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Le 20 octobre 2020
Le Premier président
à
M. Jean Castex
Premier ministre
Réf. : S2020-1728
Objet
: La politique en faveur du «
logement d’abord
».
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a procédé au contrôle de la politique en faveur du «
logement d’abord
».
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
1.
LE CONTEXTE DE LA POLITIQUE EN FAVEUR DU «
LOGEMENT
D’ABORD
»
Le plan «
logement d’abord
» 2018-2022, adopté par le Gouvernement en septembre
2017, est intervenu dans un contexte d’exigences fortes.
1.1.
Une progression rapide du nombre de personnes sans domicile
En France, près de 300 000 personnes se trouvaient, avant même la crise sanitaire,
sans domicile, estimation qui a plus que doublé depuis la dernière enquête statistique de 2012.
Les politiques de l’accueil, de l’hébergement, de l’insertion et d’accès au logement conduites
jusqu’ici ne sont pas parvenues à enrayer cette progression
. Cette hausse est liée notamment
à
l’arrivée de nouvelles per
sonnes en situation de grande vulnérabilité, issues de flux
migratoires intensifiés depuis 2012. L’accroissement annuel
en flux du nombre de personnes
sans domicile serait actuellement de l’ordre de 30
000
, alors pourtant que l’on
relève, chaque
année, environ 80 000 personnes hébergées qui entrent dans des logements. Sur la période
récente, une part significative de ces flux entrants dans la population sans domicile a résulté
de la crise migratoire. On peut estimer en effet chaque année
qu’environ
100 000 nouvelles
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personnes sans domicile, dont 30
000 réfugiés, sont issues du dispositif national d’
accueil
institué par les dispositions légales sur le droit d’asile.
1.2.
Des dépenses d’hébergement d’urgence en hausse continue
Pour répondre à cet accroissement sensible du nombre de personnes nécessitant une
mise à l’abri, les dispositifs d’hébergement
ont été fortement développés sur la période
récente. Ainsi, 260 000 places au total étaient offertes fin 2019. La progression annuelle de
l’hébergement généra
liste a été de 9 % depuis 2012. Comme la Cour le constate
régulièrement dans son examen de l’exécution des programmes budgétaires concernés,
l
’hébergement des demandeurs d’asile, des déboutés de l’asile et des réfugiés déborde
désormais largement des dispositifs qui leur sont consacrés, menaçant la résilience globale
du système. Cette
juxtaposition de dispositifs mis en place dans l’urgence, ne constitue
pas
une politique publique.
Dans ces conditions, les dépenses publiques consacrées, notamment par
l’État
, à
l’hébergement d’urgence ont très fortement augmenté sur la période récente
. Elles
s’élevaient
à plus de 4 Md€ en 2019. La crise liée à la
Covid-
19 n’a fait qu’accentuer cette situation. La
gouvernance des acteurs de l’hébergement, et plus généralement des politiques en faveur des
personnes sans domicile, est complexe et les intérêts des différentes parties prenantes
peuvent diverger.
1.3.
Un parc social de grande ampleur encore peu ouvert aux personnes les
plus modestes
La France est l’un des pays d’Europe qui compte le plus
grand nombre de logements
sociaux, avec cinq millions
d’unités
permettant de loger 11 millions de personnes. Mais,
co
mme la Cour l’a déjà
relevé à plusieurs reprises
1
, la fluidité au sein du parc social,
particulièrement dans les zones tendues, est de plus en plus faible, malgré la poursuite de
programmes de production de nouveaux logements sociaux. En 2018, 330 000 logements ont
été attribués à des personnes extérieures au parc, soit moins de 7 % du stock. En outre, on
observe parfois des taux de vacance élevés dans le parc social, dans des zones dites
détendues.
L’aide publique au logement social s’élève à 15
Md€
et sur ce total, 300
M€, soit 2
%,
sont consacrés aux logements dits «
adaptés
» (pensions de famille, intermédiation locative,
etc.
).
1.4.
Faire accéder à un logement les personnes sans domicile qui sont éligibles
ne paraît pas hors de portée
Compte tenu de ces données, l’ambition qui consisterait à faire accéder
à un logement
en cinq années les personnes éligibles qui se trouvent sans domicile ne paraît pas hors de
portée. Pour cela, en plus des 80 000 personnes par an déjà mentionnées, il faudrait
qu’environ
260 000 personnes sans domicile supplémentaires accèdent à un logement sur les
cinq ans. Ceci reviendrait, au total,
à faire accéder à un logement de l’ordre de 130
000
personnes sans domicile
2
chaque année pendant cinq ans. Si on fait l’h
ypothèse que
l’essentiel serait absorbé par le parc social,
il serait nécessaire que les ménages sans domicile
bénéficient
d’environ 60
000 attributions soit, à mobilité inchangée au sein de ce parc, un peu
moins d’une attribution de logement social sur ci
nq.
Pour réussir une telle « transition », plusieurs conditions devraient être préalablement
remplies
, telles que l’adaptation de l’offre de logement aux besoins des personnes concernées
et un accompagnement pluridisciplinaire (social, médical, juridique, humain, etc.). Cette
proportion
d’une attribution d’un logement social sur cinq resterait par exemple inférieur
e aux
1
Cf.
notamment Cour des comptes,
Le logement social face au défi de l’accès des publics modestes et défavorisés
,
évaluation de politique publique, février 2017.
2
80 000 + 1/5(260 000)
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deux ratios de 25 % que les dispositions législatives prévoient de réserver aux publics
prioritaires et à faibles revenus.
Outre le respect d’un impératif de solidarité vis
-à-
vis de ses bénéficiaires, l’économie
pour les finances publiques d’une telle accélération des accessions à un logement des
personnes sans-abri ou hébergées serait notable
, du fait de l’économie dégagée s
ur les
dispositifs d’accueil et d’hébergement. C’est
a priori
ce qu’ont démontré les politiques du
«
logement d’abord
» conduites dans plusieurs autres pays. En France, si une politique
inspirée du «
logement d’abord » avait été poursuivie de façon continue depuis 2012 et qu’elle
ait donné l’accès à un logement, chaque année, à environ 80
000 personnes sorties de
l’hébergement, comme cela a été observé en 2019, cette politique aurait permis de générer
une économie cumulée pour la collectivité publique estimée à plus de 20
Md€.
2.
LES EXPÉRIENCES QUI ONT PRÉCÉDE LE PLAN « LOGEMEN
T D’ABORD
»
ET LA MISE EN PLACE DE CE PLAN QUINQUENNAL
2.1.
Une politique originale qui permet de faire mieux à un moindre coût
Le «
logement d’abord
», tel qu’il a été expérimenté ou mis en œuvre à grande échelle
dans plusieurs pays, constitue un exemple d’une politique publique permettant, lorsque les
conditions nécessaires sont remplies, de faire mieux (au bénéfice des personnes sans
domicile, y compris des plus fragiles d’entre elles) à un
coût total moindre pour la collectivité
publique. Son efficacité et son efficience pour assurer l’accès au logement des personnes
sans domicile, y compris pour ceux qui sont en souffrance sociale
, ont été plus d’une fois
éprouvées.
Le principe du
« logeme
nt d’abord
» prend le contrepied de la pratique consistant à
travailler par étape à la réinsertion de personnes ayant séjourné durablement dans la rue, et
à évaluer leur aptitude à franchir
chaque palier d’un long parcours
depuis la rue, puis
l’hébergement, puis l’accompagnement jusqu’au logement
. Cette particularité rend toutefois
sa mise en œuvre délicate
. La transformation structurelle des politiques publiques en faveur
des personnes sans domicile que le
«
logement d’abord
» implique, en mettant fin aux
parcours en paliers et en décentrant l’accompagnement social, n’est possible qu’à
la condition
d’impliquer l’ensemble des parties
-
prenantes et d’investir dans la conduite du changement
autour d’objectifs
précis et suivis dans la durée, traduisant une forte volonté politique.
2.2.
Les initiatives qui ont précédé le plan
Avant l’adoption du plan quinquennal 2018
-2022, la France avait initié, à partir de 2009,
une première série de réformes inspirées des principes du «
logement d’abord
» (favoriser un
accès direct
à un logement et centrer l’accompagnement sur les besoins de la personne)
. Ces
réformes ont posé les bases
sur lesquelles s’appuie largement le plan a
dopté en 2017. Elles
ont
contribué à faire évoluer les esprits de l’ensemble des parties
prenantes, même si leurs
fruits sont restés limités du fait de
l’abandon,
pour le cœur de la politique en faveur des
personnes sans domicile, de la logique du «
logement d’abord
» après 2012.
Parmi les initiatives expérimentales emblématiques lancées en 2009, et maintenues
en dépit du changement d’orientation intervenu en 2012, figur
ait le programme «
Un chez soi
d’abord
». Ce programme, destiné à un public particulièrement vulnérable (personnes
souffrant de troubles psychotiques) a illustré l’efficacité et
l’efficience possible d’une approche
par le «
logement d’abord
» sur un volume certes limité (350 personnes au départ). Une
évaluation scientifique de sa phase expérimentale a notamment mis en évidence un coût
annuel évité de 16 000
€ par bénéficiaire. Le
programme, comparable à une forme spécifique
d’hospitalisation à domicile, a été étendu et intégré au plan quinquennal
2018-2022, et son
intérêt se confirme dans le temps.
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2.3.
La mise en place du plan 2018-2022
Traduisant un engagement pris par le Président de la République, le plan «
logement
d’abord
» français, conçu dans des délais resserrés, est particulièrement ambitieux. Il vise une
réforme structurelle de la politique du logement en faveur des personnes sans domicile ; il
appelle une démarche qui dépasse
l’
expérimentation et permette une transformation à grande
échelle ; il est conçu comme très large, répondant à une approche globale, reprenant un grand
nombre d’actions déjà engagées. Manifestation supplémentaire de ce volontarisme, 23
territoires ont
été sélectionnés pour une mise en œuvre «
accélérée
».
Pour autant, ce plan ne constitue pas une exacte déclinaison des principes du
«
logement d’abord
». Certaines mesures, notamment celles concernant l’amélioration des
dispositifs d’hébergement, ne pa
raissent pa
s répondre à l’objectif d’un accès le plus rapide
possible au logement. Des pays comme la Finlande, qui ont lutté efficacement contre le
«
sans-abrisme
» par une politique du «
logement d’abord
», ont ainsi concomitamment
considérablement réduit le
urs dispositifs d’hébergement.
La gouvernance
de la mise en œuvre du
plan «
logement d’abord
» souffre de
complexité, tant au sein de l’État central et déconcentré qu’entre les différentes parties
prenantes, collectivités territoriales, acteurs souvent ass
ociatifs de l’accueil, de l’hébergement
et de l’insertion, bailleurs sociaux. La prise de conscience de cette faiblesse intrinsèque a
conduit à l’annonce
, en septembre 2019,
d’un «
acte II
» du plan, qui ouvre la voie à une
réforme de la gouvernance de cette politique publique.
3.
LES PREMIERS RÉSULTATS DU PLAN QUINQUENNAL EN FAVEUR DU
«
LOGEMENT D’ABORD
»
3.1.
Une dynamique favorable dans
les premières années de mise en œuvre
du plan
D’un point de vue macroéconomique, le
plan, dans ses deux premières années
d’exécution
, a abouti à
une accélération de l’accès au logement des personnes sans domicile
.
Selon les catégories prises en compte, le flux annuel, réfugiés compris, serait ainsi
de l’ordre
de 80 000 personnes
, soit une augmentation de l’ordre d’un tiers p
ar rapport au flux observé
en 2017. Confrontées à la pression des flux entrants de personnes sans domicile, ces sorties
vers le logement n’ont
toutefois pas permis
d’
enregistrer une baisse de la demande
d’hébergement d’urgence.
Au demeurant, la politique du «
logement d’abord
» ne peut que
constater le
maintien dans l’hébergement, à l’hôtel ou dans des campements, de personnes
déboutées
du droit d’
asile qui ne disposent pas des droits leur permettant
d’accéder à un
logement.
La mise en œuvre du plan s’est accompagnée d’un effort notable pour anticiper
la
mesure des résultats des projets soutenus et pour accentuer les exigences en terme de
redevabilité de l’ensemble des acteurs chargés de la mise en œuvre des mesures qu’il
contient.
Le suivi mensuel de quelq
ues objectifs prioritaires, assortis d’indicateurs de résultats,
avec des conférences entre le ministre chargé du logement et les préfets de région, contribue
à la mise sous tension des services de l’État et, au
-delà, des différentes parties prenantes.
Toutefois,
plusieurs faiblesses nuisent à la qualité et à l’impact de ce suivi,
comme le poids de
la gestion des urgences, le
manque de fiabilité des données et des systèmes d’information ou
encore le fait que ce suivi porte rarement sur la performance des
politiques mises en œuvre.
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3.2.
Des résultats globalement en-deçà des attentes
Lorsque des objectifs chiffrés sont énoncés dans le plan
ce qui est rare
les résultats
paraissent systématiquement en-
deçà des cibles fixées. C’est le cas des priorités suivie
s au
niveau ministériel, notamment en matière d’accès au logement des personnes hébergées et
des réfugiés, ainsi que de la production de logements très sociaux et de pensions de famille.
En outre, la production de ces
logements n’est non seulement pas à la
hauteur des cibles
fixées par le plan «
logement d’abord
», mais les loyers y excèdent, dans les zones tendues,
les capacités contributives des ménages les plus modestes. Les cibles concernant les
pensions de famille et résidences sociales, qui comportent des espaces partagés, paraissent
insuffisantes pour répondre aux besoins, alors même que le logement complètement
autonome, sans accompagnement, ne semble pas être la solution la plus adaptée pour une
grande partie des personnes sans-abri ou hébergées, qu
i souffrent d’isolement.
Le changement des cultures et des pratiques qu’implique la politique du «
logement
d’abord
» suppose nécessairement du temps. À mi-parcours du plan quinquennal, les progrès
ont encore un caractère plus expérimental ou marginal que systémique, loin du changement
d’échelle et de l’ambition d’une
transformation structurelle des politiques en faveur de l’accès
au logement des personnes sans domicile. Le même constat est fait dans les territoires de
mise en œuvre «
accélérée
» bien que l
’accès au logement des personnes sans domicile
y
progresse plus vite.
Au-
delà des priorités ministérielles et des territoires de mise en œuvre «
accélérée
»,
environ 40 % des actions du plan
n’ont pas ou peu été mises en œuvre,
y compris dans des
domaines aussi
essentiels que l’application des obligations
inscrites dans les lois pour l'accès
au logement et un urbanisme rénové
3
et
relative à l’é
galité et la citoyenneté
4
, ou la mise en
jeu de la solidarité entre territoires, la politique de maîtrise des loyers dans le parc très social,
et
la réduction du parc d’hébergement, notamment du recours à l’hôtel.
Loin de conforter la
politique du «
logement d’abord
», plusieurs décisions récentes, à rebours, ont conduit à
produire et pérenniser d
es places d’hébergement,
au risque
d’alimenter
la critique selon
laquelle le plan quinquennal
n’aurait
jusqu’ici
que peu influé sur les schémas fondamentaux
des politiques de l’hébergement et du logement.
3.3.
Une insuffisante mise sous tension des acteurs
Les nombreux outils
5
de concertation, de programmation et de contractualisation des
acteurs du «
logement d’abord
» prévus par la loi et destinés à mettre sous tension cette
politique, ne sont pas pleinement mobilisés, voire
n’
occupent
qu’
une place très secondaire
dans la mise en œuvre du plan.
Le service intégré
d’accueil et d’orientation
, acteur territorial central de la politique du
«
logement d’abord
», reste en situation de faiblesse par rapport aux autres acteurs qu’il est
censé coordonner. En raison de facteurs tant structurels que conjoncturels, la mission qui
devrait être prioritaire pour le
« l
ogement d’abord
»
à savoir l’orientation des personnes sans
domicile vers le logement
, est celle qu’il
exerce le moins bien.
Une réflexion interministérielle est engagée sur les questions de gouvernance,
notamment au niveau central.
Ce n’est t
outefois pas une réforme sur ce sujet qui suffirait,
seule, à porter l’exécution du plan quinquennal à un niveau de performances conforme a
ux
ambitions initiales.
3
Loi ALUR n
2014-366 du 24 mars 2014
4
Loi relative à l’égalité et la citoyenneté nᵒ
2017-86 du 27 janvier 2017
5
Plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, programmes
locaux de l’habitat, conventions d’utilité sociale avec les bailleurs sociaux, conventions intercommunales
d’attribution et documents
-
cadres des conférences intercommunales du logement, contrats pluriannuels d’objectifs
et de moyens avec les acteurs de l’hébergement…
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4.
DES PISTES POSSIBLES AFIN
D’ACCRO
I
TRE L’EFFICACIT
É DE LA
POLITIQUE EN FAVEUR DU «
LOGEMENT D’ABOR
D »
La crise liée à la Covid-19 a plus encore
mis en lumière la nécessité d’une
mise en
œuvre
ambitieuse de la politique en faveur du «
logement d’abord
». Les scénarios du
statu
quo
et du renoncement à cette politique ne sont pas souhaitables. Le premier, dans la
continuité des actions entreprises depuis le lancement du plan quinquennal, ne permettra pas
de répondre aux objectifs fixés en 2017 ni aux enjeux liés aux effets de la crise sanitaire. Le
second signifierait le retour à une gestion des situations de vulnérabilité selon les seules
méthodes de l’urgence,
au détriment des personnes sans domicile et avec un coût élevé pour
les finances publiques..
4.1.
La nécessité de surmonter plusieurs obstacles majeurs
Après
analyse des résultats des premières années de mise en œuvre de
cette politique
du «
logement d’abord
», il apparaît que son déploiement et son impact resteront modestes,
de façon structurelle, si plusieurs obstacles majeurs ne sont pas dépassés.
Tout d’abord,
la connaissance des personnes sans domicile, visées par la politique du
«
logement d’abord
», tout comme des résultats de cette politique, reste lacunaire. De même,
les arbitrages politiques, notamment budgétaires, ne tiennent pas suffisamment compte des
coûts évités par le «
logement d’abord
». Par ailleurs, les acteurs chargés des personnes sans
domicile sont trop centrés sur le monde de l’hébergement et la mise en œuvre du p
lan
quinquennal reste encore marquée par des initiatives expérimentales ou cosmétiques. La
priorité que constitue l’orientation des personnes sans domicile vers le logement n’est pas
suffisamment prise en compte dans les outils contractuels ou conventionnels censés mettre
les territoires et les acteurs sous tension. Le parc social reste trop fermé et, dans les territoires
les plus tendus, l’offre de logements très sociaux et adaptés est insuffisante pour couvrir les
besoins. L
’accompagnement des personnes q
ui accèdent à un logement demeure éclaté et
ne prend pas suffisamment en compte l’ensemble des dimensions de l’insertion
. Autre
obstacle, l
’hébergement dans des centres ou à l’hôtel ne se limite pas à une fonction de mise
à l’abri d’urgence, au détriment d
es personnes qui y stagnent, notamment celles qui ne
peuvent juridiquement pas accéder à un logement du fait qu’elles ne détiennent pas de titre
de séjour. Enfin,
les actions de prévention, pour éviter l’exclusion du logement ou gérer la
sortie d’instituti
ons
, ne font pas l’objet d’une attention suffisante.
Cette dernière faiblesse
pourrait s’avérer particulièrement critique dans le contexte
économique et social actuel.
4.2.
Des réponses nouvelles à apporter pour réussir le pari du « logement
d’abord
»
Pour surmonter ces différents défis
, il paraît indispensable d’apporter une série de
réponses nouvelles avec les objectifs à la fois de mieux connaître les publics concernés et de
mieux mesurer les besoins et les actions, de décloisonner et de simplifier la gouvernance du
«
logement d’abord
», de mobiliser les acteurs concernés sur la priorité d
’orienter les
personnes sans domicile vers le logement,
d’ouvrir
davantage à ces publics le parc social et
de mieux répondre aux besoins de logement très social et adapté, de conduire un fort
accompagnement des personnes qui accèdent à un logement dans la globalité de leurs
besoins, de
recentrer l’hébergement sur la
seule
fonction de mise à l’abri d’urgence
et enfin
de
faire de la prévention une réelle priorité d’action
.
Il est ainsi
possible d’imaginer
plusieurs
scénarios, permettant d’
accroître, à des degrés
différents, l’efficacité et l’efficience de
cette politique.
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Après consultation des diverses parties prenantes, la Cour plaide pour le scénario le
plus ambitieux. P
our guider les choix publics qu’imposent, dans le contexte de la crise
sanitaire, le plan « France Relance » et «
l’acte II
» du plan quinquennal, ce scénario vise à
accélérer
les réformes structurelles des politiques de l’hébergement
et du logement en tirant
pleinement profit de l’application des principes du «
logement d’abord
».
La Cour insiste en conséquence plus particulièrement sur les recommandations
suivantes :
Recommandation n° 1
: f
aire de l’orientation
des personnes sans domicile vers le logement
une priorité effective de l’ensemble des acteurs du «
logement d’abord
» (i) en s’appuyant sur
les outils conventionnels et contractuels imposés par la loi au niveau des établissements
publics de coopération intercommunale, des réservataires, des bailleurs sociaux et des
associations, (ii) en introduisant des mécanismes incitatifs financièrement ou en termes de
droits, et (iii) en renforçant les moyens et prérogatives de contrôle du respect des
engagements pris dans ce cadre ;
Recommandation n° 2
: accentuer
l’occupation
sociale du parc de logement social en zones
tendues, (i) en faisant du bail à durée déterminée la règle d’occupation des logements, (ii) en
renforçant les règles de sortie du parc social et l’acco
mpagnement des personnes qui
dépassent les plafonds de ressource autorisés et (iii) en étudiant la possibilité d’instaurer un
mécanisme de taux d’effort plancher
;
Recommandation n° 3
: m
odifier les règles et les pratiques d’attribution des logements
sociaux afin que les ménages sans domicile soient davantage reconnus comme prioritaires et
qu’ils bénéficient d’une part plus élevée des attributions
;
Recommandation n° 4
: mettre en place une programmation pluriannuelle et
des
mécanismes incitatifs en vue de
transformer progressivement les places d’hébergement
d’insertion en logements sociaux ou adaptés, et de faire converger le fonctionnement et les
coûts des dispositifs de mise à l’abri pour en réduire le volume et les réserver au traitement
des seules situa
tions d’urgence.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
6
.
Je vous
rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions
permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Il sera accompagné de votre
réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur
sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-4) ;
-
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
6
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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-
l’article
L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous
fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en
vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être
adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici