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Jugement n° 2016-003
Audience publique du 5 avril 2016
Prononcé du 19 avril 2016
COMMUNE DE LA POSSESSION
Poste comptable : TRÉSORERIE DU PORT
Exercices : 2009 à 2013
République Française
Au nom du peuple français
La Chambre,
Vu le réquisitoire n° 2015-08 du 2 décembre 2015, par lequel le procureur financier a saisi la
chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de :
-
Mme X,
comptable de la commune de La Possession, au titre d’opération
s relatives à
l’exercice 2010, notifié le 17
décembre 2015 à la comptable concernée ;
-
M. Dominique Y, comptable de la commune de La Possession, au titre
d’opération
s
relatives à
l’exercice
2013, notifié le 8 décembre 2015 au comptable concerné ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables de la commune de La Possession par :
-
Mme X, du 15 octobre 2009 au 8 novembre 2012 ;
-
M. Y du 9 novembre 2012 au 31 décembre 2013 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n°
63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité
publique et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du
VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article
90
de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Taha Bangui, premier conseiller, magistrat
chargé de l’instruction
;
Vu les conclusions du procureur financier ;
Vu les pièces du dossier ;
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Entendu lors de
l’audience publique du
5 avril 2016 M. Taha Bangui, premier conseiller, en
son rapport, M. Bertrand Huby, procureur financier, en ses conclusions, M. Dominique Y,
comptable présent (qui a eu la parole en dernier), Mme X, comptable, et Mme Z, maire de La
Possession, informée
s de l’audience, n’ét
ant ni présentes ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Laurent Ochsenbein, premier conseiller, en ses observations ;
Sur la présomption de charge n° 1
soulevée à l’encontre de
Mme X, au titre de
l’exercice
2010 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la Chambre régionale
des comptes de La Réunion de la responsabilité encourue par Mme X à raison du double
paiement
d’une somme
de 692,23
;
En ce qui concerne le manquement :
Attendu qu’il ressort du réquisitoire
que la commune de La Possession a acheté du produit
« nettoyant mains 5 L Puck » à la société A pour un montant de 692,23
; que cette
prestation a fait l’objet d’un mandatement le 20
novembre 2009 (mandat n° 3967 émis sur la
base de la facture n° 249477 du 31 octobre 2009 et payé le 14 janvier 2010) ; que la même
prestation a fait l’objet d’un deu
xième mandatement le 10 mai 2010 (mandat n° 1637 émis
sur la base de la même facture n° 249477 du 31 octobre 2009 et payé le 14 juin 2010) ;
Attendu que, dans sa réponse, Mme X signale que l
’application H
ELIOS ne permet pas de
repérer les doubles paiements ; que de surcroît, « le double paiement évoqué porte sur des
dépenses de fournitures dont les montants sont souvent identiques et de plus, cette dépense
a été mandatée sur deux exercices différents rendant encore plus difficile le contrôle » ;
Attendu qu’aucun des arguments exposés ci
-
dessus n’est de nature à dégager la comptable
de sa responsabilité ;
Attendu qu’en payant le mandat n°
1637 émis le 10 mai 2010 sans contrôler la validité de la
créance c’est
-à-dire, précisément, la justification du service fait, Mme X a manqué à ses
obligations de contrôle ; que ce faisant, elle a engagé sa responsabilité pour avoir payé une
dépense irrégulièrement ;
En ce qui concerne le préjudice financier :
Attendu que Mme X
fait valoir le caractère insignifiant de l’incidence financière de son erreur
au regard des dépenses de fonctionnement payées par la commune en 2009 et 2010 ;
Attendu que
l’ordonnateur n’a pas répondu sur ce point
;
Attendu qu’il ressort de l’instruction que le double paiement effectué au profit de la société
A
n’a pas fait l’objet d’un remboursement
; que, dans ces conditions, Mme X a effectué un
paiement indu ayant entraîné un appauvrissement patrimonial non recherché qui a causé un
préjudice à la collectivité pour un montant de 692,23
; que le caractère modeste de ce
montant au regard des sommes manipulées par le comptable est sans incidence sur
l’existence d’un préjudice
; que celui-ci est directement relié au manquement de la comptable
au regard des obligations qui lui incombent au titre du contrôle de la validité de la créance,
qu’
elle est seule et tenue
d’effectuer
;
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En ce qui concerne le débet :
Attendu que le 3
ème
alinéa du VI de
l’article
60 de la loi du 23 février 1963 susvisée
dispose que lorsque le manquement du comptable a causé un préjudice financier à
l’organisme public concerné, le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses
deniers personnels la somme correspondante ;
Attendu qu’il résulte de
tout ce qui précède que Mme X doit être constituée débitrice de la
commune de La Possession pour un montant de 692,23
au titre de l’année 2010
;
Attendu qu
’en application des dispositions du VIII de l’article 60 de la loi du
23 février 1963
susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en
jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; que le
réquisitoire du procureur financier a été notifié le 17 décembre 2015 à Mme X
; qu’en
conséquence, le débet portera intérêt à compter de cette date ;
En ce qui concerne le contrôle sélectif des dépenses :
Attendu qu’aux termes de l’article 60
-IX de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les
comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu (…)
peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur
charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation
du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise
gracieuse totale ne peut être accordée » ;
Attendu que Mme X
n’a présenté aucune observation
à ce sujet ; que M. Y, comptable en
fonctions, a indiqué que le mandat litigieux
n’avait
pas été sélectionné par le contrôle sélectif
des dépenses ;
Sur la présomption de charge n° 2,
soulevée à l’encontre de
M. Y,
au titre de l’exercice
2013 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale
des comptes de La Réunion de la responsabilité encourue par M. Y à raison du paiement de
rémunérations à des agents
recrutés dans le cadre d’emplois aidés
sans disposer des
pièces justificatives correspondantes ;
En ce qui concerne le manquement
:
Attendu qu’il ressort du réquisitoire qu’en 2013, M.
Y a payé des rémunérations à des agents
recrutés dans le cadre de contrats d’insertion
pour un montant total de 2 200 055,75
sans
disposer
de la délibération du conseil municipal autorisant le recrutement d’agents en
contrats aidés prévue par l’article D.
1617-19 du code général des collectivités territoriales
;
Attendu que le comptable ne conteste pas avoir procédé au paiement des contrats aidés
sans disposer de la délibération prévue par la nomenclature
; qu’il fait valoir qu’il a demandé
fin 2013 à l’ordonnateur l’adoption d’une telle délibération, laquelle a été finalement adoptée
en août 2015 ; que
, s’agissant des contrats aidés, sur la base d’un travail d’évaluation
des
besoins par les services de la collectivité, le conseil municipal délibère chaque année sur les
crédits alloués aux emplois d’insertion
; qu’il délibère également sur les crédits consommés
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lors de l’adoption du compte administratif
; qu’il disposait p
ar ailleurs pour chaque agent des
contrats d’engagement, lesquels sont cosignés par l’Etat, l’employeur
et le bénéficiaire ;
Attendu que lors de l’audience publique, M.
Y a souligné que la politique publique portant sur
les contrats aidés, qui f
ait intervenir plusieurs interlocuteurs (l’Etat, Pôle emploi, les
employeurs), était « complexe », « sous pression » et «sensible» ; que les employeurs
bénéficiaient d’aides pouvant atteindre «
98 % » de la dépense ;
Attendu que, le procureur financier, dans ses conclusions, et le rapporteur, dans son rapport,
fon
t valoir qu’au moment où le
s mandats afférents aux contrats aidés ont été mis en
paiement, le comptable
ne disposait pas des actes d’engagement mentionnant la référence à
la délibération autorisant leur recrutement ; que, par suite, le comptable aurait manqué à son
obligation de contrôle des justifications et, ce faisant, engagé sa responsabilité pour avoir
payé des dépenses irrégulièrement ;
Attendu que la politique publique sur les contrats aidés r
elève notamment d’instructions
spécifiques de la DGEFP qui fixent par semestre, en janvier et en juin, le volume physico
financier des enveloppes correspondantes ; que celles-ci sont réparties par région après
analyse des besoins par les services de l’
Etat
; qu’elles font ensuite l’objet d’un arrêté
notifié
par le
représentant de l’Etat
pour chaque employeur ; que le préfet alloue un nombre de
contrats aidés ainsi que la prise en charge des salaires correspondants ;
Attendu, en outre, que la situation du territoire de La Réunion est particulière
; qu’en effet,
alors que sa population ne représente que 1,28 % de celle de la France, il
s’est vu attribuer,
5,3% et 4,2
% de la totalité des contrats uniques d’insertion et emplois d’avenir selon
les
circulaires de la DGEFP n°2013-01 et n°2013-09 des 16 janvier et 9 juin 2013 relatives à la
programmation des contrats uniques d’insertion aux premier et second semestres 2013
; que
les enveloppes physico-financières correspondantes représentaient plus de 18 000 contrats
ainsi que plus de 92
M€ de crédits en autorisation d’engagement et de 52
M€
de crédits de
paiement ;
Attendu que
l’article
34 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires
relatives à la fonction publique territoriale
porte sur la création d’emplois d’agents titulaires
ou non titulaires ; que les contrats aidés, qui relèvent du droit privé, ne sont donc pas régis
par la loi du 26 janvier 1984 précitée
; qu’à la différence de la délibération créant
des
emplois, la
délibération autorisant l’engagement pour les contrats aidés
a une portée plus
large correspondant à une décision cadre sur le recours aux emplois aidés ;
Attendu qu’il résulte de l’instruction que le conseil municipal a délibéré chaque année
au
budget, le volume financier des contrats aidés en dépense et en recette
; qu’il
prévoit des
dépenses spécifiques aux C/6416X "Emplois d’insertion"
» ; que, de fait, le budget primitif
2013 de La Possession prévoyait pour 683 348
€ de crédits à l’article 64162
(Emplois
d’avenir) et pour 1
994 585
€ de crédits à l’article 64168 (Autres emplois d’insertion)
; que
l’individualisation de ces opérations sur des
chapitres spécifiques au budget témoigne de la
volonté de l’assemblée délibérante d’avoir recours à des contrats aidés
; qu’en votant le
budget, cette décision vaut délibération de principe ;
Attendu au surplus,
qu’il n’est pas contesté
que le comptable disposait
de l’ensemble des
contrats des bénéficiaires d’emplois aidés
lors du paiement des mandats
; qu’il n’est pas
davantage contesté que ces contrats individuels ont été signés par les parties concernées ;
que le seul manquement reproché au comptable est fondé
sur l’absence d’une décision
formelle
autorisant le recrutement d’emplois aidés
, ce dernier disposant par ailleurs de toutes
les informations et pièces prévues pour procéder aux paiements de salaires de personnes
privées ;
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Attendu
qu’il ressort de tout
ce qui précède que, le vote de crédits spécifiques au budget
primitif 2013 pour rémunérer les contrats aidés doit être regardée comme valant autorisation
d’engagement par l’assemblée délibérante
;
que dans ces conditions, l’absence de
la
délibération ne saurait être, à elle seule, de nature à engager la responsabilité personnelle et
pécuniaire d
un comptable public ;
Attendu,
par conséquent, qu’il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité d
e M. Y à
raison de la présomption de charge n° 2 au titre de sa gestion des comptes de 2013 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne Madame X :
Article 1
er
:
Au titre de l’exercice 2010 (présomption de charge n°
1), Mme X est constituée
débitrice de la commune de La Possession pour la somme de 692,23
€, augmentée des
intérêts de droit à compter du 17 décembre 2015 ;
Article 2 : Mme X est déchargée de sa gestion du 1
er
janvier 2011 au 8 novembre 2012 ; elle
ne pourra être déchargée de sa gest
ion au titre de l’exercice 2010 et déclarée quitte de sa
gestion terminée le 8 novembre 2012
qu’après apurement du débet fixé ci
-dessus ;
En ce qui concerne M. Y:
Article 3 :
Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de
M. Y au titre de la
présomption de charge n° 2 ;
Article 4 : M. Y est déchargé de sa gestion du 1
er
janvier 2013 au 31 décembre 2013 ;
Fait et jugé par M. Christian Colin, conseiller référendaire, président de séance,
M. Sébastien Fernandes, président de section, M. Laurent Ochsenbein, premier conseiller
En présence de M. Bernard Lotrian, greffier de séance.
Bernard Lotrian
Christian Colin
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur
ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous
commandants et officiers de la force publique de prêter main-
forte lorsqu’ils en seront
légalement requis.
Yves Le Meur
Secrétaire général
En application des articles R. 242-14 à R. 242-16 du code des juridictions financières, les
jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel
devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce
selon les modalités prévues aux articles R. 242-17 à R. 242-19 du même code. Ce délai est
prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un
jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce
dans les conditions
prévues à l’article R. 242
-26 du même code.