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Le 12/07/2017
Le Premier président
à
Madame Laura Flessel,
Ministre des sports
Réf : S2017-1853
Objet
: L
avenir de l’École nationale de voile et des sports nautiques (ENVSN)
En application des dispositions des articles L. 111-3, L. 111-6 et L. 133-3 du code des
juridictions financières, la Cour a examiné les comptes et la gestion de la Fédération française
de voile (FFV) et de l’École nationale de voile et des sports nautiques (ENVSN), pour les
exercices 2005 à 2014. Elle a complété et actualisé ses contrôles par une enquête en 2016
sur les soutiens de l’État aux sports de voile.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11 du même code, d’appeler votre attention sur les observations suivantes.
=o0o=-
Deux entités - une fédération sportive et une école au statut d’établissement public
national à caractère administratif - bénéficient de soutiens de l’État au titre de champs de
compétence identiques dans les disciplines sportives de la voile : l’entraînement des sportifs
de haut niveau et la formation des encadrants à la pratique des sports de voile. Ces deux
entités évoluent dans une économie des sports nautiques florissante. Or si la FFV a su y
trouver sa place, l’école nationale voit son activité décliner.
Ce déclin est largement consécutif à des décisions de l’État dont les effets sont
maintenant irréversibles.
Cour des comptes – Référé n°S2017-1853
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Après avoir élargi en 2007 les activités de l’École aux sports nautiques, l’État a réduit
son champ d’intervention en 2009 : il a supprimé de son périmètre d’activité statutaire la notion
de « sports à risques » qui lui assurait un monopole sur certains enseignements ; il a mis ses
offres de formation en concurrence, même pour les diplômes nationaux ; il a enfin accepté que
la FFV ferme un de ses pôles d’entraînement national situé à l’école. La vocation nationale de
l’établissement public a été altérée par ces décisions.
Elle l’a été d’autant plus que la fédération mène une politique d’entraînement
indépendante de cette école, que l’État n’a pas soutenue en manifestant sa volonté d’une
coopération étroite et stable entre ces deux acteurs de la politique sportive de la voile, pourtant
financés par ses soins à hauteur de 4,1 M€ pour l’ENVSN et 7,4 M€ pour la FFV
1
en 2016 .
Dans le même temps, la tutelle de l’École n’a pas permis à celle-ci d’adapter son
cadre de gestion. Il en a résulté une dépendance croissante et excessive des ressources aux
subventions de l’État pour équilibrer son budget. Cette situation a créé un contexte
économique et social difficile depuis 2010, source de fréquents changements d’équipes de
direction.
Face à ces constats, la Cour considère que la réorganisation du soutien de l’État aux
sports de voile devrait être envisagée, en saisissant l’opportunité que constitue l’existence d’un
groupement d’intérêt public régional voué aux sports, créé sous l’égide du Conseil régional de
Bretagne, et dont l’État est déjà membre.
I.
LA PERTE PROGRESSIVE DE LA VOCATION NATIONALE DE L’ÉCOLE
1.
Une place devenue marginale dans les marchés de formation nationale
A la suite des décisions de la tutelle, le marché des formations a été largement investi par les
structures associatives et privées, plus adaptées et moins coûteuses. Ainsi les candidats aux
diplômes d’État jeunesse et sport se sont déportés vers d’autres organismes que l’école
nationale, qui n’a formé que 8,5% des candidats en surf et en voile en 2015 (en moyenne 9,5%
depuis 2010). En 2016, l’ENVSN a été absente des formations aux diplômes d’État de niveau
supérieur en voile.
Si le nombre total de « journées stagiaires » a augmenté depuis 2010, le nombre des journées
de formation des encadrants stagne, et le volume des journées dites « coeur de métier »
(formation de haut niveau aux sports de voile) s’érode.
Le développement actuel de son activité vers des disciplines nouvelles mais marginales
(
support foil
), n’est pas susceptible de redresser sa situation. Aussi, pour améliorer son taux
d’activité, l’École organise des formations liées aux métiers de la mer (stages de survie,
formations météo, évaluations au permis plaisance), qui ne relèvent pas de formations
publiques.
2.
La vive concurrence de la FFV
L’École et la FFV sont en concurrence directe pour la formation aux diplômes nationaux et
fédéraux. En 2015, la FFV a formé 65 % des stagiaires aux diplômes d’État.
Les relations entre les deux organismes ne sont pas empreintes de confiance. En 2009, une
convention de partenariat a permis à l’École de former des formateurs fédéraux ; pourtant,
malgré une clause de non concurrence jusqu’à fin 2012, la FFV a étendu son réseau et dispose
aujourd’hui de quatre centres de formation.
La nomination, par l’État, de directeurs successifs de l’École, en recherchant une amélioration
des relations avec les instances dirigeantes fédérales, s’est révélée n’être qu’une réponse
circonstancielle à une situation structurellement concurrentielle.
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Ce montant incorpore la charge salariale des conseillers techniques mis à disposition par l’État auprès de la FFV,
soit 4 M€.
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3.
La perte de l’entraînement des équipes nationales
La plupart des équipes nationales ne s’entraînent plus à l’ENVSN : depuis 2014, seulement
6 % du plan d’entrainement de la fédération a utilisé ses équipements. Son centre de
ressources techniques et scientifiques n’a été que très marginalement mobilisé par les
fédérations sportives
2
.
Le paradoxe de voir des équipes de France ne plus s’entraîner dans une école nationale dont
c’est la vocation première s’explique aisément. Le site qu’occupe l’école et son bassin d’eau
(presqu’île de Quiberon), ne représentent plus un avantage comparatif suffisant pour attirer
stagiaires et sportifs de haut niveau : l’isolement du site est incompatible avec le double projet
scolaire et sportif des athlètes de haut niveau ; la diversité des lieux d’entraînement est jugée
indispensable dans le contexte international des compétitions ; enfin l’encadrement national
fédéral estime trop élevé et mal adapté le coût de ses prestations.
II.
LE DÉCLIN ÉCONOMIQUE D’UNE ÉCOLE FRAGILISÉE
1.
Une organisation peu compatible avec les attentes actuelles d’accueil des
stagiaires
Les contraintes liées à son statut d’établissement public sont peu conciliables avec la forte
saisonnalité de son activité et de façon générale, la nécessaire réactivité au sein d’un marché
concurrentiel.
D’une part, elle propose une gamme très complète de services
3
, de manière
quasi-permanente, d’autre part, elle peut difficilement adapter l’activité de ses personnels aux
pics estivaux et aux besoins des usagers. Outre la rigidité liée à leurs statuts, les personnels
sont globalement âgés et présentent des taux d’absentéisme et de maladie élevés depuis
2012, avec 15 à 22 jours d’absence annuelle moyenne par personne.
Le service hébergement offre des prestations d’entretien minimales et propose en outre des
horaires de restauration peu flexibles pour une activité fortement dépendante de l’état de la
mer et du rythme d’entraînement des sportifs de haut niveau.
2.
Une sous-activité chronique compensée par une subvention croissante
Accueillant peu d’usagers au regard de son taux d’encadrement et de la capacité de ses
locaux, l’École souffre d’une sous-activité chronique avec seulement un taux moyen annuel
d’occupation des chambres de 30 %. Le nombre de nuitées et de repas servis a baissé de
13 % entre 2009 et 2015, et la fonction restauration a cumulé un déficit de 1,25 M€ sur quatre
ans.
En conséquence, ses ressources propres stagnent autour d’un million d’euros depuis plusieurs
exercices, au regard d’un budget de fonctionnement de 5,3 M€ en 2016, dont 70 % de masse
salariale en progression constante depuis 2009 (le nombre d’emplois est lui-même constant,
autour de 69, depuis cet exercice).
Pour faire face à cette situation, l’État a augmenté son soutien de 26,5 % depuis 2009
4
. Ainsi
le taux de dépendance de cet établissement public à la subvention de l’État est de 80%. Il
n’est que de 60 % pour l’école nationale des sports de montagne, qui se trouve dans une
situation comparable en termes de missions et de contexte économique.
2
FFV, Fédération française handisport, Fédération française de surf, et Fédération française de vol libre.
3
Restauration, hébergement, formation, entretien et réparation du matériel nautique et stockage.
4
La subvention de l’État à l’ENVSN a progressé de 3,301 M€ en 2009 à 4,176 M€ en 2015, alors que sur la même
période l’État a réduit de plus de 22 % les subventions et aides accordées aux principaux acteurs de ce secteur.
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III.
SORTIR DU STATU QUO : LES TERMES DE L’ALTERNATIVE
Cette situation dégradée est connue et perdure depuis longtemps. L’inspection générale de la
jeunesse et des sports a conduit une mission d’audit en 2011, dont les conclusions relevaient
le besoin de « justification [du] statut d’établissement public national [de l’école] au regard des
nouveaux enjeux et des besoins du monde nautique ». Aucune conclusion n’a été tirée de cet
audit.
Si l’École a perdu son rôle national, elle n’a pas non plus trouvé sa place dans l’environnement
régional favorable de la Bretagne. Elle n’a ainsi accueilli que 12 % des candidats au brevet
professionnel de voile formés en Bretagne en 2014 et en 2015.
Le Conseil régional de Bretagne
5
, avec l’État,
a créé en 2011 un groupement d’intérêt public
(GIP), nommé « Campus de l’excellence sportive de Bretagne », qui remplit des missions très
proches de celles de l’école (formations et stages sportifs, entraînement des sportifs de haut
niveau), mais élargies à tous les domaines sportifs. En 2015, le Campus affiche une bonne
santé financière, dégageant progressivement des ressources propres lui permettant de réduire
le personnel rémunéré directement par l’État comme les subventions publiques qu’il reçoit.
6
.
Un rapprochement organique des deux entités, qui irait très au-delà d’une simple adhésion,
permettrait de créer une synergie entre leurs potentiels respectifs.
D’un côté, l’ENVSN pourrait s’ouvrir à de nouvelles activités sportives et bénéficier du réseau
régional du Campus. D’un autre côté, le GIP bénéficierait de l’expérience de l’École pour les
sports de haut niveau, domaine dans lequel il est encore peu actif. Le Conseil régional de
Bretagne, s’il ne souhaite pas que l’école et le GIP soient regroupés au sein d’un Centre de
ressources, d’expertise et de performance sportives (CREPS
7
), considère favorablement
l’intégration de l’école nationale au sein du GIP, selon des conditions à définir.
Une telle évolution mérite d’être explorée activement. À défaut, il conviendrait d’envisager la
fermeture de l’école nationale.
En conclusion, des décisions, longtemps différées, sur la situation de l’ENVSN devraient être
prises à brève échéance. La Cour recommande de définir, conjointement avec le Conseil
régional de Bretagne, les modalités d’un rattachement organique de l’école au Campus de
l’excellence sportive de Bretagne, et à défaut, de fermer l’établissement.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication
8
.
5
Sont également concernés : Ville de Dinard, Ville de Rennes, Communauté d'agglomération de Rennes, Conseil
général d'Ille-et-Vilaine, Comité régional olympique et sportif de Bretagne, Université Rennes 1, Université Rennes
2, Ecole normale supérieure de Rennes, Ecole des hautes études en santé publique, Centre hospitalier universitaire
de Rennes, communauté d’agglomération de Lorient, communauté urbaine de Brest, Université de Bretagne
occidentale, centre hospitalier universitaire de Brest, centre hospitalier de Lorient et Université de Bretagne-Sud.
6
Les personnels mis à disposition par l’État sont passés de 10,7 ETPT à 6,7 ETPT entre 2012 et 2015.
7
Recommandation du rapport sur l’optimisation des dépenses publiques en faveur du sport du Contrôle général
économique et financier et de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports (avril 2016).
8
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse sous forme dématérialisée via CorrespondanceJF
(https://correspondancejf.ccomptes.fr/linshare/) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de
l’Assemblée
nationale
et
du
Sénat.
Il
sera
accompagné
de
votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur
sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-4) ;
-
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
-
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en
vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être
adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud