Sort by *
1
Marseille, le 26 juin 2015
Communiqué de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-
Côte d’A
zur
sur
son rapport d’observations définitives concernant
la construction du grand stade de Nice
Seul fait foi le texte du rapport de la chambre
La chambre régionale des comptes (CRC) de Provence-Alpes-
Côte d’Azur
rend public un
rapport d’observations définitives sur la construction du grand stade de Nice
.
L’opération a été réalisée dans le cadre d’un
contrat de partenariat public-privé (PPP)
, par
lequel la ville de Nice a confié à une entreprise filiale de la société Vinci Concessions, Nice
Eco Stadium (NES), la conception, la réalisation et la maintenance pendant 27 ans (de 2014 à
2040)
d’un
stade multifonctionnel de 35 624 places
et d’un programme i
mmobilier
d’accompagnement (PIA) de 29
000 m
2
, dont 22 700 m
2
de surfaces commerciales. Le stade,
dénommé Allianz Riviera, a été inauguré en septembre 2013.
Le contrôle de la CRC de Provence-Alpes-
Côte d’Azur a été
réalisé selon la méthodologie
d’une enqu
ête nationale, conduite en 2013 et 2014 par la Cour et treize chambre régionales
des comptes sur les partenariats public-privé des collectivités territoriales, dont est issue une
insertion au dernier rapport public annuel de la Cour des comptes, publié en février 2015.
Il a porté sur les conditions juridiques du recours à cette formule, la procédure de sélection du
partenaire, le partage des risques prévu par le contrat,
le coût global de l’opération pour la
ville de Nice et les relations entre la collectivité et le club de football résident. La chambre a
également examiné les conditions dans lesquelles l’installation à Nice du Musée national du
sport a été intégrée à l’opération.
1.
Le contrôle a montré que le recours à la formule du PPP était juridiquement infondé,
pour trois raisons.
a)
Aux termes de l’article
L. 1414-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le
contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel une collectivité territoriale ou un
établissement public local confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la
durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une
mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l’entretien, la
maintenance, l’exploitation ou la gestion d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels
nécessaires au service public.
Or l’Allianz Riviera
ne constitue pas un équipement nécessaire à
la réalisation d’
un service
public relevant de la compétence de la ville de Nice. En effet, il est principalement destiné à
accueillir les matches de l’équipe professionnelle du club de football résident, l’OGC Nice,
ainsi que des activités purement concurrentielles
(concerts, séminaires etc…)
. Consciente de
2
cette faiblesse, la commune a tenté de faire modifier les dispositions législatives
susmentionnées afin que soit supprimée l’exigence d’une affectation au service public des
stades objets d’
un contrat de partenariat, mais sans succès.
b)
L’article
L. 1414-2 du CGCT prévoit que les contrats de partenariat public-privé donnent
lieu à une évaluation préalable précisant les motifs de caractère économique, financier,
juridique et administratif qui conduisent la personne publique à recourir à cette procédure. Il
précise que les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que s
i l’évaluation préalable
montre :
-
soit que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas
objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques
répondant à ses besoin
s ou d’établir le montage financier ou juridique du projet
;
-
soit que le projet présente un caractère
d’urgence
;
-
soit que le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les
inconvénients plus favorables que ceux d’autres contrats de
la commande publique.
La ville de Nice a invoqué le premier de ces trois critères alternatifs (la complexité), mais sans
produire la démonstration
qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de définir ses besoins et de
conduire elle-même le projet. En effet, la plupart des arguments
qu’elle a
invoqués pour
justifier de sa complexité résultent du choix préalable de la collectivité de le mener à bien
dans le cadre d’un contrat de partenariat.
Ce parti pris ressort de l’
évaluation préalable, qui
n’a pas étudié la possibilité de réaliser l’ouvrage dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage
publique : s
euls ont été comparés deux schémas faisant appel à une maîtrise d’ouvrage privée,
la délégation de service public et le PPP.
c) L’article
L. 1414-16 du CGCT autorise le titulaire du contrat de partenariat à valoriser les
biens appartenant au domaine privé de la personne publique concernée, en consentant des
baux dans les conditions du droit privé, notamment des baux à construction ou des baux
emphytéotiques, pour une durée excédant le cas échéant celle du contrat de partenariat. Dans
ce cas le contrat détermine les conditions dans lesquelles les revenus issus de la valorisation
du domaine privé par le titulaire viennent diminuer le montant de la rémunération que lui
verse la personne publique.
Alors que les travaux parlementaires ayant conduit à leur adoption montrent que le législateur
et le Gouvernement ont seulement souhaité consacrer une possibilité accessoire de
valorisation des parcelles domaniales sur lesquelles sont implantés les équipements faisant
l’objet d’un contrat de partenariat
, la ville et son partenaire se sont fondés sur ces dispositions
pour inclure dans le périmètre du contrat
un programme immobilier d’accompagnement
(PIA),
bénéficiant d’un bail de 99
ans, qui constitue en réalité le centre de gravité économique
du projet. En effet c
e volet de l’opération, correspondant à un centre commercial de très
grande ampleur,
dont Vinci a cédé les droits à un actionnaire de l’OGC Nice
, en générera
l’
essentiel des recettes.
Le contrôle de la chambre a également montré qu’
une partie du centre commercial avait été
de facto
payée par la commune. En effet,
le gros œuvre du
programme immobilier
d’accompagnement
est en partie intégré dans celui du stade. Ce constat conduit à relativiser
l’importance de la somme de 25
M€, correspondant aux «
recettes initiales de valorisation du
PIA » que le partenaire privé apporte
au financement de l’enceinte et qui
sont donc censées
réduire d’autant l
a participation financière de la commune.
3
2.
La
proposition de la société Vinci a été retenue au terme d’une procédure de sélection
imparfaite
.
Des quatre candidatures déposées fin 2009, trois émanaient de majors du bâtiment (Bouygues,
Vinci et enfin le groupement Paul White
Red Grouse, avec Eiffage comme prestataire) et la
quatrième de la société Cari-Fayat. Seules trois offres ont finalement été déposées le 12 avril
2010, le groupement Paul White
Red Grouse ayant abandonné la compétition.
A l’issue de la phase de dialogue compétitif
, organisée entre le mois de mai et le mois de
juillet, les candidats ont déposé leurs offres finales le 10 septembre 2010. Celles-ci se sont
révélées très différentes des offres initiales pour des raisons peu explicites. Ainsi Bouygues,
qui était de loin
le groupement le moins cher au stade de l’offre initiale (sa proposition était
d’un montant inférieur
de 29
M€ à celle de Vinci)
, a fortement augmenté son prix définitif
(+ 25
M€)
tandis que ses concurrents ont significativement baissé le leur (-9
M€ pour Vinci).
L’explication fournie par la commune, selon laquelle
Bouygues se serait
« trompé dans son
prix »
, est surprenante pour une société de cette envergure, qui obtenait au même moment le
contrat de partenariat conclu par la ville de Marseille pour la rénovation et l’extension du
stade Vélodrome.
Le contrat a été attribué sur la base de sept critères se décomposant en 27 sous-critères.
Cependant le rapport d’analyse des offres
, qui
souffre d’une formulation peu
claire, ne permet
pas de comprendre la totalité des notes attribuées aux candidats. La chambre a notamment
relevé qu’au
-delà des critères et des sous-critères annoncés dans les documents de
consultation, la commune avait usé de « sous-sous-critères » pour procéder à la notation des
offres sans en informer les candidats, ce qui est irrégulier.
3. Le partage des risques prévu par le contrat de partenariat
s’est révélé
défavorable
aux intérêts de la commune sur plusieurs points majeurs.
D’une part, les risques liés aux recours contentieux durant la construction du stade ont été
intégralement supportés par la ville de Nice. Cette particularité a résulté
d’une clause du
contrat, dite « Nice Stadium
», préservant le partenaire des conséquences d’un éventuel
recours, qui n’a pas trouvé à s’appliquer mais dont la chambre a montré qu’elle soulevait des
questions juridiques importantes.
Elle est notamment discutable dans son principe dès lors que le contrat confie au partenaire
privé la maîtrise d’ouvrage de l’opération
: l’édification du stade étant juridiquement une
opération de construction privée, la logique voudrait que ce partenaire porte au moins en
partie le risque de recours contre le contrat. Par ailleurs, en prévoyant la substitution de la
commune au partenaire en cas d’annulation contentieuse du contrat,
la clause « Nice
Stadium »
montre que la collectivité s’estimait, si nécessaire, capable de réaliser l’ouvrage
dans le cadre classique d’une maîtrise d’ouvrage publique et que la complexité du projet ne
justifiait donc pas le recours à la formule du contrat de partenariat.
D’autre part, des stipulations du contrat ont été
révisées pour reporter sur la commune des
risques qui devaient être supportés par son partenaire. Ainsi la ville a-t-elle renoncé par
avenant, sur la base de justifications contestables, aux pénalités contractuelles de 3
M€
qu’aurait dû verser l’
entreprise pour un retard de deux mois dans la livraison du stade. La
4
collectivité a également accepté
par avenant de prendre en charge la moitié de l’écart entre le
tarif de rachat de l’électricité produite par le stade et celui initialement prévu par le partenaire
dans son offre finale (soit
un coût d’
au moins 4
M€ sur la durée du contrat) au motif d’un
changement de la législation concernant la vente d’électricité photovoltaïque, alors qu’aux
termes du contrat, les risques imputables à une telle évolution devaient être assumés par le
partenaire privé.
4. Le coût total net du stade pour la commune a été évalué par la chambre à 372
M€
sur
les 27 années du contrat (2014-2040).
L’opération représente un
investissement de 215
M€ hors taxes (
incluant un coût de
construction de 204
M€), financé à hauteur de
110
M€ par des emprunts bancaires, 60
M€ par
des subventions publiques (dont 14
M€ à la charge de la ville de Nice), 25
M€ au titre de la
valorisation du PIA et 19
M€ sur
fonds propres.
L’analyse financière du contrat met en lumière le coût élevé du reco
urs au financement sur
fonds propres, dont la rémunération (16,3%) est nettement supérieure à celle constatée pour
des projets similaires (13,4% à Marseille, 8,6% à Lille). Elle montre également que le coût à
la place de l’
Allianz Riviera (5 890
€ si l’on
ne tient pas compte du coût du Musée national du
sport)
s’établit
à un niveau bien supérieur à celui des stades récemment construits par Vinci à
Bordeaux (4 350
€), Le Mans (4
160
€), Le Havre (3
200
€) et Valenciennes
(3 000
€).
Le montant total des redevances nettes à la charge
la ville de Nice s’établit à 358,5
M€ sur la
durée du contrat. Il est égal à la différence entre le montant total des redevances dues par la
commune à son partenaire (555,7
M€) et le montant total des recettes garanties par ce der
nier
(197,3
M€). Ces redevances, qui constituent la rémunération du partenaire, versée en
contrepartie de la mise à disposition de l’enceinte, couvrent les coûts de construction, de
maintenance, de gros entretien et rénovation et de mise en configuration du stade pour
l’Euro
2016. Elles se sont élevées à 10,9
M€ en 2014 et atteindront 15,1
M€ en 2040.
Le coût total net du stade pour la commune sur la durée du contrat (372
M€)
est égal à la
différence entre :
-
d’une part, le
montant total des redevances nettes payées par la commune au partenaire
en contrepartie de la mise à disposition de l’enceinte
(358,5
M€)
, de la subvention
versée par la collectivité pour sa construction (14
M€)
et d’autres dépenses ou pertes
de recettes consenties par la ville pour un montant total de 94,5
M€ (dont 50
M€ de
dépenses fiscales
1
, 22
M€ de pertes fiscales
2
et près de 7
M€ correspondant à
l’absence de redevances d’occupation des locaux affectés au Musée national du
sport) ;
-
d’autre part, le montant total de la redevance versé
e à la ville
par l’OGC Nice (estimée
par la chambre à 80
M€) et des économies de fonctionnement suscitées par la
fermeture du stade du Ray (estimées par la chambre à 15
M€).
1
Correspondant au remboursement par la commune d’impositions perçues par d’autres collectivités (taxe
d’enlèvement des ordures ménagères, part départementales
de la taxe foncière sur les propriétés bâties).
2
Correspondant à des impositions non perçues par la commune (contribution foncière des entreprises, part
communale de la taxe foncière sur les propriétés bâties).
5
5. L
es conditions de fixation de la redevance due par l’OGC Nice pour l’utilisa
tion du
stade avantagent le club résident au détriment de la ville.
L’évaluation préalable précisait, à juste titre, que la mise à disposition du stade devait donner
lieu au paiement d’une redevance intégrant sa valeur locative, les frais suscités pour la
ville
par l’organisation des matches et l’avantage procuré au club résident par l’occupation du
domaine public, notamment l’augmentation de son chiffre d’affaires.
La convention conclue par la ville et la SASP de l’OGC Nice pour la mise à disposition du
stade met à la charge du club résident une redevance annuelle comportant une part fixe de
1,87
M€ hors taxes et une part variable égale à 10% des recettes hors taxes de billetterie et de
parrainage du club. Cependant, la part variable revêt un caractère purement théorique dans la
mesure où son seuil de déclenchement a été fixé à un niveau d
e chiffre d’affaires
de 25
M€,
qui a très peu de chance d’être franchi
.
Par ailleurs la commune n’a procédé à aucune analyse économique ni valorisation précise des
biens mis à disposition du club résident avant de fixer le montant de la redevance. Ces
éléments étaient pourtant indispensables à son calcul dans les conditions ci-dessus indiquées
par l’évaluation préalable. Aussi la part variable ne respecte pas la jurisprud
ence du juge
administratif qui veut que les redevances soient calculées en fonction des avantages de toute
nature tirés de l’occupation des locaux, y compris les droits de retransmission télévisuelle des
matches.
6. L’intégration dans le pr
ojet du Musée national du sport a été réalisée dans des
conditions à la fois irrégulières et très défavorables aux intérêts financiers de la ville de
Nice.
La décision de l’Etat de revenir sur ses engagements initiaux concernant ce volet de
l’opération a
conduit la commune à préfinancer les aménagements intérieurs du Musée
national du sport (MNS), à hauteur de 4,5
M€, alors qu’elle a
vait déjà pris à sa charge le coût
de la construction des locaux (7,36
M€ hors taxes
),
qu’
en contravention avec les règles de la
domanialité publique, elle les met quasi gratuitement à la disposition du musée, se privant
d’une re
cette estimée par la chambre à 6,75
M€ sur la durée du contrat de partenariat, et
qu’
elle
en assure l’
entretien pour un montant estimé à 1,74
M€ hors taxe
s sur la durée du
contrat.
L
a commune s’est comportée de fait comme un établissement de crédit en emp
runtant les
fonds nécessaires à la place du musée, en les lui versant sous forme de subvention et en se
faisant rembourser le capital et une partie des intérêts. Cette opération traduit un
contournement des dispositions législatives qui interdisent aux établissements publics
administratifs
de l’Etat, et donc au Musée national du sport,
de souscrire un emprunt auprès
d’un établissement bancaire.
Elle a également suscité pour la commune un coût
supplémentaire de 0,13
M€, correspondant à la différence entre les intérêts qu’elle a payés
dans le cadre de l’emprunt souscrit pour le compte du MNS (1
M€) et la somme qui lui a été
reversée à ce titre (0,87
M€).
Au total, l’installation dans l’enceinte de l’Allianz Riviera
du Musée national du sport coûtera
donc 9,23
M€ à la ville de Nice
.
6
6.
Cet ensemble d’observations a conduit la chambre à
insister plus particulièrement sur
quatre recommandations
qu’elle a adressées à
la commune
:
a)
Mettre en place une équipe dédiée au suivi du contrat de partenariat permettant à la
ville d’assurer le contrôle de son exécution
;
b)
Mettre un terme à la prise en charge indue du différentiel entre le prix de rachat
réglementaire de l’électricité produite par le stade et celui prévu dans l’
offre finale du
candidat ;
c)
Renégocier la convention entre la commune et l’OGC Nice en vue d’élargir de
manière effective l’assiette de la part variable de la redevance, conformément aux
principes définis par la jurisprudence ;
d)
Instituer pour le Musée nation
al du sport une redevance d’utilisation des surfaces
mises à sa disposition, conformément aux dispositions du code général de la propriété
des personnes publiques.
* * * * *
Les constatations, analyses et recommandations formulées par la CRC de Provence-Alpes-
Côte d’Azur à l’issue de son contrôle de la construction du grand stade de Nice font très
largement écho aux observations
figurant dans la synthèse de l’enquête nationale que les
juridictions financières ont récemment diligentée sur les PPP. Il en ressort en effet que
« le
recours au contrat de partenariat ne se justifie que s’il respecte un certain nombre de
conditions, parmi lesquelles :
-
Un montant d’investissement significatif
;
-
Une soutenabilité budgétaire démontrée ;
-
Un motif avéré de
complexité, d’urgence ou d’efficacité économique
(…)
;
-
Une évaluation préalable non biaisée ;
-
Un partage des risques réellement équilibré entre la collectivité et le titulaire du
contrat ;
-
Une réelle mise en concurrence dans l’attribution du contrat
;
-
Une capacité de la collectivité à négocier et à assurer le suivi du contrat sur la
durée »
3
.
3
Cf. dans le rapport public annuel de la Cour des comptes paru en
février 2015 la conclusion de l’insertion sur
les contrats de partenariat public-privé des collectivités territoriales, page 176.