LES SOUTIENS À LA
PRODUCTION
CINÉMATOGRAPHIQUE
ET AUDIOVISUELLE :
DES CHANGEMENTS
NÉCESSAIRES
Rapport public thématique
Avril 2014
Cour des comptes
Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle – avril 2014
13 rue Cambon 75100 PARIS CEDEX 01 - tel : 01 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sommaire
DÉLIBÉRÉ
........................................................................................
9
INTRODUCTION
...........................................................................
11
CHAPITRE I - UN SYSTÈME DE SOUTIEN EN EXPANSION
CONTINUE
......................................................................................
17
I
- Des aides directes en forte augmentation
...........................................
19
A - Les aides du CNC
.................................................................................
21
B - Les dépenses fiscales
..........................................................................
27
C - Les aides locales
..................................................................................
40
D - Les garanties bancaires de l’IFCIC
.......................................................
43
II
- Des soutiens indirects d’une complexité croissante
............................
46
A - Les obligations pesant sur les diffuseurs
............................................
47
B - Un régime de plus en plus complexe
..................................................
53
C - Les diffuseurs, principaux financeurs de la production
cinématographique et audiovisuelle
........................................................
55
CHAPITRE II - LE SOUTIEN À LA PRODUCTION
CINÉMATOGRAPHIQUE : UN MODÈLE ORIGINAL SOUS
TENSION
.........................................................................................
61
I
- Les atouts de la mutualisation des coûts
.............................................
62
A - Le financement des œuvres en contrepartie d’un intéressement à leur
exploitation
..............................................................................................
62
B - Une intervention publique destinée à compléter et à sécuriser les
préfinancements
......................................................................................
66
C - Des résultats incontestables
...............................................................
71
II
- Un modèle fragilisé
.............................................................................
74
A - L’inflation des coûts
............................................................................
75
B - Une tension croissante entre le volume de production et les
perspectives d'exposition
.........................................................................
79
C - La dégradation de la rentabilité des SOFICA et de la distribution
......
84
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4
COUR DES COMPTES
III
- Les pistes d’adaptation du soutien
....................................................
86
A - Différencier les enjeux de financement
..............................................
86
B - Adapter les aides publiques
................................................................
88
C - Conforter le rôle d’expertise économique du CNC
.............................
92
CHAPITRE III - LE SOUTIEN À LA PRODUCTION
AUDIOVISUELLE : DES PERFORMANCES SANS RAPPORT
AVEC LES MONTANTS INVESTIS
.............................................
97
I
- La priorité donnée à la production indépendante
................................
98
A - Une politique publique née avec la libéralisation de l’audiovisuel
....
99
B - Des conséquences profondes sur le modèle de soutien public
........
100
II
- Un environnement changeant, un soutien important
.......................
102
A - Un paysage audiovisuel en pleine reconfiguration
...........................
102
B - Des contributions cumulées d’un montant inégalé en Europe
.........
104
C - Une importance cruciale dans le plan de financement des
programmes
...........................................................................................
108
III
- Une efficacité économique incertaine
.............................................
109
A - L’échec de la structuration économique de la filière
........................
109
B - Un risque de dévoiement
..................................................................
112
C - La fiction française : une baisse de la performance, des évolutions en
cours
.......................................................................................................
116
IV
- Une réorientation nécessaire
..........................................................
119
A - Un meilleur ciblage des obligations d’investissement
......................
119
B - Un meilleur équilibre à trouver entre producteurs et diffuseurs
.....
124
C - Un enjeu d’orientation et de niveau des aides publiques
................
128
CHAPITRE IV - LES DÉFIS DE LA NUMÉRISATION DANS
UN MARCHÉ MONDIALISÉ
.....................................................
135
I
- Le défi de la concurrence internationale
............................................
136
A - L’attractivité du territoire pour les productions internationales et
nationales : des instruments à mieux coordonner
.................................
137
B - La compétitivité à l'exportation : des atouts à consolider
................
146
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SOMMAIRE
5
II
- Une transition numérique source d’opportunités plus que de
menaces
.................................................................................................
158
A - Une économie traditionnelle ébranlée dans ses fondements par la
transition en cours
.................................................................................
158
B - Des réponses encore insuffisantes
...................................................
170
CONCLUSION GÉNÉRALE
........................................................
187
RÉCAPITULATIF DES RECOMMANDATIONS
...................
193
ANNEXES
.....................................................................................
197
RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS ET DES ORGANISMES
CONCERNÉS
................................................................................
233
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Les rapports publics de la Cour des comptes
- élaboration et publication -
La Cour publie, chaque année, un rapport public annuel et des
rapports publics thématiques.
Le présent rapport est un rapport public thématique.
Les rapports publics de la Cour s’appuient sur les contrôles et les
enquêtes conduits par la Cour des comptes ou les chambres régionales des
comptes et, pour certains, - ce qui a été le cas pour la présente enquête -
conjointement entre la Cour et les chambres régionales ou entre les chambres.
En tant que de besoin, il est fait appel au concours d’experts extérieurs, et des
consultations et des auditions sont organisées pour bénéficier d’éclairages
larges et variés.
Au sein de la Cour, ces travaux et leurs suites, notamment la
préparation des projets de texte destinés à un rapport public, sont réalisés par
l’une des sept chambres que comprend la Cour ou par une formation
associant plusieurs chambres.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour des comptes, ainsi que des chambres régionales des comptes, et
donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration
des rapports publics : l’indépendance, la contradiction et la collégialité.
L
’indépendance
institutionnelle
des
juridictions
financières
et
statutaire de leurs membres garantit que les contrôles effectués et les
conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique
que
toutes
les
constatations
et
appréciations ressortant d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes
les
observations
et
recommandations
formulées
ensuite,
sont
systématiquement soumises aux responsables des administrations ou
organismes concernés ; elles ne peuvent être rendues définitives qu’après
prise en compte des réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des
responsables concernés.
La publication d’un rapport public est nécessairement précédée par la
communication du projet de texte que la Cour se propose de publier aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Dans le rapport
publié, leurs réponses accompagnent toujours le texte de la Cour.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication.
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8
COUR DES COMPTES
Tout contrôle ou enquête est confié à un ou plusieurs rapporteurs.
Leur rapport d’instruction, comme leurs projets ultérieurs d’observations et
de recommandations, provisoires et définitives, sont examinés et délibérés de
façon collégiale, par une chambre ou une autre formation comprenant au
moins trois magistrats, dont l’un assure le rôle de contre-rapporteur, chargé
notamment de veiller à la qualité des contrôles. Il en va de même pour les
projets de rapport public.
Le contenu des projets de rapport public est défini, et leur élaboration
est suivie, par le comité du rapport public et des programmes, constitué du
premier président, du procureur général et des présidents de chambre de la
Cour, dont l’un exerce la fonction de rapporteur général.
Enfin, les projets de rapport public sont soumis, pour adoption, à la
chambre du conseil où siègent en formation plénière ou ordinaire, sous la
présidence du premier président et en présence du procureur général, les
présidents de chambre de la Cour, les conseillers maîtres et les conseillers
maîtres en service extraordinaire.
Ne prennent pas part aux délibérations des formations collégiales,
quelles qu’elles soient, les magistrats tenus de s’abstenir en raison des
fonctions qu’ils exercent ou ont exercées, ou pour tout autre motif
déontologique.
*
Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne
sur le site internet de la Cour des comptes et des chambres régionales et
territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
. Ils sont diffusés par
La
Documentation Française
.
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Délibéré
La Cour des comptes, délibérant en chambre du conseil réunie en
formation ordinaire, a adopté le présent rapport intitulé
Les soutiens à la
production cinématographique et audiovisuelle : des changements
nécessaires
.
Le rapport a été arrêté au vu du projet communiqué au préalable
aux administrations et aux organismes concernés et des réponses
adressées en retour à la Cour.
Les réponses sont publiées à la suite du rapport. Elles engagent la
seule responsabilité de leurs auteurs.
Ont participé au délibéré : M. Migaud, Premier président,
Mme Froment-Meurice, MM. Durrleman, Levy, Lefas, Briet, Mme Ratte,
M. Vachia, M. Paul, présidents de chambre, MM. Picq, Babusiaux, Bayle,
présidents de chambre maintenus en activité, MM. Rémond, Duchadeuil,
Pannier, Andréani, Mme Morell, M. Perrot, Mme Ulmann, MM. Bertucci,
Tournier, Diricq, Mme Trupin, MM. Ravier, Vialla, Ory-Lavollée,
Arnaud d’Andilly, Mousson, Guéroult, Viola, Rousselot, Laboureix,
Mme Esparre, MM. Geoffroy, Mourier des Gayets, Mme Fontaine,
MM. Écalle, Bouvard, Mme Soussia, MM. Basset, Fulachier, conseillers
maîtres, MM. Blairon, Jouanneau, Sarrazin, conseillers maîtres en service
extraordinaire.
Ont été entendus :
-
en sa présentation, M. Lefas, président de la chambre chargée des
travaux sur lesquels le rapport est fondé et de la préparation du
projet de rapport ;
-
en son rapport, M. Paul, rapporteur général, rapporteur du projet
devant la chambre du conseil, assisté de M. Tournier, conseiller
maître, M. Herbin, conseiller référendaire, Mmes Sorbe et
Lucidi, auditrices, rapporteurs devant la chambre chargée de le
préparer, et de M. Andréani, conseiller maître, contre-rapporteur
devant cette même chambre ;
-
en ses conclusions, sans avoir pris part au délibéré, M. Johanet,
procureur général. Il était accompagné de M. Miller.
M. Jérôme Filippini, secrétaire général, assurait le secrétariat de la
chambre du conseil.
Fait à la Cour, le 25 mars 2014
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10
COUR DES COMPTES
Le projet de rapport soumis à la chambre du conseil a été préparé,
puis délibéré le 25 novembre 2013, par la troisième chambre, présidée par
M. Lefas, président de chambre, et composée de MM. Pichon, Bayle,
présidents de chambre maintenus en activité, Frangialli, Gautier,
Braunstein, Phéline, Barbé, Tournier, Frentz, Saudubray, Glimet,
Mme Dardayrol, conseillers maîtres et Blairon, Marland, conseillers
maîtres en service extraordinaire, ainsi que, en tant que rapporteurs,
M. Herbin, conseiller référendaire, Mme Sorbe, auditrice, rapporteur de
synthèse, Mme Lucidi, auditrice, et, en tant que contre-rapporteur,
M. Andréani, conseiller maître.
Le projet de rapport a été examiné et approuvé, le 7 janvier 2014,
par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des
comptes, composé de MM. Migaud, Premier président, Bertrand,
rapporteur général du comité, Mme Froment-Meurice, MM. Durrleman,
Levy, Lefas, Briet, Mme Ratte et M. Vachia, présidents de chambre, et
M. Johanet, procureur général, entendu en ses avis.
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Introduction
Pays de naissance du cinéma, la France occupe dans ce secteur une
place reconnue. Elle reste aujourd'hui l’État membre de l'Union
européenne qui produit le plus de films (270 en 2013), et la diffusion de
ces films se maintient à un niveau plus élevé que partout ailleurs en
Europe, avec une part de marché en salles supérieure à 30 %. Dans le
monde, les films français ont pu réunir, au cours de l’année
exceptionnelle qu’a été 2012, 140 millions de spectateurs dans les salles
étrangères et 82 millions en France. En matière audiovisuelle, la France a
produit près de 5 200 heures de programmes patrimoniaux
1
en 2012.
Les investissements dans la production cinématographique ou
audiovisuelle patrimoniale représentent, en 2012, respectivement 1,3 Md€
et 1,4 Md€. Les emplois dans la production de films ont été évalués à près
de 35 000 par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)
en 2009
2
, et près de 49 000 emplois ont été déclarés par les entreprises
productrices
de
fiction
audiovisuelle
en
2010.
La
production
cinématographique alimente les 5 502 salles du territoire, dont les recettes
atteignent 1,3 Md€ en 2012. Le poids économique du secteur est donc
important
3
.
Qu’elle appartienne au genre du cinéma ou de l’audiovisuel, la
production d’images animées relève d’une économie de projets : une idée
s’incarne dans un synopsis ou un scénario qui doit trouver, grâce à un
producteur, des investisseurs prêts à en financer la réalisation. L’oeuvre
est ensuite proposée au public, via les distributeurs, diffuseurs et
exploitants. En fonction de son succès, les recettes assurent, en principe,
directement ou indirectement, l’amortissement des frais engagés par les
différents acteurs de la filière.
1
Les programmes patrimoniaux, également appelés « programmes de stock »,
correspondent principalement aux oeuvres de fiction, aux documentaires et
programmes d’animation. Ils conservent, après leur première diffusion, une valeur
patrimoniale, à la différence des programmes de flux comme les émissions de plateau,
les informations, les jeux, la météo, les retransmissions sportives et la plupart des
magazines (cf. article 27-3° de la loi du 30 septembre 1986).
2
L’emploi dans les films cinématographiques
, étude réalisée conjointement par le
CNC et le groupe Audiens à partir de 518 films d’initiative française de fiction
cinématographique agréés entre 2006 et 2009.
3
L’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires culturelles
estiment la valeur ajoutée du secteur du cinéma et de l’audiovisuel respectivement à
3,6 Md€ et 5,2 Md€ en 2011 (IGF-IGAC,
L’apport de la culture à l’économie en
France,
décembre 2013).
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12
COUR DES COMPTES
Compte tenu de la taille du marché national et des freins à
l’exportation qu’opposent les barrières linguistiques et les spécificités
culturelles nationales, les recettes générées par les oeuvres d’origine
française ne suffisent généralement pas, à elles seules, à garantir que
puissent être rentabilisés les coûts importants attachés à la production de
films de cinéma, et, dans une moindre mesure, à celle des contenus
audiovisuels.
La France a instauré par étapes, depuis la fin des années 1940, un
dispositif unique de soutien à la production cinématographique, étendu
dans les années 1980 à la production audiovisuelle. Ce dispositif
comprend des aides budgétaires appuyées sur un mécanisme de taxes
affectées, des aides des collectivités territoriales et des dépenses fiscales
qui ont considérablement augmenté au cours des dix dernières années. Il
est complété par un encadrement juridique de certaines dépenses et
recettes, publiques ou privées, tant dans leur montant ou leur orientation
(obligations d’investissement des diffuseurs) que dans leur temporalité
(chronologie des médias).
La justification de cette économie administrée est la protection des
acteurs économiques et la régulation de leurs relations, avec pour
objectifs finaux la diversité de la production et la défense de la création
française et européenne sur le marché national et mondial. C’est cet
ensemble qui forme la politique publique de soutien à la production
cinématographique et audiovisuelle.
Si de tels systèmes d’aide ont été mis en place dans de nombreux
autres pays européens, ils n’y ont ni la même ampleur, ni la même
diversité d’instruments utilisés, ni le même coût : la France concentre en
effet les deux tiers des aides au cinéma et à l’audiovisuel dispensées par
l’ensemble des États membres de l’Union européenne. En outre, le
volume de ces aides s’est fortement accru : de 2002 à 2012, leur
augmentation a atteint 88 %, soit quatre fois la hausse du budget de l’État
sur la même période.
Par ailleurs, l'évolution rapide des technologies numériques et des
pratiques de consommation affaiblit les sources de financement du
système et soumet les acteurs à de fortes tensions. Pour maintenir et
développer la présence de la France sur le marché mondial, la politique de
soutien doit faire la preuve de capacités d'adaptation accrues.
Dans ce contexte particulièrement mouvant, le présent rapport
s’attache à apprécier si les objectifs fixés à la politique publique sont
atteints, si les résultats obtenus au cours des dix dernières années sont à la
mesure de l’augmentation des moyens engagés et si les mécanismes de
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INTRODUCTION
13
soutien sont adaptés aux défis de la numérisation dans un marché
mondialisé.
Les objectifs de la politique de soutien
Les objectifs de la politique de soutien conduite par le CNC figurent à
l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée. Ils sont ainsi
précisés dans son document stratégique de performance
4
:
- « assurer une présence forte des oeuvres cinématographiques et
audiovisuelles françaises et européennes, sur notre territoire et à l’étranger, et
pour cela apporter un soutien à caractère économique à l’ensemble des
acteurs des filières concernées » ;
- « contribuer à la diversité et au renouvellement de la création et de la
diffusion ».
Par ailleurs, l’action « Industries culturelles » du programme 334 -
Livre et industries culturelles
(au sein de la mission
Médias, livre et
industries culturelles)
, attribue à l’intervention publique un rôle pour
« assurer la diversité et le renouvellement de la création, ainsi que sa
diffusion auprès des publics les plus larges ».
5
Les objectifs assignés aux chaînes de l’audiovisuel public en matière
de production sont, pour leur part, détaillés dans leurs contrats d’objectifs et
de moyens et, concernant France Télévisions, dans son cahier des charges.
France Télévisions s’engage ainsi à contribuer à « la diversité de la
production cinématographique », à soutenir « un cinéma d'initiative française
et européenne fort, pluriel et indépendant », et à développer « une action
ambitieuse en matière de fiction audiovisuelle », favorisant notamment « le
renouvellement des écritures, des formats et des thèmes ».
6
Or ces résultats sont ambivalents :
-
les succès d’estime et d’audience remportés par le cinéma
français (
The Artist
,
Intouchables
,
La Vie d’Adèle
, etc.) sont
4
Au titre de l’article L. 114-2 du code du cinéma et de l’image animée, le CNC établit
chaque année un document stratégique de performance, adressé au Parlement en
même temps que le projet de loi de finances, qui « rend compte du rendement et de
l’emploi prévisionnels des taxes et prélèvements et autres produits qu’il perçoit ou qui
lui sont affectés en application des dispositions du présent livre.
».
5
Le projet annuel de performances pour 2014 précise que « l’intervention publique ne
vise naturellement pas à se substituer aux acteurs privés, vecteurs naturels de la
création et garants de son financement, mais à assurer certains équilibres, notamment
en termes de diversité et d’accès à l’offre, que les règles économiques du marché
n’assurent pas à elles seules ».
6
Décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société
nationale de programme France Télévisions.
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14
COUR DES COMPTES
incontestables, mais le modèle de financement, pris dans son
ensemble, présente des risques d’essoufflement ;
-
malgré d’indéniables réussites, la production audiovisuelle
affiche un bilan médiocre, sans commune mesure avec les
investissements qui lui sont consacrés.
La Cour a déjà eu l’occasion d’aborder ce domaine de l’action
publique à travers son contrôle de France Télévisions
7
et des filiales de
production cinématographique des chaînes de l'audiovisuel public, ses
travaux sur les comptes et la gestion du CNC
8
, son contrôle de l’institut
de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) et les
notes d’analyse de l’exécution du budget de l’État de la mission Médias
et industries culturelles
9
, qui sont publiées en même temps que le rapport
sur les résultats et la gestion budgétaire
10
.
La présente enquête sur la politique de soutien à la production
cinématographique et audiovisuelle va au-delà de la synthèse de ces
rapports. Conduite auprès des différentes administrations concernées et
s’appuyant
sur
des
consultations
de
nombreux
organismes
et
personnalités (cf. annexe n° 17), elle vise un double objectif :
-
informer le citoyen sur l’ensemble des instruments publics
mobilisés en vue de soutenir la production cinématographique
et audiovisuelle qu’il contribue à financer, en tant que
contribuable ou en tant que consommateur, les ressources
consacrées à cette politique étant majoritairement constituées
d’impôts affectés
11
;
-
analyser l’impact de cette politique publique au regard de ses
objectifs, dans un contexte marqué par des mutations
économiques et technologiques profondes, rapides et continues.
7
Cour des comptes,
Rapport publique thématique
:
France Télévisions et la nouvelle
télévision publique
. La Documentation française, octobre 2009, 230 p., disponible sur
www.ccomptes.fr
8
Cour des comptes,
La gestion et le financement du Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC).
Exercices 2007 à 2011,
communication à
la commission des
finances du Sénat. La Documentation française, août 2012, 166 p., disponible sur
www.ccomptes.fr
9
Référence du rapport sur les résultats et gestion budgétaire de l’État (RRGB) 2013.
10
Cour des comptes,
Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État,
exercice 2012
, La Documentation française, mai 2013, 272 p, disponible sur
www.ccomptes.fr
11
Une taxe affectée se distingue d’une redevance notamment par le fait que la taxe
n’appelle pas de contrepartie directe de la part du service public (cf. Conseil des
prélèvements obligatoires,
La fiscalité affectée : constats, enjeux et réformes
, Conseil
des prélèvements obligatoires. p. 22. La Documentation française, juillet 2013,
206
p., disponible sur
www.ccomptes.fr
).
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INTRODUCTION
15
Le présent rapport rend ainsi compte des résultats indéniables
obtenus par la politique de soutien à l'image animée mise en oeuvre au
cours de la dernière décennie. Il souligne aussi les risques majeurs
auxquels cette politique publique est aujourd'hui confrontée, car
l’économie numérique sans frontière oblige à définir un nouveau
consensus entre les professionnels et les pouvoirs publics, et à proposer
une offre renouvelée de contenus sur le marché français et à l’exportation.
Cette analyse est déclinée en quatre chapitres :
-
la présentation et les évolutions de la politique de soutien au
cours de la dernière décennie (chapitre I) ;
-
le soutien à la production cinématographique (chapitre II) et à
la production audiovisuelle (chapitre III) ;
-
les défis de la numérisation dans un marché mondialisé
(chapitre IV).
Le rapport évoque enfin, en conclusion, les conditions à remplir
pour rendre plus efficace et mieux adaptée, la politique française du
soutien à l’image animée.
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Chapitre I
Un système de soutien en expansion
continue
Par l’ampleur des aides directes, la diversité des soutiens indirects,
l’étendue et la précision du cadre réglementaire, le système de soutien
français en faveur du cinéma et de l’audiovisuel est unique en Europe.
Ces soutiens sont actuellement de plusieurs types :
-
les aides directes (601 M€ en 2012) qui regroupent les aides à
la production versées par le CNC (355 M€) et les collectivités
territoriales (47 M€), les dépenses fiscales (145 M€) et les
contributions du CNC au fonds de garantie géré par l’institut de
financement du cinéma et des industries culturelles (54 M€ en
montant cumulé), auxquelles s’ajoutent les aides européennes
(programmes Eurimages et MEDIA) ;
-
les investissements obligatoires (1,16 Md€ au total) imposés
réglementairement aux chaînes publiques (531 M€) et privées
(626 M€) ;
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18
COUR DES COMPTES
-
d’autres modalités de soutien plus indirectes, constituées de
dispositifs fiscaux tels que l’amortissement dérogatoire dont
bénéficient les sociétés de production et de distribution
12
ou du
recours aux avantages fiscaux de droit commun accordés pour
favoriser l’investissement dans les petites et moyennes
entreprises.
Par ailleurs, le régime social paritaire des intermittents du
spectacle, sur lequel la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer à
plusieurs reprises
13
, peut bénéficier indirectement à la production
cinématographique et audiovisuelle.
Le régime des intermittents du spectacle
Le régime des intermittents du spectacle ne constitue pas un dispositif
de soutien direct à la production. Les caractéristiques de ce régime
dérogatoire résultent d’accords interprofessionnels. L’intermittence peut
néanmoins
contribuer
indirectement
au
soutien
à
la
production
cinématographique et audiovisuelle, lorsque certains employeurs reportent
abusivement sur l’Unedic une partie des frais fixes de rémunération de leurs
salariés.
Le secteur de la production cinématographique et audiovisuelle
représente à fin mars 2013, d’après Pôle emploi, 51 % de la masse salariale
versée par les employeurs des intermittents du spectacle et près de 40 % du
volume des heures de travail déclarées.
12
Ces sociétés peuvent amortir leur investissement dans un film au prorata des
recettes tirées de ce film. Au-delà, elles peuvent pratiquer un amortissement
dérogatoire si l’amortissement économique ainsi calculé est inférieur à un taux de
dépréciation fixé par la documentation fiscale de base. Cet avantage permet d’amortir
un film en 22 mois, le film pouvant être amorti à hauteur de 80 % la première année.
Dès lors qu’il conduit à amortir un investissement de façon accélérée, il peut
s’analyser comme une subvention remboursable versée sous la forme d’un moindre
impôt sur les sociétés à payer. Il était évalué à 7 M€ en LFI pour 2007.
13
La Cour s’est prononcée en dernier lieu à ce sujet dans le référé n° 67793 du
19 septembre 2013, « Le régime d’indemnisation du chômage à l’issue des emplois
précaires ».
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19
Graphique n° 1 : les différents mécanismes qui contribuent à soutenir
la production cinématographique et audiovisuelle en 2012
Source : Cour des comptes.
La dépense publique à laquelle correspond l’ensemble des aides
directes a crû fortement au cours de la dernière décennie (+ 88 %), cette
croissance excédant très largement la norme d’évolution de la dépense
publique. En outre, la multiplication des dispositifs, facteur de complexité
réglementaire, ne s’est pas accompagnée d’une évaluation de leurs effets
ni de l’analyse de leurs redondances éventuelles.
I
-
Des aides directes en forte augmentation
Les
aides
directes
à
la
production
cinématographique
et
audiovisuelle empruntent quatre canaux principaux :
-
les subventions directes ou les avances remboursables
14
versées
par le CNC sont passées de 291 M€ en 2002 à 355 M€ en 2012.
Elles sont majoritairement financées par des taxes affectées au
CNC, hors budget général de l’État (cf. annexe n° 4) ;
-
les aides de nature fiscale n’ont cessé de croître. La création de
trois crédits d'impôt entre 2004 et 2009 et le renchérissement du
coût
des
sociétés
de
financement
de
l’industrie
cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA) ont fait passer
la dépense fiscale de 18,6 M€ en 2002 à 145 M€ en 2012 (soit
+ 680 %). À ces avantages fiscaux bénéficiant directement aux
sociétés de production cinématographiques et audiovisuelles
s’ajoutent des dispositifs fiscaux de droit commun (notamment
ceux conçus pour favoriser l’investissement dans les PME)
susceptibles d’être utilisés pour financer la production ainsi que
14
Étant rarement remboursées en cas de succès, les avances remboursables peuvent
être de ce fait assimilées à des aides directes.
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20
COUR DES COMPTES
le taux réduit de TVA octroyé à Canal + et Numéricable
(cf.
infra
) ;
-
les aides des collectivités territoriales qui ont progressé de
7 M€ en 2002 à 47 M€ en 2012 (soit + 571 %) ;
-
le fonds de garantie géré par l’institut de financement du
cinéma et des industries culturelles (IFCIC), doté sur crédits
publics, qui permet d’offrir aux entreprises du secteur des
garanties sur les différents types de prêts bancaires. Ce fonds
fait l’objet d’abondements annuels
15
dont le total cumulé
s’élevait à 54 M€ en 2012 (41 M€ pour la production
cinématographique et 13 M€ pour la production audiovisuelle),
soit une hausse de 50 M€ sur la période.
Graphique n° 2 : la progression des aides directes à la production
cinématographique et audiovisuelle entre 2002 et 2012
(en M€ courants)
Source : Cour des comptes (cf. méthodologie en annexe n° 3). Le recours aux
dispositifs fiscaux de droit commun pour l’investissement dans les PME, ne
pouvant être chiffré, ne figure pas sur ce graphique.
Si l'on s'en tient aux seules aides directes (dépenses du CNC pour
la production, aides territoriales et dispositifs fiscaux, hors fonds de
garantie de l’IFCIC), l'augmentation au cours de la dernière décennie est
quatre fois supérieure à celle des dépenses de l'État (respectivement
+ 88 % et + 20 %). Ramenée en euros constants, elle reste forte (+ 45 %
en 10 ans). Parallèlement, les recettes du CNC, c’est-à-dire de l’ensemble
15
Le CNC a cessé d’abonder le fonds de garantie en numéraire en 2013 et 2014.
291
19
4
7
320
355
145
54
47
601
0
100
200
300
400
500
600
700
CNC
Dépense
fiscale
Fonds de
garantie
Aides
locales
Total des
aides
publiques
2002
2012
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21
des taxes qui lui sont affectées et qui, tout en dérogeant au principe
d’universalité budgétaire, n’en relèvent pas moins du régime des
impositions de toute nature, ont augmenté de 70 % entre 2002 et 2012,
passant de 440 à 749 M€.
Graphique n° 3 : aides directes à la production cinématographique et
audiovisuelle et taxes affectées au CNC, de 2002 à 2012 (en M€)
Source : Cour des comptes.
A - Les aides du CNC
1 -
Une large palette d’outils
Établissement
public
administratif
créé
par
la
loi
du
25 octobre 1946, le centre national du cinéma et de l'image animée
(CNC) est à la fois l'animateur et le principal concepteur de la politique
de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle : en
application de l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée,
il joue un double rôle de direction d’administration centrale et
d’opérateur.
Dans son document stratégique de performance élaboré dans le
cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, l’action du
CNC s’articule autour de neuf objectifs : « favoriser le succès du cinéma
français en France et à l’étranger, contribuer à la diversité de la création
cinématographique, contribuer à la diffusion du cinéma sur l’ensemble du
territoire,
contribuer
à
consolider
l’industrie
des
programmes
audiovisuels, contribuer à enrichir l’offre de programmes et soutenir
l’innovation audiovisuelle, améliorer la performance de la gestion des
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COUR DES COMPTES
soutiens mis en oeuvre, renforcer l’attractivité du territoire national pour
les tournages, favoriser la diversité de l’offre et l’exposition de la création
française en vidéo et sur les nouveaux supports de la distribution, vidéo à
la demande, internet fixe et mobile, et favoriser la transition rapide et
homogène vers la numérisation des salles de cinéma ».
Ainsi, le CNC, d’une part, est chargé de la réglementation du
secteur du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée et
d’une mission d’observation des activités et professions de ce secteur.
D’autre part, il attribue des aides financières en faveur notamment de la
création, de la production, de la distribution, de la diffusion et de la
promotion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et des
oeuvres multimédia. Il aide aussi la création et la modernisation des salles
de cinéma, et finance des écoles de formation, des festivals et des
dispositifs d’éducation à l’image.
Préalablement à l’allocation d’une aide, les investissements des
producteurs, puis la diffusion des oeuvres (films ou programmes
audiovisuels) font l’objet d’une procédure d’agrément (dans le domaine
cinématographique) ou d’autorisation (dans le domaine audiovisuel) par
le CNC, qui consiste à vérifier que les conditions techniques et
financières nécessaires à la qualification d’oeuvre d’initiative française ou
d’oeuvre européenne sont remplies.
Les aides versées couvrent l’ensemble des étapes, de la production
d’une oeuvre à sa distribution et à son exploitation. À chacun de ces
stades correspondent deux types de dispositifs : des aides automatiques et
des aides sélectives. L’ensemble des aides se répartit approximativement
à parité entre le soutien automatique et le soutien sélectif.
Le soutien automatique vise à consolider le tissu industriel
existant. Il repose sur le principe de la constitution de droits de tirage au
profit de producteurs, distributeurs, exploitants et éditeurs vidéo, à due
concurrence
des
recettes
dégagées
par
l’exploitation
d’oeuvres
cinématographiques ou audiovisuelles. Sur cette base, les entreprises
bénéficiaires peuvent mobiliser les droits constitués en vue de financer
leur activité future. En 2012, l’ensemble des soutiens versés à ce titre
s’élève à 312,3 M€.
Les soutiens sélectifs, quant à eux, ont pour principale vocation de
favoriser la diversité des oeuvres et le renouvellement des talents. La
procédure d’octroi de ces aides repose sur la sélection de projets jugés
porteurs par une commission de professionnels, comme c’est le cas par
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23
exemple pour l’avance sur recettes
16
. Tous secteurs confondus, ces
dispositifs sélectifs représentent un montant total de 299,6 M€ en 2012.
S’ils concernent l’ensemble des filières de l’image animée
(production,
distribution,
exploitation,
édition
vidéo,
industries
techniques, multimédia et jeu vidéo), les soutiens du CNC demeurent
principalement orientés
vers l’activité de production : en 2012, 355 M€
étaient
directement
affectés
aux
secteurs
de
la
production
cinématographique et audiovisuelle, soit près de 60 % des dépenses de
soutien de l’établissement
17
.
Graphique n° 4 : répartition sectorielle des principaux soutiens
versés par le CNC, de 2002 à 2012, en M€
Source : Cour des comptes d’après données CNC. Ce graphique n’inclut pas
les dispositifs de soutien transversaux (plan numérique, soutien à la
promotion du cinéma, éducation à l’image, patrimoine, etc.).
Parmi les soutiens à la production versés en 2012, 64 % étaient
consacrés à la production audiovisuelle et 25 % à la production
cinématographique, les 11 % restants correspondant à des aides
transversales.
16
Son règlement intérieur prévoit ainsi que « la commission du soutien sélectif à la
production est composée d’un président, de trois vice-présidents, de 25 membres
titulaires et de membres suppléants. » Elle est formée de trois collèges.
17
En réalité, la part des soutiens attribuée à la production est supérieure, plusieurs des
interventions du CNC présentant un caractère transversal et bénéficiant en partie à la
production (aides aux associations notamment, à l’image des subventions versées au
festival de Cannes). L’ensemble des soutiens du CNC est retracé en annexe n° 5.
0
50
100
150
200
250
300
2002 2004 2006 2008 2010 2012
production
audiovisuelle
production
cinématographique
exploitation
cinématographique
distribution
cinématographique
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La croissance soutenue du volume des aides allouées par le CNC
s’est accompagnée d’une extension continue de la palette des dispositifs
qu’il met en oeuvre. Relevée par la Cour lors de son dernier contrôle
18
,
cette double évolution résulte de la progression très dynamique des
recettes recouvrées par le CNC au titre de la perception des taxes
affectées dont il est le destinataire. Elle traduit un pilotage des dispositifs
d’aide par la recette, échappant aux normes de dépenses du budget
général de l’État.
2 -
La croissance des taxes affectées au CNC
Le CNC est financé à plus de 95 % par des taxes affectées, dont le
principe
général
est
demeuré
inchangé
depuis
la
création
de
l'établissement : taxer les acteurs économiques qui retirent un bénéfice de
la diffusion des contenus cinématographiques et audiovisuels, et recueillir
le produit de ces taxes pour financer l’ensemble de la filière
19
. Au nom de
ce principe ont successivement été imposés la billetterie des salles de
cinéma (taxe spéciale additionnelle, à hauteur de 10,7 % sur le prix
acquitté par le spectateur), les chaînes de télévision puis les distributeurs
de services de télévision (taxe sur les services de télévision, éditeurs et
distributeurs), ainsi que les sociétés vendant ou louant des contenus
audiovisuels sous forme de vidéogrammes (taxes vidéos).
L’augmentation récente des recettes du CNC correspond à l’entrée
en vigueur, en 2008, de la taxe sur les distributeurs de services de
télévision (TSTd). Passant de 94 M€ en 2008 à 279 M€ en 2012, le
produit de cette taxe explique, en grande partie, l’augmentation du niveau
général des taxes affectées au CNC, celles-ci ayant progressé de 512 M€
en 2007 à 749 M€ en 2012 (+ 46 %).
18
Cour des comptes,
La gestion et le financement du Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC). Exercices 2007 à 2011
, communication à la commission des
finances du Sénat. La Documentation française, août 2012, 166 p., disponible sur
www.ccomptes.fr
.
19
Cf. annexe n° 4. Le CNC est, par ailleurs, affectataire de la taxe sur les bénéfices
tirés de la production et de la diffusion de films à caractère violent ou pornographique,
ainsi que du produit des sanctions pécuniaires infligées par le CSA.
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25
Graphique n° 5 : évolution du produit des taxes affectées au
CNC entre 2002 et 2014, en M€
Source : Cour des comptes, d'après CNC. Les données 2013 et 2014 sont
prévisionnelles.
Étendant aux distributeurs de services de télévision le principe de
taxation des secteurs aval, la TSTd frappe trois catégories d’acteurs :
-
les chaînes de télévision auto-distribuées
20
(Canal +, auparavant
assujettie à la seule taxe sur les éditeurs de services de
télévision) ;
-
les services de diffusion par câble, satellite et télévision
numérique terrestre ;
-
les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et opérateurs de
téléphonie mobile.
La taxe est calculée en appliquant un taux progressif (compris
entre 0,5 % et 4,5 %), à l’assiette taxable, constituée du chiffre d’affaires
des abonnements souscrits auprès des sociétés concernées. En pratique, la
TSTd marque l’extension du régime des taxes affectées du CNC au
secteur du numérique : en 2010, les opérateurs de communications
électroniques représentaient près des deux tiers du produit de la TSTd.
Cette taxe frappe donc désormais une activité économique dont le lien
avec le secteur cinématographique et audiovisuel est de moins en moins
20
Ces chaînes, aujourd’hui constituées par Canal + et Numéricable, acquièrent des
droits sur le marché primaire pour la diffusion d’oeuvres, comme les autres chaînes,
mais commercialisent également leurs services, sous forme de bouquets de chaînes
acquis auprès d'éditeurs sur le marché de gros, directement auprès de leurs abonnés.
442
749
-
100
200
300
400
500
600
700
800
900
TSA
Taxe vidéo
TST éditeurs
TST distributeurs
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26
COUR DES COMPTES
exclusif, comparé à la taxation des salles de cinéma ou des chaînes de
télévision.
En modifiant leur offre commerciale, ces opérateurs ont fait baisser
leur impôt depuis 2011.
Le transfert de la perception des taxes affectées au CNC (TSA au
1
er
janvier 2007, TST au 1
er
janvier 2010), auparavant assurée par la
direction générale des finances publiques, et, en parallèle, la clôture du
compte-mission
21
, le 1
er
janvier 2009, ont eu pour effet d’accroître
significativement l’autonomie financière du CNC.
En réaction au fort dynamisme des ressources du CNC, le
législateur a opéré, depuis 2011, plusieurs prélèvements sur le produit des
taxes affectées au profit du budget général de l’État.
La loi de finances pour 2011 a institué un prélèvement
exceptionnel de 20 M€ sur les recettes du CNC
22
, tandis que la loi de
finances pour 2012 a créé un mécanisme d’écrêtement des taxes affectées
aux opérateurs
23
, se traduisant dans le cas du CNC par un reversement de
50 M€ au budget général de l’État. La loi de finances pour 2013 a institué
un prélèvement exceptionnel de 150 M€ sur le fonds de roulement de
l’établissement
24
. Enfin, la loi de finances pour 2014 prévoit un nouveau
prélèvement de 90 M€.
Le dynamisme des ressources du CNC a, par ailleurs, conduit le
ministère de la culture et de la communication à faire supporter par
l’établissement des dépenses précédemment imputées sur ses propres
crédits budgétaires. Entre 2006 et 2012, le ministère a ainsi transféré au
CNC un ensemble de dépenses qui se décomposent en 17 M€ de dépenses
ponctuelles (prise en charge par le CNC d’engagements ponctuels non
payés par le ministère) et 46,9 M€ de dépenses annuelles récurrentes.
Au total, les prélèvements sur le fonds de roulement du CNC et les
débudgétisations du ministère de la culture et de la communication se
sont élevés à 284 M€ depuis 2006.
21
Les recettes du CNC ont transité, jusqu’en 2006, par un compte d’affectation
spéciale, puis par un compte-mission.
La mission hors budget général Cinéma,
audiovisuel et expression radiophonique locale
ayant été supprimée en 2009, les
charges
et
produits
des
anciens
programmes
711 -
Soutien
aux
industries
cinématographiques
et 712 -
Soutien aux industries audiovisuelles
sont depuis lors
imputés directement sur le budget du CNC.
22
Article 35 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
23
Article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.
24
Article 41 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
27
Comme l’a relevé la Cour lors de son dernier contrôle, la logique
d’écrêtement au cas par cas n’est pas une modalité satisfaisante de
régulation budgétaire au regard de la nécessité de programmer les
dépenses publiques dans un cadre pluriannuel. Seul un contrat de
performance entre le CNC et l’État, fondé sur une évaluation des besoins
du secteur et une mesure de l’efficacité de la politique de soutien, pourrait
permettre un pilotage concerté du financement de l’opérateur.
Principales recommandations de la Cour concernant le financement
du CNC
25
- élaborer une méthode d’analyse de l’efficacité et de l’efficience des
dispositifs d’aide mis en oeuvre au regard, d’une part, des soutiens déjà
existants et, d’autre part, des objectifs fixés au CNC par ses tutelles et par le
Parlement ;
- en liaison avec le ministère de la culture et de la communication, établir
une trajectoire pluriannuelle de dépenses ;
- faire évoluer la structure de financement de l’établissement. À cet effet,
trois scénarios sont envisageables :
1 - la fixation d’un plafond de dépenses pluriannuel commandant la
détermination du barème des taxes affectées ;
2 - le recours à des écrêtements ciblés, scénario moins satisfaisant qui
a cependant été retenu ;
3 - la budgétisation d’une partie de l’actuelle TST « distributeurs »,
sous la forme d’un compte d’affectation spéciale.
B - Les dépenses fiscales
En raison du risque qui s’attache aux perspectives de recettes
issues de l’exploitation des films et des programmes audiovisuels, le
secteur de la production cinématographique et audiovisuelle est
structurellement peu attractif pour la plupart des investissements privés.
Des dispositifs fiscaux nouveaux ont été utilisés depuis les années 1980
pour faciliter les investissements dans la production : d’abord les
SOFICA dans les années 80, puis une combinaison de mesures fiscales de
droit commun en faveur des PME et de crédits d’impôt spécifiques
constamment renforcés au cours des dernières années.
25
Cour des comptes
, La gestion et le financement du Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC). Exercices 2007 à 2011,
communication à la commission des
finances du Sénat
.
La Documentation française, août 2012, 166 p., disponible sur
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28
COUR DES COMPTES
1 -
Les SOFICA
Créées en 1985
26
, les sociétés de financement de l’industrie
cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA) sont des sociétés
anonymes qui collectent, auprès des entreprises et des particuliers, des
fonds
destinés
au
financement
d’oeuvres
cinématographiques
et
audiovisuelles agréées par le CNC. Elles ont pour objectif de soutenir la
production française indépendante et d’encourager le renouvellement de
la création et des talents.
Les souscriptions au capital des SOFICA réalisées par les
entreprises ouvrent droit à un amortissement exceptionnel (égal à 50 %
des sommes souscrites) qui a pour effet de réduire leur impôt sur les
sociétés.
Consistant initialement en une déduction de 25 % des souscriptions
sur le revenu net global, l'avantage fiscal en faveur des particuliers a été
progressivement ramené à une réduction d'impôt sur le revenu,
correspondant à 30 % des sommes souscrites, dans la limite de 18 000 €
et de 25 % du revenu net global, sous réserve de la conservation des parts
détenues dans la SOFICA pendant au moins cinq ans.
Depuis 2009, le volume et l'orientation des investissements sont
encadrés de manière rigoureuse. La régulation intervient en effet à
plusieurs niveaux :
-
au niveau de la collecte de fonds privés : depuis sa création, la
dépense fiscale est reconduite tous les trois ans, et la création des
SOFICA (pour une durée de dix ans) est soumise à une procédure
d’agrément par la DGFiP. Chaque année, les pouvoirs publics sont
ainsi en mesure de déterminer l'enveloppe d'investissement
souhaitée, le nombre de SOFICA, généralement compris entre 10 et
12, et par voie de conséquence, la répartition de l’enveloppe entre
elles ;
-
au niveau des investissements réalisés par les SOFICA : une charte,
mise en place dès 2005 par le CNC, puis adaptée annuellement en
fonction des objectifs fixés, précise avant chaque collecte annuelle
les engagements de gestion auxquels doit souscrire chacune d’entre
elles. Qu'elles prennent la forme d’une souscription au capital des
sociétés de production ou, plus fréquemment, de versements en
numéraire dans le cadre de contrats d'association à la production,
les sommes investies par les SOFICA sont orientées vers certaines
catégories d’oeuvres (premiers et deuxièmes films, films dont le
26
Article 40 de la loi n° 86-695 du 11 juillet 1985.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
29
budget est inférieur à 8 M€, etc.). Les SOFICA doivent également
s’engager à réaliser, pour une part au moins égale à 50 %, des
investissements non adossés, c’est-à-dire sans accord préalable avec
le producteur, sur le prix de rachat à terme de l’investissement
réalisé
27
. Cette limitation bénéficie le plus souvent à la production
indépendante. Ces engagements sont individualisés par SOFICA et
validés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) au
moment de l’octroi de l’agrément
28
;
-
au niveau de l'avantage fiscal accordé aux particuliers : celui-ci est
porté à 36 % lorsque le souscripteur investit dans une SOFICA qui
s'engage à réaliser au moins 10 % de ses investissements sous
forme de souscription en capital dans les sociétés de production, ce
qui permet de financer la phase de développement des projets.
Au cours des dix dernières années, les SOFICA ont permis de
collecter entre 35 M€ et 66 M€ par an. Le dispositif a été essentiellement
utilisé par les particuliers, les rares entreprises ayant souscrit des parts de
SOFICA se trouvant être, dans la majorité des cas, les fondatrices
desdites SOFICA (certaines d'entre elles ayant par ailleurs leur activité
principale dans le secteur cinématographique ou audiovisuel). Alors que,
jusqu'en 2011
29
, l'intégralité de l'enveloppe autorisée des SOFICA était
placée quelques jours après l'ouverture de la campagne, plusieurs
semaines ont été nécessaires en 2012 et n'ont, en outre, pas permis de
placer l’intégralité des sommes initialement destinées aux SOFICA (sur
une enveloppe globale de 63,07 M€, 1,5 M€ n'ont pas pu être placés).
27
Jusqu’en 2010, l’adossement total permettait de garantir le rachat à prix fixe de
l’ensemble des parts de la SOFICA à son échéance.
28
À titre d'exemple, en 2012, les principales conditions de l’agrément de la société
CINEMAGE 7, pour une enveloppe de 9 M€, étaient les suivantes : 65 % au moins de
films présentant un budget inférieur à 8 M€ ; 50 % au moins de premiers ou
deuxièmes
films ;
20 %
au
plus
d’investissements
adossés
et
100 %
des
investissements non adossés à réaliser auprès de producteurs indépendants.
29
À l'exception notable de la collecte 2008 en raison des effets de la crise financière.
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30
COUR DES COMPTES
Tableau n° 1 : évolution du nombre et du montant des souscriptions
aux SOFICA entre 2002 et 2013
Année
de
collecte
Nombre
de
SOFICA
agréées
Montant
collecté
(M€)
Nombre total
de
souscriptions
dont
souscriptions
de personnes
morales
Montant
moyen d’une
souscription
(€)
dont
souscription
moyenne des
personnes
morales (€)
2002
6
35,2
3 324
18
10 706
15 858
2003
9
41,0
3 648
21
11 372
5 778
2004
10
46,0
4 226
19
11 083
4 719
2005
15
51,5
5 086
21
10 370
16 028
2006
13
65,7
6 565
19
10 114
4 958
2007
14
63,1
7 327
20
8 715
4 075
2008
12
61,1
7 463
13
8 208
7 143
2009
11
63,1
7 716
16
8 419
3 483
2010
10
63,1
7 157
14
9 028
2 367
2011
12
63,1
7 442
14
8 575
4 310
2012
11
61,5
7 459
13
8 250
2 815
2013
10
59
7 109
9
8 295
14 311
Source : Cour des comptes d'après données CNC.
En contrepartie de leur apport, les SOFICA obtiennent auprès des
producteurs un droit à rémunération sur des couloirs de recettes,
correspondant au remboursement de leur apport initial auquel s’ajoute la
plupart du temps un bonus proportionnel au succès du film. L'attractivité
du dispositif résulte donc non seulement de l'avantage fiscal directement
accordé aux souscripteurs, mais aussi de l'éventualité de la distribution de
dividendes, liés aux recettes d’exploitation des films dans lesquels la
SOFICA a investi.
La part relative des SOFICA dans le financement des films
d'initiative française reste faible : en 2012, les SOFICA ne représentaient
en moyenne que 4 % de leurs plans de financement. Ces investissements
n’en sont pas moins cruciaux pour les producteurs. D'une part, ils sont
orientés vers les catégories d’oeuvres qui sont principalement touchées par
le
risque
du
sous-financement
30
.
D'autre
part,
ils
représentent
chronologiquement l'un des premiers soutiens financiers effectivement
versés aux producteurs, leur permettant d’assurer ainsi leur trésorerie.
30
S'agissant de la production audiovisuelle, les investissements des SOFICA se
concentrent sur les programmes d'animation (83 % en 2011), genre dont les coûts de
production sont élevés et la gestation généralement plus longue, mais qui présente
également les meilleures perspectives de recettes au-delà du premier cycle
d'exploitation (première série de deux à trois diffusions à la télévision).
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31
Graphique n° 6 : évolution des sommes collectées par les SOFICA et
du coût de la dépense fiscale associée pour l'impôt sur le revenu (IR),
depuis 2002 (en M€)
Source : Cour des comptes, d'après données CNC ; les données 2012 sont
prévisionnelles ; le coût de la dépense fiscale relative à l'impôt sur les
sociétés est considéré comme négligeable.
Dans l’ensemble, les évolutions récentes ont permis d’atteindre un
point d’équilibre puisque l’évolution à la hausse du montant collecté a été
limitée (à 63 M€ depuis 2007), ce qui a eu pour effet de stabiliser le coût
de la dépense fiscale associée aux SOFICA au-dessous de 30 M€.
Ainsi, les réformes apportées au dispositif des SOFICA ont permis
de conserver une maîtrise des modalités de mobilisation et d’orientation
des investissements privés, tout en maintenant son attractivité :
-
la réforme opérée en 2009 a renforcé la prise de risque dans les
sociétés de production indépendantes ;
-
le maintien de la possibilité de recourir à la technique de
l’adossement, partiel et orienté vers la production indépendante,
a permis de sécuriser pour une part, les perspectives de
recettes ;
-
les deux dernières réductions de l’avantage fiscal ayant affecté
l’essentiel des autres avantages fiscaux de même type, il n’en
est pas résulté une dégradation de la position relative des
SOFICA par rapport aux autres possibilités de défiscalisation ;
35
62
19
27
0
10
20
30
40
50
60
70
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Sommes collectées
Coût du dispositif (réduction d'IR)
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32
COUR DES COMPTES
-
les banques continuent de faire de l’investissement dans une
SOFICA un produit d’appel ou de relation clients, de fait
réservé à un nombre limité d'investisseurs (près de 6 000
chaque année)
31
.
2 -
Le recours à des dispositifs fiscaux de droit commun
Bien qu’elles ne soient pas spécifiquement réservées au secteur
cinématographique et audiovisuel, deux dépenses fiscales visant à
encourager l'investissement des particuliers dans le capital des petites et
moyennes entreprises (PME) au travers d’une réduction de l’impôt de
solidarité sur la fortune (article 885-0-V bis du CGI)
32
ou d’une réduction
d’impôt sur le revenu (article 199 terdecies-0 A du CGI)
33
sont
couramment utilisées dans le financement d’oeuvres cinématographiques
ou audiovisuelles. Elles permettent à des particuliers de souscrire au
capital de PME qui interviennent dans la production ou la distribution
d’un film et de bénéficier :
-
des gains dégagés par les éventuelles recettes d'exploitation des
oeuvres financées ;
-
des réductions d'impôt sur le revenu (18 % du montant de la
souscription) ou de l'impôt de solidarité sur la fortune (50 % du
montant de la souscription).
Les PME qui utilisent ces deux dispositifs fiscaux investissent dans
la production et la distribution de nouveaux films et viennent ainsi
compléter le plan de financement du producteur ou du distributeur. Si
certaines sociétés sont des structures
ad hoc
créées en vue de la
production ou de la distribution d’un seul film, d'autres minimisent le
risque commercial en investissant dans un portefeuille de films qui
présentent des perspectives de recettes moins aléatoires que la moyenne
des films français (films produits par des circuits intégrés, films à budgets
élevés, etc.). Il arrive également que ces PME soient directement créées
par des producteurs ou des distributeurs, qui se servent de ces sociétés
31
Le caractère sélectif du système tient, en particulier, à un montant minimum de
parts à souscrire. La plupart des SOFICA proposent des valeurs nominales comprises
entre 1 000 € et 2 000 € par part. L'investissement moyen est de 8 600 € entre 2001 et
2011. Selon le CNC et la DGFiP, les souscripteurs ont, pour l'essentiel, un profil de
chef d'entreprise ou de retraité dont le revenu fiscal de référence moyen s’élevait à
161 000 € en 2011, et la collecte est marquée par un phénomène d'abonnement.
32
Article 16 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi
et du pouvoir d’achat (couramment appelé « dispositif TEPA » ou « ISF-PME »).
33
Créé par l’article 26 V de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, couramment appelé
« dispositif Madelin » (ou « Dutreil » car la loi n° 2003-721 du 1
er
août 2003 pour
l'initiative économique a complété les dispositions précédemment adoptées).
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
33
comme fonds d’investissement. Enfin, certaines sociétés investissent dans
l’acquisition de droits d'exploitation et de distribution de films de
catalogue (déjà produits et financés) auprès des producteurs étrangers et
revendent les différents droits audiovisuels ainsi acquis aux éditeurs
vidéo, internet et télévisuels français. Cette organisation se rencontre
notamment dans le financement de films qui se rattachent à une catégorie
particulière
(« films
de
genre » :
policier,
thrillers
,
fantastique,
documentaires, etc.) et dans le domaine audiovisuel
34
.
Ces deux dispositifs présentent plusieurs caractéristiques qui les
rendent plus attractifs que les SOFICA :
-
le plafonnement de l'investissement, porté à 50 000 € pour la
réduction d’impôt sur le revenu et à 45 000 € pour la réduction
d’impôt de solidarité sur la fortune est supérieur à celui des
SOFICA (18 000 €) ;
-
le mécanisme de l'adossement n'y est pas limité. À l’image du
dispositif fiscal en vigueur en Belgique appelé
tax shelter
(cf. annexe 13), les investisseurs peuvent ne conserver que pour
une durée moyenne (cinq ans) les droits détenus dans les films
avant
que
ceux-ci
ne
soient
rachetés
par
le
groupe
d'adossement
35
.
Cependant, tant en termes de maîtrise des finances publiques que
d’efficacité des investissements, ces deux dépenses fiscales ne présentent
pas les mêmes garanties que les SOFICA :
-
leur enveloppe n’étant pas normée, le coût de la dépense fiscale
n’est ni clairement identifiable, ni maîtrisé
36
. Le CNC comme
l’administration
fiscale
ne
disposent
d’aucune
vision
d’ensemble
sur
les
montants
en
jeu
ou
les
sociétés
bénéficiaires ;
-
en l’absence de système d’agrément, il n’existe aucun contrôle
sur
la
destination
des
fonds
défiscalisés.
Ainsi,
les
34
Déjà propriétaire des droits francophones de la saison 1 de la série
Les Borgia
, la
PME Les Borgia a, par exemple, procédé à une augmentation de capital en recourant
au dispositif de réduction d’impôt sur le revenu afin d’acquérir 50 % des droits
francophones et américains de la saison 2 de cette même série.
35
Dans le cas des
Borgia
, les souscripteurs s’engagent à céder la totalité des actions
qu’ils détiennent au terme d’une période de cinq ans pour un prix de 140 € par action,
déduction faite des dividendes déjà perçus à la date de la cession, sans que le prix
puisse être inférieur à leur valeur nominale de 100 €.
36
En 2012, le dispositif de réduction d’impôt sur la fortune (ISF) a bénéficié à 81 090
ménages, pour une dépense fiscale de 170 M€. (130 M€ prévus en 2013) Le dispositif
de réduction d’impôt sur le revenu (IR), quant à lui, a bénéficié en 2012 à 41 300
ménages, pour une dépense fiscale de 318 M€ (460 M€ prévus en 2013).
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34
COUR DES COMPTES
investissements ne sont pas orientés prioritairement vers les
productions en besoin de financement, mais poursuivent un seul
objectif de rentabilité financière, en limitant au maximum la
prise de risque ;
-
bien que ces dispositifs soient jugés non « pas redondants, mais
complémentaires » avec les SOFICA par le CNC, la Cour a pu
constater, en contrôlant le plan de financement de dix films
ayant recours à ces dispositifs, que sept d’entre eux étaient
également bénéficiaires d’un financement de SOFICA.
L’absence de visibilité sur le niveau de la dépense fiscale, le risque
d’un effet d’aubaine pour des productions déjà soutenues, par ailleurs, et
l’existence d’un mécanisme de réduction d’impôt spécifiquement conçu
afin de drainer l’épargne privée vers les films les plus fragiles au travers
des SOFICA justifieraient d’exclure, comme c’est déjà le cas de certains
secteurs (production photovoltaïque, activités financières, gestion de
patrimoine mobilier, activités liées à la détention de métaux précieux,
oeuvres d’art, etc.), les sociétés de production cinématographique et
audiovisuelle
37
du bénéfice de ces deux dispositifs fiscaux de droit
commun. Si la Cour souscrit totalement à la nécessité d’accroître la part
des fonds privés dans le financement des oeuvres cinématographiques et
audiovisuelles, cette augmentation ne saurait se faire au prix de
l’accroissement concomitant d’une dépense fiscale non maîtrisée.
3 -
Les crédits d'impôt
Entre 2004 et 2009, trois crédits d’impôt ont été instaurés en vue
d’encourager la réalisation sur le territoire français des travaux de
production et de postproduction des oeuvres cinématographiques et
audiovisuelles : les crédits d’impôt cinéma et audiovisuel et le crédit
d’impôt international.
a)
Les crédits d’impôt cinéma et audiovisuel
Le crédit d’impôt sur un pourcentage des dépenses éligibles de
production d’oeuvres cinématographiques, dit crédit d’impôt cinéma
(CIC), créé par la loi de finances pour 2004
38
, et celui au titre des
dépenses de production audiovisuelle, dit crédit d’impôt audiovisuel
37
Les sociétés de distribution, ne bénéficiant pas du dispositif des SOFICA,
pourraient continuer à bénéficier de ces deux dépenses fiscales.
38
Article 88 la loi de finances pour 2004, codifié aux articles 220 sexies, 220F et
223 0 du code général des impôts.
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35
(CIA), voté un an plus tard
39
, partagent l’objectif de renforcer l'attractivité
du territoire national auprès des producteurs français. Ils ont des
caractéristiques communes et visent le même type de redevables : ne
peuvent en bénéficier que les entreprises assumant les fonctions de
producteur délégué, assujetties à l'impôt sur les sociétés et respectant la
législation sociale
40
.
Le bénéfice du crédit d'impôt ne peut être sollicité par une société
de production
41
qu'au titre d'un film ou d'un programme audiovisuel
déterminé, répondant à des conditions particulières : l'oeuvre doit avoir été
agréée ou autorisée par le CNC, être réalisée principalement sur le
territoire français, intégralement ou principalement en langue française ou
dans une langue régionale en usage en France, et « contribuer au
développement de la création cinématographique et audiovisuelle
française et européenne ainsi qu'à sa diversité ». Les oeuvres doivent
également répondre à des seuils de durée et de coûts.
Depuis sa création, le CIC bénéficie chaque année à près des deux
tiers des films d'initiative française
42
et près de 60 % des sociétés ayant
produit l'un des films agréés dans l'année. À l'exception des films dont le
coût est inférieur à 1 M€ ou supérieur à 15 M€, peu concernés par le
crédit d'impôt, l'octroi de l'avantage fiscal est réparti de manière
relativement homogène entre les films, quel que soit leur budget. La part
des films bénéficiaires du crédit d'impôt est néanmoins plus importante
pour les films à budget moyen (71 % des films en bénéficient) et les films
dont le coût est compris entre 7 M€ et 15 M€ (78 %) que pour les films
présentant un budget moins élevé.
Le CIA connaît une progression plus dynamique, moins en valeur
qu’en nombre de programmes concernés (192 en 2005, 337 en 2013) et
de sociétés bénéficiaires de l'avantage fiscal (68 en 2005, 190 en 2012).
Si les programmes documentaires et de fiction concentrent la majorité des
331 crédits d'impôt accordés en 2012, la probabilité d'obtenir ce soutien
est nettement plus forte pour les programmes d'animation et de fiction
39
Article 48 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative
pour 2004, codifié aux mêmes articles que le crédit d’impôt cinéma.
40
Cette dernière condition vise notamment à exclure du bénéfice des crédits d'impôt
les sociétés de production qui recourent de manière abusive à l'emploi intermittent.
41
Pour une même oeuvre, les sociétés bénéficiaires du crédit d'impôt ne peuvent être
plus de deux. Dans le cas de deux sociétés co-déléguées, le montant du crédit d’impôt
est réparti entre elles proportionnellement aux dépenses de production éligibles
directement prises en charge par chacune d’elles.
42
Par « bénéficiaires », on entend ici les films ayant fait l’objet d’une demande
d’agrément provisoire au crédit d’impôt cinéma.
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36
COUR DES COMPTES
que pour les documentaires, la localisation de ces derniers étant plus
dépendante du sujet traité.
Le CIA et le CIC accordés aux producteurs s'élèvent à 20 % du
montant total des dépenses éligibles exposées au cours de l’exercice au
titre duquel le crédit d’impôt est calculé. Les dépenses à prendre en
compte sont majoritairement constituées des coûts salariaux
43
et des
dépenses liées au recours aux industries techniques et autres prestataires
de la création cinématographique et audiovisuelle. En 2012, les dépenses
éligibles ont été étendues aux rémunérations des artistes de complément
(les
figurants),
aux
dépenses
de
transport,
de
restauration
et
d'hébergement des équipes artistiques et aux dépenses relatives à
l’acquisition de droits d’exploitation d’images d’archives pour les
documentaires
44
.
La société de production peut imputer le crédit d’impôt sur l’impôt
sur les sociétés dû au titre de l’exercice et, le cas échéant, obtenir le
remboursement de l’excédent de crédit d’impôt non imputable. Ces
crédits d’impôt, du fait de l’automaticité de leurs critères d’application,
permettent aux producteurs d’anticiper le montant à recevoir dès la phase
de planification.
L'avantage fiscal susceptible d'être accordé au titre du CIC et du
CIA fait cependant l'objet de deux plafonnements spécifiques :
-
un plafonnement des dépenses éligibles – pour le CIC comme
pour le CIA, elles ne peuvent représenter plus de 80 % du
budget de production et, en cas de coproduction internationale,
plus de 80 % de la part française ;
-
un plafonnement du montant du crédit d’impôt – d’abord fixé à
500 000 € pour une oeuvre cinématographique de fiction et à
750 000 € pour un film d’animation, le montant maximum du
CIC a été relevé à 1 M€. La loi de finances rectificative pour
2012 a porté ce plafond à 4 M€. Le plafond du CIA, quant à lui,
s’exprime en euros par minute et diffère selon les genres
éligibles : il atteignait 1 150 €/min pour la fiction et le
documentaire et 1 200 €/min pour l’animation. La loi de
finances rectificative pour 2012 a porté ces plafonds,
respectivement, à 1 250 €/min et à 1 300 €/min et a relevé
significativement le plafond de l'avantage fiscal pour les
43
L’éligibilité des salaires, rémunérations et charges sociales des auteurs, artistes
interprètes et personnel de la réalisation et la production est subordonnée à des
conditions de résidence et de nationalité des bénéficiaires.
44
Loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 (art. 33).
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37
programmes audiovisuels de fiction produits dans le cadre
d'une coproduction internationale (5 000 €/min)
45
.
Au même titre que l'ensemble des aides publiques, les crédits
d’impôt
obtenus
pour
la
production
d’une
même
oeuvre
cinématographique ou audiovisuelle ne peuvent avoir pour effet de porter
à plus de 50 % du budget de production le montant total des aides
publiques accordées
46
.
Les vérifications effectuées sur pièces par la Cour, à propos des
contrôles opérés par le CNC ou l’administration fiscale sur le CIC et le
CIA, ont montré que la distinction entre subventions publiques non
remboursables (exclues du montant des dépenses éligibles au CIC et au
CIA) et subventions publiques remboursables (qui sont au contraire
incluses) était sujette à caution. En effet, aucun suivi n’est effectué sur le
remboursement effectif des subventions publiques auquel les sociétés de
production se sont engagées (avances sur recettes, aides régionales). Au
vu de cette absence de contrôle et du faible taux de remboursement
constaté
47
, la question de l’exclusion de l’ensemble des subventions
publiques (y compris lorsqu’elles sont remboursables) de la base de
calcul du CIC et du CIA doit être posée.
b)
Le crédit d'impôt international
L'objectif du crédit d'impôt international (CII), créé en 2009, est
d’attirer en France la production de films et de programmes audiovisuels
étrangers par l'intermédiaire d'un producteur exécutif français. Liée par un
contrat avec l’entreprise de production dont le siège est situé hors de
France, l’entreprise de production exécutive est chargée, d’une part, de
réunir les moyens techniques et artistiques pour la réalisation de l’oeuvre
concernée, d’autre part, d’assurer la gestion des opérations matérielles de
fabrication de cette oeuvre et de veiller à leur bonne exécution. Le
producteur exécutif effectue ces opérations en contrepartie d’une
rémunération versée par le producteur étranger qui, ayant pris l’initiative
de la réalisation de l’oeuvre, en conserve la maîtrise et en assume la
responsabilité.
45
Subordonnée à l'autorisation de la Commission européenne, cette disposition
concernerait uniquement les programmes de fiction dont le coût de production
dépasse 35 000 €/ min, couvert au moins à 30 % par des financements étrangers.
46
Ce seuil est porté à 60 % pour les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles
difficiles et à petit budget, définies par décret.
47
Le taux de remboursement moyen de l’avance sur recettes était par exemple de
5,1 % sur la période 2001-2010.
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38
COUR DES COMPTES
Le CII, qui s'adresse aux seules entreprises de production
exécutive établies en France, assujetties à l'impôt sur les sociétés et
respectant la législation sociale, vise ainsi à renforcer la compétitivité des
producteurs exécutifs français sur le marché mondial. Dans cette
perspective, les producteurs exécutifs ne peuvent solliciter l'octroi du CII
qu'au titre d'une oeuvre déterminée
48
dont le producteur est établi hors de
France et qui n'a fait l'objet d'aucune aide financière du CNC.
Le dispositif est explicitement orienté vers les oeuvres présentant
un budget significatif. Ainsi, seules les oeuvres pour lesquelles le montant
des dépenses éligibles est supérieur ou égal à 1 M€ peuvent bénéficier du
crédit d’impôt. Les oeuvres de fiction doivent également faire l’objet d’au
moins cinq jours de tournage en France. Enfin, l’octroi du crédit d’impôt
est subordonné à une condition tenant au propos des oeuvres, qui doivent
« comporter, dans leur contenu dramatique, des éléments rattachés à la
culture, au patrimoine ou au territoire français ». Le respect de cette
condition est vérifié au moyen d'un barème de points dont le contenu est
fixé par décret.
Calculé en appliquant un taux de 20 % aux dépenses éligibles
49
, le
crédit d'impôt obtenu est doublement plafonné. Comme pour le CIC et le
CIA (cf. supra), les dépenses éligibles ne peuvent représenter plus de
80 % du budget de production. En outre, le montant total du crédit
d’impôt octroyé pour une oeuvre ne peut excéder 4 M€, plafond que la loi
de finances rectificative pour 2012 a relevé à 10 M€ en 2013.
4 -
Une dépense fiscale en croissance rapide
Évalué à 80 M€ en 2006, le coût pour l’État des crédits d’impôt
dévolus à la production cinématographique et audiovisuelle a crû
rapidement en raison de la montée en puissance du CIC et du CIA
(+ 50 % entre 2006 et 2009), puis la création du CII en 2009, portant leur
coût total à près de 120 M€ en 2012. Les SOFICA, pour leur part, ont peu
contribué à cette croissance de la dépense fiscale.
Avec les SOFICA et hors mécanismes fiscaux de droit commun, la
dépense fiscale totale s’établit à 145 M€ en 2012, contre 19,7 M€ en
2004.
48
Seules les oeuvres de fiction et d'animation sont éligibles.
49
Une extension des dépenses éligibles de 20 % à 30 % du budget pour les films au
budget inférieur à 4 M€ a été instaurée par la loi de finances pour 2014.
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39
Tableau n° 2 : évolution du coût des crédits d'impôt en faveur de la
production cinématographique et audiovisuelle, depuis 2004 (en M€)
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013*
2014*
CIC
création
30
40
50
60
60
51
57
58
54
70
CIA
-
création
40
40
60
60
49
50
51
54
62
CII
-
-
-
-
-
création
4
8
9
12
12
Total
-
30
80
90
120
120
104
115
118
120
144
Dépense
fiscale, y
inclus
SOFICA
19,7
52,1
104,8
121,1
145,9
146,5
134,3
145,3
145,1
140
164
Source : Projets de loi de finances 2006 à 2014, évaluation des voies et moyens
(tome 2) ; * les chiffres pour 2013 et 2014 sont prévisionnels. Le recours aux
dispositifs fiscaux de droit commun pour l’investissement dans les PME, ne pouvant
être chiffré, ne figure pas sur ce graphique.
Cette tendance haussière pourrait s’accentuer encore dans les
années qui viennent : les modifications apportées par le législateur en
2012 (cf. supra) ont en effet renchéri le coût de ces dispositifs. Entre 2012
et 2014, l’augmentation prévisionnelle s’élève à 21 % pour le CIC, 22 %
pour le CIA et 33 % pour le CII, le montant prévisionnel des trois crédits
d’impôt étant estimés à 144 M€ en 2014
50
.
Le coût complet de ces trois dispositifs, cependant, est
vraisemblablement inférieur aux évaluations annexées à la loi de
finances. Les dépenses de production réalisées en France à l'occasion de
la production des oeuvres ayant bénéficié des crédits d'impôt donnent lieu,
en effet, à des consommations intermédiaires (dépenses d'hébergement,
de restauration, de transport, emploi local, etc.) et des recettes fiscales
associées (notamment la taxe sur la valeur ajoutée, l'imposition des
revenus et des bénéfices, les charges sociales) qui diminuent le coût direct
des crédits d'impôt. Ces recettes induites, difficiles à mesurer, ne
remettent toutefois pas en cause l’accroissement global de la dépense
fiscale sur la période.
50
Les
modifications
apportées
aux
trois
crédits
d’impôt
par
la
loi
du
29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 (extension des dépenses
éligibles et relèvement des plafonds) ont été autorisées par la Commission européenne
par décision du 2 juillet 2013 jusqu’au 31 décembre 2013, puis par une nouvelle
décision du 28 octobre 2013 jusqu’au 31 décembre 2014. Les autorités françaises
devront notifier à la Commission européenne toute prolongation du régime actuel au-
delà de la date du 31 décembre 2014.
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40
COUR DES COMPTES
C - Les aides locales
L'intervention des collectivités territoriales dans les secteurs
cinématographiques et audiovisuels remonte au milieu des années 1980
51
.
Ce sont principalement les régions, mais aussi des départements (Alpes-
Maritimes, Charente, Pyrénées-Atlantiques) et quelques communes
(Paris, Strasbourg), qui ont progressivement développé des fonds de
soutien, d’abord pour financer la production cinématographique, avant
d’en ouvrir l’accès à la production audiovisuelle.
Dès la fin des années 1980, l'État, par l'intermédiaire des directions
régionales des affaires culturelles (DRAC) et du CNC, a abondé ces fonds
régionaux dans le cadre de conventions spécifiques. Depuis 2004, des
conventions pluriannuelles tripartites entre l’État, le CNC et les conseils
régionaux ont été conclues afin d’inscrire ce partenariat dans la durée et
d'en rendre les modalités d'application homogènes. Ces conventions, qui
peuvent
associer
d’autres
niveaux
de
collectivités
territoriales
(départements, groupements de communes, communes), se déclinent en
avenants financiers annuels qui définissent les engagements de chacun.
Les conventions sont structurées en trois parties : le soutien à la
production et l'accueil des tournages
52
, la diffusion culturelle et
l'éducation artistique, enfin l'exploitation cinématographique, avec un
volet relatif à la numérisation des salles. Pour ce qui est de la première
partie de ces conventions, la mesure dite du « 1 euro du CNC pour
2 euros de la région », mise en place en 2001, prévoit que le CNC
abonde, par des crédits issus du compte de soutien, les aides à la
production accordées par les collectivités territoriales aux projets de longs
métrages, de courts métrages et de programmes audiovisuels
53
. Le CNC
réserve ce dispositif aux oeuvres qu’il a précédemment agréées et limite
son intervention à 2 M€ par an et par convention.
51
Les premiers fonds d'aides ont été créés en 1985 (Aquitaine) et en 1986 (Midi-
Pyrénées).
52
La première partie des conventions s'étend parfois au-delà du seul champ de la
production et prévoit l'attribution d'aides à l'écriture, au développement et à la
postproduction.
53
Ce dispositif ne concerne que les aides à la production. Les dotations des
collectivités territoriales et du CNC pour les aides à l'écriture et au développement
sont librement déterminées par les deux cocontractants.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
41
Graphique n° 7 : dépenses engagées par l'État et les collectivités
territoriales en faveur du cinéma et de l'audiovisuel dans le cadre
conventionnel, depuis 2001 (en M€)
Source : Cour des comptes, d'après données CNC et CICLIC (agence
régionale du Centre pour le livre, l'image et la culture numérique).
La décennie écoulée est marquée par la très forte augmentation des
dépenses de l'État via le CNC et, plus encore, de celles des collectivités
territoriales au titre de ces conventions. Les dépenses consolidées de
l'État et des collectivités territoriales ont ainsi progressé de 15,58 M€ en
2001 à 112,81 M€ en 2012, soit une multiplication par sept du volume
des aides accordées au niveau local.
Les objectifs poursuivis par les collectivités territoriales dans le
cadre des conventions conclues avec le CNC ont progressivement évolué.
Si la formation de nouveaux talents et des nouveaux publics (politique
d'éducation à l'image) occupe toujours une place stratégique de ce
partenariat, sa dimension économique s’est récemment renforcée :
l'entretien du parc des salles de cinéma, l'encouragement de l'emploi
régional et la localisation des tournages occupent une part de plus en plus
importante dans les conventions.
Tandis que l'accueil des tournages
stricto sensu
ne représente
qu'une part minime des dispositifs, les aides attribuées à l'écriture et au
développement ainsi qu'à la production (près de 49 % des 112,8 M€
dépensés
dans
le
cadre
des
conventions)
impliquent
pour
les
bénéficiaires, dans la quasi-totalité des cas, un engagement minimum de
localisation des dépenses de pré-production et de production.
3
27
12
85
0
20
40
60
80
100
120
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
CNC et DRAC
collectivités territoriales
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42
COUR DES COMPTES
Graphique n° 8 : ventilation des dépenses engagées en 2012 dans le
cadre de la politique conventionnelle du CNC et des collectivités
territoriales
Source : Cour des comptes d'après CNC.
De fait, comme le notait en 2012 la commission nationale du Film
France, « pour la majorité des régions, l'essentiel de l'activité [de
tournage] est drainé par les aides accordées aux films. » Les tournages
ayant eu lieu en France en 2012 sans avoir bénéficié d'aides des
collectivités territoriales se sont concentrés sur l'Île-de-France, en
Provence-Alpes-Côte d’Azur et, dans une moindre mesure, en Aquitaine,
Languedoc-Roussillon, Pays de la Loire et Basse-Normandie
54
.
La prise en compte de la dimension économique de l'aide apportée
par les collectivités territoriales à la production conduit dans certains cas
celles-ci à revendiquer une part des recettes d'exploitation des films et des
programmes audiovisuels qu'elles cofinancent (cf. annexe n° 6).
Accompagnant les initiatives isolées de quelques régions, la
politique conventionnelle du CNC aura progressivement permis, au cours
des deux dernières décennies, de structurer au niveau national une
54
La commission Film France note que la région Basse-Normandie a réussi en 2012
« la performance d'attirer 100 % de son activité de tournage de longs-métrages sans
subvention ».
écriture-
développement
3%
production de
long-métrage
24%
production de
court-métrage
6%
production
audiovisuelle
19%
accueil des
tournages
3%
éducation
artistique et
diffusion
culturelle
33%
aide aux
salles de
cinéma
11%
aide aux
nouveaux
médias
1%
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
43
politique de soutien cohérente et homogène, conduite en partenariat avec
l'ensemble des collectivités territoriales.
Sans remettre en cause cette construction, l’utilité de la subvention
systématique apportée, sur fonds publics, à la politique publique menée
au niveau local n’apparaît pas évidente. Une intervention plus
différenciée du CNC en faveur des collectivités territoriales permettrait de
mieux valoriser les avantages comparatifs des régions (comme la
présence de sites naturels favorisant la localisation des tournages,
d'industries techniques, d'écoles de formation spécialisées, de festivals
thématiques, de partenariats historiques avec des pays frontaliers, etc.).
Certaines régions se démarquent d’ores et déjà par une spécialisation de
leurs investissements (l’écriture pour la région Rhône-Alpes, le court-
métrage pour la région Centre, etc.).
Le cadre conventionnel liant le CNC aux collectivités territoriales
demeure à cet égard marqué par une certaine rigidité :
-
les sommes accordées pour chaque dispositif d'aides par le
CNC ne sont pas fongibles ;
-
la conclusion d'une convention avec le CNC et le bénéfice du
dispositif « un euro pour deux » supposent nécessairement,
pour la région concernée, le développement d’actions sur les
trois parties de la convention : le soutien à la production et
l'accueil des tournages
55
, la diffusion culturelle et l'éducation
artistique, enfin l'exploitation cinématographique.
La pertinence de la règle du « 1 euro pour 2 », et plus
particulièrement le principe de son automaticité, devrait être examinés à
la lumière des enjeux qui touchent aujourd’hui à la territorialisation de la
production. Dans ce contexte, une concentration des investissements
consolidés de l’État et des collectivités territoriales sur les avantages
comparatifs des régions et sur leurs projets les plus innovants paraîtrait
mieux appropriée.
D - Les garanties bancaires de l’IFCIC
Créé en 1983 à l’initiative du ministère de la culture, l’Institut pour
le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) est une
société anonyme dont l’État possède directement 18,9 % du capital et
indirectement 49,2 % au travers des organismes qu’il contrôle. Doté du
statut d’établissement de crédit depuis décembre 1996, l’IFCIC a pour
55
En réalité, la première partie des conventions s'étend parfois au-delà du seul champ
de la production et prévoit l'attribution d'aides à l'écriture, au développement (pré-
production) et à la postproduction.
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44
COUR DES COMPTES
mission de garantir les prêts consentis aux entreprises ou organismes des
secteurs
du
cinéma,
de
l’audiovisuel,
de
la
culture
et
de
la
communication. En cas de défaillance de l’emprunteur, la perte finale est
ainsi partagée entre l’établissement de crédit et l’IFCIC en fonction du
niveau de garantie que celui-ci a consenti.
Tableau n° 3 : évolution de l’encours des crédits garantis par le
fonds du CNC entre 2008 et 2011 (en M€)
2008
2009
2010
2011
2008-
2011
encours des crédits
512,9
551,5
708,6
767,0
+ 50 %
nouveaux crédits (garantis dans
l'année)
305,0
372,8
527,7
477,6
encours des garanties
256,4
284,4
340,2
359,3
+ 40 %
nouvelles garanties (accordées
et utilisées durant l'exercice)
157,1
195,1
247,2
234,3
Source : Cour des comptes.
Si
ses
activités
couvrent
plusieurs
champs
56
,
le
secteur
cinématographique et audiovisuel constitue sans conteste son principal
domaine d’intervention. Géré par l’IFCIC, le fonds de garantie du CNC
est un fonds public qui représente 94 % des engagements de l’IFCIC, soit
un encours de garanties de 359 M€ en 2011, couvrant une valeur de
crédits de 767 M€.
L’encours des crédits garantis par le CNC a connu une progression
dynamique entre 2008 et 2011 (+ 50 %), un peu inférieure (+ 40 %) à
celle du volume des garanties sur la même période.
Disposant de 63,8 M€ en 2011, le fonds de garantie du CNC est
divisé en cinq sous-fonds (production cinématographique, production
audiovisuelle, exploitation – nommé « Ciné Caution » –, industries
techniques et jeu vidéo) qui permettent de garantir un large éventail de
crédits bancaires. La répartition du fonds entre ceux-ci est décidée chaque
année lors de la demande de dotation au CNC, sur la base des
anticipations de demandes de garanties prévisibles.
À l’exception de l’année 2010, au cours de laquelle le fonds Ciné
Caution a connu un abondement en prévision de la numérisation des
salles de cinéma, la répartition est relativement stable dans le temps.
56
Livre, musique, spectacle vivant, arts plastiques, photographie, théâtre, danse,
presse, théâtre, privé, création de mode, galeries d’art.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
45
Tableau n° 4 : évolution du montant des sous-fonds et du fonds de
garantie CNC entre 2008 et 2012 (en millions d’euros)
2008
2009
2010
2011
2012
2008-
2012
production – cinéma
27,9
26,7
27,5
33,0
40,8
46,2 %
production –audiovisuel
8,5
8,0
9,3
11,2
12,9
51,8 %
exploitation - cinéma (Ciné Caution)
8,1
8,3
12,7
12,9
11,2
38,3 %
industries techniques
5,2
5,7
5,6
6,5
6,5
25,0 %
jeu vidéo
-
-
-
0,3
0,3
-
Total
49,7
48,6
55,1
63,8
71,1
44,3 %
Source : IFCIC (rapports d’activité).
Les sous-fonds production cinématographique (56,9 % du fonds
CNC en 2012) et audiovisuelle (18,0 % du fonds CNC) garantissent des
lignes de crédit à court terme correspondant à toutes les étapes de la
création d’un projet cinématographique ou audiovisuel. Sont éligibles les
crédits de développement (de l’acquisition des droits à la décision de mise
en production), les crédits de préparation (de la décision au début du
tournage), les crédits de fabrication (la trésorerie du tournage), les crédits
à l’exportation, les crédits de distribution et les crédits de trésorerie.
En raison de la très forte spécialisation du système bancaire en
matière
cinématographique
et
audiovisuelle,
deux
établissements
bancaires, COFICINE et COFILOISIRS, représentent à eux seuls 99 %
des apports de crédits à garantir au titre des deux sous-fonds cinéma et
audiovisuel. En 2011, l’IFCIC a ainsi garanti 78 % des crédits distribués
par COFILOISIRS et 64 % de ceux de COFICINE.
Le sous-fonds exploitation, Ciné Caution (15,6 % du fonds CNC),
garantit les crédits à moyen et long terme et les crédits-bail des
exploitants ou associations d’exploitants indépendants de salles de
cinéma. Les crédits garantis portent sur tous les projets : création,
acquisition, transmission, modernisation, aménagements, renouvellement
et modernisation de matériels d’exploitation. L’origine des dossiers est
très diverse et émane principalement d’établissements de crédit non
spécialisés dans l’économie du cinéma qui agissent pour le compte
d’exploitants indépendants, répartis sur l’ensemble du territoire. Les
interventions de l’IFCIC concernent essentiellement des cinémas offrant
moins de sept écrans, situés très majoritairement hors de la région
parisienne.
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46
COUR DES COMPTES
Quel que soit le sous-fonds considéré, les garanties accordées par
l’IFCIC se caractérisent par au moins trois traits communs :
-
les taux de garantie sont fixes, bien que les logiques
économiques de chaque secteur soient différentes. Si les
barèmes changent en fonction de l’étape d’un projet (le taux de
garantie de la phase de développement, plus risquée, davantage
centrée sur la création et plus éloignée des contreparties
commerciales, est nettement supérieur aux autres), la politique
de couverture est
in fine
peu modulable ;
-
les garanties accordées par l’IFCIC sont soumises à de faibles
taux de sélectivité. À titre d’exemple, pour le sous-fonds
production cinématographique, les taux de rejet sont très
faibles : 4,9 % en 2010, 2,7 % en 2011. Ils sont légèrement plus
élevés pour le sous-fonds audiovisuel : 5,0 % en 2010, 7,2 % en
2011. En l’absence de critères de sélection fondés sur des
orientations préalablement définies ou sur le contenu artistique
des projets, il n’y a pas d’autres motifs de rejet que la mauvaise
qualité du plan de financement. Or, il n’est pas dans l’intérêt
des établissements financiers travaillant avec l’IFCIC, en
nombre fort limité, de présenter de tels plans ;
-
afin de respecter le principe d’individualisation des garanties,
l’examen des dossiers se fait projet par projet et non par
emprunteur.
En 2012, la part des encours de crédits consacrée à la production
cinématographique et audiovisuelle représente 76,5 % des encours.
L’encours des crédits du fonds production cinématographique garantis
par l’IFCIC a augmenté de 60 % au cours des quatre années précédentes.
Toutefois, cette progression ne correspond pas à une croissance régulière
de la production annuelle de risques, celle-ci ayant connu des à-coups
importants.
II
-
Des soutiens indirects d’une complexité
croissante
Au cours des années 1980, l'ouverture progressive à la concurrence
du secteur audiovisuel a donné naissance, en France, à un dispositif
original de soutien à la production, prenant la forme d'obligations
d'investissement et de quotas de diffusion s'imposant aux chaînes de
télévision, en contrepartie de l'octroi à titre gratuit des licences
d'exploitation des fréquences hertziennes appartenant à l'État.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
47
Graphique n° 9 : les investissements obligatoires des chaînes en 2002
et 2012 (en M€)
Source : Cour des comptes.
Si elles ne relèvent pas de la catégorie des aides publiques
57
, les
dispositions réglementaires qui imposent ces obligations d’investissement
constituent néanmoins l’un des instruments de la politique publique de
soutien à la production, d’autant plus qu’une partie de ces dépenses
obligatoires provient de chaînes de l’audiovisuel public (531 M€ en
2012), au premier rang desquelles France Télévisions, ces chaînes étant
majoritairement financées par la fiscalité et des dotations budgétaires. En
outre, une partie des investissements des chaînes privées (en particulier
Canal +) est conçue comme une contrepartie à un régime fiscal plus
favorable que le droit commun. Les investissements obligatoires des
chaînes de télévision ont représenté 1,2 Md€ en 2012.
A - Les obligations pesant sur les diffuseurs
Les premières mesures de soutien à la filière cinématographique
ont été introduites par la loi sur l’audiovisuel du 29 juillet 1982 : celles-ci
visaient à ne pas compromettre l’exploitation des films en salles et à
garantir la contribution financière des chaînes de télévision au
développement de la production cinématographique. Ces dispositions ont
été complétées par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication, qui a généralisé les obligations d'investissement et les
quotas de diffusion s'imposant aux diffuseurs, tandis qu’elle élargissait
ces mesures à la production audiovisuelle. Un tel cadre a été par la suite
57
En vertu d’une pratique constante de la Commission européenne comme de la
jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (
UTECA
, 5 mars 2009).
388
464
531
626
0
100
200
300
400
500
600
700
Investissements obligatoires des
chaînes publiques
Investissements obligatoires des
chaînes privées
2002
2012
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48
COUR DES COMPTES
étendu, sous la forme d’une obligation minimale, à l’ensemble des pays
européens, par l’intermédiaire d’une directive communautaire s’inspirant
du dispositif français : la directive « télévisions sans frontières
58
», révisée
en 2010.
Traduisant tout autant les craintes du législateur à l'égard d'un
média alors considéré comme concurrent du cinéma que la volonté
d'associer les groupes audiovisuels à la politique de soutien à l'image, le
système des obligations repose encore aujourd'hui sur deux piliers :
l'orientation de la programmation des chaînes par l'intermédiaire des
quotas de diffusion, et l'orientation de leurs dépenses par des obligations
d'investissement.
Ces deux dispositifs poursuivent deux objectifs complémentaires :
la consolidation de l’industrie de la production, grâce à l’apport financier
massif et régulier des diffuseurs, et la diversité de l’offre de films et de
programmes audiovisuels.
1 -
Les quotas de diffusion
Afin d’éviter que la diffusion des films à la télévision ne nuise à
l'audience des salles de cinéma, le législateur a interdit la programmation
d’oeuvres cinématographiques à la télévision aux jours et heures où la
fréquentation en salles est la plus forte. Plus de trente ans après son
adoption, ce dispositif reste en vigueur et la plupart des chaînes de
télévision hertziennes en clair ne peuvent, par exemple, diffuser de films
le mercredi, ni le vendredi soir, le samedi et le dimanche avant 20h30
59
.
De la même façon, la quantité de films diffusés annuellement par les
chaînes reste plafonnée (192 films pour les chaînes hertziennes en clair,
auxquels peuvent s’ajouter jusqu’à 52 films classés art et essai)
60
.
Par ailleurs, la loi du 30 septembre 1986 a posé le principe d'un
encadrement réglementaire de la programmation des chaînes de
télévision, publiques et privées, sous la forme de quotas de diffusion
exprimés en proportion du temps annuellement consacré à la diffusion
d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. La loi a fixé le niveau de
ces quotas à 60 % de la programmation pour les oeuvres européennes et à
40 % pour les oeuvres d’expression originale française.
58
Directive n° 89/552/CEE du 3 octobre 1989, articles 4 et 5 puis directive
2010/13/UE du Parlement et du Conseil du 10 mars 2010.
59
Des dérogations peuvent être accordées pour les films d'art et essai après 22h30 les
mercredis, vendredis et samedis.
60
Articles 8 à 12 du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990. Les chaînes à péage et la
chaîne Arte bénéficient à cet égard de régimes plus favorables.
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
49
Le groupe audiovisuel public France Télévisions, lié par un cahier
des charges spécifique, doit pour sa part diffuser au moins 70 % d'oeuvres
audiovisuelles d'origine européenne, dont 50 % d'oeuvres d'expression
originale française. Cette obligation doit être respectée entre 18 heures et
23 heures, ainsi que le mercredi, le samedi et le dimanche entre 14 heures
et 18 heures. Enfin, afin de favoriser la production inédite, les services
gratuits dont le chiffre d’affaires est supérieur à 350 M€, c’est-à-dire les
principales chaînes historiques (TF1, France Télévisions et M6), sont
tenus de diffuser, en première partie de soirée, 120 heures d’oeuvres
audiovisuelles européennes ou d’expression originale française inédites.
2 -
Les obligations d'investissement dans la production
En dépit des nombreuses modifications qui y ont été apportées, le
principe des obligations d'investissement est demeuré constant depuis la
fin des années 1980 : chaque année, les chaînes de télévision doivent
investir dans la production d'oeuvres européennes et d’expression
originale française des sommes déterminées en proportion de leur chiffre
d’affaires net de l’exercice précédent. Une part très majoritaire de ces
investissements doit revenir à la production indépendante.
Tout au long des années qui ont suivi, le principe des obligations
d'investissement s'est progressivement décliné en un enchevêtrement
complexe de textes ne présentant pas la même portée normative :
-
les décrets adoptés en 1990
61
, dits décrets « Tasca », ont fixé le
montant des obligations s'imposant aux diffuseurs, précisé la
notion de production indépendante et déterminé la répartition
des
droits
issus
de
l'exploitation
des
oeuvres
et
des
programmes ; depuis 2010, l'actualisation des dispositions
contenues dans les décrets « Tasca » résulte de l'extension
réglementaire de négociations professionnelles ;
-
les conventions liant chaque diffuseur au conseil supérieur de
l'audiovisuel (CSA) précisent et déclinent les dispositions
contenues dans les décrets en déterminant notamment le niveau
d'investissement
par
catégorie
d'oeuvre,
le
niveau
de
mutualisation des obligations au sein des chaînes d'un même
groupe et
la
possibilité
de
report
des
investissements
obligatoires sur plusieurs exercices ;
-
les
négociations
bilatérales
ou
multilatérales
entre
les
producteurs
audiovisuels
et
cinématographiques
et
les
diffuseurs peuvent enfin se traduire par des engagements de la
61
Décrets n° 90-66 et 90-67 du 17 janvier 1990.
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50
COUR DES COMPTES
part
de
certains
diffuseurs,
dont
la
formalisation
est
indépendante des conventions passées avec le CSA et de
l’application des décrets « Tasca ».
En matière cinématographique, la contribution financière des
chaînes de télévision peut prendre la forme, soit d'achats ou de préachats
de droits de diffusion, soit d'investissements dans la production de films
par l'intermédiaire d'une filiale de la chaîne de télévision, la filiale
concernée devenant alors coproductrice du film financé. Depuis 2010,
cette contribution s'élève à 3,2 % du chiffre d'affaires, avec un sous-quota
de 2,5 % d'investissement dans les oeuvres d'expression originale
française qui s’applique à la plupart des chaînes (cf. annexe 7).
Les obligations d'investissement en matière de production
audiovisuelle visent plus spécifiquement les programmes audiovisuels
présentant une dimension patrimoniale. En règle générale, les chaînes de
télévision généralistes hertziennes ont le choix entre deux modèles
d'investissement : soit une obligation globale d'investissement de 12,5 %
du
chiffre
d'affaires
dans
la
production
audiovisuelle
d'oeuvres
patrimoniales, soit un apport de 15 % du chiffre d'affaires dans la
production audiovisuelle, avec un sous-quota en faveur des oeuvres
patrimoniales de 10,5 %
62
.
Loin
d'être
monolithique,
le
régime
des
obligations
d'investissement se traduit au contraire par une grande variété de
situations, conduisant à une modulation du niveau des investissements en
fonction des spécificités des diffuseurs.
Les chaînes de la télévision numérique terrestre ont ainsi bénéficié
de la possibilité d’étaler jusqu’en 2015 l’augmentation de leur niveau
d’obligations. Les éditeurs de services de cinéma de première diffusion
63
sont soumis à un traitement particulier : leurs obligations d'investissement
prennent la forme d'obligations d'achat de droits limitées aux oeuvres
patrimoniales, le taux des obligations étant réduit lorsque la chaîne est,
comme dans le cas de Canal +, son propre distributeur.
62
Les chaînes non hertziennes (émises par le câble, le satellite et internet) sont
soumises, quant à elles, à un régime d'obligations légèrement différent : les sommes
investies dans la production audiovisuelle doivent s'élever à 14 % du chiffre d'affaires
net de l'exercice précédent, dont 8,5 % consacrés aux oeuvres patrimoniales.
63
Il s’agit des services qui diffusent annuellement au moins une oeuvre
cinématographique en première exclusivité télévisuelle (hors paiement à la séance) ou
plus de dix oeuvres cinématographiques en seconde exclusivité, dans un délai inférieur
à 36 mois après leur sortie en salles (Canal +, TPS Star jusqu’en 2012).
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UN SYSTEME DE SOUTIEN EN EXPANSION CONTINUE
51
La situation particulière des chaînes publiques a également justifié
un traitement spécifique de leurs obligations d'investissement. Ainsi, la
chaîne culturelle Arte, qui n’est pas soumise à la réglementation
française, s’acquitte néanmoins, en application de son contrat d’objectifs
et de moyens 2012-2016, d’obligations d’investissement dans la
production cinématographique et audiovisuelle, définies en valeur
absolue (au moins 77 M€ en 2012, 78,5 M€ en 2013 et jusqu’à 86 M€ en
2016).
Le groupe France Télévisions, quant à lui, est assujetti à un cadre
encore plus contraignant. En application de son cahier des charges, qui lui
fixe pour mission d'être « l'un des premiers investisseurs dans la création
audiovisuelle et cinématographique d'expression originale française », le
groupe doit à la fois :
-
consacrer chaque année à des dépenses contribuant au
développement de la production d'oeuvres audiovisuelles
européennes ou d'expression originale française un minimum
de 20 % du chiffre d'affaires net de l'exercice précédent à
compter de 2012. Le contrat d’objectifs et de moyens 2010-
2015 fixe, en outre, un minimum d’investissement en valeur
absolue, de 420 M€ à partir de 2012 (ramenés à 400 M€ par
l’avenant du 22 novembre 2013). Cette contribution doit être
intégralement affectée à des oeuvres patrimoniales, et bénéficier
à hauteur de 95 % à la production indépendante (au lieu de
75 % pour les autres chaînes)
64
;
-
consacrer 3,5 % de son chiffre d’affaires à des dépenses de
production cinématographique (au lieu de 3,2 % pour les autres
chaînes), alors que ses dépenses en coproduction sont limitées à
45 % des sommes investies. Le contrat d’objectifs et de moyens
2010-2015 fixe, en outre, un minimum d’investissement, de
59,3 M€ à partir de 2012 (57 M€ en application de l’avenant
signé le 22 novembre 2013).
Plusieurs dispositions à caractère général ont été introduites, en
matière de financement audiovisuel comme cinématographique, pour
préserver l'indépendance des producteurs et la diversification des
financements. Ainsi, les investissements de toutes les chaînes dans la
production cinématographique doivent être dirigés, dans une proportion
64
Article 9 du cahier des charges de la société nationale de programmes France
Télévisions, annexé au décret n° 2009-796 du 23 juin 2009.
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COUR DES COMPTES
au moins égale à 75 %, vers la production indépendante
65
. Les apports en
coproduction des diffuseurs ne peuvent représenter plus de la moitié des
sommes investies au titre des obligations d'une chaîne, ni couvrir plus de
la moitié du coût de l'oeuvre financée. De même, les investissements
réalisés sous la forme de parts de coproduction ne sont éligibles au titre
des obligations que si la filiale de production de la chaîne de télévision
reste minoritaire parmi les producteurs du film.
3 -
Un acteur spécifique : le groupe Canal +
Première chaîne privée à péage française, née le 4 novembre 1984
dans le contexte de libéralisation du secteur audiovisuel, Canal +
66
a
introduit en France un modèle économique nouveau fondé sur les
ressources
tirées
des
abonnements
de
ses
téléspectateurs
(186 000 abonnés en 1984, 5,5 millions en 2012). De ce modèle
découlent des exigences fortes en matière de programmation, Canal +
devant s’efforcer de proposer à ses abonnés des contenus exclusifs à forte
valeur ajoutée : compétitions sportives, films et séries à succès diffusés en
première exclusivité.
Acteur à part dans le paysage audiovisuel français en raison du
droit, initialement exclusif, de diffuser de façon cryptée les films en
première exclusivité un an après leur sortie en salles, la chaîne s’est
engagée à appliquer des règles plus contraignantes que celles auxquelles
sont soumises les chaînes hertziennes historiques. Elle consacre ainsi
chaque
année
à
l’acquisition
de
droits
de
diffusion
d’oeuvres
cinématographiques européennes et d’expression originale française
respectivement au moins 12,5 % et 9,5 % de ses ressources totales
67
. Elle
s’est aussi engagée à ce que son obligation d’acquisition de droits de
diffusion d’oeuvres cinématographiques de longue durée d’expression
65
La définition de la production indépendante comprend un critère lié à la structure
capitalistique de la société de production (l’éditeur de services ne détient pas,
directement ou indirectement, plus de 15 % de son capital social ou de ses droits de
vote, et, inversement) et un critère lié à l’étendue des droits cédés à l’éditeur de
services (acquisition au maximum de deux diffusions, pour une durée d’exclusivité
n’excédant pas dix-huit mois ; limitation des mandats de commercialisation de
l’oeuvre détenus par la chaîne).
66
Le groupe Canal + est aujourd’hui une filiale à 100 % du groupe Vivendi.
67
En outre, par accord avec les organisations professionnelles du cinéma, repris dans
l’avenant à la convention avec le CSA signé le 22 décembre 2000, la chaîne s’est
engagée à ce que ses obligations d’acquisition de droits de diffusion ne soient pas
d’un montant inférieur au minimum garanti de 3,61 € par mois et par abonné au titre
des oeuvres européennes et de 2,73 € par mois et par abonné au titre des oeuvres
d’expression originale française.
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originale française bénéficie pour au moins 17 % du total au préachat de
films dont le devis est inférieur à 4 M€ (« clause de diversité »).
Canal + occupe donc une place de premier plan dans le
financement de la production cinématographique : en moyenne, entre
2001 et 2012, il a investi 140,1 M€ par an dans la production
cinématographique, soit 49,4 % du total des montants investis par
l’ensemble des diffuseurs.
Le groupe a bénéficié depuis l’origine
68
d'un taux réduit (de 7 % en
1986 à 5,5 % à compter de 1988) de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Au
terme des évolutions successives de la législation, Canal + conserve une
fiscalité favorable par rapport à la majorité des autres opérateurs de
télévision payante, puisque le régime actuel assujettit à une TVA à taux
plein les offres qui comportent l’abonnement à la télévision, à internet et
au téléphone (
triple play)
. La moins-value de recettes fiscales consentie à
Canal + représente une somme comprise entre 200 et 330 M€ par an
depuis 2007.
Depuis le 1
er
janvier 2014, le taux réduit appliqué à Canal + a été
porté à 10 %, alors que le taux normal a été relevé de 19,6 à 20 %. Le
manque à gagner pour les finances de l’État, sur la base du chiffre
d’affaires 2012, est alors estimé à 175 M€ annuels.
Ce régime favorable, que Canal+ partage avec Numéricable
69
, est
considéré par les pouvoirs publics comme une contrepartie aux
obligations d’investissement du groupe
Canal + dans la production
cinématographique
70
.
B - Un régime de plus en plus complexe
Les révisions des décrets « Tasca » intervenues en 2001 et en 2010
ainsi que les modifications apportées aux conventions liant les diffuseurs
au CSA et les changements introduits dans les contrats d'objectifs et de
moyens des chaînes publiques illustrent la volonté d'adapter fréquemment
68
En application du 3° du b
octies
de l’article 279 du code général des impôts, dans sa
rédaction issue de l’article 17 de la loi n° 85-1403 de finances pour 1986.
69
Qui propose également un service de télévision dont il est à la fois éditeur et
distributeur.
70
Lors de l’examen en commission de l'amendement I-CF 236 à la loi de finances
pour 2011, M. le rapporteur général a ainsi indiqué que c'est « au nom de l'impératif
culturel que nous avons renoncé à remettre en cause le taux réduit de TVA sur la
télévision payante », Mme la ministre de la culture et de la communication soulignant
en complément que « ce taux réduit a, en effet, pour contrepartie la contribution des
opérateurs au financement du cinéma français ».
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COUR DES COMPTES
le régime des obligations à la situation économique des diffuseurs et des
producteurs.
À l'origine, les obligations d'investissement dans la production
cinématographique n'étaient opposables qu'aux services de télévision
hertzienne diffusant plus de 104 fois des longs-métrages au cours d’une
année civile, qu’il s’agisse de diffusions ou de rediffusions. En matière
audiovisuelle, les obligations ne s'imposaient qu’à celles de ces chaînes
consacrant plus de 20 % de leur temps d’antenne à la diffusion d'oeuvres
audiovisuelles.
Les modifications successives des décrets « Tasca » ont permis de
prendre acte de l'extension progressive du champ des diffuseurs aux
opérateurs du câble, de la télévision numérique terrestre et aux services
numériques.
Parachevant cette évolution, le décret du 12 novembre 2010
71
a
étendu le périmètre des obligations d'investissement aux services de
médias audiovisuels à la demande (télévision de rattrapage
72
et services
payants à l’abonnement ou à l’acte).
Ces révisions ont également conduit à étendre la nature des
dépenses éligibles aux obligations d'investissement des chaînes de
télévision pour y inclure des dépenses d'intérêt général, par exemple les
dépenses engagées pour la promotion et l'accessibilité des oeuvres à
destination des personnes aveugles ou malvoyantes. En matière de
production audiovisuelle, les dépenses éligibles ont été étendues aux
travaux d'écriture, aux dépenses de formation des auteurs et au
financement des festivals. En matière de production cinématographique,
les dépenses éligibles s'étendent, depuis 2010, aux versements à des fonds
participant à la distribution en salles d'oeuvres agréées.
Si
les
multiples
révisions
apportées
aux
obligations
d'investissement ont visé à introduire plus de souplesse dans le dispositif,
elles ont incontestablement nui à la clarté des objectifs poursuivis et à la
mesure de leur efficacité : ainsi en est-il de la possibilité de diminuer le
taux de l'obligation en prenant en compte, sous certaines conditions et
pour une partie des dépenses seulement, les montants investis dans des
émissions non patrimoniales, ou de l'affectation d'un coefficient
multiplicateur à certaines dépenses (travaux d'écriture, audio-description).
71
Décret n° 2010-1379 du 12 novembre 2010.
72
La télévision de rattrapage correspond à l’ensemble des services permettant de voir
ou revoir gratuitement des programmes après leur diffusion sur une chaîne de
télévision, pendant une période déterminée. En 2012, toutes les chaînes nationales
gratuites proposent ce service.
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55
En outre, à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, les
négociations interprofessionnelles entre les producteurs audiovisuels et
cinématographiques et les chaînes de télévision ont eu pour effet de
rendre ce régime encore plus complexe. Certains diffuseurs se sont en
effet engagés, par voie de convention avec le CSA, sur des objectifs
intermédiaires qui, s'ils ne figurent pas dans les décrets, n'en sont pas
moins contraignants pour eux (à titre d'exemple, l'orientation de deux
tiers des investissements dans la production audiovisuelle vers les
programmes inédits, pour TF1 et M6).
C - Les diffuseurs, principaux financeurs de la
production cinématographique et audiovisuelle
L’existence d'obligations réglementaires a assuré une relative
stabilité des investissements dans la production audiovisuelle et
cinématographique française : exprimées en euros constants, les sommes
investies par les diffuseurs ont crû au cours des dix dernières années de
17 % en matière de production cinématographique (passant de 253 à
296 M€)
et de 2 % en matière de production audiovisuelle (de 644 à
657 M€).
Malgré des inflexions liées aux évolutions du marché publicitaire
(entraînant parfois une baisse du chiffre d'affaires et donc du volume des
investissements des chaînes gratuites), le montant des investissements des
chaînes dans la production s’explique notamment par le maintien à un
niveau élevé des obligations de France Télévisions
73
et par l'apparition de
nouveaux diffuseurs qui, à l'instar des chaînes de la TNT, sont
susceptibles de constituer à l’avenir des relais de financement de la
production dans le cadre du régime des obligations.
73
Alimentée par la contribution à l’audiovisuel public (d’un montant total de 2,4 Md€
en 2001 et de 3,2 Md€ en 2012).
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56
COUR DES COMPTES
Graphique n° 10 : évolution des investissements des diffuseurs dans
la production cinématographique et la production audiovisuelle entre
2002 et 2012 (en M€ constants)
Source : Cour des comptes d'après données CNC. Inflation : base INSEE.
Malgré la hausse récente (de 24 M€ en 2011 à 37 M€ en 2012, soit
+ 57 %) des contributions des chaînes payantes du câble et du satellite
qui, outre Canal +, offrent des services de cinéma (principalement Orange
cinéma séries et TPS Star), le paysage reste marqué par le poids de
Canal + qui, avec 186,4 M€ (153 M€ en euros constants), représente à lui
seul plus de la moitié de l'ensemble des diffuseurs dans le financement de
la production cinématographique.
L'augmentation des investissements des chaînes du groupe France
Télévisions s'est avérée particulièrement dynamique sur la période
considérée (+ 146 %). Le groupe est ainsi devenu le deuxième diffuseur
le plus important en matière de financement de la production
cinématographique française, avec un niveau d'investissement de 50,6 M€
en 2012.
Le financement de la production audiovisuelle par les chaînes de
télévision offre un paysage plus contrasté. Les investissements de Canal +
ont connu la progression la plus significative, passant de 14 à 54 M€ entre
2002 et 2012. Le groupe France Télévisions, dont les apports ont
augmenté de 35 %, reste le principal financeur du secteur avec 409 M€ en
2012, soit plus de la moitié des investissements.
0
200
400
600
800
1 000
1 200
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
production cinématographique
production audiovisuelle
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La décennie est également marquée par l'émergence des nouvelles
chaînes
de
la
télévision
numérique
terrestre
(TNT),
dont
les
investissements dans la production audiovisuelle ont atteint 26 M€ en
2012, s'approchant ainsi des 34 M€ investis par les chaînes du câble et du
satellite hors Canal +. La participation des services en ligne reste minime
à l'heure actuelle mais est en augmentation rapide.
Les sommes investies par les chaînes de télévision publiques dans
la production représentent des volumes financiers conséquents. En raison
de leur modèle de financement, qui repose en partie sur l’affectation de la
contribution à l’audiovisuel public (l’ancienne redevance audiovisuelle)
et sur des dotations budgétaires, les investissements dans la production
peuvent s’analyser pour partie comme des transferts opérés du
contribuable vers les entreprises du secteur cinématographique et
audiovisuel.
Non assujettie au régime des obligations, Arte a ainsi contribué à
hauteur de 58,8 M€ au financement de la création en 2012. La chaîne
étant presque exclusivement financée par la contribution à l’audiovisuel
public, l’effet de transfert sur le contribuable est quasi total. En ce qui
concerne France Télévisions, l’application aux sommes investies dans la
production du ratio correspondant à la part des financements publics dans
le chiffre d’affaires du groupe conduit à mettre en évidence un effet de
transfert estimé à 387,7 M€.
Au total, sur les 1,2 Md€ investis par les chaînes de télévision dans
la production cinématographique et audiovisuelle en 2012, 447 M€ – soit
plus du tiers des investissements – sont adossés à des ressources d’origine
fiscale et peuvent donc être considérés comme un financement public
indirect.
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58
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
_________
Le soutien à la production cinématographique et audiovisuelle est
constitué d’un large éventail de dispositifs alliant des aides directement
financées sur fonds publics (soutien du CNC, dépenses fiscales, aides des
collectivités territoriales) et des soutiens indirects, au travers des
dépenses obligatoires imposées aux chaînes de télévision (obligations
d’investissement) et de l’encadrement réglementaire des modalités de
diffusion des oeuvres (obligations de diffusion, chronologie des médias).
La dernière décennie a été marquée par un renforcement de la
dépense publique en faveur du secteur, du fait de l’accroissement des
taxes affectées au CNC (passées de 440 M€ en 2002 à 750 M€ en 2012,
en raison notamment de la création d’une nouvelle taxe, la TST
distributeurs, en 2008). Les soutiens du CNC affectés à la production sont
ainsi passés de 291 M€ en 2002 à 355 M€ en 2012, soit une augmentation
de 22 %. Cet accroissement de la dépense budgétaire a été atténué par
des mesures de prélèvement sur le fonds de roulement du CNC. Dans le
même temps, le coût de la dépense fiscale a fortement crû : outre le
renchérissement du coût des SOFICA, la création de trois crédits d’impôt
entre 2004 et 2009 a porté la dépense fiscale totale à 145 M€ en 2012,
soit une multiplication par huit en dix ans, à laquelle s’ajoute le recours
à des dispositifs fiscaux transversaux destinés à favoriser l’investissement
dans les PME. Par ailleurs, les aides des collectivités territoriales se sont
élevées à 47 M€ en 2012, soit une multiplication par près de sept sur la
période.
Au total, en incluant le fonds de garantie géré par l’IFCIC, les
aides directes à la production ont atteint 601 M€ en 2012, soit 88 % de
plus qu’en 2002.
Alors même que les ressources alimentant cette politique
(impositions de toute nature, dépense fiscale) font partie intégrante de la
loi de programmation des finances publiques, cette augmentation des
aides directes a eu lieu sans évaluation publique et concertée de leur
efficacité.
Le soutien direct est par ailleurs complété par les investissements
obligatoires des diffuseurs publics et privés dans la production (1,2 Md€
en 2012). Plus du tiers ont des coûts induits, fiscaux ou budgétaires, pour
la puissance publique.
Au-delà des bouleversements qui affectent aujourd’hui ce secteur
et remettent en cause les mécanismes de financement traditionnels,
l’analyse de la performance propre à chacune des composantes de cette
politique
publique
est
donc
indispensable
afin
d’en
repenser
l’architecture d’ensemble, d’en maîtriser les coûts, de limiter la
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59
redondance de l’intervention publique et de clarifier les responsabilités
entre les intervenants.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
1.
établir, dans le document de performance, sur la base d’une
évaluation rigoureuse des besoins du secteur et de l’efficacité
des dispositifs de soutien, une trajectoire pluriannuelle de
dépenses du CNC et adapter en conséquence le niveau de ses
recettes ;
2.
exclure les sociétés de production cinématographique et
audiovisuelle du bénéfice des dispositifs fiscaux de droit
commun
(TEPA,
Madelin)
visant
à
encourager
les
investissements des particuliers dans le capital des PME ;
3.
ajouter les subventions publiques remboursables à la liste des
subventions exclues du montant des dépenses éligibles aux
crédits d’impôt cinéma et audiovisuel ;
4.
mettre fin à l’abondement automatique des aides des
collectivités
territoriales
par
le
CNC
au
profit
d’un
conventionnement au cas par cas des dispositifs les plus
innovants.
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Chapitre II
Le soutien à la production
cinématographique : un modèle original
sous tension
À la différence du modèle intégré des studios anglo-saxons, la
production cinématographique française repose sur une logique de
préfinancement des oeuvres par des tiers. Un projet de film, avant le début
du tournage, réunit un ensemble de financeurs qui obtiennent en
contrepartie un intéressement aux recettes ultérieures liées à la
commercialisation du film
74
.
Adossé à un mécanisme de soutien public qui redistribue au
cinéma français une partie des recettes dégagées par l’exploitation des
oeuvres, quelle que soit leur nationalité, ce système de préfinancement
s’est
avéré
propice
au
développement
d’une
production
cinématographique nationale reconnue, qui a rencontré de nombreux
succès au cours des dernières décennies. Minoritaires, les financements
publics sont néanmoins essentiels aux montages délicats que comporte le
74
Ainsi, pour l’exploitation en salles, le producteur confie un mandat d’exploitation à
un distributeur qui lui verse ou non un minimum garanti. Le distributeur engage des
frais d'édition (copies, achats d’espaces publicitaires et frais de promotion),
programme les films dans les salles de cinéma et gère pour le compte du producteur la
remontée des recettes.
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62
COUR DES COMPTES
système de préfinancement, en particulier dans les segments les plus
vulnérables de la production.
Ce modèle est néanmoins confronté à des limites qui résultent pour
partie de son succès. Il provoque en effet une inflation, d’une part, du
nombre de films sans considération de leurs perspectives d’exposition et
de diffusion, et, d’autre part, des coûts de production et de distribution
des films aux budgets les plus importants, ce qui entraîne une dégradation
des conditions de financement de la production dans son ensemble.
I
-
Les atouts de la mutualisation des coûts
Visant à permettre aux producteurs de réunir les investissements
externes nécessaires à la production d’un film, le système de
préfinancement repose sur un équilibre subtil entre la régulation des
investissements et l’encadrement du partage de la valeur créée par
l’exploitation des films. Complétant cet édifice, les aides publiques à la
production sécurisent le financement des films fragiles et orientent les
recettes tirées de l’exploitation des oeuvres vers la production de
nouvelles oeuvres.
A - Le financement des oeuvres en contrepartie d’un
intéressement à leur exploitation
1 -
Une production portée par des financements d’origines
diverses
Dès qu’un projet de film naît, le ou les producteurs qui le portent
cherchent à en assurer le financement en sollicitant des partenaires
potentiellement intéressés avant le début du tournage. En contrepartie de
leur investissement, ceux d’entre eux qui sont des diffuseurs bénéficient
d’une période de diffusion exclusive de l’oeuvre et, le cas échéant, d'une
partie de ses recettes d'exploitation préalablement déterminée, cette
modalité de rémunération valant également pour les autres investisseurs.
S’élevant à près de 1,1 Md€ en 2012, les investissements ainsi
réalisés dans la production des films d’initiative française, sont de deux
ordres :
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-
des financements d’origine strictement privée (distributeurs,
éditeurs vidéo, exportateurs), dont le volume dépend des
perspectives de succès des productions
75
;
-
des financements encadrés (compte de soutien du CNC, aides
des collectivités territoriales, contribution des chaînes de
télévision, SOFICA).
Entre 2002 et 2012, la contribution des chaînes de télévision à la
production des films d’initiative française est ainsi passée de 249 M€ à
341 M€,
tandis
que
les
financements
privés
représentaient
une
contribution passant de 388 M€ à 598 M€
(dont 210 M€ des producteurs
en 2002, et 249 M€ en 2012). Les soutiens publics, pour leur part,
évoluaient dans le même temps de 87 M€ à 128 M€.
Graphique n° 11 : évolution des sommes investies dans la production
des films d'initiative française entre 2002 et 2012 (en M€)
Source : Cour des comptes d'après données CNC.
75
S'ils consistent le plus souvent en un apport financier récupérable sur les recettes
d'exploitation (« minimum garanti ») dans le cadre d'un mandat confié par le
producteur à celui qui distribuera l’oeuvre, ces préfinancements peuvent également
prendre la forme d'un intéressement aux recettes d'exploitation, voire d'une cession
des droits détenus par le producteur à un tiers en contrepartie d'une rémunération
(modèle de redevance, à l'oeuvre sur le marché de la vidéo physique).
0
200
400
600
800
1 000
1 200
1 400
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Soutiens publics
Financements privés
dont financements des
producteurs
Contribution des
chaînes de télévision
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COUR DES COMPTES
Alors que ces deux catégories d'investissement représentaient
chacune la moitié du plan de financement des films d'initiative française
en 2001, les financements d’origine privée ont vu leur part relative
progresser pour atteindre près de 58 % en 2012.
Cependant, cette évolution ne résulte pas d'une participation
moyenne plus importante des producteurs au financement des films -
celle-ci n'ayant au contraire cessé de baisser, pour ne plus représenter que
moins de 20 % en 2012 - mais d'une augmentation des minima garantis
relatifs à la distribution en salle et à la vente internationale. Elle masque
surtout une réalité très contrastée. Les investissements d’origine privée
sont majoritaires dans le plan de financement des films dont le budget est
inférieur à 1 M€ (en raison d’une exposition plus forte des fonds propres
des producteurs) ou supérieur à 7 M€ (en raison de l’importance des
mandats et des fonds propres du producteur). En revanche, les
investissements encadrés restent majoritaires dans les films au budget
compris entre 1 M€ et 7 M€.
Dans les faits, l’investissement en fonds propres des producteurs
dans le financement des films est très hétérogène : en 2012, il atteignait
61,5 % du budget pour les films d’un montant inférieur à 1 M€, baissait
fortement dans les tranches comprises entre 1 et 7 M€ (32,4 % pour les
films de 1 à 4 M€, 24,6 % pour les films de 4 à 7 M€), pour remonter
légèrement (27,7 %) pour les films de plus de 7 M€.
La part des aides publiques dans le plan de financement des films
diminue à mesure que le devis s’accroît : représentant, en 2012, près du
quart du budget des films au devis inférieur à 1 M€, cette part baisse
régulièrement jusqu’à un niveau de 3,8 % pour les films dont le devis est
supérieur à 7 M€. En outre, les devis moyens, caractéristiques de
productions portées par des sociétés indépendantes disposant de peu de
fonds propres, voient leur accès au marché bancaire facilité par
l’intervention
de
l’IFCIC,
dont
les
garanties
concernent
très
majoritairement des films aux budgets compris entre 1 M€ et 10 M€.
Les financements des chaînes de télévision se concentrent à
l’inverse sur les films les plus chers : quasiment absents des plans de
financement des films les moins coûteux, ils représentaient, en 2012, près
d’un quart du budget des films au devis compris entre 1 M€ et 4 M€ et
plus du tiers des budgets des films au devis supérieur à 4 M€. La même
tendance caractérise les apports des détenteurs de mandats de
commercialisation de l’oeuvre (en salle, à la télévision, en vidéo, sur le
territoire français ou à l’étranger), dont le poids relatif dans le plan de
financement des films s’accroît à mesure que le devis augmente.
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Tableau n° 5 : structure de financement des films d’initiative
française, en 2012
Montant du devis
< 1 M€
Entre 1 et
4 M€
Entre 4 et
7 M€
> 7 M€
Producteurs
français
61,5 %
32,4 %
24,6 %
27,7 %
Aides publiques
22,8 %
14,8 %
6,6 %
3,8 %
SOFICA
0,4 %
7,4 %
7,0 %
2,5 %
Chaînes de
télévision
4,4 %
26,3 %
38,0 %
33,2 %
Mandats
5,3 %
8,0 %
15,5 %
23,8 %
Apports étrangers
5,7 %
11,2 %
8,3 %
9,1 %
Source : Cour des comptes d’après données CNC.
2 -
Des revenus d'exploitation aléatoires et encadrés dans le temps
Le partage des recettes d'exploitation des films, qui est la
contrepartie des financements apportés, fait l’objet d’un encadrement
réglementaire pour le producteur délégué qui est le seul à bénéficier de
droit d’un « couloir » de recettes. Pour les autres participants au
préfinancement,
les
conditions
du
partage
des
recettes
sont
contractuelles
76
. Afin de maximiser les perspectives de recettes pour
chaque partie prenante au cofinancement d’un film, les conditions
d'exposition de l'oeuvre sont assujetties au respect de la « chronologie des
médias ».
Demeuré inchangé dans son principe depuis son adoption à la fin
des années 1980
77
, cet ensemble de règles vise à délimiter dans le temps
plusieurs fenêtres d'exploitation successives, liées à un support particulier
d’exposition (salle de cinéma, télévision, vidéo physique, vidéo
dématérialisée, notamment), au cours desquelles la commercialisation
d'un film sera assurée par les sociétés ayant conclu un accord avec les
ayants-droit. Le séquençage de la diffusion d'un film en plusieurs
fenêtres, correspondant à un consentement à payer décroissant de la part
76
Si elles peuvent diverger sur de nombreux points, ces dispositions s'inscrivent
néanmoins dans un même modèle, qui prévoit la remontée successive des recettes
d'exploitation après déduction des taxes, des sommes perçues au titre des droits
d'auteur et des droits voisins, des
minima
garantis versés par les partenaires au stade
de la production, des frais engagés par ces partenaires pour assurer la circulation du
film dans la fenêtre d'exploitation concernée et de la rémunération du producteur.
77
Le décret du 16 janvier 1987 interdisait notamment la diffusion par voie hertzienne
terrestre d'oeuvres cinématographiques moins de trois ans après l'obtention du visa
d'exploitation.
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COUR DES COMPTES
du consommateur, permet ainsi d'entretenir un effet de nouveauté et de
rareté, qui ralentit la dépréciation économique de l’oeuvre. Il constitue
aussi
une
contrepartie
à
l’engagement
des
différents
segments
d’exploitation dans le préfinancement des oeuvres.
Ce dispositif laisse une large part à la négociation entre les
organisations professionnelles
78
. Pour les autres modes d'exploitation
(télévision, vidéo à la demande), la loi renvoie aux règles fixées par
accord professionnel ou, à défaut, aux stipulations contractuelles liant les
ayants droit aux diffuseurs.
Régissant la chronologie des médias en vigueur, l’accord
professionnel du 6 juillet 2009, étendu par l'arrêté du 9 juillet 2009,
prévoit les conditions, quatre mois après la sortie d'un film en salles, de
son exploitation successive en vidéo à la demande payante à l'acte et en
vidéo physique, sur les chaînes de télévision payante, sur les chaînes de
télévision en clair, en vidéo à la demande par abonnement et en vidéo à la
demande à titre gratuit (cf. annexe 10).
Mobilisant un grand nombre de représentants professionnels dont
les intérêts ne sont pas les mêmes, les conditions dans lesquelles la
chronologie des médias est négociée rendent ce système relativement
rigide et difficile à réformer.
B - Une intervention publique destinée à compléter et à
sécuriser les préfinancements
Si des dispositifs complémentaires s’y sont par la suite ajoutés,
l’intervention du CNC reste centrale, car elle conditionne souvent les
autres financements en venant confirmer la faisabilité d’un film vis-à-vis
des partenaires potentiels du tour de table.
Conçu en 1953, le fonds de développement de l’industrie
cinématographique, devenu par la suite le compte de soutien à la
production
cinématographique,
s’appuie
sur
un
mécanisme
de
financement original. Une partie des recettes d’exploitation de toutes les
oeuvres diffusées en France, y compris non françaises (c’est-à-dire
majoritairement des oeuvres américaines), est captée à travers une fiscalité
affectée au CNC, qui a été progressivement étendue aux différentes
fenêtres de diffusion : les salles de cinéma (TSA), puis la télévision (TST
éditeurs), la vidéo (taxe vidéo) et les services de télécommunications
(TST distributeurs). Les recettes ainsi collectées alimentent le soutien
78
Seul le délai de diffusion des vidéos physiques est explicitement déterminé par le
législateur (article L. 231-1 du code du cinéma et de l'image animée).
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public émanant du CNC et viennent donc étayer l’édifice du
préfinancement.
Les deux objectifs des aides du CNC à la production sont la
consolidation économique du secteur de la production et l’apport
d’investissements complémentaires aux productions fragiles afin de
contribuer à la diversité et au renouvellement de la création
79
.
1 -
Le soutien automatique à la production
Dès
lors
qu’ils
remplissent
les
conditions
fixées
par
la
réglementation du CNC, les films de long métrage français ou réalisés en
coproduction internationale sont générateurs d’un soutien automatique
afférent à leur exploitation commerciale en salles, à leur diffusion
télévisuelle et à leur exploitation sous forme de vidéogrammes. Chacun
de ces modes d’exploitation donne lieu à un « taux de retour » au profit
du producteur, en fonction des recettes dégagées. En 2012, ce soutien
représentait 312 M€.
La part « salles », qui est la plus importante, ouvre droit, pendant
cinq ans à compter de la date de la première projection publique du film,
à un soutien proportionnel à la fréquentation et aux recettes constatées.
Soucieux d’améliorer le caractère redistributif du soutien automatique, le
CNC a introduit, en 2002, dans le calcul de la part « salles », une
dégressivité du taux de retour.
Le soutien automatique comprend aussi une part « antenne », liée à
la diffusion du film par un service de télévision soumis à la taxe sur les
services de télévision. Cette part est calculée par application d'un taux aux
sommes hors taxes versées par les services de télévision en exécution des
contrats de préachat et d’achat.
Enfin, les recettes constituées par l’exploitation d’un film sous
forme de vidéo (vente ou location de DVD) représentent la troisième et
dernière part du soutien automatique généré au profit du producteur.
Celle-ci est calculée par application d’un taux au montant du chiffre
d’affaires déclaré par les entreprises d’édition vidéo.
Partant du principe que la salle demeure le marché d’entrée de la
valorisation d’un film, le CNC a, en conséquence, en 2001, réduit les
parts « antenne » et « vidéo ».
Cette diminution apparaît contradictoire avec la part toujours plus
importante prise dernièrement par ces deux modes d’exploitation dans la
valorisation globale des films. Ainsi en est-il de la forte augmentation des
79
Document stratégique de performance du CNC, 2014, p. 22.
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COUR DES COMPTES
ventes et locations de DVD au début de la décennie, relayée à partir de
2007 par le développement de la vidéo à la demande sur internet, ou de
l’augmentation tendancielle du prix d’achat de droits de télédiffusion. La
diminution de l’importance relative de la part « salles » dans les recettes
d’exploitation d’un film n’a pas été répercutée dans les modalités de
calcul du soutien automatique.
Aussi, comme la Cour l’a déjà recommandé
80
, il conviendrait que
le CNC assure une meilleure corrélation entre, d’une part, le succès
rencontré par un film en salles, à la télévision et en exploitation vidéo, et,
d’autre part, le droit au soutien automatique qui en résulte.
2 -
Les soutiens sélectifs à la production
Aide emblématique du CNC créée en 1959, l’avance sur recettes a
pour objectif de favoriser le renouvellement de la création en
encourageant la réalisation des premiers films et en soutenant un cinéma
audacieux au regard des normes du marché. Les aides sont attribuées par
une commission de professionnels, sur la base du projet d’un film, qui
peut être une fiction, un documentaire ou une oeuvre d’animation. En
2012, 78 projets ont ainsi été sélectionnés, parmi 670 candidats, pour un
montant total de 28,2 M€.
L’aide est remboursée, jusqu’à 80 % de son montant, par un
prélèvement sur le soutien automatique résultant de l’exploitation du film.
Dans les faits, les remboursements sont faibles (sur la période 2001-2010,
le taux moyen de remboursement était de 5,1 %), car la grande majorité
des films aidés ne rassemblent pas un public suffisant.
80
Cour des comptes,
Contrôle des comptes et de la gestion du Centre national du
cinéma et de l’image animée (CNC)
.
Exercices 2001 à 2010,
communication la
commission des finances du Sénat. La Documentation française, août 2012, 166 p.,
disponible sur
www.ccomptes.fr
.
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69
La limitation à 80 % du remboursement de l’avance n’est pas
justifiée, au regard des recettes que peuvent dégager certains films à
succès bénéficiaires de cette aide
81
Par ailleurs, compte tenu du haut niveau de sélectivité de l’aide, les
garanties procédurales qui entourent les modalités de son attribution
paraissent insuffisantes. Les membres des commissions sont nommés
pour une période d’un an, sans que les textes statutaires concernés ne
mentionnent les conditions de renouvellement éventuel de leur mandat.
Or entre 2001 et 2010, la moitié des membres nommés chaque année
étaient déjà présents au moins l’une des années précédentes. La rotation
des membres est donc seulement partielle, ce qui est d’autant plus gênant
que 38 réalisateurs ayant été membres de la commission ont perçu au
moins une avance pendant cette période.
Le CNC fait valoir l’importance de la relative pérennité de la
composition de la commission pour permettre à ses membres d’y trouver
pleinement leur place et leur autorité, la « nécessité de réunir les
compétences de professionnels actifs », sans qu’il soit « surprenant qu’il
arrive que leurs projets soient eux-mêmes soutenus ». Il ajoute que « ces
membres n’ont pas siégé à la session au cours de laquelle leur projet était
déposé », ce qui ne peut être vérifié à partir des procès-verbaux. Une
meilleure
formalisation
des
procédures
d’attribution
de
l’avance
permettrait de garantir l’homogénéité de traitement des candidats et de
rendre plus rigoureuses les procédures de déport en cas de conflit
d’intérêt.
Enfin, si l’on conçoit que le choix d’attribuer l’avance s’exerce à
partir d’un jugement portant sur la seule qualité cinématographique
intrinsèque au projet, il est difficile d’admettre que la détermination du
montant de l’aide ne soit pas davantage assortie d’une prise en compte du
budget qui sera finalement arrêté, à l’instar de ce que pratique l’agence
allemande de soutien au cinéma. À cet égard, il paraît surprenant que le
montant de l’avance accordée soit le plus souvent déterminé une fois pour
toutes, très en amont, sans être révisé en fonction d’éléments nouveaux
portés à la connaissance du CNC avant la mise en production du projet.
81
Par exemple
Indigènes
(sorti en 2006, produit par Jean Bréhat, avance de
500 000 €, 3 millions de spectateurs, 2,3 M€ de soutien automatique généré) ou
Océans
(2009, Jacques Perrin, 450 000 € d’avance sur recettes, 2,9 millions de
spectateurs, 1,7 M€ de soutien automatique généré).
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COUR DES COMPTES
Un exemple étranger : le fonctionnement de la
Vergabekommission
allemande
Compte tenu de la relative simplicité du modèle allemand de soutien
au cinéma et de la modicité des sommes versées, les aides de l’agence
allemande de soutien au cinéma (FFA) sont accordées par une seule
commission d’attribution, qui se réunit quatre fois par an. Il existe par ailleurs
cinq sous-commissions spécialisées (aide à la vidéo, au scénario, à
l’exportation, notamment). La commission est composée d’un membre
nommé par le Bundestag, d’un membre nommé par le délégué du
gouvernement pour la culture et les médias et de dix représentants des
professionnels, élus pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois.
La
Vergabekommission
ne dissocie pas les critères esthétiques et
budgétaires au stade de l'octroi de l'aide. Pour l’aide sélective à la production
cinématographique, le dossier fourni doit ainsi contenir, outre les pièces
également demandées en France, des informations sur les éventuels achats de
droits, un calcul des coûts de production selon une grille standardisée et un
contrat de distribution ou une présentation concrète des projets du demandeur
sur la distribution de son film et ses espérances en matière de valorisation
ultérieure. Parmi les critères de décision de la commission, figurent donc les
perspectives de confrontation réelle de l’oeuvre avec le public, même très en
amont de la réalisation du projet.
La commission d’attribution des aides de la FFA joue un rôle incitatif
vis-à-vis des producteurs pour faire parvenir les projets à un stade de
maturité, aussi bien concernant le scénario que le plan de financement. Des
phénomènes d’aller-et-retour sont ainsi très fréquents avant que ne soit
entérinée la décision définitive d’attribution d’une aide.
Par ailleurs, une quinzaine de dispositifs sélectifs du CNC ont pour
vocation de soutenir un aspect particulier de la production : le scénario, la
conception, les coproductions internationales, la postproduction, etc.
Outre les garanties procédurales auxquelles l’octroi de ces aides devrait
être subordonné, leur montant généralement faible et la proximité de
certains de leurs objectifs invitent à une réflexion sur l’opportunité d’en
réduire le nombre et de
procéder à des regroupements dans des
dispositifs plus génériques.
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71
Tableau n° 6 : montant des soutiens sélectifs attribués à la production
cinématographique en 2012 (en M€)
Dispositif
Nombre
de projets
aidés
Montant
Soutien au scénario
43
1,1
Soutien au scénario - Aide à la conception
50
0,5
Aide au développement de projets de films de long
métrage
132
3,6
Aide à la création cinéma (auteurs, associations)
17
1,0
Aide au court métrage
152
7,3
Avance sur recettes
78
28,2
Aide aux cinémas du monde
25
2,8
Accompagnement de projets / Aide aux cinémas du
monde (associations)
5
0,1
Aide à la coproduction franco-allemande
11
1,5
Aide à la coproduction franco-canadienne
1
0,2
Aide au développement de la coproduction franco-
italienne (associations)
1
0,0
Aide pour les oeuvres cinématographiques d'outre-
mer
5
0,3
Fonds Image de la diversité
15
0,2
Aide à la musique de films de long métrage
34
0,3
Aide aux nouvelles technologies en production
61
5,7
Total
630
52,8
Source : Cour des comptes d’après CNC.
C - Des résultats incontestables
En orientant un investissement annuel de plusieurs centaines de
millions d’euros dans la production cinématographique, le mécanisme des
aides publiques et des financements encadrés permet de maintenir un
important
volume
de
production
nationale.
En
sécurisant
les
investissements dans la production, il garantit également la relative
autonomie des producteurs indépendants vis-à-vis des diffuseurs et des
groupes cinématographiques intégrés
82
.
82
Réunissant en leur sein des activités de production, de distribution et d’exploitation,
quatre groupes français peuvent être qualifiés de groupes intégrés à la date du présent
rapport : Gaumont, Pathé, MK2 et Europacorp.
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72
COUR DES COMPTES
La décennie 2002-2012 se caractérise par l’augmentation régulière
et marquée de la production cinématographique nationale, qui suit le
rythme de progression des films agréés par le CNC. Parmi les États
membres de l’Union européenne, la France est celui qui produit le plus
grand nombre de films : 207 en 2012 (films d’initiative française
83
),
tandis que l’Allemagne en produisait 171, le Royaume-Uni 91 et l’Italie
146.
Graphique n° 12 : nombre de films français produits, de 1952 à 2012
Source : Cour des comptes d’après CNC.
En outre, les dispositifs de soutien entretiennent un renouvellement
constant de la création cinématographique française : chaque année
depuis dix ans, entre 50 et 60 % des films d’initiative française sont des
premiers ou des deuxièmes films.
Ce renouvellement, largement porté par les distributeurs français,
est visible à travers la progression des sorties de films français inédits en
salle, qui explique pour une large part l’augmentation de l’ensemble des
sorties de films sur le territoire national. À la distribution du cinéma
américain, massive et concentrée sur quelques titres, essentiellement
opérée par les filiales françaises des majors américaines, répond en effet
le dynamisme des nombreux distributeurs indépendants qui assurent la
prise en charge des films français et européens, et grâce auxquels la salle
83
Les films d’initiative française présentent un financement intégralement français ou
reposent sur une coproduction majoritaire française. Ils représentent chaque année
entre 75 et 85 % des films français agréés, les films restants étant composés de
coproductions où la part française est minoritaire. Ces données sont issues de
l’annuaire 2012 de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, volume 1.
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73
demeure le débouché naturel de la quasi-totalité des films produits en
France
84
.
Graphique n° 13 : nombre de films sortis en première exclusivité en
salle, de 1975 à 2012
Source : Cour des comptes d’après CNC.
Avec une part de marché du film national en salles comprise entre
30 % et 45 % au cours de la période 2002-2012, la France apparaît, sans
conteste, comme le pays européen qui résiste le mieux à la concurrence
du cinéma américain, loin devant le Royaume-Uni, l’Allemagne et
l’Italie.
84
En moyenne, de 2001 à 2012, 92 % des films produits ont été distribués en salles, la
majeure partie d’entre eux l’année suivant celle de leur production.
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74
COUR DES COMPTES
Graphique n° 14 : recettes guichet des salles et part de marché des
films nationaux dans l'Union européenne en 2011
Source : Cour des comptes d'après l'observatoire européen de l'audiovisuel.
II
-
Un modèle fragilisé
Ayant pour intérêt de répartir les risques financiers sur un grand
nombre de parties prenantes, le système de préfinancement n’est pas sans
défaut. Il n’offre aux producteurs que de faibles perspectives de remontée
de recettes à leur niveau et ne les intéresse pas suffisamment à la
rentabilité commerciale de leurs films.
Au
surplus,
ce
modèle
apparaît
aujourd’hui
fragilisé.
L’augmentation tendancielle des coûts de production et de distribution et
la saturation croissante des fenêtres d’exposition historiques des films
rendent, en effet, les perspectives de rentabilisation encore plus aléatoires
pour les préfinanceurs et les amènent à modifier leurs choix
d’investissement. Il en résulte une dégradation des conditions de
financement pour une part importante de la production.
FR
CZ
IT
FI
UK
DK
SE
DE
NL
PL
ES
BE
GR
AT
0
200
400
600
800
1 000
1 200
1 400
1 600
0
10
20
30
40
50
en M€
en part de marché
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75
A - L’inflation des coûts
1 -
L’augmentation des coûts de production
Entre 2002 et 2012, le coût médian et, plus encore, le coût moyen
de production des films français ont connu une augmentation légèrement
supérieure (respectivement, + 23 % et + 26 %) à celle du niveau général
des prix (+ 17 %
85
). Cette évolution n’est pas propre à la France, une
tendance similaire pouvant être constatée dans plusieurs autres États
européens
86
.
S’agissant des films de fiction
87
, qui représentaient 89 % des coûts
de production des films français en 2012 (soit 935 M€), l’augmentation
du coût moyen est imputable en priorité aux dépenses de personnel, aux
droits artistiques, aux frais de transport, de défraiement et de régie, aux
frais d’assurances, et, dans une moindre mesure, à la rémunération des
producteurs.
L’écart persistant entre le coût médian (3,4 M€) et le coût moyen
(5,2 M€) des films d’initiative française témoigne de l’effet de
concentration des dépenses sur les films à budget élevé et du rôle moteur
de ces films dans les tensions inflationnistes du secteur. De fait, le
nombre de films présentant un coût définitif supérieur à 7 M€ est passé de
17 à 24 % des films entre 2003 et 2012. Cette évolution s’est opérée
principalement au détriment de deux catégories de films de taille
intermédiaire : ceux dont le budget est compris entre 1 M€ et 2,5 M€ et
ceux dont le devis est compris entre 4 M€ et 5,5 M€.
L’évolution à la hausse des coûts de production est alimentée par
deux pratiques qui nuisent à la transparence des conditions de
rémunération : les rémunérations en participation et la rémunération des
artistes-interprètes sous la forme de droits à l’image.
a)
Les rémunérations en participation
Les « frais en participation », sur lesquels sont imputés la
rémunération des « talents » (auteurs, réalisateurs, interprètes) ainsi que la
rémunération et les frais généraux du producteur, sont présentés dans les
devis comme des charges et des produits, car ils sont considérés comme
des sources additionnelles de préfinancement. Dans ces conditions, les
comptes définitifs de production peuvent ressortir avec un total de
85
Évolution de l’indice des prix à la consommation hors tabac.
86
Observatoire européen de l’audiovisuel, annuaire 2012.
87
CNC,
Les coûts de production des films en 2012,
mars 2013.
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COUR DES COMPTES
charges moindre que celui affiché dans les devis prévisionnels, la
majoration artificielle de ces derniers ayant eu pour effet de gonfler le
montant des financements obtenus lors du montage du projet. Cette
pratique, établie en France depuis plusieurs décennies, n’est encadrée par
aucun texte.
D’après le CNC, le recours à des frais « mis en participation »
couvre deux cas de figure très différents :
-
pour des films bien financés ou à potentiel commercial
significatif, il sert à lever des financements. À la mise en
exploitation du film, le salaire et les frais généraux du
producteur seront effectivement versés car les financements
réunis seront suffisants ;
-
mais pour des films difficiles, à petit budget, ces participations
ne se retrouveront pas dans le coût final. Faute de financements
suffisants, le producteur sera contraint de rechercher des
économies de fabrication, et renoncera parfois même à facturer
un salaire et des frais généraux. Le coût du film aura été corrigé
à la baisse au regard des financements disponibles.
La neutralisation de ces postes du devis, quand le comité de
chiffrage se prononce sur le besoin de financement, est à ce jour
uniquement pratiquée dans le cas de l’avance sur recettes. Afin d’assurer
l’équité entre productions et de permettre la négociation
ex ante
de la
marge commerciale des producteurs, cette pratique devrait être étendue
au calcul de toutes les aides du CNC.
b)
La rémunération des artistes-interprètes
La rémunération des artistes-interprètes constitue une autre source
d’augmentation des coûts de production pour les films présentant les
budgets les plus élevés.
En première analyse, les rémunérations versées aux artistes-
interprètes des films de fiction ont augmenté, en moyenne, de 24 %
depuis 2003, portant les dépenses correspondantes à un niveau moyen de
615 000 € en 2012, au quatrième rang des postes budgétaires des films de
fiction. Cette évolution moyenne correspond en réalité à deux types de
situation : les films situés aux deux extrémités de l’échelle des coûts
(inférieurs à 1 M€ et supérieurs à 15 M€), pour lesquels la part relative
des dépenses de rémunération des artistes-interprètes a plutôt augmenté,
et les films situés entre ces deux extrémités, pour lesquels ces dépenses
sont restées, en proportion, relativement constantes.
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SOUS TENSION
77
Les années récentes marquent surtout l’essor de rémunérations
versées aux artistes-interprètes sous la forme de droits à l’image.
Le régime du droit à l'image des artistes-interprètes
Aux termes de l’article L. 7121-8 du code du travail, la rémunération
due à l'artiste à l'occasion de la vente, de l'exploitation ou de la présentation
par l’employeur ou par tout autre utilisateur de l'enregistrement de son
interprétation, n'est pas considérée comme un salaire dès lors que la présence
physique de l'artiste n'est plus requise et que cette rémunération n'est pas
fonction du salaire reçu pour la production, l’exécution ou la présentation de
son interprétation, mais qu’elle dépend du produit de la vente ou de
l’exploitation dudit enregistrement.
Si les sommes relevant de cette pratique sont encore relativement
limitées, le dynamisme de leur augmentation entre 2003 et 2012 n’en est
pas moins préoccupant (le poste du devis dans lequel ces sommes sont
retracées, intitulé « droits divers », a progressé de 119 % entre 2003 et
2012 pour atteindre un total de 8 M€ pour l’ensemble des films de
fiction).
Ces droits à l’image ne concernent, en théorie, que les recettes
enregistrées par l’exploitation des films et ne sont donc susceptibles
d’être versées aux artistes-interprètes par les producteurs qu’à compter de
l’exploitation des films. Or, il ressort des investigations de la Cour que
certains contrats d’artistes-interprètes prévoient, avant même le début du
tournage, une somme minimale susceptible de leur être attribuée, en
complément de leur rémunération, sous la forme de droit à l’image.
Cette pratique conduit à minorer artificiellement le salaire versé en
vue de réduire les sommes dues au titre des cotisations sociales, tout en
compensant cette minoration par un complément de rémunération déguisé
en droit à l’image. En outre, des avances peuvent être consenties en cas
de préachat du droit de diffusion par les chaînes de télévision, leur
montant étant alors indexé sur celui de cette source de financement, que
l’oeuvre soit ou non finalement diffusée.
Si le principe des rémunérations sous forme de droit à l’image
découle de dispositions législatives du code de la propriété intellectuelle,
et ne saurait être remis en cause, la pratique consistant à verser, avant ou
pendant le tournage, des avances à ce titre sans considération de
l’exploitation effective de l’oeuvre peut être tenue pour abusive.
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78
COUR DES COMPTES
Concentrée sur les films présentant les devis les plus élevés, la
progression dynamique de certaines natures de dépenses dans les coûts de
production invite à s’interroger sur l’opportunité de limiter la prise en
charge de ces coûts par le dispositif d’aides publiques et, plus
particulièrement, par le soutien automatique, dès lors que cette évolution
conduit à déséquilibrer la répartition de l’aide au profit de cette catégorie
de films.
Interrogé sur cette question, le CNC a indiqué qu’une limitation de
la prise en charge par le soutien automatique de certaines dépenses de
production lui semblait, de prime abord, « incompatible avec la
réglementation communautaire. En effet, celle-ci, pour garantir la
neutralité de l’effet incitatif de l’aide et notamment éviter que l’aide ne
soit attribuée ou modulée au regard de certains postes de dépenses
particuliers, susceptibles d’être fortement territorialisés en France
(industries techniques, main d’oeuvre), interdit des fléchages directs ou
indirects de l’aide vers certains types de dépenses ».
Pour autant, dès lors qu’il est susceptible de s’appliquer à
l’ensemble des films sollicitant l’agrément et vaudrait donc, de façon
indifférenciée, pour les producteurs français et les producteurs européens,
le plafonnement de certaines dépenses dans le calcul du soutien
automatique ne paraît pas constituer un fléchage de l’aide et mériterait, à
ce titre, d’être envisagé par le CNC. Une mesure de cette nature existe
d’ailleurs pour le crédit d’impôt, les cachets des artistes n’étant
comptabilisés qu’à hauteur du minimum conventionnel. Un tel dispositif
de maîtrise de la dépense est également en vigueur en Allemagne.
Le plafonnement des dépenses dans le calcul des aides de la FFA
Les modalités de calcul du soutien automatique à la production par
l’agence allemande de soutien au cinéma (FFA) n’intègrent certains postes du
devis qu’à concurrence d’un plafond, défini en référence au total des coûts de
production. Ainsi, les frais généraux sont comptabilisés dans la limite de
7,5 % des coûts de production (pour les devis inférieurs à 2 M€). La
rémunération du producteur, pour sa part, est plafonnée en valeur absolue
selon le montant du devis (de 15 000 € pour les devis inférieurs à 300 000 €
jusqu’à 125 000 € pour les devis supérieurs à 1 M€).
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79
3 -
L’évolution contrastée des coûts de distribution
Les coûts de distribution représentent en moyenne entre 10 % et
13 % du coût définitif des films d’initiative française (670 000 € en 2011
en moyenne par film). Si les sommes investies dans la distribution des
films français restent sans comparaison par rapport aux dépenses de
distribution des films américains
88
, elles ont néanmoins connu des
évolutions sensibles au cours de la dernière décennie.
En moyenne, sur la période 2004-2011, le coût de distribution par
film a peu augmenté (+ 4,9 %). Cette relative stagnation masque
cependant une hausse très marquée des dépenses de matériel publicitaire
(+ 38,6 %), la progression des dépenses de relations presse (+ 13,3 %) et
des achats d’espace (+ 7,3 %), qui ont surcompensé, jusqu’à présent, la
baisse des frais de laboratoire (- 10,4 %) résultant de la transition
numérique.
L’augmentation des frais de promotion diffère fortement selon le
budget de production et le profil des distributeurs. Les majors
développent des stratégies pluri-médias, recourant fortement à l’affichage
et au matériel publicitaire au sein des cinémas, tandis que les distributeurs
indépendants sont souvent cantonnés à la presse, aux relations publiques
et à internet. Les salles de cinéma ayant rendu payantes, au cours des dix
dernières années, plusieurs prestations auparavant gratuites (notamment
la mise à disposition du matériel publicitaire), la forte progression des
investissements publicitaires dans les salles de cinéma a contracté les
marges des distributeurs.
B - Une tension croissante entre le volume de
production et les perspectives d'exposition
1 -
Une fréquentation en salles élevée, mais concentrée sur
quelques succès
La France enregistre un niveau exceptionnel de fréquentation en
salles : 193 millions d’entrées en 2013, soit 2,9 entrées par habitant. De
tels résultats sont suffisamment remarquables, compte tenu des évolutions
constatées par ailleurs dans les pays européens, pour devoir être
soulignés.
88
Les sommes dépensées à ce titre représentent en moyenne 50 % des coûts de
production. Cette différence avec les films français se retrouve au moment de leur
commercialisation en France. Ainsi, l’investissement publicitaire brut pour un film
français était en moyenne de 580 000 € en 2011, soit le tiers du budget publicitaire
moyen investi dans un film américain (1,6 M€ en 2011).
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COUR DES COMPTES
Cependant, la fréquentation en salles est demeurée concentrée, au
cours de la décennie écoulée, sur un nombre limité de films à succès.
Alors qu’en 2012 le CNC a agréé 272 films, seule une trentaine (sur les
500 à 600 sorties en salles annuelles) rassemble près de 50 % des entrées
en salles chaque année depuis 2001. L’année 2012 constitue de ce point
de vue une année de très forte concentration, les dix films les plus
performants ayant rassemblé plus du tiers de la fréquentation annuelle.
À l’inverse, une part stable, comprise entre 50 et 60 % des films
français inédits sortis en salles chaque année, réalise moins de 50 000
entrées en salles. Au cours de la dernière décennie, cette proportion
apparaît même en légère augmentation, ce qui suggère qu’une part
croissante de la production française souffre de conditions d’exposition
de plus en plus dégradées.
Graphique n° 15 : films français sortis en salle et polarisation des
entrées, de 2001 à 2010
Source : données CNC (films français inédits).
Cette concentration de la fréquentation en salles coïncide avec
l’évolution de la structure des investissements dans les films d’initiative
française (cf. annexe n° 9).
Alors que les films dont le budget est supérieur à 7 M€
représentaient, en 2003 comme en 2011, près de la moitié des
investissements dans la production cinématographique française, leur part
dans la fréquentation en salles a augmenté de manière significative,
passant de 43,5 % en 2003 à 67,2 % en 2011. Inversement, les films dont
le devis est compris entre 4 M€ et 7 M€ ont vu leur poids relatif diminuer
entre 2003 et 2011, tant en ce qui concerne la part qu’ils occupent dans
les coûts définitifs de la production cinématographique française (34,0 %
0
50
100
150
200
250
300
2001
2003
2005
2007
2009
Films français
sortis
Films rassemblant
moins de 50 000
entrées
Films rassemblant
plus d'un million
d'entrées
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SOUS TENSION
81
en 2003, 24,9 % en 2011) que leur part dans la fréquentation des films en
salles (49,7 % en 2003, 24,3 % en 2011). Les films dont le budget est
inférieur à 4 M€ n’attirent, pour leur part, qu’entre 5 % et 11 % de la
fréquentation en salles, tandis que les films dont le budget est inférieur à
1 M€ rencontrent un public encore plus confidentiel (entre 1 % et 4 % de
la fréquentation des films d’initiative française).
S’il est vrai que le maintien d’un niveau élevé de part de marché
du film national est allé de pair avec une augmentation du nombre de
séances consacrées à des films français (+ 116 % entre 2000 et 2012,
alors que le nombre de séances consacrées aux films américains est resté
stable), la fréquentation des films d’initiative française a suivi des
évolutions singulières.
Tandis que le nombre de films réunissant plus de 2 millions de
spectateurs sur le territoire français est resté stable entre 2001 et 2010, le
nombre correspondant de films d’initiative française a baissé de 20 %. À
l’inverse, pendant la même période, le nombre de films d’initiative
française réunissant moins de 50 000 spectateurs a augmenté de 57 %,
alors qu’il n’augmentait que de 19 % pour l’ensemble des films ayant ce
niveau de fréquentation. Cette évolution conduit à de fortes tensions sur
la rotation des films, marquée par un raccourcissement spectaculaire de
leur durée d’exposition et, par voie de conséquence, de leur
amortissement en salles.
Ce seul état de fait ne saurait emporter le constat d’un échec de la
politique de soutien. Le CNC rappelle à juste titre que le succès d’un film
ne se mesure pas au seul nombre d’entrées ou de copies distribuées,
critères réducteurs qui ignorent la coexistence de modèles économiques
différents au sein du secteur du cinéma. Il existe ainsi des films qui
enregistrent relativement peu d’entrées (quelques centaines de milliers,
voire seulement quelques dizaines de milliers) mais qui atteignent
néanmoins leur équilibre économique compte tenu de leur faible coût de
production et de distribution
89
.
En revanche, un tel constat conduit à souligner les risques qui
pèsent sur la pérennité du dispositif de préfinancement. La stratégie
d’investissement des parties prenantes repose en effet sur les espérances
de recettes liées à l’exploitation des films, qui sont fortement déterminées
par les résultats obtenus en salles. Or la détérioration des conditions
d’exposition des films français limite fortement leur potentiel de recettes.
89
Le CNC en cite plusieurs exemples récents :
Tous au Larzac
en 2011, sorti sur 64
copies,
Les nouveaux chiens de garde
, sorti sur 36 copies, qui a progressivement
dépassé les 200 000 entrées après 16 semaines d’exploitation, ou
Nous
princesse de
Clèves,
sorti sur 20 copies et totalisant moins de 50 000 spectateurs.
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82
COUR DES COMPTES
2 -
La saturation de la fenêtre télévisuelle
La multiplication du nombre de chaînes diffusées (câble, satellite,
télévision numérique terrestre) a conduit à une augmentation de l'offre de
films à la télévision
90
. Cependant, qu’elle soit française ou étrangère,
l’oeuvre cinématographique a vu progressivement s’étioler son statut de
produit d'appel sur les chaînes historiques en clair. À ces évolutions
s’ajoute le développement de modes de consommation délinéarisés
91
.
Les années 1990 et 2000 ont en effet marqué la fin de la
suprématie des films de cinéma dans l’audience télévisuelle. En 1986,
43 films étaient en tête des 50 meilleures audiences de la télévision,
contre 12 seulement en 1995. Entre 2004 et 2011, l’audience moyenne
des films français en première partie de soirée est passée, sur les chaînes
en clair historiques, de 4,6 à 3,8 millions de téléspectateurs. Sept films
seulement apparaissent dans le palmarès des cent premières audiences de
2012 à la télévision
92
.
Cette érosion des audiences est notamment liée à l’explosion de la
vidéo et au développement d’une offre de films, inédits ou non, sur les
chaînes payantes, sur le câble et le satellite, et sur les chaînes de la
télévision numérique terrestre (TNT), ce qui affecte la valeur de produits
dont l’exposition a perdu de son caractère exclusif. Ainsi, le nombre de
diffusions de films sur les chaînes privées de la TNT gratuite est passé de
402 à 1 331 entre 2005 et 2011, ce qui leur a assuré des audiences
importantes : en 2011, six chaînes de la TNT gratuite réalisent leur
meilleure audience de l’année avec un film. Parmi ces diffusions, la part
des films français est passée, entre 2005 et 2011, de 56 à 41 %, et celle
des films américains de 31 à 40 %.
Le nombre de films diffusés en première partie de soirée sur les six
chaînes en clair historiques a globalement baissé jusqu’à représenter en
2012, sur TF1 et M6, un point bas jamais enregistré depuis les années
1980. Si cette baisse concerne davantage les rediffusions que les
premières diffusions, il n’en reste pas moins que le plafond réglementaire
de 192 films diffusés dans l’année n’est que rarement atteint par les
chaînes historiques. En outre, les rediffusions sont aussi de plus en plus
fréquentes : 34 % des films programmés par les chaînes nationales
90
2 398 oeuvres cinématographiques diffusées en 2011, contre 1 470 en 2001.
91
Les services linéaires désignent les usages (sur le modèle de la télévision
hertzienne) qui imposent aux consommateurs de se soumettre à une programmation
sur laquelle ils ne peuvent agir. Ils s’opposent aux services « délinéarisés », qui
laissent au consommateur la possibilité de choisir le programme qu’il veut regarder.
92
Gran Torino, L’Âge de glace 3, Les Bronzés font du ski, La Grande Vadrouille,
Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Titanic, La Vérité si je mens 2
.
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83
gratuites en 2012 avaient ainsi déjà été diffusés en 2011, alors que cette
part était de moins de 10 % en 2006
93
.
Ces phénomènes ont pour corollaire une dégradation des recettes
associées à la diffusion de films, la publicité et le retour sur
investissement des parts de coproduction ne permettant plus toujours de
couvrir le coût d’achat des droits. L’érosion de l’audience entraîne une
diminution des recettes publicitaires qu’amplifie l’effritement général
observé ces dernières années de la ressource publicitaire drainée par les
télévisions.
Limitant
par
ailleurs
structurellement
les
retombées
financières d’un éventuel succès dans l’exploitation du film, le
contingentement réglementaire des prises de participation des diffuseurs
dans la production des oeuvres ne permet pas d’en assurer la
compensation.
Les faibles résultats d’audience des films français induisent, pour
les chaînes en clair, une distorsion croissante entre le volume de leurs
obligations d’investissement et la valeur de marché que représente pour
elles le cinéma. Dans ce contexte, le maintien d’une contrainte en
augmentation continue
94
imposée aux chaînes pour financer un produit
qui attire de moins en moins les téléspectateurs se traduit par une
concentration des investissements dans des films dont l’audience à
l’antenne sera garantie par la présence à l’affiche d’acteurs connus ou par
des scénarios déjà éprouvés. Conséquence indirecte de cette tendance, un
nombre croissant de films peine à accéder au financement d’une chaîne
de télévision : 78 films en 2003, 112 en 2012, ont été produits sans
bénéficier du financement d’une chaîne.
L’évolution du nombre de films financés par les chaînes depuis
1980 en témoigne : alors que TF1 finançait 14 films en 1986, puis jusqu’à
28 en 2004, elle limitait sa participation à 17 films en 2012, sa
contribution restant dans le même temps relativement stable en volume
financier. Sur la même période, la contribution de France Télévisions est
passée de 32 à 61 films financés par an entre 1986 et 2012 (53 en 2004).
La concentration des investissements sur les films aux budgets les plus
importants est principalement le fait des chaînes commerciales : les films
au budget supérieur à 4 M€ représentent, en 2012, 70 % des films
financés par les chaînes publiques, et 83 % des films financés par les
chaînes privées en clair.
93
En tête des films les plus diffusés à la télévision gratuite depuis 1957, on trouve
La
Tulipe Noire
,
Le Capitan
,
Ne nous fâchons pas
et
Le Grand Restaurant
(CNC-CSA).
94
Le volume investi par les chaînes dans le cinéma a été multiplié par 8 entre 1984 et
2011, alors que le volume total de la production française a à peine triplé pendant
cette période, passant de 400 à 1 130 M €. Cf. Monique Sauvage, Isabelle Veyrat-
Masson,
Histoire de la télévision française
, février 2012, p. 266, et bilans du CNC.
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84
COUR DES COMPTES
Ces évolutions affectent la valeur de produits dont la diffusion a
perdu son caractère exclusif. Dès lors, dans un contexte d’évolution des
usages qui met à mal la chronologie des médias, le maintien pendant la
fenêtre d’exclusivité des chaînes de télévision de jours interdits de
diffusion pour les oeuvres cinématographiques apparaît particulièrement
daté. Il conduit, en outre, à la programmation le même soir, au même
horaire, du même type de films sur les chaînes en clair, ce qui contribue à
exacerber la concurrence, au détriment des résultats d’audience des films
programmés. Des aménagements ont d’ailleurs déjà été apportés à ce
régime. France Télévisions a ainsi signé un accord avec les professionnels
qui, en échange d’une augmentation de la contribution de France 4 à la
production, a permis à cette chaîne de diffuser des films le mercredi soir.
Si le maintien d’un plafond d’oeuvres cinématographiques
diffusées dans l’année se justifie pour préserver le caractère événementiel
de la diffusion du cinéma à la télévision, les règles actuelles ne se
justifient plus - sauf éventuellement le samedi soir - et pourraient être
davantage adaptées aux nouvelles habitudes de consommation de
programmes.
C - La dégradation de la rentabilité des SOFICA et de
la distribution
1 -
Les SOFICA
La dégradation de la rentabilité financière des SOFICA résulte
notamment de ce phénomène de saturation au stade de la diffusion. la
saturation de plusieurs fenêtres d’exploitation a en effet contribué à
dégrader les perspectives de reversement tant des recettes en salle (en
2011, sur les 93 films financés par des SOFICA et sortis en salles, 74, soit
79 %, ont provoqué moins de 500 000 entrées, et 28 d’entre eux, soit
30 % du total, moins de 50 000 entrées) que de celles issues de la
télévision, alors même que cette fenêtre d'exploitation est la principale
pourvoyeuse de recettes pour les SOFICA.
Ce constat révèle une érosion des perspectives d’exploitation des
oeuvres sur ces différentes fenêtres de diffusion.
2 -
La distribution
Les distributeurs constituent un tissu économique hétérogène, qui
assure le préfinancement de la majorité des films français et porte une
part de plus en plus importante du risque dans l’activité de production.
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SOUS TENSION
85
Depuis 2001, le nombre de sociétés de distribution recensées a
augmenté de 77 %, passant de 247 entreprises à 438 entreprises. Cette
forte croissance est majoritairement imputable aux petites structures
distribuant entre un et cinq films par an (inédits et de catalogue), qui
représentent l’essentiel des entreprises de distribution (302 sociétés en
2011, soit 69 % des entreprises du secteur).
Cet accroissement rapide du nombre des sociétés dans un secteur
pourtant risqué doit toutefois être relativisé :
-
il existe un grand nombre de sociétés « dormantes » ne
distribuant aucun film inédit dans l’année. De fait, alors que le
nombre de sociétés croît, la part de sociétés « actives », ayant
distribué au moins un film inédit dans l’année, diminue. Elle
s’élève en 2011 à 29,5 %, soit 10 points de moins qu’en 2002 ;
-
nombreuses sont les entreprises qui ne distribuent qu’un seul
film inédit par an (43 % des sociétés « actives » en 2011), et
certaines sociétés, à durée de vie très limitée, sont même
spécifiquement créées pour assurer la sortie d’un unique film.
Considérées avec les précautions d’usage
95
, les données statistiques
de l’INSEE révèlent le caractère déficitaire de l’activité de distribution
cinématographique en salles. En 2010, le résultat net comptable de
l’ensemble du secteur de la distribution enregistrait une perte de
28,9 M€
96
. Par comparaison, l’édition et la distribution vidéo, qui
réalisent un chiffre d’affaires nettement moins important (782,5 M€, alors
que le chiffre d’affaires de la distribution en salles était de 2,3 Md€ en
2011), dégagent un résultat net comptable positif, s’établissant à 24,4 M€.
Le caractère déficitaire de la distribution des films en salles n’est pas
propre aux sociétés indépendantes : la société Pathé distribution, par
exemple, enregistre régulièrement, elle aussi, des résultats nets
comptables négatifs.
Eu égard au caractère structurellement déficitaire de la distribution
en salles, la quasi-totalité des entreprises du secteur a développé des
95
Si les chiffres de l’INSEE reflètent bien la faible rentabilité de la distribution en
salles, ceux-ci sont établis à partir de l’activité principale déclarée par les sociétés. Les
sociétés de distribution exerçant majoritairement plusieurs activités, certaines ne sont
donc pas incluses dans ces statistiques. Ainsi, la société Gaumont, acteur important de
la distribution, est enregistrée en tant que société de production.
96
D’après les données collectées par l’organisation professionnelle des distributeurs
indépendants réunis (DIRE), la marge réalisée par les distributeurs indépendants au
titre de l’exploitation en salles est négative en 2010, en 2011 et en 2012. Même en ne
retenant que les frais de sortie et les minima garantis (neutralisation des frais de
structure), la marge sur la salle demeure négative pour les exercices 2010 et 2012 : la
recette brute distributeur ne permet pas de couvrir les frais de distribution.
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activités annexes (exploitation des films de catalogue, édition vidéo,
vente à l’international, production, exploitation de salles, etc.).
Par ailleurs, l’augmentation continue de la part des mandats
d’exploitation dans le financement des films d’initiative française au
cours de la dernière décennie traduit, au-delà des « à-valoir » consentis
sur les futures recettes d’exploitation en salles, le développement des
mandats groupés, destinés à capter les recettes sur plusieurs fenêtres
d’exploitation. De fait, l’apport des mandats groupés devient largement
prédominant par rapport à celui des mandats centrés uniquement sur la
salle, ceux-ci atteignant leur plus bas niveau en 2012 (1,7 %).
La pratique des mandats groupés s’accompagne souvent d’une
captation de la recette favorable au distributeur, la « collatéralisation
croisée », qui consiste à garantir et à compenser les éventuelles pertes
d’exploitation du film sur un support de distribution par un droit sur les
gains éventuellement réalisés sur un autre support (par exemple la
garantie des pertes en salles sur les recettes vidéo futures). Si cette
pratique répond à une volonté de lisser le risque pris par les distributeurs,
elle contribue néanmoins, en multipliant les créances opposables, à
éloigner toujours plus le producteur de l’intéressement aux recettes
d’exploitation de son film.
III
-
Les pistes d’adaptation du soutien
Les évolutions qui ont marqué, au cours des dix dernières années,
le système de préfinancement de la production cinématographique font
peser un risque sur la soutenabilité économique de ce modèle, ce qui
justifie de procéder à des infléchissements de la politique de soutien à la
production.
A - Différencier les enjeux de financement
La production cinématographique française se répartit entre
plusieurs catégories de films dont les problématiques, relativement
homogènes pour chacune d’elles, répondent à des enjeux spécifiques qu’il
convient de distinguer.
Principalement financés par les producteurs et les aides publiques à
la production, les films dont le budget est inférieur à 1 M€ ont présenté
une certaine stabilité au cours de la décennie écoulée, tant en proportion
du nombre de films sortis en salles qu’en termes de coûts de production
ou de fréquentation en salles (moins de 2 % de la fréquentation des films
d’initiative française). Compte tenu de l’étroitesse de leurs budgets, les
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SOUS TENSION
87
productions de cette catégorie sont très sensibles au renchérissement de
coûts qui peuvent affecter leurs postes de charges. Parallèlement, l’essor
de la diffusion numérique des contenus représente de nouvelles
perspectives de recettes pour ces films généralement éloignés des grands
circuits de distribution en salles comme de la télévision.
Les films dont le devis est compris entre 1 M€ et 4 M€ voient leur
part dans le nombre de films exposés et dans la fréquentation des films
d’initiative française sortis en salles (entre 5 % et 11 %) demeurer
relativement constante depuis 2002. Majoritairement financés par des
investissements encadrés, ces films sont confrontés à un recul des
investissements des chaînes de télévision, en dépit des clauses de
diversité qui s’imposent à certains diffuseurs. S’élevant à 8 % des devis,
la part de préfinancement assumée par les mandats demeure plus faible
que pour la moyenne des films d’initiative française.
Depuis 2002, les films dont le devis est compris entre 4 M€ et
7 M€ ont diminué en proportion du nombre de films d’initiative française
exposés en salles et en proportion de la fréquentation en salles de ces
films. Majoritairement financés par des investissements encadrés, ils se
caractérisent par la plus faible exposition de fonds propres du producteur
(moins de 25 % des devis en 2012).
Confrontés à la concentration des investissements de certaines
chaînes de télévision vers les films les plus chers et, indirectement, à
l’effet de seuil induit par les clauses de diversité, les films de cette
catégorie
sont
particulièrement
touchés,
par
ailleurs,
par
le
développement des stratégies pluri-mandats des distributeurs, dont la
mise en risque est la plus importante sur cette catégorie de films
intermédiaires. Ne pouvant faire l’économie d’un plan de distribution
conséquent en raison de leurs coûts de fabrication, ils ne peuvent pas pour
autant rivaliser avec la politique d’offre saturante qui caractérise les films
les plus chers.
Cette évolution se reflète dans la distribution des productions qui
bénéficient des garanties de l’IFCIC : si les films dont les devis sont
compris entre 1 M€ et 4 M€ y restent globalement majoritaires, la part
des films dont le devis est compris entre 5,5 M€ et 15 M€ y est
croissante
97
.
97
Entre 2008 et 2011, l’IFCIC a garanti entre 43 % et 55 % des films d’initiative
française. Les films aux budgets inférieurs à 1 M€ ou supérieurs à 15 M€ ne
recourent, quant à eux, que marginalement aux garanties de l’IFCIC, les premiers
étant portés par de petites sociétés faiblement intégrées aux réseaux bancaires et les
seconds par de grandes sociétés de production capables de mobiliser des fonds
propres et des concours bancaires non garantis.
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Les films les plus coûteux, dont le devis dépasse 7 M€, ne sont en
général pas confrontés à un problème de financement. La majorité des
investissements dans la production de ces films n’est d’ailleurs pas
encadrée, et les aides publiques y occupent une place très limitée (moins
de 4 % des devis en 2012). Captant près des deux tiers de la fréquentation
en salles en 2012, ces films présentent des perspectives de recettes
considérées comme suffisantes pour attirer les investissements des
chaînes de télévision et des mandataires, ces deux catégories de parties
prenantes représentant, en 2012, près de 60 % des montants cumulés de
financement sur l’ensemble des devis.
Cette segmentation des budgets des films doit donc être prise en
compte dans la réflexion sur l’adaptation de la politique de soutien à la
production.
B - Adapter les aides publiques
Il s’agit à la fois de moduler le soutien et de clarifier les objectifs et
instruments associés.
1 -
Moduler le soutien selon les besoins de chaque production
Au regard de la segmentation des budgets de production,
l’intervention
publique
gagnerait
à
être
mieux
modulée
pour
accompagner plus efficacement chacune de ces catégories en fonction de
leurs besoins spécifiques et des enjeux qui y sont associés.
Plusieurs instruments pourraient être mobilisés pour soutenir les
films aux budgets les plus modestes (moins de 1 M€), qui pâtissent d’un
manque d’exposition, et, par voie de conséquence, pour en favoriser la
diffusion, alternative ou concomitante à la salle, sur un support de vidéo à
la demande :
-
réorienter les aides à la production vers l’exploitation
numérique
des
films
(constitution
d’une
part
«
vidéo
numérique »
du
soutien
automatique
à
la
production,
majoration des aides sélectives, voire conditionnement de
certaines aides sélectives à l’engagement du producteur de
diffuser le film sur une plate-forme de vidéo à la demande) ;
-
inciter les représentants professionnels à introduire des
dérogations à la chronologie des médias permettant une
anticipation de la diffusion de ces films sur la fenêtre de vidéo à
la demande.
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Les films dont le budget est compris entre 4 et 7 M€, pour leur
part, ont besoin de garantir le maintien de financements privés. Dès lors,
deux instruments de la politique de soutien seraient mobilisables :
-
les aides à la production pourraient comporter, pour cette
catégorie de films, des clauses de conditionnalité tenant à
l’exposition des fonds propres des producteurs, afin d’inciter
aux regroupements de sociétés (niveau minimum de fonds
propres, bonification des aides à la production en cas
d’investissements importants du producteur, etc.) ;
-
les aides à la distribution pourraient être davantage ciblées sur
la consolidation économique du secteur, afin de favoriser le
développement de distributeurs présentant une taille critique
plus importante, susceptibles de préfinancer cette catégorie de
films désormais fragilisée.
Pour accompagner cette évolution, les mécanismes de garantie de
l’IFCIC pourraient viser un effet de levier supérieur. Sans doute les
adaptations apportées en mars 2013 permettent-elles une meilleure prise
en compte de la réalité des risques sur garantie. Cependant, le réglage des
paramètres d’évolution et de gestion du fonds CNC reste très prudent
98
,
alors que son intervention mériterait d’être plus nettement orientée vers
des activités plus innovantes ou plus risquées. Plusieurs paramètres de ce
mécanisme de soutien pourraient ainsi être modifiés (modulation des taux
de garantie, extension des champs d’intervention).
Enfin, pour les films les plus coûteux (plus de 7 M€) l’enjeu
principal concerne l’évolution de leurs coûts de production et de
distribution et, par voie de conséquence, leur tendance naturelle à capter
une part croissante des investissements finançant la production
cinématographique. Dans ce contexte, la politique de soutien pourrait
utilement être infléchie en vue de contrebalancer cette évolution naturelle.
Les aides publiques pourraient ainsi être plafonnées pour les dépenses de
production les plus dynamiques, tandis que la pratique des rémunérations
en participation devrait progressivement être supprimée au profit de
rémunérations fixes et préalablement déterminées, de manière à rendre
plus transparents les coûts de production.
98
Le taux de sinistre (sinistres payés au cours d’un exercice par rapport aux encours
de garantie) a été en 2011 de 0,56 % pour le sous-fonds cinéma et de 0,25 % pour le
sous-fonds audiovisuel, ce qui est par exemple très inférieur aux taux de sinistre des
fonds de garantie gérés par Oséo (BPI France).
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2 -
Mieux différencier les types de soutien
a)
Le soutien à la production
Le soutien automatique et le soutien sélectif constituent deux
modalités d’intervention publique qui visent deux objectifs bien distincts :
-
le soutien automatique confère une prime aux oeuvres qui
rencontrent le succès, incitant les producteurs qui en bénéficient
à réinvestir davantage de fonds dans la production de nouveaux
films ;
-
les aides sélectives sont accordées aux sociétés de production
qui présentent des projets prometteurs, afin de permettre à des
oeuvres innovantes de voir le jour.
L’équilibre à trouver entre ces deux formes de soutien dépend
notamment du diagnostic qui peut être porté sur la situation du secteur
économique de la production. Au cours des dernières années, tout en
restant majoritaire, la part du soutien automatique a décru. Pour les aides
à la production cinématographique, elle est ainsi passée de 65 % à 57 %
entre 2007 et 2012.
L’introduction en 2002 d’un coefficient dégressif dans la part
« salles » du soutien automatique a conduit à minorer l’impact du succès
en salles sur les droits générés au profit du producteur. En application de
ce principe, le soutien accordé à un film ayant peu de succès est
proportionnellement supérieur à celui d’un film à succès. Dès lors que la
vocation première du soutien automatique est la consolidation du secteur
de la production, il n’est pas sûr que cette forme de redistribution,
poussée trop avant, soit le meilleur moyen de répondre à cet objectif. À
tout le moins, le CNC pourrait s’interroger sur le niveau adéquat de
dégressivité de ce mécanisme de soutien.
Pour ce qui est par ailleurs du soutien sélectif, il y a lieu de
constater que parmi les 83 dispositifs d’intervention du CNC, dix
représentent près de deux tiers de l’ensemble des volumes financiers. La
faiblesse unitaire des montants financiers de la plupart des dispositifs
d’aide sélective doit conduire à remettre en question l’opportunité d’une
telle ventilation, au regard des coûts de gestion et de l’efficacité des aides
correspondantes. Le renouvellement de la création cinématographique,
visé par le soutien sélectif, ne peut, en outre, avoir de sens que si, par
ailleurs, les conditions sont réunies ou encouragées pour que ces oeuvres
soient exposées et reconnues. Un arbitrage doit donc être opéré entre le
niveau de sélectivité des soutiens et les capacités de réception par le
public des oeuvres produites.
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91
b)
Le soutien à la distribution
L’importance d’une différenciation plus affirmée des aides est
également très nette dans le champ de la distribution. Compte tenu des
difficultés rencontrées aujourd’hui par ce secteur, la question de la
structuration économique et de l’adaptation des aides publiques qui lui
sont consacrées par le CNC paraît devoir s’imposer.
Calculé par application d’un barème de soutien fortement
dégressif
99
au produit de la TSA sur le prix des places perçue à l’occasion
de l’exploitation des films en salles,
le soutien automatique généré par les
films distribués peut être réinvesti sous deux formes :
-
pour le financement des
minima
garantis d’une part ;
-
pour
la prise en charge de tout ou partie des dépenses de
distribution, d’autre part.
Conçue pour encourager
les distributeurs à participer au
financement de la production cinématographique, l’aide automatique
permet d’amortir le risque en majorant le soutien sur les niveaux de
recettes pour lesquels il est le plus élevé. D’un montant de 18 M€ en
2012, le soutien automatique joue un rôle essentiel dans la structuration
économique du secteur.
Les aides sélectives, qui ont pour objectif de contribuer à la
diversité de l’offre de films en France, apparaissent, quant à elles, très
dispersées, dans leur montant (à l’exception de l’aide au programme,
aucune aide ne dispose d’une enveloppe annuelle supérieure à 800 000 €)
comme dans leur organisation : le maintien de neuf guichets d’aides
sélectives répartis dans trois collèges différents, dont certains bénéficient
à moins de dix sociétés par an, pose question. Une rationalisation tendant
à réduire le nombre de dispositifs mis en oeuvre par le CNC s’impose.
La confusion entre objectifs relevant respectivement du soutien
automatique et du soutien sélectif est patente dans le cas de l’aide à la
structure, qui illustre la difficulté de concilier un mécanisme sélectif avec
un objectif de structuration économique. Conçue pour soutenir les
distributeurs qui, en dépit d’une activité régulière de distribution et une
ligne éditoriale de qualité, présentent une certaine fragilité financière,
cette aide est faiblement dotée (736 000 € en 2010, ayant bénéficié à
21 sociétés).
Un
meilleur
encadrement
de
cette
aide
apparaît
indispensable :
99
À la suite de la réforme de mars 2013, à partir de 1,23 M€ de recettes (soit 200 000
entrées), le taux de soutien passe de 120 % à 25 %.
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COUR DES COMPTES
-
en termes de durée : une aide à la structure parfois versée
pendant dix ans à une même entreprise conduit à émettre des
doutes sur son efficacité financière et comporte un risque de
distorsion de concurrence ;
-
en termes de montant : un meilleur ciblage de cette aide est
souhaitable, dès lors que les modalités d’attribution ne semblent
pas produire d’effet notable sur les résultats financiers des
entreprises aidées.
Plus généralement, les aides sélectives pourraient être recentrées
vers leur objectif premier de promotion de la diversité culturelle.
Dans ce contexte, la notion de distributeur indépendant gagnerait à
être clarifiée. Aujourd’hui, le rapport de la Médiatrice du cinéma, tout
comme les engagements de programmation que prennent les groupements
et circuits de salles, ou encore l’aide à la distribution versée par Canal +,
font en effet référence à la catégorie de distributeurs indépendants, sans
qu’aucune définition en soit clairement établie. Dès lors, un label
« distributeur indépendant » pourrait être attribué par le CNC sur la base
de critères objectifs préalablement déterminés (nature du capital, absence
de liens commerciaux avec les diffuseurs, activité de distribution
régulière et pérenne), de sorte que les soutiens publics puissent être
clairement ciblés sur un objectif préalablement identifié et faire l’objet de
contrôles, y compris par le Parlement.
C - Conforter le rôle d’expertise économique du CNC
L’efficacité du soutien public dépend de sa capacité à identifier
précisément les besoins auxquels celui-ci répond. Cette démarche
implique une connaissance approfondie des réalités économiques et
financières qui sous-tendent l’activité des secteurs du cinéma et de
l’audiovisuel, afin d’être en mesure d’évaluer de manière précise et
vérifiable les effets de la politique publique de soutien à la production
cinématographique.
Cela vaut, tout d’abord, pour le tissu entrepreneurial. Le nombre
d’entreprises opérant dans ces secteurs, leur taille et leur profil d’activités
pourraient être davantage analysés par le CNC, de même que les données
étrangères correspondantes à partir desquelles pourraient être effectuées
des études comparatives de performance avec le système français.
Compte tenu de la complexité croissante de ces secteurs, de la
multiplication des parties prenantes et de l’enchevêtrement de leurs
intérêts, une meilleure connaissance de la réalité de leur situation et de
leur fonctionnement s’impose. La place singulière du CNC, relais
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93
privilégié de la puissance publique et organisme reconnu par les
professionnels, pourrait être davantage développée en ce sens, à la suite
de l’élaboration par l’établissement de l’étude
L’économie des films
français,
rendue publique en janvier 2014. La mise à disposition du
public des données brutes sur lesquelles se fondent ces analyses
permettrait de consolider la confiance dans l’établissement et devrait
constituer pour lui un objectif à moyen terme.
Aujourd’hui, la collecte d’informations pertinentes que devrait
permettre la pratique de contrôles
a posteriori
par le CNC demeure
encore embryonnaire. Si le protocole d’accord interprofessionnel du
16 décembre 2010 a institué « une procédure de contrôle aléatoire de
l’ensemble du coût des oeuvres cinématographiques et des recettes
qu’elles génèrent » portant chaque année sur dix oeuvres choisies par
tirage au sort, les audits réalisés sous l’égide du CNC chez les
producteurs concernés et leurs mandataires n’ont pas encore été publiés à
ce jour.
Tout en mettant en oeuvre des procédures permettant de protéger le
secret des affaires, l’établissement public devrait disposer, au-delà de la
conduite d’audits ponctuels, d’un accès plus ouvert aux informations
économiques relatives aux entreprises qu’il soutient, aux conditions
présidant aux contrats par lesquels elles se lient aux différentes étapes
d’une oeuvre, ainsi qu’aux résultats de son exploitation et au partage des
recettes correspondantes. Outre que l’analyse régulière de ces données ne
peut que favoriser une adaptation au plus juste des dispositifs de soutien
existants, elle est de nature à conforter la dimension stratégique qui
incombe à l’établissement.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Le modèle de préfinancement qui caractérise la politique de
soutien à la production cinématographique a assuré la mobilisation
d’investissements dans la production des films d’initiative française à
hauteur de près de 1,1 Md€ en 2012. Si elle a permis au cinéma français
de connaître de remarquables succès au cours de la décennie écoulée,
elle présente néanmoins des signes d’essoufflement.
Tout d’abord, la hausse des coûts des films aux budgets les plus
élevés, qui n’est pas propre à la France, fragilise les équilibres de la
chaîne de financement. La responsabilité économique du producteur doit
être mieux identifiée et valorisée. Dans le même temps, le volume de
production présente un déséquilibre croissant avec les capacités de
valorisation économique des films produits. Si, dans son principe,
l’intervention publique est pleinement justifiée pour favoriser la diversité
de la création, elle doit s’accompagner d’une préoccupation constante
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pour les perspectives d’exposition des films, et s’efforcer d’endiguer
l’augmentation des coûts et d’éviter les effets d’aubaine.
La raréfaction des ressources mobilisables, par ailleurs, est due à
une transition désormais bel et bien engagée d’une économie matérielle
dans laquelle la diffusion des contenus cinématographiques suit un
parcours linéaire, de la salle de cinéma aux marchés étrangers, vers une
économie immatérielle reposant sur la disponibilité des contenus et la
variété des modes de consommation. Le financement du système par les
chaînes de télévision, qui constitue l’une des principales sources de
préfinancement du cinéma, risque de représenter une contrainte de plus
en plus forte dans ce contexte, alors que de nouveaux diffuseurs
concurrents font leur apparition, qui ne contribuent aucunement ou que
très marginalement à la production cinématographique.
À terme, l’instauration d’un cadre réglementaire adapté aux
nouveaux usages et aux modes de diffusion délinéarisés et mondialisés
(cf. chapitre IV) constitue une perspective souhaitable, qui amènerait les
nouveaux opérateurs diffusant des images sur internet à financer la
création. Néanmoins, une telle perspective est encore incertaine. Elle ne
dispense pas, pour le court terme, d’agir sur les principales menaces qui
pèsent sur le système de préfinancement : l’augmentation des coûts et la
dégradation des conditions de financement et d’exposition d’une partie
de la production. Deux outils existent à cet effet, le soutien automatique
et le soutien sélectif, qui doivent renouer avec leur vocation propre :
d’une part la structuration assumée du secteur, d’autre part le
renouvellement de la création.
La
Cour,
en
conséquence,
formule
les
recommandations
suivantes :
5.
procéder à des regroupements des aides sélectives à la
production et à la distribution cinématographique et réduire le
nombre de projets éligibles afin d’augmenter le montant
unitaire pour chacun des projets retenus
;
6.
faire bénéficier des activités plus innovantes et plus risquées de
la situation de suréquilibre du fonds cinéma de l’IFCIC ;
7.
lier le calcul du montant de soutien automatique accordé au
niveau des apports en fonds propres du producteur ;
8.
plafonner la prise en charge par le soutien public des
rémunérations les plus élevées ;
9.
neutraliser les rémunérations en participation dans le calcul
des soutiens publics à la production cinématographique ;
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10.
rendre inéligibles aux soutiens publics les films qui recourent
au versement anticipé de compléments de rémunération sous
forme de droit à l’image ;
11.
assouplir le régime des jours pendant lesquels la diffusion
d’oeuvres cinématographiques est interdite sur les chaînes de
télévision.
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Chapitre III
Le soutien à la production
audiovisuelle : des performances sans
rapport avec les montants investis
Alors que la production cinématographique relève majoritairement
d’une économie de l’offre, la production audiovisuelle correspond
davantage à une économie de commande : si les producteurs sont à
l’origine des contenus, leurs projets ne peuvent se concrétiser qu’à la
condition qu’une chaîne de télévision endosse une part, souvent
majoritaire, du financement et des risques en termes de retombée
d’audience.
Ce processus de formation de l'offre et de la demande est marqué
par la confrontation d’intérêts parfois divergents. Du côté de la demande,
le programme audiovisuel s'inscrit pour la chaîne de télévision dans une
stratégie éditoriale visant à se distinguer des chaînes concurrentes et à
fidéliser son audience par la diffusion de contenus exclusifs et fortement
identifiants. Du côté de l'offre, les producteurs, qui souhaitent développer
des projets et les proposer aux éditeurs, demeurent structurellement
dépendants des chaînes et entretiennent en réalité avec elles des relations
proches de celles qui lient un fournisseur à son client.
Dans ce contexte, la politique de soutien à la production
audiovisuelle, inspirée du modèle mis en oeuvre en matière de production
cinématographique, a été définie de façon à corriger les défaillances dans
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