B.P. 331
98713 PAPEETE
- TAHITI
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Télécopie : 00 689 50 97 19 Email : ctc.pf@mail.pf
Chambre territoriale des comptes
de la Polynésie française
______
Le Président
______
Recommandée avec A.R.
N°
2007-0411
Papeete, le
31 août 2007
Réf :
ma lettre n° 2007-0318 du 17 juillet 2007
P.J. :
1
Madame la Présidente,
Par lettre citée en référence, je vous ai communiqué le rapport d’observations
définitives de la chambre territoriale des comptes concernant la gestion de la société
d’économie mixte Tahiti Nui Rava’ai au cours des exercices 2000 à 2006. Celui-ci a
également été communiqué au Président de la Polynésie française, ainsi que, pour ce
qui les concerne, à vos prédécesseurs et aux directeurs généraux successifs.
En l’absence de réponses écrites dans le délai d’un mois fixé par l’article L. 272-
48 du code des juridictions financières, je vous transmets à nouveau ce rapport.
Le rapport d'observations de la Chambre est communicable à votre conseil
d'administration dès sa plus proche réunion.
J’appelle votre attention sur le fait que je notifie par ailleurs à nouveau le
rapport d’observations au Président de la Polynésie française qui est alors tenu de le
porter à la connaissance de l’assemblée de la Polynésie française, dès sa plus proche
réunion. Ce rapport deviendra dès lors communicable à toute personne qui en fera la
demande. Une copie du rapport d’observations est, en outre, communiquée au haut-
commissaire de la République et au trésorier-payeur général de la Polynésie française.
Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma considération la
plus distinguée.
Le président
Jacques BASSET
Conseiller référendaire
à la Cour des comptes
Madame Clothilde VIRMAUX
Présidente du conseil d’administration
de la SEM TAHITI NUI RAVA’AI
BP 9595
98715 PAPEETE
Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française
Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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CHAMBRE TERRITORIALE DES COMPTES
DE LA POLYNESIE FRANCAISE
RAPPORT D’OBSERVATIONS
DEFINITIVES
SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE
TAHITI NUI RAVA’AI
Exercices 2000 à 2006
La chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a procédé, dans le
cadre de son programme de travail, à l’examen de la gestion de la société d’économie mixte
pour les exercices de 2000 à 2006.
Ont
été avisés de l’ouverture du contrôle, par une lettre du 19 juin 2006
(8 septembre 2006 pour Mme VIRMAUX), les présidents du conseil d’administration et les
directeurs généraux suivants :
Présidents du conseil d’administration
-
M. Pierre A TERIITEHAU : du 13 septembre 2000 au 25 mars 2004
-
Mme Brigitte VANIZETTE : du 26 mars 2004 au 15 août 2004
-
M. Victor MAAMAATUAIAHUTAPU : du 16 août 2004 au 22 novembre 2004
-
Mme Clothilde VIRMAUX : 23 novembre 2004 au 6 avril 2005
-
M. Victor MAAMAATUAIAHUTAPU : 7 avril 2005 au 11 mars 2007
Directeurs généraux
-
M. Bruno UGOLINI : du 13 septembre 2000 au 5 mars 2002
-
M. Jean-Louis COURBON : du 6 mars 2002 au 25 mars 2004
-
M. Christian ANTIVACKIS : du 1
er
avril 2004 au 27 février 2007
Des entretiens ont eu lieu entre le rapporteur et chacun des présidents cités ainsi
qu’avec M. ANTIVACKIS.
Lors de sa séance du 17 janvier 2007, la chambre a formulé des observations
provisoires. Par lettres du 13 avril 2007, celles-ci ont été adressées selon la responsabilité
exercée, en intégralité ou sous forme d’extraits, aux présidents du conseil d’administration et
aux directeurs généraux concernés ainsi qu’aux présidents de la Polynésie française qui se
sont succédé durant la période examinée. Le délai imparti pour répondre à ces observations
était de deux mois. Tous les destinataires ont accusé réception et quatre d’entre eux ont fait
parvenir une réponse écrite à la Chambre : M. TONG SANG, le 19 juin 2007, M. UGOLINI,
le 11 juin 2007, M. ANTIVACKIS, le 24 avril 2007 et M. TOOMARU, directeur général de
la société du 13 mars au 14 avril 2007, le 17 juin 2007.
Après avoir examiné les réponses écrites, la chambre, lors de sa séance du 11 juillet
2007 a formulé les observations définitives reproduites ci-après.
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SYNTHESE
Tahiti Nui Rava’ai, société d’économie mixte locale (SEML), a été créée en 2000 par la collectivité
de la Polynésie française qui détient près de 82 % de son capital. Cette entreprise a été constituée
pour aider au développement de la flotte de pêche hauturière par la construction, en défiscalisation,
de 56 bateaux, dont 41 thoniers palangriers. L’objectif était de permettre à la Polynésie française
d’atteindre, pour la pêche, un chiffre d’affaires annuel de 3 milliards de F CFP à l’exportation.
Dans cet ambitieux projet de développement, le rôle de la SEML consistait à élaborer une ingénierie
juridique et financière tirant le maximum des avantages fiscaux liés aux investissements productifs
outre-mer (lois PONS, PAUL et GIRARDIN) afin de permettre aux exploitants locaux d’acquérir, à
moindre coût, des bateaux de pêche. Tahiti Nui Rava’ai a donc été chargée de passer les
commandes de bateaux (notamment en Chine), d’effectuer, avec l’aide d’un cabinet spécialisé, les
demandes de défiscalisation, d’emprunter et de garantir financièrement aux investisseurs la bonne
fin des opérations.
La gestion de la société, sous l’étroite dépendance des directives des responsables politiques du
Pays, n’a toutefois pas permis d’obtenir les résultats escomptés.
La flotte de pêche n’est pas passée au stade semi industriel comme le prévoyait le projet initial.
En outre, les constructions défiscalisées ont été limitées en 2005 par la Direction générale des
impôts à 43 bateaux.
Dès 2004, la cadence de lancement des commandes de navires de pêche aurait d’ailleurs dû tenir
compte de « la crise du thon » qui sévissait déjà depuis deux ans.
Aujourd’hui, une dizaine de thoniers palangriers n’ayant pas trouvé preneur reste à quai. Sur les
33 bateaux exploités, une dizaine seulement paie régulièrement les échéances de loyer et d’emprunt.
Par ailleurs, les exportations de poisson stagnent et sont dix fois en dessous de l’objectif visé :
358,1 millions de F CFP en 2005 au lieu des 3 milliards attendus.
Le bilan financier de la société n’est pas plus brillant : Tahiti Nui Rava’ai est structurellement
déficitaire et ne survit que grâce au soutien de la collectivité d’outre-mer. L’investissement public
se chiffre déjà à près de 2 milliards de F CFP (environ 17 M€). Aucun signe d’amélioration
n’apparaît, alors qu’un risque financier estimé à 2,1 milliards de F CFP (17,5 M€) pèse sur la
société et sur son principal actionnaire et garant, le Pays, et tandis qu’une reprise fiscale sur
plusieurs thoniers livrés en 2005 reste suspendue aux résultats des campagnes de pêche financées
sur fonds publics par Tahiti Nui Rava’ai, via sa filiale, SAS AVAI’A.
En cas de cessation définitive d’activité de la SEML, le risque financier qui serait à supporter par le
Pays s’élèverait à 3,5 milliards de F CFP (29,33 M€).
L’impasse dans laquelle se retrouve la société résulte principalement du décalage entre l’offre et la
demande de bateaux de pêche, notamment à partir de 2004, année au cours de laquelle ont été
commandés les thoniers palangriers qui n’ont pas trouvé preneur. Elle révèle une mauvaise
appréciation des risques par le Pays et par sa SEML et une insuffisance de leurs relais dans le
secteur privé.
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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Le secteur de la pêche hauturière n’a pas été dynamisé par la construction massive de ces bateaux.
Au contraire, il subit depuis 2002 une crise persistante, à laquelle les nouveaux armements étaient
mal préparés.
Enfin, et surtout, les mesures d’accompagnement du projet se sont avérées inadaptées, notamment
en ce qui concerne la formation des équipages.
Sur proposition du conseil d’administration, l’assemblée générale extraordinaire du 7 février 2007
a néanmoins décidé, à l’unanimité, de poursuivre l’exploitation de Tahiti Nui Rava’ai. Les
nouveaux efforts financiers demandés à la Polynésie française risquent d’être vains si, dans le
même temps, un réexamen complet du projet, accompagné d’un repositionnement de la société
d’économie mixte, n’est pas rapidement effectué.
Les fonds publics jusqu’ici dépensés n’ont en effet pas permis d’atteindre les objectifs visés, avec
l’efficacité et l’efficience souhaitées et les risques sont élevés de voir la collectivité publique
supporter seule les lourdes conséquences financières de l’échec de cette politique.
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SOMMAIRE
1- UN AMBITIEUX PROJET DE DEVELOPPEMENT
..................................................................................
5
1.1
–
L’
OBJECTIF
:
DEVELOPPER RAPIDEMENT UNE FILIERE DE PECHE DESTINEE PRINCIPALEMENT A
L
’
EXPORTATION
.............................................................................................................................................................
5
1.2
-
L
E MOYEN
:
CREER UNE SOCIETE D
’
ECONOMIE MIXTE COMME VECTEUR DU DEVELOPPEMENT DE LA PECHE
INDUSTRIELLE
................................................................................................................................................................
7
1.3
-
L
E LEVIER FINANCIER
:
UTILISER LES OPPORTUNITES OFFERTES PAR LA DEFISCALISATION DES
INVESTISSEMENTS OUTRE
-
MER
....................................................................................................................................
8
2 – UN DOUBLE ECHEC
..........................................................................................................................................
9
2.1
-
U
N ECHEC ECONOMIQUE
ET SOCIAL
:
............................................................................................................
10
2.2
-
U
N ECHEC FINANCIER
:
...................................................................................................................................
12
2.2.1. – Des charges sous-estimées
.........................................................................................................
12
2.2.2. – Des recettes surestimées
.............................................................................................................
17
2.2.3. – Le soutien de la Polynésie française
........................................................................................
18
2.2.4. – L’échec financier de la SEML Tahiti Nui Rava’ai
...................................................................
19
3 – LES CAUSES PRINCIPALES DE L’ECHEC
............................................................................................
21
3.1
–
U
NE MAUVAISE APPRECIATION DES RISQUES
................................................................................................
21
3.1.1. – L’effet d’une implication directe du Pays sans contrôle effectif
.....................................
21
3.1.2. – Des risques amplifiés par le recours à la défiscalisation
..................................................
23
3.2
–
L’
INSUFFISANCE DES RELAIS TROUVES DANS LE SECTEUR PRIVE
................................................................
26
3.2.1. – La mobilisation du capital social
................................................................................................
27
3.2.2. – La demande de thoniers
...............................................................................................................
27
3.2.3. – Le soutien financier des partenaires privés
...........................................................................
28
3.3
–
L’
INADAPTATION DES MESURES D
’
ACCOMPAGNEMENT
.................................................................................
29
4 – UNE DOUBLE SERIE DE CONTRAINTES PESE SUR L’AVENIR
...............................................
30
4.1
–
D
ES CONTRAINTES LEGALES
...........................................................................................................................
30
4.2
–
D
ES CONTRAINTES ECONOMIQUES
.................................................................................................................
33
ANNEXES
.....................................................................................................................................................................
35
A
NNEXE
1
–
L
ES COMPTES DE RESULTATS
...............................................................................................................
36
A
NNEXE
2 -
L
E BILAN
.................................................................................................................................................
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Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française
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1- UN AMBITIEUX PROJET DE DEVELOPPEMENT
La société d’économie mixte Tahiti Nui Rava’ai (TNR) a été créée pour porter un ambitieux projet
dans le secteur de la pêche. Sa création remonte à une décision de l’Assemblée de la Polynésie
française du 25 mai 2000
1
, ses statuts ayant été déposés le 13 septembre 2000.
Voulue pour dynamiser l’acquisition de bateaux de pêche par des exploitants polynésiens,
considérée comme indispensable à l’essor de la pêche hauturière, cette société a pour objet
d’acheter et de revendre des navires dans le cadre de montages juridiques et financiers tirant
avantage des lois de défiscalisation (lois Pons, Paul et Girardin) et des dispositions fiscales locales
(dispositif Flosse). Son intervention s’exerce dans le cadre d’un objet social décliné en quatre
points, qui, depuis son adoption, n’a jamais été modifié
2
:
•
le financement et la commande aux chantiers navals de bateaux de pêche hauturière ;
•
la mise à la disposition de ces bateaux auprès des armateurs à la pêche, sous contrat de
location simple ou de location vente ;
•
la négociation et la gestion des financements en défiscalisation ou sur emprunts bancaires ;
•
la participation de la société à toutes entreprises ou sociétés créées ou à créer dont l'objet
serait susceptible de concourir à la réalisation de l'objet social et par tous moyens,
notamment par voie de création de sociétés nouvelles, d'apports, fusions, alliances,
groupements d'intérêt économique ou sociétés en participation.
La société d’économie mixte TNR est donc un outil de développement économique du secteur de la
pêche. Selon ses concepteurs, sa finalité ultime est de contribuer au renforcement de l’autonomie
économique du Pays par le développement des capacités de pêche hauturière et d’exportation. Le
rapport présenté lors de la séance de l’Assemblée de la Polynésie française du 25 mai 2000 par
M. Gaston Flosse, alors président du gouvernement, expose d’ailleurs très clairement les raisons
générales et particulières qui ont été à l’origine de sa création, et qui sont bien résumées dans la
formule employée alors par le rédacteur du rapport : «
passer à la vitesse supérieure
».
1.1
–
L’objectif :
développer
rapidement
une
filière
de
pêche
destinée
principalement à l’exportation
Avant la création de TNR, on dénombrait 57 bateaux de pêche hauturière
3
en Polynésie française.
Cette flotte de pêche comprenait principalement des navires de faible tonnage, en majorité des
bonitiers palangriers, complétés par quelques rares thoniers congélateurs. La production hauturière
plafonnait à 5 300 tonnes, avec un chiffre d’affaires à l’exportation d’environ 350 millions
de F CFP. Selon les experts consultés et les conclusions du programme ECOTAP
4
, piloté par l’IRD
1
Délibération n°2000-57 APF.
2
L’assemblée générale du 26 juillet 2005 avait subordonné à l’approbation de l’Assemblée de la Polynésie française
l’extension de l’objet social aux activités de gestion des navires loués et à la formation des équipages. Cette approbation
n’est, à ce jour, pas intervenue.
3
Et 316 embarcations de pêche lagonaire et côtière.
4
ECOTAP : étude du comportement des thonidés par l’acoustique et la pêche.
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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et l’IFREMER, ces captures ne représentaient qu’une faible portion de la ressource disponible dans
la zone économique exclusive de la Polynésie française, délaissant un potentiel de développement
de la pêche trois fois plus élevé.
Dès lors, estimant logique et cohérent de renforcer les capacités exportatrices de la Polynésie
française, les autorités politiques ont unanimement décidé d’accélérer le développement de la pêche
hauturière afin d’exploiter ce gisement de croissance qui semblait à portée de main.
Les termes du rapport de présentation de la délibération du 25 mai 2000 portant création de la
SEML sont, à cet égard, dénués d’ambiguïté :
«
L’exploitation des ressources de la mer constitue un des axes forts de notre développement. Si la
progression des exportations de perles constitue la partie prépondérante de ce dernier, la pêche
recèle un potentiel qui, bien que plus limité, mérite l'intérêt des pouvoirs publics. C’est ainsi que
dans le programme stratégique pour le renforcement de l’autonomie économique de la Polynésie
française, l’objectif d’un chiffre d’affaires à l’exportation de poisson de 3 milliards de francs a été
fixé pour 2005.
Notre flottille est désormais passée du stade artisanal au stade semi-industriel.
Nos entreprises de pêche ont appris à cibler des produits de haute qualité appréciés sur les
marchés de l’Europe et des Etats-Unis. Les équipages polynésiens de nos thoniers se sont formés et
aguerris à la technique de pêche de la palangre monofilament ainsi qu’au traitement et
conditionnement du poisson en conformité avec les réglementations sanitaires européennes et
HACCP
5
.
Néanmoins, le rythme de croissance de la flottille de pêche actuelle ne permettrait pas d’atteindre
l’objectif fixé pour 2005.
Il convient donc de passer à la vitesse supérieure et de créer, pour accompagner et amplifier le
mouvement, une nouvelle structure juridique chargée de rechercher et de coordonner les
financements nécessaires pour la réalisation d’un ambitieux programme d’armement à la pêche.
La flotte actuelle comporte 57 thoniers et l’étude de marché à laquelle il a été procédé permet de
tabler sur 56 bateaux nouveaux à l’horizon 2006 pour accroître les tonnages de pêche de l’ordre de
14 000 tonnes par an et atteindre ainsi une production totale de l’ordre de 22 000 tonnes
6
».
En somme, d’ici 2006, il s’agissait d’atteindre, en comptant sur un doublement des armements, des
objectifs économiques élevés, encore plus ambitieux que ceux qui venaient d’être actés dans le
contrat de développement signé avec l’Etat (CD 2). En effet, ce contrat tablait déjà sur une forte et
rapide progression des captures, de l’ordre de 60 % en trois ans, correspondant à une croissance de
plus de 5 000 tonnes, pour parvenir à l’horizon 2003, à des prises de 11 000 tonnes et des
exportations de 7 000 tonnes de poissons. Dans le nouveau projet, les ambitions étaient encore plus
fortes. Les objectifs de pêche étaient doublés et passaient à 22 000 tonnes à l’horizon 2006, autant
ou presque autant que la Nouvelle- Zélande, les Iles Salomon ou Fidji
7
.
5
HACCP : hazard analysis critical control point.
6
La production de la pêche hauturière, en forte croissance en 2000 et 2001, se situait à 6 891 tonnes en 2000 et
7 811 tonnes en 2001 contre 5 304 tonnes en 1999. (source : IEOM).
7
Source : Fisherie year book WCPFC.
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1.2 - Le moyen : créer une société d’économie mixte comme vecteur du
développement de la pêche industrielle
Pour «
passer à la vitesse supérieure
», l’idée de créer «
une
nouvelle structure juridique chargée
de rechercher et de coordonner les financements pour la réalisation d’un ambitieux programme
d’armement à la pêche
» s’est imposée. C’est donc «
pour accompagner et amplifier le
mouvement
» que la création de Tahiti Nui Rava’ai a été unanimement décidée.
L’idée était simple. Elle reposait sur deux axiomes fondamentaux. D’une part, l’intervention
publique par le truchement de la société d’économie mixte Tahiti Nui Rava’ai devait servir de
catalyseur au projet de développement du secteur en ouvrant des horizons nouveaux à la pêche
hauturière et aux exportations de poissons. D’autre part, grâce à la défiscalisation et aux apports en
fonds propres qu’elle génère, l’investissement du Pays dans la société d’économie mixte rendait
accessible l’acquisition d’un bateau de pêche aux exploitants locaux, tout en renforçant, dans un
laps de temps très court, les capacités hauturières et exportatrices de la flotte polynésienne.
Dans l’esprit de ses concepteurs, cette nouvelle société d’économie mixte avait une vocation
essentiellement financière, bien qu’elle ait été chargée aussi d’acheter les bateaux de pêche. De
taille restreinte
8
, la société ne disposait en interne d’aucune compétence technique en matière de
construction et de gestion de navires de pêche.
Son capital initial de 200 MF CFP a été principalement apporté par la Polynésie française et la
Chambre de commerce, d’industrie, des services et des métiers (CCISM), établissement public
territorial qui, ensemble, détenaient en qualité d’actionnaires publics une participation majoritaire
de 83%. Ce capital a été augmenté à 280 MF CFP le 3 septembre 2004
9
, et la part publique portée
au maximum légal de 85 %. La part de capital détenue par le Pays est ainsi passée de
155,97 MF CFP à 227,97 MF CFP, auxquels s’ajoutaient, dans le décompte des participations
publiques au capital de la société, les 10 MF CFP détenus par la CCISM.
Le reste du capital est privé et relativement mobile en raison des nombreuses cessions d’actions qui,
en six ans, ont jalonné la vie de la société. L’apport privé a été constitué par un nombre élevé
d’actionnaires, en majorité des professionnels de la pêche, ne détenant individuellement qu’une part
infime du capital. Les banques ne sont pas présentes, sauf la Socredo, qui est, depuis la création de
la société, le seul établissement financier présent au capital (0,01%).
La composition du capital de Tahiti Nui Rava’ai faisait reposer, dès le départ, le projet sur la
collectivité publique. A cet égard, la manière dont a été constitué le capital de la société, est, par
elle-même, révélatrice d’un partage des risques à l’avantage des intérêts privés. Les objectifs de
développement économique, aux yeux des autorités locales, étaient suffisamment importants pour
qu’elles aient d’emblée accepté que les intérêts publics soient les garants du système alors qu’il
s’agissait concrètement d’aider au développement d’une flottille privée, dans le cadre d’un montage
où les acquéreurs potentiels ne prenaient, en définitive, qu’une part minime de risque : détention
d’une très faible part du capital
10
et garantie de rachat en cas de difficultés d’exploitation. Une
participation plus importante des actionnaires privés aurait été souhaitable afin de mieux équilibrer
le partage des risques, et le mettre en ligne avec l’objectif poursuivi.
8
Comptant 4 ou 5 agents selon les périodes.
9
Assemblée générale extraordinaire du 3 septembre 2004.
10
Article 7 du règlement intérieur.
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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D’autres justifications avaient été avancées pour justifier la constitution d’une société d’économie
mixte spécialement chargée de défiscalisation de bateaux de pêche. Parmi celles-ci se détachaient
les retombées économiques d’une syndication des pêcheurs pour l’acquisition de navires, hauturiers
de préférence. Etaient ainsi escomptés de meilleurs prix unitaires par le regroupement des
commandes et la possibilité d’acheter des navires auprès de chantiers asiatiques, chinois et coréens,
moins chers que sur le marché local, pouvoir être fournis plus rapidement qu’auprès des chantiers
polynésiens aux capacités de production limitées.
Le rapport de présentation du 25 mai 2000 qui a servi de base à la décision de l’Assemblée de la
Polynésie française est, à cet égard, dépourvu d’équivoque, la justification étant nettement donnée :
« Par ailleurs, la charge minimale de travail du Chantier Naval du Pacifique Sud est estimée à
deux bateaux par an. Si la production de cette entreprise est d’excellente qualité, elle reste
malheureusement chère et éloignée des capacités de financement des armateurs polynésiens. La
prospection des chantiers étrangers a permis de constater que les chantiers navals chinois offraient
des prix très compétitifs ».
1.3 - Le levier financier : utiliser les opportunités offertes par la défiscalisation des
investissements outre-mer
Ce projet de développement reposait sur un modèle économique exploitant au maximum les
possibilités offertes par les dispositifs de défiscalisation (notamment lois Paul et Girardin). Ces
mesures fiscales ont été adoptées par le Parlement afin de faciliter, sous quelques conditions
limitatives, la réalisation d’investissements outre-mer. Pour l’essentiel, elles consistent à
accorder
des crédits d’impôt aux contribuables qui acceptent qu’une partie de ceux-ci serve à réduire l’apport
en fonds propres nécessaire à la réalisation du projet d’investissement.
Ce cadre semblait parfaitement convenir au lancement de programmes de construction de navires
car il offrait la possibilité aux exploitants locaux de combler, à moindre frais, leurs insuffisances en
fonds propres.
Tahiti Nui Rava’ai permettait donc aux exploitants d’accéder aux avantages liés à la défiscalisation
des investissements productifs outre-mer. La société leur offrait gratuitement une ingénierie
juridique et financière pour acquérir un navire qui leur coûterait moins cher qu’un achat classique.
Toutefois, la réussite de ce modèle économique, défiscalisé, financé et garanti par des capitaux
publics, dépendait, comme tout projet économique, de l’activité rémunératrice générée par
l’investissement. Or, celle-ci a été considérée comme acquise a priori, comme si le prolongement de
la bonne tendance observée à la fin des années quatre-vingt dix était assuré. Dès lors, il n’est pas
étonnant que les acteurs du projet n’aient, à aucun moment, étudié un scénario moins optimisme
que celui de la réussite aboutissant à la rapide création de nouvelles recettes d’exportation.
Ainsi, jamais l’hypothèse du manque de rentabilité des futures exploitations de pêche n’a été
analysée, alors qu’en matière de développement économique cette question est fondamentale. De
même, le placement des thoniers hauturiers n’a-t-il jamais été testé, au préalable, auprès des
professionnels du secteur, ni la demande future de bateaux, mesurée.
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Cette absence d’hypothèses alternatives, étudiées à l’avance, est révélatrice d’une préparation
imprudemment assise sur des bases optimistes qui concluaient à un portage public limité à la
construction et au placement des bateaux.
L’apport de la défiscalisation, sans laquelle la réalisation de ce projet aurait été difficile, a eu un
incontestable effet d’accélération des investissements, tout en faisant passer au second plan la
question de la rentabilité des actifs créés.
2 – UN DOUBLE ECHEC
Les graves difficultés financières que doit affronter la société d’économie mixte Tahiti Nui Rava’ai
révèlent l’échec du projet qu’elle avait pour mission de porter.
A la décharge de ses concepteurs, l’impasse dans laquelle se trouve la société d’économie mixte, et,
avec elle, ses bailleurs de fonds publics, le Pays et l’Etat, est souvent expliquée par l’effondrement
des captures de thons, qui aurait été aussi inopportun qu’inattendu. Ainsi, en quelque sorte, la
fatalité expliquerait les difficultés actuelles du projet et de la SEML.
Cette crise de la production est, en effet, peu contestable. Elle sévit depuis 2002. Il s’agit, selon les
experts, d’une crise conjoncturelle provoquée par le dérèglement climatique
« El niño
»,
phénomène qui, en perturbant le parcours des thonidés, aurait désertifié les zones traditionnelles de
pêche.
Toutefois, s’il ne convient pas de discuter l’évident effet dépressif lié à ce phénomène climatique, il
est quelque peu exagéré de dire que le thon a disparu. Le Pacifique continue à fournir, bon an mal
an, la moitié des captures mondiales. Selon plusieurs études halieutiques, d’ailleurs disponibles
11
avant la création de la société, rien que la biomasse de thonidés de la zone économique exclusive de
la Polynésie française est estimée à 100 000 tonnes. En fait, aux dires des experts, le thon a migré,
nécessitant un changement des techniques pour le pêcher. Ainsi, plusieurs armements continuent de
ramener de bonnes captures au port de Papeete. Désormais, et pour un temps difficilement
prévisible, le thon se pêche ailleurs que dans les zones historiques de pêche. Et, il se pêche
autrement, plus loin et plus profond que traditionnellement.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’au 31 décembre 2006, les résultats économiques et
sociaux ne soient pas au rendez-vous
,
et, que sur le plan financier, Tahiti Nui Rava’ai, sans activité
depuis plus d’un an, survive uniquement grâce aux fonds publics.
A l’évidence, la situation dans laquelle se trouvent la société d’économie mixte et le projet qu’elle
porte ne sont guère encourageants. Sur le plan économique, le projet est en train d’échouer, et, en
attendant, occasionne des ponctions croissantes sur les finances de la Polynésie française.
11
Ecotap et Porema (1999 et 2000)
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2.1 - Un échec économique et social :
Tahiti Nui Rava’ai n’a pas réellement disposé d’outils de planification financière de son
développement (prévisions d’activité, de recettes et de charges, ou compte de résultat prévisionnel)
présentant plusieurs hypothèses d’évolution. Le plan d’affaires de la SEML ne comportait qu’un
scénario unique, privant son management de stratégie alternative. Dans l’idée de départ, le portage
du projet était public dans le cadre des montages en défiscalisation, et le financement du
fonctionnement de la société devait être assuré par les marges réalisées sur les ventes, à défaut par
un soutien public temporaire.
Ce plan n’a pas fonctionné. Et, rien de ce qui avait été prévu ne s’est réalisé, sauf le recours
récurrent et croissant au soutien public. Ni le calendrier prévisionnel de livraison, ni la quantité de
bateaux livrés, ni la priorité donnée aux bateaux hauturiers n’ont été respectés.
Il était prévu pour 2006, l’armement d’une flotte de 56 bateaux : 41 navires hauturiers, 9 mixtes et
6 bateaux seulement destinés à moderniser la flotte côtière.
L’objectif n’a pas été atteint. Certes, des navires ont été construits et livrés, mais leur nombre et
leurs caractéristiques sortent de l’épure initiale.
Par rapport à l’objectif de construire 56 bateaux dont 41 hauturiers, condition indispensable pour
«
passer à la vitesse supérieure en matière de pêche »,
un quart fait défaut puisque 43 bateaux
seulement ont été construits, dont un s’est échoué, un autre connaissant des problèmes de flottaison.
Et, contrairement aux buts poursuivis, la majorité des bateaux ne sont pas des palangriers de pêche
au grand large : une vingtaine seulement ont le gabarit requis.
Depuis le lancement du projet, la dérive des commandes par rapport au programme initial a été
quasi immédiate. En août 2000, le programme de commandes transmis à la direction générale des
impôts (DGI) dans le cadre des procédures de défiscalisation comprenait une répartition des
gabarits de navires conforme au développement de la pêche hauturière, à savoir 6 thoniers de pêche
fraîche, 9 thoniers mixtes, et 41 thoniers de pêche congelée. Mais, seulement quelques mois après la
création de TNR, en janvier 2001, la répartition a changé pour tenir compte de la demande réelle du
secteur de la pêche. Une réduction à 32 unités du nombre de thoniers hauturiers a ainsi été opérée et
compensée par le doublement du nombre des navires de pêche fraîche, passant de 6 à 14, et par
l’augmentation d’une unité du nombre des bateaux mixtes. Ultérieurement, les écarts par rapport au
programme originel iront croissant, soulignant l’inadaptation à la demande des objectifs initiaux. En
permanence, la quantité et le gabarit des navires à commander ont varié au détriment du nombre de
navires hauturiers congélateurs, jusqu’au gel final des commandes, demandé par la DGI le 29
novembre 2004 afin qu’il soit procédé au recadrage du projet.
Sur les 42 navires construits, si l’on excepte celui qui s’est échoué
12
, il n’y a eu que 17 navires
hauturiers de plus de 21 mètres, soit
près de trois fois moins que prévu au démarrage du projet (41).
En revanche, les navires de moins de 21 mètres ont été trois fois plus nombreux, 17 au lieu de 6,
seuls les navires mixtes de 21 mètres étant restés dans l’épure, 8 au lieu de 9.
12
Tauraatua 3.
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Le management général de ce projet a donc échoué à réaliser ses objectifs quantitatifs. Il a même
obtenu des résultats inverses à ceux initialement proposés, avec le renforcement des capacités de
pêche lagonaire et côtière.
Six ans après le lancement du projet de développement de la flottille hauturière, de nombreux
bateaux construits grâce à ce programme sont à quai, inexploités : on en dénombrait 17, tous
gabarits confondus, à la fin de l’exercice 2006, avant la remise en exploitation sur fonds publics de
trois d’entre eux
13
.
La progression du secteur de la pêche qui devait découler de ce projet de développement ne s’est
pas réalisée. La pêche hauturière est même en chute libre : 7 811 tonnes en 2001, année de
démarrage du programme, 4 733 tonnes en 2005, d’après les statistiques de l’Institut d’émission
d’outre-mer (IEOM).
Les exportations ont régressé passant de 2390 tonnes en 2001 à 540 tonnes en 2005. Exprimé en
valeur monétaire, le résultat est encore plus décevant : 3 milliards de F CFP par an auraient dû être
générés par les exportations alors que 342,5 millions de F CFP seulement ont été inscrits en 2005 à
la balance commerciale de la Polynésie française.
Cette politique devait aussi, d’après ses concepteurs, avoir des retombées positives en termes
d’emploi. Or, bien que l’absence de suivi précis des emplois maintenus ou créés par la société
d’économie mixte ou par le Pays rende le diagnostic difficile, il n’est pas impossible. Deux
conclusions contrastées peuvent être tirées : les commandes de bateaux ont incontestablement
soutenu l’emploi dans les chantiers navals locaux, mais l’impact sur le secteur de la pêche est
beaucoup plus discutable.
Le soutien à l’emploi dans les chantiers navals de Polynésie a été le plus significatif. Ce soutien a
été réparti entre plusieurs chantiers, mais avec une attention particulière portée au carnet de
commandes des chantiers navals du Pacifique Sud (CNPS). Cette entreprise a reçu environ un tiers
des commandes locales, dont la totalité des thoniers de 21 mètres, les autres chantiers locaux
(Marine Alu, Nautisport, Polynaval, Taiarapu Marine) se partageant la construction des bateaux de
14 et 16,2 mètres.
En revanche, il est certain que ce soutien à l’emploi n’a pas été aussi fort qu’il aurait pu l’être en
raison des commandes passées hors Polynésie, aux chantiers chinois et coréens, qui ont entraîné
ipso facto de moindres retombées sur le marché de l’emploi local. Ce choix a, en outre, eu pour
autre conséquence de brider la progression des chantiers navals locaux, en les privant de la
construction des plus grands bateaux. L’effet prix a primé sur l’effet emploi. Cette occasion perdue
reste, toutefois, difficilement explicable, surtout après les avatars de la construction des navires
hauturiers à l’étranger.
La création d’emplois directs de pêcheurs générée par la construction des nouveaux bateaux n’a en
revanche pas été très forte. Le nombre de marins pêcheurs aurait même eu tendance à baisser,
quoique l’absence de suivi précis de cette variable empêche de formuler des conclusions définitives.
13
3 bateaux « remis en service »
par la SA AVAI’A, filiale de la SEM Tahiti Nui Rava’ai en octobre 2006.
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2.2 - Un échec financier :
Les prévisions financières initiales n’ont pas été réalisées. Du fait des modifications apportées au
programme, des retards de livraison et des difficultés de paiement des exploitants de thoniers, les
charges se sont avérées plus lourdes que prévues, et les recettes tirées de l’activité, moindres. Au
31 décembre 2006, le bilan financier de l’opération était particulièrement sombre.
2.2.1. – Des charges sous-estimées
Les estimations de charges, portant pour l’essentiel sur le coût des navires, ont été effectuées à
partir d’un coût moyen établi sur les bases arrêtées en août 2000. Le coût prévisionnel initial du
programme était de 5,8 milliards de F CFP. Ce coût tenait compte du fait
qu’environ les trois
quarts des bateaux devaient construits dans des chantiers asiatiques à des coûts moindres que dans
les chantiers polynésiens. Cet argument était d’ailleurs utilisé pour justifier financièrement la
délocalisation des commandes : «
La prospection des chantiers étrangers a permis de constater que
les chantiers navals chinois offraient des prix très compétitifs ».
Mais, le bouleversement du plan de
commandes entre 2001 et 2004, notamment le nombre plus élevé de bateaux construits en définitive
par les chantiers locaux, a conduit à une augmentation imprévue des charges annuelles
d’exploitation.
2.2.1.1. – Les marchés confiés aux chantiers locaux
La recherche du meilleur coût d’acquisition pour les navires n’a pas été totalement ignorée mais
cette préoccupation a cependant été largement contrebalancée par le souci d’alimenter le carnet de
commandes des chantiers navals polynésiens. Cet arbitrage, exercé en dehors du conseil
d’administration de la société, a finalement bouleversé les prévisions initiales. Des procédures
d’appels d’offres ont été organisées, les marchés étant finalement attribués par le conseil
d’administration
14
. En pratique, les attributions ont été effectuées de gré à gré, au terme de
procédures qui, avec le temps, sont devenues moins transparentes, au sens où les choix ont donné
lieu à moins d’explication lors des conseils d’administration. Ceci a été particulièrement vérifié
pour les commandes de thoniers de 21 mètres et moins, construits exclusivement par les chantiers
locaux. Elles ont donné lieu à une mise en concurrence qui, par bien des aspects, a pris les allures
d’une répartition « discutée » entre les entreprises locales.
Ainsi, au démarrage du programme en décembre 2000, un marché de gré à gré pour un thonier de
21 mètres a été conclu avec les Chantiers Navals du Pacifique Sud (CNPS) afin de remplir le carnet
de commandes de cette entreprise polynésienne
15
. En agissant ainsi, la SEML, qui n’avait fait
aucune demande préalable d’agrément à la DGI pour ce thonier, a pris délibérément un risque dans
l’intérêt d’une entreprise tierce. Elle a d’ailleurs provisionné ce risque à hauteur de 50 MF CFP
dans ses comptes. Finalement, l’agrément fiscal sera obtenu bien après cette anticipation
inhabituelle : la décision de principe ne sera donnée que le 19 décembre 2001 et l’agrément
définitif, le 27 juin 2002.
Le 5 avril 2001, le conseil d’administration a attribué, au cours de la même séance, 3 thoniers de
21 mètres à l’unique chantier naval ayant soumissionné, CNPS, et 9 thoniers de 15 m à trois des
quatre soumissionnaires, Techni Marine, Marine Alu, et Polynaval, ne délaissant que CNPS, déjà
attributaire du premier marché.
14
Bien qu’aucune contrainte légale ne l’y astreigne, la direction de Tahiti Nui Rava’ai a décidé de s’obliger à passer des
commandes soumises aux règles du code des marchés publics.
15
Cf. PV du CA du 16/01/2001.
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Mais, à partir du programme 2003, les choix donneront lieu à moins d’explications. Hormis la
volonté de privilégier les chantiers locaux, la justification des attributions à telle entreprise plutôt
qu’à telle autre, ne sera jamais clairement donnée. Tout particulièrement, la réalisation du
programme 2004 verra la transparence des choix reculer encore davantage. La procédure retenue
pour le choix des chantiers navals locaux en vue de la construction de 7 thoniers ne figure plus dans
les documents conservés par la société, ni dans aucun procès-verbal de conseil d’administration. Le
laconisme de celui du conseil du 26 mars 2004 est paradoxalement éloquent : une simple liste des
chantiers navals lauréats retenus, sans aucune observation, conclut la procédure d’attribution
16
.
Cette façon de procéder a eu pour conséquence d’augmenter le coût d’achat des navires, même si
des équipements complémentaires (cuisine, couverture du pont arrière) ont, pour une part, contribué
à la majoration des coûts. En effet, si l’on se réfère au document prévisionnel d’août 2000, la dérive
est manifeste : le coût d’un bateau de pêche fraîche y était estimé à 56,4 MF CFP, et celui d’un
bateau mixte de 21 mètres à 152,3 MF CFP. Or, les commandes passées au titre du programme
2004 l’ont été à un coût bien supérieur pour les navires de pêche fraîche, à une moyenne de 70 MF
CFP l’unité, cette progression des coûts n’ayant pas été observée pour les navires mixtes qui sont
restés facturés à 150 MF CFP l’unité.
Cette répartition du dernier programme avant la suspension des activités de la SEML a aussi donné
lieu à la passation d’une commande aux chantiers navals de Taiarapu Marine qui a occasionné de
sérieux déboires à Tahiti Nui Rava’ai.
Le choix de ce modèle de navire à coque en polyester a été longtemps discuté par les professionnels
de la pêche au conseil d’administration de Tahiti Nui Rava’ai, peu convaincus par les propositions
techniques du projet. Cette question fut finalement tranchée au conseil d’administration du 26 mars
2004, par la décision de passer commande ferme d’un thonier aux chantiers navals de Taiarapu
Marine. Les raisons de ce choix restent difficiles à cerner. En effet, le prix ne peut être invoqué : le
navire à coque polyester coûtait, à l’achat, 60% plus cher qu’un navire de son gabarit à coque
métallique. La fiabilité technique non plus, comme la suite des évènements le démontrera. Reste,
outre le challenge technique pour l’entreprise, la volonté de soutenir l’activité d’un chantier naval
local. Mais ce pari n’a pas été gagné car, plus de deux ans après la date de livraison prévue du
31 décembre 2004, le navire n’est toujours pas en service. Il a bien été mis à l’eau le 15 décembre
2005, et réceptionné le 30 décembre 2005 avec de nombreuses et graves malfaçons, notamment des
bulles d’air de 17 m² sur la coque qui compromettaient la flottabilité de l’embarcation. A ce jour, le
navire n’a toujours pas reçu son permis de navigation et son certificat de franc bord, documents
sans lesquels la défiscalisation est impossible
17
et le financement du navire, compromis.
Ces difficultés ont conduit Tahiti Nui Rava’ai à bloquer les derniers paiements. Sur les
113 MF CFP dus au constructeur, 33,8 MF CFP ont été versés à la signature du contrat en 2004 et
33,9 MF CFP à la pose du moteur, en 2005. Le montage en défiscalisation étant bloqué, le prêt
bancaire complémentaire suspendu, le financement de l’achat du navire par la SEML n’est plus
bouclé. Le chantier a été assigné en responsabilité par Tahiti Nui Rava’ai afin, entre autres, de
permettre la réfection du navire qui ne flotte toujours pas, en utilisant la retenue de garantie de
8,3 MF CFP versée par le chantier.
16
2 thoniers de 21 m pour CNPS pour 150 MF CFP l’unité ; 2 thoniers de14,70 m pour Technimarine pour
68,2 MF CFP l’unité ; 1 thonier de 14,70 m pour Marinalu pour 68,2 MF CFP ; 1 thonier de 16,20 m pour Nautisport
Industrie pour 75,4 MF CFP ; 1 thonier de 21 m en coque polyester pour Taiarapu Marine, pour 113 MF CFP l’unité.
17
Dans un courrier du 29 novembre 2004 portant décision de principe d’agrément, la DGI demande à la SNC
investisseur de ne fournir l’apport pour le financement du navire qu’à réception du certificat de franc-bord et du permis
de navigation.
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Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s’est effectué le deuxième versement (33,9 MF CFP)
témoignent du climat particulier qui a entouré cette affaire puisqu’elle a divisé la direction de la
SEML. D’un côté, Mme VIRMAUX, présidente du conseil d’administration, a considéré qu’il
convenait d’accéder, le 18 février 2005, à la demande de deuxième acompte que Taiarapu Marine
avait présenté afin de lui permettre de faire face à ses engagements, et a signé un virement de
33,9 MF CFP. De l’autre, ce règlement était déconseillé par le directeur général, M. ANTIVACKIS,
qui préférait le différer jusqu’à la confirmation de l’agrément. En définitive, le conseil
d’administration du 24 février 2005 a confirmé le paiement en se prononçant pour un règlement à
30 jours dans l’espoir de se donner le temps de boucler le financement. En réalité, cet aval était
purement formel car le virement était déjà effectué depuis une semaine.
2.2.1.2. – Les marchés confiés aux chantiers asiatiques
Les commandes des thoniers palangriers de 23,80 mètres ont été confiées à des chantiers asiatiques,
conformément aux intentions initiales, mais sans que l’avantage prix ne soit réellement vérifiable à
la livraison.
La volonté de recourir, pour avoir de meilleurs prix, à des chantiers navals étrangers, et plus
particulièrement chinois, a été exprimée dès la création de la société par les responsables politiques,
comme le montre le rapport de présentation de la délibération créant Tahiti Nui Rava’ai :
« […] la charge minimale de travail du Chantier Naval du Pacifique Sud est estimée à deux
bateaux par an. Si la production de cette entreprise est d’excellente qualité, elle reste
malheureusement chère et éloignée des capacités de financement des armateurs polynésiens. La
prospection des chantiers étrangers a permis de constater que les chantiers navals chinois offraient
des prix très compétitifs ».
La justification donnée était donc économique. Cette orientation a été mal ressentie par les
constructeurs locaux, en particulier CNPS qui l’a interprétée comme une volonté manifeste de
l’écarter de la construction de ce type de thoniers, alors qu’il en avait les capacités techniques. Un
conseiller de la présidence a alors demandé au chantier de produire quatre thoniers pour un prix
total de 350 MF CFP. Mais, le prix unitaire de 87,5 MF CFP était impossible à tenir pour le
chantier, sauf à produire des navires moins performants, solution refusée par CNPS.
En définitive, les commandes ont été passées au chantier naval chinois à qui avait déjà été confiée à
partir de 1998 la construction de toute la flottille administrative : FUJIAN SOUTH EAST
SHIPYARD du groupe FUJIAN SHIPBUILDING Co
18
. L’attribution des commandes a été
effectuée en 2002 par le conseil d’administration, au terme d’appels d’offres internationaux pour la
construction de 32 thoniers
19
de 26 mètres. Une première procédure avait été déclarée infructueuse
le 19 octobre 2001 en raison d’une modification des qualifications et des équipements exigée par la
réglementation internationale de la pêche pour les navires de plus de 24 mètres, à laquelle le secteur
de la pêche ne pouvait répondre immédiatement en Polynésie française.
18
Fin 1999 avait été conclu le marché pour la construction du cargo mixte de la flottille administrative.
19
Une tranche ferme de 10 thoniers et une tranche conditionnelle de 22 thoniers.
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Lors de cette première consultation, 7 offres avaient été reçues. Quatre chantiers avaient été retenus
par le conseil d’administration du 23 avril 2001 : un de Chine, un de Corée, un de Fidji, ainsi que
CNPS, en partenariat avec une filiale mauricienne du groupe Piriou (proposition à 159,5 MF CFP,
prix à quai). Une analyse technique des offres avait été effectuée par un courtier maritime. Le prix
proposé par le chantier chinois était le plus bas, mais le caractère imprécis de l’offre en matière
d’équipements avait suscité la perplexité de plusieurs administrateurs.
Un nouveau gabarit de 23,80 mètres fut choisi, afin de ménager le temps nécessaire à l’adaptation
aux nouvelles normes techniques internationales. Un second appel d’offres fut ensuite lancé, le
12 novembre 2001, pour ce nouveau gabarit. De nouveau, 7 chantiers ont soumissionné, 6 offres ont
été retenues, dont trois déjà retenues lors du premier appel d’offres : le chantier chinois, le chantier
coréen et CNPS. Le meilleur prix a été proposé par le chantier chinois (106 MF CFP l’unité) suivi
du chantier coréen (113 MF CFP) et de CNPS (152 MF CFP) ; à ces prix devaient être ajoutés pour
les deux chantiers asiatiques, 9,5 MF CFP et 14,3 MF CFP pour le convoyage, ce qui portait les
prix, respectivement, à 115,5 MF CFP, 127,3 MF CFP.
Le 3 avril 2002, le conseil d’administration a décidé l’attribution de la tranche ferme de 10 thoniers
aux chantiers chinois et coréen moins-disants, le partage du marché s’expliquant par le souci de
respecter les dates de livraison imposées par la DGI pour bénéficier de la défiscalisation de la
commande.
Mais, au-delà de l’apparente transparence et équité, la comparaison des prix a été quelque peu
faussée car pour être valablement comparés au prix à quai des chantiers polynésiens, des droits de
douane auraient normalement dû être ajoutés aux prix chinois et coréens, ce qui aurait rendu
l’avantage-prix moins significatif. Néanmoins, les marchés ont été signés le 24 juin 2002, pour
585 MF CFP (4 900 000 €) avec le chantier coréen et 580 MF CFP (4 690 000 €) avec le chantier
chinois.
De plus, l’exécution chaotique de ces marchés a contribué à alourdir les charges de Tahiti Nui
Rava’ai, en raison des perturbations apportés aux plans de financement. Ainsi, les premiers bateaux
asiatiques, qui n’ont pas été livrés à bonne date, ont été défiscalisés avec retard. Lors de la
conclusion du marché, ils devaient livrés à Papeete avant le 31 décembre 2002 afin de respecter le
plan de charge de la société d’économie mixte. Mais quelques semaines après, ils ont obtenu du
conseil d’administration du 11 juillet 2003 un report de 2 mois. Cet arrangement avec les chantiers
navals a eu pour conséquence de décaler d’un exercice la défiscalisation des thoniers, car la DGI
n’a pas accepté un arrangement faisant apparaître une livraison fictive au 31 décembre 2002.
Ces difficultés n’ont cependant pas empêché qu’un second marché de 8 thoniers soit attribué au
chantier naval chinois
20
. Cette attribution a été très laconiquement annoncée au conseil
d’administration du 26 mars 2004, aucune discussion n’étant mentionnée sur le procès verbal de la
séance. Ce marché était scindé en deux lots de 4 bateaux. Les 4 premiers thoniers devaient être
livrés au port le plus proche du chantier naval pour le 31 octobre 2004, les 4 suivants pour le
31 décembre 2004. Les délais ont cette fois été respectés, mais des travaux complémentaires se sont
avérés nécessaires avant la mise en exploitation. Le convoyage par l’EURL des Pêcheurs Tahitiens
20
L’autorisation expresse du conseil d’administration de passer ce marché n’est retracée dans aucun document examiné
sur place, ni dans aucun procès-verbal.
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depuis la Chine a, en outre, révélé de nombreuses avaries et malfaçons sur plusieurs thoniers, dont
quelques exemples sont rapportés ci-après :
-
« Meherio VIII
: problème de pilote automatique ; les tableaux de démarrage des
groupes électrogènes, mal fixés, sont tombés ; panne du groupe électrogène le 4
ème
jour,
vérin bâbord de l’appareil à gouverner bloqué ; fuite de gasoil en l’absence de joint sur
les raccords de tuyaux ; panne d’alimentation gasoil moteur principal ; fuite au niveau du
condenseur du tunnel de congélation.
-
Meherio VII
: safran bloqué.
-
Meherio VI
: panne 2
ème
jour et panne 3
ème
jour sur appareil à gouverner et circuit
hydraulique.
-
Meherio V
: panne 3
ème
jour sur appareil à gouverner et circuit hydraulique.
-
Tauratua IV
: problèmes d’alimentation en mazout et d’alimentation électrique le 3
ème
jour ; avarie de barre ; vérins du safran écrasés.
-
Tauratua V
: moteur principal en panne le 2
ème
jour et 3
ème
jour ; problème
d’alimentation électrique.
-
Rava’ai Nui
: avarie de l’appareil à gouverner ; problème de mazout non résolu ;
vibrations anormale de la tuyauterie mazout ; trous sur le pont supérieur, laissant l’eau
s’infiltrer ; problème d’air sur le circuit gasoil ; le moteur principal ne tient pas les 1300
tr/mn prévus. A la fin du convoyage, le capitaine préconise toute une liste (une page
entière) de travaux recommandés pour mettre ce navire en état marche avant les
campagnes de pêche.
-
Avai Iti III
: pilote automatique défaillant ; barre restant bloquée ; étanchéité à revoir sur
les hublots ; s’ensuit toute une liste de travaux à effectuer.
Ces frais supplémentaires ont été supportés par la société Tahiti Nui Rava’ai, grevant d’autant son
compte d’exploitation. Au conseil d’administration du 16 mars 2006, la remise en état de ces
thoniers, ainsi que des 5 premiers livrés en 2003, a été estimée à 49,7 MF, soit environ 3 MF CFP
21
par thonier.
Finalement, en raison de ces malfaçons, Tahiti Nui Rava’ai a décidé de ne pas solder le marché
chinois, le paiement de la dernière tranche de 10% du montant du marché (91 MF CFP) est
actuellement bloqué. Le conseil d’administration du 16 mars 2006 a souhaité transiger sur un
montant forfaitaire à déduire du dernier paiement du marché, au titre des divers coûts supportés par
la SEML et les exploitants. Le chantier chinois a refusé. Le conseil d’administration du 24 août
2006 a donc décidé, après une ultime entrevue, de verser au chantier chinois la somme de
41,7 MF CFP pour solde de tout compte, laissant au chantier le soin de porter le litige devant les
tribunaux. Une suite contentieuse n’est donc pas à exclure.
2.2.1.3. – Des charges financières imprévues
Les montages en défiscalisation impliquent que les ressources (apports des armateurs, des
investisseurs, des prêteurs et des partenaires publics allouant des subventions) ne sont disponibles
qu’à la livraison des bateaux de pêche. Cette contrainte, mal appréciée au départ, aggravée par les
retards d’agrément et de livraison, a entraîné un besoin supplémentaire de financement d’environ
60 MF CFP sur les trois premiers exercices (2000 à 2002).
21
Un bon tiers a déjà été effectué.
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Il en a résulté une charge financière imprévue pour Tahiti Nui Rava’ai, qui est venue s’ajouter au
coût des marchés.
2.2.2. – Des recettes surestimées
Les recettes d’exploitation qui devaient couvrir les achats des navires n’ont pas été à la hauteur des
prévisions.
Les impayés se sont multipliés, les recettes d’exploitation des entreprises de pêche locales s’avérant
insuffisantes pour couvrir les loyers des bateaux défiscalisés. Au surplus, tous les bateaux proposés
par TNR n’ont pas trouvé preneur : au 31 décembre 2006, sur les 43 navires de tous tonnages
réalisés dans le cadre du montage porté par TNR, seulement 25 thoniers étaient en exploitation.
Pour ces 25 thoniers mis en exploitation :
-
un tiers des opérateurs locaux dégagent des résultats d’exploitation positifs, respectent
leurs obligations contractuelles et payent leurs échéances de loyer et d’emprunt ;
-
un tiers subissent des pertes d’exploitation, ont des loyers et d’échéances d’emprunt en
retard ;
-
un tiers n’ont jamais connu, depuis l’attribution du ou des bateaux, que des pertes, et
n’ont jamais payé leurs échéances.
De sorte que, sur les 43 bateaux commandés, tous gabarits confondus, seulement 8 à 9 navires, soit
environ 20% de la flotte, se situent dans l’épure initiale, et 8 bateaux sur 10 sollicitent les finances
de la société d’économie mixte au-delà des contributions prévues.
Au 30 juin 2006, les impayés des armateurs atteignaient la somme de 299 858 746 F CFP
(300 MF CFP)
22
. La situation est critique. Plusieurs créanciers ont des arriérés d’échéances
remontant à plusieurs années. En particulier, l’EURL des pêcheurs tahitiens (Meherio) est débitrice
de plus de 100 MF CFP (109 MF CFP au 30 juin 2006). D’une manière générale, tous les bateaux
hauturiers sont débiteurs, de même que, de façon plus surprenante, quelques 14m et 21m, qui
pêchent régulièrement.
Devant ce problème, Tahiti Nui Rava’ai n’est pas restée inerte. Mais, ses initiatives n’ont pas été
couronnées de succès.
Tahiti Nui Rava’ai a mis en place une procédure de recouvrement. Elle adresse à terme échu des
attestations de règlement et suit par déduction les impayés par navire, et par an. Pour obtenir le
règlement des impayés, après des rappels amiables, elle recourt à des recouvrements forcés.
Elle a ainsi agi à l’encontre de six armateurs par la mise en oeuvre des voies de droit sur le
patrimoine des débiteurs. Elle a fait procéder au lancement de procédures de recouvrement
judiciaire (saisie conservatoire et saisie-exécution), après avoir échoué à se faire payer par la voie
amiable. Mais, les saisies sur les comptes n’ont pas eu de résultat, les comptes bancaires étant vides
ou insuffisamment approvisionnés. Une fois engagées, les poursuites contentieuses ont été à leur
terme sauf dans un cas : la saisie-conservatoire a été refusée pour l’EURL des pêcheurs tahitiens. La
société n’a cependant pas désarmé et a engagé une action en référé devant le tribunal de grande
instance. L’affaire est actuellement pendante.
22
400 MF CFP au 31 décembre 2006 (dans les comptes provisoires 2006).
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
page 18 sur 37
2.2.3. – Le soutien de la Polynésie française
Dans ces conditions, d’importants financements publics complémentaires se sont avérés nécessaires
pour compléter les ressources de la société.
D’exercice en exercice, le soutien financier du Pays a été de plus en plus sollicité. En six ans de
fonctionnement, les procédés de soutien se sont diversifiés, en étant même parfois en dehors, ou à la
limite, du cadre légal lorsqu’il s’est agi, à partir de 2004, d’intervenir par un subventionnement
direct de l’exploitation.
Le soutien public a revêtu trois formes principales :
- l’octroi d’une avance en compte courant, partiellement transformée
en prêt du Pays sur 11 ans.
Dès 2001, dans l’attente des agréments de la DGI indispensables au déblocage des apports des
investisseurs métropolitains et des emprunts pour financer les crédits vendeurs, la SEML a eu
recours à une avance en compte courant de 240 MF CFP. Un arrêté du conseil des ministres du
31 juillet 2001 a dûment autorisé l’opération. De palliatif, ce financement est devenu quasiment
pérenne. Les remboursements de l’avance en capital et intérêts, ont ensuite contribué à accentuer les
pertes d’exploitation.
En réponse à la dégradation des fonds propres et aux besoins de financement de l’exploitation, il a
été décidé, lors du conseil d’administration du 8 septembre 2004, de demander à la Polynésie
française de transformer cette avance en compte courant, qui avait dépassé le terme des deux ans,
en une augmentation de capital de 80 MF CFP, et en un prêt de la collectivité d’outre-mer de
186 MF CFP à 1,5%
23
. Le conseil des ministres a autorisé ce prêt par un arrêté du 1
er
octobre 2004
(arrêté n° 288/CM). Le conseil des ministres du 7 septembre 2005 (arrêté n° 754/CM du
8 septembre 2005) en a réaménagé les conditions : la durée du prêt a été rallongée et portée à
11 ans et demi ; le remboursement du capital restant dû au 30 juin 2005 (175,9 MF CFP) a été
suspendu jusqu’au 31 décembre 2006.
- des renflouements répétés du capital social. Les résultats déficitaires des quatre premiers
exercices
(en 2000 perte de 26 MF, en 2001 perte de 44 MF, en 2002 perte de 3 MF, et en 2004
perte de 14 MF) ont conduit à la décision de faire passer le capital social de 200 à 280 MF CFP
(Assemblée Générale Extraordinaire du 3 septembre 2004).
Cette première augmentation du capital (80 MF CFP) a été entièrement souscrite par le Pays, par
compensation de créances certaines, liquides et exigibles qu’il détenait sur la SEML (à savoir une
partie de l’avance en compte courant de 240 MF CFP).
Le creusement du déficit en 2005, correspondant en partie au gel des opérations de défiscalisations
par la DGI jusqu’au 31 décembre 2006, a rendu, une nouvelle fois obligatoire la reconstitution des
fonds propres sur la base des comptes rendus en 2005. La perte d’exploitation s’élevait à
107 MF CFP avec un report à nouveau négatif de 88 MF, soit une consommation des fonds propres
de 195 MF CFP, supérieure à la moitié du capital social de 280 MF CFP
24
.
23
Aide autorisée par l’article 91.24 de la loi organique du 27 février 2004.
24
Une nouvelle assemblée générale extraordinaire s’est tenue le 17 janvier 2007, et a décidé la continuité d’exploitation
ce qui oblige à la reconstitution des fonds propres d’ici deux ans.
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
page 19 sur 37
– des subventions d’exploitation, dont la légalité pourrait être contestable. Dans le cadre de
l’application de la loi du 7 juillet 1983 relative aux SEML, transposée en Polynésie française par la
loi n° 96-313 du 12 avril 1996 (article 9), les aides publiques autorisées ont été limitées par la
jurisprudence administrative (CE, 17 janvier 1994, préfet des Alpes de Haute Provence) à
l’augmentation du capital et aux interventions économiques prévues par l’article 4 de la loi du
7 janvier 1982 (primes, prêts, avances ou bonifications d’intérêt). La loi n° 2002-1 du 2 janvier
2002 tendant à moderniser le statut des SEML, qui assouplissait ces dispositions, n’a, pour sa part,
pas été transposée en Polynésie française. La deuxième limite posée à l’octroi d’aides aux
SEML est le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, qui implique que ne soit pas
perturbées les règles de la concurrence. Il s’ensuit que les subventions d’exploitation aux SEML
sont interdites, sauf en contrepartie d’obligations de service public. Une autre exception réside dans
le droit des entreprises en difficulté qui, autorise, sous certaines conditions (existence d’une
convention et de contreparties exigibles de l’entreprise), ce subventionnement. Ceci constitue donc
le droit applicable en Polynésie française, la collectivité n’ayant, semble-t-il, pas pris de
dispositions particulières pour donner une base légale au subventionnement qu’elle accorde
fréquemment aux sociétés d’économie mixtes locales, sans convention.
En effet, si les relations financières de la collectivité d’outre-mer avec les sociétés commerciales
sont plusieurs fois mentionnées dans la loi statutaire
25
, nulle part la possibilité de subventionner
l’exploitation d’une société d’économie mixte n’est explicitement donnée. Ceci est d’autant plus
vrai qu’à la différence du statut précédent de 1996, l’article 91 de la loi n° 2004-192 du 27 février
2004 énumère les actions ouvertes au Pays dans ses relations financières avec les SEML.
Jusqu’alors, c’était précisément cette absence de mention des aides du Pays qui semblait justifier en
partie la décision du Tribunal administratif de Papeete du 22 janvier 2002, par laquelle la juridiction
avait rejeté la demande du Haut commissaire aux fins d’annulation d’une subvention d’équilibre à
une société dont le capital était détenu par la collectivité. Dans cette espèce, la position du Tribunal
administratif se fondait sur la reconnaissance de la compétence générale de la Polynésie pour
allouer des aides directes et indirectes aux SEML ou aux sociétés privées, qu’aucune disposition de
la loi organique de 1996 n’était venue limiter. Aussi, la subvention d’équilibre pouvait-elle être
légalement justifiée, sous réserve d’une confirmation par le juge d’appel qui, en l’occurrence, n’a
jamais été saisi. C’est donc dans ces conditions juridiques relativement fragiles, dérogeant au droit
commun de l’intervention économique des collectivités, qu’ont été octroyées des subventions
territoriales à Tahiti Nui Rava’ai depuis l’exercice 2005 : 186 MF CFP en janvier 2006,
143 MF CFP au cours de l’exercice 2006, et une subvention de 225 MF CFP pour 2007.
2.2.4. – L’échec financier de la SEML Tahiti Nui Rava’ai
L’échec financier de Tahiti Nui Rava’ai est patent comme le révèlent ses comptes de résultats et
bilans (annexes 1 et 2).
25
Article 29: Le Pays se voit reconnaître le droit de créer des SEML dans le cadre des lois applicables en Polynésie (à
savoir, la loi de 1983 dans sa version de 1996) ;
Article 30 : Le Pays peut participer au capital des sociétés privées gérant un service public ou d’intérêt général ; ou
bien, participer au capital de sociétés commerciales, pour des motifs d’intérêt général ;
Article 91 : dans les limites des compétences de la Polynésie française, le conseil des ministres autorise les conventions
de prêts ou d’avances en compte courant aux SEML.
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page 20 sur 37
Cette situation n’est pas le fruit du hasard, mais résulte du rythme trop rapide de construction des
navires par rapport aux réalités de la pêche polynésienne, notamment à partir du programme 2004.
La saturation des capacités d’absorption de la demande solvable en thoniers palangriers
congélateurs a gravement détérioré les comptes de la société d’économie mixte, sans par ailleurs
donner l’impulsion espérée à la pêche polynésienne.
Dès le démarrage de l’exploitation, la marge sur vente de la SEML a été amputée des coûts
financiers nécessaires à la couverture des retards de livraison. Elle n’a jamais été suffisante pour
assurer le financement de la société. En 2001, l’endettement à terme était de 472 MF CFP pour des
fonds propres de 173 MF CFP, soit près de 3 fois plus (273 %). Cette situation, déjà difficile après
un an d’exploitation, s’est sérieusement aggravée fin 2003, les dettes financières représentant près
de 10 fois les fonds propres : 1 516 MF CFP pour 157 MF CFP.
D’après les comptes 2005, avec un endettement à terme de 1 795 MF CFP et des fonds propres de
84 MF CFP, la situation est devenue difficilement soutenable : le rapport entre ces deux valeurs est
passé à plus de 20. Seule la garantie publique permet à la société de se maintenir en activité.
La rentabilité d’une entreprise s’appréhende habituellement à trois niveaux : la rentabilité
commerciale, qui a trait à la politique de prix et de marge, la rentabilité économique, qui mesure la
rentabilité des investissements de la société, et la rentabilité financière qui apprécie la rentabilité des
capitaux investis. A cet égard, l’évolution de la marge nette
26
est particulièrement éclairante. Dès
2001, elle est inexistante puisque le résultat net est négatif de 24,8 MF CFP et que les ventes sont
nulles. En 2005, les perspectives de marge sont devenues encore plus éloignées, avec une perte
nette qui s’est amplifiée et atteint 105 MF CFP. La rentabilité économique est toujours nulle et
l’endettement continue sa progression : il représente 32 fois la valeur des actifs.
Au total, le Pays, actionnaire principal et de référence de la SEML, avait déjà dépensé au
31 décembre 2006, compte non tenu de la dernière augmentation de capital social décidée en janvier
2007, près d’1,6 milliards de fonds publics dans le financement de TNR à travers sa participation au
capital social (242 MF CFP), ses subventions d’investissement (115 MF CFP), ses subventions
d’exploitation (329 MF CFP), la défiscalisation locale (571 MF CFP), les emprunts et garanties
d’emprunts (200 MF
CFP), et prises en charge diverses ( salaires des dirigeants jusqu’en 2003,
voyages de travail en Chine).
Aujourd’hui, les sommes déboursées, avec la décision de l’Assemblée générale du 2 février 2007 en
faveur d’une poursuite de l’exploitation
27
, se sont encore accrues et atteignent désormais près de
2 milliards de F CFP. Cette situation est, en plus, obérée par un sérieux risque de reprise fiscale
menaçant au moins 17 des navires défiscalisés pour lesquels la DGI attend une mise en exploitation
probante. Le risque découlant de cette reprise pour les 17 thoniers inexploités est évalué par le
président TONG SANG à 2,1 milliards de F CFP (environ 17,5 M€) : 1 104 MF CFP au titre de la
défiscalisation métropolitaine, 324 MF CFP au titre de la défiscalisation locale et 672 MF CFP au
titre du remboursement des emprunts. Au-delà de ces estimations, la charge financière totale pour la
Polynésie française, en cas de cessation d’activité définitive de la SEM Tahiti Nui Rava’ai, serait
beaucoup plus importante. En août 2005, cette charge avait été évaluée par le conseil
d’administration à 3,5 milliards de F CFP (plus de 29 M€) : 1 834 millions de F CFP de risque
fiscal proprement dit et 1 678 millions de remboursement d’emprunts au titre de la totalité de la
flotte (42 bateaux). En tout état de cause, s’il advenait que la requalification fiscale intervienne, quel
26
La marge nette correspond au prélèvement de l’entreprise après déduction de toutes les charges.
27
Augmentation de capital et subvention de la Polynésie française.
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page 21 sur 37
que soit le montant finalement réclamé par la DGI, la collectivité d’outre-mer aurait à supporter une
somme considérable oscillant entre 2,1 et 3,5 milliards de F CFP.
Le bilan financier de l’opération n’est, pour l’heure, pas reluisant. La société vit essentiellement sur
fonds publics, 2 milliards de F CFP ont déjà été dépensés par la collectivité et un risque financier
évalué au minimum à 2,1 milliards de F CFP n’est pas à écarter. La cessation d’activité, inéluctable
sans retour à une exploitation commerciale équilibrée, coûterait à la collectivité 3,5 milliards
de F CFP.
Il est clair que cette situation, quelles que soient les décisions prises, va peser très lourdement sur
les finances de la Polynésie française, obérant ainsi des fonds qui ne seront pas disponibles pour
d’autres actions et politiques publiques.
3 – LES CAUSES PRINCIPALES DE L’ECHEC
Dans le cadre d’une société commerciale de droit commun, les difficultés de réalisations du plan
d’affaires de TNR auraient alerté les partenaires bancaires. Le nombre et le rythme des commandes
auraient été moins déconnectés des réalités économiques et sociales. Les déficits ne se seraient donc
pas creusés aussi vite. Mais, la présence massive du Pays au capital de la société lui a permis de
s’affranchir, sur le compte de la collectivité, des considérations économiques les plus élémentaires.
Trois causes principales sont à l’origine de l’échec de Tahiti Nui Rava’ai : le projet a reposé sur un
calcul économique aux risques mal appréciés, qui, en outre, n’a pas su trouver de relais dans le
secteur privé et qui, surtout, n’a pas bénéficié de mesures d’accompagnement suffisantes.
3.1 – Une mauvaise appréciation des risques
Tahiti Nui Rava’ai est dans une situation financière très compromise parce qu’elle a été créée pour
porter un projet de développement ambitieux où, finalement, les considérations politiques ont primé
sur les réalités économiques. La prise de risques a été, de ce fait, trop élevée.
3.1.1. – L’effet d’une implication directe du Pays sans contrôle effectif
Les mauvais résultats ne sont pas directement imputables à la société qui, en raison de la
composition de son capital et de son statut particulier, n’a jamais agi de manière autonome par
rapport à l’exécutif du Pays. Depuis le démarrage de la société, la position de la collectivité d’outre-
mer au sein de la société est centrale. Elle possède la majorité du capital, assure et garantit les
financements, approuve les nominations à la présidence du conseil d’administration, exerce un rôle
prépondérant sur le conseil d’administration où, jusqu’en juillet 2004, siégeaient des ministres en
exercice. Le Pays a dicté ses choix à Tahiti Nui Rava’ai. Ce manque d’autonomie par rapport au
Pays n’a pas permis aux dirigeants sociaux, même s’ils l’ont parfois souhaité, d’imposer un rythme
de développement plus conforme aux réalités économiques et financières.
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Ainsi, en avril 2003, alors que la baisse des captures de thon commençait à faire ressentir ses effets
perturbateurs jusque dans les comptes de la société, le président du Pays se prononçait lors d’une
conférence de presse, pour une nouvelle accélération du rythme de construction des thoniers :
« notre objectif est de construire assez rapidement 100 à 150 bateaux.
»
Cette nouvelle impulsion s’est traduite par une reprise des commandes, annoncée au conseil
d’administration du 26 mars 2004, alors que plusieurs signes avant-coureurs de crise s’étaient déjà
manifestés, au point que les conseils d’administration précédents avaient évoqué à demi-mot l’idée
d’une pause dans le lancement des commandes, et la nécessité de mieux connaitre les besoins des
pêcheurs.
Ce pressant besoin d’information sur la demande des pêcheurs, deux ans après le lancement du
projet et la création de la société, peut légitimement surprendre car il ne correspond pas à
l’élaboration rationnelle d’un projet de développement où, généralement, les études précèdent les
décisions d’investissement. Cette idée n’a, en outre, pas dépassé le stade de l’intention puisque
qu’aucune étude détaillée des besoins et des capacités techniques réelles des pêcheurs polynésiens
n’a pu être produite en réponse à la demande de la chambre qui s’interrogeait sur les données ayant
permis de considérer que le doublement du rythme de formation des capitaines était envisageable
sur cinq ans, lorsqu’on sait que la formation d’un « maître de pêche » dure au minimum trois à
quatre ans. La seule étude produite, remise au ministère de la mer le 21 octobre 2004, plus de 4 ans
après
le
lancement
du
projet,
concernait
le
développement
de
la
pêche
palangrière
(commercialisation et valorisation des produits de la mer) mais n’abordait pas la question de la
formation des équipages.
Ce mode de gouvernance a été, en outre, facilité par un allègement non justifié des contrôles
externes.
Les sociétés commerciales sont légalement soumises à plusieurs obligations de publicité et
d’information destinées à limiter les risques financiers et sociaux pris par les actionnaires. Loin de
limiter les contrôles légaux, le statut de société d’économie mixte en rajoute en obligeant les SEML
à satisfaire à des obligations de transmissions d’informations à l’Etat, en charge du contrôle de
légalité, et à l’organe délibérant de la collectivité actionnaire.
Considérant qu’une société d’économie mixte était une société commerciale comme les autres, les
dirigeants ont, à tort, largement ignoré une partie des obligations légales de Tahiti Nui Rava’ai.
Ainsi ont-ils scrupuleusement satisfait aux obligations découlant du code du commerce, relatives à
la certification annuelle des comptes, au dépôt des comptes, rapports et procès-verbaux des organes
dirigeants au greffe du tribunal de commerce, mais négligé celles qui résultaient de son statut
particulier de société d’économie mixte.
Cette absence de contrôle externe public s’est révélée gravement préjudiciable puisqu’à aucun
moment, même lorsque les comptes étaient notoirement dégradés
28
et que les difficultés des
armements étaient connues, les dispositifs légaux de contrôle public n’ont pu jouer.
28
Et signalés comme tels par le commissaire aux comptes.
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Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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La transmission des délibérations au contrôle de légalité a été épisodique. Il s’agit pourtant d’une
obligation légale issue de l’article 6 de la loi de 1983, applicable en Polynésie française, qui n’était
d’ailleurs pas ignorée des dirigeants de la société puisque l’article 28 des statuts de Tahiti Nui
Rava’ai, prévoit expressément : « L
es délibérations du conseil d’administration ou du conseil de
surveillance et des assemblées générales des sociétés d’économie mixte locales sont communiquées
dans les 15 jours suivant leur adoption au représentant de l’Etat dans le territoire où se trouve le
siège social de la société. Il en est de même pour les contrats visés à l’article 5
29
ci dessus, ainsi
que des comptes annuels et des rapports du commissaire aux comptes ».
Or, les délibérations du
conseil d’administration, les comptes annuels et les rapports du commissaire aux comptes n’ont pas,
chaque
année,
été
adressés
au
service
concerné.
Cette
obligation
n’a
été
observée
qu’épisodiquement, sans suivi et sans logique, ce qui a fait que certains documents ont été transmis
d’autres pas, et ce, sans raison apparente. Ainsi, encore tout récemment, lorsqu’il a été procédé à la
création d’une filiale –SA AVAI’A –, la délibération du conseil d’administration n’a pas été
transmise au contrôle de légalité alors qu’il s’agissait d’une participation à 100 % dans le capital
d’une autre société commerciale, à l’activité complémentaire de Tahiti Nui Rava’ai.
Un autre dispositif de contrôle a été défectueux : le compte rendu annuel à l’Assemblée de la
Polynésie française. Cette obligation a pour but d’informer officiellement l’assemblée, par un
rapport de ses représentants sur le fonctionnement de la société d’économie mixte. L’article 8,
7
ème
paragraphe de la loi de 1983, applicable en Polynésie française, confirmé par l’article 29 des
statuts de la société indique que
« les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs
groupements actionnaires se prononcent sur le rapport écrit qui leur est soumis au moins une fois
par an par leurs représentants au conseil d’administration… » .
Après vérification, cette formalité
n’a, semble-t-il, pas été scrupuleusement respectée, l’information de l’organe délibérant s’opérant
par d’autres voies. A tort, le Pays a limité son contrôle à sa présence au conseil d’administration
sans exiger un compte rendu annuel de ses administrateurs.
3.1.2. – Des risques amplifiés par le recours à la défiscalisation
Cette gestion volontariste, menée sans véritable contrôle public externe, s’est en outre appuyée sur
les dispositifs de défiscalisation qui se sont révélés sources de risques financiers accrus pour la
société et pour le Pays, son principal bailleur de fonds et garant.
Le cadre législatif qui s'applique à la défiscalisation outre-mer en matière d’investissements est régi
par deux articles du code général des impôts – l’article 199 undecies B et l'article 217 duodecies.
L’avantage fiscal qu’il procure consiste en un crédit d’impôt
imputable soit sur l’impôt sur le
revenu (IR) soit sur l’impôt sur les sociétés (IS), dont une fraction est rétrocédée à l’entreprise
ultramarine qui assure l’exploitation.
Les conditions requises pour bénéficier de cette déduction fiscale sont strictes. Tout d’abord,
l'investissement ne peut être réalisé que de deux manières : soit directement par l'entreprise qui va
exploiter l'investissement, soit de manière « externalisée », par une
société en nom collectif (SNC),
une société en commandite simple (SCS) ou un groupement d’intérêt économique (GIE). C’est la
solution externalisée qui a été retenue par la Polynésie française (sous la forme de SNC), Tahiti Nui
Rava’ai permettant en outre de syndiquer les commandes de navires.
29
Contrats obligatoires pour interventions autres que prestations de service.
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Ensuite, plusieurs obligations sont imposées en retour aux bénéficiaires :
-
les associés ou membres de ces structures doivent conserver leurs parts pendant cinq ans. Si
l'investissement est cédé, ou détourné de son objet, au cours de cette période, la totalité de
l'avantage fiscal accordé est repris ;
-
l'investissement doit être mis à la disposition de l'entreprise locale « pour le compte » de
laquelle il a été réalisé dans le cadre d'un contrat de location conclu pour cinq ans au moins,
revêtant un caractère commercial et prévoyant, pour les redevables de l’IS, que les trois
quarts de l'avantage fiscal obtenu
30
soient rétrocédés à l'entreprise locataire
sous forme d'une
diminution de loyer et, le cas échéant, du prix de cession du bien au terme des cinq années.
Si ces clauses ne sont pas respectées pendant l'ensemble de la durée de cinq ans, l'avantage
fiscal est repris. L'investisseur devra en outre acquitter des intérêts de retard à compter de la
date à laquelle il a bénéficié de l'avantage fiscal ;
-
les investissements dans le domaine de la pêche maritime ne peuvent ouvrir droit à réduction
d’impôt sur le bénéfice imposable que s'ils ont reçu un agrément préalable du ministre
chargé du budget. L'agrément est délivré lorsque l'investissement présente un intérêt
économique pour le territoire dans lequel il est réalisé, s’il poursuit comme l'un de ses buts
principaux la création ou le maintien d'emplois dans ce territoire et à la condition qu’il
s'intègre dans la politique d'aménagement du territoire, de l'environnement et du
développement durable et s’il garantit la protection des investisseurs et des tiers. Le dossier
de demande d’agrément est instruit par le Bureau des agréments, à la DGI.
Au cas d’espèce, Tahiti Nui Rava’ai a fait appel au cabinet de défiscalisation FIPROMER, après
avoir consulté 9 cabinets. Le lancement de la consultation a eu lieu le 11 août 2000. Cinq cabinets
ont répondu. Le conseil a décidé de retenir FIPROMER pour les raisons suivantes :
-
qualité de l’équipe (tous les aspects devant être résolus par TNR sont pris en compte) ;
-
bonne appréciation au niveau de la DGI ;
-
la seule faiblesse pourrait être celle de sa représentation locale ;
-
dispose d’une antenne à Bruxelles et jouit d’une bonne image auprès des banques ;
-
les opérations conduites en Polynésie se sont bien déroulées.
Un accord de collaboration a donc été conclu, le 21 décembre 2000. Le mandat est exclusif et se
traduit concrètement par l’absence de répartition des risques entre plusieurs cabinets, option qui
peut se révéler hasardeuse, surtout lorsqu’elle est prise sans connaître le détail du montage juridique
élaboré par le cabinet.
La mission de FIPROMER est précisée dans les termes suivants : rédaction, présentation et suivi
des demandes d’agrément déposées au Bureau des agréments de la DGI ; assistance dans la
recherche auprès de tout établissement bancaire de tout ou partie des financements des opérations ;
sélection des futurs investisseurs ; coordination des investisseurs jusqu’à la mise en place des
opérations ; gestion des investisseurs au travers d’une SNC et de chaque contrat de location jusqu’à
son terme.
30
Ou 60% (pour les redevables de l’IR).
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Cet accord précise toutefois que le cabinet FIPROMER n’est tenu qu’à une obligation de moyens
quant au résultat positif de ses démarches, «
qui ne dépendra en dernier ressort que de la décision
des investisseurs pressentis, des autorisations administratives nécessaires et des accords de
financement obtenus
». Cet accord ne prévoit aucune modalité de rémunération de FIPROMER. Il
est stipulé que FIPROMER est rémunéré par les investisseurs (SNC) en pourcentage de la valeur
des navires loués.
Le déroulement erratique des opérations va pourtant conduire Tahiti Nui Rava’ai à accepter de
rémunérer FIPROMER pour les travaux supplémentaires occasionnés par gestion des retards des
programmes de construction. Le conseil d’administration du 19 décembre 2004 a ainsi autorisé une
indemnité d’un million de F CFP pour la défiscalisation du dernier thonier 2004 (en coque
polyester) non livré au 31 décembre 2004, et des frais de transfert de 150 000 F CFP par thonier,
faisant l’objet d’un changement d’attributaire.
Cette défiscalisation a eu, pour effet, l’utilisation de montages juridiques complexes, dans lesquels
les contrats signés entre Tahiti Nui Rava’ai, les SNC regroupant les investisseurs métropolitains, les
armateurs exploitant les bateaux de pêche et les banques, ont abouti à une concentration des risques
financiers sur la société d’économie mixte Tahiti Nui Rava’ai, et derrière elle, sur son actionnaire à
81 %, le Pays.
Cette accumulation des responsabilités financières sur les acteurs publics, en cas de difficultés, a été
particulièrement aggravée par les garanties obtenues par les SNC et les investisseurs métropolitains,
afin que ceux-ci soient prémunis des charges découlant, le cas échéant, de la défaillance des
exploitants locaux.
En plus de ces risques financiers inhérents au montage juridique choisi, la société d’économie mixte
a accordé aux exploitants locaux des crédits-vendeurs financés par des emprunts bancaires garantis
par le Pays, pratique qui a encore augmenté les risques de la collectivité territoriale. Ce type de
financement consistait à accepter le paiement d’une partie du prix d’achat du bateau sous forme de
mensualités assimilées à des remboursements d’emprunt.
Sur le plan juridique, cette utilisation du crédit-vendeur demeure sujette à interrogation car aucune
disposition particulière ne la réglemente directement. D’une part, les transpositions du code civil en
Polynésie française, en écartant l’application des articles 1185 et suivants
31
, ne le prévoient pas, et
d’autre part, les articles 31 de l’ordonnance du 1
er
décembre 1986 et 511-7 du code monétaire
n’autorisent que le crédit fournisseur en admettant qu’une entreprise puisse «
dans l’exercice de son
activité professionnelle consentir à ses contractants des délais et avances de paiements
». Par
conséquent, pour que le crédit vendeur ait une base juridique solide en Polynésie française, il
faudrait considérer que c’est un crédit fournisseur. Or, cette assimilation paraît relativement
incertaine pour les opérations concernées, s’agissant d’un crédit accordé par Tahiti Nui Rava’ai sur
une partie du bien acquis qui donne lieu à paiement d’intérêt, et non d’un simple paiement différé
auquel correspond le crédit fournisseur.
Le risque a, en dernier lieu, encore grandi avec l’emploi de dispositifs de défiscalisation propres à la
Polynésie française, alors que les difficultés de la situation avaient déjà suscité les premières
réticences de la DGI pour agréer les commandes de thoniers.
31
Qui sont relatives aux obligations à terme qui sous-tendent des obligations de crédit.
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En effet, pour les programmes 2003 et 2004 (les thoniers chinois) le Bureau des agréments (DGI)
s’est montré beaucoup plus réservé que pour les années précédentes. Selon les règlements, cet
accord est obtenu en deux temps : un premier accord de principe permettant de valider le
programme, suivi quelques mois plus tard d’un accord définitif ouvrant droit aux avantages fiscaux.
Le 22 décembre 2003, la DGI a fini par donner, après un premier refus un an plus tôt
32
, son accord
de principe pour le programme 2003, mais a subordonné l’agrément définitif à la production des
certificats de navigabilité, de la documentation juridique et des factures détaillées justifiant la base
éligible, en rappelant surtout, qu’en cas de non rachat par l’armateur, c’est à Tahiti Nui Rava’ai
qu’incomberait la charge. Finalement, le Bureau des agréments (DGI) ne taira ces dernières
réticences que le
19 mars 2004, date à laquelle l’agrément définitif sera accordé.
Depuis, aucun agrément définitif n’a été donné, et la DGI a imposé un moratoire de deux ans sur la
construction de navires. Ainsi, le programme 2004, dernier en date, n’a reçu, le 29 novembre 2004,
que des agréments de principe. Mais ceux-ci étaient assortis de deux conditions impératives : primo,
l’engagement de ne solliciter d’agrément que tous les 2 ans, après une pause en 2005 ; secundo, la
production d’un bilan complet des résultats d’exploitation des navires défiscalisés, ainsi qu’une
étude actualisée des ressources halieutiques de la zone de pêche concernée.
C’est dans ce contexte de quasi blocage des programmes qu’est intervenu le recours à la
défiscalisation locale (dispositif FLOSSE). Le dispositif de défiscalisation locale date de la
délibération n° 95-55 AT du 24 mars 1995. A l’origine, ce dispositif n’incluait pas le secteur de la
pêche, mais, fort opportunément, il a été décidé d’en étendre l’application à la construction des
bateaux de pêche par la délibération n°2004-33 du 12 février 2004.
Pour compléter les ressources d’exploitation de Tahiti Nui Rava’ai, il a été imaginé d’utiliser le
dispositif local de défiscalisation. Lors du conseil d’administration du 18 mai 2004, a été créée une
société civile, TAUTAI MANUIA, gérée par le directeur général de TNR qui aurait pour objet : « la
propriété et la gestion d’une participation de 5% dans le capital de Tahiti Nui Rava’ai et la
réalisation d’opérations de trésorerie avec la société contrôlée directement ou indirectement sous
forme d’avances en compte courant, de prêts, … ».
Trois sociétés
33
, dont deux sont des entreprises à capitaux publics, vont participer activement à ce
financement. Deux d’entre elles (Tikiphone et EDT) vont, dans le cadre de la défiscalisation locale,
profiter de
crédits d’impôt importants (respectivement 86 et 159 MF CFP) pour de courts
placements de trésorerie auprès de Tahiti Nui Rava’ai
(respectivement de 475 MF CFP à
666 MF CFP), dont la durée n’a jamais excédé un mois, se limitant parfois à quelques jours. Si la
gratuité des crédits de trésorerie ainsi apportés a présenté un intérêt immédiat pour TNR
34
, le
montage est, en revanche, coûteux pour les finances du principal actionnaire, le Pays qui n’a pas
hésité à consentir dans ce cadre des dépenses fiscales de près de 250 MF CFP.
3.2 – L’insuffisance des relais trouvés dans le secteur privé
La réussite d’un projet public de développement économique dépend en grande partie de son
accueil par le secteur privé. Si le relais n’est pas pris par des partenaires du secteur d’activité
concerné, le projet est alors gravement compromis, et l’opérateur public ou parapublic qui le porte
32
Lettre du 20 décembre 2002 : interrogations sur l’activité de l’EURL des pêcheurs tahitiens.
33
SOCREDO, TIKIPHONE et EDT.
34
L’optimalisation fiscale de l’exploitation n’étant pas son premier souci, ses résultats ont toujours été déficitaires.
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connaît inévitablement l’échec. Ces difficultés à trouver des soutiens auprès du secteur privé n’ont
pas épargné Tahiti Nui Rava’ai
.
3.2.1. – La mobilisation du capital social
Dès la constitution de la société, l’actionnariat privé est resté attentiste, souscrivant peu, et libérant
le capital social avec difficulté.
Le versement de la part de capital détenue par les actionnaires privés (17 %) s’est effectuée avec
retard pour plusieurs d’entre eux. L’article 8 des statuts prévoyait la libération de la moitié des
actions en numéraire lors de la constitution de la société, le solde étant payable en une ou plusieurs
fois dans un délai de cinq ans, sous le contrôle du conseil d’administration :
« lorsque l’intervention
du conseil d’administration est requise, les appels de fonds sont portés à la connaissance des
souscripteurs quinze jours au moins avant la date fixée pour chaque versement par lettre
recommandée avec accusé de réception, adressé à chaque actionnaire
».
Le 16 janvier 2001, le conseil d’administration a décidé d’appeler la fraction non libérée du capital
social à compter du 15 mars 2001, pour un versement au plus tard le 30 avril 2001. Un an plus tard,
après plusieurs appels de fonds, un actionnaire privé (l’EURL des pêcheurs tahitiens) n’avait
toujours pas versé sa part de capital (5 MF CFP). Le conseil d’administration a donc décidé de
mandater la direction générale pour majorer la somme due, sans autre formalité, d’un intérêt au taux
légal, calculé au jour le jour à partir de la date d’exigibilité. Le 30 mai 2002, le conseil
d’administration, constatant l’absence de libération des actions de l’EURL des pêcheurs tahitiens, a
décidé d’adresser une mise en demeure par voie d’huissier avec, à défaut de paiement dans un délai
d’un mois, mise à l’index des assemblées et mise en vente des actions aux enchères publiques.
Malgré cela, rien n’a été versé, en dépit des relances répétées du directeur général de l’époque.
Finalement, Tahiti Nui Rava’ai a dû patienter jusqu’au convoyage des premiers thoniers coréens en
mars 2003 pour que l’EURL verse enfin sa part de capital.
3.2.2. – La demande de thoniers
Les attributions de thoniers n’ont pas, après l’engouement du début, fortement mobilisé les
professionnels du secteur. De plus, de nombreux désistements ont été enregistrés.
Une commission consultative, agissant à partir de critères fixés par le conseil d’administration
35
a
reçu pour mission de procéder aux attributions. Cette commission est composée de trois membres
désignés parmi les représentants du secteur public et trois membres désignés parmi les actionnaires
du secteur privé. Leur mandat est d’une année renouvelable. En plus, y siègent le chef du service
des affaires maritimes et un représentant du pool bancaire participant au financement des navires.
Bien qu’il n’existe aucune statistique du nombre de demandes de thoniers formulées par les
pêcheurs depuis l’origine du dispositif, l’attribution des navires a causé, après un bref engouement
initial, des difficultés croissantes, en particulier pour le placement des thoniers congélateurs.
35
Cf. règlement intérieur.
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Au surplus, il est arrivé assez fréquemment que l’attribution entérinée par le conseil
d’administration ne puisse se concrétiser, les « lauréats » se désistant.
Le succès pour les thoniers congélateurs (23,80m) n’a pas été au rendez-vous : aucun ne paie
régulièrement ses échéances, un s’est échoué, la moitié des bateaux a été attribuée à des exploitants
peu expérimentés en matière de pêche palangrière.
Au fond, la demande des pêcheurs n’était pas naturellement orientée vers les campagnes de pêche
de plusieurs mois et vers les thoniers de grand gabarit qui étaient privilégiés dans le programme
initial de construction en vue d’accroître les capacités exportatrices de la Polynésie Française. La
culture de la pêche hauturière n’étant pas répandue, son développement nécessitait au minimum une
pédagogie. D’ailleurs, les réajustements opérés au profit des navires de moins de 21 mètres dès le
lancement des premières commandes témoignent du caractère trop volontariste du programme. Le
secteur de la pêche s’est plutôt montré réticent, se contentant de profiter des possibilités offertes aux
pêcheurs de métier d’acquérir, sans forte mise de fonds propres, un bateau neuf et côtier de
préférence.
Ce manque de connections avec le secteur de la pêche, en dépit de la présence des professionnels au
conseil d’administration, n’a finalement jamais été comblé, malgré quelques velléités manifestées
lors de certains conseils, comme celui du 12 août 2002, lorsque le président a déclaré qu’il fallait
« essayer de creuser avec les pêcheurs pour connaître leurs besoins avant de lancer les
programmes ».
Ou
,
lorsque quelques mois plus tard, lors du conseil d’administration du 16
décembre 2003, le président et le directeur général se sont interrogés sur l’opportunité de lancer un
nouveau programme de construction en 2004 dans lequel les thoniers congélateurs seraient
privilégiés. Ils expliquaient leurs hésitations de plusieurs façons : primo, la demande des armateurs
était toujours prioritairement axée vers les thoniers pour la pêche fraîche, secundo, le nombre de
commandes ne devait pas excéder 10 par an, tertio, les volumes des captures baissaient, et
fragilisaient les exploitations. Malheureusement, ces résolutions, ou questionnements, n’ont pas été
suivis d’effet.
3.2.3. – Le soutien financier des partenaires privés
Le soutien mitigé qu’a rencontré ce projet dans le secteur privé se mesure encore aux difficultés que
la société d’économie mixte a éprouvées pour se procurer des ressources complémentaires.
Le financement privé s’est raréfié à mesure que les difficultés de la SEML s’aggravaient. Pour y
faire face, Tahiti Nui Rava’ai a, plusieurs fois, fait appel à ses partenaires privés. Les professionnels
de la pêche, actionnaires de Tahiti Nui Rava’ai, sont restés inertes.
La recherche de financements complémentaires s’est effectuée de diverses manières :
-
Soit en passant par l’augmentation des dépôts de garantie demandés aux acquéreurs qui
sont apparues nécessaires pour faire face aux premières difficultés financières
consécutives aux difficultés du programme 2003 ;
-
Soit par des demandes de prêt auprès des banques. Les établissements de la place
(Banque de Polynésie, Banque de Tahiti et Socredo) et ING Lease ont prêté environ
1,8 milliard pour financer le crédit vendeur aux exploitants. Le bilan de cette opération
est loin d’être positif car l’encours remboursé n’est que de 300 MF CFP et les impayés
s’accumulent.
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En retrait depuis que sont apparues les difficultés du projet, les banques ont refusé de nouveaux
concours. Seule, la Socredo, dont le capital est détenu à 50 % par la Polynésie française, a poursuivi
son soutien, et ouvert un compte courant de 304 MF CFP pour les opérations de défiscalisation
locale, pour lequel elle a consenti un différé de remboursement de quelques mois entre le
31 décembre 2004 et février 2005.
En l’absence de relais suffisant dans le secteur privé, le financement des charges imprévues liées
aux difficultés de réalisation du plan d’affaires de la société a trouvé une réponse essentiellement
publique, accroissant les risques pris par la collectivité d’outre-mer.
3.3 – L’inadaptation des mesures d’accompagnement
L’inadaptation des mesures d’accompagnement du projet, notamment en matière de formation, a
abouti à la construction d’une quantité de bateaux de pêche hauturière trop importante par rapport
au nombre de capitaines et d’équipages capables de les armer efficacement.
La formation d’équipages hauturiers était apparue, dès le lancement du projet et de TNR, comme
absolument indispensable. L’objectif de former 10 capitaines de pêche par an avait été avancé. Mais
cette nécessité n’a pas été suffisamment traduite dans des politiques de formation adaptées. Les
efforts de l’Etablissement de Formation et d’Apprentissage Maritime (EFAM) devenu l’Institut de
Formation Maritime Pêche et Commerce (IFMPC) de Papeete, et du Fare Tautai, pour louables
qu’ils aient été, n’y ont pas suffi dans le peu de temps imparti : cinq ans seulement pour transformer
la pêche polynésienne à dominante fraîche et côtière en pêche hauturière et exportatrice.
Entre 2002 et 2005 ont effectivement été formés, comme l’a rappelé le président TONG SANG,
« 185 capitaines BC200, 46 capitaines BC500, 238 mécaniciens 250 Kw et 52 mécaniciens
750 kW »
. Mais, très peu sont restés dans le secteur de la pêche, et encore moins dans la pêche
hauturière : 20 % seulement selon un rapport récent
36
. Cet effort de formation, incontestable mais
insuffisant et mal orienté, a finalement surtout profité à la flotte de commerce, les capitaines et les
équipages quittant la pêche pour les métiers à rémunération fixe du commerce ou de l’industrie. Il
s’en est suivi une pénurie en capitaines de pêche expérimentés qui a été très préjudiciable au
développement de la filière.
Les difficultés actuelles paraissent d’autant moins excusables, que ces contraintes étaient connues
dès le départ et que le goulot d’étranglement constitué par les capacités disponibles en équipages et
en capitaines avait bien été détecté.
Dans une note du chef du service des Affaires Maritimes du 19 octobre 2000, quelques mois après
la création de TNR, celui-ci rendait compte de la réunion de travail qu’il avait eu avec le président
de la SEML et le directeur général.
37
36
Rapport
Fouillard 2006 - affaires maritimes.
37
MM. TERIITEHAU et UGOLINI.
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Il leur avait signalé que le recrutement des marins professionnels posait problème :
« Compte tenu
d’une part des délais impartis pour la mise en service des navires, et d’autre part des capacités
limitées de formation de l’EFAM, il paraît impossible d’armer d’ici deux à trois ans ces navires par
des marins professionnels suffisamment qualifiés, notamment des officiers, même au regard des
standards locaux de qualification professionnelle maritime
. »
Ces réserves se sont avérées par la suite totalement fondées. Le manque de marins capables d’armer
efficacement les bateaux hauturiers construits en trop grand nombre à partir de 2004 a plongé la
SEML Tahiti Nui Rava’ai et le Pays, dans de graves difficultés financières.
4 – UNE DOUBLE SERIE DE CONTRAINTES PESE SUR L’AVENIR
Tous ces facteurs ont contribué à aggraver la situation financière de la société : de lourdes pertes à
couvrir, la prise en charge de la remise en état des navires inexploités
(environ 3 MF CFP / navire),
et un risque financier évalué selon les hypothèses entre 2,1 milliards et 3,5 milliards de F CFP alors
que 558 MF CFP de provisions ont été passés pour couvrir les charges probables (comptes 2005).
En septembre 2006, le commissaire aux comptes a déclenché une procédure d’alerte et refusé de
certifier les comptes 2005 au motif que «
la continuité de l’exploitation dépend des seules aides du
Territoire et non plus de l’activité de la société ».
L’assemblée générale extraordinaire du 2 février
2007 a néanmoins décidé de poursuivre l’activité sur la seule garantie de la poursuite du soutien
public, mais sans avoir d’assurance sur une reprise rapide de l’activité et sur le maintien des
avantages fiscaux accordés aux exploitants pour lesquels la SEML s’est portée garante.
Par ailleurs, cette décision de continuation de l’activité a de fortes chances de déboucher sur de
nouvelles dépenses inefficaces si aucune politique d’accompagnement n’est, en parallèle, adoptée,
notamment pour remettre rapidement en exploitation les navires défaillants et remédier au manque
de capitaines de pêche et d’équipages expérimentés.
4.1 – Des contraintes légales
:
Dans l’immédiat, la décision de poursuite de l’exploitation de Tahiti Nui Rava’ai prise par
l’assemblée générale extraordinaire du 7 février 2007 est la réponse que l’actionnaire principal,
autrement dit le Pays, qui détient 81,42 % du capital, a entendu apporter à la situation décrite plus
haut. Cette décision prend les allures de pari de la dernière chance.
Ce faisant, la situation ainsi créée accentue encore les risques qui pèsent sur la Polynésie française.
Car, le Pays aura à faire face à des charges accrues si l’exploitation de Tahiti Nui Rava’ai ne se
redresse pas, ses dépenses et ses impayés continuant d’augmenter, aggravant la menace d’une
reprise des avantages fiscaux accordés par l’Etat.
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La situation financière de la SEML oblige aussi au choix des moyens pour combler la perte de la
moitié de son capital social. Le délai de reconstitution des fonds propres court jusqu’au
31 décembre 2008. Plusieurs solutions sont envisageables. Aucune n’est facile et certaines ne sont
ni réalistes, ni
souhaitables. A court terme, la mise en sommeil du programme de construction rend
illusoire la réalisation de bénéfices au cours des prochains exercices. Reste l’apport d’argent frais
sous forme d’augmentation du capital, mais celui-ci doit respecter la proportion minimale de 15 %
réservée aux actionnaires privés, ce qui implique que les partenaires du Pays prennent à leur compte
15 % du renflouement. Restent encore l’abandon ou le rééchelonnement de la dette par les
principaux créanciers de la société, la Polynésie française à hauteur de 175 MF CFP, les organismes
financiers pour 1,6 milliards de F CFP et les fournisseurs pour 150 MF CFP. Cette solution
nécessiterait de convaincre des partenaires qui, jusqu’à présent, n’ont soutenu le projet que parce
qu’il était garanti par le Pays.
A ceci s’ajoute l’obligation de satisfaire avant le 15 juin 2007 aux conditions posées par la DGI afin
d’éviter la mise en oeuvre de la procédure de reprise fiscale prévue à l’article 1756 du code général
des impôts.
Les conditions de la DGI sont claires : mettre en exploitation les navires à quai dans des conditions
probantes. Dans ce but, les initiatives prises par Tahiti Nui Rava’ai, avec le soutien du Pays, n’ont
pas manqué, mais les résultats n’ont pas encore été avalisés par l’administration fiscale.
Plusieurs voies ont été explorées. Il a d’abord été envisagé de remplacer les exploitants défaillants,
mais cette alternative s’est avérée difficile à mettre en oeuvre.
Le défaut de preneurs en Polynésie française pourrait, s’il se confirmait, déboucher sur des ventes à
l’extérieur du territoire, une fois levées les réticences de la DGI, qui considère avec perplexité l’aide
de la collectivité d’outre-mer à la constitution d’une flotte non polynésienne.
Ainsi, lors de la première tentative de transfert, l’obligation d’exploiter les bateaux en Polynésie
française durant 5 ans, posée par la règlementation fiscale, et l’article 3 des conditions particulières
du contrat de location qui prévoit l’utilisation exclusive des navires dans le secteur de la pêche sur
le seul territoire de la Polynésie française, qui conditionnent l’agrément de la DGI, ont posé
problème. Ce type de transfert nécessite, en outre, le consentement exprès et écrit de la SNC. Aussi,
un premier projet de transfert à la société néo-calédonienne Pescana a été abandonné en raison des
fortes réserves de la DGI, du fait de l’impact limité du projet sur le développement économique de
la Polynésie française.
La recherche de repreneurs polynésiens capables d’exploiter efficacement les navires s’avérant plus
difficile que prévue, une ultime tentative, à base de capitaux publics, a donc été mise en oeuvre,
avec l’accord de la DGI.
Dans un courrier du 20 juin 2006, Tahiti Nui Rava’ai a proposé la création d’une filiale, SAS
AVAI’A, pour l’exploitation des navires restant à quai. Cette solution a été acceptée par le Pays qui
a accepté de verser « une subvention » pour que la société puisse constituer le capital (5 MF CFP).
La société a été créée le 1er octobre 2006. Le capital a été libéré à hauteur de 2,5 MF CFP. L’objet
social est complémentaire de celui de Tahiti Nui Rava’ai, et orienté principalement vers la gestion
des navires «
l’armement, l’exploitation de tous navires de pêche et toutes activités connexes telles
que la formation d’équipages et de capitaines, ainsi que toute opération utile au développement de
la pêche
».
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Cette société privée au capital d’origine essentiellement publique, augmente encore l’implication de
la collectivité d’outre-mer dans le projet en lui faisant investir le domaine de l’exploitation
commerciale des navires, fut-ce par le biais de cette société.
Le premier chantier de la filiale SAS AVAI’A a été d’assurer la remise en exploitation des derniers
thoniers chinois livrés, qui se trouvaient à quai, inexploités.
Au troisième trimestre 2006, trois thoniers ont ainsi été remis en exploitation. Cette opération a été
menée avant le 1er octobre 2006, conformément aux conditions posées par la DGI. Elle a nécessité
des travaux d’entretien financés par Tahiti Nui Rava’ai dans le cadre d’une prestation de service
assurée par la SAS AVAI’A. Cette convention confie à la SAS AVAI’A la remise en état de
6 navires, nombre qui pourra être augmenté par simple lettre. Une équipe technique de 3 agents a
été constituée : un responsable technique, un mécanicien en chef et un manoeuvre. La facturation est
horaire sur la base de 8 175 F CFP, majorés de 2% pour les frais de gestion du prestataire. Tahiti
Nui Rava’ai apporte les pièces et les fournitures.
Le coût pour la remise en état de ces 3 thoniers s’est élevé à moins de 10 MF CFP. La remise en
état et en exploitation des autres navires se poursuit.
Toutefois, la remise en exploitation est une condition nécessaire mais non suffisante au maintien
des financements obtenus dans le cadre de la défiscalisation car elle doit impérativement être
confirmée par des éléments d’exploitation probants, à fournir avant le 15 juin 2007 à la DGI. Au
surplus, cette exploitation publique soutenue par des subventions publiques dans un domaine aussi
concurrentiel que la pêche ne saurait, bien entendu, être que palliative, ne serait-ce qu’en raison des
distorsions de la concurrence qu’elle occasionne.
Une dernière difficulté de nature comptable reste à résoudre pour Tahiti Nui Rava’ai : la
comptabilisation des opérations de construction de thoniers et de cession aux SNC (investisseurs
métropolitains).
Actuellement, pour chacun des programmes de construction, les différents coûts de construction des
navires sont comptabilisés, par navire, au fur et à mesure de l’avancement des travaux dans des
comptes spécifiques d’immobilisation en cours (déclinaisons du compte 238 – avances et acomptes
sur immobilisations - par thonier). La totalité des coûts comptabilisés correspond aux phases
d’avancement prévues dans les cahiers des charges des différents intervenants (chantier naval,
expert maritime, etc.). Lorsque le navire est achevé, le compte d’immobilisation en cours est soldé
par un compte d’immobilisation. Les navires font ensuite l’objet d’une cession auprès de la SNC
métropolitaine. A cette occasion, le compte d’immobilisation du navire est soldé, et la créance sur la
SNC est constatée.
La question de la comptabilisation des thoniers en immobilisation et non en stocks a déjà été
soulevée par l’audit sur les comptes de la Polynésie française et de ses « satellites » réalisé en 2004
par le cabinet DELOITTE. Il y a été signalé que :
« Le traitement comptable de la vente des thoniers n’est pas satisfaisant. L’objet social de la SEM
n’est pas d’être armateur. Aussi, les navires doivent-ils être comptabilisés en stock et non
immobilisés. Leur cession doit ensuite être intégrée en produit d’exploitation ».
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L’expert comptable et le commissaire aux comptes de la SEML ont, à ce sujet, une appréciation
différente. Pour eux, ce n’est que dans le cadre d’entreprises commerciales que les opérations
d’achat (destinées à la revente) sont gérées dans les comptes de stocks.
Or, l’objet social de la
société n’est pas commercial, mais financier, conformément à son objet social. Enfin, ils justifient
cette comptabilisation en immobilisation par le fait que, dans le cadre du montage en
défiscalisation, Tahiti Nui Rava’ai reste tenue de toute une série d’obligations vis-à-vis des navires
pendant toute la durée de la location par l’armateur, notamment, en fin de défiscalisation
métropolitaine, le rachat du navire dans le cas où l’armateur
-
locataire ne le ferait pas. Toutes ces
raisons distinguent, selon eux, ces navires de simples marchandises, en les assimilant à des biens.
Il semble, toutefois, que l’activité de la société ne soit pas uniquement financière puisque l’activité
à laquelle elle se livre s’apparente à de l’achat pour revente, sous conditions, ou à de la location-
vente. Ainsi, les navires sont bien des actifs participant au cycle de production de la société,
identifiables, porteurs d’avantages économiques futurs, et destinés à être vendus sous conditions
aux SNC. Aussi la comptabilisation des thoniers en stock aurait l’avantage de ne pas traiter la vente
des thoniers comme un produit exceptionnel, alors qu’il s’agit de l’activité normale de la société
d’économie mixte. La société devra, comme l’y invitait déjà l’audit susmentionné, en tirer toutes les
conséquences fiscales en matière de TVA.
4.2 – Des contraintes économiques
En ne produisant pas les effets escomptés, le projet n’a pas été efficace. Mais il n’a pas été non plus
efficient puisque pour livrer 43 bateaux, dont deux sont à ce jour inexploitables, le programme
risque de coûter, en cas de réalisation des risques signalés, plus de 5 milliards de F CFP, alors que
les achats de navires aux chantiers navals n’ont pas dépassé 3 milliards de F CFP.
Aussi bien le transfert à la SAS AVAI’A
38
que la recapitalisation récemment décidée sont des
solutions qui restent palliatives. Elles ne règlent en rien le problème de fond, laissant entière la
question de la viabilité de Tahiti Nui Rava’ai sans le recours systématique à l’argent public.
En outre, ces décisions ont été prises alors même que les perspectives actuelles ne laissent entrevoir
aucune amélioration de la rentabilité de la société, apparemment au seul motif que la cessation
d’activité entraînerait de lourdes conséquences.
La charge assumée, à ce jour, par les finances du Pays est déjà très importante, et les risques liés à
la cessation d’activité demeurent considérables. La gravité de la situation oblige, en plus de la
réponse de l’assemblée des actionnaires, à reconsidérer le projet en son entier.
Actuellement, Tahiti Nui Rava’ai est confrontée à plusieurs contraintes économiques qui risquent, si
aucune mesure complémentaire n’est prise, de ruiner les efforts déployés pour sa survie et rendre
inutiles les fonds dépensés à cette fin.
La stratégie de développement de la pêche hauturière devrait être rééquilibrée en lançant des études
sur les capacités réelles de la pêche polynésienne afin d’avoir un panorama complet des réalités du
secteur.
38
L’appréciation de la DGI sur les résultats économiques des transferts récemment opérés doit être connue pour le
15 juin 2007.
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Des mesures d’accompagnement à la hauteur de l’enjeu devraient être décidées de toute urgence
pour faciliter l’exploitation des thoniers. Le développement, signalé par M. TONG SANG, d’outils
modernes d’aide à la pêche permettant aux capitaines de mieux cibler les zones de pêche, et de faire
évoluer leurs méthodes, va incontestablement dans ce sens. Des mesures de soutien au prix du thon,
de prise en charge partielle du coût de la glace ou du fret aérien concourent aussi au développement
de la filière, sans toutefois parvenir jusqu’à présent à la relancer.
Un effort particulièrement déterminé doit être consenti pour faire sauter le goulot d’étranglement
constitué par le nombre trop limité d’équipages et de capitaines expérimentés disponibles en
Polynésie française, afin que la pénurie actuelle ne constitue plus, à l’avenir, un obstacle. A cet
égard, outre le développement de la formation de capitaines de pêche par des stages hauturiers
auprès de compagnies de pêche, une réflexion sur la profession doit être entreprise, notamment sur
le mode de rémunération à la part de pêche afin d’éviter la désertion de la profession en période de
basses captures vers des emplois à salaire fixe. Par ailleurs, pour armer rapidement les navires avec
des équipages hauturiers, la recherche de main-d’oeuvre expérimentée à l’extérieur de la Polynésie
française, à l’instar de ce qui s’est passé pour le développement de la perliculture, ne devrait pas
être exclue.
La mise en place d’une évaluation périodique du projet est, enfin, à encourager pour améliorer les
outils d’appréciation et de pilotage à la disposition des décideurs. Dans ces études, l’impact sur
l’emploi et les résultats économiques des investissements doivent servir de critères pour apprécier
l’efficacité et l’efficience de la politique publique. Pour qu’elles soient pertinentes, ces études
évaluatives devraient, en liaison avec les professionnels du secteur,
être effectuées dans des
conditions garantissant l’indépendance des conclusions.
Une fois reprécisée la stratégie de la collectivité publique, la redéfinition du rôle de la société
d’économie mixte apparaît tout autant indispensable.
Et ce n’est que dans l’hypothèse où des solutions viables pourraient être apportées à ces contraintes
que Tahiti Nui Rava’ai se placerait dans une perspective nouvelle. La société d’économie mixte
serait alors vraiment considérée comme un outil du développement local recherchant la
performance économique au service de l’intérêt général.
Le sort de Tahiti Nui Rava’ai reste dépendant de la collectivité d’outre-mer qui ne peut agir que
dans les limites légales. Or, le maintien en activité d’une société structurellement déficitaire par un
subventionnement permanent de l’exploitation ne saurait se prolonger indéfiniment, sans limites, en
l’absence de perspectives de redressement et en dehors de la mise en oeuvre des procédures prévues
pour les entreprises en difficulté.
Au demeurant, les graves difficultés dans lesquelles se trouve Tahiti Nui Rava’ai, et les charges que
devra probablement supporter le Pays, rendent compte des limites des projets de développement
qui, en donnant la priorité au volet financier des projets, privilégient la quantité des aides fiscales
mobilisables, en repoussant imprudemment au second plan la viabilité économique sans laquelle ni
efficacité, ni l’efficience des fonds publics investis ne sont garanties.
Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française
Observations définitives – S.E.M. Tahiti Nui Rava’ai - séance du 11 juillet 2007
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ANNEXES
ANNEXE 1 : Les comptes de résultats
en KF CFP
CHARGES
2000
2002
2003
2004
2005
2001 (1)
CHARGES D'EXPLOITATION
Achats de marchandises
593
275
-Variation de stock
-588
588
Achats non stockés de mat. et fournitures
Services extérieurs
10 969
23 274
52 111
26 068
16 987
autres services extérieurs
Impôts, taxes et assimilés
96
43
130
351
260
.sur rémunérations
96
43
130
351
260
.autres
Charges de personnel
11 885
4 544
5 026
14 101
18 984
.salaires et traitements
10 363
3 833
4 008
11 515
15 565
.charges sociales
1 522
711
1 018
2 586
3 419
Dotations aux amortissements et provisio
1 889
2 086
5 871
2 674
2 166
.sur immobilisations, amortissements
1 889
2 086
5 871
2 674
2 166
.sur actif circulant, provisions
.pour risques et charges
Autres charges
3
20
19
TOTAL I
24 842
29 947
63 158
43 218
39 260
CHARGES FINANCIERES
intérêts sur emprunts
4 323
20 414
51 619
45 621
66 324
intérêts sur avance du territoire
10 224
7 896
3 642
TOTAL II
4 323
30 638
59 515
49 263
66 324
CHARGES EXCEPTIONNELLES
sur opérations de gestion
134
90
1
648
535
.exercice courant
134
90
1
648
470
.exercices antérieurs
65
VNC des actifs cédés
515 484
2 593 743
1 736 636
114 568
Dotations aux amort. et provisions
0
0
0
375 748
256 930
.dotation à la réserve de trésorerie
.dotation aux amort. et prov. except.
375 748
256 930
TOTAL III
515 618
90
2 593 744
2 113 032
372 033
TOTAL DES CHARGES ( I+II+III )
544 783
60 675
2 716 417
2 205 513
477 617
Solde créditeur = excédent
-
-
-
-
-
TOTAL GENERAL
544 783
60 675
2 716 417
2 205 513
477 617
taux des charges de personnel sur
l'ensemble des dépenses
2,18%
7,49%
0,19%
0,64%
3,97%
(1) : du 27/09/00 au 31/12/01
PRODUITS
2000
2002
2003
2004
2005
2001 (1)
PRODUITS D'EXPLOITATION
Prestations de service
15 500
35
860
Produits des activités annexes
Production immobilisée
Subventions d'ex. et participations
0
0
0
0
186 601
Reprises sur provisions
3 268
288
Transferts de charges
Autres produits
1
5
1
TOTAL I
-
3 268
15 789
40
187 462
PRODUITS FINANCIERS
De valeurs mob. et créances d'actif immob.
autres intérêts
319
11 565
20 378
46 882
63 620
Prduits nets sur cessions de valeurs
TOTAL II
319
11 565
20 378
46 882
63 620
PRODUITS EXCEPTIONNELS
Sur opérations de gestion
0
1 808
85
2 715
1 175
-exercice courant
1 808
85
-exercices antérieurs
2 715
1 175
Sur opérations en capital
517 732
0
2 677 254
2 140 939
118 004
cession d'actif (y compris intérêts défiscalisés)
345 739
1 789 493
1 766 672
118 004
quote part sur subv. D'investissement
171 993
887 761
31 222
part abandonnée sur défisc. Locale
343 045
Reprises sur provisions
0
0
0
0
0
-reprises sur la réserve de trésorerie
-reprises sur autres provisions
TOTAL III
517 732
1 808
2 677 339
2 143 654
119 179
Total des produits ( I + II + III)
518 051
16 641
2 713 506
2 190 576
370 261
Solde débiteur = déficit
26 732
44 034
2 911
14 937
107 356
TOTAL GENERAL
544 783
60 675
2 716 417
2 205 513
477 617
(1) : du 27/09/00 au 31/12/01
2001 et 2002 pas de recettes d'exploitation, la SEML envisage ponctuellement des missions de conseils
et d'études technique dans son domaine de compétence
AGENTS MIS A DISPO. Non comptabilisé en subv. d'exploitation
la cession d'actifs comprend les intérêts intercalaires des crédits relais ("intérêts défiscalisés")
que la DGI a accepté d'incorporer dans le rpix de revient des navires, à compter des thoniers cédés en 2003.
Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française
Observations définitives - S.E.M. Tahiti Nui Rava'ai - séance du 11 juillet 2007
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F
ANNEXE 2 : Le bilan
en KF CFP
ACTIF (net)
2000
2002
2003
2004
2005
2001(1)
ACTIF
IMMOBILISE
Immobilisations incorporelles
2 212
1 459
712
253
0
- Frais d'établissement
1 156
848
540
232
0
- Autres
1 056
611
172
21
0
Immobilisations corporelles
107 091
1 216 303
71 612
74 872
4 837
- Terrains
- Constructions
- Install. techn., matériel et outillage ind.
1 703
- agencements
- Autres immobilisations corporelles (2)
7 289
5 956
8 338
6 750
4 837
- Immobilisations corporelles en cours (c/238 avances sur immo.= navires en
cours de construction)
99 802
1 210 347
61 571
68 122
Immobilisations financières
0
0
237
237
5 237
- Participations
5 000
- Autres titres immobilisés
- Prêts
- dépôt de garantie EDT et port autonome pour location bureaux
237
237
237
TOTAL
I
109 303
1 217 762
72 561
75 362
10 074
c/238 = 1 navire
TNR52
c/238 = 1 navire
TNR57
COMPLEMENTS
AU
BILAN
IMMOBILISATIONS
(compte de gestion - bilan)
- Amortissements totaux (immobilisations)
1 889
3 975
5 651
8 145
10 312
- Amortissements des constructions
1 228
2 561
3 417
5 435
7 349
- Amortissements des installations et matériel
47
Provisions pour créances irrécouvrables (49)
CREDITS DE TRESORERIE (519)
(2) la liste des 1ers équipements figure p.8 de l'annexe du bilan 2000/2001
ACTIF (net) (suite)
2000
2002
2003
2004
2005
2001
ACTIF
CIRCULANT
Stocks et en-cours
0
0
0
588
0
- Marchandises - matériel de pêche
588
- Autres stocks
Créances d'exploitation
345 739
196 570
1 649 849
2 829 584
2 548 990
- produits à recevoir
424
6 001
220 557
- solde crédits vendeurs
345 739
196 570
1 623 332
2 105 522
1 972 548
- RAR dépôts de garantie
armateurs
107 385
71 000
- RAR échéances crédits vendeurs
26 093
75 410
222 731
- RAR apports investisseurs métro.
535 266
62 154
Créances diverses
179 516
93 577
4 036
8 850
6 542
- subventions invest à recevoir
171 993
86 400
- avances aux armateurs (sur assurances des navires)
6 542
- Autres
1 013
1 677
4 036
8 850
capital souscrit et appelé, non versé
6 510
5 500
Disponibilités
10 708
10 226
220 248
280 331
127 216
Charges constatées d'avance
114
157
192
131
184
TOTAL
II
536 077
300 530
1 874 325
3 119 484
2 682 932
COMPTES DE REGULARISATION
Charges à répartir
3 268
TOTAL
GENERAL
ACTIF
645 380
1 521 560
1 946 886
3 194 846
2 693 006
(1) : du 27/09/00 au 31/12/01
PASSIF
2000
2002
2003
2004
2005
2001(1)
CAPITAUX PROPRES
capital social
200 000
200 000
200 000
280 000
280 000
Réserves
Report à nouveau
-26 733
-70 768
-73 677
-88 615
Résultat de l'exercice (+/-)
-26 733
-44 035
-2 909
-14 938
-107 357
Subventions d'investissement
83 495
31 223
TOTAL CAPITAUX PROPRES
173 267
212 727
157 546
191 385
84 028
Provisions réglementées
Provisions pour risques et charges
375 748
632 677
dont rétrocession d'avantages fiscaux "Flosse" aux armateurs
338 047
371 309
dont irrecouvrabilité crédit-vendeur
37 700
112 000
dont remise en état des navires
75 000
dont non versement des apports des armateurs
62154
TOTAL I
173 267
212 727
157 546
567 133
716 705
Dettes financières
251 413
864 344
1 516 312
1 784 996
1 795 359
- Emprunts obligataires
- Emprunts auprès d'établissements de cr.(y compris intérêts courus)
127
196 606
1 196 105
1 294 515
1 618 354
- crédits relais (y compris intérêts courus)
413 228
60 000
- avance en compte courant du territoire (y compris intérêts), devenu prêt de la P
en 2004
244 286
254 510
260 207
186 481
177 005
- avances en compte courant par SOCREDO défisc. FLosse
304 000
- dépôts de garantie des locataires de navires
7 000
Avances reçues
800
Dettes diverses
220 700
444 489
273 028
841 917
180 942
- Dettes fournisseurs (chantiers navals)
175 156
436 534
263 680
638 608
151 089
- factures non parvenues
44 460
3 210
198 136
25 193
- charges à payer
- Dettes fiscales et sociales
980
175
3 065
2 332
1 676
- autres dettes
104
4 570
6 283
2 841
2 984
Produits constatés d'avance
TOTAL
III
472 113
1 308 833
1 789 340
2 627 713
1 976 301
COMPTES DE REGULARISATION
Recettes à classer et à régulariser
Ecarts de conversion passif
TOTAL
GENERAL
PASSIF
645 380
1 521 560
1 946 886
3 194 846
2 693 006
(1) : du 27/09/00 au 31/12/01
FR
308 377
553 919
-
1 541 297
1 972 767
2 501 990
BFR
297 669
150 917
-
1 381 049
1 997 236
2 374 774
Trésorerie
10 708
403 002
-
160 248
24 469
-
127 216
Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française
Observations définitives - S.E.M. Tahiti Nui Rava'ai - séance du 11 juillet 2007
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