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Deuxième section
Jugement n° 2019-0023
Régie des thermes de Digne-les-Bains
(Alpes-de-Haute-Provence)
Exercice 2016
Audience publique du 24 juillet 2019
Délibéré du 24 juillet 2019
Prononcé le 24 octobre 2019
JUGEMENT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La chambre régionale des comptes Provence-Alpes-
Côte d’Azur
,
VU
le code général des collectivités territoriales ;
VU
le code des juridictions financières ;
VU
le code des marchés publics (édition 2006) ;
VU
la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée, notamment son article 60 ;
VU
le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
VU
le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;
VU
l'arrêté n° 2019-11 du 2 juillet 2019 du président de la chambre fixant l'organisation des
formations de délibéré et leurs compétences ;
VU
le réquisitoire n° 2019-0008 en date du 23 janvier 2019 par lequel le procureur financier a
saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de
M. X
pour sa gestion au titre de l’exercice 2016, en sa qualité de
comptable de la régie des
thermes de Digne-les-Bains ;
VU
la notification du réquisitoire du procureur financier et du nom du magistrat chargé de
l’instruction
,
intervenue le 30 janvier 2019 pour ce qui concerne tant l’ordonnateur de la régie
que le comptable ;
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VU
la décision du 29 janvier 2019 par laquelle le président de la chambre a désigné
Mme Emmanuelle Colomb, première conseillère, comme rapporteure ;
VU
le questionnaire adressé par le magistrat rapporteur le 18 février 2019 à
l’ordonnateur de
la
régie et au comptable, lesquels en ont accusé réception le 20 février 2019 ;
VU
la
réponse
de
M. X
en
date
du
8
mars
2019,
enregistrée
au
greffe
le 14 mars 2019 sous le n° 298 ;
VU
la réponse de
l’ordonnateur de la régie
en date du 11 mars 2019, enregistrée au greffe
le 14 mars 2019 sous le n° 302 ;
VU
les comptes produits par le comptable de la régie des thermes de Digne-les-Bains pour
l’
exercice 2016 ;
VU
l’attestation
de cautionnement fournie par le comptable ;
VU
l’ensemble des autres pièces du dossier
;
VU
le rapport n° 2019-0068 déposé le 30 avril 2019 par Mme Emmanuelle Colomb, première
conseillère, rapporteure ;
VU
les conclusions n° 2019-0068 du 24 mai 2019 du procureur financier ;
VU
les lettres du 12 juillet 2019 informant les parties
de la date fixée pour l’audience publique
;
Après avoir entendu en audience publique Mme Emmanuelle Colomb, première conseillère, en
son rapport, et M. Marc Larue, procureur financier, en ses conclusions, le comptable et
l’ordonnateur
, dûment informés de
l’audience, n’étant ni présent
s ni représentés ;
Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du procureur financier et après avoir
entendu M. Pierre Genève, premier conseiller, réviseur, en ses observations ;
Sur
l’existence de
circonstances constitutives de force majeure
ATTENDU
que si, dans sa réponse susvisée du 8 mars 2019, M. X se plaint de
« la situation de
la trésorerie (…) en termes de sous
-effectifs chroniques »,
la circonstance ainsi alléguée, qui ne
résulte pas d'événements extérieurs, imprévisibles et irrésistibles, ne peut être regardée comme
constitutive de force majeure
; qu’elle est donc, serait
-elle-même attestée, insusceptible
d’exonérer le comptable de sa responsabilité
;
qu’elle
pourra seulement être utilement invoquée
au soutien d’une demande de remise gracieuse prése
ntée devant le ministre en charge du budget
et des comptes publics ;
ATTENDU
qu'il y a lieu dès lors pour la chambre
, comme l’a retenu le procureur financier,
de
se prononcer sur l'existence de manquements de la part du comptable mis en cause par le
réquisitoire ;
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Charge unique : Exercice 2016, paiement de mandats imputés sur le compte 6218
« Autre
personnel extérieur »
et 6256
« Missions »,
portant sur des prestations de mise à disposition
de personnels intérimaires, mandats n° 829 du 29 juin 2016, n° 1052 du 3 août 2016,
n° 1643 du 9 novembre 2016 et n° 1702 du 1
er
décembre 2016 pour un montant
de 128 073,66 € TTC.
En ce qui concerne le réquisitoire
ATTENDU
que, par son réquisitoire du 23 janvier 2019, le procureur financier a requis la
chambre au motif que le comptable de la régie des thermes de Digne-les-Bains avait procédé au
cours de l’exercice 2016
au paiement, au bénéfice de
L’entre
prise Y, des quatre mandats ci-
dessous listés, p
ortant sur la mise à disposition de personnels intérimaires, chacun d’un montant
individuel supérieur à 25
000 € HT, et ce, en l’absence de
toute mention à une délibération du
conseil d’administration de la
régie autorisant la passation desdits marchés ;
N° Mandat
Date PEC
Montant HT
Montant TTC
829
29/06/2016
25 796,75
30 956,10
1052
03/08/2016
28 181,54
33 817,85
1643
09/11/2016
25 538.43
30 646,12
1702
01/12/2016
27 211,33
32 653,60
TOTAL=
106 728,05
128 073,67
ATTENDU
que le procureur financier a également relevé,
s’agissant du
mandat n° 1643,
l’absence de contrat joint permettant
, notamment,
de vérifier l’exacte liquidation des sommes
versées, ainsi que
l’absence d’attestation du service fait
;
ATTENDU
qu’il a dès lors
retenu que la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable
paraissait être engagée sur le fondement des articles 19 et 20 du décret susvisé
du 7 novembre 2012
, faute pour lui d’avoir disposé des pièces justificatives
nécessaires au
contrôle de la dépense telles que
prévues à l’annexe I à l’article D. 1617
-19 du code général des
collectivités territoriales (CGCT) ;
Sur le manquement du comptable à ses obligations
ATTENDU
qu’aux termes du paragraphe
I de l’article
60 de la loi du 23 février 1963 susvisé,
«
les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables
(…)
du paiement des
dépenses (…)
» et leur «
responsabilité personnelle et
pécuniaire (…)
se trouve engagée dès lors
(…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée (…)
» ;
qu’aux termes de l’article 19 du décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique dans sa
version applicable aux faits, «
le comptable est tenu d'exercer le contrôle : / (…) 2° S'agissant
des
ordres de payer : / (…) d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20
(…).
» ;
qu’aux termes de l’article 20 de ces mêmes dispositions,
«
le contrôle des comptables
publics sur la validité de la dette porte sur : / (…) 2° L’exac
titude de la liquidation ;
/ (…)
; / 4°
La production des pièces justificatives (…).
»
; qu’enfin, aux termes de l’article 38 de ces mêmes
dispositions, «
(…) lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 le
comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de
l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur (…).
» ;
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ATTENDU
par ailleurs
qu’en vertu des dispositions combinées des articles 11, 28 et 30 du code
des marchés publics (édition 2006)
en vigueur jusqu’au 31 mars 2016,
dont les principes ont été
repris aux articles 15 et 27 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics
applicable à compter du 1
er
avril 2016,
les marchés publics d’un monta
nt égal ou supérieur
à 25 000
€
HT et inférieurs à 209
000 € HT sont passés sous forme écrite, selon une procédure
adaptée ;
ATTENDU
enfin
qu’en application de la rubrique
4123 de la nomenclature des pièces
justificatives
prévue par l’article D. 1617
-19 du CGCT, les paiements relatifs à des marchés
publics à procédure adaptée
faisant l’objet d’un écrit
doivent être justifiés par la production du
contrat ; que, si celui-ci
peut s’entendre d’un simple devis accepté du pouvoir adjudicateur ou de
tout autre d
ocument manifestant l’accord de volonté des parties
,
il n’en
doit pas moins répondre
aux caractéristiques formelles prévues
au paragraphe A de l’annexe G de ladite nomenclature
et
mentionner, notamment, «
la
r
éférence à la délibération autorisant la personne publique à
passer le marché
» ;
que la note n° 3 à laquelle renvoient ces dernières dispositions précise
également que
«
pour les collectivités locales et les autres établissements publics locaux, il s'agit
soit de la délibération avant engagement de la procédure avec définition de l‘étendue des besoins
et montant prévisionnel, soit, le cas échéant, de la délibération prise une fois connus l'identité
du titulaire et le montant du marché
»
;
ATTENDU
que les mises à disposition de personnels intérimaires, objets des quatre mandats
visés par le réquisitoire, constituent des prestations de services relevant du champ d’application
du code des marchés publics ;
que ces mandats s’analysent ainsi comme des dépenses relatives
à des marchés de services à procédure adaptée qui, compte tenu de leur montant, devaient faire
l’objet d’un contrat écrit
répondant aux caractéristiques formelles prévues par la réglementation ;
ATTENDU
qu’aucun des quatre mandats en cause ni aucun des contrats joints aux mandats
n° 829, n° 1052 et n° 1702 ne font cependant référence à une délibération du conseil
d’administration de la régie
autorisant la passation desdits marchés ; que le comptable, après
avoir admis au cours de la phase administrative du contrôle qu’aucune délibération n’avait été
prise, s’est borné à produire en réponse au réquisitoire, sans plus de précisions sur la portée qu’il
entendait lui
conférer, la copie d’une délibération du conseil d’administration de la régie n°
8 du
26 mars 2015, par laquelle l’organe délibérant décide, «
afin d’assurer le bon fonctionnement
des thermes
», de «
donner la délégation générale de signatures à son président Z pour la durée
de son mandat
»
; qu’une telle délibération, dépourvue de toute référence textuelle, ne peut tenir
lieu de celle prévue à l’article R. 2221
-24 du CGCT en matière de délégation au président ou au
directeur de la régie pour la «
préparation, passation, exécution et règlement des marchés de
travaux, de fournitures et de services qui peuvent être passés selon la procédure adaptée
», ni
encore moins de celle, spécifique, «
autorisant la personne publique à passer le marché
» telle
que décrite dans la note n° 3 susvisée ; que la délibération prise le même jour sous le n° 10 ne
donne au demeurant délégation au directeur que pour passer les contrats et marchés de moins de
15
000 € et, en tout état de cause,
«
sur décision du Conseil d’administrat
ion
» ;
qu’ainsi, aucune
délibération régulière n’ayant pu être produite, il y a lieu de considérer que l’ordonnateur des
dépenses n’était habilité à
passer aucun des quatre marchés en cause ;
ATTENDU,
au surplus,
qu’aucun contrat, quelle qu’en soit la forme, n’a été joint au mandat
n° 1643 pris en charge le 9 novembre 2016, alors que le montant atteint par la dépense exigeait
la production d’un écrit
;
qu’en pareil cas, le comptable
devait à tout le moins exiger, avant de
procéder au paiement, un certifica
t de l’ordonnate
ur par lequel ce dernier déclarait avoir conclu
un contrat oral et prendre la responsabilité de l'absence de contrat écrit prouvant l’engagement
des parties ; que le document intitulé «
conditions facturation intérim
» cosigné de
l’entreprise
Y
et de la directrice de la régie, que le comptable a fourni à l’appui de sa réponse au réquisitoire,
n’est pas daté, ce qui ne permet pas d’établir qu’il est antérieur à la facturation
;
qu’
en tout état
de cause, la proposition commerciale qu
’il contient
, certes acceptée par la régie, ne présente
qu’une fourchette de prix horaires dont le taux exact, à préciser au cas par cas,
est déterminé
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«
selon
[l’]
ancienneté
»
au moment de l’embauche
; qu’un tel document
ne permettait donc pas
au comptable, à supposer
qu’il
en ait effectivement eu connaissance au moment du paiement, de
vérifier l’exacte liquidation du montant facturé
en l’espèce
;
ATTENDU
ainsi que
, s’il n’y a pas lieu de retenir le grief tiré de l’absence d’attestation du
service fait da
ns la mesure où la signature du bordereau de mandat par l’ordonnateur vaut
certification,
il n’en demeure pas moins que
le comptable ne disposait pas, au moment des
paiements, des éléments justificatifs suffisants prévus par les dispositions précitées de l
’annexe
I
à l’article D. 1617
-
19 du CGCT, de telle sorte qu’il ne pouvait matériellement s’assurer de la
validité de la dette ;
ATTENDU
qu’il résulte de ce qui précède que
M. X a engagé sa responsabilité personnelle et
pécuniaire en s’abstenant de suspendr
e le paiement des quatre mandats en litige
, alors qu’il se
trouvait dans l’impossibilité de procéder aux contrôles auxquels l’obligent les dispositions
décrétales susvisées ;
Sur le préjudice financier
ATTENDU
qu’aux termes
du
VI de l’article
60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, «
Lorsque
le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à
l’organisme public concerné
(…)
, le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses
deniers personnels la somme correspondante
(…)
» ;
ATTENDU
que le comptable soutient que la régie n’a subi aucun préjudice de son fait et que le
paiement des mandats en litige était nécessaire au bon fonctionnement de l’établissement, de
«
graves conséquences
» étant à craindre si le pe
rsonnel en nombre adéquat n’était pas recruté
;
que l’ordonnateur indique pour sa part n’avoir subi «
aucun préjudice financier ou autre
» ;
ATTENDU
que
le constat de l’existence ou non d’un préjudice
financier et de son imputabilité
au comptable public re
lève de l’appréciation que le juge des comptes est amené à porter sur ces
deux points à l’analyse des pièces du dossier
;
ATTENDU
qu’en l’absence des pièces justificatives attestant de la volonté de l’organe
compétent de la régie des thermes de Digne-les-Bains de prendre en charge les dépenses en litige,
et même, s’agissant du mandat n° 1643, d’un contrat écrit établissant la volonté préalable des
parties, les paiements afférents doivent être regardés comme
indus et constitutifs d’un p
réjudice
financier pour la régie ;
qu’il y a lieu dès lors de constituer
M. X débiteur de la somme de
128 073,67
€, correspondant au montant des dépenses payées par les
quatre mandats en cause ;
ATTENDU
qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23
février 1963 susvisé,
« Les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics
» ; que le premier acte de la
mise en jeu de la responsabilité du comptable correspond à la notification du réquisitoire, laquelle
est intervenue le 30 janvier 2019 ;
Sur le respect des règles du contrôle sélectif de la dépense :
ATTENDU
qu’aux termes du deuxième alinéa du paragraphe
IX de l’article 60 de la loi
de
finances du 23 février 1963, les comptables publics dont la responsabilité personnelle et
pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du paragraphe VI
peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge
s’ils ont respecté les
règles de contrôle sélectif des dépenses ; que le respect de cette condition
est déterminé «
sous l'appréciation du juge des comptes
» ;
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ATTENDU
que «
plan de contrôle cible
–
CHD méthodologie aménagée
»
applicable à
l’exercice 2016 et
validé par le supérieur hiérarchique prévoyait
que l’ensemble des marchés et
conventions passés par la régie, qu’ils relèvent du référentiel obligatoire ou facultatif,
étaient
soumis à un contrôle
a priori
portant sur «
tous
» les mandats ;
qu’en conséquence, les
quatre
mandats en litige
devaient faire l’objet d’un contrôle
a priori
par le comptable ;
ATTENDU
que, pour ce motif, il ne peut être retenu que les règles du contrôle de la dépense
ont été respectées ;
Par ces motifs :
DÉCIDE
Article 1
er
: M. X est constitué débiteur de la régie des thermes de Digne-les-Bains au titre de
l’exercice
2016 pour la somme de 128
073,67 € (cent vingt
-huit mille soixante-treize euros et
soixante-sept centimes), augmentée des intérêts de droit calculés à compter du 30 janvier 2019.
Article 2
: Il est sursis à décharge de M. X
dans l’attente de l’apurement
du débet prononcé à
l’
article 1
er
du présent jugement.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-
Côte d’Azur,
le vingt-quatre
juillet deux mille dix-neuf.
Présents : Mme Marie-Agnès Courcol présidente de section, présidant la séance,
M. Pierre Genève, premier conseiller, et Mme Sidonie Réallon, conseillère.
La greffière-adjointe,
Patricia GUZZETTA
La présidente de la séance
Marie-Agnès COURCOL
La République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux
procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les
commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre
régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le dé
lai de deux mois à compter de leur
notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux
mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais
d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R.
242-29 du même code.