Cour des comptes
Le Premier président
Réf.
:
no
68814
à
Monsieur Manuel Valls
Premier ministre
Le
Objet
:
traitement du dossier des déchets de Stocamine, filiale
à
100 % des Mines de
potasse d'Alsace (MDPA)
La Cour a procédé au contrôle des comptes, de la gestion et de la liquidation de la société
des Mines de potasse d'Alsace (MDPA) pour les exercices 2005
à
2012 en application de
l'article
L.
133-1 du code des juridictions financières.
À
l'issue de son contrôle, après avoir
pris connaissance des réponses de la société et de l'administration
à
ses observations
provisoires, la Cour m'a demandé, en application des dispositions de l'article
R.
143-1 du
même code, d'appeler votre attention sur la gestion par les pouvoirs publics du dossier relatif
aux déchets de Stocamine, filiale
à
100
%
des MD PA.
-=000=-
Dans les années 1990, le groupe Entreprise minière et chimique (EMC)
a,
dans le cadre de
la reconversion du bassin potassique, créé la société Stocamine, pour exploiter un stockage
souterrain de déchets industriels. Stocamine est devenue une filiale
à
100
%
des MDPA en
2004. Le stockage a été réalisé,
à
600 mètres de profondeur, sous les installations de quatre
concessions minières des MDPA.
Le site de Stocamine est une installation classée pour la protection de l'environnement,
autorisée par arrêté préfectoral en 1997. Son exploitation, débutée en 1999, a été arrêtée en
septembre 2002
à
la suite d'un incendie de déchets situés dans le bloc 15 ; et le stockage a
été abandonné en septembre 2003.
Le
site abrite 44 000 tonnes de déchets industriels dont
7 000 contenant
du
mercure
dangereux pour la
nappe
phréatique.
Le
code
de
l'environnement dispose que la fermeture du stockage est engagée dans les trois ans
suivant l'arrêt d'activité et
le
code minier impose l'entretien des installations souterraines.
Le traitement final des déchets stockés au fond par Stocamine a fait l'objet de débats depuis
2003, débats portant pour l'essentiel sur
le
choix
à
faire entre remontée totale ou partielle
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des déchets ou confinement partiel
ou
total de ces déchets. Aucune décision définitive n'a
pourtant été prise par les pouvoirs publics.
Le directoire des MDPA s'est, jusqu'à
la
fin de
2008,
centré sur la réduction des effectifs et
la
gestion de l'après-mine sans traiter le dossier Stocamine.
Ce
dossier est devenu central
dans
la
stratégie retenue en
2009
par
le
liquidateur, à
la
suite de la dissolution et de
la
mise
en liquidation amiable des MDPA. Son action et celle de son équipe, positives sur de très
nombreux points, ont conduit à des économies importantes et ont permis le transfert à l'État,
au
1er
septembre
2011,
des installations et immeubles liés aux concessions des MDPA à
l'exception de celles concernées par Stocamine.
La
liquidation des MDPA est terminée et
le
seul préalable à sa clôture est maintenant le règlement de la question des déchets.
Après avoir décrit brièvement l'historique du dossier,
la
présente communication s'attache à
présenter les graves conséquences de l'inaction des pouvoirs publics.
A.
L'ATTENTISME
DES
POUVOIRS PUBLICS
L'essentiel de la période sous revue a été caractérisé, sur
un
sujet perçu comme très
sensible par les ministres et leurs cabinets, par l'attentisme des pouvoirs publics. Des
missions et une concertation se sont succédé
au
cours de cette période, sans déboucher sur
une solution. Une seconde concertation vient d'être décidée.
La perspective de la mise en liquidation des MDPA a conduit le directoire, en
septembre
2007,
à adresser une note au ministre chargé de l'environnement sur les
problèmes posés par les déchets de Stocamine.
Près d'un an plus tard, en août
2008,
le
directeur du cabinet du ministre a confié une mission
conjointe aux conseils généraux de l'industrie, de l'environnement et à l'inspection générale
des finances. Aux termes de
la
lettre de saisine, elle devait « permettre au ministre de
décider entre le confinement et
la
réversibilité en identifiant les conditions juridiques,
techniques et financières de mise en oeuvre de chacune des options, leurs calendriers et les
responsabilités
».
La mission devait aussi faire des propositions sur le débat public et son
rapport était attendu en octobre
2008.
Ce rapport formellement remis en septembre
201
0
concluait à la possibilité du confinement
définitif de certains produits sans exclure
la
remontée d'autres produits et suggérait une
concertation locale.
Il
s'en est suivi
un
courrier du directeur de cabinet au préfet du
Haut-Rhin indiquant que c'est «
au
vu
des résultats de
la
concertation que les exploitants
proposeront, d'ici février
2011,
le
scénario de fermeture du dossier administratif
».
Cette concertation sur les scénarios de fermeture a été menée, de septembre
2010
à
juillet
2011,
par
la
commission locale d'information et de surveillance de Stocamine sous
l'égide d'un comité de pilotage. Elle s'est notamment appuyée sur l'étude comparative,
menée par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS}, de
l'impact sur l'environnement et la santé des intervenants des options envisageables.
L'estimation des coûts a été affinée avec des spécialistes du stockage souterrain
ou
de la
reprise de déchets. Selon ces études,
le
confinement définitif, qui coûterait
11
0
M€,
préserverait la nappe pendant plus d'un millénaire.
La
remontée préalable d'un peu plus de
la moitié des déchets « mercuriels
»
tranquilliserait
la
population avec un surcoût de 6 M€
sans décaler la fermeture du stockage, vers
2019-2020.
Les autres solutions augmentent
sensiblement les coûts, à
136
M€ pour
le
déstockage de
90
%
des déchets
les
plus
dangereux et
160
M€ pour celui de tous les déchets sauf ceux du bloc
15.
Elles repoussent
la
fermeture et, surtout, font courir des risques majeurs aux intervenants. Les aléas
techniques sont tels que
la
plupart des experts estiment qu'elles ne pourront être menées à
bien.
Dans
le
rapport déposé en juillet
2011
par
le
comité de pilotage,
10
de ses
12
experts
français et étrangers préconisent
le
retrait partiel des déchets contenant du mercure et le
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confinement au fond du reste.
La
concertation n'a cependant débouché sur aucune décision des pouvoirs publics en 2011,
ce qui n'a pas été compris localement.
Les services ont à nouveau saisi, en juin 2012, les directeurs de cabinet des ministres
chargés de l'écologie et du redressement productif. Les ministres ont demandé à Stocamine,
à la fin de décembre 2012, de présenter
un
dossier de fermeture sur
la
base du scenario
retenu par
le
comité de pilotage, retrait partiel des déchets mercuriels et confinement au
fonds du reste.
Au printemps 2013, Stocamine avait lancé les premiers marchés et finalisé
le
dossier
administratif.
Il
n'a pas été déposé,
la
ministre ayant décidé de procéder à une nouvelle
concertation. Le coût total de la fermeture du stockage était alors estimé à 115,7 M€ sur la
période de 2013 à 2019, à rapprocher de dépenses annuelles de l'État de 5,5 M€ en cas de
maintien du
statu quo
ou de retard dans
la
décision.
Le ministère chargé de l'écologie a indiqué à
la
Cour que
la
ministre avait souhaité une
nouvelle concertation « au
vu
des diverses inquiétudes exprimées au niveau local
».
Elle
devait intervenir à
la
fin de 2013 et
au
début de 2014 selon des modalités adaptées du
nouvel article
L.
121-16 du code de l'environnement dont le décret d'application n'est pas
encore paru.
Il
serait très regrettable qu'elle retardât encore
le
traitement d'un dossier dont
les aspects environnementaux, techniques et sanitaires des différentes options n'ont pas
changé depuis la précédente concertation et sur lequel des expertises concordantes ont
préconisé
la
solution retenue dès le mois de décembre 2012.
B.
LES
CONSÉQUENCES DOMMAGEABLES
DE
L'INACTION
a-
Le coût pour les finances publiques
La Cour a estimé
le
coût de l'absence de décision des pouvoirs publics sur les déchets de
Stocamine à partir de données fournies par l'administration.
Il
couvre le personnel, les frais
de structure et les prestations de l'opérateur minier. La direction générale de l'énergie et du
climat (DGEC) estimait, en 2012, l'entretien du stockage à 4,5 M€ par an, montant cohérent
avec les comptes.
Il
faut y ajouter les charges de structure des MDPA qui ne peuvent
renoncer aux concessions avant
la
fermeture du stockage.
Le
« coût de l'attente » est
annuellement de 5,5 M€ pour
le
programme
17
4.
Il
est
in fine
assumé par
le
contribuable.
La
mise en oeuvre de
la
solution annoncée par les ministres à
la
fin de 2012 conduisait déjà à
la
fermeture du stockage dans environ huit ans, soit
un
délai peu inférieur à celui qui a séparé
la fin de l'exploitation du stockage et l'annonce de cette solution.
L'inaction des pouvoirs publics a donc coûté
un
minimum de 45 M€ aux finances publiques à
la fin de 2012, soit huit ans d'attente avec des charges annuelles de 5,5 M€ d'entretien de
la
mine et des structures.
b-
Des travaux dont
la
difficulté s'accroît avec le temps
Cette attitude des pouvoirs publics a accru
la
difficulté des travaux et les aléas techniques.
Les études montrent que la convergence des terrains et
la
vétusté croissante de
la
mine
rendent plus délicat l'accès au stockage ; la détérioration du conditionnement des déchets
rend leur extraction plus délicate. Les experts soulignent les risques d'accident corporel
ou
d'exposition chimique pour les personnels qui en seront chargés.
c-
Les risques de crispation
au
plan local
L'incendie de 2002 a frappé les esprits, soulevé des interrogations sur les déchets et donné
une mauvaise image de Stocamine. Après une période d'apaisement,
la
concertation de
septembre 2010 à juillet
2011
a envenimé la situation : de technique, la question est
devenue politique, l'absence de décision suscitant des interrogations même de ceux qui
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étaient favorables au compromis.
Outre l'augmentation des risques pour les intervenants et les aléas techniques croissants, la
contrainte budgétaire pourrait ralentir les opérations, aucun aspect nouveau ne semblant
justifier une solution plus longue, plus risquée et plus coûteuse que celle décidée à
la
fin de
2012.
Il
en résulterait finalement
un
coût plus élevé pour l'État puisqu'à la prolongation de
dépenses annuelles de 5,5 M€ s'ajouterait ensuite,
in fine,
celles de fermeture du stockage.
La
Cour formule donc les recommandations suivantes :
recommandation
no
1
:
la
nouvelle concertation ne doit pas, une nouvelle fois,
retarder le traitement d'un dossier dans lequel les aspects environnementaux,
techniques et sanitaires des différentes options n'ont pas changé depuis
la
fin de
la
précédente concertation ; les pouvoirs publics doivent sensibiliser les acteurs
de cette nouvelle concertation sur le fait que des expertises concordantes ont
préconisé la solution annoncée en décembre 2012, sur l'urgence de prendre une
décision et sur l'impératif de prise en compte de
la
sécurité des personnels qui
interviendront au fond ;
recommandation
no
2
:
les tutelles doivent veiller, pendant les travaux sur les
déchets, à ce que les MDPA disposent d'une trésorerie suffisante pour éviter tout
incident de paiement. Pour ce faire,
la
programmation pluriannuelle et les
éventuelles mesures de régulation budgétaire doivent sanctuariser les crédits
nécessaires.
Le
versement du premier acompte de
la
subvention doit, par ailleurs,
impérativement intervenir
au
premier trimestre ;
recommandation
no
3 : les tutelles devront,
le
moment venu, engager une
réflexion sur
le
financement par Stocamine du groupement d'intérêt public (GIP)
Joseph Else.
-=000=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans
le
délai de deux mois prévu à l'article
L.
143-5 du code des juridictions financières,
la
réponse que vous aurez donnée à la
présente communication.
Je vous rappelle qu'en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi,
le
présent référé sera transmis aux commissions des
finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Il
sera accompagné de votre réponse
1
- sous votre signature personnelle exclusivement - si elle est parvenue à la Cour dans
ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès réception par
la
Cour
(article
L.
143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi,
la
Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet
le
présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-1);
en tant que destinataire du présent référé, vous avez l'obligation de fournir à
la
Cour
un compte rendu des suites que vous lui donnerez,
en
vue de la présentation que
la
Cour doit faire, dans son rapport public annuel, des suites données à ses
1 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature
et un fichier Word)
à
l'adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.
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BP 52195 • 75021 PARIS Cedex
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ll
0
68814
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observations (article
L.
143-10-1).
Ce
compte rendu doit être adressé
à
la
Cour,
en
juin de chacune des trois années suivant celle
de
l'envoi du référé, selon les
modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre la Cour
et
votre
administration.
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