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Le 28 juin 2017
Le Premier président
à
Monsieur Édouard Philippe
Premier ministre
Réf
.
: S2017-1959
Objet
: Les comptes et la gestion de CIVI.POL Conseil
En application des dispositions des articles L. 111-4, L.133-1 et L.143-3 du code des
juridictions financières, la Cour a contrôlé les comptes et la gestion de CIVI.POL Conseil,
pour les exercices 2009 à 2015 tout en tenant compte d’évolutions plus récentes.
CIVI.POL a été créée le 28 février 2001 afin de doter le ministère de l’intérieur d’un
opérateur spécialisé dans la gestion et la conduite de ses projets internationaux. Pour plus
de souplesse de gestion, dans un contexte d’expansion des financements européens en
faveur de la coopération technique internationale, le choix a été fait de recourir à un
opérateur de droit privé dont le capital est détenu à 40,03 % par l’État, lequel en contrôle
indirectement la majorité.
L’objet social de CIVI.POL est de valoriser et commercialiser le savoir-faire du
ministère de l’intérieur à l’étranger, et marginalement en France pour des opérations en lien
avec l’activité conduite à l’étranger, en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et de
gouvernance. Alors qu’à ses débuts, le ministère de l’intérieur apparaissait comme son
principal donneur d’ordre, l’Union européenne était en fin de période le principal client de
CIVI.POL.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11 du code précité, d’appeler votre attention sur le positionnement
insatisfaisant de CIVI.POL au sein du dispositif de coopération technique internationale, en
raison de relations de concurrence entre les opérateurs. Une nouvelle étape de
rationalisation de ce dispositif est désormais souhaitable.
Cour des comptes – Référé n° S2017-1959
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I.
DES RELATIONS DE CONCURRENCE ENTRE OPÉRATEURS
Une réforme du dispositif français de coopération technique internationale a été
portée par la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la
politique de développement et de solidarité internationale. En application de ce texte, un
établissement public à caractère industriel et commercial, aujourd’hui dénommé Expertise
France, placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés des affaires étrangères et de
l'économie, a été créé le 1
er
janvier 2015 par fusion de France expertise internationale (FEI)
et de cinq autres opérateurs
1
.
Toutefois, ce regroupement au sein d’Expertise France des acteurs de l'expertise
technique internationale n’a concerné ni CIVI.POL, opérateur du ministère de l’intérieur, ni
Défense conseil international (DCI), opérateur du ministère des armées et second
actionnaire de CIVI.POL. Ces deux ministères ont fait prévaloir le caractère sensible de
l’activité des deux sociétés précitées.
En conséquence, le dispositif français de l'expertise technique internationale souffre
toujours d’un manque de cohérence, préjudiciable à son efficacité.
1.
La concurrence entre CIVI.POL et Expertise France
Expertise France intervient pour partie dans les secteurs d’activité de CIVI.POL. En
2015, son chiffre d’affaires s’établissait à 104 M€ (à comparer aux 10 M€ de CIVI.POL), dont
près de 36 % réalisés dans les domaines de la stabilité régionale, de la gestion de crises, de
la sûreté et de la sécurité. Ses zones d’intervention sont également très proches du coeur de
cible de CIVI.POL (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord, Moyen-Orient).
CIVI.POL et Expertise France ont été conduits à coopérer pour gagner certains
appels d’offres, puis à mettre en place plusieurs partenariats. En 2016, 11 projets ont été
menés conjointement par les deux opérateurs.
Cependant, comme France expertise internationale avant elle, Expertise France
conduit des projets en dehors de tout partenariat avec CIVI.POL. L’agence constitue un
concurrent d’autant plus important de CIVI.POL qu’elle bénéficie, en plus de sa taille
supérieure, du statut d’établissement public. En outre, elle possède une accréditation pour la
gestion centralisée indirecte (GCI), qui lui assure un volume d’affaires conséquent en
provenance de la Commission européenne.
CIVI.POL est contrainte d’établir des consortiums alors qu’Expertise France, investie
dans des champs d’activité plus globaux (sûreté, justice, gouvernance, développement
économique et sociale, formation professionnelle), est en mesure de répondre seule à des
appels d’offre de plus en plus multithématiques. Expertise France développe aussi son
activité dans des secteurs de niche où CIVI.POL n’a pas encore ou peu investi (sécurisation
des axes de transport et lutte contre la piraterie maritime, accompagnement dans la gestion
des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques).
2.
La concurrence entre CIVI.POL et DCI
La frontière entre sécurité intérieure et défense est ténue. CIVI.POL et DCI ont pour mission
de transférer des savoir-faire dits de « sécurité intérieure ».
1
Assistance au développement des échanges en technologies économiques et financières (ADETEF), opérateur
des ministères économiques et financiers, et quatre opérateurs de la sphère sociale : le GIP Ensemble pour une
solidarité thérapeutique hospitalière en réseau (GIP ESTHER), le GIP Inter, le GIP Santé protection sociale
internationale (SPSI), et l’Agence pour le développement et la coordination des relations internationales
(ADECRI).
Cour des comptes – Référé n° S2017-1959
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DCI transfère les savoir-faire militaires des armées et de la gendarmerie nationale et
intervient auprès de forces principalement de statut militaire. CIVI.POL intervient dans les
domaines de compétence du ministère de l’intérieur, essentiellement au profit d’unités
étrangères de statut civil. Alors que DCI intervient surtout dans les pays du Golfe et en Asie
du Sud-Est, CIVI.POL est davantage orientée sur l’Afrique. Enfin, alors que l’Union
européenne représente le principal client de CIVI.POL, DCI traite soit de gré à gré avec les
pays demandeurs, soit en passant par un intermédiaire désigné par le pays. CIVI.POL a
développé un savoir-faire en matière de mobilisation de financements européens. Grâce à
sa taille et à ses moyens opérationnels et financiers, DCI dispose d’une meilleure capacité à
conduire des projets de grande ampleur.
Les deux sociétés ont resserré leur dialogue opérationnel en tenant, depuis 2016,
des réunions pour explorer des opportunités de projets communs et élaborer des offres
conjointes. Tout comme peut l’être Expertise France dans son champ de compétence, DCI
est un concurrent objectif de CIVI.POL sur certains projets. Les relations stratégiques entre
les deux opérateurs pourraient donc faire l’objet d’une recherche de partenariat plus
formalisé.
II.
LA NÉCESSITÉ D’UNE NOUVELLE ÉTAPE DE RATIONALISATION
À la suite de la loi précitée d’orientation et de programmation de juillet 2014,
un processus de rapprochement des opérateurs subsistant après la première vague
de fusion a été entrepris sous l’égide du délégué interministériel à la coopération technique
internationale. Une charte de bonne conduite et de compétitivité a été signée le
1
er
juillet 2015, qui visait à améliorer la coopération entre les opérateurs et à limiter les
risques de concurrence en favorisant des partenariats et en mutualisant les moyens. Des
engagements réciproques ont été pris dans le cadre de cette charte. Des échanges ont eu
lieu sur le pilotage de grands projets à dimension interministérielle. Cependant, le dialogue
stratégique est resté limité à une coopération ouverte et peu contraignante. En outre,
Défense conseil international (DCI) ne participe pas à cette démarche de rapprochement.
Le décret d’application de la loi de juillet 2014
2
ne définit pas les autres structures qui
seront réunies au sein d’Expertise France ni le calendrier de ces rapprochements. De fait, la
situation n’a pas évolué, le processus de stabilisation du nouvel établissement public étant
toujours en cours. La question de l’émergence d’un chef de file unique dans le domaine de
l’expertise technique internationale est toujours en suspens.
La Cour considère que l’objectif prioritaire de l’État devrait être d’améliorer la
cohérence d’ensemble du dispositif par l’institution d’un acteur unique de l’expertise
technique internationale dans les domaines de la sécurité intérieure, de la sécurité civile et
de la gouvernance. Une nouvelle étape pourrait prendre la forme d’un rapprochement de
CIVI.POL et d’Expertise France, au sein d’un groupe à constituer sous l’égide de cette
dernière. CIVI.POL se verrait attribuer l’ensemble de la compétence régalienne du groupe
ainsi constitué, conformément au souci manifesté par le ministère de l’intérieur de préserver
son autonomie opérationnelle et ses spécificités.
Par ailleurs, les relations stratégiques entre CIVI.POL et DCI pourraient faire l’objet
d’un partenariat plus structuré.
Il sera cependant nécessaire de prendre en compte les conséquences de l’opération
de croissance externe réalisée en 2016 par CIVI.POL, qui a acquis un cabinet belge de
conseil dans le domaine de la coopération internationale d’une taille comparable à la sienne.
2
Décret n° 2014-1656 du 29 décembre 2014 relatif à l'Agence française d'expertise technique internationale.
Cour des comptes – Référé n° S2017-1959
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Cette opération comporte des avantages en termes de positionnement international mais
aussi des risques financiers et stratégiques au regard des engagements pris à cette
occasion par CIVI.POL. Elle pose avec plus d’acuité la question du devenir des acteurs
français de l’expertise technique internationale en matière de sécurité.
Dans l’immédiat, il importe de renforcer la coopération entre opérateurs, formalisée
par la mise en oeuvre d’une véritable stratégie commune d’intervention à l’international.
À l’issue de son contrôle, la Cour formule la recommandation suivante :
-
Recommandation
: Conformément à l’objectif de la loi du 7 juillet 2014, engager le
processus de rapprochement de CIVI.POL et d’Expertise France au sein d’un même
groupe. Dans l’immédiat, renforcer la coopération et le rapprochement avec les
autres opérateurs du dispositif français de coopération technique internationale, en
élaborant une stratégie commune dans le domaine de la sécurité intérieure, de la
sécurité civile et de la gouvernance.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication
3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions
permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de
votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse
leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-4) ;
-
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
-
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations,
en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit
être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).