Seul le prononcé fait foi
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Allocution de M. Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique
DEXIA : un sinistre coûteux, des risques persistants
jeudi 18 juillet 2013
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue
à l’occasion de la publication d’un nouveau rapport public thématique
de la Cour. Il porte sur le sinistre du groupe bancaire Dexia
, qui présente la spécificité d’être une
entreprise
privée binationale, j’y reviendrai
.
Pour vous présenter ce rapport, je suis entouré de Raoul Briet, président de la première chambre,
de Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour et,
d’Hélène Morell,
conseillère maître et contre-rapporteure de cette enquête. Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à
cette enquête, Bernadette Malgorn, Emmanuel Bichot, Paul Teboul, Christine Baillion et Paul Guis.
Ce rapport s’inscrit dans une tradition bien établie d’exa
men par la Cour des concours financiers
publics visant à soutenir les banques. Ainsi, à la demande du Gouvernement, elle avait publié deux rapports
sur le plan de soutien aux banques au moment de la crise de 2008-2009. Elle avait jugé celui-ci utile et
efficace dans son ensemble, c'est-à-
dire conforme aux exigences d’un bon usage des deniers publics. Les
mesures de soutien à la banque Dexia se sont inscrites d’emblée dans un cadre dérogatoire
, car sa fragilité
était bien supérieure à celle des autres banques françaises.
Et, de fait, aujourd’hui, l
e coût des mesures de
soutien à ce groupe a atteint un montant considérable,
qui n’est encore que provisoire
.
C’est pourquoi la Cour, dont l’une des missions constitutionnelles est d’éclairer les pouvoirs publics
et de contribuer à l’
information du
citoyen, s’est attachée à analyser les raisons de l’échec des tentatives de
redressement du groupe et du sinistre qui en est résulté. Elle a cherché
à évaluer l’impact
actuel et à venir
sur les finances publiques, à examiner si les responsabilités ont bien été recherchées et à dégager les
enseignements qui peuvent en être tirés.
Dexia présente la spécificité d’être
une entreprise privée binationale : la tête du groupe est une
société de droit belge
dont l’
actionnariat était partagé entre Français et Belges. Ce caractère franco-belge a
apporté une limite territoriale aux investigations menées par la Cour. Celle-ci
s’est concentrée sur
la filiale
française Dexia Crédit Local. La compétence de la Cour est également limitée dans le temps. Elle ne peut en
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effet
s’exerce
r
qu’à partir de l’automne 2008, au moment où sont prises les premières mesures de soutien
public. La Cour
n’évoque donc dans ce rapport ni les interventions des entités publiques belges, ni, a fortiori,
le partage des responsabilités entre acteurs français et belges.
Quatre messages ressortent de ce rapport.
Le premier est que Dexia n’est pas qu’une victime de la crise financière. C’est
avant tout la
fragilité de son modèle, la faiblesse de sa gouvernance et les défaillances de la régulation
et de la supervision qui expliquent que le groupe
n’ait pas survécu aux crises de 2008 et
2011. Dirigeants, actionnaires et superviseurs partagent donc la responsabilité du sinistre ;
Le deuxième est que l’échec du sauvetage
de Dexia a coûté à ce jour 6,6
Md€ aux seules
entités publiques françaises et que des risques élevés et durables persistent pour les
finances publiques ;
Tant les erreurs commises que le coût du sauvetage auraient dû entraîner une recherche
des responsabilités du sinistre. Au contraire
–
c’est le troisième message du rapport –
,
cette recherche a été tardive et reste très incomplète. La plupart des anciens dirigeants
bénéficient aujourd'hui d'avantages importants, en particulier de retraites chapeaux. La
Cour est ainsi appelée à formuler des propositions pour que toutes les possibilités
existantes de remettre en cause les avantages accordés aux anciens dirigeants puissent
être exploitées, ainsi que des recommandations pour l’avenir
;
Le quatrième message est que le cas de Dexia
illustre l’absolue nécessité d’
améliorer la
supervision et la gestion des défaillances bancaires au niveau européen. Une prise de
conscience a pu être observée mais le chemin à parcourir reste long.
Je veux revenir sur chacun de ces messages. Le premier
d’entre eux
met en évidence le fait que
le
groupe aurait vraisemblablement pu traverser les crises récentes
s’il avait mieux perçu les risques
inhérents à son modèle de financement, si sa gouvernance avait été plus efficace et sa supervision
mieux organisée et plus rigoureuse
.
Le groupe Dexia s’est constitué progressivement entre 1987 et 1996. L’une de ses deux
composantes principales, la banque Crédit Local de France, avait été créée en 1987. Cette banque souffrait
d’une structure de financement vulnérable car elle
accordait des prêts de long terme avec des ressources
obligataires de moyen terme et des ressources de court terme empruntées sur les marchés monétaires. Il
était donc important pour elle de
se rapprocher d’
une banque de dépôt qui dispose
d’un volume significatif de
ressources stables.
C’est ainsi qu
e le regroupement avec le Crédit communal de Belgique, en 1996, a donné
naissance à Dexia.
Les compromis passés alors entre les divers actionnaires français et belges ont donné naissance à
un groupe peu intégré, sous le contrôle d’une holding de droit belge.
Le groupe avait également une
composante
luxembourgeoise, avec l’établissement Dexia Banque Internationale, sans représenta
tion de
celle-ci
au conseil d’administration.
Les actionnaires institutionnels belges étaient majoritaires depuis
l’acquisition
par Dexia de la banque belge Artesia en 2001 et disposaient de 40 % des parts environ, contre
14
% détenus par le groupe Caisse des dépôts du côté français. L’État français
ne faisait pas partie des
actionnaires. La Caisse des dépôts et consignations, quant à elle, a toujours considéré sa participation
comme non stratégique jusqu’au déclenchement de la crise
. Ce choix de la part de la Caisse des dépôts est
apparu critiquable à la Cour
, car la Caisse disposait tout à la fois d’un haut niveau d’expertise financière et
d’une excellente connaissance du fin
ancement des collectivités territoriales.
Les faiblesses du groupe étaient anciennes, notamment le déséquilibre de son modèle de
financement
–
distribuer des prêts longs en mobilisant des ressources de court terme
–
et
l’instabilité de son
organisation. Au cours des années 2000, comme de nombreux autres groupes bancaires, Dexia
s’est
engagée dans une stratégie de croissance externe très rapide et mal maîtrisée, avec des acquisitions
coûteuses, parfois hasardeuses. Parmi ces acquisitions figure la société américaine FSA, spécialisée dans le
réhaussement de crédit aux collectivités publiques. Le groupe avait besoin de davantage de ressources
longues pour équilibrer son bilan, en particulier des dépôts. En 2004, une tentative de regroupement avec le
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groupe italien Sanpaolo IMI avait échoué
, laissant Dexia sans partenaire susceptible d’élargir sa base de
dépôts. Une attention très insuffisante a été consacrée à ce problème.
La rentabilité du groupe se situait à un niveau élevé, intenable dans la durée. Le groupe est entré
dans la crise avec un niveau de fonds propres satisfaisant, mais une structure de bilan massivement
déséquilibrée : 40 %
de l’actif
était financé par des ressources monétaires de court terme. Sa dépendance à
la liquidité était structurelle et son modèle économique supposait le bon fonctionnement des marchés
monétaires et interbancaires, ainsi que
la pérennité d’une bonne notation financière des titres qu’elle émettait.
Contrairement à ce qu’affirment ses anciens dirigeants, Dexia n’est donc
pas une victime comme une autre
de la crise, celle-ci
n’
a fait que révéler
l’extrême fragilité
, pour ne pas dire la non-viabilité du modèle de
financement retenu pour Dexia, en raison du déséquilibre croissant de la structure de son bilan.
Les signaux annonciateurs de la crise, en 2007, n’ont pas été
pris en compte. Le groupe, au
contraire, a accéléré sa stratégie de croissance en cherchant à tirer parti des difficultés de ses concurrents.
Le conseil d’administration, qui comptait peu d’expe
rts ou de professionnels aguerris des questions
bancaires,
ne s’est pas opposé à une telle stratégie qui a perduré jusqu’au milieu de l’année 2008, c'est
-à-
dire bien trop longtemps compte tenu de la montée des risques et de la dégradation rapide du résultat du
groupe. La décision prise en 2006
d’anonymiser les interventions dans les procès
-
verbaux n’a pu que diluer
la responsabilité des administrateurs.
La supervision prudentielle était, quant à elle, organisée de façon éclatée en raison de la structure
binationale du groupe et des multiples nationalités de ses filiales. La concertation entre superviseurs
nationaux,
réalisés sous l’égide du superviseur belge
,
n’a pas empêché la fragmentation de la supervision et
son peu d’influence effective pour corriger les manquements détectés. En réalité, les superviseurs n’ont pas
eu une appréciation consolidée et
rigoureuse des risques du groupe et n’ont pas émis d’alerte forte sur les
déséquilibres de la structure du bilan et les insuffisances de la gestion interne des risques.
Par ailleurs, les normes prudentielles ont facilité
l’expansion du groupe
, notamment par la
constitution de portefeuilles importants d’obligations d’
États souverains. La règle de Bâle permettant de
pondérer à zéro le risque de crédit de ces
obligations n’a pu qu’
inciter Dexia à élargir ses portefeuilles
d’obligations souveraines alors réputées sûres
, en particulier celles des État
s de l’Europe du Sud
.
Après le premier sauvetage de 2008, une mission tripartite des superviseurs belge, français et
luxembourgeois, dirigée par le superviseur belge, a élaboré un rapport qui soulignait de graves
dysfonctionnements et des manquements à la réglementation prudentielle, en particulier aux obligations de
contrôle interne. Pour des raisons inexpliquées, ce rapport
n’
a été communiqué à Dexia que
plus d’un an
après son achèvement
, sans même qu’une réponse soit sollicitée. Il
n’a fait l’objet d’aucunes
suites. Cet
exemple illustre le fait que la supervision n’a contribué ni à détecter les risques, ni à établ
ir et sanctionner a
posteriori les manquements.
Dexia a été f
ortement touchée par la crise de liquidité à partir de l’automne 2008
. Cela a rendu
nécessaire
des interventions publiques d’urgence
, le groupe présentant un risque systémique pour le
système financier. Ces interventions ont pris la forme de garanties publiques potentiellement risquées et
d’une augmentation de capital financée
,
non par l’ensemble des actionnaires existants
, mais par les
institutions publiques françaises et belges, à parité. Le
cours d’acquisition a été fixé
à un niveau
désavantageux pour les États afin de ne pas trop diluer les actionnaires historiques belges. Ce choix est
critiquable. Les participations publiques prises, soit 2,7
Md€ pour les
entités publiques françaises
–
État et
Caisse des dépôts et consignations dont le
Fonds d’épargne –
ont rapidement perdu la totalité de leur valeur.
C’est donc à
cette occasion, fin 2008,
que l’État est entré
au capital et a pris part directement à sa
gouvernance comme actionnaire minoritaire.
En 2009 et 2010, une amélioration des conditions de marché a pu laisser croire que le groupe
pouvait progressivement sortir d'affaire,
après la mise en œuvre d’un plan de restructuration
. Celui-ci
conduisait à réduire la taille du bilan par des cessions
mais était fondé sur l’hypothèse
qu’aucun nouveau
choc de liquidité ne se produirait. Le scénario alternatif de
création d’
une structure de défaisance
–
une « bad
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bank »
–
n’a pas été retenu, car
il aurait entraîné immédiatement des pertes de près de 10
Md€
, jugées
insoutenables, à la charge des actionnaires. Cependant, en 2011,
les cessions n’
avaient pas permis de
réduire suffisamment le déséquilibre du bilan, donc la dépendance à la liquidité, et Dexia détenait toujours un
portefeuille important d’obligations souveraines.
Le pari d’un redressement progressif s’est trouvé pris en défaut avec
le développement de la crise
des dettes souveraines en 2011. Dexia a vu sa notation dégradée, essentiellement en raison de son
exposition aux dettes souveraines des pays
d’Europe du
Sud. La disparition des financements monétaires, la
baisse des taux longs et la fuite des déposants belges et luxembourgeois ont porté le coup fatal à Dexia,
avec la
nationalisation par l’État belge
de l’ex Crédit
communal de Belgique et le projet de cession de Dexia
Banque International à Luxembourg. Sans ces deux banques, le modèle économique et financier du reste de
Dexia ne pouvait plus se maintenir.
Les conséquences d’un dépôt de bilan étant trop graves, les
États
français et belge
ainsi que les banquiers centraux ont accordé des concours d’urgence transitoires.
De
difficiles négociations entre États et avec la Commission européenne se sont engagées en vue du
démantèlement du groupe Dexia jusqu’à la fin de l’année 2012
. Une nouvelle augmentation de capital de
5,5
Md€ a été nécessaire, financée à
53 % par l
’É
tat belge et 47
% par l’État
français. Parallèlement, la
Commission européenne a autorisé l’octroi d’une garantie permanente à hauteur de 85
Md€.
Tout au long des négociations, l
’État français a
cherché à tout prix à éviter que soit retenu un
schéma de défaisance publique
qui aurait d’un coup augmenté la dette publique de 6 points de PIB.
En
conséquence, il a insisté pour que Dexia Crédit Local conserve sa
licence bancaire, continue d’avoir une
production de prêts jusqu’en 2014
, et puisse se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. Un
nouvel établissement de crédit a été créé, la SFIL,
dont l’État français est actionnaire à 75 %. Il a
, entre
autres missions, celle
de renégocier l’essentiel du stock des prêts aux collectivités territoriales, notamment
sensibles, et de procéder à leur restructuration. Ce qui reste de Dexia après la création de la SFIL, appelé
Dexia résiduel, est placé en gestion extinctive.
En définitive, faute de cadre européen
permettant d’organiser
la disparition de Dexia sans
intervention financière des États et sans impact sur les finances publiques, le schéma retenu a fait porter
l’essentiel des risques passés et la totalité des risques futurs sur l
es États français et belge.
Au total, l’analyse rétrospective
faite par
la Cour l’a conduite à estimer –
avec toutes les précautions
que les jugements a posteriori rendent nécessaires
–
que les difficultés qu’a connues Dexia et qui ont fait
échouer son sauvetage, sont la conséquence d’une stratégie de groupe fondée sur un mod
èle de
développement et de financement imprudent, ainsi que
de l’
absence de prise en compte
d’un contexte de
montée des risques. Les dirigeants et actionnaires historiques du groupe, tout comme les superviseurs, en
portent la responsabilité.
La Cour a cherché à évaluer l’impact du sinistre sur les finances publiques.
Le coût pour le
contribuable national a été important, 6,6
Md€ jusqu’à ce jour
, et des risques élevés persisteront
longtemps encore
, c’est le deuxième message du rapport.
J’ai évoqué l’augmentation de capital de 2008 à l’occasion de laquelle l’État et
le groupe Caisse des
dépôts ont pris des participations à hauteur de 2,7
Md€ dans Dexia
. Elles
s’ajoutent aux participations
historiques que détenait le groupe Caisse des dépôts, soit 2
,1 Md€. La valeur de ces participations dans leurs
comptes respectifs a été entièrement dépréciée. En sens inverse, les garanties apportées par l’État aux
émissions de Dexia lui ont rapporté 864
M€ à ce jour. La seconde augmentation de capital en 2012 a
coûté à
l’État 2,6
Md€
et accru à due concurrence le déficit budgétaire. Le coût net pour les entités publiques
françaises peut aujourd’hui être évalué à 6,6
Md€
dont 2,7
Md€ pour l’État et 3,9
Md€ pour
le groupe Caisse
des dépôts.
La Cour n’a pas évalué
les coûts pour la partie belge ; ceux-ci sont vraisemblablement
supérieurs
et pèsent d’autant plus sur le contribuable belge que
leur PIB est cinq fois inférieur à celui de la
France.
Les États ayant hérité du contrôle des structures issues du démantèleme
nt de Dexia, c’est sur eux
que repose l’essentiel des risques futurs. Si le plan soumis à la Commission européenne ne va que jusqu’en
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2020, les risques perdureront jusqu’au débouclage du dernier emprunt, dans quarant
e ans. La garantie
donnée par les États
permet aux entités d’emprunter sur les marchés
. Le plan a été jugé robuste par ses
promoteurs.
Les hypothèses sur lesquelles il repose n’en sont pas moins fragiles. Si l
e scénario
macroéconomique et financier prévu, qui suppose une sortie de crise rapide, ne se réalise pas,
il n’est pas
exclu qu’une recapitalisation doive à nouveau intervenir, ce qui entraînerait un nouveau coût pour les
finances publiques. Le sujet est donc encore en partie devant nous.
Parmi les risques pour l’avenir figure
également
l’héritage des prêts structurés de Dexia Crédit
Local. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas ces prêts qui expliquent l
’échec
de Dexia mais sa
dépendance excessive au financement de court terme ainsi que le poids et la composition géographique de
son
portefeuille d’obligations
souveraines. Mais les prêts structurés
dits sensibles, dont l’enco
urs représente
encore 10,5
Md€,
n’en font pas moins
peser un risque important sur le bon déroulement de la phase de
gestion extinctive à venir. Les impayés des collectivités sont à un niveau modeste mais en forte croissance.
Les recours pourraient se multiplier, en s’appuyant sur le jugement en première instance
rendu par
le tribunal de grande instance de Nanterre le 8 février 2013. Ce jugement concerne
l’abse
nce de mention du
taux effectif global dans l’emprunt contracté par le département de Seine
-Saint-Denis. Si cette jurisprudence
est confirmée, le coût pour la SFIL serait très important. Elle
entrainerait un effet d’aubaine injustifié pour les
collectivités qui ont contracté ces prêts
risqués, puisqu’elles bénéficieraient tout au long du prêt de taux
sensiblement inférieurs à ceux acquittés par les autres collectivités.
Cet argument, auquel s’ajoute l’enjeu
budgétaire lié aux contentieux, pourrait constitue
r un motif d’intérêt général suffisant pour justifier des
mesures de validation législative.
Enfin, le sinistre de Dexia a fragilisé le financement du secteur public local. Le rapport ne traite pas
du sujet du financement des investissements de collectivités territoriales ; la Cour
l’
a déjà abordé dans un
rapport de juillet 2011 sur la dette publique locale, et elle y reviendra en octobre dans un rapport public
consacré aux finances locales. Le présent rapport se borne à constater que le retrait
d’un acteur majeur du
financement a dû être compensé par la mobilisation du Fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et
consignations. Il reviendra aux pouvoirs publics de tirer les conséquences de ce retour involontaire à un
financement essentiellement pub
lic de l’emprunt local en veillant à la bonne articulation des différentes offres
existantes
, celle du Fonds d’épargne
, celle de La Banque postale Collectivités Locales et celle de la SFIL.
Une attention particulière doit être portée à la viabilité de cette nouvelle structure, viabilité
qui suppose qu’elle
ait un volume d’activité et des marges suffisantes.
L’
existence de déficiences graves dans la gestion de Dexia, et le coût important qui en a résulté
pour le contribuable, auraient dû conduire à rechercher les responsabilités dans le sinistre et à sanctionner
les responsables. La Cour a constaté
qu’au contraire –
et
c’est son
troisième message
–
la mise en cause
des responsables a été tardive et incomplète, au point même de les laisser continuer à bénéficier
d’
avantages significatifs
.
Au moment du premier plan de sauvetage, la mise en cause de la responsabilité des deux
principaux dirigeants
–
M. Axel Miller, administrateur délégué, c'est à dire directeur général, et M. Pierre
Richard, alors président du conseil d'administration et administrateur délégué de 1999 à 2006
–
a
essentiellement consisté en leur éviction. La Cour a constaté, en examinant la situation des seuls cadres
dirigeants français, qu'aucune action de mise en cause ou de recherche de la responsabilité des anciens
dirigeants n'avait eu lieu à l'initiative des nouveaux dirigeants, des actionnaires ou des États avant octobre
2011. Le groupe a invoqué un risque d'image pouvant porter atteinte au bon déroulement du redressement.
En outre, le conseil d'administration n'a été que partiellement renouvelé en 2008, ce qui a pu contribuer à
l’inertie
. Les indemnités et avantages substantiels dont bénéficiaient les anciens dirigeants ont été pour
l'essentiel maintenus. J'évoquerai successivement les retraites chapeaux et les indemnités de départ.
Dexia a mis en place un régime de retraites chapeaux contestable dont les caractéristiques ont
évolué en lien avec les intérêts des principaux dirigeants. Les règles de calcul ont été rendues de plus en
plus avantageuses au fur et à mesure que leur départ en retraite se rapprochait. De même, la présence parmi
les plus hauts cadres dirigeants français de hauts fonctionnaires n'est pas étrangère au choix de ne pas
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prendre en compte les pensions publiques dans le calcul des retraites chapeaux. La suppression pour
l'avenir du régime demandée par la Commission européenne
à l’occasion du premier plan d’aide en 2008 a
vu sa mise en œuvre décalée d’un an afin de
permettre à un autre dirigeant de Dexia de bénéficier d'une
rente de 100 938
€ par an.
Ce n'est que lorsque la certitude de l'échec du plan de redressement a été acquise, en octobre
2011, que la réflexion sur la remise en cause des avantages financiers obtenus par les anciens dirigeants, en
particulier les retraites chapeaux déjà liquidées, s'est engagée, à la demande du représentant de l'État
français au conseil d'administration.
C’est seulement
un an plus tard
et alors que l’enquête de la Cour se
déroulait que des premiers éléments de réponse lui ont été fournis, évoquant
l’existence d’
une étroite voie de
recours en droit belge pouvant remettre en cause une partie importante des retraites chapeaux déjà
liquidées. La menace d'un tel recours a accéléré la négociation d'une réduction transactionnelle de la retraite
de M. Pierre Richard, qui est passée de 563 000
€ annuels à 300
000
€, montant qui n’intègre pas sa
retraite
de la fonction publique. Le conseil d'administration s'est satisfait de cette issue et a renoncé à exercer les
voies de recours.
Tardive, la remise en cause des retraites chapeaux n'a ainsi concerné qu'une seule personne sur
six, et par voie transactionnelle.
Pour autant, il est encore possible, jusqu’en 2014, d’exercer un recours en
justice susceptible de réduire substantiellement les pensions de l'ensemble des bénéficiaires. Compte tenu
de la responsabilité des anciens dirigeants dans un sinistre pesant lourdement sur les comptes publics, la
Cour considère qu'il est nécessaire que tous les efforts soient déployés pour engager un tel recours, même si
les enjeux financiers pour les comptes de la société
sont sans commune mesure avec l’ampleur du sinistre
.
Les retraites chapeaux ne sont pas les seuls avantages dont ont bénéficié les anciens dirigeants.
Ceux qui en ont été exclus ont pu percevoir des indemnités de départ sous la forme d'accords
transactionnels, qui s'ajoutent aux indemnités classiques de licenciement. Elles ont concerné quatre anciens
responsables ayant quitté l'entreprise après le sinistre. Les indemnités perçues représentent entre 595
000 €
et 765 000
€.
Deux personnes parmi les quatre ont bénéficié
d’une réintégration immédiate dans l
a fonction
publique
, dans leurs corps d’origine
. Il s'agit certes d'un droit prévu par le statut de la fonction publique. Mais
la Cour considère anormal que des personnes qui ont leur part de responsabilité dans le sinistre puissent
bénéficier à la fois d'une indemnité de départ et d
’
un retour garanti dans l'emploi public. Elle recommande
que les règles de la fonction publique soient amendées pour que le retour
dans l’administration
de
fonctionnaires devenus cadres dirigeants d'entreprises publiques ou d'entreprises privées soutenues par des
fonds publics soit exclusif du bénéfice d'indemnités de départ.
Les informations contenues dans ce rapport sur ce sujet, dont certaines sont nominatives, procèdent
de la volonté de la Cour
d’
informer le citoyen et
de s’assurer
du bon usage de l'argent public : dans le cas de
Dexia, 6,6
Md€ d'euros ont jusqu'ici été
mis à la charge du contribuable national pour une entreprise dont le
management a été gravement défaillant. La révélation de cette situation dans un rapport public doit inciter à
faire évoluer les choses, en interpellant les pouvoirs publics et les citoyens. La Cour recommande ainsi
d’introduire des dispositions juridiques permettant de revenir sur l’octroi de rémunérations variables et
d’avantages et indemnités complémentaires à des dirigeants d’institutions financières en cas d’intervention
publique.
J’en arrive au
quatrième message : le cas de Dexia illustre
l’absolue nécessité d’améliorer la
supervision et la résolution bancaire au niveau européen
. Une prise de conscience a pu être observée
mais le chemin à parcourir reste long
. Il s’agit de tirer tous les enseignements pour l’avenir du cas de Dexia,
unique exemple de gestion de la défaillance
d’un groupe
bancaire transnational.
S’agissant de la gouvernance, il serait souhaitable
que des règles spécifiques au secteur bancaire
confèrent aux superviseurs une mission de contrôle de la gouvernance. Le projet de loi bancaire en cours
d’adoption contient sur ce point des avancées importantes.
Cette surveillance serait effective dans les cas de
défaillance bancaire, mais aussi à titre préventif.
L’Allemagne a introduit récemment un régime de
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responsabilité pénale des dirigeants de banques et d’assurances visant ceux qui auraient délibérément pris
des risques inconsidérés ayant entraîné des pertes. Une réflexion analogue est engagée au Royaume-Uni.
La Cour recommande de développer de tels régimes des sanctions pénales et pécuniaires, dans notre pays.
De nouvelles règles européennes sont en cours d’élaboration pour mettre en place un mécani
sme
unique de supervision, permettre la gestion des défaillances bancaires au niveau européen et garantir les
dépôts. Ce projet dit d’union bancaire aurait certainement permis une bien meilleure gestion du cas de Dexia.
Les évolutions en cours vont donc dans la bonne direction, même si beaucoup reste à faire pour que cette
union bancaire devienne effective. De même, les règles prudentielles doivent
continuer d’
évoluer pour donner
davantage d’importance à l’objectif de liquidité des banques
.
*
En conclusion, la puissance publique avait au début des années 1990 abandonné le contrôle du
secteur du financement bancaire des collectivités territoriales. En raison
d’une gestion défaillante, de l’excès
d’ambition et du manque de professionnalisme des d
irigeants de Dexia, cette même puissance publique,
après avoir consacré des sommes considérables au sauvetage du groupe,
se retrouve aujourd’hui exposée
aux risques importants qui s’attachent à l’activité de
s nouveaux établissements de crédit français qui ont pris
la suite de Dexia.
Aucun acteur interne ou externe n’a été en mesure de contenir les facteurs de risque qui ont
provoqués la défaillance du groupe. La mise en cause des responsables a été tardive et incomplète, faisant
de Dexia le triste symbole
d’un sinistre bancaire dont les responsables, loin d’être sanctionnés, ont bénéficié
d’avantages et, pour certains,
vont continuer à en bénéficier, alors que les conséquences financières lourdes
sont laissées à la charge des contribuables, ainsi que les r
isques pour l’avenir
.
La Cour plaide pour que toutes les conséquences soient tirées pour éviter le renouvellement de tels
échecs. Pour les cadres dirigeants français responsables, souvent fonctionnaires d’origine, tout doit être mis
en œuvre pour revenir
sur les avantages dont ils disposent. La Cour sera vigilante sur ce point et examinera
les suites données aux recommandations figurant dans ce rapport.
J
e vous remercie de votre attention et suis à votre disposition, avec les magistrats qui m’entourent,
pour répondre à vos questions.