C
OUR DES
C
OMPTES
Les faiblesses de l’
É
tat
actionnaire d’entreprises
industrielles de défense
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés figurent à la suite du rapport.
Avril 2013
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
3
Sommaire
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Les
spécificités
de
l’
É
tat
actionnaire
d’entreprises
industrielles de défense.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
2
L’
É
tat unique actionnaire de référence :
Safran, GIAT Industries et SNPE
. . . . . . . . . . . . . . . . . .1 1
3
La
montée progressive du contrôle actionnarial exercé par
le groupe privé Dassault : Dassault-Aviation, THALES et
DCNS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15
4
Une entreprise sous contrôle public pluri-national :
EADS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29
L
e rapport examine sur une longue période la protection des intérêts publics de l’État dans
sa position d’actionnaire de référence de la plupart des grands groupes industriels de défense opé-
rant sur le sol français.
Le sujet est d’actualité : la réduction des budgets militaires occidentaux restreint les débou-
chés nationaux ; la montée en puissance des industries des pays émergents accroît la concur-
rence ; les tentatives de concentration industrielle entre entreprises françaises et/ou étrangères
sont à l’ordre du jour, même si elles se heurtent souvent aux coûts en emplois et en fermetures
d’établissements qu’elles entraînent. L’élaboration fin 2012 - début 2013 d’un nouveau Livre
blanc sur la défense nationale renforce cette actualité.
Le rapport aborde toutes les participations directes ou indirectes, majoritaires ou minori-
taires, dès lors qu’elles sont d’un niveau suffisant pour conférer à l’État, seul ou de concert avec
des partenaires, des pouvoirs de contrôle significatifs. Dans la pratique, il s’agit :
- d’une part, de trois entreprises industrielles publiques du secteur de l’armement : DCNS
(constructions navales, groupe détenu à 63,58 % par l’État), SNPE (matériaux énergétiques,
détenue à 99,99 % par l’État), GIAT Industries (armements terrestres, détenue à 100 %
par l’État) ;
- d’autre part, de trois groupes industriels privés : Safran (fournisseur de moteurs et de
trains d’atterrissage pour la composante aéroportée de la force de dissuasion, propulsion des mis-
siles, participation étatique de 30,20 %), THALES (électronique militaire, participation
publique indirecte de 27,08 %), EADS (missiles balistiques de la force de dissuasion, héli-
coptères, avions militaires, etc. participation publique indirecte de 15 % devant passer à 12 %).
Par ailleurs, de façon indirecte, l’État est présent dans Dassault-Aviation (avions de com-
bat) à travers EADS, deuxième actionnaire avec 46,32 % du capital, et MBDA (missiles
tactiques), également à travers EADS, premier actionnaire à parité avec BAE Systems avec
37,25 % du capital.
La Cour aborde successivement :
-
les spécificités de l’État actionnaire d’entreprises industrielles de défense (chapitre I ) ;
- l’État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE
(chapitre II) ;
- la montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault :
Dassault-Aviation, THALES et DCNS (chapitre III) ;
- une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS (chapitre IV).
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
5
Introduction
1
Les spécificités de l’État
actionnaire d’entreprises
industrielles de défense
Face à des budgets d’équi-
pement des forces sous
contrainte, la taille
moyenne des groupes
français de défense dans le
contexte de la concurrence
internationale paraît
souvent un handicap
En termes de budgets de défense,
la France se situe au 4
ème
rang mon-
dial et occupe, avec 45,7 Md€ en 2011,
une position intermédiaire, compara-
ble
à
celles
du
Royaume-Uni
(45,4 Md€)
et
de
l’Allemagne
(34,1 Md€). De leur côté, les États-
Unis, malgré une contrainte budgé-
taire accrue, disposent de moyens sans
commune mesure avec ceux de tous
les autres pays
(540,8 Md€). Enfin, les
principaux pays émergents enregis-
trent une croissance rapide de leurs
budgets militaires.
Pour les principales puissances mili-
taires européennes, la contrainte budgé-
taire pèse naturellement sur les dépenses
destinées à l’équipement des forces, la
France y consacrant annuellement des
crédits de l’ordre de 13 Md€, soit un
montant du même ordre que le
Royaume-Uni, étant observé que de leur
côté, les budgets d’équipement des
forces
allemandes connaissent une ten-
dance haussière – mais sans crédits
consacrés à des forces nucléaires, donc
d’un niveau relatif plus important en ce
qui concerne les armements conven-
tionnels.
La réduction des budgets des puis-
sances occidentales et la croissance
simultanée de ceux des pays émergents
(Brésil, Russie, Inde, Chine - BRIC)
accroît une tension déjà forte sur les
groupes industriels en présence. Cette
tension s’exerce naturellement de façon
particulièrement
marquée
dans
le
domaine des exportations, et dans celui
de la diversification, qui constituent les
deux principales réponses industrielles à
l’évolution de la conjoncture mondiale
en matière de défense.
Les huit principaux groupes indus-
triels de défense français présentent une
dimension intermédiaire ou modeste au
sein des trente premiers mondiaux :
EADS (7
ème
groupe industriel mondial
de défense) et THALES (10
ème
) sont
les seuls groupes figurant actuellement
dans la liste des dix premiers fournis-
seurs d’équipements militaires à l’éche-
lon mondial ; MBDA (13
ème
), DCNS
(14
ème
) et Safran (16
ème
) occupent une
position moyenne ; GIAT Industries
(26
ème
) et Dassault-Aviation (27
ème
)
sont relativement de petits groupes face
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
7
Les spécificités de l’État
actionnaire d’entreprises
industrielles de défense
8
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
à leurs principaux concurrents étran-
gers ; SNPE ne figure pas dans les 50
premières entreprises mondiales de
défense.
L’État participe, directement ou
indirectement, au capital de ces huit
groupes. En tant qu’actionnaire de réfé-
rence pour six d’entre eux, il doit agir en
prenant en compte, d’une part, l’impéra-
tif d’indépendance nationale en matière
d’équipement des forces de défense,
d’autre part, la préservation de ses inté-
rêts patrimoniaux propres (les participa-
tions de l’État dans des entreprises
industrielles de défense représentaient
une valeur globale de l’ordre de
12,25 Md€ au 22 octobre 2012), et,
enfin, les enjeux en termes d’emplois, de
commerce extérieur et d’aménagement
du territoire, compte tenu du poids pour
le pays et pour les régions concernées
par ces activités.
Dans ce contexte, la
fonction de l’État
actionnaire d’industries de
défense présente de fortes
spécificités par rapport aux
participations détenues
dans le domaine civil
Les enjeux sont spécifiques. Le livre
blanc de 2003 et le ministère de la
défense répartissent les armements en
trois catégories :
- une première catégorie qu’il est
impératif de conserver sous maîtrise
nationale exclusive – cela englobe les
activités industrielles indispensables à
l’indépendance
de
la
dissuasion
nucléaire et à la « connaissance/anticipa-
tion » (cryptologie gouvernementale,
sécurité des systèmes informatiques,
etc.) ;
- une deuxième catégorie pouvant
faire l’objet d’interdépendances indus-
trielles avec des pays alliés proches –
c’est, par exemple, le cas des pro-
grammes d’armement menés en coopé-
ration avec des partenaires européens ;
- la troisième activité d’armement
concerne les matériels que l’on peut
acheter « sur étagère » sans risque de
dépendance – ce peut être le cas d’équi-
pements peu sophistiqués, largement
disponibles auprès de fournisseurs
diversifiés sur le marché mondial.
Dans les deux premiers cas, disposer
d’un contrôle national
durable du main-
tien des activités industrielles concer-
nées sur le territoire français constitue
un objectif stratégique.
La question du contrôle actionnarial
des industries de défense n’est pas spéci-
fique à la France. Les principales puis-
sances militaires opérant dans le cadre
d’économies de marché internationale-
ment ouvertes ont également eu à la
résoudre, dans le cadre d’une mondiali-
sation croissante de l’économie.
Pour ce faire, les États-Unis dispo-
sent de l’amendement
Exon-Florio
, venu
compléter en 1988 le
Defense production
9
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Les spécificités de l’État
actionnaire d’entreprises
industrielles de défense
act
, qui donne au Président des États-
Unis le pouvoir d’interdire des acquisi-
tions présumées menacer la « sécurité
nationale », qu’elles opèrent ou non dans
le domaine de l’armement, ou de subor-
donner son autorisation à la nomination
de dirigeants américains choisis par le
département de la défense (exerçant une
fonction de
proxy
faisant écran entre les
actionnaires et les décideurs opération-
nels). La force du dispositif
Exon-Florio
vient de ce que le Président des États-
Unis peut librement décider de ce qu’il
juge « stratégique ».
Ni la France, ni l’Union européenne
n’ont été, jusqu’à présent, en mesure de
mettre en place un dispositif de protec-
tion non exclusivement réservé à une
catégorie très restreinte d’équipements
relevant de la souveraineté nationale.
C’est ce qui explique que la présence
directe ou indirecte de l’État, en posi-
tion d’actionnaire de référence au capital
des principales entreprises industrielles
de défense opérant sur le territoire
national, et dont les activités combinent
le plus souvent des productions civiles
et militaires étroitement complémen-
taires, constitue un moyen de protection
sans équivalent pour les principales acti-
vités industrielles stratégiques pour la
défense nationale.
L’organisation de la réflexion de
l’actionnaire au sein de l’administration
n’est pas suffisamment coordonnée : elle
est aujourd’hui principalement menée,
depuis 2004, par l’Agence des participa-
tions de l’État (APE) au sein du minis-
tère de l’économie, avec le concours de
la direction générale de l’armement
(DGA), qui dépend du ministère de la
défense.
Conçue à l’origine dans une pers-
pective à dominante patrimoniale, visant
à valoriser au mieux les participations de
l’État, la mission de l’APE a été réorien-
tée au début de l’année 2011, laissant
plus de place à la prise en compte d’au-
tres intérêts, et notamment ceux de la
défense nationale.
Au sein de la DGA, le suivi des par-
ticipations publiques dans les industries
de défense est assuré par une direction
de la stratégie, chargée de tenir à jour
notamment la « base industrielle et tech-
nologique de défense » (BITD) de la
France.
Actuellement, la coordination des
positions de l’APE et de la DGA
concernant les décisions à prendre par
l’État-actionnaire n’est pas toujours
assurée, et une meilleure coordination
serait souhaitable.
11
2
L’
É
tat unique actionnaire
de référence : Safran,
GIAT Industries et SNPE
Safran : les résultats
initialement escomptés de
la fusion Sagem-SNECMA
ne se sont pas tous
concrétisés, et la maîtrise
de l’avenir du groupe par
l’État-actionnaire est
désormais limitée
Après l’ouverture du capital de
SNECMA dans le cadre d’une introduc-
tion en bourse, à l’été 2004, le groupe
Safran est résulté de la fusion-absorp-
tion,
début
2005,
de
SNECMA
(moteurs d’avions, propulsion spatiale et
services associés) par Sagem (électro-
nique de défense et électronique grand
public), qui a eu pour conséquence la
privatisation de SNECMA, le nouveau
groupe s’appelant désormais Safran.
Si, sur la base des cours de la bourse
de l’époque, l’opération apparaissait
patrimonialement équilibrée pour l’État
en 2005, en revanche, les synergies
industrielles entre le motoriste et l’élec-
tronicien se sont révélées décevantes, et
les actifs en provenance de Sagem ne
représentent plus, aujourd’hui qu’envi-
ron 10 % de la valeur du groupe, contre
un tiers en 2005.
Par ailleurs, la part de capital qu’a
conservée l’État à l’issue de la fusion
(30,20 %) avait été fixée en prenant en
compte le fait que, escomptant obtenir
des droits de vote double deux ans plus
tard, l’État détiendrait à lui seul la mino-
rité de blocage, avec près de 40 % des
droits de vote à l’assemblée générale.
Ayant omis, en février 2007, de déclarer
ce franchissement de seuil à l’AMF,
l’APE s’est tardivement aperçue qu’elle
ne pourrait exercer ses droits, et qu’elle
pourrait, au maximum, disposer de seu-
lement 29,5 % des voix à l’assemblée
générale. La récente cession de 3,12 %
du capital de Safran ne modifie pas sen-
siblement la donne.
Même s’il demeure le premier et seul
actionnaire de référence, l’État ne dis-
pose désormais que de pouvoirs limités
dans Safran, comme l’a illustré, en 2012,
l’opposition de son conseil d’adminis-
tration à une opération d’échange d’ac-
tifs qui devait permettre de restructurer
et de rationaliser l’industrie française
dans les domaines de l’optronique
(THALES) et de l’avionique (Safran).
En avril 2011, l’État a toutefois
obtenu la mise en place d’une disposi-
tion statutaire visant à limiter la possibi-
lité d’une offre publique d’achat (OPA)
inamicales.
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L’État unique actionnaire de
référence : Safran, GIAT
Industries et SNPE
GIAT Industries : après une
lourde restructuration, l’en-
treprise paraît assainie
depuis 2006, mais son ave-
nir mérite d’être clarifié
La société GIAT Industries, créée
en 1990, a été dotée lors de sa constitu-
tion de l'ensemble des moyens indus-
triels (quatorze sites de production) et
en personnels (près de 14 000 per-
sonnes) du groupement industriel des
armements
terrestres
(GIAT),
jusqu’alors géré en régie par la direction
des armements terrestres de la déléga-
tion générale pour l’armement (DGA).
La société, qui a commis plusieurs
erreurs coûteuses de stratégie et de ges-
tion (fermetures de sites ou réductions
d’effectifs trop tardives, signature de
contrats export à perte, diversifications
hasardeuses etc), n'a jamais pu atteindre,
jusqu’en 2006, le plein emploi de ses
moyens : les exercices se soldaient par
des pertes financières considérables,
provenant aussi bien de l'exploitation
que des provisions prises pour financer
les plans sociaux successifs. Un plan de
redressement « GIAT 2006 » a été initié
en avril 2003, avec le double objectif
d'adapter le format de la société à une
forte baisse de l'activité et de restaurer sa
compétitivité, par une rationalisation
drastique des moyens industriels, ainsi
que par une baisse forte des effectifs.
Pour la première fois de l’histoire de
la société, l'exploitation de l'exercice
2005 a été bénéficiaire. Aujourd’hui,
vingt-trois ans après sa création, GIAT
Industries, devenu Nexter dans sa partie
hors défaisance fin 2006, semble, avec
un effectif d’environ 2 700 personnes,
avoir enfin atteint son équilibre et peut
désormais envisager des alliances indus-
trielles susceptibles d'assurer son avenir.
En ce qui concerne l’exercice du
contrôle actionnarial, la société étant
détenue à 100 % par l’État, la Cour a
constaté que, dans le cadre d’une propo-
sition de prise de participation de
24,03 % dans le capital de MNR group,
holding
du
groupe
Manurhin,
le
13 février 2012 (souscription à une aug-
mentation de capital de 2 M€), sur les six
administrateurs représentant l’État, trois
avaient voté pour, deux s’étaient abste-
nus et un avait voté contre (les absten-
tions et l’opposition provenaient des
trois représentants de l’APE, le vote
favorable émanait du représentant de la
DGA) : le dispositif de concertation
interministérielle prévu par le décret
n° 2011-130 du 31 janvier 2011 n’a, en
l’occurrence, pas fonctionné.
Plus généralement, si le plan de
charge de GIAT Industries paraît assuré
jusqu’à 2016, la question se pose pour
les années ultérieures, et dépend large-
ment des prolongements de la réflexion
actuelle sur le Livre blanc sur la défense
nationale et de la future loi de program-
mation militaire. Actuellement, deux
axes majeurs de restructuration indus-
trielle semblent envisageables par l’État-
actionnaire :
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
12
13
- le premier concerne l’éventuelle
absorption
de
SNPE
par
GIAT
Industries et vise à assurer un avenir à
Eurenco, seule filiale stratégique demeu-
rée dans l’orbite de SNPE, dans un
cadre français ou européen ;
- le second axe de restructuration
concerne la recherche d’une partenaire
français ou allemand pour GIAT
Industries.
SNPE : les dirigeants de cette
entreprise publique, destinée
à être vendue par
sous-ensembles depuis
l’accident d’AZF de septembre
2001, ont fait durablement
obstruction à une restructura-
tion décidée par l’État
La société nationale des poudres et
des explosifs (SNPE) a été créée dès
1971, par apport de poudreries précé-
demment gérées en régie par le minis-
tère de la défense, et dont le statut anté-
rieur de monopole pour les poudres et
explosifs civils et militaires ne pouvait
plus être maintenu après l’entrée en
vigueur du traité de Rome. Jusqu’en
2001, la société n’a pas connu de pro-
blème majeur. Le destin de la société a
été bouleversé par l’accident survenu le
21 septembre 2001 dans l’usine AZF du
groupe Total. Quelques années plus
tard, il devenait clair que l’entreprise
devait être vendue par sous-ensembles.
Mais dès 1999, l’État avait envisagé
un rapprochement entre les activités de
propulsion solide détenues d’une part
par, SNPE dans sa filiale SME, d’autre
part par le groupe SNECMA dans sa
filiale SPS. L’État était alors actionnaire
principal ou unique des deux groupes.
Les responsables de SNPE n’ont pen-
dant plusieurs années pas accepté la réa-
lisation de cette opération. Il a fallu
qu’en novembre 2008 l’État mette fin
aux fonctions du PDG pour qu’elle
puisse être mise en œuvre. Encore a-t-il
fallu attendre 2011 pour que cette
consolidation de la filière française de la
propulsion solide devienne effective.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L’État unique actionnaire de
référence : Safran, GIAT
Industries et SNPE
3
Au cours des trente dernières
années, le groupe Dassault-Aviation, un
temps contrôlé en majorité par l’État,
s’en est en grande partie éloigné. En
revanche, il est progressivement entré,
directement ou indirectement, au capital
de THALES et de DCNS dans un par-
tenariat limitant singulièrement les
marges de manœuvre de l’État action-
naire.
La perte progressive de
tout contrôle actionnarial
de l’État sur Dassault-
Aviation
En 1979 : l’État est entré au capi-
tal de Dassault-Aviation
. La Sogepa
(société de gestion des participations
aéronautiques) avait été créée en 1978 à
l’initiative du Premier ministre afin d’ac-
quérir pour le compte de l’État une par-
ticipation dans le capital de la société des
Avions Marcel Dassault (AMD-BA,
devenue aujourd’hui Dassault-Aviation).
En 1981, Dassault-Aviation a été
très temporairement nationalisé
. En
1981, l’État a pris théoriquement le
contrôle de la société en montant sa par-
ticipation à 45,76 % du capital, ce qui,
compte tenu de droits de vote double,
qui ont été immédiatement contestés
par certains partenaires privés du
groupe, lui assurait en principe une
majorité en voix de 54,72 %. Dès cette
période, des conventions orales, adop-
tées au moment de la signature d’un
protocole le 8 octobre 1981, ont orga-
nisé une autolimitation du pouvoir du
secteur public. Rapidement, l’État est
passé, sans contrepartie visible, en-des-
sous de la barre des 50 % en voix
En 1996, une tentative de fusion
Aérospatiale/Dassault-Aviation vou-
lue par l’État a échoué
. En 1996, le
gouvernement a souhaité la fusion de
Dassault-Aviation et d’Aérospatiale, le
holding familial Dassault (GIMD) deve-
nant actionnaire minoritaire d’Aérospa-
tiale. Ce projet n’a pas été mis en œuvre,
la dissolution de l’Assemblée nationale
et les élections législatives intervenant
quelques semaines plus tard.
En 1998, un transfert des partici-
pations publiques dans Dassault-
Aviation a été effectué au profit
d’Aérospatiale
puis
du
groupe
Lagardère, puis d’EADS
. Début 1998,
le gouvernement a procédé au transfert
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
15
La montée progressive du
contrôle actionnarial
exercé par le groupe privé
Dassault : Dassault-
Aviation, THALES et DCNS
au groupe Aérospatiale de l’ensemble
des
participations
publiques
dans
Dassault-Aviation (soit 45,76 % du capi-
tal). Un décret autorisant la cession
d’Aérospatiale
à
Matra
Hautes
Technologies (MHT), filiale du groupe
Lagardère a été pris début 1999.
Aujourd’hui, l’ancienne participa-
tion publique dans Dassault-Aviation est
directement détenue par la société hol-
ding de droit néerlandais EADS NV, qui
n’exerce
de facto
aucun contrôle actionna-
rial. Le producteur de l'avion Rafale a
désormais pour principal actionnaire
minoritaire EADS, co-producteur du
principal concurrent de ce dernier,
l'avion
Eurofighter.
En 2008 l’État a décidé de parta-
ger le contrôle actionnarial de
THALES avec Dassault-Aviation
. En
mai 2008, Alcatel-Lucent a manifesté
son intention de céder la participation
de 20,9 % dans THALES qu’il détenait
depuis la privatisation de Thomson-
CSF. L’Agence des participations de
l’État (APE) et la délégation générale
pour l’armement (DGA) avaient envi-
sagé conjointement divers scénarios, et
concluaient, sur la base d’analyses
approfondies que, par rapport aux
autres solutions possibles, la substitu-
tion de Dassault-Aviation à Alcatel
constituait, techniquement, la moins
bonne option. Sans suivre la recomman-
dation des services compétents, les pou-
voirs publics ont retenu la solution de
cession des parts d’Alcatel à
Dassault.
Le dispositif retenu a consisté,
d’une part, à obtenir de Dassault-
Aviation la signature d’une convention
d’adhésion par laquelle il se substituerait
à Alcatel-Lucent au sein du pacte d’ac-
tionnaires existant entre cette dernière et
l’État, et, d’autre part, à prolonger une
convention sur la protection des intérêts
stratégiques nationaux dans THALES.
En marge du pacte d’actionnaires,
Dassault-Aviation a renoncé à son droit
de veto, d’une part, en cas d’exercice
d’une option de montée au capital à
hauteur de 35 % que DCNS détenait
depuis 2007, option effectivement levée
par THALES début 2012, d’autre part,
pour un échange d’actifs avec Safran,
souhaité par l’État, concernant les acti-
vités optroniques, la navigation iner-
tielle, la génération électrique, et le
domaine des systèmes et équipements
de missiles.
En termes de participations au capi-
tal et de pourcentage des droits de vote,
et du fait de divers mouvements
( notamment, l’obtention de droits de
vote double par Dassault-Aviation en
juin 2012), la position de l’État et de ses
partenaires a évolué comme suit depuis
1998 :
La montée progressive du
contrôle
actionnarial exercé
par le groupe privé Dassault
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
16
La montée progressive du
contrôle
actionnarial exercé
par le groupe privé Dassault
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Tableau : parts respectives des partenaires du pacte
au capital de THALES
Source: Agence des participations de l’État (APE)
L’équilibre du contrôle actionnarial
de THALES a donc progressivement
évolué au détriment de l’État, et ne
repose plus aujourd’hui que sur la déten-
tion d’une minorité de blocage au profit
du secteur public en droits de vote, et
l’impossibilité pour Dassault-Aviation
de dépasser le secteur public en termes
de participation au capital, et/ou de
dépasser le niveau de 30 % en droits de
vote, sans avoir à proposer une OPA sur
l’ensemble de THALES.
Dans ce cadre, alors qu’Alcatel avait
adopté un profil de partenaire dormant,
Dassault-Aviation estime que « l’État
[…] doit composer avec les autres
actionnaires et ne peut plus décider de
tout, et ce tout seul ».
La maîtrise de la
gouvernance et de la stratégie indus-
trielle de défense du groupe THALES
17
Pacte
Actionnaires
% captital THALES
% droits de vote
1998
Secteur Public
46,94
46,94
Alcatel
16,36
16,36
Dassault-industrie
6,00
6,00
2006
Secteur Public
31,26
42,97
Alcatel-Lucent (2)
9,46
13,00
2009
Secteur Public
26,51
41,67
Dassault-aviation
25,93
20,39
2012
Secteur Public
27,08
36,86
Dassault-aviation
25,96
29,68
La montée progressive du
contrôle actionnarial exercé
par le groupe privé Dassault
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
échappent de ce fait largement au pre-
mier actionnaire que demeure l’État. Et
l’on constate effectivement que :
- concernant la montée de THALES
de 25 à 35 % au capital de DCNS en
2012, Dassault-Aviation, tout en respec-
tant son engagement de ne pas s’y oppo-
ser, a publiquement exprimé ses doutes
sur la validité de la stratégie de l’État
consistant à souhaiter une montée de
THALES à hauteur de 35 % de DCNS,
sans lui garantir en contrepartie la pers-
pective d’en acquérir la majorité abso-
lue ;
- concernant le projet d’échange
d’actifs optronique/avionique souhaité
par l’État entre THALES et Safran,
Dassault-Aviation indique avoir soutenu
le management de THALES dans son
refus de céder à Safran son activité cal-
culateurs.
La décision de substituer Dassault-
Aviation à Alcatel Lucent a ainsi, en fin
de compte, contrarié la volonté l’État
sur un point de stratégie industrielle de
défense qu’il jugeait majeur.
De 2007 à 2012, THALES prend
une part croissante dans le contrôle de
DCNS. En termes de maîtrise de la gou-
vernance et de la stratégie industrielle du
groupe DCNS, la composition des
organes sociaux implique
désormais,
pour les principales décisions de straté-
gie industrielle de défense notamment,
un accord avec THALES et donc, dans
le respect des dispositions du pacte d’ac-
tionnaires,
avec
Dassault-Aviation.
Néanmoins, la question d’une évolution
ultérieure de la composition du capital
de DCNS ne se pose pas actuellement
de façon urgente : la principale perspec-
tive de restructuration industrielle, dans
le secteur de l’armement naval, consiste-
rait en une ouverture à un partenaire
européen.
18
19
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
4
Une entreprise sous
contrôle public
pluri-national : EADS
Le dispositif de contrôle
d’EADS repose, dès le
départ, sur un partenariat
d’actionnaires poursuivant
des stratégies hétérogènes,
voire concurrentes
Les conditions initiales de l’apport
d’Aérospatiale
à
Matra-Hautes
Technologies (MHT), appartenant au
groupe Lagardère, puis la fusion de l’en-
semble avec l’allemand DASA et l’espa-
gnol CASA, pour créer EADS étaient en
elles-mêmes peu favorables à la préser-
vation des intérêts patrimoniaux de
l’État, la France étant en position de
demandeur vis-à-vis de ses principaux
partenaires. Dans le cadre des transac-
tions sur les parités, Aérospatiale n’a
valu que deux fois Matra Hautes
Technologies (MHT), et quelques mois
plus tard, Aérospatiale-MHT n’a valu
qu’une fois DASA (parité politique exi-
gée par la partie allemande). Ces parités
ne reflétaient certainement pas la valeur
des apports industriels respectifs, au
détriment d'Aérospatiale. Mais, en
dehors des doutes que la Cour a pu
exprimer sur la force relative des posi-
tions de négociations des parties, les
termes de l’échange, lors de la constitu-
tion d’EADS, ont souffert du fait de la
faiblesse structurelle des fonds propres
du côté d’Aérospatiale, notamment
lorsqu’on la comparait à la trésorerie
importante dont disposait à l’époque
DASA.
Le dispositif de contrôle actionna-
rial qui a résulté de ces négociations,
dont la situation fin 2012 est schémati-
sée ci-après, s’est rapidement révélé ina-
dapté, et a nécessité divers aménage-
ments, notamment en 2007, puis plus
récemment, fin 2012/début 2013 :
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
20
Schéma - pactes d’actionnaires
- EADS
Source: Agence des participations de l’État (APE)
Divers pactes et accords organi-
saient le concert d’actionnaires contrô-
lant EADS fin 2012, contenant notam-
ment des dispositions relatives :
- à la composition du conseil d’ad-
ministration d’EADS ;
- aux restrictions affectant le trans-
fert des actions EADS, ainsi que les
droits de préemption et de sortie
conjointe de Daimler (actionnaire de
DASA), Sogeade (holding réunissant
l’État
et
le
groupe
Lagardère),
Lagardère, et l’État (à travers Sogepa) ;
- à des droits spécifiques de l’État
français (permettant un minimum de
contrôle indirect sur certaines décisions
stratégiques) ;
- à la restriction des droits de l’État
français, notamment la limitation de sa
participation à 15 % du capital, et à l’im-
possibilité pour les partenaires français
de désigner un fonctionnaire en exercice
au conseil d’administration d’EADS,
etc.
La volonté de Daimler, réaffirmée
lors de la réforme de la gouvernance de
2007 (accords dits
Apple
), avait été de
doter cette société d’une gouvernance
aussi proche que possible de celle de
toute autre société cotée sur plusieurs
places européennes et au flottant impor-
tant, et en particulier de la mettre à l’abri
de
toute
influence
d’actionnaires
publics.
On peut,
a posteriori
, regretter que ces
conditions n’aient pas été mieux subor-
données, lors des négociations initiales,
à un engagement de stabilité, au capital
du nouveau groupe, des partenaires
industriels privés ayant exigé de telles
restrictions.
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
21
Le désengagement des
partenaires industriels a
rapidement montré les
faiblesses du dispositif
actionnarial mis en place
En 2006, les groupes Lagardère et
Daimler, alors que le niveau des actions
EADS était au plus haut, avaient simul-
tanément entamé leur sortie de ce
groupe. Ce dernier devait, peu de temps
après, faire face à de fortes turbulences,
s’accompagnant d’une crise de gouver-
nance liée au doublonnement franco-
allemand des responsabilités aux diffé-
rents échelons de la hiérarchie supé-
rieure du management, mis en place lors
de la fusion. Dans le cadre des accords
Apple
de 2007, visant à résoudre les pro-
blèmes de gouvernance et à permettre à
Daimler de céder à des investisseurs ins-
titutionnels, via un véhicule de portage
« Dedalus », un deuxième bloc de titres,
sans déséquilibrer la parité actionnariale
entre la France et l’Allemagne, un droit
de préemption sur ces actions a été
octroyé à l’État allemand, bien qu’il ne
fût pas actionnaire d’EADS.
Daimler décidant de céder un nou-
veau bloc d’actions d’EADS, avant fin
décembre 2012, l’État allemand, qui
n’était toujours pas actionnaire d’EADS,
a indiqué son souhait de se porter
acquéreur, via la banque publi-que d’in-
vestissement
Kreditanstalt
für
Wierderaufbau (KfW)
, avant fin 2012, du
bloc de titres détenu par les partenaires
allemands du pacte. L’État allemand
envisageait alors de reproduire, côté
allemand, le modèle d’organisation
retenu du côté français entre l’État et
Lagardère.
Du côté français l’annonce de
Lagardère de poursuivre son désengage-
ment risquait de fragiliser la position de
l’État au sein du pacte franco-germano-
espagnol : fin 2012, Sogeade était tou-
jours détenue indirectement à 66 % par
l’État, et directement à 33 % par
Lagardère SCA, mais diverses clauses
aboutissaient à laisser entre les mains du
groupe privé l’essentiel des prérogatives
de participation au conseil d’administra-
tion d’EADS, voire, depuis les accords
Apple
, à les accroître. Or les capitaux
respectivement engagés par M. Arnaud
Lagardère et l’État français dans EADS
étaient disproportionnés. Depuis 2006,
l’État continuait à supporter intégrale-
ment la participation publique de 15 %,
alors que la part du groupe Lagardère
n’était plus, de 2006 à fin 2012, suppor-
tée qu’à hauteur de 7,5 % par Désirade ;
Désirade était détenue par Lagardère
SCA, dont M. Arnaud Lagardère ne
détient que 9,62 % du capital, le princi-
pal
actionnaire
étant
la
Qatar
Investment Authority, qui contrôle
12,83 % du capital. Par équivalence, les
capitaux
propres
de
M.
Arnaud
Lagardère n’étaient donc engagés, fin
2012, qu’à hauteur de 0,72 % dans
EADS. En outre, cet engagement était
« porté », au 31 décembre 2011, par une
trésorerie nette du groupe Lagardère
22
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
négative à hauteur de 1,27 Md€, donc
financée par l’emprunt.
De ce fait, le dispositif de portage
des participations respectives de l’État et
du groupe Lagardère avait abouti à don-
ner, dans l’expression et la représenta-
tion des intérêts d’actionnaire de l’État
dans le groupe EADS, une prééminence
à
Lagardère
SCA,
alors
que
M. Lagardère, le commandité, ne déte-
nait indirectement que 0,72 % du capital
d’EADS, face à l’État, détenteur indirect
de 15 % du capital, et que l’État était de
surcroît exposé à une défaillance d’un
partenaire lourdement endetté.
Le montage initialement accepté en
1999 apparaissait donc, fin 2012, de plus
en plus fragile et déséquilibré en défa-
veur de l’État, premier actionnaire
d’EADS à parité avec Daimler, alors que
ce dernier jouissait encore de toutes les
prérogatives liées à sa participation.
L’échec d’un projet de
rapprochement EADS-
British Aerospace a retardé
de quelques semaines la
conclusion d’un nouveau
pacte d’actionnaires
Les réflexions sur les modifications
à apporter au dispositif de contrôle
actionnarial d’EADS ont été momenta-
nément interrompues, de juillet à octo-
bre 2012, par l’examen d’une proposi-
tion de fusion EADS-British Aerospace.
Un rapprochement EADS/BAE
systems, proposé en juin 2012 par les
managers des deux groupes, était
a priori
cohérent avec la stratégie « vision 2000
», engagée depuis quelques années par
EADS, prévoyant un développement de
la part des activités de défense et une
expansion commerciale vers les États-
Unis, et aurait permis de constituer un
groupe industriel d’aéronautique et de
défense en position de leader mondial
dans son domaine.
Sur le plan industriel, les synergies
auraient, toutefois, été limitées, et le rap-
prochement envisagé relevait plus d’une
« logique de conglomérat » que d’une
« logique industrielle ».
La création d’une société contrôlée à
60 % par EADS et à 40 % par BAE
Systems aurait nécessité la dissolution
du concert d’actionnaires EADS : un
mécanisme
relativement
complexe
aurait cependant permis de conserver,
en principe, les structures juridiques des
deux groupes, afin d’y maintenir les
actifs stratégiques nationaux respectifs
des États concernés par le rapproche-
ment.
Le montage proposé supposait la
renonciation à l’action spécifique britan-
nique préexistante dans BAE, et, du
côté franco-allemand, la dissolution du
concert d’actionnaires d’EADS, y com-
pris de Sogeade (et donc des disposi-
tions permettant à cette dernière d’exi-
ger une consultation, voire un vote du
conseil d’administration, sur certains
dossiers intéressant la défense), en
échange d’actions de préférence statu-
taires accordées par l’assemblée générale
d’EADS permettant aux trois États
concernés de s’opposer à une modifica-
tion des statuts sur certains points.
23
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Un autre problème était celui de la
localisation, entre le Royaume-Uni, la
France et l’Allemagne, des divers centres
de décision du groupe : les négociations
ont été interrompues avant que ne
puisse être trouvé un schéma consen-
suel, acceptable par les trois États
concernés.
L’échec a eu plusieurs causes :
- la confidentialité des contacts pré-
paratoires était en toute hypothèse
nécessaire, s’agissant de groupes cotés
en bourse, mais l’absence de toute infor-
mation préalable donnée aux action-
naires de référence des deux groupes a
sans doute fragilisé le projet mis au
point par le management ;
- du côté des partenaires publics, les
problèmes de localisation des diverses
activités des deux groupes constituaient
un enjeu majeur difficilement négocia-
ble en si peu de temps : c’est, d’une
façon assez logique, l’État dont les sites
étaient les plus directement menacés à
moyen terme qui a dû assumer, aux yeux
du public européen, la responsabilité de
l’échec.
L’accord du 5 décembre
2012 permet de rééquili-
brer et de consolider le
dispositif de contrôle
actionnarial du groupe
EADS, tout en en moderni-
sant la gouvernance
L’accord du 5 décembre 2012, qui a
été confirmé par une assemblée générale
du 27 mars 2013, apporte une réponse à
la plupart des difficultés antérieures. Il
règle notamment :
- le problème de la sortie de Daimler
et de Lagardère ;
-
le
maintien
de
la
parité
France/Allemagne dans le contrôle
actionnarial d’EADS.
Du fait des contraintes du droit
boursier hollandais, dès lors que la subs-
titution totale ou partielle de KfW à
Daimler entraînait un changement de
l’un des partenaires au sein du concert
franco-germano-espagnol, tout nouveau
pacte ne pouvait regrouper des droits de
vote représentant plus de 30 % du total
des droits de vote, sauf à proposer une
OPA sur l’ensemble du capital.
Compte tenu des contraintes rappe-
lées ci-dessus, les trois gouvernements
ont, dès le début de la négociation
finale, fin octobre 2012, indiqué que
l’objectif commun devait être de per-
mettre la sortie de Daimler et de
Lagardère et la montée simultanée de
KfW, de façon à obtenir, en droits de
vote relevant du futur concert d’action-
naires, une structure octroyant 12 % des
voix à la France, 12 % à l’Allemagne et
4 % à l’Espagne.
Dès la signature de l’accord du
5 décembre 2012, Daimler pouvait
céder sur le marché 7,44 % du capital
d’EADS. Simultanément, KfW était
autorisé à acquérir 10 % d’EADS auprès
des participants allemands au pacte d’ac-
tionnaires. Le reste de l’accord, dont la
mise en place devait se faire dans une
seconde étape,
a été validé le 27 mars
2013 par une assemblée générale extra-
ordinaire statuant à la majorité qualifiée.
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
24
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
Schéma -
EADS - Schéma du pacte actionnaires prévu
dans l’accord du 5 novembre 2012
Source: Agence des participations de l’État (APE)
Les dispositions du nouveau pacte
prévoient un conseil d’administration de
douze membres (au lieu de onze dans le
dispositif antérieur), dont deux doivent
être agréés par l’État français et deux par
l’État allemand. L’un des deux adminis-
trateurs agréés par l’État français peut,
tout en n’étant pas un fonctionnaire en
activité, dépendre de l’État (président-
directeur général d’entreprise publique,
etc.), ce qui corrige l’un des déséquili-
bres majeurs du dispositif précédent.
Deux listes de décisions, la première
à soumettre obligatoirement au conseil
d’administration et la seconde à soumet-
tre non seulement au conseil d’adminis-
tration, mais devant nécessairement
obtenir une majorité qualifiée, permet-
tent aux actionnaires du pacte d’exercer
un droit de regard sur les sujets majeurs.
En outre, un accord spécial prévoit
que l’État français est autorisé à acquérir
une action d’Astrium France, et une
clause des statuts d’Astrium doit prévoir
l’unanimité à son assemblée générale
pour toutes les questions stratégiques de
défense.
Enfin, les statuts sont modifiés de
façon à interdire à tout actionnaire de
détenir plus de 15 % des droits de vote
d’EADS. Il s’agit d’une clause anti-OPA
classique
La même assemblée extraordinaire
autorise le rachat par EADS d’un maxi-
mum de 15 % de ses titres, entraînant
mécaniquement une « relution » des
titres non rachetés (c’est-à-dire une aug-
mentation proportionnelle de la part du
capital qu’ils représentent), ce qui per-
met notamment à l’Allemagne d’attein-
dre 12 % en n’achetant que 10 % des
titres.
25
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Une entreprise sous contrôle
public pluri-national : EADS
Parallèlement à cet ensemble de dis-
positions, un accord spécial de sécurité
est passé entre l’État et EADS. Cet
accord prévoit la création d’une sous-
holding « chapeau » détenant les actifs
industriels français de défense, au capital
de laquelle l’État détiendra une action.
Deux administrateurs d’EADS, repré-
sentant les intérêts français de défense,
seront agréés par l’État. Enfin, EADS
céde à l’État une action de Dassault-
Aviation, et l’État dispose d’un pacte
avec EADS prévoyant une consultation
obligatoire et un droit de préemption en
cas de cession de titres Dassault-
Aviation par EADS.
Conclusion
27
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
L’État en position de premier actionnaire, seul ou de concert avec des partenaires industriels
français ou étrangers, a accompagné la modernisation de l’outil industriel de défense français, le pla-
çant parmi les meilleurs mondiaux du secteur :
• il a transformé un ancien monopole (les poudres et explosifs) et d’anciens arsenaux (de la
marine et de l’armée de terre) en entreprises commerciales, rendant possibles des partenariats indus-
triels ;
• il a également participé, en tant qu’actionnaire de référence, au développement national et
international des groupes THALES, Safran et EADS.
Mais l’État actionnaire a fait preuve, à de nombreuses occasions, de faiblesses :
• il s’est parfois mis en risque de perdre le contrôle d’activités industrielles qui sont au coeur de
la défense nationale – risque, par exemple, pour EADS, d’un désengagement inopiné du groupe
Lagardère, lourdement endetté ; risque d’une OPA non sollicitée sur Safran, dont 90 % de l’acti-
vité est civile ;
• il a accepté de diluer son pouvoir sans obtenir de ses partenaires de réelles contreparties :
- d’une part en termes de niveau de présence au capital : par exemple la participation de l’État
dans Dassault-Aviation, montée à 46,5 % en 1981, est aujourd’hui logée dans EADS, qu’il ne
contrôle qu’à 15 % (et 12 % à partir de 2013) ; par ailleurs, Aérospatiale a été apportée à
Lagardère, puis à EADS, pour n’obtenir, en fin de compte, qu’une participation de 15 % dans le
groupe international, cela sans même que l’État obtienne d’être directement représenté au conseil
d’administration ;
- d’autre part, dans l’exercice de ses droits à proportion de sa position au capital : par exem-
ple, la substitution de Dassault-Aviation à Alcatel au capital de THALES se traduit, en fait
sinon en droit, par une sensible limitation de son rôle d’actionnaire de référence, alors que l’État
demeure le premier actionnaire de ce groupe ; de même, il n’a pas pu, juridiquement, exercer les
droits de vote double que, lors de la fusion Sagem-SNECMA, il escomptait détenir à terme dans
Safran ;
• il a du mal à arbitrer entre des intérêts parfois contradictoires :
- intérêts du client et intérêts du fournisseur en tant qu’actionnaires de ces entreprises ;
- intérêts patrimoniaux, pas nécessairement cohérents, à court ou moyen terme, avec les intérêts
stratégiques de politique industrielle de défense ;
• il s’est parfois montré incapable de faire appliquer ses décisions par les responsables des entre-
prises qu’il contrôlait, par exemple :
- échec du projet d’échanges d’actifs entre THALES et Safran dans l’optronique et l’avio-
nique ;
- durée très longue des regroupements dans le secteur de la propulsion solide (« Herakles » -
13 ans entre la décision initiale et la finalisation).
Une alternative ou un complément au contrôle actionnarial public serait la mise en place, en
concertation avec les partenaires européens, d’un dispositif équivalent à l’amendement Exon-Florio
américain. L’État pourrait utilement poursuivre cet objectif. Il lui faut, en toute hypothèse, corriger
les faiblesses constatées ces trente dernières années dans l’exercice de ses prérogatives d’actionnaires.
28
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les évolutions les plus récentes sont encourageantes.
L’accord du 5 décembre 2012 qui réorganise le pacte d’actionnaires d’EADS règle à la fois
le problème de la sortie du groupe Lagardère et celui de la représentation directe de l’État au conseil
d’administration du groupe, tout en offrant à l’État un droit de préemption sur la participation de
46,5% dans Dassault-Aviation au cas où EADS souhaiterait la céder.
Conclusion
29
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Recommandations
définir une doctrine en matière :
- d’amélioration de la protection et
du suivi des intérêts stratégiques de
l’État ;
-
de restructurations horizontales
(« franco-françaises », européennes,
mondiales), dans lesquelles il convient
de veiller à la fois à la préservation des
intérêts patrimoniaux (parités) et stra-
tégiques (localisation des activités) ;
- de restructurations verticales,
pour lesquelles les mêmes intérêts doi-
vent être préservés, mais qui peuvent
en outre comporter certaines limites
commerciales, comme le montre le
rapprochement THALES/DCNS ;
mettre en place un dispositif
formel réunissant, sous l’autorité du
Premier ministre, à intervalles régu-
liers, l’Agence des participations de
l’État (APE) et la direction générale de
l’armement (DGA) pour assurer le
pilotage conjoint actuellement inexis-
tant, des participations de l’État au
capital des groupes industriels de
défense ;
renforcer au sein de la direction
générale de l’armement (DGA) le suivi
des participations dans les industries
de défense ;
dans ce cadre également, propo-
ser une stratégie à long terme sur les
partenariats avec le groupe Dassault.
Cela
concerne
immédiatement
THALES et DCNS, mais pourrait
avoir des prolongements concernant
GIAT Industries, SNPE, voire Safran ;
éviter, sauf exceptions forte-
ment motivées, des dispositions ayant
pour effet de limiter les droits d’action-
naire de l’État à un niveau inférieur à
celui qui résulte de sa participation au
capital (comme dans le cas d’EADS, et
dans
une
moindre
mesure,
de
THALES).