Cour des comptes
Le
1 9
DEC.
2016
Le Premier président
à
Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l'éducation nationale, de l'ense
ig
nement supéri
eur
et
de
la recherche
Réf. : 82016-3915
Objet:
Le
programme SIRHEN (système d'information et de gestion des
re
ssources
humaines du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérie
ur
et de la
recherche)
La Cour des comptes a réalisé une enquête sur la
co
nduite du pr
og
ramme
SI
RH EN entre 2007
et
2015.
En applic
at
ion des articles L. 143-1 et
R.
112-3
du
code des
ju
ridictions financières, elle m'a
demandé d'appeler votre atten
ti
on sur un certa
in
nombre de points qui constituent des facte
ur
s
de risques importants pesant sur la poursuite de ce programme, dont le bon achèvement est
essentiel pour le ministère.
Le programme SIRHEN a pour objet le remplacement des systèmes d'information et
de
gestion des resso
ur
ces humaines du ministère qui prennent en charge
1
,2
millions d'agents
et
sont caractérisés par l
eur
robustesse et leur fiabilité, mais aussi l
eur
relative vétusté, leur
ri
sque d'obsolescence technique et le
ur
s
in
aptitudes
à
intégrer des modifications
substantie
ll
es des règles
de
gestion des personnels. Engagé en 2007 sans cadrage technique
et financier précis, le coût de ce pr
og
ramme a été arrêté à
60
M€ en 2008, son échéance de
réa
li
sation complète étant fixée à 2012.
1.
Une dérive continue des délais et des coûts depuis 2008, en raison d'une
complexité sous-estimée et d'un pilotage gravement défaillant
Depuis 2008, des difficultés mal maîtrisées dans
la
conduite du programme ont entravé son
bon déroulement jusqu'à provoqu
er
un quintuplement du coût à terminaison, qui passe de
60
à 286 millions d'euros, un étirement du calendrier global jusqu'en 2023,
et
enfin un blocage
du programme, le prestataire de réalisation ne parvenant pas à livr
er
une version de l'outil
d'une qualité apte à la prise en charge des premiers agent
s.
Les causes de ces dysfonctionnements sont multiples. En premier lieu, la complexité du
programme SIRHEN a été sous-estimée par le ministère. Il devait en effet remplacer
à iso-fonctionnalités des applications qui assuraient non seulement la gestion
et
la
pa
ie de
près d'1,2 millions de personnes mais aussi la préparation de la rentrée scolaire et l'affectation
des moyens. SIRHEN devait aussi permettre l'alignement de
la
gestion ministérielle sur le
noyau commun défini par la direction générale de l'administration et de la fonction publique
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Référé no S20 16-3915
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(DGAFP) et la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour être raccordé
à
l'opérateur national de paye (ONP). Enfin,
le
projet intégrait des fonctionnalités innovantes
comme le portail agent, le dossier unique agent
ou
les outils décisionnels.
En second lieu,
le
ministère a opté pour
un
virage technologique complet qui supposait la
fusion de quelque 900 bases de données académiques
en
une base
un
ique et
de
facto
la
construction d'un outil
à
l'architecture profondément renouvelée. Pour atteindre ces objectifs,
il
a choisi,
en
rupture avec sa culture et ses habitudes, d'externaliser une partie majeure de
la
conduite de projet, confiant
à
des prestataires les missions d'assistance
à
maîtrise d'ouvrage,
de conception, réalisation, intégration et maintenance applicative et enfin de tierce recette
applicative.
Parallèlement, le ministère a mis en place une équipe interne trop réduite et n'a pas établi
un
dispositif solide et transversal de suivi.
La
faible traçabilité du processus décisionnel rend
difficile l'identification des responsabilités. Cependant
il
apparaît que l'implication très inégale
des maitrises d'ouvrage stratégiques, les insuffisances des moyens de
la
maîtrise d'oeuvre et
la
faiblesse de la direction de projet ont encore accru
la
dépendance du ministère aux
prestataires extérieurs. Le défaut d'implication du secrétariat général du ministère n'a pas
permis une prise de conscience suffisamment précoce de cette situati
on
très difficile.
2. Des améliorations récentes
et
insuffisantes pour redresser la trajectoire de SI
RH
EN
Un rapport de diagnostic et de sécurisation réalisé par la direction interministérielle des
systèmes d'information et de communication (DISIC) a été remis
au
ministère
à
l'été 2011. Sur
cette base, les modalités de pilotage ont été améliorées
à
partir du premier semestre 2012.
Une première étape opérationne
ll
e, certes modeste, a été franchie en janvier 2015 :
la
gestion
de 4 000 personnels d'inspection a été basculée dans
le
nouvel outil. En janvier 2016,
14
000
personnels de direction étaient pris
en
charge. Mais,
à
cette date, SIRH
EN
avait déjà mobilisé
près de 200 M€, et le coût final a été réévalué
à
320 M€ pour une date de réalisation reportée
au-delà de 2020.
Malgré ces premières réalisations, de fortes incertitudes demeurent. Le défi majeur du projet
pour les prochaines années réside dans la prise
en
charge de groupes de population beaucoup
plus importants (en particulier les
341
000 enseignants du premier degré public et les 396 000
enseignants du second degré public).
À
l'été 2015, une analyse des premières phases concluait que SIRHEN ne pouvait pas être
réalisé sans modification profonde. Le ministère s'est alors engagé dans une refondation du
programme, dont les conclusions, formalisées en août 2016, prévoient une enveloppe
financière contraignante désormais fixée
à
323,3 M€, pour les seuls coûts externa
li
sés (hors
maintien en condition opérationne
ll
e de SI
RH
EN) et
le
respect d'un calendrier
à
l'hor
iz
on
2020.
Ce cap nécessite une révision
en
profondeur des paramètres du programme, notamment
en
matière de spécification, de développement et de déploiement de l'outil, mais aussi de
pi
lotage
stratégique et opérationne
l.
Ces conclusions ont servi de base
à
la
nouvelle saisine de la direction interministérielle du
numérique et des systèmes d'information et de communication (DINSIC), laquelle a émis le
1
er
décembre 2016 un avis favorable
à
la poursuite du programme sur le périmètre priorisé par
le ministère (enseignants du 1
er
degré). J'observe qu'elle a ainsi formulé des recommandations
visant
à
assurer la maîtrise des risques, qui convergent avec celles issues de l'enquête de la
Cour.
13 rue Cambon • 75100 PARIS
CE
DEX 01 • T +33 1 42 98 95 00 • www.ccomptes.fr
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comptes-
Référé
no
82016-3915
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3.
L'absolue
nécessité de sécuriser la conduite du programme
pour
atteindre
un
déploiement
complet
de SIRHEN en 2020 dans un cadre financier
à
respecter.
Sans attendre l
es
résultats de
la
refondation de SIRHEN, dont le succès dépendra de
la
p
ri
se
en charge réussie des effectifs les plus nomb
reu
x,
en
particulier les populations enseignantes,
le
ministère devra circonscrire les principaux risques qui pèsent encore sur le pr
og
ramme. Ces
risques concernent, à court terme, l'atteinte par SIRHEN du
ni
veau de qualité exigée
pa
r les
maîtr
is
es d
'o
uvrage et d'usage,
la
capacité de l'outil à intégr
er
rapidement les vagues de
populations enseignantes dont les
vo
lumes constituent
un
défi pour la direction du programme
et
la
maîtrise des coûts et des déla
is.
En
conséquence,
il
est essent
iel
que le ministère se prémunisse contre toute dégradation de
la
qualité du pilotage opérationnel et stratégique du programme, qu'
il
convient de mainte
ni
r à
un très haut
ni
veau dans la phase critique qui s
'o
uvre.
Le
s échecs récents de programmes
informatiques d'envergure conduits par d'autres ministères montrent que le défaut de
vigilance, notamment par une appréciation insuffisante des risques et des réacti
on
s trop
tardives, peut provoquer l'arrêt temporaire du déploiement du programme, voire le constat de
défaillances trop lourdes pour que les outils déjà mis en place
pu
issent être conservés, alors
que des budgets importants ont été engagés.
Aussi SIRHEN
ne
saurait être poursuivi sans qu'un certain
no
mbre de prérequis soient
assurés. Les recommandations qui suivent s'inscrivent dans cette perspective de sécurisation
du programme pour tenir les trois composantes du triangle coûts-qualité-délais : le respect du
cadrage financier ;
le
déploiement d'un outil répondant efficacement aux besoins du ministère ;
le respect de la nou
ve
lle trajectoi
re
de déploiement.
Aussi, la Cour formule-t-elle les recommandat
ion
s suivantes :
Recommandation no 1
:
conforter
le
pilotage stratégique du projet
pa
r trois
mesures liées :
en fondant chaque décision du
co
mité de pilotage sur une étude
d'impacts
co
ûts/délais ;
en renforçant la traçabilité du processus décisionnel ;
en impliquant
le
s maîtrises d'ouvrages stratégiques, qui doivent être
co-responsables de
la
réussite du programme.
Recommandation no 2
:
re
centrer le programme
su
r ses fonctions socles (gestion
des moyens/ges
ti
on individuelles et
co
llectives/paie) et sur l'outillage décisionnel.
Recommandation
no
3 : renforcer et documenter le suivi financier du programme,
par
un
budget
co
nsolidé intégrant les dépenses externalisées, les coûts internes et
le maintien opérationnel des anci
en
n
es
app
li
cation
s.
Je vous serais obligé de me faire con
na
ître, dans le délai de deux mois prévu à
l'article
L.
143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à
la présente communication
1
.
1
La Cour vous remercie de lui faire parvenir vot
re ré
po
nse sous forme démat
ér
ialisée via
CorrespondanceJF
(htt
ps
://corresoondancejf.ccomptes.fr
/l
inshare/)
à
l'adresse électr
on
ique s
ui
vante : greffepresidence@ccomptes.fr
(cf
. arrêté du 8 septembre 2015 portant app
li
ca
ti
on du décret no 2015-146 du 10 février 2015 rela
ti
f
à
la
dématérialisa
ti
on des échanges avec les juridictions financières).
13
ru
e
Ca
mb
on • 75100 PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
00
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.f
r
Cour des
co
mptes -
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Je vous rappelle qu'en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent
ré
fé
ré
sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine
de
compétence, aux autres commissions permanentes
de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Il
sera accompagné de votre réponse
si
elle est
parvenue
à
la Cour dans ce délai.
À
défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article
L.
143-5);
dans le respect des secrets protégés par la loi,
la
Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-
1);
l'article
L.
143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent réfé
ré,
vous
fournissiez
à
la Cour un compte-rendu des suites données
à
ses observations,
en
vue
de
leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé
à
la
Cour selon les modalités de
la
procédu
re
de suivi annuel coordonné convenue
entre elle et votre administration.
13 rue
Ca
mbon • 75100 PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42 98 95 00 • www.ccomptes.fr