou de gestion
de sa consommation. Ils réunissent des équipes pluridisciplinaires pour évaluer
la situation médicale des consommateurs et traiter ou prévenir les conduites
addictives. Ils fonctionnent généralement sur rendez-vous.
Annexe n° 2
L’accompagnement médico-social
42
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
L’hébergement en chambre d’hôtel, comme au sein du dispositif
Assore
, ou en
appartement de coordination thérapeutique, comme dans les appartements
partagés du dispositif
Phase
, s’adressent à des consommateurs présentant des
problèmes de santé importants. Ces structures sont dites « à bas seuil » car
aucune condition n’est exigée pour y entrer. L’hébergement est considéré comme
un préalable qui facilite l’engagement dans une démarche de soins, de réinsertion,
de réduction de la consommation. Il s’accompagne d’un suivi important des
consommateurs (suivi psychologique et activités de réinsertion notamment)
visant à leur faciliter l’accès aux soins, à les aider à recouvrer leurs droits (papiers
d’identité, domiciliation, CMU, RSA, etc.) ou encore à préparer un projet de retour
au pays des personnes en situation irrégulière. Ces structures travaillent en lien
avec les CAARUD et les CSAPA.
Une fois le consommateur stabilisé, il peut évoluer vers d’autres dispositifs
d’hébergement, plus engageants, tels que l’hébergement social ou médico-social
de droit commun, ou le retour dans leur famille.
Les consommateurs présentant un état de santé dégradé peuvent bénéficier
d’un hébergement plus intensif en soins sous la forme d’un accueil temporaire
en
Lits halte soins santé (LHSS)
, pour ceux dont l’état sanitaire ne justifie pas une
hospitalisation mais n’est pas compatible avec une vie à la rue, ou d’un accueil
pérenne en
Lits d’accueil médicalisés (LAM)
, pour ceux atteints de pathologies
lourdes et chroniques, de handicaps, ou présentant un pronostic vital engagé à
moyen terme.
COUR DES COMPTES
43
Annexe n° 3
La fréquence des réunions des instances de gouvernance du plan
Comité
stratégique
Comité de pilotage
Comité
opérationnel
Réunions crise
sanitaire
2018
15 novembre
2019
15 janvier
14 février
15 mars
10 avril
17 mai
Signature du protocole le 27 mai 2019
28 mai
28 novembre
2020
8 janvier
26 novembre
14 avril
21 avril
28 avril
5 mai
12 mai
26 mai
2021
10 mai
Source : Cour des comptes d’après les comptes rendus communiqués par la préfecture de région
44
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Sommaire
45
Réponse du Premier ministre
48
Réponse du président de l’association Oppelia
Destinataires sans observation
Madame la Maire de Paris
Monsieur le président de l’association Nova Dona
Monsieur le président de l’association Safe
Monsieur le président du Groupement d’intérêt public SAMU social de Paris
Destinataires n’ayant pas répondu
Monsieur le président de l’Association Aurore
Madame la présidente de l’Association Gaïa Paris
RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS
ET ORGANISMES CONCERNÉS
COUR DES COMPTES
45
RÉPONSE DU PREMIER MINISTRE
J’ai pris connaissance avec attention du rapport que vous avez bien voulu m’adresser dans le cadre
du contrôle que vous avez diligenté sur la mise en œuvre du « plan crack » signé le 27 mai 2019.
À titre liminaire il convient de rappeler que ce plan, qui comprend 4 axes et 33 actions, est inédit et
ambitieux tant par le nombre d’acteurs qu’il mobilise que par les actions retenues et les montants
financiers mobilisés pour y répondre. Par sa construction, il avait pour objectif principal d’apporter une
réponse globale, structurée, coordonnée et graduée aux problèmes de santé publique. Le plan vise aussi
à lutter contre les trafics et à apporter une réponse aux enjeux de sécurité et de tranquillité publiques.
Je note que la Cour, dans sa synthèse, relève que le sujet a été véritablement pris en compte par les
services de l’État, avec la mise en place d’une réelle dynamique, que la majorité des actions prévues dans
ce plan ont été engagées et que les moyens financiers mobilisés ont très largement dépassé ceux prévus
à l’origine. La Cour relève ainsi qu’au regard de son objectif principal le plan a produit des résultats.
La Cour soulève également un certain nombre de critiques, considérant que le plan adopté en
mai 2019 aurait comporté des limites intrinsèques. La Cour en relève trois : l’insuffisante implication
des services de police et de justice dans le plan, celui-ci ne comportant aucune action spécifique
visant à renforcer l’interpellation des revendeurs l’insuffisant dimensionnement de l’hébergement
d’urgence et de l’ampleur d’ouverture horaire des espaces de repos ; enfin un relâchement de la
volonté de coordination des acteurs et un insuffisant suivi de l’exécution du plan.
Ces critiques ne me paraissent pas refléter la réalité du déploiement du plan crack, des résultats
obtenus et n’abordent pas les causes réelles de l’insuffisant déploiement de celui-ci pour celles de
ses actions qui n’ont pu être entièrement mises en œuvre.
1/ - S’agissant des supposées limites dans le pilotage et la conduite du plan « crack »
Ainsi, les critiques sur le pilotage ou la coordination du plan paraissent en profond décalage avec
la reconnaissance de la bonne réalisation de nombre d’actions. La Cour critique le manque de suivi
du plan. Je relève que les comités de pilotage se sont tenus à échéance très régulière, ils ont réuni
les parties prenantes du plan et permis de dresser le bilan des actions conduites.
Loin d’être retombée, il apparaît que la dynamique d’animation du plan crack s’est intensifiée en
2021. Ainsi, depuis le 10 mai 2021, le comité de pilotage, instance stratégique de conduite du plan
crack, a été réuni à trois reprises par le préfet de la région d’Île-de-France.
Se sont en outre tenues de multiples réunions opérationnelles, réunissant, toujours à l’initiative
du préfet de la région d’Île-de-France, les acteurs du plan crack, dont les associations. Cinq de ces
réunions se sont ainsi tenues depuis le 24 septembre.
La question semble davantage être celle de la non réalisation par certains acteurs d’actions leur
incombant et non celle de la coordination de l’ensemble qui a fonctionné très correctement, y
compris pendant les périodes aiguës de la crise sanitaire.
Ainsi, s’agissant de l’ouverture des espaces de repos, dont deux seulement sont ouverts à ce jour,
sur les six que prévoit le plan, l’ouverture des quatre sites supplémentaires, qui sont nécessaires
pour la bonne prise en charge des consommateurs et la réduction de l’occupation illicite de la voie
publique, bute sur l’absence de lieux d’installation de ces dispositifs.
46
LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
Les crédits nécessaires pour assurer le fonctionnement de ces structures sont disponibles et
mobilisables à très courte échéance par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, de
multiples opérateurs potentiels existent et se montrent disponibles pour les ouvrir. Demeure la
nécessité de trouver les lieux d’implantation que la Ville de Paris devait notamment proposer.
La même difficulté a fortement retardé la réalisation des actions du plan crack visant à développer
des solutions « aval » au dispositif de prise en charge dans l’hébergement d’urgence. L’État a prévu
les financements nécessaires pour procéder à l’ouverture des lits spécialisés (Lits haltes soin santé
et lits d’accueil médicalisés) nécessaires pour prendre en charge les consommateurs stabilisés dans
le dispositif d’hébergement d’urgence et ayant vocation à en sortir. Les opérateurs sont également
disponibles. Ne manquent que les lieux pour pouvoir accueillir ces dispositifs. Les propositions de
la Ville de Paris sont également attendues sur ce point.
Ce rapport appelle de ma part quelques observations complémentaires quant aux constats et
recommandations présentés par la Cour.
2/ - S’agissant de l’objectif de sevrage des consommateurs et de la lutte contre les trafics
Le rapport indique : « Le plan crack ne vise pas directement l’arrêt de la consommation par les
toxicomanes, ni l’élimination du trafic » ; puis
« 1.31 L’absence de volet sur la lutte contre le trafic ».
L’arrêt de la consommation n’est effectivement pas cité explicitement comme objectif du plan mais
l’accompagnement des consommateurs de crack par les équipes médico-sociales conduit à des
propositions de soins, notamment addictologiques, incluant l’évaluation des possibilités de sevrage.
C’est d’ailleurs ce qui ressort du point d’étape du projet « Assore » (Accompagnement social et
aux soins, orientation réinsertion ensemble) d’octobre 2020. Eu égard à la complexité de la prise
en charge médico-sociale des usagers de crack, les effets sur l’offre de produit et l’occupation de
l’espace publique ne peuvent être escomptés qu’à moyen ou long terme.
S’agissant de la lutte contre le trafic de crack à Paris, elle s’inscrit plus largement dans le cadre de
la mise en œuvre du plan national de lutte contre les stupéfiants, annoncé le 17 septembre 2019.
Ce plan national comporte un ensemble de mesures opérationnelles, comme le programme
« bouclier » aux Antilles, les actions dans les ports et la lutte contre le phénomène des « mules »
(formalisée dans un protocole interministériel). Il comporte aussi une action déterminée d’entrave
à l’approvisionnement en cocaïne et une lutte renforcée contre le trafic sur la place parisienne,
ciblant notamment les cuisines de crack et les revendeurs.
La lutte contre les trafics de stupéfiants est bien une priorité du Gouvernement, dont la
détermination est totale et j’ai présidé, le 28 mai dernier, un comité interministériel dédié à la lutte
contre les trafics.
3/ - S’agissant des salles de consommation à moindre risque (SCMR) et des haltes soins addictions (HSA)
La Cour, dans son rapport, indique « le plan se propose simplement de réfléchir à la mise en place
de SCMR. [...] l’intérêt des SCMR destinées aux « inhaleurs » est mentionné dans toutes les études
ayant précédé le plan crack... ».
COUR DES COMPTES
47
Le plan crack ne pouvait pas porter en 2018 / 2019 une mesure de création d’une nouvelle SCMR (qui
relève d’un arrêté du ministre chargé de la santé), tant la mise en place d’un tel dispositif nécessite
au préalable un travail local pour forger un consensus fort sur ce besoin supplémentaire et sur
l’identification d’une localisation adaptée tenant compte des scènes ouvertes de consommation,
de la configuration des lieux et de l’acceptabilité pour les riverains.
Le rôle de la collectivité locale est à cet égard central, comme l’a au demeurant souligné le rapport
d’évaluation de l’expérimentation des SCMR rendu par l’Inserm cette année. L’État a indiqué à la
Ville de Paris qu’il jouerait tout son rôle pour les sites qu’elle proposerait dans le cadre législatif et
réglementaire.
Toutefois, pour tenir compte de l’intérêt de ce dispositif pour les « inhaleurs », le ministère des
solidarités et de la santé a procédé, en lien avec la Mildeca, à une modification du cahier des charges
des SCMR (arrêté du 15 juillet 2019 modifiant l’arrêté du 22 mars 2016 portant approbation
du cahier des charges nationales relatif à l’expérimentation d’espaces de réduction des risques
par usage supervisé, autrement appelés salles de consommation à moindre risque). Il ne paraît
donc pas approprié d’indiquer que les mesures du plan crack n’auraient pas connu d’évolution ou
d’adaptation.
Le rapport regrette « Le dimensionnement des actions en-deçà de l’importance du public visé » et
que « le plan n’ait pas été dimensionné pour absorber cet afflux ».
II était et reste très difficile de quantifier précisément le nombre d’usagers de crack ayant besoin
d’un hébergement et / ou d’accompagnement médico-social.
Comme le relève la Cour elle-même, les profils des consommateurs de crack ne sont pas homogène :
certains, plus insérés, peuvent être ponctuellement présents dans l’espace public, alors qu’ils
disposent d’un logement ou d’un hébergement par ailleurs.
Il faut ajouter à cette diversité des profils, la mobilité des usagers, alors que les scènes ouvertes
sont situées à proximité d’autres communes. L’axe 4 du plan vise précisément à mieux connaître
le phénomène et les personnes concernées (l’un des résultats est la publication de l’étude « crack
deletude-crack-en-Île-de-France/). Ces travaux ont été financés et conduits conformément aux
engagements pris dans le cadre du plan crack.
Enfin, j’ai été quelque peu surpris de lire dans le rapport de la Cour, « cette initiative [de la maire de
Paris] a débouché sur l’insertion d’une disposition dans le PLFSS pour 2022 relative à la création
de haltes soins addiction ».
Ce n’est pas à la suite d’une suggestion de la Ville de Paris que le Gouvernement a travaillé
sur l’avenir des SCMR, après la publication des résultats de l’important travail d’évaluation de
l’expérimentation du dispositif conduit par l’Inserm et financé par la Mildeca.
La nouvelle disposition législative dépasse très largement la problématique du crack à Paris et
entend être une réponse aux besoins identifiés dans d’autres villes françaises.
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LA MISE EN ŒUVRE DU « PLAN CRACK » À PARIS
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION OPPELIA
L’association Oppelia se félicite qu’un premier bilan du plan crack à Paris ait été établi par les
pouvoirs publics.
Intervenant depuis très longtemps sur différents quartiers parisiens (l’association Charonne
ayant fusionné avec Oppelia en 2017), notre association partage l’essentiel des analyses et des
conclusions du pré-rapport de l’audit-flash réalisé par la Cour des Comptes sur la mise en œuvre
du « plan crack » à Paris.
Nous souhaitons néanmoins faire les remarques et apporter les contributions suivantes.
1 - Deux points ressortent du pré-rapport avec lesquels nous exprimons notre plein accord : d’une
part, le délitement du « socle » et des objectifs communs posés initialement et d’autre part les modes
de gouvernance et de coordination des parties prenantes. Les difficultés de coordination entre les
différents acteurs publics ont en effet fortement réduit nos capacités d’action médico-sociale.
Nous saluons par contre la reconnaissance de nos interventions de terrain, notamment des
maraudes de rue auxquelles nous sommes très attachés.
2 - Les nouvelles évacuations de la « scène » et les désaccords polémiques apparus publiquement
entre les différentes autorités publiques ces derniers mois, notamment entre la Ville de Paris et
la Préfecture de police, ont fortement contribué à l’affaiblissement de la dynamique initiale. Ces
différends ont été exacerbés d’une part par les « actions citoyennes » (selon les termes employés
par les auditeurs) des riverains confrontés à une extension des nuisances et de l’insécurité ressentie.
Bien qu’il ne nous appartienne pas d’en juger, le contexte pré-électoral actuel n’est-il pas propice à
l’instrumentalisation des difficultés et aux difficultés de vue, voire les dissensions, entre les acteurs
publics.
3 - Or, la complexité des domaines d’action et la multiplicité des acteurs, ainsi que les sentiments
des habitants des quartiers concernés, demandent qu’un tel plan soit mis en œuvre avec un accord
très fort sur ses objectifs et une gouvernance plurielle très solide.
Sa mise en œuvre nécessite également une coordination à plusieurs étages, selon ce qui avait été
formellement prévue au départ.
Force est de constater, comme le fait le rapport de façon détaillée, que ces éléments indispensables
sur le terrain ont peu à peu dysfonctionné.
4 - À ces constats, nous en ajoutons deux autres qui nous apparaissent des éléments importants
dans les raisons de « l’échec » du plan, et qui devraient être pris en compte pour la réussite d’un
« plan II » qui s’avère quoi qu’il en soit indispensable :
- Le premier concerne les parties prenantes.
Le pré-rapport souligne à juste raison la faiblesse, pour ne pas dire l’absence, de prise en compte
des paroles des habitants riverains. Il note en termes positifs la volonté de la Ville de Paris d’intégrer
davantage cette dimension en s’appuyant notamment sur l’expérience de « l’observatoire citoyen » mis
en place cette année par la Mairie du 19ème arrondissement. Cela nous semble effectivement impératif.
COUR DES COMPTES
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Mais une autre partie prenante, pourtant au centre des actions et des préoccupations, est
totalement absente de toutes les discussions, des projets et analyses des problèmes auxquels le
plan veut répondre : les usagers de crack eux-mêmes. Ce point aveugle nous paraît un facteur
prépondérant de l’échec. Depuis l’épidémie de sida nous savons pourtant que rien ne peut être fait
pour les usagers sans les usagers. Cela pose bien évidemment un problème de méthodologie et de
construction d’une parole collective auquel ils n’ont pas du tout accès habituellement.
Avec l’association d’auto-support ASUD, l’association Oppelia s’efforce actuellement d’amorcer
cette démarche, mais cela ne peut être une initiative isolée et elle devrait être prise en charge, ou
du moins soutenue, par l’ensemble des parties prenantes et des autorités publiques concernées,
et, sur le terrain, par les acteurs associatifs en contact avec les usagers.
Dans ce même sens, nous regrettons également l’absence des services de psychiatrie publique,
pourtant très concernés par une population, dont une bonne partie souffre de troubles psychiques,
des troubles qui sont souvent au premier plan dans les problèmes de comportement sur la voie
publique.
-Le second constat concerne la coordination des acteurs associatifs impliqués et porteurs de
différents projets médico-sociaux. Cette coordination inter-associative (et pas seulement entre les
CAARUD) nous semble relever des compétences l’ARS.
Or, si quelques réunions se sont tenues, elles ne l’ont pas été dans un esprit suffisamment coopératif
et n’ont pas abouti à une complémentarité suffisante entre les acteurs de terrain. Ainsi, ce sont
trop souvent des logiques de concurrence et de méfiance qui se sont développées... À plusieurs
reprises, la Fédération Addiction a dû intervenir, à la demande des acteurs de terrain, pour faciliter
la reprise du dialogue et des échanges sur les interventions de chacun et sur les projets communs.
5 – Cela étant dit, l’association Oppelia a la ferme volonté de poursuivre sa mission dans la difficile
situation du crack à Paris, et elle assure les pouvoirs publics de son complet engagement, à la
fois technique dans ses interventions médico-sociales, et politique dans la prise en compte des
addictions.
Le présent rapport
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
AUDIT FLASH
Décembre 2021