Sort by *
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Le 8 décembre 2017
Le Premier président
à
Monsieur Édouard Philippe,
Premier ministre
Madame Sophie Cluzel,
Secrétaire d’État, auprès du Premier ministre,
chargée des personnes handicapées
Réf
.
: S2017-2639
Objet
: L
’aide à l’insertion professionnelle des personnes handicapées
: l’intervention de
l’AGEFIPH et
du FIPHFP
En application des dispositions respectivement des articles L.111-6 et L.111-3 du
code des juridictions financières, la
Cour a contrôlé la gestion de l’association nationale de
gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et
du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article L.143
-
1 du même code, d’appeler votre attention sur les observations suivantes.
La loi n° 37-517 du 10 juillet 1987 a fixé une
obligation d’emploi en faveur de l’emploi
des travailleurs handicapés à hauteur de 6% des effectifs salariés
1
dans les entreprises de
plus de 20 salariés. Cette loi a également créé l’AGEFIPH, association qui collecte une
contribution auprès des entreprises ne respectant pas cette obligation
d’emploi
et qui finance
des actions
d’aide à l’insertion professionnelle
au bénéfice des personnes handicapées
2
.
1
Le fondement de ce taux
n’est pas précisé par cette loi.
2
Les types de reconnaissance administrative ouvrant droit à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés sont,
pour le secteur privé : la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), la pension d’inv
alidité dans
le cas d’une réduction d’au moins deux tiers de la capacité de travail ou de la rémunération, les victimes d’un
accident du travail ou d’une maladie professionnelle ayant entraîné une incapacité permanente d’au moins 10%,
les pensionnés de gue
rre ou assimilés, la détention de la carte d’invalidité lorsque le taux d’incapacité est au moins
égal à 80% et l’allocation aux adultes handicapés.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
2
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Depuis cette loi de 1987, la fonction publique est également soumise à une obligation
d’emploi similaire. Les règles qui lui sont applicables sont
toutefois plus souples que celles qui
sont en vigueur dans le secteur privé : le même taux de 6% prévaut pour tous les organismes
employant plus de 20 salariés, mais, pour l’atteindre, les employeurs de la fonction publique
peuvent comptabiliser, en plus des salariés bénéficiant de la reconnaissance administrative
ouvrant droit à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés,
les titulaires d’un emploi
réservé, les agents qui bénéficient d’une allocation temporaire d’invalidité et les agents
reclassés
3
.
Enfin, la loi n° 2005-
102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances,
la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a assujetti les employeurs publics
à une contribution financière semblable à celle que les employeurs privés acquittent en cas de
non-respect du taux de 6 %. Cette contribution est versée au FIPHFP, créé par cette même
loi.
Au terme de ses contrôles, la Cour constate que la gestion de l’AGEFIPH et du
FIPHFP, coûteuse et mal maîtrisée, est confrontée à une impasse financière (I). De surcroît la
valeur ajoutée des deux organismes, dans la mise en œuvre de la politique d’insertion
professionnelle des personnes handicapées, apparaît faible (II). Ces constats expliquent que
les résultats de cette politique soient insuffisants ; ils
mettent en évidence la nécessité d’une
refondation (III).
1
LA GESTION DES DEUX ORGANISMES EST COÛTEUSE, MAL
MAITRISÉE ET CONFRONTÉE À UNE IMPASSE FINANCIÈRE
1.1
Une gestion coûteuse
1.1.1
L’AGEFIPH
L’AGEFIPH détermine ses dépenses de fonctionnement
à partir d’
un pourcentage de
10 %,
dont la base a d’abord été le
produit de la collecte, mais est désormais le montant total
du budget approuvé. Ce taux de 10
%, évoqué par la convention d’objectifs
2008-2010 conclue
entre l’État et l’AGEFIPH, n’a aucun f
ondement, ni réglementaire, ni économique.
Sur la période 2012-
2015, les charges de fonctionnement n’ont baissé que de 2,8 %
alors que le produit de la collecte diminuait de 21,5 %. Le niveau des dépenses de personnel
reste élevé, en raison
de l’augmenta
tion des effectifs, liée en partie seulement au transfert du
recouvrement des cont
ributions de l’État à l’AGEFIPH
en application de la loi de finances pour
2011, mais également en raison du niveau moyen de rémunération et d
e l’octroi d’importants
avantages
en nature aux cadres de direction, ainsi que du versement d’indemnités de
licenciement et de transaction d’un montant élevé.
L’instruction de la Cour a
montré que l
es syndicats d’employeurs et de salariés
représentés au conseil d’administration ont bénéfi
cié de deux types de ressources financées
par l’AGEFIPH
: d’une part, de
s subventions dites « assistants auprès des administrateurs »
(2,3
M€ entre 2012 et 2015), dont le suivi a été défaillant, et d’autre part, de
s rémunérations
d’études ou d’actions spéc
ifiques (1,9
M€ sur la même période), dont l’apport réel soulève des
interrogations au regard de leur coût et dont la pérenn
ité ne devrait être assurée qu’après
une
évaluation précise de leur qualité et de leur valeur ajoutée.
3
Cette dissymétrie qui donne à la notion de handicap une définition particulièrement extensive dans la fonction
publique a fait l’objet d’un référé du Premier président de la Cour des comptes le 29 février 2012, auquel le
gouvernement n’a pas donné suite jusqu’à présent.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
3
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
1.1.2
Le FIPHFP
Le décret n°2006-504 du 3 mai 2006 a confié la gestion du FIPHFP à la Caisse des
dépôts et consignations (CDC). Ce choix emporte des conséquences sur le niveau des
rémunérations accordées aux personnels rattachés directement au FIPHFP (soit 10,8 ETP en
2015), qui sont détach
és pour l’essentiel de la Caisse des dépôt
s
et bénéficient d’un régime
avantageux, mais également sur les coûts du mandat de gestion accordé à la Caisse : celui-
ci se traduisait en effet, en 2015, par 61,4 ETP mobilisés au sein de la CDC et refacturés au
FIPHFP.
Si l’État a cherché à maîtriser les coûts de gestion
du FIPHFP en fixant des limites
dans les conven
tions d’objectifs signées avec c
e fonds, ces bornes ont été établies à des
niveaux élevés, puisque le plafond défini pour les frais de fonctionnement a été fixé à 10 %
des dépenses d’intervention sur la période 2014
-2018.
1.2
Une collecte de ressources mal maîtrisée
Les modalités de calcul de la contribution due par les employeurs, déterminées à
l’origine par la loi du 10 juillet 1987 et ses textes d’application, ont été réformées à la suite de
la loi du 11 février 2005. Des dysfonctionnements caractérisent toutefois encore la souscription
et le traitement des déclarations.
La complexité de la déclaration
4
que les employeurs doivent adresser aux deux
organismes est
tout d’abord
source de nombreuses erreurs, préjudiciables à une mise en
œuvre
efficace de la collecte des contributions.
Dans le secteur privé, un nombre important de déclarations sont en outre
incomplètes.
Jusqu’au 1
er
janvier 2013, le traitement des déclarations obligatoires d'emploi des
travailleurs handicapés (DOETH) des employeurs privés était assuré par les services
déconcentrés de l’État, qui avaient accumulé un retard de deux a
ns. Le prestataire choisi en
2015 pour relancer les employeurs défaillants s’
est révélé inadapté. Un autre a été désigné
afin d’apurer les retards de saisie et d’effectuer les relances nécessaires
: en juillet 2016,
malgré les progrès enregistrés, le retard dans le traitement des déclarations était encore de
l’ordre d’une année. De surcroît, alors que la convention conclue entre l’État et l’AGEFIPH
prévoyai
t la mise en œuvre d’un plan de contrôle annuel, celui
-
ci n’a été réalisé que très
partiellement, en raison des volumes des déclarations restant à traiter et des retards
accumulés.
Dans le secteur public, le recouvrement de la contribution auprès des employeurs
publics n’est pas non plus toujours immédiat : en 2015, 12
% d’entre eux ne se sont pas
acquittés spon
tanément de leur contribution, alors qu’il s’agit d’une contribution obligatoire due
par des administrations ou organismes publics. En outre, les contrôles des déclarations
effectués par le FIPHFP sont restés
trop peu nombreux pour s’assurer de l’exa
ctitude des
déclarations
5
, bien que les résultats des contrôles effectués aient été alarmants : par exemple,
sur l’échantillon analysé en 2015,
13 % seulement des déclarations ont été jugées conformes
et, dans 55 % des cas, une sous-évaluation de la contribution calculée a été constatée.
Enfin, le traitement des recours des employeurs a été trop longtemps négligé : les
procédures mises en place ne permettent pas d’en assurer correctement
le suivi, ce qui
fragilise le fonds en cas de contentieux.
4
Les modalités de déclaration sont fixées par une circulaire n°2006/06 du 22 février 2006 du délégué général à
l’emploi et à la formation professionnelle.
5
En 2015, moins de 2
% des déclarations ont fait l’objet d’un contrôle.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
4
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
1.3
Un modèle de financement aboutissant à une impasse financière
Le fonctionnement de l’AGEFIPH et du FIPHFP repose sur
un modèle économique
qui aboutit à une impasse financière
: au fur et à mesure que l’insertion des personnes
handicapées progresse, les ressources de ces organismes, fondées sur la contribution des
employeurs qui ne remplissent pas leurs obligations d’emploi, se réduisent inévitablement,
alors même que les dépenses continuent à augmenter ou ne diminuent pas dans les mêmes
proportions. Il r
ésulte de cet effet de ciseaux qu’un point de rupture financier est désormais
envisageable pour chacun des deux fonds, ce qui rend nécessaire, si on souhaite les
pérenniser, une réforme de leur cadre d’intervention et de leurs modalités de financement
.
Le montant issu de la collecte de la contribution des employeurs a ainsi baissé à
l’AGEFIPH de plus de 100 M€
entre
2012 (518 M€)
et
2015 (406 M€). Dans le même temps,
les dépenses sont restées stables, ce qui a entraîné un déficit de fonctionnement croissant :
24,7 M€ en 2013
,
59,7 M€ en 2014
,
53,9 M€ en 2015
et 76,7
M€ en 2016. Les fonds propres
ont de ce fait fortement diminué
: ils devraient être d’environ 82 M€ fin 2017, ce qui correspond
désormais presque
au montant d’un seul déficit annuel.
La situation est semblable pour le FIPHFP : les derniers exercices se sont soldés par
un déficit d’exploitation
de 89,8
M€ en 2014
, 58,4
M€ en 2015
et 25
M€ en 2016
6
.
Ces résultats défavorables ont été amplifiés par une contribution de chacun de ces
deux organismes au financement des
contrats d’accompagnement dans l’emploi et des
contrats uniques d’insertion
(CAE - CUI), à hauteur de 29
M€
par année sur la période 2015 à
2017 ; cette contribution a été décidée par le législateur au motif que les personnes
handicapées peuvent prétendre au bénéfice de ces contrats.
Dans ce contexte marqué par une menace sur la pérennité financière des deux fonds,
le comité interministériel du handicap du 2 décembre 2016 a arrêté le principe d’une réforme
du «
modèle de financement de l’A
GEFIPH et du FIPHFP ». Les inspections générales des
finances et des affaires sociales ont été chargées en
mai 2017 d’une mission exploratoire sur
ce sujet. L’objectif de leur mission est de formuler des propositions visant à assurer à
l’AGEFIPH et au FIPH
FP une trajectoire budgétaire soutenable, mais également de proposer
«
des perspectives d’évolution structurelle du mode de financement de la politique d’insertion
professionnelle des personnes handicapées ».
Pour autant, quelles que soient les mesures qui devront être prises pour permettre
un retour à l’équilibre financier de ces deux
organismes, la situation actuelle appelle une
interrogation fondamentale sur la place et le rôle de ces deux instruments de la politique de
l’accès à l’
emploi des personnes en situation de handicap.
6
L’article L. 323
-8-6-1 du code du travail, relatif au FIPHFP, dispose que ce fonds est réparti en trois sections
(fonction publique de l’État, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière). La loi appelle explicitement
à une affectation exclusive des crédits de chaque fonction publique à ses propres dépenses. Pour autant, la
présentation des compt
es du FIPHFP n’est pas établie par section et le compte de réserve est unique, ce qui crée
en pratique une fongibilité des crédits entre les fonctions publiques contestable au regard de la loi. Dans le même
esprit, les documents établis par le fonds ne per
mettent pas d’apprécier directement les montants encore
disponibles pour chaque fonction publique,
alors que l’article 24 du décret de 2006 a prévu que « le gestionnaire
administratif individualise dans ses écritures les opérations afférentes à chaque section du fonds et à chaque région
[et] rend compte au comité national, à chaque séance, de l’état d’avancement de la consommation des crédits
d’intervention du fonds par section et par région »
.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
5
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
2
LES DEUX ORGANISMES ONT UNE FAIBLE VALEUR AJOUTÉE
DANS LA MISE EN ŒUVR
E DE CETTE POLITIQUE PUBLIQUE
L’AGEFIPH et le FIPHFP
interviennent essentiellement comme de simples
financeurs, sans stratégie ni expertise propres, et leurs résultats sont limités.
2.1
Une offre d’interventions
dont la portée stratégique est mal
définie
2.1.1
Un effacement de l’État dans le pilotage de l’AGEFIPH
L’AGEFIPH exerce, par délégation et pour le compte de l’État, des compétences
d’
administration publique, telles que la gestion du dispositif de reconnaissance de la lourdeur
du handicap (RLH) ou le financement et la mise en œuvre des parcours de formation
professionnelle qualifiante et certifiante
des demandeurs d’emploi handicapés. E
n application
de l’article L
. 323-8-3 du code du travail, elle est soumise au contrôle administratif et financier
de l'État.
Toutefois, si le contrôleur général économique et financier placé auprès de
l’association assiste aux réunions de ses instances st
atutaires et est membre de sa
commission financière, il ne dispose d’aucun pouvoir particulier, tel que celui que lui donnerait
par exemple une procédure de visa préalable. Sa mission, qui relève du conseil, est seulement
consultative.
Par ailleurs, l’Éta
t a
la prérogative d’approuver le projet de répartition des
contributions pour l’année en cours, au plus tard le 31 mars de chaque année. En réalité, cette
approbation n’intervient que lorsque le budget est déjà largement engagé. Cette procédure est
donc sans portée réelle.
Enfin, aux termes de l’article L. 5214
-2 du code du travail, une convention d'objectifs
doit être conclue tous les trois ans entre l'État et l’AGEFIPH. Or, si une convention d’objectifs
2008-2010 a effectivement été signée, puis prolongé
e d’un an, cet exercice n’a jamais été
renouvelé
: non seulement l’absence actuelle de convention d’objectifs est contraire aux
dispositions légales, mais l’État se prive ainsi d’un moyen de préciser les priorités assignées
à cet organisme. B
ien qu’il
soit
prévu par la règlementation, le rôle de l’État apparaît
particulièrement réduit dans le pilotage stratégique de l’AGEFIPH.
2.1.2
Des organismes essentiellement cantonnés à un rôle de financeur
Le
montant et la part des aides et des prestations directement allouées par l’AGEFIPH
et le FIPHFP est faible : pour une grande part de leurs dépenses, les deux organismes ne
servent en pratique que de source de financement.
En particulier, les deux fonds sont astreints au financement du réseau national des
Cap emploi
7
: c
es organismes sont financés par l’AGEFIPH depuis 1994
(61,3 M€ en 2015),
en application de conventions multipartites incluant l’État et Pôle emploi
; par ailleurs, la loi du
11 février 2005 a imposé au
FIPHFP la mise en place d’un partenariat avec l’AGEFIPH,
notamment pour financer le réseau des Cap emploi et ses actions dites de placement
spécialisé (50,7 M€ en 2015).
7
Ce réseau est composé de 110 organismes, définis par la loi du 11 février 2005 comme des « organismes de
placement spécialisés » (OPS). Créés par la loi du 30 juin 1975 ou la loi de 1987 sur l'obligation d'embauche des
personnes handicapées, ils ont connu des appellations diverses, mais sont, depuis 1999, tous rassemblés sous le
même logo de communication « Cap emploi ».
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
6
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Les deux organismes sont engagés dans ces soutiens indépendamment de leurs
choix propres quant aux prestataires de leurs interventions, puisque ni l’AGEFIPH ni le
FIPHFP n’agréent les structures du réseau des Cap emploi
8
.
Outre les Cap emploi, l’AGEFIPH finance également des services d’aide au maintien
dans l’entreprise des tra
vailleurs handicapés (SAMETH) et le réseau des ALTHER, dont la
mission est de conseiller les entreprises pour déterminer les moyens permettant de remplir
leur obligation d’emploi.
Par ailleurs, le partenariat du FIPHFP avec l’AGEFIPH recouvre une participa
tion aux
actions définies par cette dernière dans le domaine du recrutement et du maintien dans
l’emploi. Cependant,
la signature systématiquement tardive des documents contractuels
relatifs à ce partenariat et le report de l’évaluation des actions menées par l’AGEFIPH montre
nt
que le FIPHFP reste également cantonné, sur ce point, dans un rôle de co-financeur.
2.1.3
Des interventions non priorisées et peu innovantes
L’AGEFIPH n’a réalisé que récemment une évaluation de son offre d’interventions
:
le rapport, re
ndu par un cabinet d’études en octobre 2015, met en évidence de nombreux
points faibles, parmi lesquels la fragmentation de cette offre, l’absence de priorités et une
pratique limitée de l’analyse de l’efficacité des actions.
Le FIPHFP dispose, quant à lu
i, d’un catalogue d’interventions qu’il propose, soit de
manière ponctuelle par l’intermédiaire d’une plateforme de gestion, soit dans le cadre de
conventions signées avec les employeurs de plus de 650 agents. Pour les demandes
ponctuelles, aucune orientation décidée par le fonds ne vise à privilégier un type particulier
d’intervention
: l’organisme se limite à la prise en compte du référencement de l’aide dans le
catalogue et à l’examen de l’éligibilité de l’agent à cette aide. Les conventions
, quant à elles,
ne définissent pas le cadre des actions en fonction des besoins des employeurs : elles ne
constituent en fait qu’un support de mobilisation d’ensemble et globale des aides du catalogue.
Le FIPHFP n’a pas non plus répondu aux demandes d’empl
oyeurs publics qui recherchaient
des prestations innovantes hors catalogue.
Enfin la refonte du catalogue du FIPHFP a été opérée sans rapprochement avec celui
de l’AGEFIPH.
Les deux fonds n’ont pas harmonisé leurs prestations, ce qui crée des
différences importantes de traitement dans la prise en charge des travailleurs handicapés.
Ainsi, le FIPHFP aide au reclassement des personnes reconnues inaptes, ce qui soulève la
question, dans la fonction publique, de la frontière entre handicap et prévention des risques
socio-professionnels au travail, alors même que ce
tte dernière relève d’une réglementation
particulière et que l’employeur doit l’intégrer dans sa politique de gestion des ressources
humaines.
2.1.4
Une expertise incertaine
Pour mettre en œuvre ses interventions, l’AGEFIPH s’appu
ie essentiellement sur des
partenaires
qu’elle finance. Il
n’intervient
donc
pas directement dans l’ingénierie nécessaire
aux entreprises pour recruter ou maintenir dans l’emploi des personnes handicapées.
En
réalité,
l’associatio
n
ne dispose pas d’
une expertise propre affirmée
en matière d’insertion
professionnelle des personnes handicapées
, comme l’a montré l’
évaluation conduite à
l’automne 2015
: de ce fait, son action se limite essentiellement
à celle d’une structure de
financement.
8
Ils participent en revanche aux instances de pilotage nationale et régionales qui assurent le suivi du réseau des
Cap emploi.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
7
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Le contrôle du FIPHFP par la Cour a mis en évidence la même faiblesse
d’expertise
propre. Le fonds fait appel à des prestataires externes pour animer son développement local
et pour constituer le catalogue d
’aides qu’il met à disposition
. Lorsque des conventions sont
signées avec des organismes publics,
leur mise en œuvre r
epose en fait sur la capacité
d’expertise interne de l’employeur public ou sur un prestataire externe. Enfin, le FIPHFP
n’évalue pas l’impact des actions qu’il finance.
Il demande aux employeurs d’établir
régulièrement des rapports quantitatifs et qualitatifs, mais ne les exploite pas et se prive ainsi
d’une capacité de définition de ses orientations stratégiques.
En définitive, la mise en place de ces deux opérateurs reposait pour partie sur une
volonté de mutualisation du financement des actions entre les employeurs au sein de chacun
des secteurs, privé d’une part, public d’autre part. En réalité, faute de priorité clairement
définie, leurs interventions répondent dava
ntage à une logique de gestion administrative d’une
enveloppe de ressources qu’à une démarche stratégique au profit de publics ciblés dont les
besoins seraient clairement identifiés.
3
LES RÉSULTATS DE CETTE POLITIQUE SONT INSUFFISANTS
3.1
La contribution des employeurs repose sur des règles inadaptées
Les ressources de l’AGEFIPH et du FIPHFP dépendent de la collecte de la
contribution des employeurs. Celle-ci repose sur des modalités de calcul contestables,
assorties de
mécanismes d’exonération non évalués.
3.1.1
Des modalités de calcul perfectibles
Les modalités actuelles de calcul des contributions des employeurs privés ou publics
peuvent générer trois effets :
d’une part, cette contribution, perçue comme une taxe, peut entraîner certains employeurs
à faire press
ion sur leurs agents pour qu’ils entament une procédure de reconnaissance
de handicap ;
d’autre part, la survenance du handicap étant fortement corrélée au vieillissement
,
l’allongement de la durée de carrière résultant du report de l’âge de la retraite co
ntribue
mécaniquement à augmenter le nombre de salariés potentiellement handicapés ;
enfin, les établissements qui, compte tenu de la nature des métiers pratiqués, présentent
des terrains favorisant particulièrement l’apparition de handicaps, peuvent affi
cher des
taux élevés d’emploi de travailleurs handicapés, dès lors qu’ils acceptent de les maintenir
dans leurs effectifs ; en sens inverse, ceux qui s’impliquent fortement dans l’amélioration
des conditions de travail et la prévention des risques professionnels peuvent présenter,
de façon paradoxale, un taux plus faible d’emploi de personnes handicapées. Cette
situation peut être source de confusion entre la politique de prévention des risques
professionnels et celle de l’insertion professionnelle des pers
onnes handicapées.
3.1.2
Des exonérations dont la pertinence n’est pas évaluée
Certains mécanismes d’exonération de la contribution apparaissent peu justifiés.
C’est ainsi qu’au sein de la fonction publique, certaines catégories de personnels, comme les
médecins, ne sont pas prises en compte, sans fondement règlementaire. De même, le statut
de militaire des gendarmes les exclut de l’obligation d’emploi de personnes handicapées, alors
que les policiers, qui remplissent des missions semblables, y sont assujettis.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
8
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
La principale exonération de la contribution au FIPHFP, prévue par une disposition
législative, bénéficie au ministère de l’éducation nationale, au motif qu’il met en place un
accompagnement des enfants handicapés scolarisés par des personnels spécialement
affectés
9
: le ministère est réputé répondre par ce biais, en intervenant en amont, à l’objectif de
formation des travailleurs handicapés, principal obstacle à leur insertion professionnelle.
Pourtant, comme dans les autres cas d’exonération, aucune évaluation n’a été conduite sur le
bien-fondé de cette disposition.
Dans le secteur privé, la signature d’accords collectifs (branche, groupe, entreprise,
établissement), agréés par l’autorité administrative et comportant un plan d’embauche en
milieu ord
inaire, vaut acquittement de l’obligation légale d’emploi
10
, sous réserve d’une
réalisation effective des actions prévues. Or, à ce jour, l’efficacité de ces accords, comparée
à celle des interventions de l’AGEFIPH, n’a pas non plus fait l’objet d’une évaluation.
En définitive, les contributions des employeurs sont assises sur des règles
complexes,
dont la pertinence n’
est pas évaluée et dont la mise en pratique est consommatrice
de temps pour les employeurs. Elles sont par ailleurs très peu contrôlées par les deux fonds,
ce qui a pour effet de fragiliser non seulement les ressources des organismes, mais aussi la
fiabilité des agrégats utilisés pour mesurer l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés. La
définition de ces contributions doit être impérativement revue, en prenant soin de fonder
clairement au préal
able les objectifs et le périmètre de la politique d’insertion des travailleurs
handicapés.
3.1.3
Le taux d’emploi des personnes au handicap reconnu est encore éloigné
de l’objectif de 6
%
Selon les enquêtes E
mploi
de l’INSEE et les statistiques de la direction
de l’animation
de la recherche et des études statistiques (DARES)
11
du ministère du travail, les personnes
bénéficiant d’une reconnaissance administrative de travailleur handicapé étaient au nombre
de 2,67 millions en 2015. Seulement 43
% d’entre elles, so
it 1,15 millions, étaient
potentiellement en activité, c’est
-à-dire en emploi ou au chômage. Le taux de chômage des
personnes handicapées, mesuré par rapport à la population potentiellement en activité, était
de 18,6 %, soit près du double du taux de chôma
ge de l’ensemble de la population active
(10 %).
À cette même date, la proportion des personnes handicapées dans les effectifs était
de 3,7 % dans le secteur privé et de 5,7 % dans le secteur public. Toutefois, ce dernier taux
prend en compte la définition extensive du handicap précitée : les retraitements effectués par
la DARES et par la Cour aboutissent, à périmètre égal, à un taux comparable à celui du secteur
privé (3,7 %)
. Alors qu’il est en vigueur depuis maintenant 30 ans, l’objectif de l’obligation
d’emploi des travailleurs handicapés n’est donc atteint, ni par les employeurs du secteur
public, ni par ceux du secteur privé. Cette situation invite à s’interroger sur les
performances
de l’AGEFIPH et du FIPHFP.
3.1.4
La refondation de cette politique doit reposer sur une analyse des
besoins et une redéfinition des objectifs
La politique d’intervention de l’AGEFIPH et du FIPHFP a été élaborée
à partir
d’un
objectif général défin
i sans détermination préalable des besoins d’insertion professionnelle
des personnes handicapées.
9
Ex-
assistants d’éducation
-auxiliaires de vie scolaire (AED-AVS), devenus accompagnants des élèves en situation
de handicap (AESH) avec la loi du 28 décembre 2013.
10
Articles L 5212-8, L 5212-17 et R 5212-12 à R 5212-8 du code du travail.
11
Source :
DARES
analyses -
n° 32 - mai 2017.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
9
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Originellement, le taux de 6
% fixé pour l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés
a été
retenu par la loi n°87-517 du 10 juillet 1987 par référence à la proportion de personnes
handicapées dans la population française, telle qu’elle était alors déterminée par l’INSEE dans
son enquête de 1987 sur les
conditions de vie
. Depuis lors, la pertinence de ce taux n’a fait
l’objet d’aucune étude, ni des pouvoir
s publics ni des deux fonds collecteurs.
Une analyse approfondie des besoins du public bénéficiaire de l’obligation d’emploi
et des objectifs d’insertion professionnelle des personnes handicapées devient dès lors une
impérieuse nécessité. Elle conditionne
la mise en œuvre d’un système de financement efficace
et efficient, de même que l’existence, l’organisation et le positionnement de ces deux fonds.
Conclusion
Au total, les constats établis par la Cour invitent à ne pas limiter la réflexion engagée
sur l
’AGEFIPH et le FIPHFP à un simple changement de modèle de financement de nature à
garantir leur pérennité. Il convient de s’interroger également sur l’utilité même de ces fonds et
sur le bien-fondé des principes qui sous-tendent leur action.
Dans la fonction publique, l'existence du FIPHFP n'est ni la garantie d'une politique
publique appropriée, ni celle d'une sanctuarisation des crédits afférents
12
. Une évaluation
devrait donc être engagée sur l’intérêt de maintenir ce fonds, ou bien de privilégier des
mécanismes d'affectation directe de crédits pour financer les actions prioritaires.
De même, dans le secteur privé, le positionnement de l'AGEFIPH et sa
complémentarité avec les dispositifs de droit commun - tels que ceux du service public de
l’emploi
- doivent être clarifiés. Sa mission devrait être recentrée sur les actions qui ne
pourraient être prises en charge que par un tel fonds dédié.
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
-
Recommandation n° 1
: redéfinir les objectifs de la politique d'insertion
professionnelle des personnes handicapées à partir d’une analyse précise des
besoins ;
-
Recommandation n° 2
: déterminer le financement nécessaire de cette politique
sur le long terme et fixer en conséquence les modalités de la contribution à la
charge des employeurs privés et publics ;
-
Recommandation n° 3
: évaluer l'intérêt de maintenir le FIPHFP plutôt que, par
exemple,
mettre en place des mécanismes d’affectation directe de crédits
;
-
Recommandation n° 4
: recentrer l'AGEFIPH sur des missions spécifiques,
établies en complémentarité avec les dispositifs de droit commun.
Le référé a été adressé à la ministre des solidarités et de la santé, à la ministre du
travail et au ministre de l’action et des comptes publics, les 13 et 20 octobre 2017.
-=o0o=-
12
Un des arguments avancés pour le maintien du FIPHFP réside dans sa capacité à sanctuariser les crédits en
faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans les fonctions publiques. Or, à titre d’exemple,
le FIPHFP a consenti à prendre en charge également, sous la pression des pouvoirs publics, le financement des
aides à l'accessibilité, ce qui débordait jusqu’à une date récente ses compétences règlementaires et ce qui a créé
une inégalité entre employeurs publics et privés, au bénéfice d
es premiers, quant à l’obligation définie par la loi de
l’accessibilité du lieu de travail au personnel handicapé.
Cour des comptes
Référé n°2017-2639
10
/
10
13 rue Cambon
75100 PARIS CEDEX 01
T +33 1 42 98 95 00
www.ccomptes.fr
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente
communication
13
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions
du même code :
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
-
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
-
l
’article
L.143
-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations,
en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être
adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud
13
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).