La concurrence fiscale
et l’entreprise
Synthèse
du XXII
e
rapport
au Président de la République
Septembre 2004
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
Avertissement
L
e présent document est destiné
à faciliter la lecture et l’exploitation
du rapport du Conseil des impôts.
Seul le texte du rapport lui-même
engage le Conseil.
Introduction
Chapitre introductif : L’analyse économique
1
L’analyse économique met en évidence l’ambiguïté des effets
de la concurrence fiscale et ses dangers potentiels pour les Etats
8
2
Les manifestations de la concurrence fiscale attendues par la théorie
ne sont pas toutes observées
9
1
Tableau comparatif de la fiscalité en France et à l’étranger
1
La France présente des dispositions défavorables aux assiettes
mobiles, plus visibles que les dispositions favorables
12
2
Les indicateurs de pression fiscale globale montrent que certaines
assiettes mobiles sont davantage imposées en France, mais ces
résultats sont peu solides
13
2
L’effet de la fiscalité sur les bases fiscales mobiles en France
1
La fiscalité semble jouer un rôle réduit dans la problématique
d’ensemble de la localisation des entreprises mais peut s’avérer
défavorable à la France dans des cas d’espèce
16
2
La fiscalité des personnes physiques en France n’influe que
marginalement sur la localisation des activités
16
3
Concurrence fiscale et optimisation
20
4
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
1
Les paradoxes de la régulation internationale de la concurrence fiscale
24
2
La stratégie de la France face à la concurrence fiscale depuis dix ans
24
3
Une marge de manoeuvre étroite
27
Conclusion
31
Composition du Conseil des impôts
35
Sommaire
4
INTRODUCTION
A
lors que la liberté de circulation des capitaux, des biens, des prestations de
service et des travailleurs s’accroît sous l’effet de la globalisation de l’économie,
les Etats maintiennent des systèmes fiscaux nationaux différents condamnés à
coexister. S’ils sont rationnels, les agents économiques cherchent, lorsqu’ils en ont
la possibilité, à être taxés dans les zones où la fiscalité est la plus faible. Tout se
passe alors comme si les systèmes fiscaux des Etats étaient plus ou moins directement
mis en concurrence par les acteurs qui cherchent à minimiser leur impôt : entreprises,
salariés, détenteurs de capitaux. Pour éviter la fuite vers d’autres pays des éléments
sur lesquels est assis l’impôt, les Etats seraient contraints de réagir, soit en coordonnant
davantage leurs politiques fiscales, soit en modifiant unilatéralement leur système
fiscal afin d’attirer ou de retenir ces bases imposables. Dès lors, les choix des Etats
en matière d’imposition, à l’origine souverains, sont aujourd’hui mutuellement
contraints.
Quelle est la portée de cette contrainte pour les Etats ? Comment se positionnent-
ils dans cette compétition ? Quels en sont les risques et comment peuvent-ils réagir ?
A l’occasion de son XXII
e
rapport, le Conseil des impôts a souhaité contribuer à
ce débat.
Tout d’abord, il apparaît nécessaire d’identifier plus précisément les mécanismes
de la concurrence fiscale et l’ampleur de leurs manifestations. Quels sont concrètement
les acteurs concernés par la concurrence fiscale ? Quelles sont les opérations
économiques réellement affectées par la disparité des systèmes fiscaux nationaux,
et quels sont les paramètres de la fiscalité qui pèsent véritablement sur ces décisions ?
Avec quels Etats la France est-elle véritablement en situation de concurrence
fiscale ?
Les décisions de localisation influençables par la concurrence fiscale peuvent affecter
soit les activités économiques elles-mêmes, notamment l’investissement et la
production, soit les bases d’imposition, dès lors que la localisation de ces dernières
peut être différente de celle des activités économiques qui les produisent. (On
entend par bases d’imposition les grandeurs utilisées pour l’établissement de l’impôt,
et qui tentent d’appréhender le revenu ou le patrimoine des entreprises ou des
individus.) Cette distinction commande l’examen du sujet et amène à considérer :
5
– la concurrence sur la localisation des activités et de l’emploi : c’est la question de
l’attractivité du territoire, qui a déjà donné lieu à de nombreux travaux ;
– la concurrence sur la localisation de l’imposition, indépendamment de l’activité :
c’est la question de l’optimisation et de l’évasion fiscale internationales.
L’optimisation internationale est précisément l’utilisation des possibilités offertes
par la coexistence des systèmes d’imposition nationaux pour minimiser l’imposition,
sans nécessairement modifier le lieu d’exercice des activités réelles.
Initialement, la préoccupation était de connaître - et d’utiliser le cas échéant - l’impact
de la fiscalité sur la compétitivité des entreprises nationales. Puis, lorsqu’il est
apparu que du fait de l’élargissement des marchés le niveau de l’emploi dans un
pays n’était plus directement dépendant de la prospérité des entreprises nationales,
on s’est intéressé à l’impact de la fiscalité sur l’attractivité des territoires. L’existence
d’une possible différence entre la localisation des activités et celle des bases imposables
invite à dépasser ce stade.
Une fois connue l’ampleur des phénomènes, il s’agit de progresser dans la connaissance
des possibilités des Etats pour les réguler. Comment peut-on caractériser la stratégie
suivie jusque-là par la France et par ses partenaires ? Quelles sont les options
possibles au niveau national ? Quelles sont les contraintes et les opportunités suscitées
par le système international, en particulier au niveau communautaire ?
6
C
HAPITRE INTRODUCTIF
L’analyse économique
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
1. L’analyse
économique
met
en
évidence l’ambiguïté des effets de la
concurrence fiscale et ses dangers
potentiels pour les Etats
L’analyse économique établit que la
concurrence
fiscale
peut
entraîner
plusieurs conséquences défavorables
pour la collectivité : une allocation ineffi-
cace des capitaux investis, un tarissement
des recettes publiques ou un transfert de
charges entre contribuables, et une mise
en question des politiques de redistribu-
tion. Ce diagnostic ne fait cependant pas
l’unanimité et dépend tout autant de l’ap-
préciation portée sur l’efficacité de la
dépense publique.
Ainsi, dans un contexte de concurrence
fiscale, l’entrepreneur choisit la localisa-
tion de l’investissement en fonction du
rendement après impôt. Or, du point de
vue de la collectivité, c’est le rendement
avant impôt qui doit être pris en compte :
si la concurrence fiscale conduit à privi-
légier un investissement présentant un
meilleur rendement après impôt, mais
moins bon avant impôt, on peut considérer
que l’allocation des ressources n’est pas
optimale. Mais ceci suppose que la
dépense publique financée par l’impôt soit
efficace, ce qui ne fait pas l’objet d’un
consensus.
Par ailleurs, la concurrence fiscale place
les Etats face à une fuite des assiettes
imposables les plus mobiles. Ils doivent
alors faire face à une perte de leurs
recettes : soit en se résignant à cette
perte d’assiette, soit en consentant à
réduire les taux pour conserver les
assiettes sur leur territoire. Confrontés à
cette perte de recettes, ils n’ont que trois
possibilités : l’accroissement de l’effica-
cité de la dépense publique, la réduction
de cette dépense, ou le maintien de son
niveau et le report de la charge fiscale sur
les assiettes les moins mobiles. On peut
ainsi considérer que la concurrence
fiscale est bénéfique, si l’on retient qu’elle
exerce une pression sur les Etats pour
améliorer l’efficacité de leur dépense
publique. Si l’on suppose au contraire que
cette dépense est efficace, on peut
s’alarmer de voir que sa réduction est
imposée de l’extérieur, ou relever que la
solution consistant à transférer son finan-
cement vers d’autres agents n’est pas
équitable.
Enfin, la concurrence fiscale accroît la
capacité des agents à considérer l’impôt
comme une redevance pour services
rendus et à arbitrer sur la localisation de
leurs opérations en fonction du rapport
entre les prestations offertes par les
pouvoirs publics et leur coût, représenté
par l’impôt. Cette évolution tend à remettre
en question la fonction redistributrice de
l’impôt.
Au-delà de leurs divergences, les théories
économiques débouchent donc sur le
constat suivant : du point de vue des
agents économiques, la concurrence
fiscale peut être favorable ou défavorable
selon leur aptitude à modifier la localisa-
tion de leurs assiettes imposables. Du
L’analyse économique
8
point de vue des Etats en revanche, la
concurrence fiscale peut constituer un
danger.
2. Les manifestations de la concur-
rence fiscale attendues par la théorie
ne sont pas toutes observées.
Tout d’abord, on n’assiste pas à un véri-
table tarissement des recettes fiscales
tirées
de
l’imposition
des
assiettes
mobiles.
Ensuite, la baisse des taux nominaux de
taxation du bénéfice des entreprises, des
hauts revenus et du patrimoine est indubi-
tablement une manifestation de la concur-
rence fiscale. Mais les indicateurs de l’im-
position des entreprises, qui tentent de
prendre en compte les effets d’assiette et
la totalité des impôts acquittés, condui-
sent à un diagnostic moins tranché : une
tendance à la baisse de ces indicateurs
de pression fiscale globale sur les
assiettes les plus mobiles peut être
décelée, mais ce résultat est fragile.
Enfin, en l’état actuel des indicateurs, une
éventuelle modification de la répartition
de la charge fiscale entre contribuables
ne peut être établie.
L’analyse économique
9
1
Tableau comparatif
de la fiscalité en France
et à l’étranger
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
1. La France présente des dispositions
défavorables aux assiettes mobiles,
plus visibles que les dispositions
favorables
Le système fiscal français d’imposition
des entreprises présente des aspects
attractifs : le régime d’amortissement, le
régime de déductibilité des intérêts d’em-
prunt, le régime d’intégration fiscale. Il
présente aussi des aspects moins favo-
rables : le taux nominal de l’IS, l’imposition
des plus-values de cession de titres
détenus par les entreprises, la taxe
professionnelle. On peut relever toutefois
que les handicaps portent sur des
éléments visibles et structurants du
système fiscal, alors que les avantages
font intervenir des dispositifs à caractère
dérogatoire, ce qui les rend moins immé-
diatement perceptibles.
S’agissant des personnes physiques, la
France n’est pas dans une position défa-
vorable en matière d’impôt sur le revenu,
même s’il demeure toujours possible de
trouver dans certains autres Etats de
meilleures conditions. En revanche, l’exis-
tence et les caractéristiques de l’ISF ainsi
que
l’imposition
des
plus-values
de
cession des parts d’entreprise détenues
par des personnes physiques sont parfois
Tableau comparatif de la fiscalité en France et à l’étranger
Il importe tout d’abord de prendre la mesure des éventuels écarts de fiscalité
entre la France et les autres pays en ce qui concerne les assiettes susceptibles
de se déplacer en fonction de ces écarts : les investissements et les bénéfices
des entreprises ; les patrimoines et les revenus des personnes physiques,
lorsque ceux-ci sont élevés.
La comparaison des dispositions fiscales applicables aux assiettes les plus
mobiles dans les différents pays se heurte à la difficulté suivante : soit on
effectue une série de comparaisons terme à terme des diverses
caractéristiques des systèmes fiscaux et l’on est confronté, pour chaque pays,
à un faisceau de dispositions, les unes favorables, les autres défavorables,
sans pouvoir aisément en tirer de conclusions d’ensemble, puisque celles-ci
dépendront des caractéristiques propres à chaque secteur, à chaque type
d’opérations, à chaque entreprise ; soit l’on s’en remet à des indicateurs
synthétiques de la pression fiscale globale, mais à leur tour, ceux-ci masquent
la diversité des situations particulières ; ils présentent de fortes limites
méthodologiques. C’est donc nécessairement par un faisceau d’indices que
peut être caractérisée la position de la France.
12
1
défavorables à la localisation en France
des entrepreneurs qui détiennent un patri-
moine important.
2. Les indicateurs de pression fiscale
globale
montrent
que
certaines
assiettes mobiles sont davantage
imposées en France, mais ces résul-
tats sont peu solides
La juxtaposition des comparaisons terme
à terme de systèmes fiscaux nationaux ne
permet guère d’appréhender la pression
fiscale d’ensemble qui s’exerce sur les
entreprises. Les indicateurs construits à
cet effet montrent parfois que la France
est parmi les pays qui taxent le plus les
entreprises, mais ils doivent être inter-
prétés avec précaution.
Si l’on considère l’effet combiné du taux
nominal et de l’assiette de l’impôt sur les
sociétés, il est incontestable que la France
apparaît au rang le moins favorable en
Europe en matière de taux nominal, avec
le taux le plus élevé en 2004. Mais cette
dernière place ne doit pas occulter le fait
que l’écart réel reste mesuré avec les
autres grands pays d’Europe. En outre, la
France offre des conditions d’assiette
relativement favorables dans l’ensemble,
(bien que dépendant beaucoup des opéra-
tions
effectuées
et
des
secteurs
concernés), de sorte que le
taux implicite
de l’impôt sur les sociétés seul
(c’est-à-
dire le rapport, constaté
ex post
, de l’impôt
sur les sociétés payé à un indicateur du
revenu tel que l’excédent net d’exploita-
tion) n’est pas particulièrement élevé. De
même, le
taux effectif d’imposition des
seuls bénéfices
(taux d’imposition à
l’impôt sur les sociétés simulé sur un cas
type d’investissement en tenant compte
des effets d’assiette) se situe dans la
moyenne des pays comparables.
Si l’on se réfère à l’imposition globale, et
non plus à la seule imposition des béné-
fices, ce qui paraît plus pertinent au
regard de la démarche des entreprises,
deux méthodes doivent être prises en
considération.
La première se fonde sur le
taux implicite
global
(rapport calculé
a posteriori
de l’en-
semble des impôts payés sur un indicateur
du revenu). Cet indicateur, calculé sur
données réelles, présente l’avantage de
tenir compte non seulement de tous les
impôts acquittés avec les effets d’assiette
et de taux, mais aussi de l’optimisation
fiscale, c’est-à-dire de l’utilisation par les
entreprises des mécanismes nationaux ou
internationaux leur permettant de réduire
leur imposition. Malheureusement, selon
ce type d’indicateurs, le rang de la France
au sein des autres pays comparables
apparaît trop dépendant des hypothèses
de calcul pour faire l’objet d’une interpré-
tation.
La seconde se fonde sur une simulation
d’après des cas types d’investissement. Il
s’agit alors d’un calcul de taux effectif,
cette fois tous impôts confondus. La
France se trouverait alors parmi les pays
où les revenus d’un tel investissement
sont les plus taxés. Mais ce résultat théo-
rique ne tient pas compte de l’optimisation
fiscale, qui, comme on le verra, est une
donnée majeure des processus d’investis-
sement internationaux.
Tableau comparatif de la fiscalité en France et à l’étranger
13
Si les indicateurs purement fiscaux ne
conduisent pas à un diagnostic très
tranché, il reste que la prise en compte
des cotisations sociales entraînerait une
nette dégradation de la position de la
France.
Au total, un certain nombre d’indicateurs
peuvent
suggérer
que
les
assiettes
mobiles sont davantage taxées en France
que dans la moyenne des pays compa-
rables, mais l’écart n’est pas suffisam-
ment significatif pour que l’on puisse
conclure, notamment en raison des incer-
titudes méthodologiques, à un handicap
avéré.
Tableau comparatif de la fiscalité en France et à l’étranger
14
1
2
L’effet de la fiscalité
sur les bases fiscales
mobiles en France
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
16
1. La fiscalité semble jouer un rôle
réduit dans la problématique d’en-
semble de la localisation des entre-
prises mais peut s’avérer défavorable
à la France dans des cas d’espèce
L’existence d’un écart de fiscalité n’a pas
nécessairement, par lui-même, de consé-
quences directes sur la localisation des
activités.
En effet, les investisseurs prennent en
compte de nombreux paramètres. Si une
fiscalité plus lourde est, toutes choses
égales par ailleurs, un handicap, elle a
souvent pour contrepartie une offre de
services publics qui constitue quant à elle
un avantage. Dès lors, c’est surtout sur
l’efficacité de la dépense publique que se
joue la compétition. Il devient dès lors
difficile d’identifier de manière isolée
l’effet de la fiscalité.
Si l’on considère tout d’abord la localisa-
tion des entreprises, l’examen des critères
et des indicateurs macroéconomiques de
l’attractivité de la France ne fait pas appa-
raître de rôle observable de la fiscalité.
L’examen au niveau microéconomique
suggère de même que la fiscalité est un
paramètre pris en compte au même titre
que les autres, dont l’effet n’est souvent
pas explicité, d’autant que la pertinence
de la comparaison des dispositions
fiscales nationales est réduite, dans les
faits, par les possibilités de subventions
offertes au niveau local. Il demeure que,
dans certains cas d’espèce, la fiscalité
peut devenir un paramètre décisif ; à cet
égard, la taxe professionnelle, en tant que
charge d’exploitation certaine, peut jouer
un rôle particulièrement dissuasif.
Ces constats ne contestent en aucune
façon la réalité de certains mouvements
de délocalisation d’activité hors de notre
pays. Il n’est pas non plus question d’af-
firmer que la fiscalité ne joue aucun rôle
dans les décisions de localisation des
entreprises. Mais il apparaît que ce rôle
n’est pas prépondérant par rapport à
d’autres paramètres tels que le coût de la
main-d’oeuvre.
2.
La
fiscalité
des
personnes
physiques en France n’influe que
marginalement sur la localisation des
activités
Si l’on examine la localisation des
personnes sensibles à la concurrence
fiscale du fait de leur niveau de revenu ou
de patrimoine, il apparaît qu’il existe indé-
niablement un flux net limité (quelques
centaines de personnes par an) de délo-
calisations de contribuables pour des
raisons principalement fiscales. Mais ces
expatriations ne constituent pas, à ce jour,
un problème majeur pour l’Etat : au plan
économique, elles ne se traduisent pas
nécessairement par une délocalisation
des activités qui sont à l’origine du patri-
moine et des revenus ; au plan budgétaire,
les pertes de recettes fiscales demeurent
modestes par rapport aux ressources
procurées par ces impôts, censés être la
cause de ces expatriations.
Au total, une réforme de l’ISF ne pourrait
être recommandée au nom d’arguments
relatifs à l’attractivité de la France ou au
L’effet de la fiscalité sur les bases fiscales mobiles
2
L’effet de la fiscalité sur les bases fiscales mobiles
17
maintien d’activités en France, ni surtout
en attribuant à une telle réforme un hypo-
thétique
équilibre
budgétaire.
Les
problèmes soulevés par l’ISF sont actuel-
lement d’une autre nature : ils ont trait à
l’entrée massive dans le champ de l’impôt
de contribuables au patrimoine peu
étendu, mais dont la résidence principale
s’est appréciée dans les années récentes
du fait de l’évolution du marché de l’immo-
bilier, et à la persistance de certaines
situations inéquitables nées de la défini-
tion des biens professionnels. S’agissant
de ce dernier cas, il conviendrait cepen-
dant auparavant de pouvoir disposer d’un
recul suffisant sur les implications de la
réforme introduite par la formule de l’en-
gagement de conservation de titres, afin
d’évaluer la proportion de situations
auxquelles cette réforme n’a pas apporté
de solution.
Si l’effet de la fiscalité sur la localisation
des activités semble réduit, il se manifeste
en revanche nettement dans les straté-
gies de localisation des bases impo-
sables : l’examen des possibilités d’optimi-
sation fiscale offertes par les législations
jette un éclairage différent sur les ques-
tions soulevées par la concurrence fiscale
et l’attractivité du territoire.
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
3
Concurrence fiscale
et optimisation
20
Les possibilités de « délocalisation » des
bases imposables utilisées par les entre-
prises paraissent étendues. Ces possibi-
lités tendent à réduire les écarts effectifs
de pression fiscale pesant sur les activités
exercées dans les différents Etats. Cette
réduction de pression fiscale tend à
réduire l’intérêt des délocalisations d’acti-
vités.
En raison du niveau élevé des taux nomi-
naux d’imposition en France, la délocali-
sation des bases imposables pourrait être
particulièrement sensible.
Pour les entreprises, il existe une certaine
marge d’appréciation dans la fixation des
prix de transfert internes entre sociétés
d’un même groupe, ce qui peut conduire à
déplacer une partie du bénéfice là où il
sera le moins taxé. Il existe aussi des
modes de financement des filiales qui
permettent de réduire le bénéfice appa-
raissant dans un pays donné par le verse-
ment d’intérêts d’emprunt à une société
du même groupe, située dans un pays
différent. Le résultat des pratiques de
sous-capitalisation est identique. Les
méthodes d’optimisation affectent princi-
palement l’impôt sur les sociétés, mais
peuvent aussi s’appliquer à la taxe profes-
sionnelle, lorsque celle-ci est assise en
pratique sur la valeur ajoutée.
Pour les particuliers, au-delà du cas de la
perception des revenus à l’étranger afin
d’échapper à l’imposition en France, il
existe aussi des mécanismes permettant
d’échapper à l’imposition des plus-values
de cession des parts d’entreprises, fondés
notamment sur l’utilisation des possibilités
de report et de sursis d’imposition en cas
d’apport.
De telles possibilités contribuent ainsi à
réduire le handicap que peut constituer
une fiscalité plus lourde pour la locali-
sation d’activités, mais en contrepartie
elles privent les Etats d’une partie des
recettes fiscales qu’ils peuvent légiti-
mement attendre de la formation d’un
revenu sur leur territoire.
Cette perte de ressources est d’autant
plus préoccupante que l’évolution récente
des jurisprudences communautaire et
nationale prive la France, comme les
autres pays, des principaux moyens juri-
diques dont ils s’étaient dotés pour limiter
ou réprimer les transferts de revenus
imposables entre pays de l’Union euro-
péenne ou entre pays liés par des conven-
tions fiscales.
Lorsque la législation anti-abus demeure
applicable, notamment au regard des pays
à fiscalité privilégiée, la lutte contre les
pratiques abusives se heurte à des diffi-
cultés pratiques de contrôle.
En outre, les mécanismes internationaux
d’optimisation, qui ont pour effet de trans-
férer une base imposable d’un Etat dans
un autre peuvent conduire à des compor-
tements de « passager clandestin » : on
désigne ainsi l’agent économique qui ne
paie pas le prix fixé par un Etat pour la
formation d’un revenu sur son territoire.
Bien
que
légaux,
ces
mécanismes
peuvent constituer le support de pratiques
conduisant à dissimuler purement et
simplement le revenu ou le bénéfice impo-
Concurrence fiscale et optimisation
3
Concurrence fiscale et optimisation
sable, pour peu qu’ils fassent intervenir
des « paradis fiscaux » ou des pays à
secret bancaire, devant lesquelles les
administrations fiscales nationales sont
en partie désarmées.
21
C O N S E I L D E S I M P Ô T S
4
Quelle politique pour
les Etats confrontés
à la concurrence fiscale ?
24
1. Les paradoxes de la régulation
internationale de la concurrence
fiscale
Les possibilités d’un encadrement interna-
tional d’une « course au moins-disant
fiscal » et des pratiques de « passager
clandestin » rendues possibles par l’opti-
misation sont réduites, du fait de la souve-
raineté de chaque pays. En effet, la néces-
sité de renoncer à utiliser le système
fiscal pour attirer les activités mobiles ou
au contraire pour éviter les fuites d’as-
siette n’est pas reconnue unanimement
par les Etats : l’appréciation des dangers
et des avantages de la concurrence
fiscale varie selon les différentes concep-
tions de l’Etat et selon la possibilité pour
eux de bénéficier ou non des déplace-
ments d’assiettes imposables.
L’OCDE et l’Union européenne sont
a priori
des espaces propres à une certaine régu-
lation, c’est-à-dire à une maîtrise coor-
donnée de la concurrence fiscale au sein
de leurs zones respectives. Dans les faits,
leurs interventions sont complémentaires.
L’action de ces institutions a permis de
progresser dans l’élimination des mesures
fondées sur un traitement plus favorable
aux non-résidents et de faciliter les
échanges
d’informations
qui
doivent
permettre aux Etats de limiter l’évasion
fiscale.
Mais l’exigence d’unanimité n’a pas
permis d’atteindre une situation pleine-
ment satisfaisante du point de vue de la
plupart des grands Etats. La définition d’un
taux minimum d’imposition des bénéfices
et l’extension de la notion de mesures
dommageables à certaines dispositions
concernant les personnes physiques, qui
paraissent souhaitables, ont peu de
chances de se concrétiser.
En outre, le cadre communautaire joue un
rôle qui peut paraître paradoxal. En effet,
le souci d’éviter les discriminations entre
les Etats membres, qui fonde l’action de
l’Union contre certaines mesures fiscales
visant à attirer les bases imposables
étrangères, conduit aussi le juge commu-
nautaire à invalider fréquemment les
dispositifs nationaux de lutte contre les
abus, car ceux-ci impliquent souvent une
différence de traitement entre les opéra-
tions internes à l’Etat et les opérations
faisant intervenir des entités étrangères.
Alors que l’exigence d’unanimité empêche
un accord sur l’instauration de méca-
nismes coordonnés de lutte contre les
abus, le juge, appliquant les principes
généraux du droit communautaire, prive
les mesures nationales d’effectivité. Il se
crée ainsi un vide que les entreprises et
les particuliers peuvent utiliser pour
rechercher une moindre imposition.
Bien qu’elle ne soit pas la seule, la France
est particulièrement touchée par cette
jurisprudence et se trouve, dans bien des
cas, privée de la possibilité de lutter
contre les abus.
2. La stratégie fiscale de la France
depuis dix ans
Au-delà des variations de pression fiscale
induites par la conjoncture, la politique
fiscale française n’a pas cherché à
réduire l’imposition des entreprises, en
particulier la taxation des bénéfices, et a
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
4
25
plutôt alourdi les prélèvements fiscaux
pesant sur elles au cours de la période,
malgré l’effort fait en matière de taxe
professionnelle. Elle partait il est vrai
d’une situation assez favorable en 1993,
date à laquelle le taux de son impôt sur les
sociétés était parmi les plus bas. Elle a
cependant cherché à limiter, par des allé-
gements ciblés, l’effet de ces mesures sur
les PME, la recherche et l’aménagement
du territoire.
Il faut rappeler qu’une part significative de
l’activité des entreprises est insensible à
la concurrence fiscale parce qu’elles
développent cette activité sur un marché
marqué par la proximité immédiate entre
le producteur et le consommateur. Il faut
ainsi prendre garde à ne pas adopter, à
seule fin d’attirer des emplois internatio-
nalement mobiles, des mesures dont le
coût pour les finances publiques, sous
forme d’un effet d’aubaine pour ces acti-
vités non soumises à la concurrence inter-
nationale, serait disproportionné. La fixa-
tion
des
taux
d’imposition
sur
les
entreprises ne doit donc pas résulter de la
seule considération des activités interna-
tionalement mobiles. Ceci ne plaide guère
en faveur de mesures d’une grande
ampleur budgétaire, sauf à démontrer
que, pour les activités protégées, une
baisse de la fiscalité serait à son tour
créatrice d’emplois en France.
Si, au cours de ces années, la France n’a
pas renoncé à améliorer la compétitivité
globale de son système de prélèvements,
elle l’a fait en mettant l’accent sur un des
points où sa position était la plus défavo-
rable, à savoir le poids des charges
sociales. Elle a ainsi très significativement
réduit le coût du travail, notamment peu
qualifié. Cette politique a concouru à
limiter l’effet de la mobilité de certaines
activités sur l’emploi et a contribué à l’at-
tractivité du territoire français pour les
emplois et les activités concernés.
Mais dans la même période, d’autres pays
ont adopté une stratégie plus explicite-
ment fondée sur l’aménagement de
certains paramètres visibles du système
d’imposition, tels que le taux nominal de
l’impôt sur les sociétés ou la fiscalité des
plus-values. Dans le même temps, la
concurrence fiscale a changé de nature :
les mesures dérogatoires censées attirer
les bases imposables étrangères ont été
en partie démantelées ; la concurrence
s’est alors exercée par une modification
des caractéristiques fondamentales des
systèmes fiscaux eux-mêmes, telles que
les taux nominaux d’imposition, voire la
présence ou l’absence pure et simple
d’une imposition (impôt de solidarité sur la
fortune, plus-values de cession des entre-
prises).
Ainsi, la stratégie de défense de l’attracti-
vité du territoire de la France apparaît en
décalage avec les réformes conduites
dans les autres pays. La France est ainsi le
seul pays à avoir accru les taux nominaux
de l’impôt sur les sociétés, l’imposition des
plus-values et l’imposition du patrimoine
depuis le milieu des années 1990, alors
que bon nombre de ses partenaires adop-
taient des mesures d’allégement des taux
compensées en partie seulement par des
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
26
élargissements d’assiette. Le modèle fran-
çais s’en est trouvé d’autant plus en déca-
lage qu’il repose sur des taux élevés et
une assiette relativement étroite.
En outre, si des aménagements peuvent
permettre à certaines entreprises de ne
pas être aussi lourdement imposées que
le suggère l’examen des principales
dispositions, la logique d’ensemble du
système n’apparaît pas.
Ainsi, le système fiscal français semble
favoriser l’industrie lourde, par le jeu des
amortissements, mais la taxe profession-
nelle brouille cette image et annule en
partie cet avantage. Plus généralement,
l’interaction complexe de l’impôt de
solidarité sur la fortune et de la taxe
professionnelle à laquelle il faudrait
ajouter les multiples dérogations et le
poids différencié des cotisations sociales
selon la qualification, a conduit à ce que
les différents secteurs d’activité suppor-
tent des niveaux de prélèvements très
disparates et ce, sans logique d’ensemble
apparente.
Au total, le système fiscal français renvoie
une image défavorable. La fiscalité de
l’entreprise en France est considérée
comme plus dissuasive qu’elle ne l’est
réellement, du fait du choix de taux élevés
et de la persistance de l’imposition de
certaines opérations qui ne sont plus
taxées dans un grand nombre d’autres
Etats, même si cela est tempéré par l’offre
de
multiples
possibilités,
parfois
complexes,
de
minorer
l’impôt.
Par
ailleurs, les possibilités d’optimisation
internationale permettent vraisemblable-
ment aux agents de réduire en pratique
l’écart de taxation entre la France et un
autre pays. Bien que limitant les effets
défavorables de la fiscalité sur la localisa-
tion de l’activité, ces possibilités ne sont
pas satisfaisantes, à la fois en termes d’af-
fichage, certains agents s’en tenant pour
leurs décisions aux caractéristiques les
plus apparentes, et du point de vue de
l’équité du système fiscal. Ce positionne-
ment contribue à la complexité et à l’ab-
sence de lisibilité de la norme fiscale fran-
çaise. Il est source de coûts pour les
entreprises et pour l’administration.
De même, on ne peut sous-estimer l’im-
pact psychologique de la concurrence
fiscale
en
matière
d’imposition
des
personnes. La France affiche là encore
des dispositions sans doute plus dissua-
sives qu’elles ne le sont dans les faits, en
raison par exemple de l’existence de
l’abattement de 20 % et des champs de
l’exonération. En matière d’imposition des
revenus,
une
expatriation
pour
des
raisons fiscales, qui se traduit par une
perte d’activité pour la France, n’est avan-
tageuse que pour un très petit nombre de
personnes capables d’exercer leur acti-
vité depuis des Etats à fiscalité privilégiée.
Elle l’est d’ailleurs surtout du fait de
lacunes de conventions internationales ou
parce que le pays choisi offre des condi-
tions
fiscales
préférentielles
sur
lesquelles aucun grand pays ne peut s’ali-
gner. Il n’est donc pas pertinent de cher-
cher à s’opposer à ces comportements
par une modification du barème.
Quelle politique pour les états confrontés à la concurrence fiscale ?
4
27
En matière d’imposition du patrimoine, la
fiscalité incite à un petit nombre d’expa-
triations qui peuvent donner l’impression
d’une sortie de capitaux significative.
L’impact symbolique est très supérieur à
l’effet réel, dans la mesure où les déloca-
lisations de personnes physiques et de
leurs capitaux ne s’accompagnent pas
toujours de la délocalisation des activités
dans lesquelles leur patrimoine est investi.
Il revient à présent à la France d’afficher à
son tour une stratégie claire et lisible en
matière de fiscalité des entreprises et des
personnes physiques.
3. Une marge de manoeuvre étroite
1. Eviter les fausses pistes
Un certain nombre de voies parfois
évoquées pour améliorer l’attractivité du
territoire ne paraissent pas appropriées.
Une baisse de l’impôt sur le revenu ou de
l’impôt sur la fortune ne pourrait pas être
justifiée par la volonté d’améliorer l’attrac-
tivité du territoire pour les emplois et les
activités.
De même, une baisse massive de la fisca-
lité des entreprises, prenant la forme par
exemple d’une réduction importante du
taux de l’impôt sur les sociétés qui ne
serait pas en partie compensée par un
élargissement de l’assiette, ne pourrait
être justifiée, dans le cas d’une économie
relativement grande comme celle de la
France, par l’effet d’attraction supposé sur
les emplois internationalement mobiles.
Cet effet ne pourrait être que modeste,
alors que le coût pour les finances
publiques serait considérable. Une telle
stratégie uniformément offensive n’est
adaptée que pour une économie plus
petite. La France ne doit donc pas cher-
cher à prendre la tête dans la course au
« moins-disant » fiscal, mais elle doit
avant tout limiter les possibles effets d’une
position trop visiblement défavorable.
Dans le passé, la France a privilégié la
voie de la baisse du coût du travail peu
qualifié. Si ce choix est justifié par l’exis-
tence d’un chômage de masse, l’extension
de la concurrence des pays à bas coûts
de main-d’oeuvre à des secteurs de plus
en plus qualifiés peut conduire à le
remettre en cause.
Ainsi, on peut considérer que les risques
de délocalisation, amplifiés par l’arrivée
des pays de l’Est sur le marché, ne
peuvent être supprimés par des mesures
fiscales. En effet, les secteurs concernés
sont le plus souvent ceux de l’industrie
« classique » pour lesquels des mouve-
ments de délocalisation sont davantage
fonction de l’ensemble des paramètres qui
déterminent le coût de la main-d’oeuvre.
2. Lutter contre les effets d’image défavo-
rable
Il convient de rappeler que les respon-
sables des entreprises raisonnent en
tenant compte à la fois de l’impôt sur les
sociétés et de la taxe professionnelle. Une
éventuelle modification de l’imposition des
entreprises doit donc être cohérente du
point de vue de l’ensemble formé par ces
deux prélèvements. Le Conseil des impôts
ne préconise pas une baisse substantielle
de la fiscalité de l’entreprise. Il ne s’est
donc pas attaché à la question de savoir
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
28
quel impôt, de l’impôt sur les sociétés ou
de la taxe professionnelle, devrait être
baissé prioritairement si l’on voulait favo-
riser les entreprises actives en France. Il
convient cependant de relever que la taxe
professionnelle pèse de manière particu-
lièrement lourde dans les choix d’investis-
sement des entreprises, étant assimilée à
un coût fixe. Mais il faut aussi rappeler
que des contraintes spécifiques pèsent
sur le niveau de ce prélèvement du fait de
la nécessité d’assurer des ressources
propres aux collectivités locales.
La complexité de la taxe professionnelle
peut exercer à elle seule un effet
dissuasif. A produit constant, il paraît à
tout le moins nécessaire de réorienter ce
prélèvement dans un sens plus prévisible
et plus lisible pour les entreprises. Cela
implique que cet impôt soit plus équitable-
ment réparti selon les territoires et les
activités et que ses variations dans le
temps soient suffisamment encadrées. Le
rapport d’étape de la commission de
réflexion sur la taxe professionnelle
semble s’engager dans cette voie.
S’agissant de l’impôt sur les sociétés, la
France pourrait prendre acte du fait que le
maintien de taux nominaux élevés et de
dispositions d’assiette favorables, engen-
drant un système complexe, est au total
un handicap dans la concurrence fiscale
et une source d’inéquité entre contri-
buables. Elle anticiperait sur les évolu-
tions de moyen et long terme qui tendent à
l’harmonisation des assiettes au plan
communautaire.
Dès lors, elle annoncerait un plan de
baisse progressive de l’impôt sur les
sociétés pour le ramener à un niveau
voisin de celui de ses principaux compéti-
teurs, autour de 30 %. Parallèlement, elle
remettrait en question un certain nombre
de dispositions liées par exemple au
régime d’amortissement ou de déductibi-
lité des intérêts d’emprunt, ce qui présen-
terait l’avantage de supprimer des possi-
bilités d’optimisation internationale qui ne
comportent pas toujours d’intérêt direct
pour elle. Dans le même esprit, pourraient
être davantage limitées certaines possibi-
lités offertes par le régime d’intégration,
qui permet actuellement trop aisément le
rachat d’une entreprise à l’aide des
propres bénéfices futurs de celle-ci, et la
neutralisation de certaines libéralités.
Une telle stratégie contribuerait à la mise
en place d’un système fiscal plus simple,
affecté de peu de dérogations.
Certes, des obstacles s’opposent à la mise
en oeuvre d’une telle stratégie d’ensemble.
Sa
neutralité
budgétaire
n’est
pas
garantie. Elle pourrait faire l’objet d’un
accueil mitigé de la part des entreprises,
qui seraient attentives à la perte d’un
certain nombre d’avantages particuliers et
pourraient redouter que la baisse du taux
nominal ne soit pas pérenne : la crédibilité
d’un plan pluriannuel de baisse du taux
nominal est une condition nécessaire de
l’acceptabilité de la démarche. Elle suppo-
serait
également
que
la
puissance
publique renonce en partie à orienter les
investissements
grâce
à
un
certain
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
4
29
nombre de mécanismes dérogatoires. Elle
paraît toutefois la plus appropriée aux
enjeux.
A défaut de choisir cette voie ambitieuse,
il apparaît
a minima
souhaitable de
prendre, lorsque l’état des finances
publiques le permettra, les mesures les
plus emblématiques, celles qui éviteraient
au système fiscal français d’être trop stig-
matisé, et souvent injustement.
Le régime des plus-values de cession de
titres pourrait être révisé. La suppression
du complément d’imposition, en cas de
distribution de la réserve spéciale des
plus-values de long terme, pourrait être
envisagée
dans
un
premier
temps,
première étape vers l’exonération totale. Il
s’agit ici de faire porter l’effort sur le point
du système fiscal français qui constitue
une véritable exception et complique la
gestion des participations par les groupes.
S’agissant du taux de l’impôt sur les
sociétés, la suppression des contributions
temporaires pourrait être menée à son
terme.
Il
semblerait
alors
préférable,
pour
envoyer un signal clair aux entreprises, de
ne pas chercher à compenser entière-
ment par des mesures d’élargissement de
l’assiette les mesures d’allégement qui
seraient ainsi consenties. En particulier,
les régimes d’amortissements pourraient
être conservés à court terme, ce qui
suppose une réflexion sur les modalités
d’articulation de la fiscalité et des
nouvelles
normes
comptables.
Leur
suppression ferait perdre de l’intérêt à
certains investissements, sans fournir des
marges suffisantes pour baisser le taux
nominal dans une proportion susceptible
de compenser cette perte pour les inves-
tisseurs. Elle n’est envisageable que dans
le cadre d’un réexamen d’ensemble du
système.
Ces
lignes
directrices
peuvent
être
complétées au plan sectoriel par le choix
d’une option « offensive ». La France
tenterait alors de renforcer son position-
nement dans des secteurs où elle est déjà
attractive, relevant notamment des indus-
tries de pointe, de la recherche et du
développement, ou des services à forte
valeur ajoutée. Cette stratégie peut impli-
quer une baisse du coût du travail très
qualifié, un renforcement des aides à la
recherche et au développement ainsi
qu’un amortissement plus favorable.
Les mesures d’allégement évoquées ci-
dessus seraient toutefois inséparables
d’une intensification de l’action menée par
la France aux niveaux national et commu-
nautaire pour contrôler davantage les
phénomènes dommageables de concur-
rence fiscale, sauf à entériner la tendance
à l’harmonisation par le bas de la fiscalité
des bases d’imposition mobiles. La France
doit tenter de se prémunir davantage
contre les risques qu’un revenu produit
sur son territoire soit taxé dans un autre
Etat et contre la poursuite d’une course au
moins-disant fiscal. Dans les deux cas,
elle ne peut procéder qu’en accord avec
un cadre communautaire qui ne laisse que
peu de perspectives.
Quelle politique pour les Etats confrontés à la concurrence fiscale ?
La concurrence fiscale est ambivalente :
elle peut apparaître comme un handicap
pour les entreprises actives en France,
mais elle leur offre aussi dans les faits des
possibilités de réduire leur imposition tout
en restant implantées dans notre pays.
Elle est bien davantage un problème pour
les Etats, puisqu’elle tend à limiter la
maîtrise de leurs recettes fiscales.
Certes, la concurrence fiscale n’a pas
conduit pour l’instant à une remise en
question fondamentale et systématique du
financement des Etats et de la répartition
de la charge fiscale entre les contri-
buables. Mais la pression est d’ores et
déjà sensible et ne peut que croître en
l’absence de coordination. Si la concur-
rence fiscale concerne principalement les
grandes entreprises multinationales, il
existe une tendance de fond à la diffusion
de ses mécanismes à des entreprises de
taille moyenne.
Or, dans l’ensemble, la France apparaît
plutôt vulnérable dans le contexte de la
concurrence fiscale, du fait de la structure
de sa fiscalité, construite autour d’as-
siettes étroites et de taux élevés, ce qui
entraîne à la fois un handicap en termes
d’image et de plus larges possibilités d’op-
timisation et d’évasion fiscales.
Si l’on effectue une comparaison terme à
terme du système fiscal français d’imposi-
tion des entreprises avec les régimes
étrangers, il apparaît que ses éléments
favorables (assiette étroite de l’impôt sur
les sociétés, régime de groupe) sont
moins visibles que ses éléments défavo-
rables (taux nominal élevé de l’impôt sur
les sociétés, poids de la taxe profession-
nelle, imposition des plus-values de
cession de titres, sans parler du poids des
cotisations sociales). Les indicateurs de
pression fiscale globale, bien que repo-
sant sur des éléments fragiles, vont aussi
dans le sens d’une imposition plus élevée
en France que dans d’autres pays compa-
rables, l’écart n’étant d’ailleurs pas assez
réduit
pour
apparaître
de
manière
incontestable.
En matière de localisation des activités, ce
constat d’ensemble n’a qu’une portée
limitée. En effet, le niveau de la fiscalité
n’est pas prépondérant pour la localisa-
tion des activités et des emplois interna-
tionalement mobiles, qui sont bien davan-
tage
déterminées
par
des
facteurs
d’environnement géographique, par la
qualité des infrastructures et par le coût
du travail. Le jugement sur le positionne-
ment de la France doit en outre être
nuancé compte tenu de la diversité des
situations particulières et de la coexis-
tence de dispositions plus ou moins favo-
rables. Ce résultat global n’empêche pas
que certains aspects du système fiscal
jouent, dans des cas d’espèce, contre le
choix de notre pays pour l’implantation
des entreprises.
S’agissant de l’imposition des particuliers,
la taxation n’est véritablement plus lourde
en France par rapport aux pays compa-
rables que sur le patrimoine et les plus-
Conclusion
31
Conclusion
32
values, non sur le revenu. Ces écarts de
taxation défavorables ne rendent toutefois
une expatriation avantageuse pour les
contribuables concernés que dans un très
petit nombre de cas. Cette expatriation
peut se faire sans grandes conséquences
économiques pour notre pays, le lieu d’in-
vestissement des capitaux pouvant être
différent du lieu de résidence de leur
détenteur.
Le Conseil des impôts appelle en revanche
l’attention sur le fait que la coexistence
des systèmes fiscaux nationaux induit des
comportements d’optimisation internatio-
nale massifs. Du fait de ses caractéris-
tiques, la France est particulièrement
vulnérable à ces phénomènes. S’ils
conduisent vraisemblablement dans les
faits à réduire les écarts de pression
fiscale qui peuvent être perçus dans
certains cas entre la France et d’autres
pays, et atténuer ainsi l’effet défavorable
que ces écarts peuvent exercer dans
certains cas d’espèce, ils sont une source
d’inégalité devant l’impôt et constituent
une menace pour la souveraineté et
l’équilibre budgétaire des Etats.
Cette menace est amplifiée, en l’absence
d’accord des gouvernements au niveau
communautaire, par la jurisprudence
récente du juge européen et du juge
national. Les perspectives d’une solution
coordonnée semblent éloignées, alors
même que la concurrence fiscale paraît
appelée à exercer dans l’avenir une pres-
sion sur les Etats bien plus appuyée qu’au-
jourd’hui. La France doit donc, lorsque
cela est possible, tenter de combler par de
nouveaux dispositifs compatibles avec
les textes communautaires les lacunes
révélées ou latentes de son appareil légis-
latif de lutte contre certains abus, sans
pour autant renoncer à la perspective
d’une solution d’ensemble au niveau
communautaire. Elle ne doit pas s’inter-
dire de recourir à des modalités de
dissuasion novatrices.
Dans la période récente, la stratégie
fiscale de la France a tenu compte des
phénomènes de concurrence entre les
Etats, mais, du fait de ses caractéristiques
propres, et en particulier d’un taux de
chômage élevé, elle a surtout joué sur le
niveau des cotisations sociales, alors que
ses partenaires ont privilégié d’autres
paramètres, tels que le taux nominal d’im-
position des bénéfices des sociétés. La
stratégie française en matière d’attracti-
vité doit désormais prendre acte de ce
contexte.
Il importe avant tout aujourd’hui de faire le
choix clairement affiché d’une stratégie
de moyen terme visant à rapprocher le
système français d’imposition des entre-
prises d’un modèle offrant des taux nomi-
naux plus réduits, en contrepartie de déro-
gations moins nombreuses. S’engager
dans la voie d’un mouvement de réduction
massif de la pression fiscale effective
n’est pas d’actualité, en l’absence de
marges de manoeuvre budgétaires et dans
l’incertitude
des
effets
d’une
telle
démarche. Il ne serait pas non plus perti-
nent de prendre quelques mesures ponc-
tuelles, surtout si elles devaient créer de
nouvelles dérogations à la norme.
Conclusion
33
A minima,
le Conseil des impôts recom-
mande de prendre les mesures suscep-
tibles de réduire la singularité française,
en particulier en mettant un terme aux
contributions additionnelles à l’impôt sur
les sociétés et en mettant fin à la taxation
des plus-values de cession de titres
détenus par les entreprises. Ces mesures
pourraient être cependant partiellement et
temporairement
financées
pour
les
premières années au moyen d’une taxe
libératoire sur la réserve spéciale des
plus-values à long terme.
Une telle stratégie aurait non seulement
l’avantage de combattre les effets d’affi-
chage qui peuvent être défavorables au
choix de la France, mais aussi de limiter
l’intérêt de l’optimisation internationale et
les possibilités d’y recourir.
Conclusion
Le Conseil des impôts est présidé par le premier président de la Cour des comptes.
Il comprend :
M. Gabriel MIGNOT,
président de chambre à la Cour des comptes,
représentant le premier président de la Cour
des comptes,
M. Gilles BACHELIER,
maître des requêtes au
Conseil d’Etat,
M. André BARILARI,
inspecteur général des finances,
M. Michel BOUVIER,
professeur agrégé des universités,
M. Patrice CAHART,
conseiller en service extraordinaire à la Cour
de cassation,
M. François CAILLETEAU,
inspecteur général des finances,
M. Bernard CHALLE,
conseiller à la Cour de cassation,
M. Philippe DOMERGUE,
inspecteur général de l’INSEE,
M. Denis MORIN,
conseiller maître à la Cour des comptes,
M. Pierre PAUGAM,
conseiller maître à la Cour des comptes,
M. Jean-François de VULPILLIÈRES,
conseiller d’Etat,
Membres du Conseil des impôts.
Le présent rapport, présenté par le rapporteur général, M. Arnaud OSEREDCZUK, conseiller réfé-
rendaire à la Cour des comptes, a été délibéré et arrêté au cours de la séance du 8 juillet 2004.
Les études, dont le rapport constitue la synthèse, ont été effectuées par :
M. Stéphane ISRAËL,
conseiller référendaire à la Cour des comptes,
M. Bertrand du MARAIS,
maître des requêtes au Conseil d’Etat,
M. Gilles MENTRÉ,
inspecteur des finances,
M. Sébastien RASPILLER,
administrateur de l’INSEE,
M. Daniel TURQUETY,
administrateur de l’INSEE,
Rapporteurs,
M. Manuel VAZQUEZ,
administrateur des services du Sénat,
Chargé d’études,
Le secrétariat du Conseil des impôts a été assuré par :
M. Jean-Pierre COSSIN,
conseiller maître à la Cour des comptes, secré-
taire général du Conseil des impôts,
Mme Madeleine GALLO,
attachée au secrétariat général du Conseil
des impôts.
35
501044479-000904. Imprimerie des Journaux officiels, 26, rue Desaix, 75015 Paris