eNtités et pOlitiQues publiQues
LA
DÉPARTEMENTALISATION
DE MAYOTTE
Une réforme mal préparée,
des actions prioritaires à conduire
Rapport public thématique
Synthèse
Janvier 2016
g
AVERTISSEMENT
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du
rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
3
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
1
Un contexte sociodémographique et économique extrêmement
préoccupant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
2
Une réforme mal préparée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
3
Des risques financiers qui pèsent sur l’avenir
. . . . . . . . . . . . . . . . .11
4
Des actions prioritaires à conduire
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19
Sommaire
5
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
Située dans le canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar, Mayotte fait
partie de l’archipel des Comores, qui est composé de trois autres îles, dont
Anjouan, distante de Mayotte de seulement 70 km.
Les Mahorais ont un attachement particulier à la France, qui résulte notamment
d’une histoire commune plus ancienne qu’avec le reste des Comores, et qui les
a amenés à demander le maintien de Mayotte au sein de la République française
(par 63,8 % des suffrages exprimés) lors du référendum d’autodétermination
organisé en 1974, à l’inverse des autres îles des Comores. Ce choix n’a jamais été
reconnu officiellement par l’Union des Comores, qui continue à ce jour à contes-
ter la souveraineté française sur Mayotte.
Après une période de stabilité assez longue, l’histoire administrative de Mayotte
a connu de nombreuses vicissitudes depuis 15 ans. L’accord du 27 janvier 2000
sur l’avenir de Mayotte a conduit à lui conférer le statut de « collectivité dépar-
tementale » en 2001, réforme accompagnée d’un transfert de l’exécutif du pré-
fet vers le président du conseil général (en 2004), de la partition des services
(personnel et moyens) et des immeubles et terrains entre l’État et la collectivité
départementale et de transferts de compétences à la collectivité.
Source : Cour des comptes
Introduction
6
À la différence des étapes précédentes, la
départementalisation
désigne le passage
de Mayotte du statut de collectivité d’outre-mer, régie par l’article 74 de la
Constitution, à celui de collectivité unique régie par le dernier alinéa de l’article 73,
exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer (DOM) et d’une
région d’outre-mer (ROM). Les bases de cette réforme ont été posées par l’État
dans son « Pacte pour la départementalisation de Mayotte », présenté par le
Président de la République en décembre 2008 et qui constituait la « feuille de
route » du Gouvernement pour assurer sa réussite. La départementalisation a été
approuvée par 95,2 % des suffrages exprimés lors de la consultation des électeurs
de Mayotte organisée le 29 mars 2009 ; le Département de Mayotte a été officiel-
lement créé le 31 mars 2011.
Près de cinq ans après, et alors que l’État vient de présenter un nouveau plan stra-
tégique (« Mayotte 2025 »), la Cour a dressé un premier bilan de la période
2010-2014. Il en ressort que, compte tenu des défis singuliers auxquels Mayotte
doit faire face, la départementalisation aurait nécessité d’être mieux préparée et
pilotée, ce qui n’a été le cas ni au niveau de l’État, ni au niveau du Département. De
nombreux chantiers, pourtant identifiés dans le « Pacte pour la départementalisa-
tion » comme des préalables à la réussite de la réforme, ne sont toujours pas termi-
nés. En outre, les conséquences financières de la départementalisation sont mal
maîtrisées, avec un risque de dérapage pour le budget de l’État et une situation
financière préoccupante du Département et des communes. Enfin, la Cour a ana-
lysé quelques-uns des principaux défis rencontrés par Mayotte, qui nécessitent, en
tout état de cause, un soutien continu de l’État, mais qui devront être relevés par la
collectivité départementale.
Introduction
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
7
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
1
Un contexte sociodémographique
et économique extrêmement
préoccupant
une population en forte croissance,
jeune et relativement pauvre
La forte croissance démographique à
Mayotte constitue à la fois une de ses
caractéristiques et son principal défi,
dans la mesure où elle pèse inévita-
blement sur les politiques publiques.
En effet, la population a triplé depuis
1985, avec une croissance moyenne
de + 2,7 % par an sur la période
2007-2012.
Les
estimations
au
1
er
janvier 2014 la portent à 220 300
habitants.
Même si sa croissance ralentit pro-
gressivement,
les
projections
de
l’Organisation
des
Nations
unies
(ONU) montrent que la population
pourrait atteindre près de 500 000
habitants dès 2050 et plus de 750 000
en 2100.
Source : Cour des comptes d’après Organisation des Nations unies
La population est à la fois très jeune
(la moitié des habitants a moins de
17,5 ans) et, en raison d’une forte
pression migratoire, composée à 40 %
d’étrangers en situation régulière. Aux
étrangers
recensés
par
l’INSEE
(84 600), s’ajoutent également de
nombreux clandestins, qui pourraient
être plusieurs dizaines de milliers.
Enfin, malgré d’incontestables amélio-
rations dans le domaine socio-écono-
mique, le chômage demeure le plus
élevé des DOM (36,6 %) et le PIB par
habitant, bien qu’ayant augmenté de
65 % entre 2005 et 2011, ne s’élève
qu’à 7 900 €, contre 31 500 €
au
niveau
national
et
18 900 €
à
La Réunion
.
1950
2015
2030
2050
2100
Habitants
15 000
240 000
344 000
497 000
752 000
projections démographiques pour Mayotte à l’horizon 2100
8
Synthèse du Rapport public thématique sur la départmentalisation de Mayotte
Un contexte sociodémographique et
économique extrêmement préoccupant
le difficile traitement de l’immigra-
tion
Si les flux de l’immigration légale sont
relativement modérés, le véritable
enjeu pour Mayotte est celui de l’im-
migration clandestine, qui reste diffi-
cile à chiffrer, les 19 991 étrangers en
situation irrégulière interpellés et éloi-
gnés en 2014 ne constituant sans
doute qu’une partie des flux réels.
Malgré l’engagement des pouvoirs
publics, qui s’est manifesté par une
réorganisation des services préfecto-
raux et un renforcement des moyens
des forces de sécurité, ce qui a permis
d’augmenter les interceptions des
bateaux de passeurs (les « kwassas-
kwassas ») en provenance de l’Union
des Comores, l’immigration clandes-
tine demeure très mal maîtrisée.
La Cour a toutefois constaté une amé-
lioration des conditions de rétention
des clandestins grâce à la construc-
tion et la mise en service, en septem-
bre 2015, d’un nouveau centre de
rétention administrative (CRA), qui
paraît de nature à contribuer à la
levée de la dérogation qui tolérait
jusqu’à
présent
une
mixité
des
espaces dédiés au CRA et à la zone
d’attente.
Le traitement de la question migra-
toire impose de renforcer la coopéra-
tion avec l’environnement immédiat
de Mayotte, et notamment avec
l’Union des Comores. En effet, l’écart
de développement avec le reste de
l’archipel rend Mayotte particulière-
ment attractive. Depuis 2013, un Haut
conseil paritaire réunit des représen-
tants français et comoriens, et permet
un début de coopération sur le
contrôle de la circulation maritime
dans la zone.
Des opportunités de développe-
ment économique encore hypothé-
tiques
La situation économique de Mayotte
reste fragile, malgré une croissance
moyenne de 8,7 % par an entre 2005
et
2011.
Comptes
tenu
des
contraintes d’une économie insulaire,
rares sont les opportunités de déve-
loppement. L’inauguration du nou-
veau
terminal
de
l’aéroport
de
Dzaoudzi-Pamandzi pourrait ouvrir
des perspectives en matière touris-
tique, à la condition, non remplie à ce
jour, que se développent des infra-
structures hôtelières adaptées. Quant
aux investissements massifs engagés
pour augmenter et diversifier les
capacités du port de commerce de
Longoni, dans le cadre d’une déléga-
tion de service public (DSP), ils consti-
tuent un risque pour le Département,
en raison de la courte durée de cette
dernière.
2
Une réforme mal préparée
une conduite défaillante de la
départementalisation, des prére-
quis non satisfaits
Alors même que le « Pacte pour la
départementalisation de Mayotte » de
2008 avait identifié les principales
conditions préalables à la départe-
mentalisation,
le
pilotage
de
la
réforme par l’État s’est avéré défail-
lant. Contrairement à d’autres exem-
ples où l’évolution statutaire a été
accompagnée par des comités de suivi
périodiques, tel n’a pas été le cas pour
Mayotte, que ce soit au niveau central
ou déconcentré.
En conséquence, sur les trois chan-
tiers
prioritaires
à
conduire,
d’importants retards ont été pris :
- dans le domaine juridique, le passage
de la spécialité à l’identité législative
nécessitait d’abroger des textes anté-
rieurs
spécifiques
à
Mayotte
et
d’adapter, le cas échéant, les lois et
règlements de droit commun. À cette
fin, le Gouvernement a été autorisé,
fin 2010, à légiférer par ordonnances,
puis plusieurs autres lois d’habilita-
tion ont été adoptées. Pourtant, force
est de constater que, presque cinq ans
après la transformation effective du
statut de Mayotte, le passage à l’iden-
tité législative, bien que consubstan-
tiel à la départementalisation, n’est
pas encore achevé ;
- dans le domaine financier, le passage
à la fiscalité de droit commun, pour-
tant décidé en 2001, n’a finalement été
réalisé qu’au 1
er
janvier 2014 ; pendant
ces 13 années, le Gouvernement a
plusieurs fois été amené à préparer
dans l’urgence des projets législatifs
qui auraient dû être mieux anticipés ;
- enfin, le règlement de la question
foncière nécessitait de régulariser le
partage du domaine public de l’État et
du Département, de traiter la ques-
tion des occupations sans titre, et, sur-
tout, de déterminer les redevables de
la taxe d’habitation, condition indis-
pensable pour assurer le succès du
passage à la fiscalité directe locale. Or,
sur ce dernier point, les incertitudes
en matière d’état civil, d’adressage et
d’évaluation des valeurs locatives
continuent de faire peser le risque
d’un contentieux fiscal de masse.
une administration départementale
insuffisamment préparée
La départementalisation s’est accom-
pagnée du transfert de nouvelles
compétences au Département, en
matière d’action sociale et de forma-
tion (revenu de solidarité active ;
fonds de solidarité pour le logement ;
formation des assistants maternels ;
prestations d’aide sociale obligatoire
en faveur des personnes âgées et han-
dicapées, hors allocation personnali-
sée d’autonomie et prestation de
compensation du handicap). Ainsi, le
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
9
Une réforme mal préparée
10
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
Répartition par fonction des dépenses de fonctionnement et d’investissement
(année 2014)
Source : Cour des comptes d’après compte administratif 2014 du Département (hors déficit reporté et hors
atténuations de charges)
Département
de
Mayotte
exerce
désormais l’ensemble des compé-
tences d’un département d’outre-mer
et d’une région d’outre-mer, à l’excep-
tion de la construction et de l’entre-
tien des collèges, des lycées et des
routes nationales.
Pourtant, le Département n’a pas su
adapter en temps opportun ses
structures pour assurer pleinement
ses nouvelles compétences. C’est ainsi
qu’il conserve des effectifs très nom-
breux affectés aux missions de soutien
(les deux pôles ressources-moyens
généraux et finances concentrent
24 % des agents du Département), au
détriment des missions d’intervention
(le
pôle action sociale, qui porte
pourtant l’une des principales compé-
tences du Département, représentant
également 24 % des effectifs de la
collectivité) ou des missions straté-
giques (la gestion des crédits et le suivi
du contrat de plan État-région étant
mal identifiés dans l’organisation du
Département).
Le pilotage financier des actions du
Département
demeure
également
insuffisant, l’expertise financière doit
être consolidée et l’évaluation du coût
des politiques conduites améliorée. En
effet, en raison d’imputations parfois
erronées, la présentation du budget du
Département par fonction accentue
l’impression que celui-ci sert avant tout
à assurer le fonctionnement de ses
services généraux, au lieu de financer
les politiques dont il a la charge.
11
Synthèse du Rapport public thématique sur la départmentalisation deMayotte
3
Des risques financiers qui
pèsent sur l’avenir
un effort de rattrapage budgétaire
de l’état marqué par des incerti-
tudes
Le coût pour l’État de la départemen-
talisation n’est pas suivi en tant que
tel par les administrations centrales
compétentes. La Cour a établi qu’il
consistait, dans son acception la plus
restreinte, en l’établissement d’une
dotation de compensation de 83 M€,
versée au Département, pour la perte
de ses anciennes recettes fiscales,
ainsi qu’en la compensation des diffé-
rents transferts de charges, passée de
2,9 M€ en 2012 à 18,9 M€ en 2014. À
l’inverse, l’État perçoit désormais l’im-
pôt sur le revenu et l’impôt sur les
sociétés. En conséquence, le coût
stricto sensu
de la départementalisa-
tion a été de 67,56 M€ cumulés depuis
2010.
Toutefois, le processus de départe-
mentalisation s’est aussi accompagné
d’une augmentation conséquente de
diverses dotations dont bénéficient
les collectivités mahoraises (essentiel-
lement sous forme de prélèvements
sur recettes pour l’État). Entendu au
sens large, le processus de départe-
mentalisation a donc eu un coût
cumulé de 161,58 M€ entre 2010 et
2014.
Enfin, il existe un coût « masqué » de
la départementalisation, qui résulte
de l’augmentation de l’effort budgé-
taire de l’État au profit des politiques
publiques qu’il conduit à Mayotte.
Celui-ci est ainsi passé de près de
680 M€ en 2010 à près de 890 M€ en
2014. En réalité, l’État semble s’être
engagé dans une logique de « rattra-
page » implicite et partiel par rapport
aux autres DOM, dans la mesure où
l’effort budgétaire global par habitant
à Mayotte demeure inférieur à celui
consenti dans ces départements.
effort budgétaire de l’état par habitant dans les DOM
Source : Cour des comptes
(*) Pour Mayotte, il s’agit d’une estimation basée sur l’application du taux de progression annuel moyen de
2,7 % calculé par l’INSEE pour la période 2007-2012. Le chiffre de 224 283 habitants est également retenu
comme hypothèse par l’IEDOM dans son dernier rapport sur Mayotte.
effort budgétaire en
2014 (en M€)
population 2014 (*)
effort budgétaire par
habitant (en €)
Guadeloupe
2 296,34
403 750
5 688
Martinique
2 179,68
381 326
5 716
Guyane
1 607,41
250 377
6 420
La Réunion
4 504,78
844 994
5 331
Mayotte
889,04
224 283
3 964
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
12
Des risques financiers qui pèsent sur l’avenir
Mais ce rattrapage, que l’État n’as-
sume pas clairement, comporte un
risque de dérapage majeur : en effet,
alors que l’effort budgétaire annuel
s’est déjà accru de 210 M€, un aligne-
ment du niveau de dépenses par habi-
tant sur celui de La Réunion, par
exemple, nécessiterait un effort sup-
plémentaire de 307 M€ par an. Dans
ces conditions, l’État est appelé à
mieux anticiper et programmer la tra-
jectoire de dépenses en faveur de
Mayotte.
un modèle financier des collectivi-
tés mahoraises en suspens
Le passage à la fiscalité de droit com-
mun a profondément modifié le
modèle financier des collectivités
mahoraises.
L’autonomie
financière
des
com-
munes, qui ont désormais prise sur
leurs produits fiscaux, est théorique-
ment renforcée. Mais, en 2015, les
assiettes des impôts locaux ont été
réajustées, souvent fortement à la
baisse, ce qui risque de contraindre les
communes à augmenter sensible-
ment leurs taux d’imposition pour
maintenir leurs ressources. Quant au
Département, il reçoit une dotation de
83 M€ en compensation des recettes
fiscales
qu’il
percevait
avant
la
réforme.
Toutefois, deux questions essentielles
demeurent pendantes : d’une part,
celle du partage entre les communes
et le Département de l’octroi de mer,
recette fiscale particulièrement dyna-
mique, l’État ayant déjà changé les
règles en la matière deux fois en
moins de 16 mois ; d’autre part, celle
de la garantie des ressources des col-
lectivités mahoraises à leur niveau de
2012 (au demeurant moins élevé
qu’en 2013, notamment pour le
Département), d’abord assurée par
l’État puis abandonnée fin 2014.
L’instabilité des règles a été préjudicia-
ble aux collectivités mahoraises, qui
ne disposent pas de recettes prévisi-
bles. Il apparaît donc urgent que l’État
définisse un schéma de financement
pérenne.
une
situation
fragile
du
Département et des communes
Avec le passage à la fiscalité de droit
commun, la structure des recettes de
focntionnement du Département a
été
bouleversée :
alors
que
les
recettes fiscales et douanières repré-
sentaient 76 % des recettes de fonc-
tionnement en 2013, et les dotations,
subventions et participations 20 %, les
proportions sont désormais respecti-
vement de 37 % et 55 %.
Des risques financiers qui pèsent sur l’avenir
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
13
Ayant perdu des ressources dyna-
miques, le Département a vu sa situa-
tion financière se dégrader à partir de
2014. Cela ne doit pas pour autant
masquer le poids excessif des charges
de structure, qui s’explique par un
effectif trop nombreux et un régime
indemnitaire favorable. En consé-
quence, moins de la moitié des
charges de gestion (47 %) concourent
évolution de la structure des recettes de fonctionnement
entre 2013 et 2014
Source : Cour des comptes, d’après les comptes de gestion 2013 et 2014 du Département
14
Synthèse du Rapport public thématique sur la départmentalisation de Mayotte
Des risques financiers qui pèsent sur l’avenir
Pour le Département comme pour les
communes, les dépenses d’investisse-
ment servent par conséquent de
variable d’ajustement, alors même
que les besoins en équipements
demeurent très importants.
Communes ayant fait l’objet en 2014 de saisines de la chambre régionale
des comptes par le préfet
Source : Chambre régionale des comptes de Mayotte
14
à l’exercice des missions dévolues ou
assurées par le Département.
Le même constat peut être fait pour
les communes : malgré la progression
des ressources en 2014, liée notam-
ment à l’affectation de l’octroi de mer,
leur niveau reste insuffisant au regard
des
compétences
à
assumer
et
compte tenu du poids, là aussi exces-
sif, des dépenses de personnel. Aussi,
13 communes sur 17 ont fait l’objet
d’une saisine de la chambre régionale
des comptes de Mayotte par le préfet
en 2014.
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
4
Des actions prioritaires
à conduire
Organiser le développement
Mayotte souffre encore de retards
importants en matière d’accès à l’eau,
d’assainissement et de résorption de
l’habitat insalubre. Si des actions dans
ces domaines ont été prévues dans le
plan « Mayotte 2025 », elles font par-
tie d’un ensemble plus large de
besoins identifiés. Or il importe que
ces
actions
soient
conduites
de
manière prioritaire, en impliquant,
selon un calendrier réaliste et suivi,
l’État et les collectivités mahoraises.
Ce n’est qu’ainsi que pourront être
mobilisés totalement et utilement les
crédits des fonds européens structu-
rels et d’investissement auxquels
Mayotte a désormais accès (pour un
montant maximal d’environ 300 M€
sur la période 2014-2020), de par son
passage au statut de région ultrapéri-
phérique de l’Union européenne.
privilégier l’accès à l’éducation
Le système éducatif à Mayotte est
confronté au défi d’une scolarisation
de masse et de résultats encore insuf-
fisants. En effet, bien qu’en progres-
sion constante, le taux de scolarisa-
tion des enfants de trois ans ne s’élève
qu’à 63,3 % contre 100 % en métro-
pole. Par ailleurs, 67 % des élèves de
CE1 et 75 % des élèves de CM2 possè-
dent des acquis « insuffisants ou fra-
giles » en français (contre 21 et 26 %
respectivement en métropole).
Il apparaît donc nécessaire d’augmen-
ter les capacités d’accueil de la popu-
lation en âge d’être scolarisée, ce qui
passe par la formation et le recrute-
ment d’enseignants qualifiés, ainsi
que par le règlement de la question
des constructions scolaires. En effet,
depuis l’échec et la dissolution du syn-
dicat
mixte
d’investissement
et
d’aménagement à Mayotte (SMIAM),
dont c’était la responsabilité, aucune
alternative crédible n’a été trouvée
pour le moment. Un soutien tech-
nique de l’État aux communes semble
désormais inévitable.
Relever les défis majeurs des poli-
tiques sociales
Limité initialement en 2012 à 25 % du
niveau métropolitain, le RSA versé à
Mayotte a ensuite été revalorisé à
37,5 % au 1
er
janvier 2013, puis 50 %
du niveau national au 1
er
janvier 2014.
Ces revalorisations ont augmenté les
montants versés aux allocataires,
mais ont aussi accru le nombre des
bénéficiaires de l’allocation. La mon-
tée en charge du RSA est donc encore
loin d’être achevée et comporte un
risque réel de dérapage financier.
Dans ces conditions, la cristallisation
de la compensation financière accor-
dée par l’État au Département à son
niveau de 2014 fait peser une incerti-
tude sur la capacité de ce dernier à
supporter cette charge.
15
16
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
Quant à la protection de l’enfance en
danger à Mayotte, le sujet est d’autant
plus
sensible
qu’environ
3 000
mineurs isolés sont présents sur le ter-
ritoire du Département, situation
unique en France. Si l’État reste forte-
ment engagé, en raison des imbrica-
tions de cette problématique avec de
nombreuses
autres
politiques
publiques (droit d’entrée et de séjour
des étrangers, protection médicale,
éducation, formation professionnelle,
etc.), il n’en demeure pas moins que le
Département ne s’est pas encore réel-
lement saisi de sa compétence d’aide
sociale à l’enfance (ASE), pourtant
obligatoire. Il doit donc agir rapide-
ment pour l’exercer de manière com-
plète et adaptée.
Des actions prioritaires à conduire
17
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
La départementalisation de Mayotte constitue un enjeu de taille, car il s’agit de
faire entrer dans le droit commun de la République un territoire aux spécificités
multiples, très différent des autres DOM et ROM. Outre ses particularités cultu-
relles et sociétales, ainsi que ses retards structurels, Mayotte doit faire face à
une démographie toujours très dynamique et à une immigration de masse, qui
demeure insuffisamment maîtrisée. Les perspectives démographiques, au
demeurant mal cernées, suscitent une véritable interrogation sur la soutenabi-
lité des politiques conduites à Mayotte.
Dans ces conditions, il est apparu à la Cour que le pilotage de la départementa-
lisation avait été notoirement insuffisant : d’une part, l’État, qui avait pourtant
identifié dès 2008 les préalables à la réforme, n’a pas pu achever à temps plu-
sieurs chantiers majeurs ; d’autre part, le Département n’a pas suffisamment
adapté son organisation à ses nouvelles compétences.
La question financière suscite aussi de nombreuses inquiétudes. L’État a déjà
sensiblement augmenté son effort budgétaire en faveur de Mayotte, semblant
s’inscrire dans une logique de rattrapage avec les autres DOM, ce qui crée un
risque certain de dérapage. Le Département et les communes, de leur côté, doi-
vent faire face à une situation financière très fragile, aggravée par le fait que
l’État n’a toujours pas stabilisé leur schéma de financement.
L’enjeu du développement est majeur et l’opportunité que constitue l’accès aux
fonds européens structurels ne se concrétisera que si elle est sérieusement pré-
parée par l’État et le Département. En outre, la question des constructions sco-
laires n’a toujours pas trouvé de solution convaincante auprès des communes,
tandis que le Département peine à assumer son rôle en matière sociale.
Au terme de ses travaux, la Cour relève l’état d’impréparation dans lequel se
trouve le Département pour recevoir de nouvelles compétences et appelle,
avant toute autre action, à une définition claire des étapes à franchir pour une
départementalisation réussie, ainsi qu’à un effort énergique pour combler les
retards, dans un esprit de responsabilité partagée entre le Département et
l’État.
Conclusion
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
sur
le
contexte
sociodémogra-
phique et économique de Mayotte :
1.
au Département : suivre avec
attention la délégation de service
public du port de Longoni, afin de
mesurer
et
d’accompagner
les
retombées
économiques
pour
Mayotte, de maintenir une vigilance
constante sur les risques et d’être en
mesure de reprendre les actifs du
port au bout de 15 ans dans les
conditions prévues par la délégation.
sur
le
pilotage
de
la
départementalisation :
2.
à l’État : à l’occasion de la mise en
œuvre du plan « Mayotte 2025 »,
définir un pilotage approprié de la
départementalisation, dans toutes ses
dimensions (notamment juridiques et
financières), tant au niveau central que
local, afin de mettre en œuvre de
façon séquencée les priorités définies ;
3.
à l’État et au Département : régler,
à la faveur de la mise en place d’un
établissement public foncier, les
problèmes fonciers posés par la
départementalisation, notamment la
question de la partition des domaines
entre l’État et le Département ;
4.
à l’État : consolider les bases de la
fiscalité directe locale, en sollicitant
le concours des communes afin de
définir une dénomination systéma-
tique des voies et un numérotage des
habitations qu’elles desservent.
sur les financements et la capacité
des
collectivités
mahoraises
à
assumer leurs compétences :
5.
à l’État : assurer une programmation
pluriannuelle de l’effort budgétaire et
financier de l’État en faveur de Mayotte,
associée à des objectifs concrets et
mesurables ;
6.
à l’État : définir un cadre de finan-
cement pérenne des collectivités
mahoraises, en réglant notamment la
question de la répartition de l’octroi
de mer, cadre qui sera ajusté à chaque
transfert réel de compétences ;
7.
au Département : réorganiser son
administration départementale afin
d’améliorer le système actuel de
chaîne de contrôle des dépenses
autour d’une fonction support unifiée,
d’une part, et, d’autre part, articuler
les services autour d’équipes aux
missions
opérationnelles
bien
identifiées ;
8.
au Département : fixer un objectif
de réduction de la part des dépenses
de personnel en pourcentage des
charges de fonctionnement et, au sein
de
celles-ci,
des
personnels
de
soutien, et s’y tenir ;
9.
au Département : dégager, d’une
part, des moyens suffisants pour les
interventions dans le domaine de ses
compétences obligatoires et, d’autre
part, une capacité d’autofinance-
ment suffisante pour conduire les
19
Recommandations
Synthèse du Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte
20
programmes d’investissement utiles,
notamment en cofinancement ;
10.
au Département : définir et mettre
en œuvre un programme pluriannuel
d’investissement ;
11.
aux communes : redresser leur
situation financière, en fixant un
objectif de réduction de la part des
dépenses de personnel en pourcentage
des charges de fonctionnement, et
développer l’intercommunalité afin
de mutualiser les compétences et les
services de soutien, sans que cela ne
se traduise par des recrutements
supplémentaires.
sur les principaux défis auxquels est
confrontée Mayotte :
12.
à l’État, au Département et aux
communes : définir et mettre en
œuvre des actions prioritaires en
matière d’équipements de base (eau,
assainissement, résorption de l’habitat
insalubre), dans le cadre du plan
« Mayotte 2025 », selon un calendrier
réaliste et suivi, et en saisissant les
opportunités ouvertes par l’accès aux
fonds
européens
structurels
et
d’investissement ;
13.
à l’État et aux communes : accom-
pagner la mission des communes de
constructions scolaires du premier
degré en confiant à l’État, à travers la
mise en place d’une agence technique,
la maîtrise d’ouvrage déléguée ;
14.
au Département : exercer pleine-
ment sa compétence obligatoire en
matière d’ASE.
Recommandations