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Formation plénière
Commune du Thuit-Signol
(département de l’Eure)
Gestion de fait de l’association amicale
du personnel communal du Thuit-Signol
Exercices 2006 à 2015
Jugement n° 2018-02
Audience publique du 18 janvier 2018
Prononcé du jugement le 8 février 2018
JUGEMENT
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA CHAMBRE,
Vu le réquisitoire n° 2015-067 du 16 novembre 2015, enregistré au greffe le 20 novembre 2015, par
lequel le procureur financier près la chambre des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie a
saisi la juridiction d’opérations qu’il estimait constitutives d’une gestion de fait dans le maniement des
deniers de la commune du Thuit-Signol (Eure) et d’une éventuelle amende prévue à l’article L. 231-9
du code des juridictions financières ;
Vu le jugement du 13 avril 2017 par lequel la chambre régionale des comptes Normandie a déclaré
Monsieur Daniel X... comptable de fait des deniers de la commune du Thuit-de-l’Oison à raison des
sommes extraites irrégulièrement de la caisse de la commune du Thuit-Signol sous la forme de
subventions versées à l’association Amicale du personnel communal du Thuit-Signol entre le
1
er
janvier 2006 et le 19 mars 2014 ;
Vu les justifications présentées en exécution dudit jugement, et notamment le compte des opérations
de la gestion de fait appuyé des pièces justificatives produit le 14 juin 2017 par M. X..., ensemble la
délibération du 20 juillet 2017 par laquelle le conseil municipal de la commune du Thuit-de-L’Oison
s’est prononcé sur le caractère d’utilité publique des dépenses portées au compte de la gestion de
fait ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique
et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu la décision du 18 octobre 2017 du Procureur général près la Cour des comptes organisant l’intérim
du ministère public de la chambre régionale des comptes ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le rapport n° 2017-0192 de M. Thomas Deflinne, premier conseiller, magistrat chargé de
l’instruction ;
Vu les conclusions du procureur financier du 12 janvier 2018 ;
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Après avoir entendu, lors de l’audience publique du 18 janvier 2018, M. Deflinne en son rapport,
M. Fabrice Navez, procureur financier par intérim, en les conclusions du ministère public,
l’ordonnateur, informé de l’audience, n’étant pas présent, le comptable de fait étant représenté par
Maître Franck Langlois et Maître Isabelle Enard-Bazire ;
ORDONNE CE QUI SUIT
Attendu que, par le jugement du 13 avril 2017 susvisé, il a été demandé à M. X..., dans un délai de
deux mois, de déposer au greffe de la chambre le compte dûment signé des opérations de la
comptabilité de fait ainsi qu’une délibération du conseil municipal du Thuit-de-l’Oison, commune
nouvelle venant aux droits et obligations de la commune de Le Thuit-Signol, se prononçant sur l’utilité
publique des dépenses portées dans le compte de la gestion de fait ;
Attendu qu’à l’audience, M
e
Langlois a demandé à la chambre de surseoir à statuer dans l’attente de
la décision du juge administratif sur la validité de la délibération du 20 juillet 2017 par laquelle le conseil
municipal du Thuit-de-l’Oison a écarté la reconnaissance d’utilité publique des dépenses portées au
compte de la gestion de fait ;
I.
Sur la demande de sursis à statuer
Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 231-3 du code des juridictions financières,
« les personnes que la chambre régionale des comptes a déclarées comptables de fait sont tenues
de lui produire leurs comptes dans le délai qu’elle leur impartit » ;
Attendu que, le 14 juin 2017, M. X... a transmis à la chambre régionale des comptes, ainsi qu’au
conseil municipal du Thuit-de-l’Oison, un compte des opérations de la gestion de fait ; que ce compte
fait état d’un total de recettes de cent quarante-sept mille euros (147 000 €) et d’un total de dépenses
de cent mille neuf-cent quatre-vingt-quatre euros soixante et un centimes (100 984,61 €) ;
Attendu que, par une délibération du 20 juillet 2017 prise en application des dispositions de l’article
L.1612-19-1 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal du Thuit-de-l’Oison a
rejeté le caractère d’utilité publique des dépenses du compte présenté par M. X... ; que cette
délibération est exécutoire ; qu’ainsi la chambre est en possession d’un compte endossé par le
comptable de fait et support d’une délibération relative à l’utilité publique des dépenses qui y figurent ;
Attendu que le recours introduit par M. X... devant le tribunal administratif et tendant à son annulation
n’a pas d’effet suspensif en vertu de l’article L. 4 du code de justice administrative ;
Attendu que le conseil de M. X... a fondé sa demande de sursis à exécution sur la circonstance que
l’issue de l’instance devant le juge administratif était susceptible d’avoir une incidence sur la décision
du juge des comptes, dans la mesure où ce dernier, en cas d’annulation de la délibération précitée,
retrouverait la possibilité d’examiner la régularité des dépenses ;
Attendu cependant que, dans l’exercice de son office, le juge des comptes n’est pas tenu par le juge
administratif en l’état ; que l’affaire est en état d’être jugée au fond par la chambre ; qu’il n’y a dès lors
pas lieu de surseoir à statuer ;
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II.
Sur la ligne de compte
Sur les recettes
Attendu que le total des recettes inscrites au compte de la gestion de fait s’élève à 147 000 euros,
correspondant aux mandats versés par la commune à l’association à titre de subvention entre le
18 mai 2006 et le 16 octobre 2014 ; qu’il ne ressort pas du dossier qu’il y ait lieu à forcement en
recettes ; qu’il convient en conséquence d’admettre les recettes à hauteur de 147 000 euros ;
Sur les dépenses
Attendu que le total des dépenses alléguées par le comptable de fait s’élève à 100 984,61 euros,
correspondant, d’une part, au solde d’un compte courant postal au 31 décembre 2014
(5 354,61 euros), d’autre part, au versement d’une somme de 18 000 euros à l’association Comité de
fêtes de Thuit-Signol, d’autre part, à un dépôt sur le compte bancaire de l’association (1 350 euros),
enfin, à des dépenses de personnel pour un total de 76 280 euros correspondant à des compléments
de rémunération aux personnels municipaux intitulés « prime de fin d’année » ainsi qu’à la
rémunération d’une employée communale
au cours des années 2006 à 2013 ;
Attendu que la procédure de gestion de fait, au stade du jugement du compte, tend à obtenir le
rétablissement des formes comptables de la collectivité ; que la régularité des opérations d’une
gestion de fait s’apprécie au regard tant des règles applicables à chaque type d’opération qu’à celui
des règles de la comptabilité publique, notamment celles relatives aux justifications attendues de la
part de tout comptable public, patent ou de fait ; qu’il incombe au juge, avant de s’assurer de la validité
des justifications produites, de vérifier que l’autorité budgétaire a donné son consentement aux
dépenses de la gestion de fait ;
Attendu que le conseil municipal du Thuit-de-l’Oison a, par délibération du 20 juillet 2017, refusé de
reconnaître le caractère d’utilité publique des dépenses figurant au compte de la gestion de fait
présenté par M. X... ;
Attendu que ce dernier fait valoir que certaines de ces dépenses relèvent bien de l’utilité
publique communale ; qu’à l’audience publique, il a été soutenu pour M. X... que les compléments de
rémunération versés aux agents communaux présentaient le caractère de dépenses obligatoires ;
Attendu que le juge des comptes, s’il est compétent pour apprécier la régularité des payements, ne
pourrait sans excès de pouvoir se substituer à l’autorité budgétaire en allouant des dépenses que
celle-ci n’aurait pas déclarées faites dans un but de véritable utilité publique ; que s’il peut en aller
autrement, par exception, pour les dépenses qui ont été la condition même des recettes et en sont
inséparables, cette circonstance n’est pas vérifiée en l’espèce ;
Attendu que le moyen tiré du caractère obligatoire des dépenses, à supposer qu’il permette d’allouer
des dépenses qui n’ont pas été reconnues d’utilité publique, a été présenté tardivement ; qu’au
demeurant, les délibérations du conseil municipal du Thuit-Signol des 2 octobre 1979 et 7 octobre
1980, produites à l’audience publique, ne sauraient être regardées comme ayant créé des avantages
collectivement acquis au sens de l’article 111 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; qu’il en va
a fortiori
de même pour la rémunération occulte versée à une employée municipale au titre d’heures de travail
qu’elle savait n’avoir le droit d’accomplir en raison de son cumul d’emplois ;
Attendu que, pour les autres dépenses retracées au compte, M. X... soutient que la somme de 18 000
euros, versée au comité des fêtes du Thuit-Signol, correspondait à une subvention communale
destinée au règlement de prestations réalisées par la société UniverStunt, dans le cadre d’une
manifestation organisée par la commune ; qu’aucun lien n’est établi entre l’intention prêtée à la
commune et le montant versé audit comité des fêtes ; qu’en toute hypothèse, le conseil municipal du
Thuit-de-l’Oison a refusé de reconnaître l’utilité publique de cette dépense ;
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Attendu que le solde du compte courant postal et le dépôt d’espèces sur un compte bancaire ne
constituent pas des dépenses de la gestion de fait ;
Attendu enfin qu’aucune justification n’a été présentée en vue de justifier l’écart de 46 015,39 euros
apparu entre les recettes et les dépenses mentionnées au compte, que M. X... explique par
l’impossibilité, à laquelle il aurait été confronté, de produire des attestations émanant d’anciens
personnels communaux aujourd’hui disparus ;
Attendu qu’en conséquence, en tout état de cause, le montant des dépenses susceptibles d’être
allouées s’élève à 0 euro ;
III.
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu que les recettes de la gestion de fait s’établissant à 147 000 euros et les dépenses à 0,
l’excédent des recettes admises sur les dépenses allouées représente pour la commune un manquant
en deniers, qui a entraîné pour la personne publique un préjudice financier au sens des dispositions
de l’article 60, VI, de la loi du 23 février 1963 susvisée ;
Attendu que M. X... doit être déclaré débiteur envers la commune du Thuit-de-l’Oison de la somme de
147 000 euros ;
Attendu qu’en vertu des dispositions de l’article 60, VIII, de la loi du 23 février 1963, les débets portent
intérêt à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des
comptables publics ; que ledit premier acte ne peut être antérieur à l’acquisition, par l’intéressé, de la
qualité de comptable de fait ; que cette qualité résulte du jugement de déclaration de gestion de fait
du 13 avril 2017, par lequel la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X... a
été recherchée ; qu’ainsi il y a lieu de fixer au 15 avril 2017, date de la notification du jugement au
comptable, le point de départ
des intérêts de débet ;
IV.
Sur l’amende
Attendu qu’en application des dispositions combinées des articles L. 131-11 et L. 231-9 du code des
juridictions financières, les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n'ont pas fait l'objet pour les
mêmes opérations des poursuites prévues à l'article 433-12 du code pénal, être condamnés à
l'amende en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ; qu’il résulte des mêmes
dispositions que le montant de l'amende tient compte de l'importance et de la durée de la détention
ou du maniement des deniers, des circonstances dans lesquelles l'immixtion dans les fonctions de
comptable public s'est produite, ainsi que du comportement et de la situation matérielle du comptable
de fait, son montant ne pouvant dépasser le total des sommes indûment détenues ou maniées ;
Attendu qu’il est constant que les opérations constitutives de la gestion de fait des deniers de la
commune du Thuit-Signol se sont déroulées au moins sur une période de neuf années, de 2006 à
2014 ; qu’une proportion importante des dépenses, dont la destination n’a pu être établie au cours de
l’instruction, est dépourvue de toute justification ;
Attendu que M. X... fait valoir en défense sa bonne foi ; qu’il est à cet égard incontestable que, lors de
l’instance devant la chambre régionale des comptes, il a apporté son concours au magistrat
instructeur et établi le compte dans les meilleurs délais ;
Attendu en revanche qu’il a organisé seul les opérations litigieuses dont il n’ignorait pas le caractère
illégal, ainsi qu’il l’a reconnu ; qu’il ressort du dossier, contrairement à ses affirmations, qu’il ne s’est
pas borné à reprendre une pratique ancienne mais a décidé, ainsi qu’il l’a lui-même déclaré à deux
inspecteurs de l’URSSAF le 28 mai 2014, de distribuer des primes de fin d’année au personnel via le
compte de l’amicale du personnel, sans faire intervenir l’assemblée délibérante ; qu’il a pris la
responsabilité de manier et distribuer, sans aucune garantie, d’importantes sommes en espèces ; qu’il
s’est abstenu de verser dans la caisse communale les sommes déposées dans les établissements
bancaires ;
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Attendu enfin que le comptable de fait, qui indique n’avoir tiré aucun profit des opérations en cause,
n’a pas fait état de ses capacités contributives ;
Attendu en conséquence qu’il y a lieu, au regard de la gravité et de la durée des irrégularités relevées
de la part d’un élu qui ne pouvait ignorer les règles de la fonction publique et de la comptabilité
publique, compte tenu de sa qualité de maire et de vice-président du conseil général, de condamner
M. X... à une amende de cinq mille euros ;
V.
Sur les suites du jugement
Attendu qu’à l’audience, le défenseur de M. X... a sollicité le sursis de paiement d’un éventuel débet ;
Attendu qu’il n’appartient pas au juge des comptes de statuer sur une telle demande, qui pourra être
présentée au besoin aux autorités compétentes pour y donner suite.
PAR CES MOTIFS,
Article 1
: La demande de sursis à statuer présentée par M. X... est rejetée ;
Article 2
: La ligne de compte est fixée à 147 000 euros en recettes et à 0 euro en dépenses ;
Article 3
: M. X... est constitué débiteur envers la commune du Thuit-de-l’Oison de la somme de
147 000 euros majorée des intérêts de droit à compter du 15 avril 2017 ;
Article 4
: M. X... est condamné à une amende de 5 000 euros
Article 5
: La chambre régionale des comptes n’est pas compétente pour statuer sur la demande de
sursis de paiement présentée par M. X... ;
Article 6
: Le présent jugement sera notifié à M. X..., au maire de la commune du Thuit-de-l’Oison et
au comptable de ladite collectivité. Copie en sera adressée à la direction départementale des finances
publiques de l’Eure.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Normandie par M. Christian Michaut, président,
MM. Rémy Janner, Hubert La Marle et Marc Beauchemin, présidents de section, MM. Marc Baudais,
Jean-Marc Le Gall et Guillaume Gautier, premiers conseillers.
La greffière,
Le président,
Véronique LEFAIVRE
Christian MICHAUT
Collationné, certifié conforme à la minute étant au Greffe
de la Chambre et délivré par moi Secrétaire Général
Christian QUILLE
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La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit
jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux
de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter
main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
CONDITIONS D'APPEL :
Code des juridictions financières – article R. 242-19 et suivants : «
Les jugements rendus par les
chambres régionales des comptes peuvent être attaqués dans leurs dispositions définitives par la
voie de l'appel devant la Cour des comptes
» (…) – article R. 242-23
« L’appel doit être formé dans
le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
»