PRÉSENTATION A LA PRESSE DU RAPPORT
SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE
Conférence de presse
Mardi 5 octobre 2021 - 14h30
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous présenter
l’édition 202
1
de notre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale
(RALFSS). J
’ai
à mes côtés
Denis Morin
, le président de la sixième chambre,
Carine Camby,
la
rapporteure générale de la Cour et
Stéphane Seiller
, conseiller maître, qui est le rapporteur
général de ce gros et beau rapport. Je salue également la présence dans la salle du rapporteur
général adjoint,
Thibault Perrin.
Je souhaite les remercier chaleureusement pour leur
implication et plus que cela pour leur travail
, ainsi que la vingtaine d’autres rapporteurs
qui
ont contribué à ce travail lourd
–
dans tous les sens du terme, approfondi et que je crois
profondément utile.
Le rapport que je vais vous présenter maintenant est établi, comme chaque année, dans le
cadre de la mission d’assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement
. Il
accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, qui sera déposé
cette semaine sur le bureau de l’Assemblée nationale. J’irai d’ailleurs
demain devant les
commissions des affaires sociales de l’Assemblée et du Sénat
pour présenter nos constats et
nos recommandations.
Ce rapport est
–
vous le savez - un exercice traditionnel pour la Cour. Traditionnel certes
mais pour la deuxième année consécutive, il intervient dans un contexte qui, lui, est
particulier, qui est celuide la pandémie de Covid 19
.
Il n’a échappé à personne que l’année
2021 a encore et toujours été
marquée par la crise sanitaire, qui s’est installé
e dans la durée
et qui a durablement
bouleversé l’économie de notre pays
et la vie de nos concitoyens.
2
Seul le prononcé fait foi
Face à la gravité de la situation, nos transferts sociaux -
c’est d’ailleurs
une caractéristique
parta
gée par notre pays et ceux de l’Union Européenne en général
-, ont joué et continuent à
jouer un rôle essentiel et, je le dis sans ambages, bienvenu pour amortir les conséquences de
la crise pour nos concitoyens. Ce point est très important, car il nous rappelle la place centrale
qu’occupe la protection sociale dans notre pacte républicain, auquel
la Cour, institution de la
République est évidemment très attachée. Et ce ne sont pas là que des grands principes, de
grands mots
. C’est aussi la poursuite pendant la crise, sans rupture, du versement des
prestations par les organismes de sécurité sociale,
c’est
la capacité à prendre en charge
rapidement de nouvelles missions comme le
covid tracing
, la gratuité des tests dans toute la
période de crise,
c’est la prise en charge par les services hospitaliers, pour l’essentiel publics,
de nos concitoyens les plus atteints par la Covid en soins intensifs gratuitement.
*
Le contexte sanitaire a continué à peser lourdement sur les comptes sociaux.
Après une
année 2020 qui a été marquée par un déficit à un niveau inédit, et malgré le redressement
que nous savons rapide
de l’activité économique
(6% au plus en 2021, prévision qui nous
parait raisonnable ), les comptes de la sécurité sociale devraient rester en 2021 sur un haut
niveau de déséquilibre, de près de 35
Md€
. Le déficit 2021 serait ainsi le deuxième plus fort
de l’histoire de la sécurité sociale, ap
rès celui de 2020.
En 2022, il devrait rester à un niveau très
élevé, puis se stabiliser jusqu’en 2025 sur un haut
plateau
, légèrement supérieur à 10 Mds€
.
Une telle situation
–
c’est le rôle de la Cour de le souligner
- est problématique. Rappelons
qu’u
ne branche maladie ou une branche retraite déséquilibrées, ça signifie que les dépenses
de soins ou
les pensions versées aujourd’hui devront être
payées, financées par nos enfants
ou nos petits-enfants.
Ce sont ces derniers qui auront à assumer, demain, après-demain, les
nouvelles dettes auxquelles nous avons recours aujourd’hui.
Nous ne sommes pas obsédés
par la dette en tant que telle mais par les conséquences
qu’elle a
sur le pacte
intergénérationnel.
Si elle restait durablement financée par la dette, la sécurité sociale
risquerait d’être fragilisée
et risquerait
de ne pas demeurer ce qu’elle est
: un maillon essentiel de cohésion et de
solidarité, notamment entre les générations. Notre rapport porte donc, cette année encore,
le même message simple, qui est le suivant :
pour sauvegarder notre système de sécurité
3
Seul le prononcé fait foi
sociale, nous devons, certes progressivement, mais nous devons reconstruire une
trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux.
Comme la C
our l’a relevé au printemps
, dans son rapport sur la situation et les perspectives
des finances publiques, ainsi que dans le rapport sur la sortie de crise
et l’état des finances
publiques
que
j’ai remis au
Président de la République et au Premier ministre, dans le
contexte que nous connaissons ,
l’augmentation de la part des dépenses publiques dans le PIB
sur vingt ans, entre 2000 et 2019
–
donc avant la crise -, aura été de 4,5 points de PIB, et ça
s’explique principalement par l’évolution des dépenses sociales :
+ 2,8 points de PIB pour les
dépenses de retraite ,+ 1,7 points pour les dépenses de santé.
S
elon le programme de stabilité transmis au printemps à la Commission européenne, l’objectif
du Gouvernement est de réduire, sans hausses d’impôts, les déficits publics issus de la crise
et de stabiliser puis ensuite initier une décrue du ratio de dette pub
lique d’ici 2027.
Je constate cependant, la Cour constate cependant, que les conditions du redressement des
finances sociales restent à définir, notamment dans les domaines
que je viens d’évoquer
de
la retraite et de la santé
.
Ce rapport
–
vous le constaterez et j’anticipe peut
-être sur certaines questions mais je suis
prêt à répondre tout de même -
n’approfondit pas la question des réformes en matière de
retraite. Pourquoi ? Parce que nous avons esquissé les perspectives dans notre rapport au
Premier ministre et au Président de la République. Nous savons que le débat public est ouvert
et qu’il appellera nécessairement des décisions
le moment venu. Je pourrai y revenir si vous
le souhaitez
mais ce n’est pas l’objet du rapport d’aujourd’hui
.
En revanche, nous soulignons, à travers plusieurs angles de vue,
la nécessité d’accélérer les
réformes dans le domaine de la santé, et plus généralement dans l
’ensemble de la
gestion
de notre système de sécurité sociale.
Il ne s’agit évidemment pas pour la Cour de méconnaitre la situation exceptionnelle que le
pays a traversée, et connaît encore
d’ailleurs
à certains égards, même si les signaux de ces
derniers mois, de ces dernières semaines, sont positifs.
Mais, à travers ce rapport,
-
La Cour souhaite
tout d’abord remettre en perspective l’ampleur des déséquilibres et
ouvrir des pistes de moyen terme pour contribuer progressivement à la maîtrise de
l’évolution des dépenses
d’assurance maladie
;
4
Seul le prononcé fait foi
-
La Cour appelle ensuite
l’at
tention sur la nécessité de réamorcer le plus rapidement
possible les mécanismes de régulation ou de contrôle des dépenses et des recettes de
la sécurité sociale dans son ensemble, qui ont pu être relâchés pendant la crise ;
-
Enfin, la Cour invite à relancer également les divers chantiers de modernisation, de
réforme qui ont évidemment été ralentis ou suspendus durant la crise sanitaire.
***
1. Je vais commencer
d’abord
par rappeler la situation financière actuelle de la sécurité
sociale, au vu des dernières données disponibles communiquées par la commission des
comptes de la sécurité sociale, en m’arrêtant en
particulier donc sur les dépenses de
l’assurance maladie
.
Dans un contexte de reprise puissante
de l’activité économique et de
recettes en fort
redressement par rapport à 2020 (tout de même + 31
Md€)
, les dépenses de la sécurité
sociale, tirées par celles de la branche maladie, ont elles aussi continué à croître fortement en
2021 par rapport à 2020 (+ 27
Md€)
.
Il est intéressant
–
je crois - de regarder le poids des déficits par rapport aux dépenses de
chaque branche.
Et c’’est bien la situation de la branche maladie qui est la plus
problématique : en 2021, pour 1 000 euros dépensés, 130 euros sont financés par de nouvelles
dettes, doncà la charge des générations futures. Pourquoi cela ?
Ça résulte certes principalement des mesures exceptionnelles de tests de dépistage de Covid
et de vaccination, ainsi que
d’une croissance plus forte que prévue des
dépenses de
médicaments.
Mais il faut aussi prendre en compte le poids des mesures exceptionnelles de
revalorisation salariale et
d’investissement décidées lors du Ségur de la santé
. Ces mesures
pèseront lourdement en 2022 encore, représentant près de 40 % des dépenses
supplémentaires prévues l’an prochain
et beaucoup d’entre elles
vont alourdir de manière
durable
les charges de l’assurance maladie
.
La crise sanitaire
–
soyons conscients de cela - a entraîné une perte définitive de recettes
sociales et explique
–
mais seulement en partie - le surcroît de dépenses maladie, remettant
ainsi en cause les conditions d’équilibre des comptes de la sécurité sociale
.
Il y a un enjeu fort,
pour l’avenir de la sécurité sociale
, à reprendre en main
l’ensemble
des
dépenses
de l’assurance maladie et à mettre en œuvre de
nouveaux modes de régulation
.
5
Seul le prononcé fait foi
Sur ce sujet central et dans la poursuite, le prolongement de multiples travaux antérieurs de
la Cour, nous estimons que la régulation
mise en œuvre
durant les années 2010-2019
–
donc
avant la crise -
ne s’est pas suffisamment accompagnée d’une réorganisation du système de
soins.
Pour l’avenir,
il nous semble que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie
(Ondam) doit être davantage inscrit dans une trajectoire pluriannuelle, documentée
beaucoup plus rigoureusement que par le passé.
Et surtout, surtout, cette trajectoire doit
être
directement liée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, aux orientations de la stratégie
nationale de santé, telle que définie en 2018. Les objectifs de cette stratégie apparaissent
justifiés à la Cour
, comme elle a déjà eu l’occasion de l’indiquer dans le passé
: il s’agit
en
particulier, je vous le rappelle, de favoriser la pertinence et la qualité des prises en charge,
notamment par des soins, gradués en fonction des besoins des patients, de donner accès à
tous à des soins de premier niveau et de faciliter le lien ville-hôpital. En revanche, nous
relevons à nouveau que cette stratégie
–
pertinente encore une fois -
n’a été
accompagnée
d’
aucun cadrage financier.
Il faut
mettre en œuvre
au contraire une vraie stratégie de transformation en profondeur
du système de santé, en lien avec la trajectoire de maîtrise des dépenses, en utilisant tous
les leviers disponibles
. Je veux simplement en citer quelques-uns :
- pour les professionnels libéraux, des incitations renouvelées doivent être trouvées à
travers la
rémunération sur objectifs de santé publique
, qui consiste à introduire une part
de paiement
forfaitaire modulée selon l’atteinte d
es objectifs médicaux et économiques et
de santé publique afin de faire évoluer les pratiques ;
- pour les établissements de santé, une logique analogue devrait être poursuivie en
s’appuyant sur le
dispositif d’incitation financière à l’amélioration de la qualité
,
à travers
des indicateurs nationaux de qualité et de sécurité des soins ;
- de son côté, la Cnam, la caisse nationale de l'assurance maladie devrait
accélérer la
rénovation de ses outils de gestion du risque
, en promouvant notamment des parcours de
soins sur la base de référentiels de bonnes pratiques élaborés en lien avec la Haute Autorité
de Santé ;
6
Seul le prononcé fait foi
-
l’actualisation de
la nomenclature des actes de santé,
qui conditionne
–
vous le savez
- leur niveau de prise en charge, devrait également aller plus vite,
sous l’égide du Haut
conseil des nomenclatures cette fois ;
- enfin, dans les régions et les territoires,
d
es marges de manœuvre et des leviers
d’action
plus grands doivent être confiés aux agences régionales de santé (ARS)
, pour
faciliter les réallocations, entre offreurs de soins, de ressources inégalement réparties
aujourd’hui
, et afin de tenir davantage compte de la réalité et de la diversité de nos
territoires.
Il reste que l’effet de ces progrès indispensables
dans le domaine de la santé, tout comme
l’impact des mesures
, attendu
es, de rétablissement de l’équilibre des comptes de
l’assurance vieillesse
: tout cela ne sera que progressif.
Durant les prochaines années, nous
le savons, la dette sociale va continuer à croître.
L’ampleur des déficits en 2020 et 2021 des branches du régime général et du
fonds de
solidarité vieillesse (FSV) est telle que le plafond de 92
Md€ de reprise par la
Cades, la Caisse
d’amortissement de la dette sociale
, fixé
–
je vous le rappelle - par la loi du 7 août 2020, ne
paraît pas en mesure de couvrir la totalité du déficit 2022 ni
a fortiori
, un déficit 2023 alors
que nous regardons ce plateau haut arriver Au-delà, une grande incertitude existe sur
l’évolution des soldes de la sécurité sociale et, corrélativement, de la dette sociale.
Voilà pourquoi, la Cour dit clairement qu’u
ne grande vigilance doit être de mise.
Comme je
l’ai déjà dit,
à la fois en tant que Premier président de la Cour mais aussi en tant que président
du Haut Conseil des finances publiques :
en matière de finances sociales, je le répète - une
trajectoire
de retour à l’équilibre devra être constru
ite et, ensuite, respectée.
La réforme, en cours
d’examen par le Parlement, des
modalités de discussion des lois de
financement de la sécurité sociale, lui permettra, en tout cas
je l’espère, de disposer de plus
de temps pour débattre de la performance de notre système de sécurité sociale au regard
des ressources qui lui sont affectées.
Cette réforme
–
je simplifie - conduirait à distinguer la
discussion sur les comptes de l’exercice clôt, qui ferait l’objet d’un projet de loi d’approbation
déposé au printe
mps, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année qui
suit, examiné, lui,
à l’automne.
La sécurité sociale participerait alors, comme les autres
7
Seul le prononcé fait foi
domaines de l’action publique à ce qu’on appelle
le «
printemps de l’évaluation
», dont la mise
en place est souhaitée par les parlementaires. Voilà les réformes de gouvernance. La Cour ne
peut que se satisfaire
et elle l’avait
déjà proposé dans ses rapports.
Mais, si
l’objectif d’évaluation est indispensab
le, -
et je redis que notre mission c’est d’y
participer, la Constitution nous y incite -,
nous proposons d’aller plus loin
:
l’enjeu c’
est de
mieux encadrer l’évolution
même de nos finances sociales.
Le
rapport qui vous est présenté aujourd’hui propose
ainsi de compléter le cadre posé par
les lois de financement de la sécurité sociale, par quatre leviers:
1°)
l’obligation pour le Gouvernement de déposer, en cours d’exercice, une loi rectificative
si les prévisions initiales sont bouleversées. Au fond, on pourrait faire comme pour le
budget de l’État
;
2°)
l’extension du champ des dépenses encadrées
par la loi de financement à celles des
retraites complémentaires
et d’assurance chômage
pour avoir une vision plus globale ;
3°)
l’explicitation
rigoureuse des écarts
entre, d’une part, l’exécution des lois de
financement de la sécurité sociale
et, d’autre part, les n
ormes fixées en lois de
programmation des finances publiques
et la Cour appelle de ses vœux, une fois passée l
es
échéances électorales de 2022,
vous le savez, l’élaboration rapide d’une loi de
programmation des finances publiques qui constitue une ancre à nouveau solide et
crédible. Pour celle-ci, nous en manquons. Elle a été de fait soulevée par la crise mais il faut
absolument retrouver une nouvelle, une fois celle-ci finie ;
4°) Nous proposons
la définition impérative d’une trajectoire de retour
à l’équilibre pour
toute nouvelle reprise de dette sociale portant sur des prévisions de résultats futurs. Cela
n’a pas été le cas
, vous le savez,
l’an dernier, le Parlement s’étant vu propos
er
d’autoriser
la reprise par la Cades des déficits prévisionnels sur la période 2020-2023 à hauteur de 92
Md€
- je redis ce chiffre
–
mais
sans visibilité sur les conditions de retour à l’équilibre
et il
faut proportionner l’un à l’autre
.
***
8
Seul le prononcé fait foi
2. J’en viens maintenant aux problématiques de la sortie de crise dans le
s domaines des
affaires sociales et de la santé.
Le rapport
–
assez complet, assez lumineux, je ne saurais le résumer par ces quelques propos,
donc il appelle à la lecture - illustre cette problématique à travers trois exemples.
Le premier concerne le fonctionnement des organismes de sécurité sociale, qui ont été mis
à l’épreuve par la crise sanitaire
. Disons-le de manière assez claire, i
ls n’étaient pas préparés
à faire face aux conséquences d
’un
e telle crise, réflexion banale qui vaut pou
r l’ensemble de
notre système public. Mais
ce qui est vrai c’est que les organismes de sécurité sociale, il faut
les saluer comme tel,
ont pu préserver l’essentiel
pour nos concitoyens : éviter toute rupture
dans le service des prestations.
C’était
encore plus nécessaire dans cette période de crise
extraordinaire.
Cependant, cet objectif de continuité
, s’il a été rempli, l’
a été en partie au prix d
’une grande
simplification des procédures de gestion, de dérogations et par la levée ou l’allégement de
contrôles.
La Cour a mesuré au printemps dernier, dans le cadre de ses travaux de certification, l’impact
de ces mesures exceptionnelles sur la fiabilité des comptes : elle a constaté une rupture dans
la tendance de réduction du nombre de réserves sur les comptes des branches prestataires
du régime général. Elle a exprimé 22 réserves,
c’est
un nombre sensiblement plus élevé que
les années précédentes, sur les comptes présentés par les branches du régime général.
Disons-le, la Cour
s’est
par exemple vu
dans l’impossibilité de certifier les comptes de l’
activité
de recouvrement.
En matière de recouvrement précisément des cotisations de sécurité sociale, la priorité a été
donnée, ça peut se comprendre, à la survie économique des entreprises, qui ont été
confrontées pour certaines, dans de nombreux secteurs, à l’arrêt ou à la chute brutale de leur
activité.
Mais évidemment cela a une contrepartie
: c’est que cela a
généré des niveaux de
restes à recouvrer jamais atteints dans le passé. Les arriérés de cotisations
ont été multipliés
par cinq
en un an
: à la fin 2020, les cotisations et les contributions impayées par les
entreprises représentaient ainsi 11,4 Md€ contre 2,3 Md€
en 2019 (multiplié par 5). Ce
montant ne prend
d’ailleurs
pas en compte le champ des travailleurs indépendants, pour
lesquels les prélèvements des cotisations ont été suspendus pendant 18 mois et
n’
ont repris
tout récemment
qu’
en septembre 2021.
9
Seul le prononcé fait foi
La normalisation des procédures de gestion des prestations et du recouvrement des
prélèvements est désormais le principal enjeu pour les organismes de sécurité sociale.
On
peut comprendre que des contrôles aient été allégés, des procédures simplifiées pendant la
crise, une fois celle-ci finie, il faut en revenir à la normale pour retrouver une efficacité et puis
éviter aussi tout risque de fraude ou d’effet d’aubaine comme nous l’avons souligné dans
d’autres domaines.
Le deuxième exemple
que je veux prendre c’
est celui de la télésanté.
Le nombre de
téléconsultations a explosé durant la crise. On est passé de 140 000 en 2019 à 18,4 millions
en 2020. Elles ont été un palliatif très utile durant les deux confinements.
La Cour estime toutefois
qu’il est nécessaire de mettre fin à
la prise en charge dérogatoire à
100%, qui
perdure encore aujourd’hui
, et ce
jusqu’au 1
er
janvier 2022, au détriment de la
sécurité sociale et à l’avantage des organismes complémentaires d’assurance maladie. Plus
largement, la Cour considère
qu’il n’y a pas d’intérêt à
favoriser la multiplication de
téléconsultations, qui se substituent surtout au mode de recours traditionnel à la médecine
de ville
, alors qu’elles présentent un coût supérieur pour l’assurance maladie
,
et qu’elles
reposent encore assez largement sur des outils qui sont trop faiblement sécurisés. Rien ne
doit encourager le mauvais usage durable de la télémédecine. Bon oui, mauvais non.
En revanche,
la Cour considère que la télémédecine peut contribuer à la transformation du
système de santé,
c’est
une notion positive
:
faciliter l’accès aux soins dans des zones
faiblement pourvues en médecins, et surtout à renforcer la nécessaire coordination des
professionnels de santé, dans des logiques de parcours de soins.
La troisième illustration, troisième focus ou troisième zoom que je voudrais faire, porte sur
les dépenses de biologie médicale et sur la régulation de ce secteur.
En raison de la crise, les mécanismes de régulation des dépenses de biologie ont été de fait
suspendus. En temps ordinaire, il s’agit d’accords prix
-volume, qui consistent à fixer une
norme d’évolution annuelle des dépenses et à diminuer les tarifs de certains actes, si les
volumes sont trop dynamiques.
Ce n’est qu’au printemps 2021 que des baisses de tarifs
,
qui auraient dû être mises en œuvre
début 2020, ont été pratiquées au titre des dépassements de dépenses constatés en 2019.
Vous voyez donc le retard généré.
10
Seul le prononcé fait foi
Or
, du fait du financement
par l’assurance maladie des tests de dépistage de la Covid 19
,
pris en charge à 100% sans prescription médicale
–
et nous savons que les choses vont changer
maintenant à compter de la mi-octobre
–
, les dépenses de biologie
, c’est
-à-dire le chiffre
d’affaires des laboratoires d’analyse médicale,
ont considérablement augmenté en 2020 et
2021. Elles devraient, cette année, être deux fois supérieures à leur niveau de 2019. L
’analyse
faite par la Cour est qu’en France les tarifs
de remboursement des tests RT-PCR ont été fixés
à un niveau plus élevé que dans les pays européens voisins. Par exemple, si ces tarifs avaient
d’emblée été fixés
aux niveaux constatés en Allemagne ou en Belgique, une économie de
l’ordre de 800 M€ aurait pu être réalisée.
À ce titre,
la Cour souligne que la régulation administrative de ce secteur doit être améliorée
,
qu’il s’agisse de la connaissance de l’offre
, de la rentabilité des laboratoires privés ou de la
prise en charge de l’innovation, ce qu’ont montré les retards initiaux
connus sur les tests et
sur le séquençage génomique pour la détection des variants.
***
Ainsi, alors que les impacts sur le système hospitalier des vagues épidémiques semblent
progressivement maîtrisés grâce à l’effort de vaccination, la Cour
veut souligner, à travers ces
trois exemples,
qu’il n’y a plus lieu de
prolonger l’usage des dispositifs dérogatoires, utilisés
légitimement aux moments les plus critiques de la crise sanitaire.
Pour autant, il ne s’agit pas
simplement pour nous de revenir à la normale et
à ce que j’appellerai des
routines de gestion.
3. Et c
’est mon troisième et dernier point
, je vais en finir par là: la sortie de crise doit être
l’occasion de relancer
et
d’intensifier les réformes dont notre système de sécurité sociale a
toujours besoin.
La Cour illustre cette nécessité par quatre pistes de transformations structurelles.
La première piste porte sur les chantiers de réforme du financement des établissements de
santé, pour les soins de suite et de réadaptation, pour les soins psychiatriques, le
financement des établissements et services médico-sociaux,
en charge des personnes âgées
dépendantes et des personnes en situation de handicap. La Cour ne méconnaît pas la
complexité inhérente à ces matières
et à chacune d’entre elles
mais elle constate que ces
chantiers ont pris beaucoup de retard, sans que la c
rise ait d’ailleurs joué
un rôle - en vrai -
11
Seul le prononcé fait foi
déterminant dans ces ralentissements : le chantier de la réforme du financement des Ehpad a
été engagé tout de même il y a plus de dix ans, celui du financement des soins psychiatriques
et des soins de suite et de réadaptation, il y a plus de vingt ans. Donc, ça ne démarre pas hier.
Ces réformes doivent pourtant être menées à bien, au risque sinon de ne pas répondre aux
besoins de la population,
de soins aux personnes mieux coordonnés entre professionnels de
santé
. L’objectif c’
est de favoriser la gradation des soins en fonction de besoins individuels,
ainsi que des soins plus inclusifs, notamment pour les personnes âgées ou pour les personnes
en situation de handicap, -
et l’on sait combien le sujet de l
eur traitement a été critique et
délicat pendant la crise. Il faut aussi faciliter
le maintien au domicile ou l’accès à l’emploi et au
travail. Nous faisons en ce sens plusieurs recommandations, sur le fond des réformes, ou sur
les conditions de leur conception et de leur
mise en œuvre.
C’est urgent
, parce que je veux
souligner ce point qui figure sur ce slide : la France perd du terrain par rapport au reste de
l’OCDE
nos dépenses de soins de longue durée en établissement augmentent de 2,6 %, alors
qu’elles baissent en moyenne
de 4,6 % dans l
es pays de l’
OCDE où la prise en charge à domicile
se développe. Ce chiffre constitue un hiatus qui doit être résorbé.
Une deuxième illustration concerne la dématérialisation des prescriptions médicales.
Dématérialiser les prescriptions, c’est
faire plusieurs progrès :
-
Sur la sécurité des soins, on supprime
des risques d’erreur
;
-
Sur la pertinence, grâce aux aides en ligne à la prescription ;
-
Sur la réduction des coûts de gestion, en supprimant les circuits papiers ;
-
Sur la prévention des fraudes, en supprimant les fausses prescriptions.
Or, la France est en retard
par rapport à de nombreux pays de l’Union européenne,
je pense
à
l’Italie,
à la Belgique, et
à un autre pays européen qui n’est plus dans l’Union européenne
,
le Royaume Uni.
Dans notre pays,
l’essentiel des prescriptions de médicaments ne sont pas
dématérialisées.
Des textes ont récemment été pris avec l’objectif ambit
ieux de parvenir à la dématérialisation
complète des prescriptions de médicaments en 2024. Toutefois, les arrêts de travail prescrits
par un praticien hospitalier ne sont pas par exemple
soumis à l’obligation de
dématérialisation. Les systèmes d’informatio
n hospitaliers ne sont pas non plus raccordés aux
télé-
services de prescriptions gérés par l’assurance maladie.
12
Seul le prononcé fait foi
Disant ça, je souligne que l
’objectif
affiché semble peu réaliste car les travaux sur la
codification des syntaxes des
prescriptions, nécessaires pour permettre l’intégration des
données de prescription dans les logiciels des professionnels de santé, sont peu ou pas
engagés. Donc
2024, c’est ambitieux dans les
deux sens du terme.
Un troisième exemple se fonde sur une enquête conduite par les équipes de la Cour sur la
gestion des accidents de travail et des maladies professionnelles
.
Il y aurait beaucoup à en dire. Notamment sur la reconnaissance qui est faite en France des
troubles musculo-squelettiques : les TMS qui représentent tout de même plus de 80 % des
maladies professionnelles du fait du principe de présomption reconnu dans notre pays pour
des maladies aux causes pourtant multifactorielles, comme les TMS. Globalement, plus de
trois fois plus de maladies professionnelles sont reconnues en France qu’en
Allemagne.
C’est
une singularité française.
Mais j’insisterai surtout sur un aspect, qui concerne la branche AT
-MP, et également la
branche maladie. C’est
la dynamique des arrêts de travail.
En pratique,
la progression des dépenses d’arrêt
s
de travail nécessite d’agir sur les causes
des arrêts longs en favorisant et en accompagnant le retour au travail.
En effet, le salarié qui
voit son arrêt de travail se prolonger court le risque, progressivement, d’éprouver
de grandes
difficultés à retrouver son travail, voire un autre travail. Pour lutter contre ce risque majeur
de désinsertion professionnelle, il est temps de sortir des expérimentations, menées
séparément depuis plus de dix ans sans réelle efficacité.
Il est
prioritaire d’engager, à grande échelle, des programmes d’action coordonnés
avec les
entreprises,
l’assurance maladie
, les médecins traitants, et les services de santé au travail pour
détecter précocement les personnes en risque de désinsertion, pour les accompagner vers la
reprise de travail, grâce à des adaptations de poste le cas échéant
, à l’amé
nagement des
espaces de travail et à des formations, voire à des reconversions professionnelles.
Enfin, deux derniers exemples, choisis parmi les nombreux dispositifs de protection sociale
existants dans notre pays :
il s’agit de l’allocation de solidarité pour les personnes âgées
(Aspa), communément appelé le minimum vieillesse, qui représente tout de même 3,9 Md
€ en 2020
; et l’allocation de rentrée scolaire
, 2,6 Md
€ en 2020, en raison d’une
revalorisation exceptionnelle.
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Seul le prononcé fait foi
L’Aspa est une allocation efficace en
France, puisque le taux de pauvreté des personnes de
plus de 65 ans est au plus bas cette fois-ci comparé aux autres grands pays européens. Notre
analyse nous porte à penser que la priorité pour l’Aspa
serait de
simplifier les règles
d’attribution
, très complexes,
pour
réduire les causes d’erreurs et de fraudes, mais également
de
faciliter l’information du public sur cette allocation, caractérisée par
un non-recours élevé,
c’est
-à-dire par une proportion importante de personnes qui ne font pas valoir leurs droits.
L
’
allocation de rentrée scolaire est la deuxième prestation familiale en nombre de
bénéficiaires. Alors que, comme chaque année à la rentrée, la question de sa transformation
en bons d’achat a alimenté l’actualité,
il nous semble que son bénéfice pourrait surtout
être
recentré sur les familles aux revenus les moins élevés,
et
qu’elle pourrait être modulée pour
mieux tenir compte des coûts de scolarité qui augmentent
avec l’âge des enfants
.
Cet
ajustement pourrait être gagé par la suppressi
on de la réduction d’impôts pour frais de
scolarité, qui profite aux seuls ménages imposables.
***
Pour conclure, mesdames et messieurs, je veux insister à nouveau
, vous l’avez compris,
sur
le message principal du rapport.
La crise sanitaire semble,
et c’est heureux
,
en voie d’être
maitrisée.
L
’économie repart avec
une très grande vigueur, il est maintenant impératif de remettre la sécurité sociale, notre
bien commun,
sur un chemin d’équilibre financier durable et de
maîtriser la dette sociale.
La crise a, dans une très large mesure, illustré la résilience, la solidité de nos systèmes publics
de solidarité. Elle a aussi ouvert des pistes, des perspectives nouvelles, notamment en matière
de numérique. Les acteurs du système de santé ont montré une exceptionnelle capacité
d’adaptation. T
ous ces éléments réunis me rendent très confiant devant la nécessaire
accélération des réformes de notre système de sécurité sociale. Nous avons su faire face à une
pandémie d’une violence et d’une ampleur
sans précédent. Pourquoi ne serions-nous pas,
plus banalement, nous réformer ? Ces réformes, elles sont nécessaires pour moderniser
l’organisation des soins et
elles sont attendues par nos concitoyens.
Plus elles seront différées, nous le savons,
plus elles seront difficiles à mettre en œuvre.
Enfin,
si ces réformes ne sont pas engagées fermement et rapidement, alors il est à craindre que le
seul moyen qui restera pour réduire les déficits, et un jour on sera obligé
s d’y recourir
, soit
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Seul le prononcé fait foi
non plus de gagner en efficience mais de réduire les droits. Et le rapport de la Cour des
comptes ne propose en rien
cela, ce n’est pas un rapport d’austérité, c’est un rapport de
transformation.
Je vous remercie pour votre attention
et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent, à
votre disposition pour répondre à vos questions.