Cour des comptes
Pa
ri
s, le
2 3
DEC.
2015
Le
Premier
président
à
Monsieur
Patrick
Kanner
Ministre de la ville,
de
la
jeunesse et des sports
Objet
: L'impact budgétaire et patrimonial pour l'État
du
projet
de
construction d'
un
stade
fédéral de rugby par
la
Fédération française de Rugby (FFR)
Réf. : 82015-1381-1
À
la suite du contrôle de la gestion
de
la
Fédération française de Rugby (FFR), exercices
2010
à
2014,
la
Cour des comptes m'a demandé, en application des articles
L.
143-5 et
R.
143-1 du code des juridictions financières, d'appeler plus particulièrement votre attention
sur
un
certain nombre
de
points qui relèvent de vos attributions.
-=000=-
Les principales observations de la Cour font état d'une gestion administrative fédérale
satisfaisante mais perfectible, notamment pour rationaliser les
re
lations financières et
comptables avec la Ligue nationale de rugby et de nombreux autres partenaires, tels que les
comités locaux. Dans le contexte d'une économie sportive dynamique mais recelant des
risques de fragilité, la Fédération de rugby doit maîtriser ses charges. Cet effort entrepris,
depuis 2014-2015, mérite d'être accru.
Si
les relations avec
le
ministère chargé des sports
sont
de
bonne qualité, l'État peut davantage cibler ses moyens sur un nombre réduit
d'objectifs partagés avec
la
FFR, voire limiter les affectations de conseillers techniques
sportifs, dont les conditions d'emploi et de rémunération nécessitent une vigilance plus
soutenue.
13
ru
e Cambon •
75
1
00
PA
RI
S CEDEX
01
• T +
33
1 42
98
95
00 •
www
.ccomptes.
fr
Cour des
comptes-
Référé
noS 2015-1381-1
2 / 5
L'enjeu majeur du contrôle de la Cour réside dans le projet fédéral de création, en
Île-de-France, d'un stade situé sur le territoire de la communauté d'agglomération d'Évry
Centre Essonne - d'une jauge de 82 000 spectateurs pour 600 M€ d'investissement
(hors abords et viabilisation) en valeur 2010 maintenue en 2015.
À
travers ce projet, la
Fédération
de
rugby poursuit plusieurs objectifs ; donner une assise emblématique à ce
sport aux plans national et international, améliorer et garantir les recettes fédérales en
disposant d'un stade dont elle contrôlera l'exploitation commerciale sportive (
bi
lletterie,
hospitalités, parrainage) et événementielle, diversifiant ainsi ses sources de revenu.
La
présentation d'un tel projet met en avant
la
possibilité de doter cette partie de
l'Île-de-France d'un grand équipement sportif.
Le
financement du stade repose à 90 % sur un appel de fonds extérieurs (sans subvention
de l'État),
dont
un recours à l'emprunt d'
au
moins 400 M€.
Le
montage pourrait être garanti
par le département de l'Essonne jusqu'à un plafond de 450 M€. L'amortissement de cet
emprunt
et
la
rémunération d'autres ressources, notamment en capital, sur 20 ans exigent
un rendement élevé
et
régulier du stade, pour ne pas pénaliser les moyens de
la
FFR en
faveur du sport de haut niveau (entraînement des équipes olympiques et nationales) et de
la
pratique du rugby par tous. L'État ne peut ignorer, au-delà du risque
de
dégradati
on
du
soutien à
la
discipline sur une aussi longue période, un risque pour les finances de la
collectivité locale qui apporterait sa garantie.
La démarche fédérale requiert, pour être convaincante, l'actualisation et la cl
ar
ification des
paramètres du plan d'affaires, qui datent de 2010-2011 , pour une éventuelle exploitation à
partir de 2020
et
surtout l'affermissement d'un plan financier à préciser entièrement.
La
FFR
assure conduire actuellement ces études. C'est pourquoi la Cour a recommandé dans les
observations définitives adressées aux dirigeants fédéraux et au directeur des sports que les
plans d'affaires
et
de financement, lorsqu'ils seront arrêtés définitivement, soient présentés à
l'assemblée générale de la FFR, complétés d'une projection pré
vi
sionnelle de leur impact sur
la
situation financière fédérale et sur son activité pendant toute la durée d'amortissement de
l'emprunt.
Les choix majeurs qui vont être faits se devront d'être parfaitement transparents et explicites
alors que le comité directeur de la fédération a retenu en
novembre 2014 un
«
attributaire pressenti
»
du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du
stade. Cette décision ouvre une période
de
contact exclusif avec le groupement pressenti
pour
«
finaliser
le
contrat et ses annexes
»,
jusqu'au 1
er
avr
il
20
17, qui constitue la date
butoir pour lui donner ou non un caractère exécutoire. La procédure
de
passation du marché
n'étant pas achevée dans
la
période sous revue par
la
Cour, son déroulement n'a pas
pu
être examiné.
L'État, en tant que propriétaire
et
concédant du Stade de France, est directement concerné
par ce projet, qui bouleverserait l'économie des manifestations sportives
et
événementielles
de grande ampleur en Île-de-France.
Il
se doit de prendre en compte deux risques, l'un
budgétaire, l'autre patrimonial.
1-
UN
RISQUE BUDGÉTAIRE CERTAIN POUR L'ÉTAT D'AU MOINS 23 M€ PAR
AN
L'État a confié par contrat, en avril 1995, la conception,
la
construction
et
l'exploitation du
Stade de France à un consortium jusqu'en 2025 (Consortium Stade de France
).
Le
contrat
de concession est fondé sur un niveau d'activité prévisible et pour partie garanti, incorporant
les compétitions organisées par la FFR.
Cour des
comptes-
Référé
no
S 2015-1381-1
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Le
retrait des manifestations de rugby
du
programme
du
Stade de France entraînerait pour
l'État de lourdes conséquences financières. Par
le
contrat de concessi
on
et ses avenants,
l'État garantit
au
concessionnaire (Stade de France) l'organisation chaque année de neuf à
dix matchs, dont quatre à cinq manifestations rugbystiques, dites « réservées »,
et
le
renouvellement, de 2013 à 2025, des accords conclus avec
la
FFR en 1995 (à des
conditions économiques au moins aussi avantageuses pour
le
concessionnaire que celles de
l'accord récent pour 2013-2017).
La
suppression de l'indemnité compensatri
ce
pour absence
de club résident (IACR) versée par l'État au Consortium Stade de France est conditionnée
au maintien de la FFR au-delà de l'été 2017.
Ainsi,
le
retrait du Stade de France de
la
FFR provoquerait
le
versement par l'État d'une
indemnité annuelle de 6,3 M€
au
Consortium Stade de France,
au
double titre de
la
non-tenue des manifestations réservées et du non-renouvellement des accords avec une
fédération contractante. L'État deviendrait également à nouveau redevable envers le
concessionnaire de l'indemnité d'absence de club résident, soit 17 M€ par
an.
D'autres zones de risques pourraient
se
dessiner selon l'interprétati
on
faite des différents
articles
de
la
convention de concession,
notamment l'évocation possible, par
le
concessionnaire, de
la
situation de «déséquilibre financier» (article 39.2.3 dans
sa
rédaction actuellement en vigueur) qui naîtrait des conséquences de la concurrence entre
les deux stades, notamment pour les manifestations non sportives, dont le nombre au Stade
de France pourrait être divisé par deux, avec des tarifs diminués. Si
le
Stade de France,
certes partiellement rénové, est plus proche de
la
capitale, le stade fédér
al
de rugby serait
plus fonctionnel et plus polyvalent.
Au total, le retrait de
la
FFR de l'utilisation
du
Stade
de
France provoquera une charge
supplémentaire annuelle minimale de l'ordre de 23 M€ p
ou
r l'Éta
t,
jusqu'au terme de
la
concession (mi-2025), soit entre
161
M€ et 186 M€ suivant
la
date d'entrée
en
fonctionnement
du
stade de rugby. Ce risque budgétaire
po
urrait s'avérer supérieur selon
l'intensité des revendications du concessionnaire, déjà très actif au plan contentieux à
l'encontre de l'État.
Il- UN RISQUE PATRIMONIAL: L'AVENIR PRECAIRE DU STADE DE FRANCE,
PROPRIETE DE L'ETAT,
EN
CAS DE CREATION D'UN STADE CONCURRENT
En
cas de non-renouvellement du contrat liant
la
FFR et
le
Consortium Stade de France, à
la
date de livraison du stade de rugby, l'État ne devra pas uniquement assumer une dépense
budgétaire supplémentaire, voire faire face à des contentieux risqués.
Il
lui appartiendra
aussi
de
trouv
er
un
avenir durable, en terme de perspective d'activités, d'équilibre financier
et
de
mode de gestion, à
un
équipement dont
il
est
le
propriétaire et dont l'échéance de
la
concession sera relativement proche (2025).
La
vigueur de
la
concurrence qui résulterait du doublement de l'offre d'accueil en
Île-de-France n'est pas contestable. Elle a conduit
la
FFR, qui anticipe une vive compétition
sur les prix de location pour atteindre le niveau d'occupation prévu par son plan d'affaires, à
revoir à
la
baisse ses prévisions de recettes. Ainsi, l'avenir du Stade de France doit être
examiné
au
regard d'une modification durable et significative
en
volume et
en
prix de son
chiffre d'affaires.
Cour des comptes -
Ré
féré
noS 2015-1381-1
4 / 5
De nombreux rapports sur le Stade de France ont été demandés aux inspections générales
(IGF, IJS, IGA
1
)
par les ministres successifs chargés des sports, notamment sur l'impact du
retrait des compétitions de rugby sur sa situation financière. Un rapport sénatorial
2
a
également traité
ce
sujet en octobre 2013. Plusieurs hypothèses ont été examinées.
Certaines, prenant acte du projet de
la
FFR, explorent des solutions propres à l'État, telles
que l'anticipation de la fin de la concession du Stade de France (après l'EURO 2016) afin de
minimiser le coût des indemnités supplémentaires,
la
recherche d'un nouvel exploitant
généraliste (quitte à accepter une forte décote de
la
redevance
en
contrepartie de la
modernisation de l'équipement aux frais
de
cet exploitant), voire la vente du stade lui-même.
D'autres privilégient des solutions qui nécessitent une modification des intentions de
la
FFR,
par
le report ou l'abandon de son projet : la prorogation au-delà de 2018 de la convention
d'utilisation du Stade de France par la FFR, au moins jusqu'en 2025 ; un nouveau régime de
concession à de meilleures conditions pour cette fédération, qui pourrait participer au
consortium délégataire ; la vente du Stade de France à la FFR (la val
eur
d'assurance du
Stade de France est de l'ordre
de
400 M€).
À
l'heure actuelle, l'État dispose de toutes les informations nécessaires.
Or
il
ne semble pas
avoir pris d'initiatives pour explorer avec la FFR des alternatives différentes de celle de la
construction du stade
de
rugby, qui pourraient éventuellement concilier les besoins exprimés
par
cette fédération et la préservation de ses intérêts économiques
et
patrimoniaux.
A
minima
,
il
lui revient d'anticiper, dans sa propre sphère de responsabilité, les
conséquences budgétaires, juridiques et patrimoniales du projet
de
la FFR, en tant que
propriétaire d'un équipement, le Stade de France, pour lequel 760 M€
de
dépenses
publiques ont été engagées depuis 1998 (au titre de
la
construction du stade, de ses
équipements de desserte et des indemnités versées au concessionnaire
).
Les délais connus actuellement, qui laissent vraisemblablement ouverte jusqu'en 2017 la
question de
la
création du stade, offrent encore à l'État la possibilité d'agir ou de se préparer
à le faire. Cette faculté doit être saisie, sauf à se trouver entre 2017 et 2020, acculé par
inertie dans une impasse coûteuse.
-=000=-
Aussi
la
Cour attire-t-elle l'attention sur les risques prévisibles, dont ceux liés aux clauses du
régime
de
concession sont certains,
de
l'impact du projet de stade fédéral de rugby et
formule les recommandations suivantes :
-
Recommandation no 1
:
déterminer une position de l'État qui permette d'éviter les
charges budgétaires supplémentaires, de se prémunir contre les risques juridiques et
d'affronter le problème patrimonial concernant
le
Stade de France ;
-
Recommandation
no
2
:
mettre, en tout état de cause, à profit la période restant
jusqu'en 2017 pour rechercher avec la FFR des alternatives au projet de stade
de
rugby.
1
In
spec
ti
on générale des finances,
In
spec
ti
on
de la
jeu
nesse
et
des sports, Inspection générale de
1
'
adm
inistration.
2 J
ean
-Marc Todeschini, Dominique Bai
ll
y.
Grands stades et aréna
s:
pour un financement public les yeux
ouverts
:
rapport d' information n° 86. Sénat,
17
octobre 20 13, 60 p.
Cour des
comptes-
Référé noS 2015-1381-1
5 / 5
-=000=-
Je
vous serais obligé
de
me
faire connaître,
dans
le
dé
lai
de
deux mois prévu
à
l'article
L.
143-5 du
code
des
ju
ridictions financières, la répo
nse
que
vous aurez
donnée
à
la
présente
communic
ation
3
.
Je
vous
rappelle qu'
en
application
des
dispositions
du
même
code
:
deux
mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions
des
finances
et,
dans
leur
domaine
de
compétence,
au
x
autres
commissions
permanentes
de
l'Assemblée nationale
et
du
Sénat. Il sera
accompagné
de
votre
réponse si elle
est
parvenue
à
la
Cour
dans
ce déla
i.
À défaut, votre réponse le
ur
sera transmise
dès
sa réception
par
la
Cour
(article L. 143-5) ;
dans
le
respect
des
secrets protégés
par
la loi, la
Cour
pourra mettre en ligne
sur
son
site internet le présent référé,
accompagné
de
votre réponse (article L. 143-1) ;
l'article
L.
14
3-10-1
prévoit
que
,
en
tant
que
destinata
ir
e
du
présent référé,
vous fournissiez
à
la
Cour
un
compte
re
ndu
des
suites
données
à
ses observations,
en
vue
de
leur présentation
dans
son rapport public annue
l.
Ce
compte
rendu doit
être adressé
à
la
Cour
selon les modalités
de
la procédure
de
suivi annuel coordonné
convenue
entre elle
et
votre administration.
--
----~
D~irldterNHgaud
-
3
La
Cour
vou
s
remercie
de
lui
faire
pa
r
ve
ni
r
votre
répon
se
sous
fonne
dé
matériali
sée
via
Correspondance
JF
(https://corrcs
po
nd
anccj
f.
ccomptes.
fr
/linsharc/)
à
l'adresse
électronique
suivante
grelfcpresi
dc
nce
ii
'
cc
omptc
s.
fr
(cf. arrêté
du
8
se
ptembre 2015 portant
app
lication
du
décret n° 2
01
5
-1
46 du 10 février
20
15
re
latif à la
dé
m
at
é
ri
a
li
sa
ti
on d
es
écha
nge
s
avec
l
es
juridict
ion
s
finan
ciè
res).