Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation du rapport sur les finances publiques locales
Conférence de presse
Mardi 25 septembre 2018
Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue ce matin à la Cour des comptes pour la présentation du
sixième rapport annuel sur les finances publiques locales, qui est le fruit d’un travail conjoint
entre la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes.
Je salue d’ailleurs ceux qui, depuis les chambres régionales des comptes, assistent à la
retransmission de cette conférence de presse.
Pour vous présenter ce travail, j’ai à mes côtés Roch-Olivier Maistre, président de chambre
et rapporteur général de la Cour, Christian Martin, président de la formation inter-juridictions
chargée de l’élaboration de ce rapport, Bertrand Beauviche et Perrine Tournade, rapporteurs
généraux auprès de cette formation. Je tiens à leur exprimer ma reconnaissance pour le
travail accompli, ainsi qu’aux autres membres de l’équipe : à la Cour, Yannick Cabaret,
Frédéric Pichon, Yann Boukouya et Christelle Crand-Mounguéngué, et dans les chambres
régionales Dorine Derouault et Renan Mégy.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République prévoit que
ce rapport, destiné au Parlement et au Gouvernement, porte à la fois sur la situation
financière et la gestion des collectivités territoriales et des établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI).
Avec le rapport annuel sur le budget de l’État, remis en mai, et le rapport annuel sur la
sécurité sociale, publié prochainement, le document présenté aujourd’hui constitue la
troisième séquence et le troisième pilier des travaux de la Cour en matière de finances
publiques. De même que les deux premiers, il nourrit le rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques globales qui est publié tous les ans en juin.
Au même titre que l’État et les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales
sont en effet concernées par le respect des engagements européens de la France en
matière de redressement des comptes publics.
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Les enjeux que recouvrent les finances locales sont très importants : je rappelle qu’en
comptabilité nationale, les administrations publiques locales (APUL) représentaient 18 % de
l’ensemble de la dépense publique et 9 % de la dette publique totale en 2017. Par ailleurs,
elles bénéficient d’importants transferts financiers de l’État, à hauteur de 101 Md€ en 2017.
Avant de vous présenter nos principaux constats, je voudrais vous faire part d’un élément de
contexte et d’un élément de méthode spécifiques à l’édition de cette année.
D’abord, nos travaux se sont inscrits dans le contexte particulier d’un changement de
paradigme dans la gouvernance des finances publiques locales. Au mécanisme de baisse
des dotations de l’État, en vigueur entre 2014 et 2017, a succédé en 2018 un dispositif de
contractualisation et de fixation d’un plafond de dépenses.
Le rapport présenté aujourd’hui est donc, pour les juridictions financières, l’occasion de
présenter un bilan inédit des effets de l’ancien mécanisme et de mettre en lumière les
perspectives qu’offre le nouveau.
Ensuite, dans la continuité des efforts effectués depuis sept ans pour améliorer sans cesse
la fiabilité de nos constats, nos analyses ont porté sur des données considérablement
enrichies. À titre d’exemple, la Cour est la première à analyser les comptes de gestion des
collectivités locales en consolidant les budgets principaux et les budgets annexes.
En définitive, ce rapport expose trois constats principaux et présente deux études
approfondies.
•
Premièrement, la baisse des dotations de l’État entre 2014 et 2017 a bien eu l’effet
escompté en portant un coup d’arrêt à la progression de la dépense locale sur cette
période.
•
Toutefois, les résultats de l’année 2017, marqués par une moindre maîtrise des
dépenses, montrent que le redressement demeure fragile.
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•
Troisièmement, si l’objectif de plafonnement de la dépense locale en 2018 apparaît
ambitieux mais atteignable, le respect de la trajectoire prévue pour les années
suivantes est très incertain.
•
Enfin, le rapport présente une étude approfondie de deux points ayant trait à la
gestion des collectivités : l’un porte sur la fiabilité des comptes publics locaux, l’autre
sur la mise en oeuvre par les communes de leurs compétences scolaires et
périscolaires.
Je vais revenir brièvement sur chacun de ces points.
En dépit d’une certaine reprise à la hausse des dépenses en fin de période, sur laquelle je
reviendrai dans un instant, l’analyse rétrospective présentée dans ce rapport observe que la
baisse des dotations de l’État entre 2014 et 2017 a bien eu les conséquences attendues.
Elle a conduit les collectivités locales à engager des efforts de maîtrise de leurs dépenses –
efforts qui se sont traduits par un redressement d’ensemble de la situation financière locale
sur la période. Ce sera mon premier message.
Je commencerai par quelques chiffres-clés du bilan effectué par la Cour.
Entre 2013 et 2017, le montant total des concours financiers de l’État aux collectivités
locales (intégrés dans les transferts financiers hors fiscalité transférée) est passé de
58,2 Md€ à 47,1 Md€, soit une baisse de 19 %, sous l’effet d’une réduction de 11,2 Md€ de
la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
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Cette baisse a été atténuée par le dynamisme de la fiscalité, dont les produits ont crû de
3,7 % par an en moyenne entre 2013 et 2017, contre 2,5 % par an entre 2010 et 2013.
En définitive, les produits de fonctionnement des collectivités locales ont augmenté de
12,2 Md€ entre 2013 et 2017, à un rythme annuel moyen de 1,4 %, contre 2,4 % entre 2010
et 2013.
Sans constituer un recul, ce ralentissement global a réduit les marges de manoeuvre dont
disposaient les collectivités pour faire face à la hausse de leurs dépenses et a favorisé de
notables efforts de gestion.
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En témoigne le véritable coût d’arrêt porté à la progression des dépenses locales –
investissement et fonctionnement – en 2014, première année de baisse de la DGF. Ce net
ralentissement explique que le taux moyen annuel de croissance de ces dépenses soit
passé de 3,1 % entre 2010 et 2013 à 0,3 % entre 2013 et 2017.
L’impact de cette pression sur les ressources s’est manifesté de manière particulièrement
tranchée et rapide pour les dépenses d’investissement, qui ont reculé de 11 % sur la même
période.
Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, ont progressé à un rythme moyen annuel
divisé par deux par rapport à la période 2010 – 2013 (1,4 % entre 2013 et 2017 contre 3 %
auparavant), notamment grâce à d’importants efforts de maîtrise des effectifs, qui ont permis
un ralentissement de la croissance des dépenses de personnel et même leur stabilisation en
2016.
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Au total, ces évolutions ont permis aux collectivités de renouer en 2015 avec des niveaux
d’excédents qu’elles n’avaient plus connus depuis 2003.
Elles leur ont permis de ralentir le rythme de croissance de leur endettement (à 2,2 % par an
en moyenne contre 3,5 % entre 2010 et 2013). Le poids de la dette locale rapporté au PIB
s’est ainsi trouvé réduit sur la période.
*
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Toutefois, il ne faut pas confondre cette amélioration d’une situation globale auparavant très
dégradée avec un redressement complet et définitif. Il est au contraire partiel et fragile, ce
que tendent à montrer les résultats obtenus en 2017. C’est le deuxième message de la Cour.
Le redressement est partiel, car plusieurs indicateurs demeurent préoccupants.
La capacité d’autofinancement est encore loin de son niveau de 2011. Le besoin de
financement a bien reculé dans les régions (-19 %) mais il est reparti à la hausse dans les
départements (+5 %) et surtout au sein du bloc communal, où il s’élevait à 23 % en 2017.
Le redressement est également fragile : c’est ce que souligne l’évolution observée en 2017.
Certes, pour la troisième année consécutive, quoique dans une moindre mesure qu’en 2015
(1,1 Md€) et en 2016 (3,3 Md€), les collectivités locales ont dégagé en 2017 un excédent et
donc une capacité de financement, qui s’est élevé à 1,7 Md€. Ce résultat va dans le sens
d’une amélioration globale de leur situation financière.
Mais au-delà de ce résultat global, l’analyse de l’évolution des recettes et des dépenses met
en lumière à la fois un desserrement de la contrainte pesant sur les ressources et une
reprise à la hausse des dépenses.
L’atténuation de la pression qu’exerçait l’État sur les ressources des collectivités n’est donc
pas sans lien avec une moindre maîtrise des charges de ces dernières en 2017.
Trois facteurs expliquent le desserrement de la contrainte financière en 2017 :
•
d’abord une atténuation de la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF)
– cette baisse ayant été divisée par deux pour le bloc communal en application d’une
décision du Président de la République de juin 2016 ;
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•
ensuite une augmentation de la fiscalité transférée par l’État aux collectivités locales
et particulièrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dont les
départements sont les principaux bénéficiaires ;
•
enfin, une hausse accrue du produit des impôts directs locaux (à hauteur de 2,3 Md€,
soit + 2,8 % après +2,5 % en 2016).
En définitive, les collectivités locales ont bénéficié en 2017 d’un surcroît de recettes fiscales
nettement supérieur à la baisse des dotations de l’État.
S’agissant des dépenses, la Cour a observé une accélération de la croissance des charges
de fonctionnement et un redémarrage de l’investissement en 2017.
La progression globale des dépenses de fonctionnement des collectivités est ainsi passée
de + 0,1 % en 2016 à + 2,1 % en 2017, s’établissant respectivement à 1,9 % et 2,8 % pour
les collectivités du bloc communal et les départements.
Cette accélération doit toutefois être mise en perspective avec deux éléments spécifiques à
2017 :
•
d’une part, la hausse de l’inflation en 2017 ;
•
d’autre part, l’impact particulièrement important des décisions nationales sur les
charges de fonctionnement des collectivités locales, à hauteur de 1,8 Md€, soit un
niveau largement plus important que les deux années précédentes
À titre d’exemple, les deux revalorisations successives du point d’indice de la fonction
publique et de l’application des mesures du protocole « Parcours professionnels, carrières et
rémunérations » (PPCR) ont pesé pour 1,3 Md€ sur les charges de personnel.
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L’année 2017 s’est aussi caractérisée par une nette reprise des dépenses d’investissement.
À l’exception des départements, dans lesquels ces dépenses ont continué de reculer mais à
rythme moindre qu’auparavant, l’investissement des communes a enregistré un bond de
10 % et celui des régions de 9,5 %.
Par ailleurs, au sein de chaque catégorie de collectivités, l’amélioration partielle de la
situation d’ensemble n’a pas sensiblement réduit la grande disparité des situations locales.
À titre d’exemple, au sein du bloc communal, la maîtrise des charges paraît avoir été plus
marquée dans les ensembles intercommunaux de grande taille, notamment les métropoles
et leurs communes-membres, dont le degré d’intégration et les capacités de mutualisation
sont les plus élevés.
Une grande hétérogénéité subsiste également au sein des départements. Leur situation
financière dépend en effet étroitement de facteurs conjoncturels très variables localement.
Les dépenses de RSA se sont quasiment stabilisées en 2017 (+ 0,6 %) mais pas dans tous
les départements. Par ailleurs, l’ensemble des autres dépenses sociales, ayant trait aux
personnes âgées et handicapées et à l’aide sociale à l’enfance, y compris la prise en charge
des mineurs non accompagnés, a encore connu une progression soutenue (+ 2,1 %). Pour y
faire face, les départements disposent de ressources de niveaux très variables.
Notre rapport de l’année dernière l’avait déjà souligné : certains départements se voient
affligés d’une « double peine ». D’une part, un faible niveau de recettes fiscales et, d’autre
part, un montant élevé de dépenses sociales non couvertes.
*
J’en viens au troisième message du rapport, qui porte sur les perspectives des finances
locales.
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La loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 a substitué au système de
contrainte indirecte par les ressources un dispositif de contractualisation avec les
collectivités prévoyant une action directe sur les dépenses.
Si l’objectif de plafonnement de ces dépenses retenu pour 2018 apparaît ambitieux mais
atteignable, le respect de la trajectoire prévue pour les années suivantes est très incertain.
Quelques remarques préalables, tout d’abord, sur les contrats de partenariat financier qui
avaient vocation à être conclus avec les 322 collectivités les plus importantes. 230
collectivités et groupements ont effectivement signé un contrat, tandis que les 92 autres se
sont vues notifier par arrêté préfectoral leur objectif de dépense.
Je rappelle que ce dispositif plafonne à 1,2 % par an en valeur la progression annuelle des
dépenses de fonctionnement de chaque collectivité pour la période 2018-2020 et prévoit des
pénalités financières en cas de dépassement.
Bien entendu, l’appréciation de l’efficacité de ce nouveau mode de régulation nécessitera du
recul. Toutefois, quelques faiblesses de départ apparaissent d’ores et déjà. J’en citerai deux.
D’abord, une part significative de la dépense locale reste en dehors du champ encadré.
Ensuite, il existe un écart significatif entre l’ambition initiale de contrats d’engagement
individualisés et les conditions effective de leur mise en oeuvre.
Dans la mesure où il repose sur un principe d’adaptation des efforts de gestion demandés en
fonction des collectivités, ce mécanisme semble répondre à une recommandation réitérée de
la Cour de mieux prendre en compte la diversité des situations locales.
Pourtant, il apparaît que les plafonds de dépenses assignés à chaque collectivité n’ont été
que faiblement ajustés en fonction des critères définis par la loi de programmation
(croissance démographique, revenu moyen par habitant, efforts d’économies antérieurs). La
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modulation du taux d’évolution des dépenses autour de l’objectif national de 1,2 % s’est
avérée de faible ampleur.
Dans la réponse qu’il a transmise à la Cour, le Premier ministre laisse toutefois entendre que
cette situation pourrait évoluer dans le sens d’une plus grande modularité, dans le cadre des
échanges qui devraient avoir lieu entre les préfets et les collectivités au terme de la première
année d’application du nouveau dispositif.
En ce qui concerne les perspectives financières elles-mêmes, l’objectif global d’évolution des
dépenses que je viens de citer apparaît ambitieux. Si la reprise de l’inflation constatée en
2017 se confirme, il ne pourra être respecté qu’au prix d’une réduction des dépenses en
volume, inédite jusqu’ici.
En début de période, il apparaît pourtant atteignable, dans la mesure où l’impact des
décisions nationales sur les budgets locaux s’annonce plus faible en 2018 qu’au cours des
années précédentes. Cet objectif semble par ailleurs avoir été pris en compte dans les
budgets primitifs pour 2018 analysés par la Cour. L’observation de la comptabilité des huit
premiers mois de l’année fait effectivement apparaître une progression maîtrisée des
dépenses de fonctionnement, à hauteur de 0,9 %.
En revanche, au-delà de 2018, une grande incertitude entoure la réalisation de la trajectoire
prévue par la loi de programmation.
Si l’objectif de dépenses est atteint en début de période, les collectivités devraient en effet
connaître une forte amélioration de leur épargne, supérieure au besoin de financement de
leurs investissements tels que prévus dans la loi de programmation en fonction du cycle
électoral.
Il est peu probable que ce surplus soit affecté à la diminution de leur endettement, car la
grande majorité des collectivités est peu endettée. De même, une baisse des impôts locaux
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est peu plausible, compte tenu de l’exonération progressive de la taxe d’habitation engagée
par ailleurs.
L’importante amélioration de leur équilibre financier pourrait donc conduire les collectivités
soit à renforcer leur effort d’équipement soit à relancer les dépenses de fonctionnement ce
qui pourrait les faire sortir de la trajectoire prévue par la loi de programmation.
*
Après ces analyses de nature financière, le rapport présente une étude approfondie de deux
points ayant trait à la gestion des collectivités : l’un porte sur la fiabilité des comptes publics
locaux, l’autre sur la mise en oeuvre par les communes de leurs compétences scolaires et
périscolaires.
Vous ne serez pas étonnés d’entendre dans la bouche du Premier président de la Cour des
comptes que les citoyens doivent disposer d’une information complète, lisible et fiable sur les
actions et les décisions engageant les finances locales.
Or, la qualité de cette information dépend de celle des comptes publics produits par les
collectivités locales.
Il s’agit évidemment d’un sujet de préoccupation de longue date pour les juridictions
financières. Les chambres régionales des comptes y prêtent systématiquement attention à
travers leurs contrôles. La Cour a déjà formulé dans ses rapports publics annuels des
recommandations en vue de renforcer la fiabilité et la lisibilité des états financiers locaux, le
rôle du comptable public et sa coopération avec l’ordonnateur ou encore la place du contrôle
interne comptable et financier.
Le rapport présenté aujourd’hui relève qu’un processus de modernisation des cadres
juridique et comptable nécessaires à l’amélioration globale de la fiabilité des comptes est
désormais à l’oeuvre, en partie grâce aux travaux du Conseil de normalisation des comptes
publics (CNOCP) qui a entrepris de constituer un recueil des normes comptables applicables
au secteur public local, notamment aux collectivités territoriales et leurs établissements
publics.
Nos travaux mettent également en lumière les leviers mobilisables pour que ces progrès se
confirment.
Premier levier : l’adoption d’un compte financier unique, en remplacement du compte
administratif et du compte de gestion. Il constituerait non seulement une source de
clarification de l’information financière mais aussi d’amélioration de la fiabilité des comptes,
et pourrait à ce titre être expérimenté sans tarder.
Deuxième levier : l’utilisation des enseignements tirés de l’expérimentation en cours dans les
juridictions financières d’une certification des comptes publics locaux. Ses premiers résultats
fournissent en effet des enseignements utiles au secteur public local, en illustrant les efforts
encore nécessaires pour atteindre une fiabilité suffisante du contrôle interne, des procédures
comptables et des systèmes d’information financière.
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Enfin, le rapport présenté aujourd’hui fait le point sur l’exercice par les communes de leurs
compétences scolaires et périscolaires. Je voudrais souligner l’ampleur des données
recueillies à cet égard par les juridictions financières, à travers la conduite par les chambres
régionales des comptes de 92 analyses de situations locales et une collaboration avec deux
enseignants-chercheurs de l’Université de Lille 1.
Si nous avons choisi de nous pencher cette année sur ce thème, c’est parce que le rôle des
communes est devenu majeur dans le domaine scolaire, et surtout périscolaire, et que cela
emporte d’importants enjeux de gestion.
En principe facultatif, l’exercice de la compétence périscolaire par les communes s’est en
effet largement développé, sous le double effet de la demande sociale et de la réforme des
rythmes scolaires de 2013.
Il prend diverses formes, allant du transport scolaire à la gestion de la restauration collective
en passant par l’accueil des enfants avant et après la classe et donc par le déploiement
d’une offre d’activités périscolaires à visée éducative.
Cela s’est traduit, dans le budget des communes, par une croissance soutenue des
dépenses relatives aux domaines scolaire et périscolaire, à hauteur de 4,3 % par an entre
2009 et 2017. Le montant global atteint désormais 16 Md€, dont la moitié permet de financer
le personnel. Les communes prennent donc aujourd’hui en charge 37 % de la dépense
d’éducation dans le primaire.
Ces constats globaux appellent deux grands types d’observation de la part de la Cour : l’un
porte sur les choix de gestion des communes et l’autre sur l’articulation de leurs
compétences avec celles de l’État.
Tout d’abord, les grandes masses que je citais à l’instant recouvrent des niveaux de
dépenses et des coûts très variés selon les choix effectués par les communes.
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La mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires est parlante à cet égard. La liberté
laissée aux communes dans la fixation des horaires scolaires et, en conséquence, dans
l’offre d’activités périscolaires, les ont conduites à procéder à des choix de gestion et
d’organisation fortement différenciés en fonction de leur taille, de leur implantation
territoriale, de leurs marges budgétaires et de leurs exigences quant à la qualité des services
proposés (garderie, aide aux devoirs, ateliers éducatifs, etc.).
La Cour observe que les coûts induits ont très fortement variés en fonction de ces choix,
mais aussi en fonction du mode d’organisation du service, qui a parfois donné lieu à de forts
gains d’efficience, et du mode de tarification des activités. Si l’impact financier total de la
réforme sur les communes a été estimé entre 210 et 310 M€, une fois pris en compte
l’accompagnement financier des caisses d’allocations familiales et de l’État, l’impact réel a
été très différent selon les situations locales, certaines collectivités ne subissant pas de
surcoût sensible.
Bien entendu, il appartient aux représentants locaux du suffrage universel de décider du
niveau et du mode d’intervention des communes dans les domaines scolaire et périscolaire.
S’agissant toutefois de la mise en oeuvre de ces décisions, le constat d’une si grande
hétérogénéité des coûts plaide pour qu’une attention vigilante soit accordée aux
conséquences budgétaires des choix de gestion.
La Cour recommande qu’un référentiel des coûts scolaires et périscolaires soit élaboré, de
façon partagée avec les communes et leurs groupements, afin de leur fournir un outil utile
pour optimiser leur gestion. Ce référentiel devrait bien entendu prendre en compte à la fois la
taille des communes et le niveau de qualité des services offerts.
Par ailleurs, même si les marges de manoeuvre des communes pour maîtriser plus
efficacement leurs dépenses en matière scolaire et périscolaire sont réduites, le rapport met
en lumière plusieurs pistes, s’agissant notamment de la gestion des bâtiments scolaires ou
de celle du personnel. Pour ce dernier, il s’agit par exemple de l’annualisation du temps de
travail des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), du recours à des
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contractuels dans des conditions juridiques qui devraient être mieux sécurisées, de la
création de groupes d’agents polyvalents en réponse à l’absentéisme.
Le rapport souligne aussi la nécessité d’améliorer la coordination entre les communes et
l’État, dans la mesure où les collectivités interviennent de façon croissante dans la prise en
charge des enfants pendant le temps scolaire et assurent au nom de l’État un certain
nombre de responsabilités, comme l’inscription des élèves et le contrôle du respect de
l’obligation scolaire.
Plusieurs sujets spécifiques mériteraient une coordination bien plus étroite. J’en citerai trois.
D’abord, des progrès paraissent nécessaires dans l’élaboration de la carte scolaire. Si une
concertation est assurée par les services déconcentrés de l’éducation nationale avec les
élus préalablement aux ouvertures et fermetures de classe, les prévisions d’effectifs, qui en
constituent le socle, restent insuffisamment partagées.
Ensuite, la répartition territoriale des écoles primaires publiques évolue trop lentement.
Certes, le nombre d’écoles publiques et privées a baissé de près d’un quart depuis 1980.
Mais de grandes inégalités demeurent en termes de nombre de classes par école et de
nombre d’élèves par classe – ces inégalités étant aggravée par l’évolution en cours de la
démographie scolaire fortement différenciée selon les territoires.
Cette grande disparité territoriale rend nécessaire d’accélérer le rééquilibrage du maillage
scolaire en développant davantage les outils de concertation et d’accompagnement. Cela
passe par une meilleure prise en compte de la dimension intercommunale dans l’élaboration
des cartes scolaires, par la constitution de regroupements pédagogiques intercommunaux
autour de pôles intégrant un collège et les écoles rattachées et par la conclusion de
conventions de ruralité. Toutefois, cette évolution ne passe pas nécessairement par des
transferts de compétences des communes à leurs EPCI.
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Il paraît par ailleurs souhaitable de favoriser la définition par les communes d’une stratégie
coordonnée en matière scolaire et périscolaire et de veiller à sa cohérence avec les priorités
nationales définies par l’État, comme, par exemple, la scolarisation des enfants de moins de
trois ans.
Enfin, dans le domaine de l’enseignement primaire comme dans bien d’autres, le partage
des politiques publiques entre l’État et les collectivités territoriales devrait conduire celui-ci à
être plus attentif à l’analyse préalable des conditions locales de mise en oeuvre de ses
réformes. Cette analyse a manqué lors de la généralisation des nouveaux rythmes scolaire
en 2014, du retour à la semaine de quatre jours en 2017 ou de l’extension du dédoublement
des classes la même année.
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*
*
Mesdames et messieurs,
La Cour met en évidence une amélioration de la situation financière locale, pour la troisième
année consécutive.
La réussite du nouveau mécanisme de contractualisation et de plafonnement des dépenses
impliquera un retour à des efforts de gestion forts et continus de la part des collectivités.
La bonne gouvernance des finances locales ne peut toutefois reposer uniquement sur un
mécanisme de régulation des dépenses.
Des travaux importants doivent être ouverts ou poursuivis parallèlement, en concertation
avec les collectivités locales. Ils portent sur la fiabilité des comptes, le poids des décisions
nationales sur la gestion locale, le rééquilibrage du poids respectif des dotations
« forfaitaires » et des dotations de péréquation, ou encore sur la fiscalité locale. À cet égard,
la révision des valeurs locatives cadastrales devrait notamment être menée à son terme.
À travers les très nombreux travaux qu’elles publient chaque année, les juridictions
financières s’attachent à accompagner l’État et les collectivités territoriales dans leurs efforts
de plus grande maîtrise et de plus grande efficacité de la dépense publique, et continueront
de le faire.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent, pour répondre à vos questions.