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CHAMBRES REUNIES
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FORMATION RESTREINTE
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Arrêt n° S 2019-812
Audience publique du 12 février 2019
Prononcé du 12 avril 2019
OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION
DES ACCIDENTS MEDICAUX (ONIAM)
Rapport n° R-2018-222
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire n° 2017-39 RQ-GF en date du 12 septembre 2017, par lequel le Procureur
général près la Cour des comptes a saisi la Cour des comptes de
faits susceptibles d’être
qualifiés d’immixtion dans les fonctions du comptable public de l’
Office national
d’indemnisation des accidents médicaux et maladies iatrogè
nes (ONIAM) notifié à M. X,
ancien directeur de l’ONIAM et à M.
Y
, ancien directeur juridique de l’ONIAM, respectivement
les 16 et 12 octobre 2017 ;
Vu le réquisitoire supplétif n° 2018-7 RQ-GF en date du 22 février 2018 notifié à Maîtres Z, A,
B, C, D et E le 27 février 2018, à Maître F le 28 février 2018, à Maître G le 5 mars 2018 et à
Maître H le 6 mars 2018 ;
Vu le réquisitoire supplétif n° 2018-14 RQ-GF en date du 23 mars 2018, notifié à M. I, directeur
de l’ONIAM en fonction
s, à Mme J, ancienne d
irectrice juridique de l’ONIAM, à M.
K, ancien
secrétaire général de l’ONIAM, et à M.
L
, ancien secrétaire général de l’ONIAM
, le 27 mars
2018, et notifié à M. M
, ancien directeur de l’ONIAM, le 28 mars 2018
;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code de procédure civile et notamment son article 420 ;
Vu le code de la santé publique et notamment son article L.1142-15 ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63
-156 du 23 février 1963 ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires
et juridiques et son décret d’application n° 91
-1197 du 27 novembre 1991 ;
Vu la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises
et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures
administratives, notamment son article 40 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité
publique et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
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Vu le décret n° 2016-544 du 3 mai 2016 portant dispositions relatives aux conventions de
mandat conclues par les établissements publics et les groupements d'intérêt public nationaux
et les autorités publiques indépendantes avec des tiers ;
Vu les lois et règlements applicables à
l’ONIAM
;
Vu le rapport n° R-2018-222
à fin d’arrêt
de M. Claude LION, conseiller référendaire, magistrat
chargé de l’instruction
;
Vu les conclusions n° 039 du Procureur général du 23 janvier 2019 ;
Vu les mémoires produits par M. X le 27 novembre 2017 et le 23 juillet 2018 ;
Vu les mémoires produits par M. Y, le 1
er
décembre 2017, le 25 mai 2018, le 23 juillet 2018 et
le 8 août 2018 ;
Vu les mémoires produits par Maîtres D et H le 24 mai 2018 ;
Vu les mémoires produits par Maîtres Z, A, B, F, E, G le 25 mai 2018 ;
Vu le mémoire produit par M. L le 8 juin 2018 ;
Vu les mémoires produits par M. M et M. K le 28 juin 2018 ;
Vu le mémoire produit par Mme J le 4 juillet 2018 ;
Vu les mémoires produits par Me C le 24 juillet 2018, le 26 juillet 2018 et le 7 février 2019 ;
Vu le mémoire produit par M. I le 25 juillet 2018 ;
Vu le mémoire produit par Me Z le 1
er
février 2019 ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du
12 février 2018 M. Claude LION, conseiller
référendaire, en son rapport, Mme Flavie LE SUEUR, substitut général, en les conclusions du
ministère public,
M. X, présent, assisté de Me Xavier FLÉCHEUX, M. Y, présent, assisté de
Me Régis FROGER, M. I, présent, Me Z représentée par Me Philippe DELELIS, Me A et
Me B représentés par Me Nicolas CASSART, Me C, représenté par Me Michel LEVY et Me
CHABRUN, Me H et Me D présents et assistés de Me Thomas LYON-CAEN, Me F et
Me E représentés par Me Emmanuel PIWNICA et par Me Bruno MIRABAUD, M. M présent et
assisté de Me Eric LANDOT, Mme J représentée par Me Yves CLAISSE, M. K, présent et
assisté de Me Eric LANDOT et M. L, présent et assisté de Me Patrick BAUDOIN, ayant eu la
parole en derniers, Me G
n’étant ni présent ni représenté
;
Entendu en délibéré M. Yves ROLLAND, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
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Sur les faits présumés constitutifs
d’irrégularité
s au regard des règles de la
comptabilité publique
1. Attendu que
l’ONIAM
est un établissement public administratif doté d’un comptable public
dont la mission est de participer à l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux sans
faute ou de médicaments spécifiques et de se substituer aux tiers responsables et aux
assureurs en cas d’accident médical fautif
;
que l’article L.1142
-15 du code de la santé
publique offre la possibilité pour une victime qui a reçu un avis de la commission de conciliation
et d’indemnisation (CCI) retenant la responsabilité d’un acteur de santé et désignant un
assureur pour l’indemniser de son dommage, de saisir l’ONIAM en cas de silence ou de refus
de l’assureur de lui faire une offre
; que ladite substitution perm
et à la victime d’obtenir
réparation de son dommage à l’amiable dans la continuité de la saisine de la CCI plutôt que
de saisir elle-même un tribunal
; qu’en vertu de la loi, l’Office en indemnisant la victime est
subrogé dans ses droits à l’encontre du re
sponsable et de son assureur
; qu’à partir de 2007,
l’ONIAM a décidé de mettre en place une proposition de régularisation amiable en cas de
substitution à un seul acteur de santé afin d’éviter d’engager des frais contentieux si l’assureur
accepte de rembou
rser l’Office
; qu’en cas de recours, l’ONIAM a confié ces dossiers à des
cabinets d’avocats qui le représentent en justice
;
2. Attendu que par les réquisitoires susvisés, le Procureur général a saisi la Cour des comptes,
toutes chambres réunies, de la responsabilité encourue par MM. X, Y, M, K, L et I, de Mme J,
ainsi que de Maîtres Z, A, B, C, H, D, G, F et E
, à raison de faits susceptibles d’être constitutifs
d’irrégularités au regard des règles de la comptabilité publique
;
3. Attendu que l'ordon
nateur aurait confié à la direction juridique de l’établissement et à six
cabinets d’avocats titulaires des marchés de conseil juridique le recouvrement amiable des
créances ; que cette pratique aurait été constatée sur toute la période sous revue, soit depuis
2011 ;
qu’
elle aurait été confortée par un courrier du 2 avril 2015, établi par l'ordonnateur,
fixant les modalités de recouvrement des recettes sur décision de justice et aux termes duquel
les sommes perçues ne devaient être reversées dans la caisse du comptable qu'à l'issue de
leur recouvrement par les avocats ;
4.
Attendu qu’aux termes du réquisitoire, si le principe de confier un mandat de recouvrement
a été rendu possible, de manière non rétroactive, par l'article 40 de la loi du 20 décembre 2014
susvisée , le décret
d’application
susvisé qui prévoyait
les conditions de mise en œuvre d'une
éventuelle convention de mandat, n'a été publié que le 5 mai 2016 ; que le courrier précité du
2 avril 2015 ne répondrait pas aux exigences de ce décret et n'aurait pas donné lieu à
contreseing par les avocats ; qu’il prévoit que les avocats s'adressent en cas de difficulté au
directeur juridique et non au comptable public ; que l'ordonnateur et le directeur juridique
prendraient la décision d'accorder ou non un échéancier de paiement aux débiteurs
; qu’en
décembre 2016, le comptable public n'aurait toujours pas été saisi pour avis conforme, d'un
projet de convention de mandat répondant aux conditions fixées par la réglementation ;
5.
Attendu qu’il est fait grief aux
avocats de ne pas rendre compte de leur gestion ni des
diligences de recouvrement effectuées, sans qu’aucune relance ne leur soit adressée par
l’ONIAM tandis que le directeur juridique n'aurait pu produire à la Cour un inventaire des
procédures d'exécution en cours au sein des cabinets et des fonds attendus ;
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6. Attendu que les décisions juridictionnelles qui valent titre exécutoire ne donneraient pas lieu
à l'émission par l'ordonnateur d'un titre de recettes en vue de leur enregistrement dans la
comptabilité de l'établissement ; que les titres de recettes ne seraient émis qu'à la suite de la
réception d'un chèque ou d'un virement reçu sur le compte de l'ONIAM ou de la réception d'un
courrier de l'avocat annonçant le paiement ; que ce titre ne serait pas systématiquement
accompagné du jugement correspondant et d'une note d'exécution de ce jugement par le
service juridique ; que le recouvrement effectué par les avocats omettrait dans certains cas la
partie « intérêts à verser à la victime » à recouvrer auprès du responsable de l'accident
médical ; que si le titre de recette correspondait en général au chèque ou au montant viré,
l'établissement n'aurait pas la garantie du recouvrement de tous ses droits, faute d'un
enregistrement préalable en comptabilité et d'un inventaire tenu par les services juridiques ou
les cabinets d'avocats ; qu’une note de service SG
-AC 2013-219 datée du 7 novembre 2013,
signée du directeur de l'ONIAM, prévoit dans son point 4 «
qu'à la réception, les chèques sont
enregistrés par la personne en charge du courrier et transmis au service budget qui les
rapproche des titres émis et régularise si besoin avant transmission à l'agence comptable pour
rapprochement et émargement
» ; que de la sorte les chèques transiteraient par les services
de l'ordonnateur avant transmission à l'agent comptable ;
7. Attendu que l'agent comptable de l'ONIAM aurait indiqué le 8 novembre 2016 que tous les
chèques ne lui sont toujours pas remis directement, ce qu'il a pu constater lors de plusieurs
incidents concernant des chèques falsifiés ; que tous les échanges se feraient avec le service
juridique ou avec l'assistante du directeur, le comptable n'en recevant même pas une copie ;
qu’il a été relevé qu'un chèque de 40 000 €, dont le service ordonnateur a a
ccusé réception,
n'aurait jamais été transmis à l'agent comptable et aurait été égaré ; que cette organisation
conduirait à la méconnaissance de l’état des créances et à une sous
-évaluation de l'actif du
bilan de l'Office ; que cette ignorance concernerait notamment les actions récursoires menées
par l’ONIAM ;
Sur la présomption de gestion de fait
8.
Attendu qu’aux termes du réquisitoire, le remboursement des assureurs en cas d'actions
récursoires ou subrogatoires est prévu par le code de la santé publique ; que les recettes
correspondantes, destinées à l'établissement public, figurent au budget de l'ONIAM ; que ces
recettes revêtiraient donc un caractère public ; que le comptable public serait privé d'une partie
importante de ses prérogatives en matière de recouvrement dès lors qu'il ne serait pas
systématiquement destinataire des chèques et que les services de l'ordonnateur et notamment
le directeur juridique seraient les interlocuteurs des avocats de l'ONIAM ; que les avocats
auraient été chargés, sans texte jusqu'en mars 2015, puis sur le fondement d'un acte unilatéral
du directeur du 2 avril 2015 dépourvu de base légale, d'assurer le recouvrement en exécution
des décisions de justice ; que si dans leurs relations avec leurs clients privés, chargés par ces
derniers de cette exécution, les avocats doivent encaisser sur leurs comptes à la caisse des
règlements pécuniaires des avocats (CARPA) les sommes perçues, ils ne disposent pas d'un
monopole en la matière, contrairement au comptable public ; qu'il n'existerait donc pas dans
la main des avocats de titre légal pour autoriser ce recouvrement et détenir les sommes
perçues ; que le courrier du directeur du 2 avril 2015 et sa pièce jointe ne seraient pas
contresignés par les avocats et ne prévoiraient aucune obligation de rendre compte de leur
activité de recouvrement ou de leurs diligences ni au comptable public ni d'ailleurs à
l'ordonnateur ; qu'aucun inventaire ne permettrait de connaître l'état des créances et droits de
l'établissement, augmentant ainsi le ris
que de pertes de recettes ; que le comptable n’aurait
pas été saisi afin de donner son avis sur un projet de convention qui satisferait aux conditions
du décret
du 3 mai 2016 susmentionné ;
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9. Attendu que les agissements ainsi susvisés pourraient être de nature à constituer une
gestion de fait des deniers de l’ONIAM au sens de l'article 6
0, XI de la loi n° 63-156 du
23 février 1963 modifiée
; qu’à la date d’établissement du présent réquisitoire, les faits
constatés ne sont pas couverts par la prescription de dix années édictée par l'article L. 131-2
du code des juridictions financières ;
SUR LA PROCEDURE
Sur
le défaut d’impartialité de la
procédure
10.
Attendu que le défaut d’impartialité de la procédure de gestion de fait a été invoqué à titre
principal par
Maîtres H et D, Maîtres F et E, Maître Z, Maîtres A et B et Maître C ; que MM. X
et Y ont également invoqué ce point dans leurs observations complémentaires ; que Maître G
l’a également invoqué à titre subsidiaire
;
11.
Attendu que chacun d’entre eux considère que l’indication figurant dans le chapitre du
rapport public annuel 2017 de la Cour des comptes consacré à la gestion de l’ONIAM, selon
laquelle «
l’établissement a confié sans base légale à ses avocats le recouvrement des
décisions de justice. Il co
mpte régulariser pour l’avenir le dispositif par une convention de
mandat, de manière discutable et sans même procéder au préalable à un inventaire de ses
créances en croisant les états transmis par les avocats avec les fichiers contentieux.
»,
constitue un pré-
jugement, au sens de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour
e
uropéenne des Droits de l’Homme
; que les termes du rapport public leur paraissent
suffisamment précis pour permettre le rapprochement avec l’instance en cours, les faits visés
da
ns la publication de la Cour et dans le réquisitoire étant les mêmes et la Cour s’étant à cette
occasion prononcée sur le caractère irrégulier des faits en cause en mentionnant l’absence de
base légale permettant aux avocats de procéder au recouvrement des décisions de justice et
en indiquant que l’établissement comptait régulariser le dispositif pour l’avenir
;
12. Attendu que si les observations critiques évoquées dans le rapport public, objet du présent
litige, mentionnent les défaillances dans la gestion de l'ONIAM, p. 85 à 87, seul un paragraphe
évoque en cinq lignes la question du recouvrement des créances sur décisions de justice, ce
qui ne peut être considéré comme une relation particulièrement circonstanciée d’une affaire
complexe ; que ce paragraphe
n’évoque pas d’éventuelles conséquences dommageables du
dispositif critiqué
et ne contient aucune appréciation sur la gravité des faits et l’ampleur des
sommes en cause
; qu’enfin les auteurs des irrégularités présumées ne sont ni nommés ni
facilement identifiables ;
13.
Attendu qu’ainsi il
n'y a pas lieu de considérer que ces observations seraient de nature à
faire naître dans le chef des personnes attraites à la procédure de gestion de fait des craintes
objectivement justifiées d'un défaut d'impartialité du juge des comptes ;
14.
Attendu que dès lors, la Cour, toutes chambres réunies, a été valablement saisie et qu’il
lui appartient de statuer ;
Sur la violation du principe du contradictoire
15. Attendu que Maîtres Z et C évoquent la violation du principe du contradictoire en raison de
leur audition au cours du mois d'avril 2016 par la magistrate en charge de I' examen de la
gestion de l'ONIAM et du contrôle juridictionnel de ses comptes ; que selon eux, ces entretiens
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étaient en lien direct avec la procédure de gestion de fait
ouverte ultérieurement et que ces
auditions hors procédure ont méconnu le principe
du contradictoire et les droits de la défense
dès lors qu’ils ont été interrogés sur «
le monopole éventuel des avocats dans I
'encaissement
suite à des décisions de justice
».
16. Attendu que les auditions de Maîtres Z et C en avril 2016 ont été menées dans le cadre
d’une procédure non contentieuse d’examen de
la gestion et des comptes
de l’ONIAM
;
qu
’elles
répondaient aux formes exigées par le code des juridictions financières ; que cette
procédure est distincte de la présente instance qui a commencé avec les notifications du
réquisitoire du procureur général près la Cour des comptes en date du 12 septembre 2017 et
des réquisitoires supplétifs susvisés ; que les droits de la défense et notamment le principe du
contradictoire ne s’appliquent qu’à cette phase contentieuse
;
17. Attendu que dans son mémoire en date du 7 février 2019, Me C estime que la «
presque
co
ncomitance entre l’audition de Me
C et son implication dans la présente procédure sont de
nature à caractériser une atteinte au principe du contradictoire et au respect des droits de la
défense »
; que cet argument ne saurait être retenu dès lors que
l’implication de Me
C dans la
présente procédure résulte du réquisitoire supplétif susvisé en date du 22 février 2018 soit
près de deux ans après l’audition incriminée
;
18.
Attendu qu’il n'y a ainsi pas eu atteinte au principe du contradictoire ni au respect
des droits
de la défense ;
Sur l’imprécision des griefs formulés dans le réquisitoire
19. Attendu que Maître C fait valoir que le réquisitoire serait imprécis quant aux griefs
formulés ;
20. Attendu que le II de l'article L. 142-1 du code des juridictions financières dispose que
«
Lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés au I ou au vu des autres
informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la
responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit
la formation de jugement
. »
; qu’en application de ces dispositions, le réquisitoire précité du
12 septembre 2017 décrit les missions et l'organisation de l'ONIAM et détaille les irrégularités
présumées
; qu’il ét
ablit ensuite les éléments de la présomption de gestion de fait ; que de
même, les réquisitoires supplétifs précités des 22 février et 23 mars 2018, élargissent
précisément les imputabilités au vu des éléments recueillis par le rapporteur qui permettent
d'identifier les avocats et cabinets d'avocats concernés ;
21.
Attendu que ces réquisitoires ont permis au rapporteur d’instruire utilement à charge et à
décharge et aux parties d’être en situation de faire valoir leurs arguments en défense
; que
ces trois réquisitoires se lisent en regard, les parties ayant eu communication de copies de
l'ensemble du dossier en application de l'article R. 142-6 du code des juridictions financières ;
qu’ainsi les parties ont été mises en position de conclure de manière préci
se et circonstanciée,
démontrant qu’elles avaient une parfaite appréhension des présomptions énoncées par les
réquisitoires ;
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SUR LE FOND
22. Attendu
que l’article 11 du décret du 29 décembre 1962
susvisé applicable pour une partie
de la période des faits relevés, dispose que «
les comptables publics sont seuls chargés du
maniement des fonds et des mouvements des comptes de disponibilités
» ; que l'article 41 du
même décret précise que «
les opérations de trésorerie sont exécutées par les comptables
publics soit spontanément, soit sur l'ordre des ordonnateurs ou à la demande des tiers
qualifiés
» ; que les opérations de trésorerie s'entendent, aux termes de l'article 40 du même
texte , comme «
tous les mouvements de numéraire, de valeurs mobilisables, de comptes de
dépôts et de comptes courants
» que l’article 42 du RGCP dispose «
les opérations de
trésorerie sont décrites par nature pour leur totalité et sans contraction entre elles. Les charges
et produits résultant de l'exécution des opérations de trésorerie sont imputés aux comptes
budgétaires
» ;
23.
Attendu qu’aux termes de l'article 18 du décret du 7 novembre 2012
susvisé applicable
pour une autre partie des faits visés, le comptable est seul chargé du recouvrement des ordres
de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre
exécutoire, de l'encaissement des droits au comptant et des recettes liées à l'exécution des
ordres de recouvrer et du maniement des fonds et des mouvements de comptes de
disponibilités ;
24. Attendu que la gestion de fait est définie par le XI de l'article 60 de la loi n° 63-156 du
23 février 1963 aux termes duquel «
toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable
public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le
recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste
comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être
engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de I
emploi des
fonds ou valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés. Il est de même pour toute
personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits
irrégulièrement de la caisse d'un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la
qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs
n
appartenant pas aux organismes mais que les comptables publics sont exclusivement
chargés d'exécuter en vertu de la réglementation en vigueur.
» ;
25. Attendu ainsi que pour être constituée, la gestion de fait doit réunir trois éléments : les
deniers maniés ou détenus doivent présenter un caractère public, ils doivent avoir été détenus
ou maniés par une personne autre que le comptable public et ils doivent avoir été détenus ou
maniés en l'absence de titre légal.
Sur le caractère public des deniers
26. Attendu que la quasi-
totalité des parties à l’instance a invoqué l’absence de caractère
public des recettes résultant de l’exécution des décisions de justice jusqu’à leur encaissement
par le comptable public ;
qu’il est soutenu que lorsque l’ONIAM se retourne contre un assureur
défaillant, le quantum de ce qui est s
usceptible de revenir à l’ONIAM n’est pas connu et qu’
à
ce stade seul est engagé un contentieux sur les responsabilités de chacun ; que le fait que les
sommes soient prévues au budget à titre de provision, ne leur confère pas le statut de recettes
publiques certaines
; qu’ainsi, avant l’intervention de l’avocat, il n’existerait aucune créance au
profit de l’ONIAM et que seule l’exécution de la prestation d’assistance juridique permettrait
de faire naître la créance ; que le caractère public des deni
ers en cause ne serait acquis qu’à
compter de l’encaissement des chèques transmis par les avocats de l’ONIAM au titre de
l’exécution d’une décision de justice
;
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27. Attendu que
l’article L.1142
-15 du code de la santé publique dispose que «
En cas de
silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le
responsable des dommages n
est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article
L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur.
(
…)
L
office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime
contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds
institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais
d'expertise.
» ; que l'article L. 1142-23 4° du même code liste les recettes de l'Office et vise
«
le produit des recours subrogatoires mentionnés aux articles ...L. 1142-15...
» dudit code ;
28.
Attendu qu’ainsi l’ONIAM est sub
rogé à concurrence des sommes versées, dans les droits
de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur,
dès que son offre est acceptée par la victime et que dès ce moment la créance, née ou à naître
de ces droits, est alors « transportée » dans le patrimoine de l'Office qui devient le créancier
de la personne responsable du dommage ou de son assureur ; que dès lors, les créances
visées au réquisitoire sont bien des créances publiques ;
29.
Attendu de plus qu’aux termes de l’article 22 du décret du 29 décembre 1962
susvisé et
de l'article 23 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, les recettes publiques «
comprennent
les produits des impositions de toute nature, les produits résultant de conventions ou de
décisions de justice
»
; qu’il résulte de ces textes que dès lors qu'une décision passée en force
de chose jugée a été rendue au profit de l'ONIAM, la créance correspondante, bien que pesant
sur le patrimoine privé du débiteur, est publique ;
Sur la détention et le maniement des deniers en cause
30. Attendu que le maniement
s’entend comme
«
l'ensemble des recouvrements et des
paiements
», tandis que la détention est entendue dans le sens habituel du terme et peut
n'avoir été que temporaire ;
31. Attendu que les avocats visés par la procédure font valoir que le grief de maniement de
fonds publics ne saurait être retenu à leur encontre dès lors que l’avocat est tenu par les textes
régissant la profession et par ceux relatifs au fonctionnement des CARPA de séquestrer
temporair
ement les sommes obtenues en exécution d’une décision de justice et qu’il n’a pas
la libre disposition des fonds, la jurisprudence retenant que la propriété de ces fonds est
acquise à la CARPA et non au déposant
; qu’ils font également valoir que c’est la
CARPA qui
détient la maîtrise du délai durant lequel la somme transite sur le compte où elle a été
enregistrée
; qu’
ils font observer que les fonds étaient reversés dans des délais très brefs à
l’ONIAM (entre 10 jours et un mois en règle générale)
; que par ailleurs, ils soulignent que
seule la CARPA bénéficie des produits financiers des sommes qui y sont temporairement
déposées ;
32. Attendu que lesdits avocats étaient titulaires de contrats de représentation juridique par
lesquels ils ont facilité le recouvrement des fonds en cause en sollicitant de leurs confrères
l
’exécution de
décisions de justice favorables à l’ONIAM
; qu’en application de l’article 420 du
code de procédure civile, «
l'avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau
pouvoir jusqu'à l'exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d'un an après
que ce jugement soit passé en force de chose jugée. Ces dispositions ne font pas obstacle au
paiement direct à la partie de ce qui lui est dû
» ; que ce mandat comporte le
devoir d’accomplir
au nom du mandant les actes de la procédure nécessaires ou utiles jusqu’au terme du procès
;
que cette obligation s’applique à tous les clients d’un avocat sans distinction entre personnes
de droit privé et personnes de droit public ;
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33. Attendu que le 9° de l
’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée dispose que «
les
avocats
[qui]
reçoivent des fonds, effets ou valeurs pour le compte de leurs clients, les
déposent, sauf lorsqu'ils agissent en qualité de fiduciaire, dans une caisse créée
obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux et en
effectuent le règlement
»
; qu’en application de cette loi, l’article 240 du décret du 27 novembre
1991 dispose que «
les fonds, effets ou valeurs mention
nés à l’article 53
-9 de la loi du
31 décembre 1971 précités, reçus par les avocats, sont déposés à un compte ouvert au nom
de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dans les écritures d’une banque ou de
la caisse des dépôts et consignations
» ;
34. Attendu que, par ailleurs,
les avocats n’ont pas la libre disposition des sommes qu’ils
doivent obligatoirement déposer sur leurs comptes CARPA ; que les CARPA disposent
également de la maîtrise du délai durant lesquelles les sommes transitent sur le compte de
chaque avocat et bénéficient des produits financiers des sommes qui y sont temporairement
déposées ;
35.
Attendu qu’au cas d’espèce, les avocats n’ont pas excédé leurs interventions prévues dans
le cadre du mandat qui leur était confié et ont respecté les obligations légales et réglementaires
qui s’imposent à eux pour la détention et le maniement de sommes dues à leurs clients en
application d’une décision de justice
; qu’ils n’avaient que la détention matérielle des fonds
publics devant être versées à
l’ONIAM
sans en avoir la libre disposition
; qu’ils n’ont ainsi joué
qu’un rôle passif dans ladite détention
; qu’ils n’ont ni
manié ni détenu de façon irrégulière des
fonds publics ;
36. Attendu en outre
qu’il ressort de l’instruction que Maître
G exerce les fonctions d'avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, fonctions régies par l'ordonnance du 10 septembre
1817, ainsi que les décrets n° 2002-76 du 11 janvier 2002 et n° 2016-652 du 20 mai 2016 ;
que les dispositions de la loi du 31 décembre 1971 ne sont pas applicables aux avocats au
Conseil d'État et à la Cour de cassation ; que ceux-ci n'ayant pas à connaître du fond des
affaires, ils n'ont pas à assurer l'exécution des condamnations pécuniaires et ne disposent à
ce titre d'aucun compte CARPA ou équivalent ;
37.
Attendu qu’en fonction de
ce
qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant
les autres moyens, il
n’
y a pas lieu à gestion de fait ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article unique.
Il n’y a pas lieu à gestion de
fait à raison des éléments relevés dans le
réquisitoire n° 2017-39 RQ-GF du 12 septembre 2017 et dans les réquisitoires supplétifs
n° 2018-7 RQ-GF du 22 février 2018 et n° 2018-14 RQ-GF du 23 mars 2018.
Fait et jugé par M. Gilles ANDRÉANI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Philippe GEOFFROY, Yves ROLLAND, Jacques BASSET, Christian CARCAGNO et
Patrick SITBON, conseillers maîtres.
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En présence de Mme Michelle OLLIER, greffière de séance.
Michelle OLLIER
Gilles ANDRÉANI
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur
ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les
tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-
forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142
-20 du code des juridictions financières, les
arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation
présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le
délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une
ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce
dans les conditions prévues au I de l’article R. 142
-19 du même code.