C
oUr deS
C
ompteS
DEXIA :
un sinistre coûteux,
des risques persistants
Juillet 2013
g
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés figurent à la suite du rapport.
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Jusqu’en 2008, le développement d’une banque transna-
tionale porteuse de risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
2
La tentative de sauvetage
(octobre 2008-octobre 2011)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
3
de la crise des dettes souveraines au démantèlement
du groupe (octobre 2011-début 2013)
. . . . . . . . . . . .19
4
Les incidences pour les finances publiques
. . . . . . . .25
5
des pistes d’amélioration pour l’avenir
. . . . . . . . . . .29
6
principales orientations et recommandations
. . . . . .31
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
3
3
Sommaire
À la fin de 2008, le bilan consolidé du groupe bancaire Dexia était de 651 Md€, son produit net
bancaire s'élevait à 3,6 Md€ environ et le groupe employait près de 37 000 collaborateurs dans le monde.
La Cour n’a été compétente pour contrôler la filiale française de Dexia qu’à compter d’octobre
2008, date à laquelle le groupe, société de droit privé belge, a bénéficié d’une aide publique.
Durant l'année 2012, la Cour a donc conduit ses investigations auprès de l’Agence des participa-
tions de l’État, de la direction générale du Trésor, de la Banque de France et de l’Autorité de contrôle
prudentiel, ainsi qu’auprès de la Caisse des dépôts et consignations et du groupe CNP Assurances. Ses
appréciations portent spécifiquement sur les interventions des entités publiques françaises, qui ne repré-
sentent qu’un volet de l’ensemble et ne portent pas sur les interventions des entités publiques belges.
Les événements que les entités publiques ont gérés en raison de la défaillance de Dexia constituent
une situation exceptionnelle en France depuis les défaisances des années quatre-vingt-dix, notamment,
celle du Crédit Lyonnais.
Le présent rapport intervient plus de quatre ans après les premiers soutiens publics, à l’issue de la
longue phase de négociation du plan de démantèlement. En conséquence, le bilan, notamment financier,
est provisoire car le plan de démantèlement (aussi appelé « résolution ordonnée ») est conçu pour aller
jusqu'en 2020.
Le rapport est organisé autour des grandes étapes chronologiques : la constitution du groupe et son
expansion jusqu’à la veille de la crise de 2008 ; la tentative de sauvetage (octobre 2008-octobre 2011) ;
le plan de démantèlement (octobre 2011-début 2013) et les conséquences qu’a eues et aura encore Dexia
sur les finances publiques.
Enfin, il examine les pistes d'amélioration pour l'avenir, concernant, principalement, la gouvernance
d'entreprise et la régulation bancaire.
g
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
5
5
Introduction
7
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
1
Jusqu’en 2008,
le développement d’une
banque transnationale
porteuse de risques
La création d’une
banque
transnationale
Une origine binationale
Le groupe Dexia a pour origine le
rapprochement, en 1996, du Crédit
Local de France, spécialisé dans le finan-
cement des collectivités locales, et du
Crédit Communal de Belgique, une
banque de détail.
En 1999, les deux holdings cotées,
l’une française (Dexia France) et l’autre
belge (Dexia Belgium) ont fusionné
pour créer Dexia SA, une compagnie
financière de droit belge qui n’avait pas
le statut de banque, et qui contrôlait à
100 % les trois principales entités opéra-
tionnelles en France, en Belgique et au
Luxembourg : Dexia Crédit Local,
Dexia Banque Belgique et Dexia Banque
Internationale à Luxembourg.
Depuis sa constitution, la gouver-
nance du groupe est paritaire. La parité
a toujours été respectée pour les deux
principaux dirigeants : président du
conseil d'administration et administra-
teur délégué qui est le dirigeant effectif
du groupe. Dans les faits, l’actionnariat
institutionnel, en particulier à partir de
l’absorption en 2001 d’Artesia Banking
Corporation, est devenu majoritaire-
ment belge.
Les faiblesses du mode de
gestion
À partir de 2006, les membres du
comité de direction du groupe ont inté-
gré les comités de direction des princi-
pales filiales qui portaient les métiers, et
les directeurs des filières métiers (finan-
cement du secteur public local, banque
de détail et gestion privée) ont pris la
responsabilité de piloter transversale-
ment les métiers. Il en est résulté une
dissociation des responsabilités entre les
organes statutaires des entités et les res-
ponsables dirigeant les métiers de Dexia
SA, notamment sur la conduite de la
stratégie d'expansion internationale dans
le métier des financements au secteur
public local.
La crise financière a révélé les pro-
fondes faiblesses du mode de gestion du
groupe : absence de centralisation des
processus, dispersion des activités de
marché, vision consolidée imparfaite de
la gestion de la trésorerie, défaillances
graves dans la gestion des risques de cer-
taines filiales internationales dont la
filiale américaine FSA.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
8
8
Jusqu’en 2008, le développement
d’une banque transnationale porteuse
de risques
Une expansion
rapide
Une stratégie de conquête
Les dirigeants de Dexia avaient pour
ambition de développer le groupe à la
fois en tant que banque universelle dans
la zone européenne et acteur majeur du
financement au secteur public local au
plan mondial. Au cours des années
2000, le groupe a donné la priorité à sa
croissance externe et à la recherche
d'une rentabilité plus forte.
Tout en développant ses marchés
historiques en France et en Belgique,
Dexia Crédit Local a multiplié les
implantations à l’étranger : outre de
nombreuses implantations en Europe
de l’Est, en Israël et en Espagne avec la
création de Dexia Sabadell, deux acqui-
sitions majeures ont concerné l’Italie
avec Crediop et les États-Unis avec
Financial Security Assurance (FSA). La
société américaine FSA intervenait dans
le secteur du rehaussement de crédit,
notamment des collectivités locales aux
États-Unis. De nombreuses acquisitions
dans le secteur de la banque universelle
ont accéléré le développement du
groupe avec des acquisitions coûteuses
et pas toujours réussies.
La taille du bilan de Dexia a été for-
tement accrue par la modification de
son périmètre et le développement de
ses actifs, en particulier des portefeuilles
obligataires, financés très majoritaire-
ment par les marchés financiers à court
terme. La structure du bilan du groupe
présentait ainsi des vulnérabilités struc-
turelles.
Le groupe demeurait de taille
moyenne par rapport aux grands
groupes bancaires européens et ne repo-
sait pas sur une assise de dépôts suffi-
sante comme les groupes bancaires
diversifiés. Conscients de cette fragilité,
les dirigeants ont tenté de rapprocher
Dexia d’autres banques pour compenser
cette insuffisance des dépôts soutenant
l’activité de crédit et les emplois du
groupe. Deux projets de rapprochement
ont échoué, le premier en 2004, avec la
banque italienne Sanpaolo IMI et le
second en 2005 avec le groupe belge
Fortis.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
9
Jusqu’en 2008, le développement
d’une banque transnationale porteuse
de risques
Schéma n° 1 : le groupe dexia en 2006
Une ambition accrue, en
dépit d’une structure de
bilan déséquilibrée
Le groupe Dexia affichait une
bonne rentabilité, de l’ordre de 20 % en
2005. La croissance du groupe et le dés-
équilibre de son bilan étaient assumés
par les dirigeants qui en connaissaient
les risques.
Entre 1999 et 2008, le bilan conso-
lidé a été multiplié par 2,7. Le résultat
net du groupe a progressé de manière
continue, jusqu’à atteindre 2,75 Md€ en
2006.
Source : Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
10
Jusqu’en 2008, le développement
d’une banque transnationale porteuse
de risques
tableau n° 1 : évolution du bilan et du résultat de dexia (en md€)
La croissance du groupe était
notamment liée à l’augmentation du
portefeuille d’actifs détenus en place-
ment. Le portefeuille obligataire repré-
sentait ainsi 162 Md€ fin 2007, contre
106 Md€ fin 2005 (+ 53 %).
La singularité du modèle écono-
mique et financier du groupe tenait éga-
lement à son activité de financement au
secteur public local, d’une maturité très
longue par rapport à des ressources qui
ne reposaient pas suffisamment sur des
financements de long terme et stables
ou sur des dépôts. Les financements de
court terme représentaient ainsi plus de
40 % de la couverture du bilan. Sa
dépendance à la liquidité était structu-
relle.
Le groupe Dexia utilisait des
contrats d’échange de taux comme cou-
verture du risque de taux, à l’actif et au
passif. Il empruntait à très court terme,
profitant de son excellente notation
financière pour obtenir des conditions
avantageuses mais il devait se prémunir
contre le risque de taux, en cas d'aug-
mentation de ceux-ci. Les produits déri-
vés destinés à couvrir le risque de taux
sur les actifs et les passifs ont constitué
l’une des causes des problèmes de liqui-
dité du groupe à partir de 2008.
Le modèle financier du groupe sup-
posait intrinsèquement le bon fonction-
nement des marchés monétaire et inter-
bancaire, le maintien d’un accès aisé à
ces marchés et aux financements de la
banque centrale, ainsi que la pérennité
d’une excellente notation financière,
toutes choses qui ont disparu à partir de
2008.
Une accélération
s’apparentant à une fuite
en avant
Un plan de développement à hori-
zon de dix ans, approuvé par les ins-
tances de gouvernance du groupe, début
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
total du
bilan (md€)
245
258
351
351
350
405
509
567
605
651
résultat net
(m€)
761
1 001
1 426
1 299
1 431
1 822
2 038
2 750
2 533
-3 326
Source : rapports annuels Dexia
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
11
Jusqu’en 2008, le développement
d’une banque transnationale porteuse
de risques
2006, fixe un objectif de croissance de
l’activité pour 2005-2015 à 10 % par an.
Dans le plan triennal 2006-2009, un
objectif de croissance des dividendes de
10 % par an était prévu avec plus de
15 % de rentabilité sur les capitaux pro-
pres chaque année.
Une telle stratégie augmentait les
risques avec le développement de nou-
velles activités à l’étranger, l'accentua-
tion de la transformation bancaire (prêts
à plus long terme, financés à plus court
terme), la diversification des produits
structurés de plus en plus complexes
proposés aux collectivités locales, et la
constitution d'un portefeuille de place-
ments financiers toujours plus impor-
tant. Cette stratégie de croissance a
même été accélérée entre mi-2007 et mi-
2008, alors que les premiers signes de la
crise à l’été 2007 auraient dû inciter à la
prudence.
Le conseil d’administration a man-
qué de clairvoyance et de vigilance. La
responsabilité individuelle des adminis-
trateurs a été diluée en raison de l’ano-
nymisation des interventions dans les
procès-verbaux à partir de 2006.
La Caisse des dépôts et consigna-
tions, qui n’avait qu’une participation
minoritaire dans le capital de la holding
a été peu active dans la surveillance de la
stratégie et des dirigeants du groupe
considérant sa participation comme une
participation financière non stratégique,
alors qu'elle avait une expertise en
France au titre de ses missions d’intérêt
général et aurait dû rester attentive au
secteur public local. Avant 2008, ni
l’État français, ni l’État belge n’étaient
présents au capital de Dexia.
Les failles de la
surveillance
prudentielle
Avant la crise, les interventions du
superviseur français - la Commission
bancaire (aujourd’hui l’Autorité de
contrôle prudentiel) -, concernant Dexia
Crédit Local, ont été peu nombreuses et
le superviseur a essentiellement mobilisé
ses moyens pour la mise en place du
cadre de Bâle 2. Le cas de la filiale amé-
ricaine FSA, compagnie d’assurance
américaine et de ce fait exclue des
contraintes renforcées imposées par la
directive européenne sur les conglomé-
rats financiers, est symptomatique de
l’absence de surveillance unifiée des
groupes multinationaux, ainsi que de la
fragmentation de la supervision finan-
cière par pays.
Après le sauvetage d’octobre 2008,
les superviseurs nationaux ont conduit
une inspection tripartite, à l’initiative de
la Commission bancaire française, dont
le rapport de janvier 2009, n’a été trans-
mis à l’entreprise par le superviseur
belge qu’en mars 2010, et dans une
forme provisoire. Il soulignait de graves
dysfonctionnements dans la gestion du
groupe mais n’a donné lieu à aucune
sanction.
Jusqu’en 2008, le développement
d’une banque transnationale porteuse
de risques
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
12
Ainsi, les autorités de supervision
n’ont pas su prévenir les risques avant
2008, et après 2008 elles se sont abste-
nues d’établir et de sanctionner les man-
quements alors que plusieurs infractions
à la réglementation prudentielle et aux
obligations de contrôle interne étaient
relevées.
Les normes de Bâle, pour leur part,
ont eu des effets favorables sur l’expan-
sion du bilan tandis que la comptabilité
en juste valeur a joué un rôle dans la
perte de valeur des actifs disponibles à la
vente, entraînant la nécessité de recapi-
taliser le groupe à l’automne 2008.
2
La tentative de sauvetage
(octobre 2008-octobre 2011)
Les premières inter-
ventions publiques
en urgence
Une dégradation forte des
comptes
À la fin de l’exercice 2007, en dépit
des signaux de crise sur le marché hypo-
thécaire américain (crédits subprime),
Dexia faisait toujours valoir la solidité de
son modèle et son intention de « pour-
suivre sans faille le développement de
ses métiers ».
Au 30 juin 2008, les comptes de
Dexia se dégradaient fortement. Les
fonds propres consolidés du groupe
étaient en forte baisse, à 8,6 Md€ en juin
2008 contre 16 Md€ fin 2007 sous l’ef-
fet de deux facteurs : d’une part, les
actifs financiers disponibles à la vente
connaissaient une perte de valeur d’envi-
ron 12 Md€ ; d’autre part, les fortes dif-
ficultés de la filiale américaine FSA se
traduisaient par la dépréciation de ses
titres dans les comptes de la holding. En
dépit d’un ratio de fonds propres pru-
dentiels satisfaisant (Tier one capital à
11,4 %), les pertes comptables étaient de
nature à modifier négativement la per-
ception des prêteurs du groupe.
Le déclenchement de la crise en sep-
tembre 2008 a précipité la matérialisa-
tion des risques pour Dexia. Les agences
de notation ont mis sous perspective
négative la notation à long terme de
Dexia, dégradant davantage sa capacité
d’emprunt sur les marchés financiers.
Une augmentation de
capital décidée dans la
précipitation
Face aux difficultés rencontrées par
le groupe, et dans une situation générale
de risque d’effondrement du système
bancaire, les États belge, français et
luxembourgeois ont dû négocier une
recapitalisation du groupe. Effectuée
dans la précipitation, sans solliciter l’ac-
tionnariat dans le public issu de la cota-
tion de l’entreprise, cette augmentation
de capital a conduit à une dépréciation
des actions souscrites qui a dû être
constatée dans les comptes des entités
publiques.
L’augmentation de capital a été réa-
lisée à parité entre un bloc d’entités
publiques françaises et un bloc d’entités
publiques belges, à hauteur de 3 Md€
chacun. Les actionnaires publics belges
n’avaient pas la capacité financière de
participer à l’opération, deux d’entre eux
ont emprunté auprès de Dexia Banque
Belgique. Du côté français, l’État, via la
Société de prise de participations de
l’État, est intervenu à hauteur de 1 Md€,
le groupe Caisse des dépôts à hauteur de
2 Md€, dont 445 M€ pour le Fonds
13
13
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
d’épargne et 288 M€ pour CNP
Assurances.
La participation supplémentaire du
Fonds d’épargne est critiquable, car les
placements de portefeuille du Fonds
d’épargne se doivent d’obéir à un prin-
cipe de dispersion des risques. La recapi-
talisation de Dexia constitue un risque
porté in fine par l’État qui est garant de
la liquidité du Fonds d’épargne. Les
modalités
selon
lesquelles
CNP
Assurances a participé à l’opération sont
également critiquables, car l’essentiel des
risques a été supporté par les épargnants
des contrats en assurance vie.
En application du droit belge, le
cours d’acquisition s’est fondé sur la
moyenne des cours des 30 jours calen-
daires précédents. Or ce cours, fixé à
9,9 €, a été de 40 % au-dessus de la
valeur de l’action du cours de la veille,
qui était à 7,07 €.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
14
La tentative de sauvetage
(octobre 2008–octobre 2011)
14
31/12/2007
31/12/2008
Groupe Caisse des dépôts
(section générale et fonds
d’épargne)
11,9 %
17,61 %
CNP Assurances
2,0 %
2,97 %
État français (
via
la SPPE)
-
5,73 %
Holding communal
16,2 %
14,34 %
Groupe Arco
17,7 %
13,92 %
Groupe Ethias
6,3 %
5,4 %
État belge (
via
la SFPI)
-
5,73 %
Région flamande
-
2,87 %
Région Wallonne
-
2,01 %
Région Bruxelles-Capitale
-
0,86 %
Autres
45,9 %
28,92 %
tableau n° 2 : évolution de l’actionnariat de dexia entre fin 2007 et fin 2008
Source : rapport annuel Dexia, retraité par la Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
La tentative de sauvetage
(octobre 2008–octobre 2011)
Un soutien à la liquidité
primordial
La recapitalisation ne permettait pas
de résoudre tous les problèmes du
groupe, et notamment de faire face à
l’importante crise de liquidité, qui aurait
pu conduire l’établissement au défaut de
paiement.
Outre le contexte très défavorable,
cette crise de liquidité peut s’expliquer
par trois facteurs : une confiance exces-
sive du groupe dans son pilotage de la
gestion de la liquidité ; l’absence de réac-
tion face au retournement de la
confiance qui affectait, entre autres, l’ac-
tivité des rehausseurs de crédit aux
Etats-Unis, et enfin le déséquilibre mas-
sif de son bilan.
Dexia ne pouvant plus accéder aux
financements normaux de marché, et le
groupe présentant un risque de défaut
« systémique » susceptible d’affecter la
stabilité financière, les banques centrales
sont intervenues fortement, notamment
au cours du 3ème trimestre 2008. En
octobre 2008, les États ont dû apporter
leur garantie aux émissions de dette afin
de permettre au groupe de regagner la
confiance des investisseurs : le plafond
maximum de cette garantie s’élevait ini-
tialement à 150 Md€, répartis entre la
Belgique à raison de 60,5 %, la France
pour 36,5 % (soit au maximum 54,75
Md€), et le Luxembourg pour 3 %. Il a
ensuite été abaissé à 100 Md€, jusqu’à la
sortie totale du dispositif par Dexia en
juillet 2010. Les banques centrales ont,
par ailleurs, accordé des liquidités d’ur-
gence dans l’attente d’un retour sur les
marchés qui a été progressif dans les
années 2009 et 2010.
Une mise en cause des
dirigeants très insuffisante
En 2008, la principale mesure à l’en-
contre des dirigeants a été l’éviction, à la
demande des États, de l’administrateur
délégué et du président du conseil d’ad-
ministration, ainsi que la mise en place
d’un nouveau management binational.
Le renouvellement du conseil d’admi-
nistration est resté très partiel jusqu’en
2009.
Aucune mise en cause de la respon-
sabilité des dirigeants n’est intervenue,
sur le plan civil ou pénal, que ce soit à
l’initiative des régulateurs, des action-
naires ou des États entrés au capital. Les
deux principaux rapports d’enquête par-
lementaires en France et en Belgique,
n’ont que très peu évoqué cette ques-
tion. La Cour relève que des indemnités
et des avantages annexes substantiels
ont été maintenus, à l’exception notable
de l’opposition des pouvoirs publics
français au versement d’une indemnité
de départ de 3,7 M€ à l’administrateur
délégué démissionnaire. Le conseil d’ad-
ministration lui a accordé un an de
salaire fixe.
Les avantages maintenus aux diri-
geants qui ont démissionné ou ont
connu un départ contraint concernent,
d’une part, un régime de retraite supplé-
mentaire acquis antérieurement et, d’au-
tre part, des accords transactionnels de
départ.
15
Un régime de retraites supplémen-
taires (« retraite-chapeau ») avait été mis
en place à partir de 1996, au bénéfice de
quelques dirigeants français. Ce régime
était contestable à la fois parce qu’il
n’avait pas de caractère véritablement
collectif et en ce qu’il ne déduisait pas,
dans le montant garanti, celui des pen-
sions publiques, alors même que cer-
tains bénéficiaires comptaient plusieurs
années de service dans la fonction
publique. Ce régime a, certes, été sup-
primé à compter de janvier 2010, mais
six anciens dirigeants ont pu maintenir
les avantages de ce régime, dont quatre
issus de la fonction publique. Seul l’an-
cien président du conseil d’administra-
tion (issu de la fonction publique), a dû
renoncer à la moitié du montant de sa
rente au titre de la retraite-chapeau, alors
qu’un recours, finalement non déposé
par la société, devait viser à l'annulation
des décisions du conseil d’administra-
tion prises en des formes possiblement
irrégulières en droit belge.
Les accords transactionnels ont été
conclus avec quatre anciens responsa-
bles qui ont quitté l’entreprise, dont
trois étaient aussi fonctionnaires d’ori-
gine. Deux d’entre eux ont réintégré la
fonction publique après leur départ du
groupe Dexia, ce que le statut de la
fonction publique autorise, mais qui,
selon la Cour, devrait être exclusif du
bénéfice d’indemnités liées à la cessation
des fonctions de dirigeant d’une entre-
prise publique ou soutenue financière-
ment par l’État.
En définitive, après l’octroi de
concours financiers publics en 2008, les
mesures sanctionnant la responsabilité
du management ont été très insuffi-
santes. Le changement des dirigeants a
été considéré, à l’époque, comme suffi-
sant et des indemnités de départ ont été
maintenues. Les dispositifs de retraites-
chapeaux n’ont été remis en cause que
pour l’avenir.
Le plan de
restructuration : un
compromis et un
pari fragile
Le plan de sauvetage public du
groupe Dexia était constitutif d’aides
d’État au sens du droit communautaire :
la Commission européenne l’a autorisé
sous conditions, en particulier la mise en
œuvre d’un plan de restructuration ou
de transformation du groupe dans le
respect du droit de la concurrence.
Le plan de restructuration
approuvé et mis en
oeuvre
L’élaboration d’un plan de restructu-
ration du groupe et son approbation par
la Commission européenne ont été mar-
quées par un processus long et difficile.
Du côté français, plusieurs acteurs sont
intervenus, et l’élaboration du plan a
donné lieu à des difficultés de coordina-
tion principalement entre les États fran-
çais et belge.
Un premier dépôt du plan a été
effectué le 18 février 2009. Il a été jugé
insuffisant par la Commission euro-
péenne qui a exigé un élargissement du
champ des cessions d’entités sans toute-
La tentative de sauvetage
(octobre 2008–octobre 2011)
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
16
16
fois aller jusqu’à demander la vente de la
filiale turque DenizBank. Dans les
mesures supplémentaires notifiées par
les États en février 2010, la création
d’une structure de défaisance (ou « mau-
vaise banque ») a été écartée, car elle
entraînait des pertes jugées insoutena-
bles par les acteurs. La solution, accep-
tée par la Commission, a donc été de
créer le cantonnement d’un portefeuille
en gestion extinctive portant sur les
actifs de la moins bonne qualité.
Ces choix se traduisaient par l’ab-
sence de remise en cause fondamentale
du modèle économique de Dexia et par
des hypothèses de redressement qui
pouvaient conforter l’idée que la crise de
2008 n’aurait pas d’incidence durable.
Avec une réduction de la taille du bilan
de 35 % sur six ans, pour atteindre
427 Md€ fin 2014, les exigences de la
Commission européenne étaient relati-
vement modérées, dans la moyenne des
plans approuvés après la crise.
Entre 2008 et 2011, les objectifs
assignés au groupe ont été dans l’ensem-
ble atteints : la réduction du bilan a été
globalement en ligne avec les engage-
ments du plan, la réduction des coûts a
été tenue, les cessions prévues ont été
réalisées dans les temps, la plus significa-
tive étant celle de la filiale américaine
FSA. Cependant, Dexia n’a pu céder sa
filiale italienne Crediop ni la filiale espa-
gnole Dexia Sabadell. Leur maintien au
bilan de la filiale Dexia Crédit Local par-
ticipe de l’importance du bilan en ges-
tion extinctive de l’ordre de 250 Md€ à
fin 2012.
La persistance des risques
de bilan
Pendant la période entre 2009 et mi
2011, Dexia n’a pas modifié sa stratégie
concernant la cession de ces obligations
souveraines. Les résultats positifs des
tests de résistance ont conforté la
société, les États et la Commission dans
l’évaluation, qui s’est révélée trop opti-
miste, de la capacité du groupe à sup-
porter le risque de crédit des dettes sou-
veraines sans avoir à augmenter ses
fonds propres. Les titres de dette souve-
raine étaient nécessaires au refinance-
ment du groupe qui les apportait en
garanties (« collatéral ») à la Banque cen-
trale européenne ou sur le marché inter-
bancaire et la sécurité des sources de
liquidité était primordiale. Du fait de la
décote importante des obligations sur
les marchés, des pertes importantes
auraient dû être constatées. Enfin,
Dexia, comme les autres banques fran-
çaises, a participé à la solidarité de la
zone euro à la demande des pouvoirs
publics.
La période 2008-2011 a été marquée
par la recherche d’un partenaire dispo-
sant d’une base de dépôts auquel ados-
ser le groupe. Les contacts ou discus-
sions, tant au niveau international qu’au
niveau national, n’ont pas abouti. Il en
est résulté le constat définitif de l’isole-
ment de Dexia qui compromettait la
poursuite d’activité dans la forme qui
était la sienne depuis le début. Cet isole-
ment pèsera dans la décision ultérieure
de démanteler la banque.
La tentative de sauvetage
(octobre 2008–octobre 2011)
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
17
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
3
De la crise des dettes
souveraines au
démantèlement du groupe
(octobre 2011–début 2013)
Un risque
systémique
Trois chocs sur la liquidité
Au début de 2011, le volume des
besoins de financement à court terme
de Dexia avait été réduit pour atteindre
96 Md€, ce qui était mieux que l’objectif
fixé dans le cadre du plan de restructu-
ration de 2008. Mais trois chocs sur la
liquidité, survenus à partir du deuxième
trimestre 2011, ont contrecarré les
efforts entrepris pour le redressement
du groupe.
Le premier choc a concerné les
financements en dollars, à la suite à la
remise en cause par le Congrès améri-
cain de l’ouverture de facilités de refi-
nancement aux banques européennes
par la Banque fédérale (la FED). A cette
période, Dexia possédait encore un très
important volume d’engagements aux
États-Unis, mais elle a pu gérer correcte-
ment ce premier choc.
Le deuxième choc est intervenu au
printemps 2011 quand les agences
Moody’s et Standard and Poor’s ont
menacé de mettre sous perspective
négative la notation de Dexia en raison
des risques portés sur les obligations
souveraines. Cette décision a coupé
Dexia de financements de court terme
de marché dont elle avait besoin.
Le troisième choc a été fatal : il est
lié à l’aggravation de la crise des dettes
souveraines en octobre 2011, condui-
sant à la concrétisation de la mise sous
revue avec perspective négative de la
notation de crédit de Dexia. Cette déci-
sion s’est accompagnée d’une fuite des
dépôts qui a atteint en une semaine plus
de 4 Md€ dans les filiales belge et luxem-
bourgeoise créant une situation très sen-
sible pour les pouvoirs publics de ces
pays.
Ces évènements ont eu pour consé-
quence la rupture de la couverture des
besoins de liquidité du groupe par les
voies normales du marché, conduisant à
devoir prévenir le défaut de paiement de
l’entreprise par des interventions excep-
tionnelles des banques centrales et des
entités publiques. En outre, ce besoin
s’était aggravé en raison des contrats
d’échange de taux conclus avec les
contreparties et dont Dexia devait com-
penser la baisse de valeur de marché à
mesure que les taux d’intérêt baissaient.
19
20
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
De la crise des dettes souveraines au
démantèlement du groupe
(octobre 2011–début 2013)
Les effets systémiques
d’un dépôt de bilan
Le dépôt de bilan de la banque a été
écarté en raison des effets considérables
que cette décision aurait produits.
En novembre 2011, Dexia était
classé parmi les groupes bancaires d’im-
portance systémique à l’échelle mon-
diale par le Conseil de stabilité finan-
cière. En cas de dépôt de bilan, les
conditions de vente des actifs et de rem-
boursement des passifs auraient nui à la
fois à la situation des finances publiques
des États, mais aussi à la stabilité finan-
cière.
Par aillleurs, Dexia avait massive-
ment contracté des produits dérivés
avec d’autres établissements financiers
(605 Md€ en montant notionnel en sep-
tembre 2011). Il existait un risque de
déstabiliser le marché secondaire des
obligations souveraines en cas de vente.
Enfin, les résultats des banques cen-
trales de l’Eurosystème auraient pu être
affectés car elles auraient saisi également
les titres de Dexia donnés en garantie
pour les revendre sur le marché avec des
risques de décote.
De nouvelles aides
d’urgence
Compte tenu de sa situation de tré-
sorerie très dégradée au troisième tri-
mestre 2011, Dexia a reçu des facilités
exceptionnelles de la part des banques
centrales nationales. En septembre
2011, une assistance à la liquidité d’ur-
gence a été mise en place conjointement
par la Banque de France et la Banque
nationale de Belgique, comme en 2008.
À partir de la fin septembre 2011, le
groupe
a
également
emprunté
à
l’Agence France Trésor, sous forme de
dépôt de trésorerie de l’État non sécu-
risé, au jour le jour.
Le démantèlement :
une décision subie,
des mesures transi-
toires nécessaires
En raison des tensions que se mani-
festaient de nouveau sur sa situation de
liquidité à partir de mai 2011, Dexia a
examiné différents scenarios de cession
de ses filiales. Les fuites des dépôts, en
Belgique et au Luxembourg, ont poussé
les autorités de ces deux pays à précipi-
ter la scission des deux filiales – Dexia
Banque Belgique et Dexia Banque
Internationale à Luxembourg – du reste
du groupe. La reprise de Dexia Banque
Belgique par l’État belge a occasionné
une perte comptable de 4,048 Md€, et
laissé isolé le pôle français du finance-
ment au secteur public local, représenté
par Dexia Crédit Local. Dès lors, man-
dat a été donné à l’administrateur délé-
gué d’engager les négociations pour
adosser la principale filiale de Dexia
Crédit Local (Dexia Municipal Agency)
à des entités publiques françaises au pre-
mier rang desquelles la Caisse des
dépôts et consignations.
Les États ont négocié un soutien
temporaire consistant à renouveler le
dispositif des garanties de financement
21
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
De la crise des dettes souveraines au
démantèlement du groupe
(octobre 2011–début 2013)
pour un montant limité à 45 Md€
approuvé à titre temporaire par la
Commission européenne en décembre
2011. Ce dispositif a ensuite été pro-
longé jusqu’en septembre 2012 avec un
plafond maximum de garanties des
États porté à 55 Md€.
Dès la signature de la convention de
garantie, Dexia a utilisé un dispositif de
titres dits « autosouscrits » qui a permis
au groupe d’obtenir des refinancements
moins chers qu’auprès des banques cen-
trales nationales. Cependant, la Banque
centrale européenne a décidé, en juillet
2012, de fortement limiter le volume de
ces titres pour les banques de la zone
euro remettant ainsi en cause certaines
hypothèses de financement du plan de
démantèlement.
Le plan de « résolu-
tion ordonnée »
Après l’échec de la tentative de réta-
blissement, les États ont dû s’accorder
pour organiser une gestion extinctive du
groupe qui soit en conformité avec la
doctrine communautaire sur les aides
d’État. Les positions et intérêts des
acteurs nationaux comme communau-
taire étaient à l’origine divergents, et les
discussions ont été très complexes.
Ainsi, en mars 2012, la Commission
européenne a rejeté la première version
du plan de démantèlement.
La seconde version du plan de réso-
lution ordonnée, présentée en novem-
bre 2012, a été approuvée par la
Commission européenne. Elle prévoit
que Dexia Crédit Local – qui est deve-
nue le seul actif important du groupe
résiduel – conserve la licence bancaire,
lui permettant de conserver la possibilité
de réaliser une production de prêts mais
très limitée jusqu’en 2014. Cela lui per-
met de conserver l’accès aux opérations
de refinancement de la Banque centrale
européenne et d’éviter la constitution
d’une défaisance publique en France,
qui se serait traduite par une hausse de la
dette publique nationale de l’ordre de six
points de PIB.
Au titre du plan de résolution, la
garantie permanente des États porte
définitivement sur un montant de
85 Md€ et la part de la France a été por-
tée de 36,5 % à 45,59 %, soit significati-
vement plus que dans le précédent dis-
positif de 2008. Onze entités du groupe
Dexia sont désormais mises en gestion
extinctive. Les portefeuilles de prêts et
d’obligations de ces entités seront déte-
nus en principe jusqu’à maturité, afin de
ne pas être bradés. Concernant les finan-
cements jusqu’en 2020, l’objectif est
d’assurer le retour sur les marchés en
limitant puis abaissant de façon signifi-
cative le recours aux différentes facilités
des banques centrales.
En décembre 2012, une nouvelle
augmentation de capital a été prise en
charge par les États belge et français à
hauteur de 5,5 Md€ (l’État français a
souscrit à hauteur de 2,585 Md€). L’État
français détient désormais 44,4 % et
l’État belge 50,02 % du capital. Le
groupe de la Caisse des dépôts ne
détient plus que 1,30 %.
22
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
De la crise des dettes souveraines au
démantèlement du groupe
(octobre 2011–début 2013)
La laborieuse
création d’un nouvel
établissement de
crédit
Le démantèlement du groupe Dexia
laissait aux pouvoirs publics français le
soin de décider de l’avenir de la filiale
Dexia Municipal Agency (DMA) qui
portait, au sein du sous-groupe Dexia
Crédit Local, la grande majorité des
encours de prêts au secteur public local
et dont l’objet est de refinancer les prêts
au secteur public local par l’émission
d’obligations foncières de haute qualité
de crédit.
Le sort de cette filiale a été l’objet
d’un processus de décision particulière-
ment long et laborieux. L’État a ainsi dû
recourir à deux médiations successives,
et envisager avec ses partenaires –
Caisse des dépôts et La Banque Postale
– différents schémas successifs pour
aboutir à un compromis. Le premier
protocole d’accord, présenté à la
Commission européenne en mars 2012,
a été rejeté, notamment parce qu’il n’in-
terrompait pas les liens entre Dexia
Crédit Local (qui devenait aussi un
actionnaire) et DMA.
En septembre 2012, un second pro-
jet a été accepté. Dans ce schéma, trois
structures différentes sont créées : la
Caisse française de financement local
(CAFFIL), qui reprend le bilan de
DMA, la Société de financement local
(SFIL), à laquelle la société de crédit
foncier est adossée, et une coentreprise
Caisse des dépôts et consignations – La
Banque Postale, appelée La Banque
Postale collectivités locales. Ces deux
acteurs, initialement sollicités pour
reprendre le bilan de DMA fin 2011,
demeurent donc impliqués dans le
financement des collectivités territo-
riales. La Commission européenne a jus-
tifié l’aide d’État en acceptant que l’or-
ganisation ainsi créée soit considérée
comme une « banque de développe-
ment » répondant à une défaillance de
marché. Elle examinera dans trois ans la
possibilité pour la SFIL d’être reconnue
comme
une
banque
commerciale.
L’enjeu est donc de démontrer la renta-
bilité de l’ensemble.
L’État est devenu propriétaire à
75 % du nouvel établissement de crédit
acquis à l’euro symbolique. La Caisse
des dépôts et consignations n’y est plus
présente qu’à hauteur de 20 % et La
Banque Postale à 5 %.
De la crise des dettes souveraines au
démantèlement du groupe
(octobre 2011–début 2013)
23
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Schéma n° 2 : constitution des entités dédiées au financement des collectivités
locales (décembre 2012)
Source : Cour des comptes
Agréée comme établissement de
crédit en janvier 2013, la SFIL a pour
mission essentielle de renégocier les
prêts notamment sensibles, de procéder
à leur restructuration et d’assortir les
négociations de financements complé-
mentaires qui compteront comme pro-
duction nouvelle de 1 Md€ par an. Une
première émission d’obligations fon-
cières de sa filiale – la CAFFIL – a eu
lieu le 9 juillet 2013.
25
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
4
Les incidences pour
les finances publiques
La fragilisation du
financement du
secteur public local
Le retrait d’un acteur
majeur
À partir de 2008, le retrait progressif
de Dexia Crédit Local a donné lieu à des
craintes de restriction des financements
disponibles.
Pour compenser ce retrait, les pou-
voirs publics ont demandé au Fonds
d’épargne d’intervenir de manière struc-
turelle sur le segment des prêts de très
long terme, avec des enveloppes de
3,6 Md€ en 2011 et de 2 Md€ en 2012.
En outre, trois enveloppes exception-
nelles ont été mises en place en 2008,
2011 et 2012, pour assurer des finance-
ments de maturité plus courte et pour
un volume de 5 Md€ chacune.
Une enveloppe, d’un volume total
de 20 Md€, a été décidée récemment
pour la période 2013-2017. Mise à dis-
position des collectivités par la Caisse
des dépôts et consignations, elle est des-
tinée à financer des projets pour lesquels
les financements de marché sont insuffi-
sants concernant des investissements de
long terme selon une liste d’emplois
fixée par le gouvernement (construction
de logements sociaux, déploiement des
réseaux numériques de très haut débit,
etc.).
La bonne articulation et la cohé-
rence des offres du Fonds d’épargne et
de la SFIL devront être surveillées afin
d’éviter un phénomène d’éviction du
nouvel établissement de crédit.
L’héritage des prêts struc-
turés de Dexia Crédit
Local
Les prêts structurés sont des crédits
complexes qui intègrent, dans un même
contrat, un emprunt et un produit
dérivé. Souvent avantageux durant une
première phase de remboursement, ils
prévoient en général une seconde phase
plus risquée où les taux d’intérêt à payer
par la collectivité locale peuvent s’ac-
croître fortement. Ces crédits structurés,
largement diffusés auprès du secteur
public local, ont également été consentis
par d’autres établissements de crédit que
Dexia.
Au cours du plan de restructuration,
entre 2008 et 2011, l’encours total de
crédits structurés au bilan de Dexia
Crédit Local a diminué, passant de
26,58 Md€ en 2008 à 21,88 Md€ en
2011, soit une baisse de près de 18 %.
Ces crédits figuraient en majorité au
bilan de Dexia Municipal Agency, désor-
mais CAFFIL, qui assurait leur refinan-
cement. Ainsi, les volumes les plus
importants des crédits structurés dits
« sensibles » et « très sensibles » figurent
au bilan de la CAFFIL et, dans une
26
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
moindre mesure, dans celui de Dexia
Crédit Local, soit près de 12 Md€ au
moment du dépôt du plan de résolution
fin 2012.
La commercialisation des crédits
structurés a donné lieu à des conten-
tieux dont l’impact est susceptible d’être
important pour les revenus de Dexia
Crédit Local et de la CAFFIL. Les
motifs d’assignation au civil sont princi-
palement de deux ordres : des motifs
inhérents aux contrats de prêts structu-
rés et ceux liés au taux effectif global
(TEG). En cas de condamnation, la
sanction est le retour au taux d’intérêt
légal, particulièrement bas aujourd’hui
(0,04 % en 2013), depuis le début du
contrat de prêt. En outre, à la perte
d’opportunité sur les intérêts s’ajouterait
un coût supplémentaire lié au dénoue-
ment nécessaire des couvertures par les
contrats d’échange de taux contre le
risque de taux qui adossent chacun des
prêts.
Le risque de condamnation s’est
matérialisé, pour la première fois, à l’oc-
casion de la décision de justice rendue
par le tribunal de grande instance de
Nanterre le 8 février 2013. Dexia Crédit
Local, à laquelle s’est jointe la SFIL, a
fait appel de la décision.
Le risque financier pour Dexia
Crédit Local et pour la SFIL peut repré-
senter, selon les dossiers litigieux, 100 %
à 130 % de l’encours restant dû. L’enjeu
budgétaire lié à ces contentieux pour les
entités publiques actionnaires pourrait
constituer un motif d’intérêt général
suffisant pour justifier des mesures de
validation législative.
Les coûts constatés
à ce jour
Le coût direct pour l’État
Les interventions publiques dans le
dossier Dexia ont représenté, depuis
2008, un coût significatif pour les enti-
tés publiques, qui n’a été que très partiel-
lement compensé par les rémunérations
obtenues sur l’octroi des garanties finan-
cières et les financements accordés par
la Banque de France.
Le coût direct pour l’État à ce jour
de 2,72 Md€, est la différence entre les
dépenses budgétaires liées à la participa-
tion prise par l’État lors de l’augmenta-
tion de capital de 2008 (1 Md€, intégra-
lement dépréciés) et à l’augmentation de
capital de décembre 2012 (2,585 Md€)
d’une part, les rémunérations perçues au
titre des garanties octroyées au groupe
Dexia entre 2008 et 2012 (864 M€),
d’autre part.
Le coût pour le groupe de
la Caisse des dépôts
La section générale de la Caisse des
dépôts et consignations, en tant qu’ac-
tionnaire historique de Dexia, a perdu la
valeur de sa participation, soit une perte
de 2,859 Md€.
Pour le Fonds d’épargne, suite à
l’augmentation de capital de 2008, la
perte est de 1,038 Md€.
En revanche, la participation de
CNP Assurances n’a pas impacté direc-
tement ses comptes car elle a, pour l’es-
Les incidences pour les
finances publiques
27
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les incidences pour les
finances publiques
sentiel, été supportée directement par
les assurés vie.
Les coûts cumulés
2008-2012
Hors effets de « second tour », les
coûts cumulés liés à Dexia pour les enti-
tés publiques françaises sont estimés à
6,618 Md€. Pour avoir une vision glo-
bale des coûts liés au démantèlement du
groupe pour les contribuables natio-
naux, il conviendrait d’ajouter les coûts
supportés par les entités belges, d’un
montant au moins équivalent.
Les risques
persistants pour les
finances publiques
Un scénario fondé sur de
fortes incertitudes
Le plan de résolution repose sur la
gestion extinctive en longue durée du
groupe Dexia résiduel. Le scénario cen-
tral du plan comprend des projections à
horizon de 2020, avec trois facteurs
d’incertitude principaux. Le premier fac-
teur, externe, concerne l’évolution de la
situation de la zone euro (hypothèses
macro-économiques, sur les taux d’inté-
rêt et sur les évolutions des notations
financières des États). Le deuxième fac-
teur, interne, tient au rythme d’abaisse-
ment du volume et à la valorisation des
actifs du bilan résiduel. L’hypothèse
faite est celle d’un portage long des
tableau n° 3 : coûts cumulés liés à dexia (2008-2012)
(en md€)
État
Section
générale de
la CdC
Fonds
d’épargne
total
participations historiques
-
1,593
0,592
2,185
recapitalisation de 2008
1
(via SPPE)
1,266
0,446
2,712
Commissions de garantie
- 0,864
-
-
- 0,864
recapitalisation de 2012
2,585
-
-
2,585
total
2,721
2,859
1,038
6,618
Source : calculs Cour des comptes
Les incidences pour les
finances publiques
28
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
actifs par le groupe Dexia résiduel, avec
un bilan qui représentera encore
150 Md€ en 2020 si tout se réalise
comme prévu. Le troisième facteur est
la baisse, après un pic en 2014, du
recours aux garanties des États. Le
financement du groupe devrait passer
prioritairement par des financements de
marché non garantis.
Une grande sensibilité à la
matérialisation des aléas
Le scénario central du plan de réso-
lution a donné lieu à plusieurs hypo-
thèses d’aggravation (stress) mais aucun
scénario alternatif n’a été envisagé. Les
principaux risques tiennent à l’évolution
des taux d’intérêt, qui est susceptible de
modifier substantiellement l’accès et le
coût de la liquidité pour le groupe ; la
dégradation des notations de crédit des
actifs au bilan du groupe, notamment les
obligations des États souverains ; un fai-
ble appétit des investisseurs pour une
dette Dexia non garantie par les États ;
des aléas sur les charges financières gre-
vant le résultat.
Les aléas simulés ne sont ni corrélés,
ni nécessairement cumulatifs. Néan-
moins, si on additionne leurs effets, le
besoin de financement supplémentaire
par rapport au scénario de base pourrait
atteindre 20 Md€ pendant quelques
années, montant inclus dans le plafond
maximum de garantie des États de
85 Md€ autorisé par la Commission
européenne. Le risque d’appel en garan-
tie des États paraît donc relativement
faible. En revanche, le risque de recapi-
talisation, non chiffré précisément, reste
non négligeable en cas de surcoûts
affectant les conditions de financement,
de dégradation de la valeur des actifs
financiers ou d’insuffisance de capital
réglementaire prudentiel.
Au total, le scénario de la gestion
extinctive avec une perspective de retour
à l’équilibre de la défaisance en 2018 a
été considéré comme prudent mais
incertain par les acteurs eux-mêmes. La
Cour souligne le caractère fortement
aléatoire de ces projections qui reposent
notamment sur l’hypothèse du retour à
la croissance dans la zone euro.
29
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
5
Les pistes d’amélioration
pour l’avenir
Au-delà des observations déjà for-
mulées sur les spécificités de la gouver-
nance de Dexia, les insuffisances de la
supervision prudentielle et le coût pour
les finances publiques et le modèle de
financement du secteur public local, la
Cour relève quelques pistes d’améliora-
tion concernant principalement la gou-
vernance d'entreprise et la régulation
bancaire.
Une gouvernance
des entreprises
financières à
renforcer
Des progrès substantiels ont été réa-
lisés depuis les années 2000 en matière
de suivi des risques par la gouvernance
dans les groupes cotés. Cela étant, le
contrôle externe des instances de gou-
vernance, en dehors de la pratique des
auto-évaluations ou des revues par les
pairs, mérite d'être approfondi en confé-
rant plus de pouvoirs de contrôle à l'as-
semblée des actionnaires et aux supervi-
seurs prudentiels. Les règles de gouver-
nance, notamment celles relatives aux
politiques de rémunération des diri-
geants, devraient être renforcées.
Un changement s’impose pour ali-
gner l’intérêt des actionnaires et des diri-
geants sur celui de la collectivité afin de
prévenir et d’éviter un recours aux fonds
publics. Le superviseur prudentiel natio-
nal paraît être le mieux placé pour exer-
cer un contrôle sur la gouvernance des
établissements de crédit. L’actuel projet
de loi de séparation et de régulation des
activités bancaires prévoit d’élargir les
compétences de l’Autorité de contrôle
prudentiel en matière de résolution ban-
caire et de lui donner des pouvoirs ren-
forcés envers les instances de gouver-
nance. Il faudra s’assurer de l’effectivité
de telles mesures.
Des projets de
réforme européens
indispensables à la
résolution des
crises
La Commission européenne a pour
objectif de tirer les leçons de la crise, et
a engagé le projet « d’union bancaire »
qui vise à créer une supervision des
banques par la Banque centrale euro-
péenne et à encadrer les modalités de la
gestion des résolutions bancaires.
La mise en place d’un mécanisme de
supervision unique au niveau européen
a été considérée comme la démarche la
plus urgente car elle conditionnait l'ap-
pel au Mécanisme européen de Stabilité
pour la recapitalisation des établisse-
ments bancaires. Le mécanisme de
supervision unique pourrait être effectif
d’ici l’été 2014. Si ce mécanisme avait
30
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les pistes d’amélioration pour l’avenir
existé, Dexia aurait relevé d'une supervi-
sion centrale, qui aurait sans doute per-
mis une supervision cohérente et effi-
cace des différentes entités du groupe.
La crise a par ailleurs montré qu’il
était nécessaire de renforcer la liquidité
des banques. Cette action devra aller de
pair avec une limitation du ratio de
levier du bilan. De même, le relèvement
des exigences en fonds propres permet-
trait d’accroître la capacité de résistance
des banques. Les nouvelles règles pru-
dentielles issues de Bâle 3 traitent ces
questions. Ces règles sont l’objet de la
future directive communautaire dite
CRD IV et devraient entrer en vigueur à
compter 1
er
janvier 2014.
Toutefois, ces projets ne sont pas
encore concrétisés et certains d’entre
eux nécessiteront des étapes probable-
ment longues avant leur mise en oeuvre.
En raison des lacunes du cadre
réglementaire européen, la crise a fait
porter les conséquences des défaillances
bancaires sur les États qui sont interve-
nus pour soutenir leur secteur bancaire.
Cette nécessité a pesé parfois lourde-
ment sur les dettes et les budgets natio-
naux et a engendré une gestion de dos-
siers parfois complexe et difficile,
comme cela a été le cas pour la défail-
lance de Dexia.
*
Le sinistre que représente Dexia a
entraîné et entraînera, encore pour de
longues années, des coûts et des risques
importants pour l’État et les entités
publiques qui y sont associées. Il a
abouti à la résurgence de dispositifs
publics de financement du secteur
public local. Compte tenu de la fragilité
des établissements sous contrôle public
qui prennent la suite du groupe Dexia,
des risques importants pour les finances
publiques, et de la gravité des questions
de principe que l’examen de ce sinistre
soulève, la Cour entend exercer une vigi-
lance particulière sur le sujet et y revien-
dra à l’occasion de ses diverses commu-
nications publiques.
31
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Principales orientations
et recommandations
____________________________
(1)
Cour des comptes,
Rapport public annuel 2013, Tome II
. Le plan de soutien aux
banques : un bilan financier encore provisoire, un encadrement des rémunérations à
compléter, p. 155-190. La Documentation française, février 2013, 605 p., disponible sur
www.ccomptes.fr
Les conclusions du rapport mon-
trent les pistes de réforme possibles
pour améliorer l'encadrement du sec-
teur bancaire. À la suite de ses recom-
mandations émises dans le rapport
public annuel de février 2013
(1)
, la
Cour formule plusieurs orientations
complémentaires :
–
assurer l’efficacité de la future
autorité unique de supervision bancaire
en soutenant les projets d'harmonisa-
tion de la réglementation prudentielle
dans les différents pays de la zone
euro ;
–
instituer les dispositifs juridiques
permettant de revenir sur l'octroi de
rémunérations variables et d’avantages
et indemnités complémentaires à des
dirigeants d’institutions financières, en
cas d’intervention publique ;
–
renforcer les dispositifs de sanc-
tions pénale et pécuniaire, tant pour les
dirigeants que pour les membres des
conseils d'administration d'institutions
financières, pour les cas de prise de
risque inconsidérée ayant entraîné des
pertes.
Afin de limiter les effets que la
situation de Dexia fait peser sur les
finances publiques, et en accord avec
les enseignements qui ont été tirés, la
Cour formule les recommandations
suivantes :
–
utiliser, avant l'échéance de la
prescription en 2014, toutes les voies
de droit, encore ouvertes, pour remet-
tre en cause le dispositif des retraites
supplémentaires versées aux anciens
cadres dirigeants de Dexia ;
–
remettre en cause la possibilité
offerte aux fonctionnaires de réintégrer
la fonction publique tout en bénéfi-
ciant d’indemnités liées à la cessation
des fonctions de dirigeant dans une
entreprise publique ou bénéficiant de
concours financiers publics ;
–
prendre les mesures de valida-
tion législative nécessaires à la sécurisa-
tion des modalités de conclusion des
contrats de prêts passés entre les éta-
blissements de crédit et le secteur
public local ;
–
veiller à la cohérence des pra-
tiques de Dexia Crédit Local et de la
SFIL concernant la renégociation
(« désensibilisation ») des prêts structu-
rés au secteur public local ;
–
assurer
une
intervention
publique cohérente et efficace pour le
financement du secteur public local, en
articulant de façon concrète, l’enve-
loppe du Fonds d’épargne et la produc-
tion de La Banque Postale refinancée
par la CAFFIL.