Cour des comptes
Le Premier président
Réf
.:
S 2016-0676-1
Le
2 2
HARS
2016
à
Monsieur Jean-Jacques URVOAS
Garde des sceaux, ministre de la justi
ce
Ob
jet
:
la
prise en charge et
le
suivi, par l'administrati
on
pénitentiai
re,
des majeurs
co
ndamnés
En
app
li
ca
tion de l'artic
le
L.
111
-3 du code des juridictions financièr
es,
la
Co
ur a réalisé une
enquête sur les conditions d'exécution des peines, et plus précisément sur
la
prise
en
charge
et le suivi des majeurs condamnés, avant l'interve
nti
on
de la loi
n°
201
4-896 du
15
août
20
14
relative
à
l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, dont
la
mise
en
oeuvre est en cour
s.
Cette enquête fait suite
à
deux précédents rapports pu
bl
i
cs
thématiques de la Cour, publiés respectivement
en
2006 (Cour des comptes,
Rapport public
thématique : Garde et réinsertion
-
La gestion des prisons,
janvier 2006, disponible sur
www.ccomptes.fr) et
en
2010 (Cour des comptes,
Rapport public thématique: Le service
public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale,
juillet 2010, disponib
le
sur
www.ccomptes.
fr
). Elle prolonge
en
ou
tre un contrôle réa
li
sé en 2013 et
en
20
14 sur la mise
à
exécution des
pe
in
es, qui avait mis en évidence la complexité
du
ci
rc
uit décisionnel et
l
'a
bsence de données chiffrées incontestables permettant d'apprécier l
'e
fficacité du
dispositif.
Au-delà
de
divergences parfois sensibles, les lois pénales adoptées ces dernières
an
nées
ont toutes eu p
ou
r objectif de favoriser la ré
in
se
rti
on des condamnés et de prévenir la
récidi
ve
au
moyen d'une
in
dividu
al
isation des
pe
in
es. Pourtant, en s'appuyant notamment
sur des enquêtes de terra
in
, la Cour a constaté que le dispositif en vigu
eu
r comportait
encore de nombreuses failles
ou
faiblesses,
le
suivi et la prise
en
charge des personnes
co
nd
amnées manquant parfois de cohérence et de continuité.
Acteur
ma
jeur du dispositif, l
'a
dministration
pén
itentiaire a pris conscience
de
ces l
im
ites et
tente d'y remédier dans son pér
im
ètre d'intervention. Elle a ainsi engagé des réflexio
ns
et
des actions couvrant les principaux points
de
faiblesse. Ces travaux étant, soit à
pe
in
e
achevés, soit le plus souvent
en
cours, la Cour n
'a
pu
le
s prendre que pa
rti
ellement
en
compt
e.
Il
s n'en doivent
pa
s moins être activement poursuivis. Par ailleurs, l'administrati
on
pé
nitentia
ir
e doit composer avec une multiplici
té
d'inte
rl
ocuteur
s,
tant
au
sein de
l'
institution
judiciaire
Uuge
de l'applicat
ion
des peines et parquet) qu'avec d'
au
tres administrations
ou
encore avec le secteur associatif.
13
ru
e Cambon • 75100 PARIS CEDEX
01
•
T+33
14
298
95
OO
· www.ccomptes.fr
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Référé n° S 2016-0676
-1
2 / 9
À
l'issue de
la
phase de contradiction, la Cour m'a deman
dé
, conformément
à
l'article
R.
143-1 du code des juridictions financières, d'appeler votre attention sur les principales
observations résultant de ses travaux.
La
Cour a d'abord relevé que l'organisation des acteurs,
et
plus particulièrement des
services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), mé
ri
tait d'être consolidée et leurs
coopérations renforcées ( 1
).
Elle a ensuite observé que les pratiques parfois empiriques de ces différents acteurs et
la
finalité des outils mis
à
leur disposition devaient être clarifiées et harmonisées (Il).
Elle a enfin noté l'absence d'évaluation régulière et approfondie des coûts et des résultats
(
111
).
1.
DES ACTEURS QUI PEINENT
À
S'ORGANISER ET
À
COOPÉRER
L'exécution des peines fait intervenir de nombreux acteurs, dont
le
rôle, les missions et
la
charge de travail ont considérablement évolué ces dernières années et ne sont toujours pas
stabilisés. Leur articulation demeure aujourd'hui encore délicate.
L'intervention du juge de l'application des peines (JAP) est nécessaire pour assurer
l'individualisation de la peine, difficile
à
mettre en oeuvre, dans le système français, lors du
prononcé de
la
sanction par
la
juridiction compétente. Toutefois, bien qu'elle ne soit pas
évaluée de manière précise, sa charge de travail est lourde et tant le nombre de décisions
que l'absence
de
transmission des pièces nécessaires
à
la
connaissance du condamné
viennent ralentir
et
amoindrir sa capacité d'intervention. Il n'est pas toujours en mesure
d'exploiter pleinement
la
vaste palette, de plus en plus complexe, des aménagements de
peine.
Opérateurs premiers, au sein de l'administration pénitentiaire, de la prise en char
ge
décidée
par
le
juge, les SPIP entretiennent avec lui une relation encore imparfaite. De surcroî
t,
ils ne
sont pas suffisamment pilotés
ni
aidés par leur hiérarchie interrégionale
1
.
1. L'action des SPIP pour prévenir
la
récidive reste
à
conforter
Créés en 1999, les SPIP ont vu leurs attributions s'élargir et se diversifier.
1.1. Une charge de travail mal évaluée et mal répartie
À
partir de 2008, un recentrage des missions des SPIP s'est opéré sur le contrô
le
et
la
prévention de la récidive. Dans le même temps, au sein de ceux-ci,
la
charge de travail des
conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) s'est alourdie, nuisant souvent
à
la
qualité de
la
prise en charge des personnes condamnées
et
aux
relations avec les
magistrats. Toutefois, cette charge n'a jamais fait l'objet d'évaluations précises. Seu
le
une
approche objective, sur
la
base de référentiels, permettrait d'
en
prendre une juste mesure et
d'assurer une bonne allocation
de
s effectifs. Une telle démarche devrait intégrer les
personnels administratifs de soutien, dont le rôle est appelé
à
croître.
1
La direction de l'adminis
tr
a
ti
on p
én
ite
nt
ia
ir
e du ministère de la justice
es
t structur
ée
au niveau déconcen
tr
é en
direc
ti
ons interrégional
es
d
es
services pé
ni
tentiaires (DISP), dont dépende
nt
d'une part les établissements
pénite
nt
iaires, d'a
utr
e part l
es
SPIP.
13 rue Cambon •
751
OO
PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
OO
• www.ccompt
es
.fr
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-0
676-1
3 / 9
1
.2.
Un
schéma d'organisation qui pourrait être rationalisé
Si
le caractère départemental des SPIP est cohérent avec les conditions d'exercice de leurs
missions,
la
pertinence de leurs implantations territoriales
(a
ntennes et
pe
rmanences
délocalisées) mérite d'être réexaminée au regard des contextes locaux, des avantages
procurés par
la
proximité des personnes placées sous main
de
justice, des exigences
de
pluridisciplinarité des équipes
et
du
coût de chaque type de configuration. Onze
implantations administratives de SPIP ne comptent que cinq agents et
18
autres entre
un
et
quatre agents. Certains des 169 sites pourraient sans nul doute être fusionnés.
Par ailleurs,
la
diversité des organisations internes, qui n'est pas toujours justifiée par des
spécificités locales, ne facilite
ni
l'homogénéité des pratiques professionnelles ni la lisibilité
de l'action de ces services sur le territoire. Il en
va
ainsi de
la
priorité parfois excessi
ve
donnée
à
une répartition du suivi des personnes condamnées par type de mesure, qui
aboutit
à
morceler
la
prise
en
charge.
Des schémas-types d'organisation permettraient de rédui
re
cette disparité
au
strict
nécessaire, les directions interrégionales des services pénitentiaires
ve
illant
à
la cohérence
de leur mise
en
oeuvre.
1
.3.
Des services qui restent
à
consolider
Si
le niveau de
re
crutement des CPIP a été progressivement relevé, de nouveaux efforts
doivent être déployés par l'éco
le
nationale
de
l'administration
pé
nitentiaire (ENAP) afin
de
rendre plus opérationnelles les formations dispensées
à
des élèves dont
le
cursus antérieur
et les aspirations profondes ne s'accordent pas toujours avec
la
tâche qui les attend.
Dans ce contexte,
le
beso
in
d'
un
solide encadrement interne des SPIP est dûment ident
ifi
é,
qu'
il
s'agisse du niveau stratégique
ou
du
niveau opérationnel, mais cet encadrement peine
à
se mettre
en
place et ne dispose pas de bons outils
de
pilotage.
Enfin, les limites de l'applicatif métier APPI (application des peines, de probat
ion
et
d'insertion, qui permet de gérer les informations sur les mesures prononcées
pa
r les JAP et
suivies par les SPIP et de formaliser les échanges entre ces derniers), tout comme les
carences
de
l'lnfocentre APPI, qui ne produit pas des statistiques fiables, pénalisent tant les
activités
de
gestion que de supervision des services.
2.
Les relations des SPIP avec les autres acteurs
Les réfo
rm
es successives n'ont pas permis de stabiliser les acteurs institutionne
ls
dans leurs
modes d'intervention et leurs relations se heurtent souvent
à
des contraint
es
internes, alors
que l'efficacité de la prise
en
charge dépend
de
la
qualité
de
leur coordination et
de
leur
collaboration.
2.1. Les interlocuteurs judiciaires et pénitentiaires des SPIP : des relations encore
tendues
ou
trop distanciées
Dans le
co
ntexte difficile qui entoure l'activité des JAP, et malgré une nette amélioration des
relations entre JAP et SPIP, les rôles de chacun ne sont pas encore suffisamment clarifiés,
favorisant malentendus
ou
divergences, d'autant que les limites de l'appl
ic
ation APPI
contrarient la transmission régulière d'informations des uns aux autres.
13
ru
e
Ca
mbo
n·
75
100 PARIS CEDEX 01 • T +33
142
98 95
OO·
www.ccomptes.fr
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Le
manque d'articulation peut notamment conduire
à
une rupture dans le suivi d'un
condamné, lors de sa sortie de prison
ou
à
l'occasion d'un déménagement :
il
appartient
en
effet au condamné libéré et/ou qui change de domicile
de
se présenter au SPIP
territorialement compétent, lequel doit préalablement avoir reçu compétence
du
JAP
du
ressort pour en assurer
la
prise en charge.
De
graves conséquences peuvent résulter
de
la
rupture
de
cette chaîne dans
le
cas d'un suivi socio-judiciaire
2
.
Au niveau territorial qui est le leur, les directions interrégionales des services pénitentiaires
(DISP) ont vocation
à
assurer le pilotage des services dans des ressorts très vastes :
en
ce
qui concerne les SPIP, leur expertise est limitée
du
fait d'une moindre connaissance
du
milieu ouvert (seuls deux directeurs interrégionaux ont un adjoint issu des services de
probation).
Il
leur revient pourtant d'exercer une mission de pilotage, d'assistance
et
de
parangonnage.
2.2. Des partenariats fragmentés avec les autres administrations et les associations
L
'a
dministration pénitentiaire a depuis très longtemps inscrit
la
politique
de
réinsertion et de
prévention de la récidive dans une dynamique nourrie par de nombreux partenariats avec
des associations et des institutions, indispensables
à
la
prise
en
charge des personnes tant
en milieu fermé qu'
en
aménagement de peine
et
en milieu ouvert.
Le
développement de ces partenariats est porté au niveau central par une impulsion forte
quoiqu'inaboutie, notamment du fait d'une implication et d'une mobilisation inégales des
ministères et des services publics concernés (éducation nationale, santé, culture, pôle
emploi notamment).
La
mise en oeuvre
de
la
circulaire
du
ministre de
la
justice
du
26 février 2002, qui constituait le socle ambitieux de
la
politique partenariale
du
ministère, n'a
malheureusement jamais été évaluée. De surcroît elle n'a toujours pas été actualisée.
Sur le terrain, les SPIP peinent
à
dégager des compétences et des moyens pour
re
layer
cette politique ministérielle
en
pilotant efficacement et dans la continuité des relations
partenariales multiples. Ils attendent du niveau national ou des directions
in
terrégionales
une
mutualisation des bonnes pratiques mais aussi
un
soutien plus fort sur des points essentiels
comme
la
déclinaison territoriale des politiques (accès au logement, aux droits sociaux,
à
la
formation professionnelle et
à
l'emploi,
à
la culture), l'appréciation des besoins du service,
la
détection des ressources locales mobilisables
ou
encore le financement des partenaires.
Par ailleurs,
la
visibilité encore faible des SPIP dans le tissu institutionnel local,
en
dépit
du
soutien actif
de
ce
rtains préfets, ainsi que
la
faiblesse de certaines structures associatives,
sont autant de facteurs qui doivent conduire
à
clarifier les rôles respectifs et les priorités des
SPIP, des établissements pénitentiaires et des associations partenaires.
Il.
DES PRATIQUES SOUVENT EMPIRIQUES
ET
DES OUTILS PARFOIS INADAPTÉS
Si
le savoir-faire et l
'e
ngagement des acteurs sont souvent remarquables,
la
complexité des
procédures, l'absence de référentiels, l'hétérogénéité des pratiques et l'inadaptation de
ce
rt
a
in
s outils sont porteurs tant d'interrogations que de
risq
ues sur l'effectivité de la prise
en
charge et
le
sens de la peine.
2
Le suivi socio-judiciaire est
un
e mes
ur
e
in
staurée par la
lo
i n° 98-468
du
17 juin 1998
re
lative à la prévention et
à la répression des infr
ac
tions
se
xu
e
ll
es ainsi qu'à la protection des mineurs. E
ll
e emporte, po
ur
le conda
mn
é,
l'obligation de se soumettre à des mesures de surveillan
ce
et d'assistance destinées à p
ré
venir
la
récidiv
e.
13
ru
e
Ca
mbon·
75100 PARIS CEDEX
01
• T
+3
3
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95
OO
· www.ccompt
es.
fr
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1.
Les modalités de prise
en
charge
à
l'épreuve
de
la
gestion des flux
Les CPIP assurent le suivi de l'ensemble des condamnés, tant
en
mil
ieu
fermé qu'en milieu
ouvert, mais selon des modalités sensiblement différentes.
1.1. Pour le milieu carcéral,
un
processus structuré qui se heurte
à
des limites
opérationnelles
En
milieu carcéral,
la
prise
en
charge par le CPIP s'inscrit théoriquement dans un cadre
élargi et assez bien formalisé : celui
du
«
parcours d'exécution des peines
»,
dont
le
contenu
est défini au sein d'une commission pluridisciplinaire présidée par le directeur de
l'établissement pénitentiaire. Toutefois
le
parcours d'exécution des peines n'est pas encore
déployé dans l'ensemble des établissements pour peine. L'usage du cahier électronique de
liaison, support essentiel de
la
démarche, reste aussi
à
consolider, et la surcharge des
ordres
du
jour des commissions peut rendre assez formel l'examen des situations
individuelles.
En
outre, l'efficacité
de
cette prise
en
charge est tributaire de l
'a
dhésion
du
détenu
à
son
contenu, et surtout des possibilités d'activités diverses offertes par l'établissement. Or
l'activité
en
détention est limitée par
la
faiblesse des offres existantes et
la
configuration des
locaux.
Depuis 2008, afin d'accroître
la
performance des outils de production nécessaires
au
trava
il
des détenus et de faciliter l'accès des détenus aux autres activités,
la
journée continue a
progressivement été mise
en
place dans de nombreux établissements.
La
poursuite
de
son
déploiement reste cependant
à
l
'o
rdre du jour et devrait être davantage encouragée par la
direction
de
l'administration pénitentiaire (DAP) dans les établissements dont
la
con
fi
guration
s'y prête.
Plus généralement,
la
surpopulation des maisons d'arrêt,
la
diversité des durées de
détention et les rigidités de l'organisation
en
détention sont des freins puissants
au
développement des activités.
Si
les efforts fournis pour élever le niveau éducatif doivent être
salués,
le
repérage de l'illettrisme
ne
progresse pas.
Le
développement d'une formation
professionnelle qualifiante et articulée aux possibilités d'emploi marque le pas et sera
désormais tributaire de l
'e
ngagement des régions, compétentes en ce domaine.
Le
contexte
économique, combiné
à
des préjugés tenaces, rend
de
plus en plus difficile l'attribution d'un
travail rémunéré
à
tous les détenus qui souhaiteraient
en
obtenir ; les évolutions attendues
du mode de r
ém
unération des détenus peuvent
en
outre avoir des effets négati
fs
3
.
Les
activités culturelles et sportives dépendent elles aussi largement de la configuration des lieux
et des initiatives locales, inégalement dynamiques.
Enfin, les 184 établissements pénitentiaires, dont les relations avec les SPI P restent parfois
complexes, ont également
vu
leurs missions évoluer plus nettement vers
la
prévention
de
la
récidive et
la
réinsertion.
La
DAP a développé depuis une douzaine d'années des structures
spécialisées
«
tournées vers le dehors
».
Elle souhaite créer d'autres catégories de
structures,
su
r
la
base
de
concepts innovants, mais
sa
réflexion n'a
to
ujours pas abouti,
tandis que les types de structures plus traditionnels peinent encore
à
trouver leur pla
ce
faute
de doctrine d
'e
mploi.
La
DAP s'est davantage investie dans
sa
po
litique
de
construction et
de gestion déléguée, qui a permis une réelle rénovation du parc, susceptible
de
favoriser les
3
Les dispositions de l'a
rti
cle
32
de la loi
n°
2009-1436
du
24 novembre 2009 pénitentiai
re
prévoient que les
détenus
so
nt désormais rémunérés sur
la
base d'
un
taux horaire (et n
on
plus
à
la pièce). Ell
es
ne
sont pas
appliquées ac
tu
e
ll
ement dans les ateliers concéd
és
à
des entreprises
pr
ivées
au
sein des établissements
en
ges
ti
on d
ir
ecte. Des simulations réalisées en 2014-2015 dans six établissements ont mont
ré
les in
co
n
vé
ni
ents
d'une suppression de la r
ém
unéra
ti
on
à
la pièce
(r
isques de retrait des
co
ncessionnaires ou d'éviction des
ateliers de
30
à
40
%
d
es
personnes classées, même avec
un
renforcement de l'enc
ad
rement).
13 rue
Ca
mbon • 751
OO
PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42
98 95
OO
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6 / 9
dispositifs de réinsertion ; toutefois
la
plus-value que
la
gestion déléguée est supposée
apporter
à
la
mise en oeuvre de cette politique reste encore
à
démontrer.
1.2. P
ou
r
le
s aménagements de peine et
le
milieu ouvert, une prise en charge
lacunaire
En
dehors de
la
prison,
la
prise
en
charge des condamnés, qui repose pour l
'e
ssentiel sur
l'expérience et
le
s
co
nvictions de chaque conseiller d'insertion et de probation, reste t
rè
s
hétérogène.
La
Cour constate
en
parti
cu
li
er l'absence générale d'évaluation
in
itiale, complète et objective
du condamné.
La
démarche d'accompagnement s'articule autour d'entretiens dont la
fréquence dépend autant
de
la
charge de travail du CPIP que du profil du condamné et
de
la
mesure prononcée. L'absence de références et de critères
de
suivi gêne
la
plupart des
CPIP, confrontés
à
de lourdes responsabilités et placés au contact de personnes souvent
instables, voire violentes. Compte tenu du rythme des réformes, une clarification des
méthodes d'intervention des SPIP, portée au niveau central, est indispensable. Elle doit
s'accompagner d'une généralisation de
la
pratique du suivi différencié et d'une formalisation
obligatoire, par les CPIP, de chaque plan de suivi.
Par
ai
ll
eurs, alors que
la
pluridisciplinarité est nécessaire pour faciliter
la
sortie d'un
comportement délinquant de plus
en
plus comp
le
xe,
elle
se
réduit souvent,
en
l'absence
d'objectifs
et
de doctrine,
à
la
coexistence
au
sein des SPIP de différents corps
de
fonctionnaires spécialisés dont la majorité relève de l'admin
is
tration pénitentiaire (out
re
les
conseillers eux-mêmes,
le
s surveillants ou les autres fonctionn
ai
res de corps administratifs)
et d
'a
utres
extérieurs
à
celle-ci.
À
ce
t égard, l'intervention des psychologues, dont
le
positionnement n'est pas encore complètement défini, comme des assistants sociaux,
s'avère insuffisamment consolidée, et le manque d'attractivité
de
ces
postes est patent.
Dans
le
cas
particulier du suivi socio-judiciaire, notamment avec injonction de soins
4
,
la
Cour
souligne les risques d'absence de continuité de
la
prise
en
charge d'
un
département
à
un
autre, d'
un
mi
li
eu
à
un
autre, tant sur le plan judiciaire que médical: l'absence des pièces
judiciaires et médicales indispensables, lors
de
la
prise en charge par
le
médecin
coordonnateur chargé de suivre les personnes concernées par ce type de mesure, et
l'insuffisance des rapports faits par celui-ci
au
CPIP, comme les délais
de
consultation
médical
e,
fragilisent
ce
type de mesure.
1.3. Des progra
mm
es
co
ll
ectifs peu professionnalisés
L'
in
troduction des programmes de prévention
de
la
récidive a permis une diversification des
moda
li
tés de prise en charge, tant en milieu fermé qu'en milieu ouvert.
Il
s sont désormais bien acceptés,
à
quelques exceptions près, notamment
au
se
in
des
établissements pour peines,
où
sont surtout développés des programmes destinés aux
délinquants sexuel
s,
qui hésitent
à
s'y présenter.
Ces programmes restent toutefois insuffisamment professionnalisés : recours limité
à
de
véritables experts des thématiques choisies, lourdeur de leur organisation qui dépend de
la
mobili
sa
tion des personnels.
Ils
se
réduisent souvent
à
de simples groupes de paroles,
tributaires de
la
présence volontaire des participants et de l'animation d'
un
CPIP intéressé
par
la
démarche. Avant de généra
li
ser ces programmes,
il
faudra donc les professionnaliser,
ainsi que le reconnaît la DAP,
qu
i a engagé une réflexion sur le
su
j
et.
4
C'est-à-dire comportant une obligation im
pé
rative de
se
soign
er
à laquelle
le
condamné ne peut déroger.
13
ru
e Ca
mbon·
751
00
PARIS CEDEX
01
•
T+3314298
95
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Référé n° S
201
6-0676
-1
7 / 9
2.
Les
aménagements de peine : une palette large dont l'utili
sa
ti
on connaît de multiples
limites et ambiguïtés
La
problématique de
la
gradation et de l'articulation entre milieu fermé, aménagements
de
peine
et
milieu ouvert conduit
à
s'interroger sur le caractère opérationnel ou la pertinen
ce
des aménagements de peine
5
.
Les trois principales modalités d'aménagement appellent les observations suivantes :
-
si
la surveil
lan
ce électronique se développe, elle souffre d'apparaître parfois
davantage comme
un
moyen
de
réguler la surpopulation carcé
ral
e que comme
le
vecteur
d'
un
projet de réinsertion.
À
cet égard, la notion de
«
projet sérieux
»
6
est sujette
à
des
interprétations très diverses.
En
outre, le rôle des personnels de surveillance dans ce
dispositif mériterait d'être précisé ;
- le placement
à
l'extérieur
se
heurte
à
la
rareté des places proposées par
un
secteur
associatif fragile. Pour ce faire, l'adm
in
istration passe
en
effet des conventions avec des
associations auxquelles elle confie le soin d'accueillir dans une structure adaptée
un
condamné faisant l'objet d'un aménagement
de
peine.
À
cet égard, depuis 2008, la directi
on
des affaires juridiques du ministère des finances et des comptes publics et
du
ministère de
l'économie, de l'industrie
et
du
numérique rappelle que les contrats concernés, qui
organisent l'exécution d'une prestation rémunérée, réunissent d'emblée les éléments
constitutifs d'un marché public.
La
Cour estime qu'aucune raison ne s'oppose
à
ce type de
contrat s'inscrive dans une formule de marché public de prestation de service dès lors
qu
'elle
peut s'accompagner de modalités adaptées.
Un
arbitrage ministériel est toujours en attente
et, faute d'orientations claires, c'est
la
réflexion d'ensemble sur les référentiels de mise
en
oeuvre de cette mesure et les modalités d'évaluation de ses résultats qui est paralysée.
- enfin, le régime de semi-liberté, dont les interlocuteurs de
la
Co
ur ont souligné
l'intérêt et l'efficacit
é,
trouve rarement
à
s'appliquer dans des établissements adaptés et
clairement identifiés.
La
Cour rappelle
à
cet égard que l'hébergement de condamnés faisant
l'objet d'une mesure de semi-liberté hors des centres
ou
quartiers pour peines aménagées
ou semi-liberté, que l'on constate dans un certain nombre
de
cas, est contraire
au
x
dispositions de l'article D.
72-1
du
code de procédure pénale
7
.
Elle constate d'ailleurs que,
des nombreuses difficultés freinant
la
montée
en
puissance espérée de
la
semi-liberté, les
plus importantes tiennent
à
l'inadéquation très forte entre les besoins et les ressources
en
unités dédiées
au
sein du parc pénitentiaire actuel, régies par des règles communes
adaptées et judicieusement lo
ca
li
sées, et aux conséquences de cette
in
adéquati
on
sur les
règles de vie des personnes concernées.
Ill.
L'ABSENCE D'ÉVALUATION DES COÛTS ET DES RÉSULTATS
La
capacité de mesurer les coûts et l'efficacité
du
dispositif
de
su
ivi et d'accompagnement
des personnes condamnée
s,
tant
au
plan national que dans les territ
oi
res, reste très faible ;
au sein des documents budgétaires, le rapport annuel de performance du programme 107
«
administration pénitentiaire
»
s'attarde d'ailleurs peu sur les objectifs de performance des
SPIP.
5
On appe
ll
e aménagement de pe
in
e u
ne
modalité d'exécution de peine de prison ferme dont l'objectif est
de
pe
rm
ett
re
à
la perso
nn
e conda
mn
ée de travailler, de s
ui
vre
un
e forma
ti
on
et/ou
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tem
en
t m
éd
ical ou de
maintenir des liens avec
sa
fa
mi
ll
e.
6
Av
an
t la loi
du
24 novembre 200
9,
des critères précis (trav
ai
l ou raisons
fa
mil
ia
l
es
ou médicales) d
eva
i
en
t
~u
st
ifi
e
r
ce type de me
su
re
d'aménageme
nt.
De
pui
s,
un
projet d'
in
se
rtion sérieux est suffisa
nt.
Qui prévoient que
«
les co
nd
a
mn
és faisant l
'o
bjet d'une mesure de
se
mi
-li
berté
son
t déte
nu
s soit dans des
centres de
se
mi-liberté ou des quartiers de
se
mi
-liberté, soit dans des
ce
ntres pour peines aménagées ou des
qua
rti
ers
pou
r peines aménagées».
13 rue Cambo
n·
751
OO
P
AR
IS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
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·
www.ccomptes.fr
Co
ur
des compt
es
-
Référé n° S 2016-0676-1
8 / 9
En
premier lieu, les éléments relatifs aux coûts sont encore insuffisants.
Si
le
ca
lcul
du
coût
de
la
journée
de
détention gagne peu
à
peu
en
fiabilité, l'évaluation des coûts des
aménagements de peine et plus encore
de
ceux
du
milieu ouvert reste embryonnaire.
La
Cour regrette cette absence de
co
nnaissance des coûts des actions de probation alors
qu'elles tendent
à
se
développer. Seule l'élaboration de documents de synthèse sur
l'exécution
du
budget des SPIP permettrait
une
co
nnaissance plus complète et détaillée de
certains
au
moins de ces coû
ts
, avec une répartition entre milieu fermé, aménagements
de
peine et milieu ouvert, mais aussi entre coûts
de
fonctionnement et dépenses d'inter
ven
tion.
En
second lieu,
il
n'existe pas de véritables outils d'évaluation de
la
qualité de prise
en
charge, faute de critères partagés, et
le
manque
de
fiabilité de
l'
lnfocentre APPI ajoute une
difficulté supplémentaire.
Ainsi, dans
le
cas particulier et très sensible du suivi socio-judiciaire, notamment avec
injoncti
on
de soins,
la
Cour constate qu'aucune étude
ne
permet de rendre compte de
l'efficacité du dispositif; aucun indicateur n'a été défini, permettant d'apprécier l'assiduité aux
convocations et consultations, les risques de rupture
de
prise
en
charge, l'efficacité de
la
communication entre les différents acteurs, alors que celle-ci est cruciale dans
la
prise
en
charge de condamnés dangereu
x.
Pour
la
prise en charge et l'accompagnement des condamnés
en
détention, les difficultés
rencontrées n'expliquent pas que
le
ministère
ne
soit pas
en
état de produire
un
bilan détaillé
des évolutions positives
ou
négatives récentes,
en
distinguant les établissements par type de
population et par catégories juridiques. La Cour
rel
ève
à
ce
sujet qu'il n'existe toujours pas
de bilan national de l'apport propre de
la
gestion déléguée
en
matière d'emploi pénitentiaire
et
de formation des détenus.
Il
en
va
de
même pour les programmes collectifs développés au sein des établissements
ou
en milieu ouvert, tels que les programmes de préventi
on
de
la
récidive (PPR
),
alors que les
DISP devraient pouvoir réaliser péri
od
iquement
un
bi
l
an
complet (organisation, coût,
fonctionnement)
de
ces programmes
et,
sur une période plus longue, évaluer leur efficacité
par des études de cohorte.
Au total,
la
mesure de l'efficacité reste tributaire des info
rm
ations très globales fournies par
le
taux de récidive, indicateur imparfait de l'efficacité des politiques pénales.
À
cet égard,
la
rareté des études, la diversité des systèmes judiciaires, des données et des définitions
retenues, rendent ardues les comparaisons internationales de taux de
ré
cidive et de
réitération.
Le
s dispositifs d'amélioration des connaissa
nce
s doivent donc être optimisés.
La
création
d'une nouvelle structure dépendant
du
ministère de
la
justice pour condui
re
des évaluations
sur
l'
efficacité des services
de
ce
ministère
(en
contradiction avec
le
principe, posé dans
l'article 7 de
la
loi pénitentiaire
du
24 novembre 2009, de l'indépendance de la structure
d'éva
lu
ation) semble
à
cet égard inadéquate, alors d'ailleurs que l'observatoire nat
io
nal
de
la
délinquance et des réponses pénales, créé en 2009 et relevant du Premier ministre, couvre
également
ce
champ de compétence. Une fusion des deux observatoi
res
pourrait être
envisagée afin d'améliorer
la
capacité d'évaluation en
la
matière.
En
conséquence,
à
l'issue de son enquête,
la
Cour formule
les
recommandations suivantes :
-
Recommandation
n°
1
:
définir des outils de mesure de la charge de travail des
se
rvi
ces pénitentiaires d'
in
sertion et de probation
à
partir de
ré
fé
re
ntiels précis et
procéder, sur
ce
tte base,
à
un
e meilleure allocati
on
des moyens, tant en
personnels de probation
qu
'en personnels administ
ra
tifs ;
13 rue Cambon · 75100 PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
OO
• www.ccomptes.
fr
Cour des comptes -
Référé n° S 2016-0676
-1
9 / 9
-
Recommandation
n°
2:
adapter les implantations territoriales (SPIP, antennes)
aux contextes locaux et aux caractéristiques de
la
population
à
suivre, en fonction
de critères
à
définir,
à
partir d'un bilan du fonctionnement des permanences
décentralisées, et réduire le nombre d'implantations administratives de certains
SPIP;
-
Recommandation n°
3 : harmoniser et consolider les méthodes d'évaluation des
personnes condamnées, et app
li
quer
à
ces dernières un plan de sui
vi
individuel
adossé
à
des critères objectifs ;
-
Recommandation
n°
4
:
assurer une meilleure coopération entre les acteurs
judiciaires (JAP et parquet) et les acteurs de la prise en charge (SPIP
et
mi
lieu
médical) afin de garantir
que
cette dernière soit ininterrompue, notamment dans
le
cas des suivis socio-judiciaires, et tout particu
li
èrement lors des sorties de
détention ou lorsque
la
personne condamnée déménage ;
-
Recommandation
n°
5
:
identifier et rationa
li
ser l'implantation des places de
semi-liberté, et élaborer des règles communes de fonctionnement.
-=oüo=-
Je vous serai obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu
à
l'article
L.
143-5 du code des juridictions financières,
la
réponse
que
vous aurez donnée
à
la
présente communication
8
.
Je vous rappelle qu'en application des dispositions du même code :
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances
et,
dans
leur domaine
de
compétence, aux
autres
commissions
permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de
votre réponse si e
ll
e est parvenue
à
la
Cour dans ce délai ;
à
déf
aut
, votre réponse
l
eur
sera transmise dès sa réception par
la
Cour (article
L.
143-5) ;
-
dans
le
respect des secrets protégés par
la
loi,
la
Cour pourra mettre
en
ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-1
);
-
l'article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous
fournissi
ez
à
la
Cour un compte-rendu des suites données
à
ses observations,
en vue de le
ur
présentation dans le rappo
rt
public annuel. Ce compte-rendu doit être
adressé
à
la
Cour sel
on
les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre e
ll
e et votre administration.
L.~~~
Didj
er
Mjga11d
-
8
La
Cour
vo
us remercie de l
ui
f
ai
re
pa
rv
enir votre réponse sous forme dématérialisée via
Correspondance JF
(https://correspondancej
f.
ccompt
es.
fr/linshare/)
à
l'adresse électro
ni
que suivante : qreffepresidence@ccomptes.
fr
(cf
. arrêté
du
8 septembre 2015 portant app
li
ca
tion du décret n° 201
5-1
46 du 10 février 2015
re
latif
à
la
dématéria
li
sation des échanges avec les ju
ri
dictions financières).
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