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QUATRIÈME CHAMBRE
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Première section
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Arrêt n° S2018-3611
Audience publique du 15 novembre 2018
Prononcé du 7 décembre 2018
COMMUNE DE PUNAAUIA
(POLYNÉSIE FRANCAISE)
Appel d’un jugement de la chambre
territoriale des comptes de Polynésie
française
Rapport n° R-2018-1099
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête, enregistrée le 17 mai 2018 au greffe de la chambre territoriale des comptes de
Polynésie française, par laquelle Mme X, comptable de la commune de Punaauia, a élevé appel
du jugement n° 2018-0001 du 28 février 2018 par lequel la
juridiction l’a constituée débitri
ce de
83 630 805 francs CFP envers cette collectivité pour défaut de diligences dans le recouvrement
de 5 565 titres de recettes pris en charge en 2009, 2010 et 2011 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire
n° 2017-0005-PF du 6 octobre 2017 du procureur financier près la chambre territoriale des
comptes de Polynésie française ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment les dispositions combinées des
articles L. 1617-5 et L. 1874-
1 relatives à la prescription quadriennale de l’action en
recouvrement des comptables publics applicables en Polynésie française à compter du
1
er
mars 2008 ;
Vu l’article 60 de la loi
n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée, dans sa rédaction antérieure à la
loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la
comptabilité publique ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu le rapport de M. Yves ROLLAND, conseiller maître
, magistrat, chargé de l’instruction
;
Vu les observations complémentaires formulées par l’appelante, e
nregistrées au greffe de la
Cour des comptes les 8 et 13 novembre 2018 ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 720 du 8 novembre 2018 ;
Entendu, lors de l’audience publique du
15 novembre 2018, M. Yves ROLLAND, en son rapport,
Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, les autres
parties informées de l’audience, n’étant ni présentes ni représentées
;
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Entendu, en délibéré, M. Olivier ORTIZ, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
1. Attendu que par le jugement entrepris, la chambre territoriale des comptes a constitué, au
titre des exercices 2013 et 2014, Mme X débitrice de 83 630 805 francs CFP envers la commune
de Punaauia pour n’avoir pas apporté la preuve de diligences adé
quates, complètes et rapides
en vue du recouvrement de 5 565 titres pris en charge en 2009, 2010 et 2011 et prescrits sous
sa gestion ;
que l’appelante demande l’infirmation du jugement du
28 février 2018 en ce qu’il
aurait, à tort, mis en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire
; qu’outre un moyen
préliminaire sur les caractéristiques du poste comptable, Mme X invoque,
à l’appui de sa
demande, cinq moyens au fond ;
Sur les caractéristiques du poste comptable
2. Attendu que Mme X fait valoir qu'elle a été affectée en Polynésie française au 1
er
janvier 2011
pour une durée de 2 ans, renouvelée une fois compte tenu de ses états de service
; qu’en qualité
de chef de poste à la trésorerie des îles du vent, des australes et des archipels, issue de la
fusion en 2003 de 3 postes comptables, elle a eu la charge de 41 collectivités sur 48 que compte
la Polynésie française et de 5 syndicats, situés sur un territoire très étendu ;
3. Attendu, toutefois, que le juge des comptes fait exclusivement reposer ses décisions relatives
aux manquements commis par les comptables publics sur l’examen matériel des comptes, ce
qui exclut à ce stade toute prise en considération des circonstances effectives d’exe
rcice des
fonctions de comptable public autres que les circonstances relevant de la force majeure ; que le
moyen invoqué est donc inopérant
; qu’il pourra néanmoins, le cas échéant, être présenté par
Mme X
à l’appui d’une demande de remise gracieus
e auprès du ministre chargé du budget ;
Sur la déduction des frais de poursuites
4.
Attendu que l’appelante conteste l'intégration des frais de poursuite dans le débet mis à sa
charge par les premiers juges, en s'appuyant sur le fait qu'en Polynésie française la procédure
réglementaire n'a jamais été appliquée ; qu’elle
fait valoir que ces frais sont
rattachés aux titres
de recettes
sans qu'ils aient fait l'objet d'une écriture comptable de régularisation ; qu’elle estime
que la commune de Punaauia bénéficierait, si ces sommes lui étaient reversées, d'un
enrichissement sans cause ; qu’
en conséquence, elle demande à la Cour de déduire les frais
de poursuites du montant du débet ;
5. Attendu que si les montants de créances restant à recouvrer intègrent des frais de poursuites
par nature dus à l’É
tat, le défaut de recouvrement de la totalité des montants de créances est
imputable à l’inaction du comptable, qui doit en répondre dans le c
adre de la mise en jeu de sa
responsabilité personnelle et pé
cuniaire ; que l’argument tir
é de l'enrichissement sans cause de
la
commune est inopérant dans la mesure où
celle-ci devra reverser, ultérieurement, ces frais
de poursuite à l'État ; que le moyen doit donc être écarté ;
Sur les obligations des comptables en matière de poursuite
6.
Attendu que, s’agissant des titres pris en charge en 2009 et 2010, Mme
X relève que son
prédécesseur a bénéficié d'une ordonnance de décharge à l'issue de l'examen des
comptes
alors qu’elle avait
formulé des réserves motivées par l'état dégradé du poste comptable
lors de son entrée en fonctions ; que, prenant acte de l'impossibilité de voir désormais la
responsabilité de son prédécesseur mise en jeu,
l’appelante
demande à la Cour, par souci
d'équité, de lui appliquer les règles qui ont conduit la chambre territoriale des comptes à
exonérer son prédécesseur de sa responsabilité ; que dans ses mémoires complémentaires,
l’appelante reprend à son compte l’argumentation du rapporteur en appel en ce qu’il considère,
d’une part, que deux comptables se trouvant dans une situation identique en termes de délai
pour obtenir le recouvrement de créances seraient traités différemment et, d’autre part, que «
les
créan
ces prescrites en 2013 et 2014 ne l’ont pas été [du] fait
[de Mme X] mais de celui de [son]
prédécesseur
» ;
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7. Attendu que, s'agissant des titres pris en charge en 2011, Mme X fait valoir que la prescription
de l'action en recouvrement est intervenue en 2015, année partagée entre elle-même et son
successeur ; que, se référant aux conclusions du procureur financier qui avait proposé un
partage de responsabilité entre elle et son successeur, fondé sur des réserves de ce dernier
que le ministère public a estimé motivées car accompagnées d'un rapport sur la situation du
recouvrement des recettes en Pol
ynésie à sa prise de fonctions, l’appelante
se déclare
«
surprise que ce document interne soit cité dans les conclusions du ministère public
»
; qu’elle
invoque également la jurisprudence du juge des comptes selon laquelle «
les circonstances
dans lesquelles les comptables exercent leurs fonctions ne peuvent être présentées devant le
juge des comptes
»
; qu’e
lle souligne, enfin, que si les réserves de son successeur sont
motivées, elles ne sont ni précises ni détaillées dans la mesure où elles ne mentionnent aucun
titre, aucun exercice, aucun budget, ni les montants concernés ;
8. Attendu que le juge des comptes, tant en premier
ressort qu’en appel est lié par les charges
soulevées par le ministère public dans son réquisitoire, celui-ci ayant le monopole des
poursuites ; qu’au cas d’espèce, le réquisitoire susvisé du procureur financier près la chambre
territoriale des comptes
ne soulevant aucune charge à l’encontre du prédécesseur de
Mme X
, la chambre territoriale des comptes n’a co
mmis aucune erreur de droit en ne se
prononçant pas sur la gestion de celui-ci ; que cette branche du moyen ne peut être accueillie ;
9. Attendu que les comptables dégagent leur responsabilité s'ils apportent la preuve que leurs
diligences en vue du recouvrement de recettes ont été adéquates, complètes et rapides dans
les circonstances particulières de chaque affaire, compte tenu notamment de la nature et du
montant des créances en cause ; que sont considérées comme adéquates, complètes et
rapides, des diligences propres à prévenir la disparition ou l'insolvabilité du redevable, la
prescription de la créance ou la péremption des garanties ; que la formulation de réserves ne
dégage la responsabilité du comptable entrant que si leur motivation est suffisamment précise
et que le bien-fondé de celle-ci est confirmé par le juge des comptes ;
10.
Attendu qu’il n’est pas contesté que les réserves formulées par Mme
X sont suffisamment
motivées ; que, toutefois, pour les titres pris en charge en 2009, elle disposait
d’un délai de 12
à 14 mois pour obtenir le recouvrement de ces titres avant la prescription
de l’action en
recouvrement
; que s’agissant des titres pris en charge en 2011, le recouvrement était fortement
compromis le 4 janvier 2015, date à laquelle la comptable a quitté ses fonctions, dans la mesure
où il s’agissait
de créances adressées à de nombreux particuliers pour des montants
relativement faibles
; que la comptable n’apporte pas la preuve d’actes interruptifs
de
prescription pris sous sa gestion qui auraient atteint les débiteurs concernés ; que, par ailleurs,
le successeur de Mme X a émis des réserves sur lesdits titres ;
11. Attendu qu
’
en conséquence,
la chambre territoriale des comptes n’a pas commis d’erreur
de droit en mettant en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X pour les titres
en cause ;
Sur une instruction interne relative à
l’envoi de commandements par
courrier simple
12.
Attendu que l’appelante
argue des difficultés que rencontrent les comptables publics
pour
concilier
l’
instruction de la
direction générale des finances publiques recommandant, pour des
raisons économiques, d'envoyer les commandements par courrier simple et la position du juge
des comptes qui considère que, faute de preuve de la notification de ces commandements aux
débiteurs, il n'y a pas interruption de la prescription ; qu’
eu égard à ces injonctions
contradictoires, elle demande à la Cour de tenir compte des conditions d'exercice
particulières
de ses fonctions en Polynésie française, qui ont présidé à
l’
envoi par courrier simple de plus
de 250 000 commandements ;
13.
Attendu qu’une instruction de l’administration constitue une mesure d’organisation de ses
services, qui ne peut avoir de conséquence sur l’obligatio
n faite au comptable, en vertu de la loi,
de recouvrer les recettes
; qu’elle
ne saurait lier le juge des comptes ; que le moyen est donc
inopérant mais pourra, le cas échéant, être présenté par Mme X
à l’appui d’une dema
nde de
remise gracieuse adressée au ministre chargé du budget ;
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Sur la prise en compte des enjeux financiers
14. Attendu que
l’appelante
fait valoir que sur les 5 565 titres pour lesquels elle est constituée
débitrice, le montant de la quasi-
totalité d'entre eux est inférieur à 126 € alors que le coût d'une
lettre recommandée avec accusé de réception est de 10 € en Polynésie
; qu’e
lle rappelle que
l'article 111-7 du code des procédures civiles d'exécution introduit par l'ordonnance du
19 décembre 2011 dispose que le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution
ou la conservation de la créance ; que cette exécution ne peut excéder ce qui serait nécessaire
pour obtenir le paiement de l'obligation ; que, selon Mme X, au regard des montants non
recouvrés et dans le respect du principe de proportionnalité, les commandements de payer
adressés aux débiteurs de la commune de Punaauia constituaient des mesures adéquates et
complètes
; qu’e
lle considère que c'est en contradiction avec le code des procédures civiles
d'exécution que le jugement entrepris a déclaré les diligences inadaptées ; qu
’ainsi
sa
responsabilité personnelle et pécuniaire ne saurait être engagée
; qu’e
lle invoque, enfin, des
propos tenus par le procureur général près la Cour des comptes devant
une association de
cautionnement mutuel, selon lequels les comptables publics ne peuvent pas - et même ne
doivent pas - consacrer les mêmes efforts à tous les recouvrements de créances
indistinctement ;
15. Attendu, toutefois, que le jugement entrepris ne se prononce pas sur le caractère adapté ou
non des commandements mais sur le simple fait que la comptable n'est pas en mesure
d'apporter la preuve par tout moyen que les commandements ont effectivement atteint les
débiteurs concernés ; que, dès lors, le jugement n'est aucunement en contradiction avec les
dispositions de l'article 111-7 du code des procédures civiles d'exécution ;
16.
Attendu qu’en ce qui concerne le
coût d'envoi de lettres recommandées avec accusé de
réception au regard du montant unitaire des créances à recouvrer pour la commune, les sommes
en cause s'imputent sur les frais de poursuite et sont donc dues à l'État par les débiteurs ; que,
dans ces conditions, il y a lieu d’écarter
le moyen comme non fondé en droit ;
Sur la prescription
de l’action en recouvrement
17.
Attendu que l’appelante
fait valoir que les titres concernés ont tous fait l'objet de
commandements qui, selon elle, sont interruptifs de prescription comme en témoigneraient les
états informatiques issus de l'application DDPAC qui mentionnent l'existence de ces
commandements ; qu’elle conteste que le jugement puisse considérer le recouvrement
définitivement compromis et invoquer comme date de prescription le 31 décembre 2013 ; que,
selon elle, la prescription n'opère pas de plein droit mais que le débiteur, pour être dans la
situation de pouvoir en bénéficier pour être libéré, doit s'en prévaloir et dans certaines
conditions ; que l'article 2247 du code civil précise qu'il n'appartient pas au juge de soulever
d'office la prescription et de déclarer prescrite l'action du créancier quand bien même il constate
que toutes les conditions de la prescript
ion sont réunies , qu’en l'espèce, aucun des débiteurs
n'ayant soulevé la prescription des créances, la responsabilité du comptable ne saurait, selon
l’appelante,
être engagée ;
18.
Attendu que, contrairement aux dires de l’appelante, il appartient au juge des comptes de
se prononcer sur la prescription des recettes et de mettre en jeu la responsabilité du comptable
lorsque cette prescription intervient du fait de ses négligences, en application du I de l'article
60 de la loi du 23 février 1963, de l'article L.1617-5-3 du CGCT et de la loi n° 68-1250 du
31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les
communes et les établissements publics ; que le moyen doit donc être écarté ;
Par ces motifs,
DECIDE :
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Article unique
- La requête de Mme X est rejetée.
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Fait
et
jugé
en
la
Cour
des
comptes,
quatrième
chambre,
première
section.
Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de la formation ;
MM.
Denis
BERTHOMIER,
Olivier
ORTIZ
conseillers
maîtres,
Mme
Isabelle
LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître, et M. Etienne CHAMPION, conseiller maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
Jean-Yves BERTUCCI
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce
requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-
forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dis
positions de l’article R. 142
-20 du code des juridictions financières, les
arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation
présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai
de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance
peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les
conditions pré
vues au I de l’article R. 142
-19 du même code.