COMMUNICATION A LA COMMISSION DES AFFAIRES
SOCIALES DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
(art
.
LO 132-3-1 du code des juridictions financières)
LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS
DANS LES BRANCHES PRESTATAIRES
DU REGIME GENERAL
Avril 2010
COUR DES COMPTES (avril 2010)
I
I
Sommaire
Introduction……………………………………………………………………………………1
I.
Une stratégie nationale aux cibles encore trop imprécises
...................................................................
3
A. Des moyens accrus consacrés à la lutte contre les fraudes
........................................................................
3
1. Une priorité relative reconnue à la lutte contre la fraude aux prestations
...................................................
3
2. Des outils renouvelés
...............................................................................................................
8
3. Des dispositions un peu plus exigeantes dans les COG
......................................................................
19
4. Un renforcement des moyens humains
.........................................................................................
28
B. Des cibles qui demeurent trop imprécises
.........................................................................................
33
1. Les évaluations quantitatives disponibles demeurent insuffisantes
........................................................
33
2. Des hésitations sur le périmètre et la définition des fraudes
................................................................
43
3. L’utilité d’efforts systématiques pour réduire les possibilités
de fraudes aux prestations
...........................................................................................................
54
4. Une stratégie nationale insuffisamment formalisée et priorisée
............................................................
55
II.
Du fait d’impulsions insuffisantes des caisses nationales, les actions des caisses locales restent trop limitées
... 62
A Une impulsion encore insuffisante de la part des caisses nationales
...........................................................
62
1. Une capacité juridique désormais suffisamment reconnue
..................................................................
62
2. Des obstacles « culturels » progressivement levés
...........................................................................
63
3. Une animation encore insuffisante de l’action des organismes locaux.
...................................................
64
B. Des actions encore limitées dans le domaine de la prévention des fraudes
...................................................
68
1. Une communication externe peu active
........................................................................................
68
2. Le déploiement du contrôle interne a trop peu intégré le risque de fraude
................................................
72
C. Des efforts de détection et de caractérisation des fraudes à organiser
.........................................................
79
1. Des signalements laissés sans suites suffisantes
..............................................................................
80
2. Des organisations très hétérogènes et non évaluées
..........................................................................
86
D Récupération et sanctions
............................................................................................................
91
1. Une récupération insuffisante des indus
.......................................................................................
92
2. Une montée en charge encore incomplète des dispositifs alternatifs
.......................................................
95
3. Des sanctions pénales ou ordinales qui restent trop peu dissuasives
.......................................................
98
A
nnexe n°1 - liste récapitulative des recommandations……….……………………….102
COUR DES COMPTES (avril 2010)
1
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Introduction
«
Est passible d’une amende de 5 000 € quiconque se rend coupable de fraude ou de
fausse déclaration pour obtenir, ou faire obtenir ou tenter de faire obtenir des prestations ou
allocations de toute nature, liquidées ou versées par les organismes de protection sociale,
sans préjudice des peines résultant de l’application d’autres lois, le cas échéant
». Cet article
du code de la sécurité sociale (CSS L. 114-13) définit les peines qui peuvent sanctionner des
fraudes aux prestations, sans définir la notion de fraude elle-même. D’autres articles du même
code définissent certains comportements qui peuvent être sanctionnés par des pénalités
financières : ainsi, à l’article L. 114-17 pour les prestations familiales, « de l’inexactitude ou
du caractère incomplet des déclarations faites ». Mais, pour autant, une définition même
extensive des cas de fraudes n’est pas donnée.
Les fraudes aux prestations se caractérisent par deux éléments
1
: une irrégularité, c’est-à-
dire l’inobservation d’une règle juridique commise de manière intentionnelle. Mais cette
intention est souvent difficile à démontrer. La qualification frauduleuse d’un comportement,
c'est-à-dire l’application de cette définition générale aux situations concrètes est souvent
difficile. Portant sur des grands nombres, et souvent sur des montants unitaires relativement
réduits, elle suppose que soient définis des référentiels généraux, par exemple pour distinguer,
en cas de déclarations incomplètes, l’étourderie et la fraude délibérée (par exemple une
omission répétée sera présumée intentionnelle). A défaut, il s’agira d’une simple erreur
génératrice d’un indu.
En outre, les fraudes constatées sont diverses, à la mesure de la variété des prestations
versées par les organismes de sécurité sociale, changeantes à la mesure de la rapidité des
modifications qui interviennent dans les réglementations, adaptatives, à la mesure de la
capacité des fraudeurs de repérer les actions de contrôle et de s’efforcer de les déjouer. Elles
sont variables également selon les branches : la branche retraite est confrontée à des risques
moins diversifiés, du fait notamment de la centralisation de son système d’information. La
branche maladie, au contraire, verse des prestations nombreuses aux assurés et au bénéfice de
professionnels de santé, ce qui génère des risques plus diversifiés. Pour toutes ces raisons, les
politiques destinées à lutter contre les fraudes aux prestations doivent être plurielles et
complexes.
Comme l’a dit le ministre du budget et des comptes publics, s’adressant à l’ensemble des
personnels de contrôle en provenance des différentes administrations
2
(et parmi eux
notamment aux contrôleurs issus des organismes de sécurité sociale), «
la lutte contre la
fraude n’a pas été découverte il y a quelques mois : vous menez, dans chacun de vos
organismes, des actions dont l’efficacité s’est renforcée au cours des dernières années
». De
fait, un accent nouveau a été placé au plan national sur les actions de lutte contre la fraude,
avec notamment la création en 2006 au niveau interministériel d’un comité national de lutte
contre la fraude en matière de protection sociale ; et depuis avril 2008 d’une délégation
nationale de lutte contre la fraude (DLNF) et de comités locaux, départementaux.
1
. Dans sa définition, analogue, la délégation nationale à la lutte contre la fraude ajoute un troisième élément,
relatif aux finances publiques. Selon elle, en effet, la fraude est « une irrégularité ou une omission commise de
manière intentionnelle au détriment des finances publiques » (voir infra, rapport 2009, p.7).
2.
Intervention du ministre du budget et des comptes publics le 5 mai 2009 à l’occasion « d’une réunion à Bercy
de 600 contrôleurs venus de la sphère fiscale, douanière et sociale ».
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
2
S’agissant plus particulièrement de la fraude aux prestations sociales, cette priorité
nouvelle s’est traduite également par un renforcement progressif des équipes dédiées à la lutte
contre les fraudes au sein des caisses nationales ou par l’adoption de dispositions législatives
nombreuses dans les lois de financement de la sécurité sociale pour les années 2006 à 2010.
La Cour des comptes a examiné les mesures prises contre la fraude et a procédé à un
premier bilan de cette politique, dans le champ des organismes de sécurité sociale. L’enquête
a porté sur les seules branches prestataires du régime général, maladie, retraite et famille
3
. Le
périmètre a ainsi exclu les autres régimes, notamment le régime social des indépendants (RSI)
ou le régime agricole. Il exclut également les fraudes aux prélèvements, et notamment celles
qui portent sur les cotisations sociales recouvrées par l'Union de recouvrement des cotisations
de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), qui ont fait l’objet en 2007 d’un
examen par le conseil des prélèvements obligatoires
4
et sur lesquelles il a paru prématuré de
revenir.
Réalisée à compter de fin 2007, cette enquête a été menée à partir de questionnaires
adressés à l’ensemble des caisses locales, dans les trois branches. Elle s’est fondée,
également, sur la visite de plusieurs organismes de base ainsi que sur les entretiens réalisés
avec les responsables de cette politique au niveau des caisses nationales ou de la délégation
nationale à la lutte contre la fraude.
Dans un contexte rapidement évolutif, dans la mesure où certaines des mesures décidées
n’ont pas encore pu prendre leur plein effet et où d’autres sont en préparation, il pourrait
paraître prématuré de dresser un bilan. L’enquête de la Cour met en évidence qu’un premier
bilan est cependant utile, pour signaler tout d’abord l’ampleur des progrès intervenus, mais
aussi, en nuançant ce constat, pour relever le contraste persistant entre une réelle prise de
conscience des enjeux, au plan national, et la lenteur des évolutions dans les pratiques des
organismes ou même des caisses nationales.
Certes, et c’est le premier constat de la Cour,
au plan national
(1) une stratégie
de lutte
contre les fraudes aux prestations a été déployée, mais d’une manière encore insuffisamment
ordonnée. Si la priorité nouvelle reconnue depuis quelques années a conduit à renforcer les
moyens de cette lutte (A), la stratégie implicite adoptée paraît encore trop peu ciblée et
incomplète (B).
Deuxième constat,
dans les caisses
(2) les actions engagées
restent hétérogènes et dans
l’ensemble encore insuffisantes, malgré les progrès récents. Le rôle des caisses nationales est
encore insuffisamment affirmé (A), les actions de prévention de la fraude sont encore trop peu
systématiques (B), les actions de détection des fraudes restent souvent inégales (C), enfin les
sanctions sont encore en-deçà des niveaux attendus (D).
3
. Parallèlement, une enquête a été menée sur la lutte contre la fraude pour les allocations chômage. Elle a
donné lieu à une insertion dans le rapport public annuel paru en février 2010.
4
. Voir le rapport du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de mars 2007, « la fraude aux prélèvements
obligatoires et son contrôle ».
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« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
3
I.
Une stratégie nationale aux cibles encore trop imprécises
La lutte contre la fraude aux prestations sociales, depuis qu’elle est reconnue comme une
priorité nationale, a bénéficié de nouveaux moyens diversifiés, même si leur déploiement est
encore pour partie en cours (A). De nombreux volets restent cependant à développer ou à
préciser, pour construire une stratégie de lutte plus efficace (B).
A. Des moyens accrus consacrés à la lutte contre les fraudes
La lutte contre les fraudes et les pratiques abusives, dans le domaine des prestations
sociales, s’inscrit depuis plusieurs années dans le cadre d’une priorité explicite, même si elle
est relative (1), qui a conduit à renforcer les moyens juridiques et techniques à la disposition
des caisses (2), à accroître les dispositions prévues dans les conventions d'objectifs et de
gestion (COG) (3), enfin à mieux identifier et spécialiser les services chargés de la lutte contre
la fraude, dans les caisses, mais aussi au sein d’administrations de mission nouvelles (4).
1. Une priorité relative reconnue à la lutte contre la fraude aux prestations
La priorité nouvelle reconnue à la lutte contre les fraudes aux prestations doit être
conciliée avec l’objectif de simplification des procédures, notamment pour l’octroi des
prestations sociales.
a) Une priorité nouvelle a été affirmée
Depuis plusieurs années, une priorité gouvernementale nouvelle a été reconnue à la lutte
contre la fraude, notamment à la fraude aux prestations sociales.
i)
la création d’un comité de lutte contre les fraudes
Sur le plan institutionnel, un comité de lutte contre la fraude en matière de protection
sociale a été créé en octobre 2006. Ce comité, placé sous la présidence de B. Cieutat,
président de chambre honoraire à la Cour des comptes, réunissait les directeurs
d’administrations centrales concernés (sécurité sociale, impôts, justice, police nationale et
gendarmerie), les directeurs des principales caisses nationales des branches du régime général
du RSI et de la Mutualité sociale agricole (MSA), ainsi que les directeurs des organismes de
protection
sociale complémentaire (AGIRC et ARRCO, UNOCAM) et de l’Unédic. Au sein
de la direction de la sécurité sociale (DSS), un directeur de projet en assurait le secrétariat
général.
Ce comité avait notamment pour mission «
de centraliser et d’analyser les cas de fraude
recensés, d’animer la coopération entre les organismes, ou d’établir chaque année un
rapport d’analyse et d’évaluation du phénomène de la fraude
».
Les travaux menés ont contribué à instaurer une dynamique interbranches, au sein du
régime général, et plus largement inter-régimes et même inter-administrations, puisque les
directions responsables du contrôle fiscal ou de la législation fiscale étaient parties prenantes
des travaux. Ces travaux ont donc permis une première mise en commun des approches et des
informations.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
4
On peut citer, parmi les progrès ainsi rendus possibles
5
, l’insertion dans la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2007 de plusieurs dispositions législatives, destinées à
faciliter la lutte contre les fraudes, ou la signature d’une première convention sur la
mutualisation des informations, en 2006, entre l'Agence de centralisation des organismes de
sécurité sociale (ACOSS) , la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), la Caisse
d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d'assurance
vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et l’Unédic. Une deuxième convention plus
étendue, puisqu’elle inclut les administrations de l’Etat, a été signée le 3 avril 2008 «
pour
organiser et faciliter les échanges de données à caractère personnel et accroître l’efficacité
de la lutte contre la fraude
».
ii)
la commande d’un « plan de lutte systématique »
Une deuxième étape, plus volontariste, a été engagée dès l’année suivante. Par une lettre
de mission conjointe adressée au ministre des comptes publics, le 11 octobre 2007, le
Président de la République et le Premier ministre confirmaient l’importance de cet enjeu et
soulignaient les deux cibles prioritaires qu’ils assignaient à la lutte contre la fraude :
-
le champ des prélèvements obligatoires ;
-
et les nombreux régimes de prestations sociales que connaît notre pays.
Dans le cadre du « plan de lutte systématique contre toutes les fraudes et les pratiques
abusives
6
portant atteinte aux finances publiques », qu’il était demandé au ministre des
comptes publics d’engager et de coordonner, il était indiqué, certes, que les enjeux financiers
les plus importants étaient liés à la lutte contre la fraude aux prélèvements
7
, mais que pour
autant, «
le chantier de la lutte contre la fraude aux prestations sociales, dont l’enjeu
financier n’est même pas connu avec précision, est celui pour lequel les efforts les plus
importants sont à mener
».
La nécessité de déployer une stratégie explicite de lutte contre la fraude était donc
expliquée d’abord par l’importance, réévaluée, des enjeux symboliques. Cette dimension
symbolique de la lutte contre les fraudes aux prestations était soulignée dans la lettre de
mission précitée, adressée au ministre des comptes publics : «
cette forme de fraude et d’abus
sape les fondements mêmes de la cohésion nationale
». De fait, et même si une sorte de
tolérance
diffuse
paraît
parfois
observée,
la
fraude
aux
prestations
sociales
est
particulièrement répréhensible car elle se commet aux dépens des bénéficiaires légitimes.
Cette lettre annonçait en outre une modification du « comité de lutte », créé l’année
précédente, en un comité interministériel. Il est donc désormais placé sous la présidence du
Premier ministre et la circulaire du 6 mai 2009 a précisé que ce comité continuerait à se
réunir, mais au seul niveau ministériel, ce qui souligne la signification politique qui lui est
conférée (il ne s’est cependant réuni qu’une seule fois, en mai 2009 ; une nouvelle réunion est
prévue en mai 2010).
5. Une réunion du comité national d’octobre 2007 permet de récapituler l’ensemble des actions menées.
6 La communication gouvernementale mentionne ces deux cibles, qui sont certes voisines même si elles doivent
être distinguées, à la fois conceptuellement et par leur degré de gravité.
7. Ce domaine a fait l’objet d’investigations approfondies du Conseil des prélèvements obligatoires. Voir le
rapport déjà mentionné sur « la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle », de mars 2007. Les
sommes distraites des caisses publiques chaque année sont parfois évaluées entre 30 et 40 Md€.
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5
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Les missions opérationnelles, de coordination des interventions des caisses et des
administrations, ont été renforcées et rendues permanentes, par la création d’une « délégation
nationale à la lutte contre la fraude » (DNLF) par le décret du 18 avril 2008 relatif à la lutte
contre les fraudes (voir infra).
b) Une priorité à concilier avec celle de la simplification des procédures
i) la simplification des procédures
L’affirmation de cette priorité doit être replacée dans un contexte qui, parallèlement, et
pour des raisons également légitimes, avait consacré d’autres objectifs dans la gestion des
prestations sociales. Nombre de ces objectifs sont parfaitement conciliables avec la lutte
contre les fraudes. Ainsi, par exemple, de l’objectif, d’une certaine manière symétrique et en
tout cas tout aussi légitime, de favoriser l’accès aux droits (certains assurés ignorent leurs
droits et ne bénéficient pas des prestations qui leur sont destinées).
La compatibilité est cependant moins aisée avec l’objectif de simplification des
procédures et d’accélération du traitement des dossiers. Cet objectif implique par exemple la
simplification des justificatifs demandés (un décret de 2000 a ainsi supprimé la production de
la fiche d’état civil et accepté les photocopies, plus aisément falsifiables), ou la priorité
donnée à la rapidité de traitement des dossiers, notamment pour les minima sociaux (l’octroi
de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), par exemple, pour la branche
maladie, ou des prestations Revenu minimum d'insertion (RMI) ou Revenu de solidarité
active (RSA), pour la branche famille, obéit à des calendriers qui privilégient l’urgence
potentielle de l’ouverture des droits à la vérification des conditions qui en gouverne l’accès).
Ces deux priorités, de lutte contre les fraudes et de simplification des procédures, sont
parfois ainsi entrées en conflit, comme le montre un exemple pour la branche retraite.
ii)
l’exemple des justificatifs pour départs anticipés en retraite.
Prévue par l’article 23 de la loi du 21 août 2003, la possibilité de départ anticipé pour
carrière longue prévoyait la possibilité de reconstituer les carrières de manière simplifiée. Les
trimestres susceptibles d’être acquis, par régularisation de cotisations arriérées, pouvaient
l’être sur la seule foi d’une déclaration sur l’honneur, avec le concours (simplement écrit) de
témoins choisis selon des modalités très peu contraignantes.
Dans ce contexte, des pratiques frauduleuses ont assez rapidement été constatées et
portées à la connaissance du ministère
8
, dès 2005. Certains assurés tiraient en effet parti du
caractère peu rigoureux des modes de preuve requis pour la régularisation de cotisations
arriérées, établis en l’absence d’instructions ministérielles par lettre-circulaire de l’ACOSS ou
par directives internes au réseau de la MSA.
8. Courrier du 2 décembre 2005 du directeur de la CNAVTS au ministre, suite à un signalement du directeur de
la CRAM de Bourgogne et Franche-Comté de l’existence de « risques de dérives non négligeables tant sur le
plan légal que sur le plan financier ».
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6
Comme la Cour l’a déjà indiqué
9
, en dépit de l’ampleur du recours à ces dispositifs, des
ajustements n’ont été opérés que tardivement, dans le courant de l’année 2008 : une circulaire
du 23 janvier 2008 a limité à quatre le nombre de trimestres qui pouvaient être ainsi acquis.
Un décret du 25 août 2008 a ensuite réformé plus en substance la prise en compte pour le
calcul de la durée d’assurance des périodes régularisées, en l’absence de preuve des
rémunérations alors perçues, sans pour autant éliminer tout risque de fraude
10
. Ce même
décret a également transféré aux Caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) la gestion
de cette procédure.
Les conditions de preuve de l’activité régularisée, à la charge du salarié, ont également été
durcies par la circulaire du 23 janvier 2008 qui a renforcé les exigences relatives à la qualité
des témoins produits. Une deuxième circulaire interministérielle, du 28 août 2009, a encore
accru le contrôle des demandes s'appuyant sur des témoignages afin de limiter le risque de
fraude
11
.
Dans l’intervalle, cependant, une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires
sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur la gestion de ces dispositifs
a estimé que 2 500 à 10 000 fraudes avaient été commises, pour un coût total annuel compris
entre 10 M€ et 45 M€. Plusieurs cas de fraudes internes aux organismes ont en outre été mis
en évidence. Le traitement de ces suspicions de fraudes était toujours en cours, au sein de la
CNAV, début 2010.
iii) des atténuations trop limitées à la simplification des justificatifs
Au-delà de cet exemple et de la question de la valeur des déclarations sur l’honneur, on
perçoit l’antagonisme potentiel entre volonté de simplification pour les usagers et les assurés
et risque de fraude. Dans une réponse aux observations de la Cour, la direction de la sécurité
sociale constatait «
que cette politique de simplification administrative répond à une volonté
politique forte
» et que «
l’équilibre entre la simplification administrative et le développement
des contrôles contre la fraude constitue un des (ses) principaux axes de travail
».
9. Voir RALFSS pour 2009, la durée d’assurance dans le calcul des droits à retraite, p. 319 à 321. De
nombreuses demandes ont été déposées. Au total, selon la CNAVTS, ce sont 125 000 demandes de
régularisations qui ont été faites entre 2004 et 2007, dont 70 % l’ont été dans le cadre d’un départ en retraite
anticipée. La moyenne annuelle de demandes sur la période s’élève à 32 000 demandes par an, sans
comparaison possible avec celle atteinte avant 2004, de l’ordre de 3 000 demandes annuelles environ.
10. Des possibilités de fraude, certes beaucoup plus réduites, demeurent avec le risque de production de faux
justificatifs d’activité.
11. Elle indique notamment que « la production d'une attestation sur l'honneur par un assuré qui ne peut
produire aucune pièce justificative nécessite de faire preuve d'une extrême vigilance et de prévoir après la
présentation de la déclaration sur l'honneur un contrôle du contenu des déclarations souscrites par l'assuré. Le
demandeur doit notamment être invité au cours de l'entretien préalable à indiquer si les rémunérations tirées de
l'activité professionnelle en cause ont été à l'époque déclarées à l'administration fiscale et à produire le cas
échéant l'avis d'impôt sur le revenu ou la copie de la déclaration des revenus correspondant(e). Dans
l'hypothèse où l'assuré ne serait pas en mesure de produire ces documents, l'agent chargé de l'instruction du
dossier peut interroger l'administration fiscale dans les conditions prévues à l'article L.114-14 du code de la
sécurité sociale. »
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L’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale (issu de la LFSS pour 2006), relatif à la
production de pièces justificatives pour l’attribution des prestations sociales, traduit bien la
difficulté de cet équilibre. Il prévoit notamment la possibilité de suspendre le délai
d’instruction des demandes, voire le versement des prestations, lorsque les pièces produites ne
sont pas suffisantes.
La question posée est en effet importante : selon la DSS
12
, «
les signalements aux DRASS
des cas de fraudes détectées par les organismes de sécurité sociale montrent que près 46 %
des fraudes sont commises au moyen de fausses déclarations ou de production de fausses
pièces justificatives
».
Ce délai de suspension permet, en premier lieu, de procéder aux vérifications rendues
possibles par des échanges de données. Selon la circulaire récente du 9 décembre 2009
13
, les
organismes doivent limiter au strict nécessaire les demandes de pièces justificatives
directement auprès des assurés et parallèlement mettre en place des échanges d’informations
avec les autres organismes et les administrations. Les fichiers de celles-ci sont par nature
moins sujets à falsification que des documents sous forme papier ou électronique.
La circulaire ne définit pas cependant la notion de pièce justificative complémentaire
susceptible d’être demandée
14
(notion qui n’est d’ailleurs pas mentionnée dans l’article
L.161-1-4). Elle indique simplement qu’une telle demande peut être justifiée lorsque
l’organisme a un doute sur l’authenticité de la pièce produite ou la sincérité des déclarations
souscrites ou bien qu’il dispose d’informations sur la situation du demandeur qui le
conduisent à une vigilance accrue.
Cette faculté paraît en effet souhaitable. Mais elle reste étroitement encadrée par les
dispositions antérieures et en particulier par l’article 3 du décret du 26 décembre 2000, qui
entoure la demande de documents originaux d’un formalisme propre – voire destiné – à la
dissuader
15
. Toute demande de pièce originale doit être motivée (ce qui peut être délicat dans
le cas de suspicion de fraude) et faite par lettre recommandée (ce qui est lourd et coûteux,
pour des prestations parfois de faible montant unitaire). Il conviendrait donc de simplifier
cette procédure et d’étudier la possibilité d’un accès plus aisé à des pièces authentiques, en
cas de nécessité.
En cas de suspicion sérieuse de fraude, les organismes prestataires devraient pouvoir
demander plus facilement la présentation de documents originaux, leur permettant de
s’assurer de la véracité des informations fournies.
12. Bilan des fraudes signalées à la tutelle pour 2008. Cette procédure n’intègre pas toutes les fraudes ou
tentatives, dans la mesure où certaines peuvent ne pas être signalées.
13. DSS/2009/367.
14. Même si elle distingue la procédure générale d’instruction et celle spécifique aux procédures de détection de
fraudes, ex post, qui sont effectuées en application de l’article L 114-19.
15. En cas de doute sur la validité de la photocopie produite ou envoyée, les administrations peuvent demander
de manière motivée par lettre recommandée avec une demande d'avis de réception la présentation de l'original.
Les procédures en cours sont suspendues jusqu'à la production des pièces originales.
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8
2. Des outils renouvelés
La priorité nouvelle reconnue à la lutte contre la fraude s’est traduite par le renforcement
des outils mis à la disposition des caisses, outils juridiques et techniques étendant la capacité à
agir des organismes.
a) Une capacité juridique accrue par diverses dispositions législatives nouvelles
i) l’adoption de nombreuses dispositions nouvelles
Dès avant 2006, était déjà perceptible l’effort pour adapter « l’arsenal » législatif et
réglementaire, conduisant à renforcer les outils de la lutte contre la fraude. La loi sur
l’assurance maladie du 13 août 2004 a ainsi renforcé les pouvoirs de détection et de sanction
des directeurs de Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).
Mais un sensible accroissement des dispositions nouvelles est observé depuis fin 2006.
Plusieurs séries de dispositions ont été prises en lois de financement de la sécurité sociale
(LFSS) et une section spécifique a même été introduite dans ces lois, à partir de la loi pour
2008. Les dispositions du code de la sécurité sociale relatives à la lutte contre la fraude ont
été, au total, profondément rénovées, puisque plus de 30 articles ont été adoptés : 13 dans la
LFSS pour 2008, 10 dans celle pour 2009, 7 encore dans celle pour 2010. Elles sont
regroupées dans un chapitre particulier du code de la sécurité sociale.
En réalité, le nombre de dispositions nouvelles dans la LFSS peut apparaître comme un
« indicateur » d’autant plus approximatif que, très souvent, les articles nouveaux corrigent à la
marge des dispositions adoptées les années précédentes (ainsi, dans la dernière loi de
financement, trois dispositions amendent des dispositions promulguées au cours des deux
années précédentes). A l’inverse, certaines dispositions proviennent d’autres lois (du 13
février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi par
exemple).
Une analyse qualitative est donc indispensable pour apprécier les dispositifs prévus dans
le code de la sécurité sociale destinés à détecter et sanctionner les fraudes. De cette revue
générale, on peut retenir deux évolutions essentielles :
ii)
une diversification des sanctions
Les lois successives ont défini une gamme diversifiée de sanctions graduées. La sanction
de la fraude était jusque là définie, aux termes de l’article L 114-13 déjà cité par une peine
d’amende correctionnelle. La loi du 13 août 2004 a institué pour la branche maladie une
gamme de mesures administratives - avertissement et mise en garde, mise sous accord
préalable, pénalités financières - à l’encontre des fraudeurs, mais aussi pour sanctionner les
abus persistants, les deux notions n’étant pas distinguées dans les multiples cas qui peuvent
justifier des pénalités
16
. La loi de financement pour 2009 a assoupli les procédures préalables
et renforcé le quantum de sanctions pouvant ainsi être prononcées.
Pour les deux branches famille et retraite, la loi du 19 décembre 2005 a ensuite transposé
ce système de pénalités, en visant les diverses modalités de fraudes (ce qui inclut d’ailleurs
aussi le défaut de transmission des données actualisées, lorsque celui-ci induit le versement de
16. Voir infra.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
9
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
prestations indues
17
). Le décret n° 2006-1744 du 23 décembre 2006, codifié dans les articles
R 114-10 et suivants, précise la procédure à suivre par les organismes, les délais, les recours
ainsi que les montants des pénalités. Enfin, des dispositions très récentes (en LFSS pour 2010)
ont adapté ce dispositif, en le diversifiant et en le simplifiant.
Dans la branche famille, en outre, un dispositif spécifique a été introduit afin de suspendre
le versement des aides au logement en cas de fraude.
Ainsi, à l’image de ce qui existe depuis fort longtemps en matières fiscale ou douanière, la
lutte contre la fraude aux prestations sociales dispose d’une nouvelle catégorie de sanctions,
sous la forme de pénalités administratives qui complètent l’éventail des sanctions
traditionnelles, en étant plus rapides et plus dissuasives, pour des cas de « petites fraudes ».
iii) une extension des pouvoirs d’accès aux informations
Une deuxième orientation inspire plusieurs dispositions législatives nouvelles, celle de
faciliter les échanges d’informations entre les différents services.
Ces échanges étaient longtemps restés assez réduits, notamment du fait des réticences de
la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) à l’égard de la constitution de bases
de données trop larges et permanentes. Or de tels échanges sont indispensables pour permettre
de vérifier les informations déclaratives ou pour permettre de caractériser le recours à des
faux documents.
Entre autres évolutions, l’adoption de la loi du 6 août 2004 modifiant la loi du 6 janvier
1978 dite « informatique et liberté » a permis de développer plus largement les traitements
informatiques, notamment quand ils impliquent l’usage du numéro d’identification au
répertoire (NIR).
Plusieurs dispositions ont contribué à assouplir ou à lever les interdits liés au secret
professionnel. Le droit applicable aux organismes de sécurité sociale, pour ce qui concerne la
détection des abus ou des fraudes, s’est ainsi rapproché de celui applicable aux services
fiscaux. De multiples dispositifs ont été introduits dans le droit, dans la mesure où des articles
distincts posent des principes généraux (ainsi un article lève le secret professionnel à l’égard
des personnels des caisses), tandis que d’autres les déclinent pour les échanges spécifiques
entre les différentes catégories d’administrations (organismes sociaux entre eux, relations
avec la justice, avec le fisc, échanges de données, etc.).
iv) des échanges à sécuriser, un arsenal juridique à simplifier
Ces articles peuvent paraître en partie redondants : pourtant, selon un bilan des efforts
menés par les services chargés dans les organismes de sécurité sociale (OSS) de la lutte contre
la fraude, dans le cadre des comités locaux (voir infra), la principale difficulté opérationnelle
signalée est l’obstacle que constituerait encore le secret professionnel. Il n’est pas évident que
les réticences signalées ici ou là tiennent au cadre légal, elles peuvent s’expliquer également
par le caractère récent des dispositions nouvelles et par le temps nécessaire pour bâtir des
relations de confiance entre services.
17. « L'inexactitude ou le caractère incomplet des déclarations faites pour le service des prestations versées par
les organismes chargés de la gestion des prestations familiales ou des prestations d'assurance vieillesse, ainsi
que l'absence de déclaration d'un changement dans la situation justifiant ces prestations, ayant abouti au
versement de prestations indues, peut faire l'objet d'une pénalité » (article L 114-17 du CSS). Les différents cas
de figure sont détaillés dans l’article R110-13 du CSS.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
10
Pour autant, le document de synthèse établi au plan national à partir des remontées
départementales pose ainsi la question d’une nouvelle disposition législative, visant à mieux
sécuriser les échanges. La DNLF a préparé un texte visant à compléter les dispositions
antérieures, pour permettre plus largement aux services de l’Etat de communiquer les
informations qu’ils détiennent aux organismes sociaux : un tel article permettrait par exemple
aux services de police, lorsqu’ils découvrent des revenus occultes, ou qu’ils caractérisent
l’usage de faux papiers, d’en faire part aux organismes sociaux.
Le risque paraît cependant « d’empiler » des dispositions redondantes, alors même que les
mesures récentes resteraient mal connues, pour partie en attente des textes d’application
réglementaires, pour partie encore insuffisamment déclinées en circulaires, dès lors encore
inégalement appliquées par les organismes locaux. L’objectif d’affichage ou la crainte que la
diminution du flux de mesures nouvelles soit interprétée comme un relâchement de l’effort
gouvernemental contre la fraude ne peuvent suffire à justifier une telle inflation législative.
Le guide établi par la DSS, en décembre 2009, sous l’intitulé de « guide pratique de la
réglementation en matière de lutte contre la fraude sociale » identifie ainsi six articles
législatifs pour les échanges de données entre organismes de sécurité sociale, dix articles pour
les échanges avec l’administration fiscale (dont huit non cités dans le précédent point), six
(non précédemment cités) pour les échanges avec des tiers
18
. Plus que l’embarras du choix, le
guide traduit ainsi le caractère à chaque fois délimité des autorisations données.
On comprend dès lors, selon les documents de synthèse établis par les caisses nationales
(et notamment par la CNAF
19
), que les organismes de base s’avouent gênés par la multiplicité
des supports juridiques qui autorisent des échanges, supports ainsi cloisonnés selon l’origine
et la destination des flux.
Il paraîtrait dès lors souhaitable de procéder à une remise à plat du droit désormais
constitué, peut-être avec une rédaction plus large, plus simple, allant dans le sens du projet
préparée par la DNLF, qui autorise de manière générale les échanges de données pourvu
qu’ils contribuent à la lutte contre la fraude. C’est d’ailleurs une habilitation de ce
type,
simple
et
large,
qui
existe
pour
les échanges de données en matière de lutte contre les
fraudes aux prélèvements
20
. Mais, en complément, il conviendrait de supprimer les
dispositions antérieures devenues obsolètes ou inutiles (ce que le projet ne fait pas), puisque
la disposition nouvelle peut se substituer à nombre de dispositions actuelles.
18. Le guide décrit en outre les nombreuses dispositions spécifiques applicables aux professions non salariées et
au régime agricole, le plus souvent transposées de celles applicables au régime général. C’est également une
rubrique distincte qui énumère les dispositions applicables aux « obligations de transmission d’informations
incombant aux OSS », notamment pour les prestations d’aide sociale, ou encore aux contrôles et échanges
d’informations opérés à l’étranger.
19. Voir en ce sens le bilan des actions contre la fraude pour 2007.
20. La comparaison doit cependant être relativisée : pour les fraudes aux prestations, on admet une asymétrie
dans l’usage des informations. Les données recueillies par les organismes sociaux ne sont pas nécessairement
portées à la connaissance des services de l’Etat, notamment pour ce qui concerne le contrôle de la régularité
des séjours.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
11
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Sans exclure l’adoption de mesures nouvelles encore éventuellement nécessaires, il
appartient aux administrations de tutelle de procéder à une mise à plat de l’ensemble du
dispositif législatif et réglementaire désormais constitué, de veiller à la cohérence des
dispositions successives et de rechercher une simplification du cadre juridique de la lutte
contre la fraude.
v)
une clarification des textes disponibles pour les services opérationnels
Dans la mesure justement où nombre de ces dispositions sont très récentes, il est encore
tôt pour en évaluer la portée et l’efficacité. Souvent, leur mise en oeuvre dans les organismes
demande en effet des décrets, puis des circulaires d’application diffusées par les caisses
nationales. Or la préparation de ces textes, puis leur « appropriation » par les services dans les
caisses peuvent prendre du temps. L’entrée en vigueur des dispositions nouvelles signalées
s’en trouve reportée d’autant, ces nouveaux moyens n’entrant ainsi véritablement en vigueur,
dans la pratique, que progressivement.
D’après la DSS, la traduction des dispositions législatives en textes réglementaires puis en
circulaires avance de manière assez rapide. Ainsi les dispositions de la LFSS pour 2009,
relatives aux pénalités financières graduées dans le cas particulier de la branche maladie, ont
été complétées par un décret du 20 août 2009. Même dans de tels cas, des éléments de
complexité peuvent être parfois notés. Ainsi, la branche maladie signale qu’une autre
disposition législative voisine est intervenue, dans le cadre de la loi dite HPST (Hôpital,
patients, santé, territoires), le décret d’application correspondant n’étant paru que début
janvier 2010. Or les deux textes devaient être présentés ensemble, ce qui a impliqué des délais
accrus pour l’envoi d’une circulaire (ou « lettre réseau ») aux CPAM.
En outre, dans certains cas, la procédure est plus lente, en particulier lorsqu’il convient au
préalable d’obtenir un avis de la CNIL, par exemple pour la mise en oeuvre du répertoire
national commun de la protection sociale (cf. infra). Le décret d’application de la disposition
législative, votée en loi de financement pour 2007, a été publié en décembre 2009.
Dans un cas au moins, un texte réglementaire est encore en attente, pour ce qui concerne
la mise en oeuvre de l’article L 162-15-1 du code de la sécurité sociale (complété par l’article
104 de la LFSS pour 2007) qui prévoit une possibilité pour les CPAM de suspendre les effets
de la convention lorsque la violation des engagements prévus par ce document est
particulièrement grave ou qu'il en résulte pour l'organisme un préjudice financier.
Il serait donc utile qu’un tableau périodique (par exemple annuel) récapitule l’état
d’avancement des différents textes d’application encore attendus et signale en particulier les
circulaires prises par chaque régime ou chaque branche pour les porter à la connaissance des
organismes de base. Un tel suivi d’ensemble n’existe pas, à l’heure actuelle, ni aucune
obligation
21
pour les caisses nationales de transmettre aux tutelles les circulaires (ou « lettres
réseau ») qu’elles adressent aux caisses de base pour traduire les dispositions nationales.
Certes, la réunion trimestrielle d’un « comité de pilotage » sur la lutte contre la fraude,
associant la DSS, la DNLF, les caisses nationales du régime général et les deux régimes
associés, permet d’interroger les caisses nationales en tant que de besoin. Selon un procès
verbal de 2008, les caisses nationales déclarent avoir procédé aux envois utiles sans autres
précisions. Une procédure plus systématique de communication des lettres réseau à la tutelle
21. Selon la DSS, la demande faite en ce sens par les tutelles n’a pas été suivie d’effet.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
12
paraîtrait cependant opportune, dans la mesure où elle permettrait de dresser un tableau de
bord exhaustif de la traduction en dispositifs opérationnels, dans les caisses de base, des
mesures législatives adoptées.
Avec des outils de ce type, on pourrait progressivement passer d’une phase de mise en
place effectuée par accumulation de dispositions, à une deuxième phase de mise en ordre de
l’ensemble juridique nouveau désormais construit.
Il conviendrait que la DSS établisse périodiquement un bilan exhaustif de l’ensemble
des mesures législatives et réglementaires désormais à la disposition des caisses, en indiquant
en regard des textes législatifs les textes réglementaires et les circulaires d’application des
tutelles ou des caisses nationales.
b) Un accès accru aux données, en particulier par d
es outils informatiques renouvelés
i)
des procédures nouvelles d’acquisition de données individuelles
Les croisements de fichiers sont les formes les plus efficaces d’utilisation des données
fournies par des organismes tiers, dans la mesure où cette procédure est adaptée à des
traitements de masse, très utiles pour détecter des anomalies.
D’autres formes nouvelles de communication des données doivent également être
signalées, même si elles correspondent plutôt au travail de mise en évidence d’une suspicion
de fraude déjà détectée.
Le droit de communication des informations individuelles en réponse à une interrogation
des organismes sociaux a été étendu. Ainsi, vis-à-vis des commerçants, des employeurs ou
des organismes bancaires. Dans ce dernier cas, le droit d’accès (sur requête individualisée) au
fichier dit FICOBA est considéré comme un outil très précieux.
Selon la circulaire relative à la maîtrise des risques de la branche famille (de 2009), ces
demandes d’informations bancaires sont «
source parfois de difficultés ponctuelles
». De
même, les bilans des actions dans la branche retraite signalent dans certaines caisses
l’abandon de cette procédure, en raison du refus opposé par certaines banques
22
. Toutefois,
selon les bilans de plusieurs comités locaux de lutte contre la fraude, l’établissement préalable
de relations de confiance entre les responsables des organismes et ceux des agences bancaires
sollicitées permettrait de faire valoir ce droit nouveau dans de bonnes conditions et avec une
réelle efficacité.
Parmi les outils nouveaux, la procédure dite « de l’évaluation du train de vie », étendue
par la loi de financement pour 2007 à la branche famille (elle existait déjà pour le fisc) vise à
répondre à quelques situations marginales dans lesquelles jusqu’à présent le droit aux
prestations et au RMI en particulier ne pouvait être refusé. Elle s’applique au RMI (RSA), à la
prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) prestation de base, au complément familial et à
l’allocation de rentrée scolaire.
22. Les demandes portent dans certains cas sur des tiers, susceptibles d’encaisser des pensions après le décès
des titulaires. Plusieurs banques refusent, dans ces cas, l’accès aux informations, considérant qu’il n’est pas
inclus dans le périmètre autorisé aux organismes.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
13
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Selon la circulaire précitée relative à la maîtrise des risques, «
les bilans réalisés au cours
de l’année 2008 n’ont pas révélé de cas de mise en oeuvre effective de l’évaluation du train de
vie. La nouveauté de cette mesure, la procédure relativement contraignante, la difficulté à
évaluer les éléments de train de vie peuvent expliquer cette situation. Sept cas à notre
connaissance ont néanmoins été révélés, dont deux récents qui le cas échéant peuvent aboutir
à une évaluation. Il s’avère toutefois que la mesure présente un intérêt certain en dissuadant
certains usagers de déposer ou maintenir une demande, ou en provoquant en toute hypothèse
un arrêt des droits du seul fait du montant des revenus mis à jour.
»
ii)
des accès nouveaux à des données de masse
Pour ce qui concerne l’accès aux informations et les croisements de fichiers,
l’autorisation, législative ou réglementaire, doit être mise en oeuvre par des développements
informatiques soumis à l’avis ou à l’autorisation de la CNIL. C’est pourquoi un examen
particulier des progrès déjà réalisés ou en cours paraît indispensable, en distinguant ce qui
relève de la création de nouveaux fichiers et ce qui relève de croisements de données déjà
disponibles. Le bilan, tel qu’on peut le dresser à fin 2009, peut être présenté par catégories
d’outils.
La constitution de nouveaux fichiers :
-
un fichier national des bénéficiaires (RNB) a été réalisé par la branche famille, dès
2008. Il devait être pleinement opérationnel à partir de 2009, ce qui constitue un
progrès majeur pour la branche. Ce fichier permet en effet de détecter des doublons
d’allocataires inscrits dans deux caisses d'allocations familiales (CAF) différentes
23
. Il
ne permet pas toutefois d’étendre cette vérification aux cas éventuels de doublons
entre caisses de mutualité sociale agricole (CMSA) et CAF
24
.
-
un fichier national des assurés est en cours de constitution, dénommé « répertoire
national commun de la protection sociale » (RNCPS). Il habilite l’ensemble des
régimes à consulter des données partagées, rendues accessibles grâce au fichier géré
par la CNAV, le système national de gestion des identifiants (SNGI).
Un décret du 16 décembre 2009 précise la disposition législative qui a autorisé la création
de ce fichier. Codifié sous l’article R. 114-19, il en définit les objectifs et, parmi « quatre
finalités », précise qu’il devrait « (
2°) améliorer l’appréciation des conditions d'ouverture, la
gestion et
le contrôle des droits et prestations des bénéficiaires de la protection sociale
,
notamment par : l'identification des bénéficiaires et ressortissants, par l'information des
organismes habilités sur l'ensemble de leurs rattachements, droits et prestations de leurs
ressortissants et par l’aide apportée à ces organismes pour
la détection de droits et
prestations manquants ainsi que des anomalies et des fraudes
».
Ce fichier, géré par la CNAV, autorisera un nombre important d’organismes des régimes
de base à vérifier lors de l’instruction des dossiers de prestation, les droits déjà ouverts pour
d’autres prestations. On peut même envisager, pour certaines prestations, des contrôles
automatiques bloquants. Bien entendu, pour des raisons de confidentialité, ne figureront au
dossier que des mentions génériques des droits ouverts et non pas le détail des montants. Les
droits d’accès aux données pourront être, en outre, plus ou moins étendus, selon le motif
23. Bien entendu, tous les doublons générés ne sont pas nécessairement frauduleux ; certains peuvent tenir aux
lenteurs des procédures de radiation.
24. Voir le rapport de certification des comptes de la branche famille pour 2007, p 93.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
14
(ainsi les collectivités territoriales, gestionnaires de l’aide sociale, seront habilitées à
consulter, mais de manière moins étendue que les caisses de sécurité sociale).
Les traitements restent cependant à développer, même s’ils ont été précisés dans le dossier
d’autorisation soumis à la CNIL.
Selon la CNAV, l’extension des usages du SNGI rendra encore plus nécessaire le
renforcement des contrôles exercés, lors du premier enregistrement du NIR et notamment
lorsqu’est attribué un numéro d’identification d’attente (NIA). Aucune présence physique
n’est exigée actuellement et la création d’identifiants est autorisée sur simple présentation de
photocopies ; de même, les règles de gestion des numéros d’attente seraient peu exigeantes,
en l’absence de durée maximale de validité par exemple.
-
Un traitement de données à caractère personnel dénommé « échanges inter-régimes de
retraite » a été mis en place par le décret n° 2009-1553 du 14 décembre 2009, à titre
transitoire car il est appelé à disparaître en 2014 au profit du RNCPS. Ce répertoire
doit permettre aux organismes de retraite d’apprécier les droits à la majoration de la
pension de réversion, de recentrer le minimum contributif, de revaloriser les pensions
servies aux exploitants agricoles mais également de simplifier les démarches des
assurés grâce à la mise en commun d'informations liées à leurs pensions.
En revanche, dans sa circulaire technique, la CNAV rappelle que les finalités autorisées
par la CNIL se limitent au calcul de la majoration de la pension de réversion et que les
données collectées ne doivent pas être utilisées à d’autres fins, telle que la révision
d'avantages soumis à une condition de ressources et servis par le régime général (exemple :
allocation de solidarité aux personnes âgées - pension de réversion). Dans ce cas précis
cependant, on peut regretter que les finalités visées n’aient pas été étendues aux fins de lutte
contre les fraudes par sous-déclaration des revenus (dans les cas justement de prestations
versées sous condition de ressources « tous régimes »). Une telle extension est d’ailleurs
désormais envisagée par la CNAV.
Des reprises de données entre administrations
Deuxième évolution importante, les CAF reçoivent depuis fin 2008 les déclarations
fiscales de revenus de tous les allocataires. Cet échange avec l’administration fiscale a permis
de mettre fin, en grande partie, aux recoupements antérieurement effectués par croisements
annuels de fichiers et qui révélaient de nombreux écarts (plus de 200 000 cas par an, pour
lesquels les revenus fiscaux déclarés excédaient ceux déclarés aux CAF). Certes, une partie de
ces écarts n’avaient pas d’incidence sur le calcul des droits mais d’autres se traduisaient par
des indus, évalués ainsi à 337 M€ pour 2007
25
. Il est très probable qu’une partie de ces écarts
résulte d’une sous-déclaration qui pourrait dès lors être qualifiée de frauduleuse.
Selon la CNAF, «
l’acquisition automatisée des ressources auprès de la DGI depuis fin
2008 a permis de disposer d’informations sécurisées par le fisc tout en simplifiant les
démarches des allocataires, et de réduire les indus ».
25. Les suites données à ces indus, potentiellement frauduleux pour une part, se sont d’ailleurs avérées
insuffisantes, du double point de vue de la caractérisation et des sanctions (ainsi qu’il sera développé infra).
COUR DES COMPTES (avril 2010)
15
Des croisements de fichiers périodiques :
Outre ces outils structurants, de nombreux croisements de fichiers sont désormais prévus
au plan national, quelques uns (mais rares, en réalité) déjà opérationnels, les autres en cours
de mise en oeuvre ou simplement encore expérimentés ou envisagés.
On peut signaler ici les chantiers les plus significatifs, par branche :
-
pour la
branche
maladie
, les croisements de fichiers prévus ne sont pas encore
opérationnels :
•
les services fiscaux vont fournir aux OSS la liste des personnes qui ont déclaré ne
plus résider en France (et qui bénéficient à ce titre d’une exonération de l’impôt sur
le revenu), afin qu’ils ne bénéficient pas simultanément de prestations versés sous
condition de résidence (CMU et CMUC). Le décret nécessaire à cet effet est
intervenu, en date du 26 octobre 2009,
« autorisant la création d’un traitement de
données à caractère personnel relatif au contrôle de la condition de résidence des
ressortissants du régime général d’assurance maladie
», alimenté à partir du fichier
des« non-résidents » de la DGFiP.
•
selon le bilan 2008 de la CNAMTS, un second échange, mené à titre
expérimental, est relatif aux revenus des bénéficiaires de la CMU de base et
complémentaire. Une expérimentation consiste à mettre en oeuvre dans quatre caisses
primaires d’assurance maladie un transfert de données relatives aux ressources
déclarées à l’administration fiscale, afin de vérifier la concordance (ou la cohérence
en matière de CMU complémentaire) avec les éléments déclarés à la branche
maladie.
•
est également envisagé un autre échange relatif aux fraudes potentielles
concernant les retraités de 85 ans et plus qui seraient bénéficiaires d’une ouverture de
rente accident du travail (avec, dès lors, une suspicion de fraude).
-
pour la
branche
retraite
, est en cours, comme pour la branche maladie, un croisement
avec les services fiscaux de données relatives à la résidence. Ce traitement parallèle à
celui de la CNAMTS est utile notamment pour le minimum vieillesse. Il a lui aussi été
autorisé par la CNIL, le14 mai 2009, mais le décret n’est pas pris.
•
un autre traitement voisin, puisqu’il résulte d’échanges de données avec la
DGI, est fondé sur la comparaison entre les taux différenciés de la CSG due sur
les pensions et les bénéficiaires des minima de pension.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
16
-
pour la
branche famille
, seuls deux croisements sont opérationnels :
•
les données relatives aux revenus font l’objet d’un croisement avec celles de
Pôle emploi, en vue de l’appréciation des revenus pour le calcul du RSA
26
;
•
les données relatives à la résidence font l’objet d’un échange avec la DGFiP.
Plusieurs traitements et croisements sont envisagés :
•
le plus productif d’après la CNAF serait le croisement des données relatives
aux enfants scolarisés, qui permettrait de connaître notamment les enfants ou
adolescents en « décrochage scolaire », ou encore les enfants qui ne séjournent
plus en France. Mais un tel croisement en est encore aux travaux exploratoires, en
l’absence d’un fichier national unifié des élèves, du côté de l’éducation nationale ;
•
de même, un croisement entre les fichiers de la DGFiP et celui des aides au
logement est programmé, permettant de vérifier la réalité du bail qui justifie les
aides,
•
est également en projet un croisement avec les données de la CNAMTS, pour
vérifier que les revenus déclarés à la CNAF intègrent bien les indemnités
journalières (IJ) et les pensions d’invalidité (notamment en vue du calcul de
l’allocation d’adulte handicapé).
-
pour
l’ensemble des branches
, un croisement est envisagé depuis plus de dix ans
entre les données du ministère de l’intérieur et celles des organismes, pour la
vérification des identités : le fichier dit « AGEDREF » (application de gestion des
dossiers des ressortissants étrangers en France) du ministère de l’intérieur, qui
centralise les données sur l’identité et la régularité du séjour des étrangers, pourrait
être consulté, par les caisses, en cas de doute, au moyen d’une transaction intranet
sécurisée. En cas d’absence dans le fichier, le demandeur devrait se rapprocher des
services préfectoraux, pour rétablir son droit éventuel.
Là encore, des croisements périodiques sont également concevables, pour validation des
fichiers des organismes. Au cours de l’enquête, la Cour a cherché à évaluer le risque de fraude
à l’identité, à partir d’un échantillon de 1 000 dossiers de prestations familiales, qui a révélé
un seul cas frauduleux. L’échantillon est trop faible toutefois pour que le résultat puisse être
considéré comme fiable. Néanmoins, comme le signale la CNAF elle-même, dans la
circulaire précitée, «
le résultat n’est pas négligeable car le risque de fraude (à l’identité)
détectée, toutes fraudes confondues, est d’environ une fraude pour 1 700 allocataires
», ce
qui justifierait (pour ce critère) des vérifications périodiques d’échantillons de dossiers.
iii)
des relations avec la CNIL encore complexes
Certains des projets en cours ont fait ou font encore l’objet d’un examen par la CNIL. La
DSS a d’ailleurs décidé «
de mettre en place une centralisation des projets et d’établir
conjointement avec la CNIL un tableau de bord de suivi des projets
». Mais les travaux
préparatoires menés en ce sens avec la CNIL n’ont toujours pas débouché, après plusieurs
mois, voire années, de discussions techniques. Une actualisation des traitements (il existe un
état désormais un peu ancien, établi à fin 2006) a bien été transmise à la CNIL par la DSS,
mais n’est pas encore validée.
26. Ces traitements seraient d’ailleurs complexes et auraient connu des dysfonctionnements, selon la CNAF.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
17
La convention déjà évoquée, signée en avril 2008 entre les administrations et organismes
parties prenantes de la lutte contre la fraude, prévoyait pourtant une centralisation des
informations sur les traitements décidés et en cours. Au delà de l’actualisation ponctuelle que
vient d’établir la DSS, il conviendrait de procéder à une actualisation périodique, par exemple
annuelle.
Dans nombre de cas, des demandes sont faites mais ne recueillent pas de réponse : ainsi
pour la constitution d’une base interne à la branche famille retraçant l’ensemble des fraudes
passées. Malgré plusieurs relances, la CNIL n’a pas indiqué quelle serait sa position. Il en est
de même pour des demandes de requêtes transmises par la CNAF et la CNAV et restées sans
réponse ou traitées tardivement.
Sur ce point, la réponse donnée à la Cour par la CNIL est qu’une autorisation préalable
n’est pas indispensable pour de telles requêtes sur des bases de données existantes et internes
à une branche. Pour des raisons de sécurité juridique, les organismes chercheraient cependant
une forme d’assurance, leur permettant de bien marquer dans leurs rapports avec les usagers
et surtout les fraudeurs potentiels que la procédure a été régulière. Les réunions de travail
organisées entre les branches et la CNIL semblent en outre attester que des autorisations sont
bien nécessaires, ne serait-ce que dans le cadre du suivi des autorisations antérieures.
Enfin, les retards pris dans le dossier déjà signalé AGEDREF proviendraient, selon les
administrations, des contraintes excessives envisagées par la CNIL notamment pour
l’utilisation des données en provenance des organismes par le ministère de l’intérieur. Selon
la CNIL, au contraire, c’est l’instabilité des demandes de l’administration qui a provoqué les
retards et même l’abandon de la demande initiale. Le relevé de conclusion de décembre 2009
de la révision générale des politiques publiques (RGPP) a cependant à nouveau inscrit ce
dossier comme priorité opérationnelle.
Ces divers exemples montrent qu’au-delà du seul tableau de bord de suivi des
croisements, une revue périodique des informations demandées par la CNIL (dans le cadre
d’un simple suivi, d’une notification ou d’une autorisation formelle) devrait être instituée. La
CNIL, qui a souligné qu’elle souhaitait ne pas constituer un obstacle à la lutte contre la
fraude, pourrait ainsi aider les organismes et les branches à surmonter la complexité réelle des
différentes procédures instituées.
La désignation au sein de la CNIL d’un référent unique chargé de suivre les dossiers de
lutte contre les fraudes et la désignation de correspondants de la CNIL au sein des caisses
nationales ont déjà permis d’améliorer le dialogue sur les traitements envisagés. D’autres
progrès pourraient encore être imaginés, notamment une meilleure sécurisation des
procédures, par une identification précoce de la procédure suivie (selon les cas, le silence de
la CNIL vaut autorisation tacite ou au contraire rejet tacite).
Ce suivi pourrait également permettre de mieux appréhender le régime juridique
applicable lorsque des traitements voient certains de leur paramètres modifiés ; ou de
distinguer les traitements réalisés à titre expérimental, ou sur échantillons afin d’en tester au
préalable l’utilité relative, au regard des coûts et des contraintes d’exploitation.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
18
Il conviendrait d’améliorer encore les outils de dialogue entre les caisses nationales, les
tutelles et la CNIL afin de mieux sécuriser les procédures applicables et de les simplifier
pour les tests sur échantillons.
iv)
un tableau de bord partagé paraît souhaitable
Des progrès évidents et importants ont été réalisés et d’autres, également potentiellement
très significatifs, sont en cours ou envisagés. Cependant, aucun bilan (par exemple annuel)
n’est établi, qui permettrait de faire apparaître :
-
l’état de déploiement des applications, en distinguant le cas échéant par organisme
(certains organismes mettent en oeuvre les traitements, d’autres non, selon leur plan de
charge et leurs capacités internes) ;
-
les traitements proposés ou même expérimentés par certains organismes, auxquels il
n’a pas été encore donné de suite ;
-
les difficultés éventuelles rencontrées, dans les formats ou la périodicité des
échanges ;
-
les suites qui ont été données à ces nouvelles détections (ce qui permettrait de faire
apparaître les éventuelles insuffisances de personnel chargé dans les caisses de leur
exploitation) ;
-
une comparaison entre les estimations initiales, si elles existent, d’abus et de fraudes
potentiellement détectés par les nouveaux traitements, et les constats effectifs.
Ce type de demande rejoint d’ailleurs le souci qu’a exprimé la CNIL
27
sur les modalités
de mise en oeuvre du répertoire national commun de la protection sociale. «
La commission
estime que le ministère devrait établir un bilan annuel sur le RNCPS en partenariat avec la
CNAVTS. Ce bilan, communiqué à la commission, devrait notamment faire apparaître :
-
les améliorations réalisées et prévues en termes de simplification des démarches pour
les assurés ;
-
les résultats obtenus en matière de contrôle et de lutte contre la fraude ;
-
les statistiques d'utilisation du RNCPS ;
-
un descriptif des procédures d'habilitations au sein des organismes partenaires et le
nombre d'agents habilités à consulter le RNCPS ;
-
un descriptif des requêtes préétablies mises en place et à venir (…)
. »
Il conviendrait que soit établi, par exemple dans le cadre du rapport annuel de la DNLF,
un bilan des traitements automatisés et des croisements de fichiers, faisant apparaître les
suites données aux détections nouvelles réalisées.
27. Dans sa délibération « portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat relatif au répertoire national
commun de la protection sociale (RNCPS) ». Le décret lui-même a été pris le 16 décembre 2009.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
19
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
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v)
la définition d’un ordre de priorité pour les traitements envisagés
Un ordre de priorité des traitements à mettre en oeuvre paraît également souhaitable pour
l’avenir, dont la définition pourrait relever plus particulièrement de la DNLF. En effet,
certains traitements, qui sont considérés comme « productifs » potentiellement par les
professionnels des caisses, ne sont pas encore engagés ni même décidés. On peut relever, pour
ne donner que ce seul exemple, le lien entre les indemnités journalières (IJ) maladie et les
prestations minimales servies par les CAF (seulement pratiqué par une CPAM et une CAF). Il
conviendrait qu’un recensement de ces traitements à entreprendre soit effectué.
Selon sa réponse, la CNAF (comme d’ailleurs la CNAV) est en effet demandeur de
données
relatives
aux ressources non fiscalisées des allocataires des CAF
(rentes
d’accident
du travail et d’invalidité, indemnités journalières
28
), afin de compléter les informations
recueillies auprès de la DGFiP (ces ressources sont prises en compte pour le calcul des
prestations, et notamment de l’ allocation adulte handicapé (AAH), de l’allocation de parent
isolé (API), du RMI/ RSA). Or la CNAM se serait montrée jusqu’à présent peu coopérative
sur ce terrain. Ce n’est qu’en novembre 2008 qu’elle a transmis les montants des prestations
versées en 2007, entraînant dans certains cas le calcul d’indus importants auxquels les
allocataires ne peuvent faire face. Seule la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-
France communique ses informations en temps réel aux CAF concernées.
La CNAF s’est efforcée de renforcer également les croisements de fichiers portant sur la
résidence des allocataires. Selon les éléments qu’elle a communiqués, la Poste est en mesure
de fournir à la branche un fichier des personnes n'habitant pas à l'adresse (NPAI) actualisé
régulièrement, utile pour la mise à jour des fichiers des CAF.
L’élaboration d’un programme prévisionnel de mise en place des nouveaux traitements
jugés pertinents et prioritaires paraît donc nécessaire et serait en particulier utile pour
détailler les traitements prévus dans le cadre d’un projet aussi complexe que le RNCPS et
pour déterminer leur ordre de priorité, ainsi que leur éventuelle mise en test sur échantillons.
3. Des dispositions un peu plus exigeantes dans les COG
Une autre traduction de la priorité nouvelle, reconnue à la lutte contre la fraude, est son
inscription dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) passées entre l’Etat et les
caisses nationales. L’article 2 du décret précité du 18 avril 2008, relatif à la lutte contre la
fraude, mentionne d’ailleurs explicitement les COG, en évoquant
« la coordination des
actions menées en matière de lutte contre la fraude (entre autres) entre les services de l’Etat
concernés et les organismes de sécurité sociale, (…)
notamment dans le cadre des
conventions d’objectifs et de gestion
(COG) passées entre l’Etat et les organismes de
sécurité sociale »
De fait, les volets « anti-fraudes », inscrits dans la dernière génération de COG peuvent
paraître plus conséquents que dans les précédentes, au moins pour les deux COG les plus
récentes, passées entre l’Etat et la CNAV et entre l’Etat et la CNAF. L’examen successif de
ces branches, puis de la branche maladie, montre cependant que les engagements pris restent
très prudents, d’une part, et qu’ils ne sont pas liés à des indicateurs plus mobilisateurs,
corrélés à l’intéressement, d’autre part.
28. Celles-ci sont désormais partiellement fiscalisées, y compris pour la branche accidents de travail, ce qui en
améliore la connaissance.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
20
a) La branche famille
i)
les dispositions de la précédente COG et leur appréciation lors de son bilan
Des dispositions existaient déjà dans les COG dites « de 3
ème
génération ». Ainsi, pour la
CNAF, l’article 18 de la COG 2005-2008 était consacré au renouvellement de la politique de
maîtrise des risques et à ce titre la CNAF s’engageait, entre autres, à analyser nationalement les
situations de fraude «
afin de lutter contre celles-ci et d'en renforcer la prévention
». Dans
cette perspective, la CNAF devait mettre en place une mission de lutte contre la fraude, à
échéance de mars 2006 (ce qui a été fait). Il convient également de mentionner l’objectif, prévu
par cette même COG et connexe aux actions contre la fraude, de mettre en place un identifiant
national et un répertoire national des allocataires «
destinés à faciliter le développement de
l'administration électronique, les actions de contrôle et l'accès à une information sur leur
dossier en tout point du territoire
».
Le bilan de la COG, établi par l’IGAS, exprime une appréciation plutôt positive, en
considérant que la forte augmentation du nombre de fraudes détectées traduit le caractère
prioritaire accordé au sujet, «
même si l'interprétation de l'indicateur relatif au montant des
fraudes est malaisée car il n'est pas possible de savoir dans quelle mesure exacte il traduit
l'amélioration de la politique menée plutôt que l'augmentation des fraudes
».
Le rapport mentionnait notamment deux initiatives intéressantes dans la lutte contre la
fraude : la mise en oeuvre de techniques statistiques de ciblage des contrôles des allocataires en
fonction de leur profil de risque
29
et la constitution d’un répertoire des fraudes devant
permettre d'adapter les moyens de contrôle aux différents types de fraudes.
ii)
des dispositions nouvelles en apparence plus volontaristes
Il reste qu’une prise en compte plus explicite de la priorité de lutte contre la fraude était
souhaitable. Un premier changement peut être relevé dans la 4
ème
COG signée au mois d’avril
2009. Le développement de la lutte contre la fraude y fait l’objet d’un engagement particulier
de la branche et ne constitue plus seulement l’un des sous objectifs du renouvellement de la
politique de maîtrise des risques comme dans la convention précédente. Quatre objectifs
spécifiques ont ainsi été fixés :
- améliorer la connaissance du phénomène de la fraude en mettant en place des outils
statistiques permettant de mesurer son importance
30
.
Un indicateur de mesure de la fraude qui permettrait de disposer d’une estimation
nationale des types d’actes commis, prestation par prestation, et de constituer un
tableau de bord indiquant les grandes tendances et leurs évolutions devrait être
élaboré. Il sera construit à partir du contrôle sur place, réalisé à compter de février
2009, chez 10 000 allocataires sélectionnés de manière aléatoire ;
29. Dites de « data-mining » ou d’exploration de données : ensemble de méthodes et de techniques qui permet
d'extraire des informations à partir d'une grande masse de données. Son utilisation permet par exemple d'établir
des corrélations entre ces données et de définir des comportements-type des clients ou ici des assurés.
30. Dans sa réponse au bilan de l’IGAS, la CNAF avait indiqué qu’elle allait mettre en oeuvre au cours du
premier semestre 2009 « une évaluation des risques, en particulier de la fraude, consistant en un contrôle
systématique et global d'un échantillon d'allocataires tirés aléatoirement » dont « les résultats, par
extrapolation, devraient permettre d'approcher tant l'ampleur réelle de la fraude que celle des indus et des
rappels ». Cette opération, désormais réalisée, est décrite infra.
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21
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- mieux détecter les indus frauduleux.
Plus précisément, est prévue la réalisation d’une base nationale dite « Fraudes » qui
remplira trois missions principales : assurer une remontée plus rapide des cas signalés
dans les caisses locales ; envoyer les signalements aux autres caisses et aux autres
branches, en souhaitant une action réciproque de celles-ci lorsqu’elles auront eu elles-
mêmes connaissance de cas de fraudes dans leur propre réseau ; offrir à l’ensemble des
CAF une typologie des fraudes. La création de cette base fait actuellement l’objet
d’une demande d’autorisation auprès de la CNIL qui tarde à répondre ;
- mieux donner suite à la détection des cas de fraude en utilisant notamment les
différentes dispositions existantes telles que la fongibilité dans la récupération des
indus, les sanctions administratives ou les signalements aux partenaires ;
- développer les actions de prévention de la fraude par la formation des agents et par
une information spécifique en direction des bénéficiaires.
En outre, la CNAF s’engage à conduire une étude pour permettre une fongibilité
budgétaire entre les sommes recouvrées dans le cadre du mécanisme des pénalités financières
et le budget de gestion administrative des CAF dans le but de renforcer l’implication des
équipes.
Autre nouveauté par rapport à la COG précédente, plusieurs indicateurs spécifiques
liés à la lutte contre la fraude sont définis :
- le « taux de faits générateurs contrôlés ciblés sur le risque de fraude
31
» : il s’agit du
rapport entre le nombre de contrôles ciblés relatifs à des fraudes présumées ou potentielles et
l’ensemble des faits générateurs contrôlés (hors croisements de fichiers). La cible est fixée à
8,5 % en 2009 ;
- le « taux de détection de fraudes pour 100 000 allocataires » : il s’agit du nombre de
fraudes détectées, pour 100 000 allocataires. Cet indicateur est complété par un indicateur de
progression du montant des fraudes détectées ;
- le taux de fraudes ayant donné lieu à sanction : il s’agit de mesurer la part de fraudes
notifiées ayant donné lieu à une sanction autre qu'un avertissement (rapportée au nombre total
de fraudes notifiées).
iii)
des dispositions en réalité peu contraignantes
Ces engagements constituent un progrès indéniable et donnent une « feuille de route »
assez nourrie. On peut relever toutefois qu’ils ne sont que peu accompagnés d’objectifs
quantitatifs mobilisateurs. Les indicateurs décrits ne sont en effet, pour deux d’entre eux, que
des indicateurs de suivi (ce qui signifie qu’ils ne sont pas assortis de cible quantifiée) ; quant
au troisième, il est présenté à titre transitoire pour la seule année 2009.
En outre, il existe une déconnection surprenante entre ces indicateurs et ceux retenus pour
l’intéressement. En effet, le dernier protocole d’accord relatif à l’intéressement dans les
organismes du régime général de la sécurité sociale, signé le 30 juin 2008 pour une période de
trois ans (du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010), n’intègre que de manière peu
satisfaisante l’objectif de lutte contre la fraude.
31. Il s’agit cependant semble-t-il d’un indicateur transitoire pour 2009.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
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22
Dans l’annexe technique spécifique à la branche famille, qui détaille les modalités de
calcul des parts locale et nationale de l’intéressement pour le réseau, la lutte contre les fraudes
fait bien son apparition, mais seulement au niveau national. Le document indique en effet que,
s’agissant des indicateurs retenus pour le calcul de la part nationale de l’intéressement, les
critères sont ceux retenus pour la part locale des CAF,
« auquel s’ajoute un critère
supplémentaire relatif à la lutte contre la fraude commun à l’ensemble des branches. »
Pour la première année de l’accord (2008), ce critère est en effet commun à l’ensemble
des branches. Pour la branche famille, il correspond seulement à la signature par l’ensemble
des 123 CAF de conventions visant à renforcer la coopération avec les autres acteurs publics.
Il s’agit donc d’une obligation de moyens (aisée à satisfaire et qui peut encourager une
attitude formaliste) pour les caisses locales et non d’une obligation de résultat. Au surplus,
même si une caisse ne prend pas de mesure, sa négligence ne pèsera pas sur son propre
résultat.
Le document précisait que ce critère serait approfondi dans le cadre d’un avenant à établir
dans le cadre de la prochaine COG, puisque le protocole a été adopté avant la signature de la
4
ème
COG. Il ne semble pas cependant que ces aménagements aient déjà eu lieu. De même, la
définition attendue du mode de calcul de l’indicateur de lutte contre la fraude n’est pas
intervenue
32
.
Dernière remarque, enfin, aucun engagement n’est pris en ce qui concerne le nombre de
contrôleurs assermentés, aujourd’hui de 650 environ (voir infra) mais dont la démographie est
d’autant plus inquiétante que la durée de formation de ces agents est longue : selon les
données de la DSS, près du tiers doit partir en retraite d’ici deux ans seulement.
b) La branche retraite
i)
les dispositions de la précédente COG et leur appréciation lors de son bilan
Dans la 3ème COG (pour la période 2005-2008), d’une façon un peu similaire à ce qui a
été noté dans la branche famille, la lutte contre la fraude dans la branche retraite n’avait pas
été dissociée véritablement du dispositif de contrôle interne. Les engagements pris visaient
ainsi à améliorer le contrôle interne en améliorant la qualité de la liquidation, en clarifiant le
rôle du directeur et de l’agent comptable dans le dispositif de contrôle interne, enfin en
développant une stratégie de lutte contre les fraudes. Sur cette question, la caisse nationale
annonçait seulement la diffusion d’une instruction commune du directeur et de l’agent
comptable.
Le bilan de la COG, établi en fin 2008, n’a pas porté spécifiquement sur ces volets du
contrôle interne et de la lutte contre la fraude, dans la mesure où, selon l’IGAS , «
ils ont déjà
fait ou feront l’objet de préconisations dans le cadre des travaux de la Cour des comptes,
ainsi que dans le cadre
de la revue générale des politiques publiques et d’une mission IGF-
IGAS sur les procédures de rachat et de reconstitution de carrière
».
De fait, dans son rapport sur la certification des comptes de la branche pour 2007, la Cour
avait relevé que le bilan 2007 de la lutte contre les fraudes établi par la CNAVTS faisait
apparaître des résultats limités, confirmant que les indus frauduleux demeuraient
imparfaitement recensés et gérés comme tels. En outre, pour la Cour, la politique nationale de
32. Même si l’on déduit logiquement de ce qui précède qu’il pourrait s’agir du pourcentage de CAF ayant signé
une convention.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
23
prévention des fraudes continuait à couvrir un champ partiel. Elle omettait notamment
d’appréhender le risque fort d’absence de révision des droits dans les cas de changement de
situation de leurs titulaires.
C’est
pourquoi,
sans
expertise
complémentaire,
l’IGAS
a
inclus
parmi
ses
recommandations en vue de la COG 2009 - 2013 une recommandation visant à mieux prendre
en compte la maîtrise des risques et la lutte contre les fraudes. L’IGAS recommandait en
particulier que soit inclus un indicateur ciblé sur la lutte contre les fraudes.
ii)
des dispositions nouvelles en apparence plus volontaristes
L’examen de la COG signée en juin 2009 confirme que la branche s’efforce de faire le
choix d’une « politique active » de prévention et de lutte contre la fraude, reposant sur la
vérification de données déclaratives, telles que les ressources ou la résidence, sur le
développement d’échanges d’informations avec ses partenaires, sur la détection, la mesure et
le recouvrement des indus frauduleux. Un plan global annuel de lutte contre la fraude et de
prévention des risques doit désormais décliner cette politique.
En pratique, plusieurs actions plus précises sont d’ores et déjà dessinées dans la
convention, même si la plupart d’entre elles n’apparaissent pas d’application immédiate (la
CNAV prenant parfois la précaution de les assortir d’un horizon assez vague, « à terme ») :
- la réalisation de contrôles à l’étranger (en application de l’article L.114-11 du CSS) ;
- la signature d’accords internationaux avec certains Etats européens pour permettre à
terme des échanges de données ;
- le ciblage des zones géographiques à risques, hors Union européenne, pour
vérification de l’authenticité et de la sincérité des certificats de vie dans le cas de paiement
des prestations à l’étranger ;
- l’individualisation du suivi des indus frauduleux et la mesure de leur recouvrement à
terme, lorsque les outils adéquats seront disponibles.
Ces différentes orientations s’appuieront, selon la CNAV, sur un pilotage rénové. La
structure de pilotage national (chargée de la définition des grandes orientations et de
l’animation du réseau) devrait être renforcée ; l’organisation des cellules « fraude »
réexaminée ; les contrôles et les enquêtes sur place développés, les pratiques harmonisées et
une veille instaurée.
S’agissant des moyens humains dédiés à cette fonction, la CNAV s’engage à accroître le
nombre d’agents, mais «
dans des proportions conformes à la taille du réseau de l’Assurance
retraite et en fonction de la contrainte générale d’évolution des effectifs de la branche
». Etait
cependant prévu le recrutement de 40 agents de contrôle assermentés, dont 20 avant la fin
2009 (le calendrier sera en réalité décalé sur 2010). Le nombre de contrôleurs assermentés, de
17,6 ETP à fin 2009, ferait ainsi plus que tripler, et le nombre total d’agents dédiés à la lutte
contre la fraude, d’un peu moins de 45 dans toute la branche, doublerait presque, ce qui
témoigne de l’importance relative de cet effort (ou de la relative faiblesse des effectifs
jusqu’ici affectés à ces missions).
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24
Outre le renforcement des outils statistiques d’évaluation de la fraude par prestation et
d’actions de formations ciblées, la CNAV prévoit également d’élaborer et de diffuser des
bibliothèques de requêtes. Elle envisage également de recourir à des outils de « data-mining »
(comme la branche famille, avec les mêmes difficultés de mise en oeuvre déjà signalées).
La question des régularisations de carrière, qui a posé comme on l’a vu (cf. supra) des
problèmes importants, fait l’objet d’un point particulier : est prévu l’examen de la recevabilité
des bulletins de salaires, qui pourraient être complétés par d’autres documents «
pour
corroborer la réalité de l’activité invoquée et la perception de salaires à ce titre
». De son
côté, la convention précise que l'Etat «
s'engage à examiner les propositions et préconisations
qui seront issues de cette étude
».
iii)
des engagements très peu contraignants
Comme pour la branche famille, ces engagements constituent un progrès. Le recrutement
de contrôleurs assermentés, engagé début 2010, devrait ainsi permettre de constituer dans
chaque CRAM un socle de service dédié à la lutte contre les fraudes.
Pour autant, les engagements quantifiés ne paraissent pas véritablement contraignants. Un
seul indicateur est retenu, qui ne sera en outre disponible qu’en 2010 : le taux de résorption
des indus frauduleux (il s’agit pour les indus frauduleux sur prestations vieillesse et veuvage,
du rapport entre le montant recouvré et le montant total constaté).
Au regard des engagements cités, cet indicateur apparaît assez décevant, en ce qu’il ne
mesure pas l’efficacité de chaque CRAM dans la détection des fraudes mais plutôt leur
efficacité dans la récupération des indus qui en découlent (cette dernière est un enjeu réel,
mais sans doute second).
Comme pour la branche famille, les indicateurs d’intéressement, arrêtés avant la
négociation de la COG, n’ont pas été revus, alors même qu’ils paraissent très peu
mobilisateurs. Un seul indicateur relatif à la lutte contre la fraude figure en effet dans l’annexe
technique de la branche retraite (adopté comme pour la branche famille lors de la signature du
protocole le 30 juin 2008). Comme dans la branche famille d’ailleurs, il n’est pris en compte
que dans la part nationale, ce qui interdit de discriminer les CRAM sur la base de leurs
résultats respectifs.
La cible retenue est le montant du préjudice financier évité ou constaté lié à une fraude.
Le calcul du préjudice évité
33
Depuis 2007, le bilan financier de la prévention et de la gestion des fraudes de la branche retraite
intègre les préjudices évités : lorsqu’une fraude est constatée, le montant du préjudice que la caisse de
retraite aurait subi en cas de non détection est calculé. Ce montant est ensuite valorisé par exemple
(selon la prestation) sur la durée de perception de la prestation, en fonction de l’âge et de l’espérance
de vie du bénéficiaire (cette durée peut aller jusqu’à vingt-trois ans, durée moyenne totale en France
de service d’une pension). Un tel mode de calcul, malgré sa relative complexité (initialement mal
maîtrisé par certaines CRAM, il a été harmonisé à partir de 2008) permet de mieux mesurer
l’efficacité de l’action préventive et d’en évaluer le bénéfice sur le long terme.
33. Extrait de la lettre d’information « Rendez-vous retraite » n°16 de mai 2008.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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Si le périmètre mesuré peut être admis (à condition que le passage de l’indu constaté à
l’indu évité soit suffisamment rigoureux), le niveau de la cible paraît critiquable. Le seuil de
déclenchement de l’indicateur (qui donne lieu à attribution de points) est particulièrement bas.
Il est en effet fixé à 2,3 M€ par an au plan national, pour un objectif cible de 3 M€.
Ce montant cible a été atteint dès 2007 (la fraude avérée a été évaluée à 1,1 M€ en 2007,
la somme des montants avérés et évités dépassait ainsi de peu 3 M€) et apparaît donc très
insuffisant
34
. Certes, la CNAV indiquait que la cible 2013 et les cibles intermédiaires de cet
indicateur seraient déterminées fin 2009 sur la base d’une étude d’un échantillon d’indus
frauduleux. Les montants devraient donc être réévalués, ce qui n’a pas été fait à ce jour.
c) La branche maladie
i)
les engagements de la COG qui s’achève
Dans la COG signée entre la CNAMTS et l’Etat pour la période 2006-2009, la lutte contre
la fraude est abordée en premier lieu de façon indirecte, à travers une série d’engagements
destinés à mieux «
contrôler le périmètre de prise en charge
». Il est ainsi prévu :
-
de sécuriser la carte Vitale et sa distribution ;
-
d’organiser
des
échanges
d’informations
avec
d’autres
caisses,
organismes,
administrations ;
-
de développer l’interopérabilité des systèmes d’information médical et administratif ;
-
de mettre en oeuvre la liquidation médico-administrative ;
-
enfin de contrôler les droits en temps réel avant de délivrer des prestations en tiers
payant.
Tous ces objectifs devraient en effet contribuer à limiter les possibilités de fraudes
connues. Mais ils constituent des objectifs de longue haleine.
La branche a pris également l’engagement de «
renforcer les actions de lutte contre la
fraude et les comportements déviants pour crédibiliser la gestion du risque maladie
».
L’objectif affiché est «
d’influencer les comportements des acteurs de santé en les
responsabilisant de manière crédible
».
Contrairement aux cinq objectifs rappelés ci-dessus, les modalités de ces contrôles
renforcés sont décrites précisément dans la convention :
-
définition d’un plan annuel de contrôles, comprenant un volet national et un volet
régional et suivi dans un tableau de bord semestriel ;
-
mobilisation de moyens informatiques et humains : actions de professionnalisation
des personnels médicaux et administratifs assurant les contrôles ; modification du
dispositif d’assermentation des praticiens conseils, révision du dispositif global
d’entente préalable ;
34. A titre de confirmation on peut relever que la lutte contre la fraude au sein de la seule CRAM de Bretagne en
2008 a permis de calculer un préjudice total de 1,05 M€, se répartissant en 183 K€ de préjudices constatés et
863 K€ de préjudices évités (conférence de presse du 14 mai 2009 à la Préfecture des Côtes d’Armor).
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26
-
mise en oeuvre des sanctions et des pénalités, récupération systématique des indus,
publication des résultats des actions.
Ces divers objectifs n’ont cependant pas fait l’objet d’un suivi par indicateur. En effet,
l’annexe relative aux indicateurs de réalisation des objectifs n’en mentionnait aucun
s’agissant de la lutte contre la fraude stricto sensu. Seul un indicateur « périphérique »
(rattaché à la gestion du risque) mesurait le taux des médecins qui auraient modifié leur
comportement suite à des actions de la CNAMTS (avec pour objectif un taux de 50 % chaque
année sur une action ciblée).
ii)
la lutte contre la fraude dans l’annexe technique relative à l’intéressement
La lutte contre la fraude fait partie des objectifs de performance collective de la branche
maladie (comme cela à déjà été souligné pour les deux autres branches examinées), au titre de
la régulation des dépenses d’assurance maladie. L’indicateur retenu est le montant des fraudes
détectées dans le cadre du programme national de lutte contre les fraudes (PNLF). La cible
2008 était fixée à 138,5 M€ et le socle de performance (en deçà duquel aucun résultat n’est
valorisé) à 50 M€. Le résultat de l’année 2008 s’étant élevé à 160 M€, le taux de réussite sur
cet item est de 100 %.
En apparence, cet indicateur paraît plus contraignant. Mais il reste global, sans déclinaison
par caisses ; et le montant mesuré n’intègre pas que des fraudes (voir infra). On peut dès lors,
comme pour les autres branches, se demander dans quelle mesure un tel indicateur global peut
être mobilisateur.
iii)
les orientations envisagées pour la prochaine COG en cours de négociation
Le bilan provisoire de la COG achevée à fin 2009 ne porte pas sur le volet fraude, même
si plusieurs observations sont relatives à des domaines connexes, comme la maîtrise des
risques.
La question préalable paraît être de poursuivre dans la continuité des travaux antérieurs,
ou au contraire d’intégrer des inflexions plus volontaristes, pour aligner la branche maladie
sur les progrès déjà accomplis ou en cours dans la branche famille, notamment pour ce qui
concerne l’évaluation de la fraude potentielle, ou encore pour clarifier les notions utilisées par
la branche (voir infra).
C’est ce que la prochaine COG pourrait prévoir, selon les premières indications recueillies
auprès des responsables de la fraude, ce qui irait dans le sens des orientations de la Cour (voir
infra). A défaut, subsisterait le risque d’un ciblage insuffisant des fraudes avérées.
d) E
léments
de synthèse
Au total, dans les trois branches prestataires les COG reflètent une prise de conscience des
enjeux liés à la lutte contre les fraudes. L’inscription d’objectifs relatifs à la lutte contre la
fraude dans ces trois documents constitue en effet un progrès, qui va au-delà du symbole dans
la mesure où les organismes et leurs responsables sont de fait plus mobilisés sur des objectifs
inscrits dans ces quasi- contrats.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
27
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Mais ces progrès paraissent encore partiels et insuffisants, dans la mesure où les
engagements pris sont trop peu contraignants, pour trois raisons principales :
-
sauf pour la branche retraite, ils portent de manière insuffisante sur les
effectifs
affectés aux contrôles dans les organismes locaux
, en particulier sur le nombre de
contrôleurs assermentés, autorisés à faire des visites au domicile des assurés (pour la
branche famille) ou à vérifier la réalité des soins remboursés (pour la branche
maladie). Or c’est de ceux-ci que dépend la capacité des organismes de traiter les
recoupements et de caractériser les fraudes.
-
Les
indicateurs quantitatifs
inscrits ne sont pas mobilisateurs, soit qu’il s’agisse
seulement d’indicateurs de suivi, soit qu’ils portent sur des cibles relativement
secondaires, soit enfin qu’ils soient actuellement fixés à un niveau trop faible, comme
pour la branche retraite.
-
Leur contribution au calcul de l’intéressement collectif est trop indirecte et encore plus
nettement déconnectée des performances.
On peut dès lors souhaiter que la négociation en cours de la COG maladie permette de
corriger partiellement ces lacunes en comportant notamment un réexamen de la définition des
fraudes et un engagement sur le nombre de contrôleurs assermentés.
On doit cependant admettre que la lutte contre la fraude ne constitue qu’une priorité parmi
d’autres et surtout qu’elle ne correspond à l’activité que d’une petite partie des agents,
spécialisés à cet effet. Dès lors, les outils globaux que sont les COG, destinés à mobiliser les
personnels sur des priorités larges, sont insuffisants pour mobiliser ces services spécialisés sur
des cibles fines. Ces conventions devraient n’inclure ainsi que des objectifs assez généraux,
mais renvoyer vers des outils spécifiques, aussi bien pour les actions à mener que pour leur
récompense éventuelle.
D’ores et déjà, certains objectifs liés à la lutte contre la fraude figurent dans les plans de
déploiement de la maîtrise des risques : ainsi pour la branche famille, des objectifs précis en
termes de contrôles sur place (par l’intermédiaire des contrôleurs assermentés) ont été fixés
dans le plan de maîtrise des risques : le taux de contrôle sur place doit par exemple atteindre
3,5 % du fichier des allocataires chaque année. Des objectifs sont également fixés dans le
cadre des projets d’entreprise de la CNAMTS et de certaines CPAM.
Les textes ont également explicitement prévu l’obligation pour les branches d’établir un
plan annuel de lutte contre les fraudes aux prestations. Il conviendrait de décliner pour chaque
organisme les différentes actions de ce plan qui impliquent une mise en oeuvre dans les
caisses locales, soit la majeure partie des actions. C’est déjà le cas pour la branche maladie,
où les organismes de base doivent établir un plan local, pour les actions dites « loco-
régionales ». Une telle pratique devrait être généralisée
35
.
Il conviendrait d’inscrire dans les COG des indicateurs de résultats plus ambitieux et de
compléter les conventions elles mêmes par des engagements spécifiques, par exemple inclus
dans les plans de maîtrise des risques, engagements ensuite déclinés pour les caisses locales
.
35. Ce qui va ainsi au-delà de la simple différentiation effectuée par la branche retraite, entre les actions qui
relèvent des niveaux national et local.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
28
4. Un renforcement des moyens humains
En complément des moyens juridiques et informatiques accrus, la priorité affichée à la
lutte contre la fraude aux prestations s’est traduite par un renforcement des effectifs dédiés à
cette tâche, au moins au niveau national. Des personnels spécialisés sont désormais identifiés,
même si c’est encore en nombre réduit, au sein des caisses nationales, sans doute aussi au sein
de leurs réseaux, enfin au sein d’administrations de missions nouvelles.
a) Au sein des caisses
i)
éléments généraux sur la méthode
La DSS ne dispose pas d’un recensement précis des personnels qui contribuent à la lutte
contre les fraudes aux prestations au sein des organismes. La DNLF a cherché à construire un
indicateur sur ce point, sans véritablement parvenir encore de son propre aveu, à rassembler
une information fiable, en tout cas fondée sur des méthodes homogènes entre les différentes
branches ou régimes.
Il est vrai que le périmètre des missions, et donc le décompte, n’est pas évident : faut-il
inclure les agents chargés de la sécurité et du gardiennage ? On peut assez facilement se
mettre d’accord sur ce type de missions pour les exclure. Il est en revanche plus difficile de
déterminer comment on doit décompter des agents chargés de missions connexes, comme du
contrôle interne, ou des contrôles exercés dans le cadre de la « gestion du risque », pour
l’assurance maladie.
En l’absence d’une méthodologie commune, qui aurait été définie par la DSS et la DNLF,
les données disponibles sont ainsi difficilement comparables, d’une branche à l’autre, et leur
fiabilité est encore plus limitée pour les données relatives aux caisses locales, qui ne sont pas
toujours agrégées au plan national de manière fine. Ainsi, pour la branche maladie, le contrôle
de gestion de la CNAMTS dispose d’une ventilation des effectifs par mission et fonctions,
mais qui ne va pas jusqu’à détailler le nombre d’inspecteurs assermentés.
La connaissance par les caisses nationales de la réalité des missions confiées dans les
caisses locales aux agents est en outre partielle.
Des progrès doivent donc être réalisés, de sorte que l’on puisse disposer sinon d’un ratio
de personnes affectées au contrôle des fraudes, par rapport à la masse des prestations versées,
du moins d’une appréciation des moyens disponibles par rapport aux charges prévisibles.
Bien entendu, un tel ratio devra être remis en perspective, d’une branche à l’autre, les
prestations n’étant pas « fraudables » au même degré selon les branches. Cet indicateur
fournirait cependant une première indication utile sur le degré de mobilisation réelle des
branches ou organismes.
Dans l’attente de données plus précises, et avec les réserves signalées, on peut cependant
présenter des ordres de grandeur des personnels chargés de la lutte contre les fraudes aux
prestations. Bien entendu, il est plus facile de suivre les effectifs affectés à cette mission au
plan national, les incertitudes étant redoublées, au plan local, du fait de la difficulté des
caisses nationales à suivre l’affectation réelle des agents et la réalité de leurs missions (un
agent contrôleur peut se voir confier, dans des proportions variables, des missions connexes
plus « sociales »).
COUR DES COMPTES (avril 2010)
29
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
ii) la branche maladie
Au sein de la CNAMTS, une nouvelle direction a été créée, chargée « du contrôle
contentieux et de la répression des fraudes » ; elle comporte 39 ETP.
Dans une lettre du 6 novembre 2009 adressée à la DNLF, la CNAMTS, en réponse à la
demande périodique de la DNLF d’évaluer les personnels affectés à la lutte contre la fraude,
inclut en outre 163,5 ETP de praticiens conseils et 208,5 ETP de personnel administratif, en
poste dans les directions régionales du service médical. Même si la lettre précitée souligne
«
que cet indicateur nécessite, pour son obtention, la réalisation d’une enquête entraînant une
phase de concertation et une phase de validation
», aucun détail n’est donné sur la méthode
qui a conduit à une telle estimation (la Cour avait justement relevé, dans le dernier rapport
annuel sur la sécurité sociale, les limites de la comptabilité analytique dans les services du
contrôle médical ; en outre, l’objectif visé, de « lutte contre la fraude » ne semble pas défini
de manière délimitée).
Au plan local, la même évaluation conduit à afficher pour l’ensemble des caisses
496,25 ETP. Mais une évaluation postérieure estime le nombre de personnels administratifs
des caisses affectés au contrôle contentieux à 691 (le contrôle contentieux correspond en
partie à la lutte contre la fraude).
Dans ce total seraient inclus les agents assermentés, dont le nombre serait de 914 à fin
2008 selon la CNAMTS. Mais seule une part de leur activité est dirigée contre les fraudes.
36
Il semble d’ailleurs que le niveau national ne suive plus véritablement cette catégorie,
considérant sans doute que les techniques de lutte contre la fraude, par requêtage national, ne
supposent plus (ou plus autant) de confirmation par enquête locale.
De même, sont inclus dans ce total les coordinateurs régionaux chargés « de la gestion des
risques et de la lutte contre la fraude » ainsi que les référents, désignés dans les CPAM ou les
services régionaux du contrôle médical.
Compte tenu des difficultés de méthode et des incertitudes dans le dénombrement, il est
donc difficile d’apprécier l’évolution des effectifs.
iii)
au sein de la branche famille
Au plan
national,
une « mission fraude », chargée de la prévention et de la répression des
fraudes, a été constituée au sein de la cellule chargée de la maîtrise des risques. La faiblesse
des moyens humains consacrés à cette question avait été soulignée par l’IGAS, dans le cadre
du bilan précité de la COG
: deux agents seulement, au sein de la mission de lutte contre la
fraude sont chargés de diffuser les informations et les bonnes pratiques dans le réseau. Deux
autres ont été embauchés en 2008 et en 2009.
Au plan
local
, trois catégories d’agents sont plus ou moins spécialisés (mais aucune à
temps plein) :
- les contrôleurs répartis dans les CAF : leur nombre varie selon les documents (580 dans
les données issues des paiements, 619 dans le bilan 2009 ou encore 650 à partir du suivi des
agréments
37
).
36. Ils ont d’autres missions : reconnaissance de la matérialité des accidents de travail, recouvrement de
créances.
37. Cette procédure d’agrément, prévue à l’article L. 114-10, a été déléguée aux caisses, ce qui explique que les
tutelles ne soient pas en mesure de donner des éléments sur les effectifs concernés.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
30
Au-delà des chiffres, il peut arriver qu’un directeur confie des missions de contrôle à des
agents non assermentés, ou qu’à l’inverse il accepte que certains contrôleurs effectuent des
missions de proximité (justifiées par leur capacité à aller voir les assurés à leur domicile).
Leur contribution à la détection des fraudes serait d’ailleurs assez réduite, selon les données
de synthèse de la CNAF ;
- les correspondants « fraude » (240 agents dans les CAF) ;
- les référents "fraudes" (deux été désignés dans chaque CAF). Ils ont notamment pour
mission de donner suite aux signalements transmis par les autres organismes et de recenser les
cas présentant un profil atypique, afin d’en diffuser les caractéristiques auprès des autres
caisses locales.
iv) dans la branche retraite
Depuis 2006, le pilotage de la lutte contre les fraudes d’origine externe relevait, sur un
double plan national et régional, de la direction de la réglementation et du contentieux. Au
cours de l’année 2008, l’organisation de la lutte contre les fraudes au plan national a été
renforcée par la création d’une structure dédiée, compétente pour la lutte contre les fraudes
d’origine interne comme externe : le département national de prévention et de lutte contre les
fraudes (DNPLF).
Au plan local, tous les organismes (CRAM ou CNAV, pour l’Ile de France) sont dotés
d’un correspondant « fraudes », souvent rattaché à la structure en charge des questions
juridiques et du contentieux. Dans son bilan 2008, la CNAV en décompte 13,3 ETP pour 21
organismes. Elle indique en outre que 15,2 ETP assermentés en tout sont dédiés à des
contrôles anti-fraudes dont 7 pour la CNAV.
Comme indiqué déjà, ces effectifs viennent d’être renforcés, conformément à un
engagement inscrit dans la COG. Dans une lettre du 3 février 2010, adressée aux CRAM, la
CNAV a notifié la répartition des 40 ETP supplémentaires prévus et a demandé qu’une
organisation minimale soit assurée, avec un coordonnateur régional et un ou deux contrôleurs
agréés et assermentés, dédiés à plein temps à la lutte contre la fraude.
v)
éléments de synthèse
Un réseau de personnels peu nombreux mais spécialisés a donc été constitué, au plan
national, qui rend en principe possibles les transmissions d’informations et d’orientations, de
la tête de réseau vers les organismes de base, et inversement.
Le constat est moins évident au plan local, la constitution de réseaux nouveaux de
« référents » ou de services chargés de missions connexes comme le contrôle interne ou la
« gestion du risque » semblant s’être accompagnée d’une diminution du nombre d’autres
catégories, comme les délégués de l’agent comptable, susceptibles de réaliser des contrôles
ciblés.
Il conviendrait donc de mieux suivre la réalité des agents affectés à cette tâche, en
particulier pour les agents assermentés, la délégation d’une procédure régalienne aux caisses
ne devant pas conduire à perdre l’information utile. Bien entendu, cet état des lieux préalable
devrait ensuite être mis en regard des besoins estimés.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
31
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Au-delà d’un indicateur fondé sur des données globales, la DNLF devrait
progressivement établir un recensement annuel par catégories des agents affectés à la lutte
contre la fraude, en particulier des agents assermentés, fondé sur des méthodes aussi
comparables que possible selon les branches (et régimes).
b) Une administration de mission a été créée, au plan national et local
Le renforcement des moyens dédiés s’est également traduit au plan administratif :
d’abord, en 2006 par l’institution d’une « direction de projet
38
» au sein de la DSS, pour
procéder à l’élaboration et au suivi des textes législatifs relatifs à la lutte contre la fraude ;
ensuite, en 2008, par la création d’une instance spécialisée nouvelle, au plan national et de
structures de coordination, au plan local.
i) au plan national
Selon la lettre de mission adressée en octobre 2007 par le Président de la République et le
Premier ministre au ministre des comptes publics, la complexité particulière des actions de
lutte contre les fraudes aux prestations justifie de renforcer et spécialiser les moyens humains
et donc la création d’institutions nouvelles, au plan national et local : «
s’agissant en
particulier de la fraude aux prestations, l’éclatement et le cloisonnement des administrations
gestionnaires (Etat, sécurité sociale, organismes paritaires, collectivités locales) est un
facteur de complexité indéniable, même s’il n’excuse en rien les résultats insuffisants
qu’obtient notre pays dans le contrôle des dépenses. Afin de tenir compte de cette situation, il
apparaît qu’une organisation administrative nouvelle sera nécessaire pour conduire le vaste
plan de lutte contre la fraude que nous souhaitons engager
».
En conséquence, le choix a été fait de créer, au double niveau central et local, une
institution spécialisée, de type
administration de mission
plutôt qu’une administration de
gestion aux effectifs nombreux, selon le modèle britannique
39
. Comme le rappelle dès
l’introduction le premier rapport d’activité de la mission nationale «
l’action de la
délégation
nationale à la lutte contre la fraude (DLNF),
instituée en avril 2008, n’a pas pour vocation
de se substituer aux intervenants de la lutte contre la fraude, mais a vocation à piloter la
coordination de cette dernière
»
40
.
Ainsi, les moyens spécifiques dédiés, au sein de la DLNF, aux prestations sociales versées
par les régimes sociaux sont limités : au sein d’une équipe de haut niveau certes, les effectifs
sont réduits à un délégué national et 11 chargés de mission. Parmi eux, deux sont plus
spécifiquement chargés, l’un des prestations versées par la CNAMTS et la CNAV, l’autre des
prestations versées par la CNAF et l’UNEDIC
41
. Les autres chargés de mission interviennent
en tant que de besoin sur toutes les actions transversales (informatique, suivi des comités
locaux, etc.).
38. Un directeur de projet et son adjoint sont rattachés au directeur.
39. Un rapport récent du National audit office (NAO) relève d’ailleurs justement que l’efficience des actions de
lutte contre les fraudes n’est pas suffisante, les coûts engagés par cette administration spécialisée n’étant pas
toujours justifiés par rapport aux enjeux potentiels.
40. Rapport d’activité de la DLNF, avril 2009, p. 5.
41. C'est-à-dire par le réseau des organismes piloté par ces têtes de réseau. L’enquête de la Cour n’a pas porté
sur les prestations de chômage. Voir note n°3.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
32
ii) au plan local
Comme le prévoyait également le décret du 8 avril 2008, l’action de la DLNF est relayée
par des comités locaux de lutte contre la fraude, créés au niveau régional et au niveau
départemental, et chargés de coordonner les actions de l’ensemble des organismes concernés.
Une des missions de la DLNF consiste à animer ce réseau local.
Expérimentée au cours de l’année 2009 sous des formes diversifiées
42
, la mise en place
des comités a confirmé que les moyens consacrés à la coordination resteraient limités. Si des
référents ont été identifiés dans l’ensemble des organismes et administrations partenaires, les
moyens spécifiques se limitent à un secrétariat permanent à temps partiel (dont la provenance
administrative varie selon les départements), peu de départements choisissant de dédier une
personne à temps complet pour cette fonction. Au plan local également, le choix a donc été
fait d’une administration de mission, reposant sur des effectifs très peu nombreux.
L’utilité des actions engagées paraît cependant évidente, du moins au travers de la
consolidation des réponses effectuée par la DNLF. La mise en commun des informations
pertinentes ou les échanges sur les procédures complexes (notamment judiciaires) a ainsi
permis à plusieurs reprises de mettre à jour des fraudes, parfois d’ampleur, selon cette
synthèse. Le bilan transmis par le comité de Vendée souligne par exemple que «
le comité de
lutte contre la fraude a permis, en modifiant les habitudes de travail, de faire progresser
significativement le nombre de fraudes détectées
».
La volonté partagée d’échanges d’informations et de partage des « meilleures pratiques »,
traduite comme on l’a dit par la signature d’une convention nationale de coopération, se
trouve ainsi déclinée dans les départements au niveau opérationnel. Une question se pose,
cependant, de la possibilité (déontologique, autant que juridique) d’échanger avec l’ensemble
des partenaires sur des cas nominatifs, en mutualisant les informations de manière
indifférenciée.
Autre progrès notable, un travail plus spécialisé est engagé. Pour les 91 comités existants,
environ 150 groupes de travail spécialisés ont été créés, notamment sur la fraude à la
résidence (15), les transports sanitaires (15), ou encore la fraude documentaire (11).
Pour autant, certains comités (comme celui des Yvelines) demandaient, toujours selon ce
bilan, «
que soit désormais conduite une démarche globale permettant de définir des
méthodes d’investigation sur un risque déterminé et des procédés visant à démontrer certains
mécanismes récurrents de fraude
».
42. Le décret signalait même que plusieurs formes différentes de comités seraient expérimentées : cinq en
région, les autres dans chaque département, mais les uns limités à la lutte contre la fraude aux prestations, les
autres intégrant également le suivi des fraudes aux prélèvements (les actuels comités de lutte contre le travail
clandestin, ou COLTI, se trouvaient dès lors intégrés dans ce nouvel organisme).
Un rapport de bilan, en date du 25 septembre 2009, a été établi par la DNLF, sur les actions et l’organisation
de ces comités. Il en ressort tout d’abord que la structure régionale « présente un intérêt, pour jouer un rôle
d’impulsion, de fédération des institutions et de coordination des pratiques ». Mais la structure la plus
opérationnelle est au niveau départemental.
Le choix d’intégrer ou non la mission de lutte contre le travail clandestin a été discuté, la plupart des
départements jugeant le rapprochement des deux compétences plus efficient (à l’exception d’un département
plus important, la Seine Saint Denis, pour lequel l’échelle des actions à mener justifie peut-être une organisation
parallèle spécialisée). C’est dans ce sens qu’a été généralisée la formule de comités aux missions larges.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
33
Ce souhait d’une définition plus précise des méthodes et des priorités confirme le
diagnostic déjà esquissé, de la nécessité de référentiels nationaux et d’une stratégie mieux
priorisée.
B.
Des cibles qui demeurent trop imprécises
Comme on le voit ici, malgré les progrès évidents déjà constatés ou engagés au niveau
interministériel,
la
définition
d’une
stratégie
plus
efficace
implique
des
efforts
complémentaires, au niveau national :
- pour modifier les méthodes d’évaluation des fraudes utilisées dans les caisses
nationales, qui demeurent insuffisantes (1);
- pour clarifier la notion de fraude, en la distinguant mieux des notions voisines d’abus
et d’erreurs (2) ;
- pour engager une simplification ciblée des réglementations destinée à réduire la
« fraudabilité » des prestations (3) ;
- enfin, pour mieux formaliser une stratégie qui doit être mise en oeuvre par des acteurs
multiples (4).
1. Les évaluations quantitatives disponibles demeurent insuffisantes
Dès octobre 2006 avait été identifié l’objectif d’une évaluation quantitative des enjeux
financiers, liés à la fraude aux prestations. Certes, la difficulté de ce point était soulignée, par
exemple dans la lettre de mission précitée de novembre 2007
«
Plus difficile à évaluer encore
que la fraude portant sur les impôts ou les cotisations, la fraude aux prestations a fait l’objet
d’évaluations très contrastées
». Un des objectifs du plan évoqué par cette lettre et confié au
Comité de lutte contre la fraude, présidé par le Premier ministre, est d’ailleurs de
«
répertorier les diverses formes de fraude et de définir une méthodologie permettant de les
évaluer
».
Malgré les annonces répétées d’améliorations prochaines, à fin 2009, deux branches
prestataires sur trois ne publiaient ni n’effectuaient d’estimations de la fraude dont elles sont
les victimes. Seule la CNAF avait effectué une première évaluation globale de l’incidence
potentielle de la fraude, à partir d’une analyse approfondie d’un échantillon. La CNAMTS et
la CNAV se bornaient à recenser et à enregistrer l’impact financier des fraudes qu’elles
avaient découvertes, avec des approches méthodologiques très hétérogènes.
Ainsi, alors que la question du chiffrage a été présentée comme particulièrement
prioritaire et sensible, les démarches engagées pour évaluer l’ampleur des fraudes n’ont que
lentement et partiellement progressé. A l’exception de la branche famille, les données
publiées par les caisses nationales (a) se limitent encore le plus souvent aux montants détectés
(ou évités, sur des fraudes découvertes), ce qui peut donner une perception faussée des enjeux
de la fraude, en conduisant à une grave sous-estimation. Il convient dès lors de rechercher les
éléments disponibles pour viser des évaluations plus complètes, notamment en s’inspirant des
travaux récents de la CNAF et des exemples étrangers (b).
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
34
Tableau n° 1 :
a) Les caisses nationales connaissent d’abord les fraudes constatées
Une procédure de signalement des fraudes constatées dans les caisses locales (et même
des suspicions de fraudes) a été établie par les lois de financement pour 2005 et de 2007 et
codifiée à l’article L. 114-9 du code de la sécurité sociale. Elle instaure une double
centralisation, à la DSS et dans les caisses nationales têtes de réseau. Cette procédure
constitue un progrès très significatif, la connaissance des fraudes étant jusque là très
imparfaite et lacunaire. Mais les données centralisées par la DSS d’une part et par les caisses
nationales ne sont pas identiques, celles adressées à la tutelle paraissant moins complètes (il
est prévu que les bases soient communes, dès la fin de 2010)
i) les données centralisées par la DSS
Bien qu’incomplètes, les données centralisées par la DSS ont paru instructives, en ce
qu’elles mettent en regard, avec une procédure homogène, les faits de fraude signalés en
provenance des trois branches (qui donnent lieu ensuite à des comparaisons instructives par
motifs).
Nombre de fraudes et montants signalés à la tutelle en 2008
Branches
Nombre
Montant (M€)
Famille
4 601
36
Maladie
2 269
13,8
Vieillesse
186
1
Autres
43
132
1
Source : DSS
On relève que la branche famille est la plus concernée, avec près des deux tiers des
fraudes signalées en nombre et en montant. La branche maladie serait, selon cette « coupe », à
un niveau deux fois inférieur ; quant à la branche retraite, la fraude détectée y demeurait
insignifiante.
Ce constat confirme sans doute l’intuition que les prestations peuvent plus ou moins
donner lieu à des fraudes selon les branches : le risque de fraudes est en effet moins élevé
dans la branche retraite, notamment parce qu’elle a structuré depuis longtemps
son système
d’information autour d’un identifiant unique (SNGI) et que les informations utiles au calcul
des pensions sont très largement alimentées par des reports directs d’organismes sociaux ou
d’employeurs.
ii) la branche maladie
Les données relatives aux constats de fraudes, telles que la CNAMTS les publie, devraient
être identiques ou au moins proches de celles de la DSS (si on admet des omissions dans les
cas signalés à la tutelle). En réalité, tel n’est pas le cas, car les statistiques de la CNAMTS
sont plus larges, notamment parce qu’elles englobent les abus et qu’elles incluent l’incidence
des modifications de comportement obtenues grâce aux mises sous entente préalable des
43. Il s’agit soit des fraudes signalées par d’autres régimes, comme le RSI, soit des fraudes concernant plusieurs
organismes.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
35
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
professionnels de santé. La CNAMTS recense les effets financiers directs de ses actions au
travers de deux types de résultats :
-
le montant des fraudes, fautes et abus détectés ;
-
et le montant des économies constatées qui «
recouvre plusieurs sources possibles
d’économies : demandes de réparation du préjudice subi, application de pénalités et
de sanctions financières, préjudice évité
. »
Pour s’en tenir au montant des seules « fraudes, abus et fautes détectées », la chronique
des résultats affichés fait apparaître une progression sensible
44
. Les montants sont en nette
croissance depuis 2005 (aucune donnée consolidée n’est disponible auparavant), comme le
montre le tableau suivant :
Tableau n° 2 :
Montant des fraudes et abus détectés par la branche maladie
En M€
Année
Montants détectés et stoppés
Economies constatées
2005
13
10,4
2006
118
90,6
2007
143
125,5
2008
160
131,7
Source : CNAMTS (bilan 2008)
Ces chiffres sont cependant à considérer avec précaution, dans la mesure où ils
consolident des informations très hétérogènes, notamment celles résultant des mises sous
accord préalable (MSAP)
45
, qui ne peuvent être considérées comme le résultat d’une fraude,
mais plutôt d’une vigilance particulière de la part des CPAM. Elles intègrent surtout les abus,
qui résultent d’un usage inadéquat des règles, et non pas de leur violation caractérisée.
Un premier effort a été engagé pour évaluer par extrapolation la fréquence des fraudes, par
les programmes dits « locaux-régionaux ne comprenant que des actions relatives à la fraude et
aux abus stricto sensu, mais n’intégrant pas le résultat des mises sous entente préalable. Ainsi,
avec les seules fraudes détectées localement,
le taux de préjudice moyen
46
(pour une partie
des prestations) aurait progressé considérablement passant de 0,32 ‰ en 2006 à 0,49 ‰ en
2007 pour atteindre 0,77 ‰ en 2008.
Cependant, ce type d’estimation n’est pas encore d’une
44. Le cumul des données sur plusieurs années, abusivement retenu dans les publications annuelles de la
CNAMTS, amplifie encore en apparence cette croissance.
45. Ainsi, le détail des évaluations qui accompagne le rapport annuel sur les fraudes pour l’année 2008 indique
au titre du Programme MSAP/IJ : « le montant des fraudes détectées et stoppées correspond au nombre
d'indemnités journalières (IJ) au dessus du seuil de ciblage pour les médecins retenus pour la mise sous accord
préalable (MSAP), multiplié par le montant moyen d'une IJ. (N.b : des requêtes permettant à chaque CPAM
d'évaluer 4 mois après la MSAP les modifications de pratiques des médecins MSAP ont été adressées au
réseau). Les résultats de ces requêtes sont exploités au niveau national ».
Or, même en admettant que certaines MSAP sanctionnent des fraudes, la mesure des résultats qui en est faite
dans ces bilans correspond à la période qui suit, pendant laquelle on peut supposer que les abus ou fraudes ont
disparu ou au moins diminué.
46. Préjudice subi déclaré au cours de l’année n / montant des prestations (soins de ville et médecine-chirurgie-
gynécologie obstétrique ou MCO privé) versées au cours de l’année n.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
36
Tableau n° 3 :
fiabilité suffisante, notamment parce qu’il repose sur des efforts encore hétérogènes des
caisses et qu’il distingue imparfaitement fraudes et abus.
Avec cette réserve, on constate en tout cas un sensible progrès dans les fraudes détectées
pour ces actions dites « locales » (même si elles sont souvent le prolongement des actions
initiées au plan national) :
-
en 2007, 7 660 cas de fraudes et abus suivis d’actions avaient été recensés dans
l’ensemble du réseau, pour un préjudice total s’élevant à 31,5 millions d’euros,
-
en 2008, le nombre de fraudes et abus détectés a doublé (14 835) et le préjudice total a
augmenté des deux tiers (52,0 millions d’euros).
Là encore cependant, cette valorisation est très conventionnelle et en partie trompeuse,
puisqu’on ne peut isoler les fraudes des autres notions.
iii)
la branche famille
Dans ses bilans annuels successifs, relatifs aux actions de lutte contre la fraude, la CNAF
publie des données limitées aux fraudes constatées. Celles-ci montrent une sensible
progression, comme le montre le tableau qui suit.
Nombre et montant des fraudes détectés par la branche famille
Année
Nombre de cas détectés
Montants détectés (M€)
2005
2 295
21,5
2006
3 654
35,1
2007
6 314
58,3
2008
9 397
80
Source : CNAF
Ainsi, les fraudes détectées (qui ne donnaient pas lieu à communication d’ensemble
jusqu’en 2004) ont été multipliées par quatre en trois ans (un peu plus en nombre de fraudes,
un peu moins en montant).
Ce montant paraît cependant encore assez faible, en particulier si on le rapporte au
montant des prestations versées, encore plus si on le rapporte aux plus récentes évaluations
des fraudes potentielles (présentées infra) à hauteur de 674 M€, en moyenne, ce qui montre
que les fraudes détectées et qualifiées comme telles sont encore plus de huit fois inférieures
au montant potentiel estimé.
iv) la branche retraite
Selon le rapport annuel sur la performance du service public de la sécurité sociale (groupe
benchmarking établi par la DSS), le bilan des fraudes détectées par la CNAV est encore plus
limité, en valeur absolue comme en proportion des prestations versées :
- 1 M€ en 2007, comme en 2006, pour des préjudices constatés ; 2 M€ considérés comme
évités (en 2007) ;
- les données 2008 restent très limitées même si elles font apparaître une sensible
progression : 2,5 M€ de préjudice constaté et 14,6 M€ de préjudice évité.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
37
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
- enfin, le nombre de cas détectés en 2009 aurait sensiblement progressé, ainsi que les
montants (pour atteindre 5 M€ évités).
Ces données ont pu alimenter un optimisme marqué des responsables de la branche, qui
ont indiqué ainsi ne pas être concernés au même degré par la problématique de la fraude
47
. Ce
diagnostic est sans doute en partie exact, on l’a vu. Compte tenu des prestations versées,
compte tenu des données utilisées pour sécuriser les « carrières » (NIR, reports automatiques
sur les comptes individuels, …), les occurrences de fraudes paraissent a priori moins
fréquentes.
On peut cependant nuancer ce raisonnement, pour les différentes prestations versées sous
condition de ressources comme le minimum vieillesse ; et se préoccuper de l’incidence sur les
retraites des faux bulletins de salaires, présentés par ailleurs dans le cadre de fraudes
industrielles à l’indemnisation du chômage.
En outre, cet optimisme paraît quelque peu remis en cause par la découverte de fraudes
très nombreuses concernant la reconstitution des carrières longues. Selon les évaluations
reprises par le rapport cumul sur les lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS), voir
supra, on a recensé pour ce seul motif entre 2 510 et 10 000 cas de fraudes pour un coût total
potentiel de 10 à 45 M€ (la révision des droits consécutifs à ces reconstitutions frauduleuses
est en cours).
Certes, ces fraudes seraient encore en cours d’examen, ce qui empêcherait qu’elles soient
décomptées dans les bilans pour 2008 (elles le seront en 2010, après traitement individualisé).
L’estimation produite par la CNAV paraît cependant fortement sous-estimée, encore plus
nettement que celle des autres branches.
v) un risque de sous-estimation globale des enjeux
Au total, les montants de fraude détectée, même en augmentation sensible depuis 2005,
restent très réduits, ce qui peut à tort être interprété comme un signal rassurant. Ainsi, l’ordre
de grandeur évoqué par les responsables de la lutte contre la fraude, lors d’un séminaire
organisé à la CNAF en mars 2009, s’élevait à 0,1 ou 0,2 % des sommes versées. On mesure
l’effet démobilisateur de telles évaluations.
Dans la brochure récemment publiée par la DSS, sous le titre de « guide pratique des
fraudes », il est indiqué «
que la fraude constitue un enjeu non négligeable, puisqu’une
économie de 0,1 % du montant total des prestations (d’environ 400 Md€) permettrait
d’engranger des économies de l’ordre de 400 M€
». Il ne faudrait pas que cela risque d’être
compris comme représentatif du niveau de la fraude aux prestations sociales, qui est
évidemment d’un niveau plus élevé.
b) La mise en évidence de risques d’un montant plus élevé
A cette fin, il conviendrait de procéder à des réévaluations, avec une méthodologie unifiée
pour l’ensemble des branches. Or actuellement, les mesures sont variables, dès lors que les
concepts utilisés pour évaluer les fraudes sont différents : « fraudes » pour les deux branches
famille et retraite, mais « fraudes, abus et fautes » pour la branche maladie ; fraude « évitée »
47. Voir l’éditorial en ce sens du directeur général, dans la revue interne à la branche au mois de mai
2008 : « Même si la CNAV, à la différence des autres domaines de la protection sociale, est assez largement
épargnée par les phénomènes de fraude proprement dite, elle s’est néanmoins attachée depuis plusieurs années
à développer des actions de prévention des risques de fraude et à les généraliser à l’ensemble de son réseau ».
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
38
pour la seule branche retraite, « économie » induite, pour la seule branche maladie. Il serait
souhaitable désormais d’harmoniser ces différentes approches, de manière à faciliter les
comparaisons (celles-ci sont indispensables pour établir une démarche stimulante de « bench-
marking » entre branches et organismes).
Ce travail de mise en cohérence des données est difficile. D’ailleurs, le groupe chargé
(sous l’égide de la DSS) de définir des indicateurs de performance inter-branches et inter-
régimes, lorsqu’il a traité du point particulier de la performance comparée de la lutte contre la
fraude aux prestations de retraite, n’a pu faire autre chose que juxtaposer les approches,
extrêmement hétérogènes.
Des méthodologies progressivement affinées paraissent cependant pouvoir être proposées
pour évaluer les fraudes potentielles :
- l’une pourrait, a minima, être fondée sur un examen de la dispersion des résultats,
selon les caisses. Moins rigoureuse, cette méthode est cependant utile pour produire une
forme de « bench-marking » des organismes ;
- l’autre, plus ambitieuse, doit se fonder sur l’analyse d’échantillons.
i) intégrer les enseignements tirés de la dispersion des performances
Au sein des réseaux, les résultats obtenus par des organismes similaires, gérant les mêmes
prestations servies à des populations comparables, sont très différents. Certes, certains
organismes pourraient être plus exposés que d’autres aux fraudes. Mais cet effet (qui peut en
outre être dans une certaine mesure confirmé ou infirmé par l’analyse des données provenant
d’autres régimes, d’autres branches, ou d’autres législations) paraît a priori assez limité, du
moins pour une même région.
Or les comparaisons disponibles mettent en évidence des différences qui ne semblent pas
tenir à ces supposées spécificités, mais plutôt à l’importance des efforts particuliers consentis
par certains organismes
48
. Les fraudes détectées y seraient ainsi plus proches (ou moins
éloignées) des fraudes potentielles, ce qui devrait conduire à réévaluer les montants en se
fondant sur ces données. La correction que l’on devrait ainsi introduire est d’une grande
ampleur. On peut le montrer en particulier pour les CAF.
En 2006
49
, si en moyenne les CAF ont mis à jour 3,4 fraudes pour 10 000 allocataires,
certaines n’en découvraient aucune et la plus touchée jusqu’à 22,77. Si l’on considère les
seules fraudes à l’isolement, on en compte en moyenne sur six ans :
-
4,29 pour 10 000 allocataires ;
-
mais 39,3 pour 10 000 sur les 10 caisses les plus actives en termes de détection et de
qualification des fraudes.
48. N’est pas pris en compte ici l’éventuel effet préventif d’actions ciblées, qui conduirait à diminuer le taux de
fraudes. La diversité des prestations qui peuvent faire l’objet de fraudes, comme la relative rareté des actions
préventives constatées dans les caisses conduisent à relativiser cet effet.
49. Les montants seraient encore plus contrastés pour les deux années suivantes, du fait de travaux de data
mining diversifiés, selon les caisses.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
39
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Alors que ces fraudes représentent 17 millions d’euros sur la période, elles se monteraient
à environ 160 millions d’euros si l’ensemble du réseau élevait sa performance au niveau des
10 meilleures CAF. Encore plus, si l’on considérait les dix caisses les plus « productives »,
pour chaque catégorie de prestations.
Tableau n° 4 :
Comparaison entre les résultats moyens et les résultats des 10 CAF les plus actives
Fausses
déclarations
Isolement
Faux/escroquerie Tous cas
a) Taux moyen de fraude
pour 10 000 allocataires
ensemble des caisses
8,44
4,29
2,38
7,49
b) Taux moyen de fraude
pour 10 000 allocataires 10
meilleures caisses
64,09
39,3
13
29,92
Rapport entre b) et a)
7,6
9,2
5,4
4
Part dans l'évaluation
55,87 %
28,36 %
15,77 %
100 %
Montant constaté en 2006
(millions d'euros)
19,61
9,96
5,54
35,10
Montant potentiel
(millions d'euros)
148,91
91,20
30,23
140,21
Source : données CNAF pour 2006, calculs de la Cour
Les dernières données disponibles, pour 2008, confirmaient ce constat, comme le
reconnaît la CNAF elle-même, dans la circulaire sur la maîtrise des risques :
« Ces résultats
apparaissent toujours hétérogènes selon les organismes. Le taux de fraude (nombre de
fraudes rapporté au nombre d’allocataires) est en moyenne de 0,06 % soit 1 allocataire sur
1 700, mais les écarts entre organismes vont toujours de 1 à plus de 30 (écarts mesurés sur
deux groupes de 10 CAF affichant des résultats extrêmes). »
Les autres réseaux présentent également une dispersion des résultats. Ainsi, le bilan des
fraudes de la CNAV pour 2007 détaille, par CRAM et par motif, les fraudes constatées : on y
lit ainsi que la CNAV (pour l’Ile de France) n’a détecté pour cette année aucune fraude à
l’identité (5 CRAM en ont détecté, sur 16 CRAM et 4 CGSS), aucune fraude à la carrière (6
CRAM en ont détecté), aucune fraude à la résidence (6 CRAM en ont détectées) ou aux
ressources, mais simplement des fraudes aux paiements. Seules 4 CRAM
50
cumulaient trois
(ou plus) motifs de fraudes détectés, ce qui semble traduire le caractère peu systématique et
diversifié des recherches effectuées.
Or ces écarts de performance ne donnent pas lieu à ce jour à analyse systématique, ce qui
freine l’identification et la diffusion des meilleures pratiques. Il paraîtrait ainsi possible et
souhaitable qu’une estimation corrigée de la fraude potentielle intègre cet effet, à partir des
50. Mais 12 en 2008, ce progrès traduisant la mise à disposition de requêtes nationales et le développement de
signalements issus des autres régimes.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
40
constats faits, soit dans les caisses ou les groupes de caisses les plus actives, soit même en
décomposant cette analyse par famille de prestations.
Certes, une telle estimation n’a pas la même portée que celle qui est fondée sur un examen
approfondi d’échantillons de dossiers. Elle présenterait cependant l’intérêt de renseigner sur la
dispersion des pratiques de lutte contre la fraude dans les différents réseaux (en comparant les
constats bruts et ces résultats redressés).
Un montant potentiel des fraudes devrait être estimé, par extrapolation des résultats des
caisses les plus actives dans le domaine de la détection des fraudes.
ii) le recours à des échantillons rigoureusement contrôlés
- une méthode qui s’étend au plan international
De telles estimations sont couramment effectuées dans plusieurs pays comparables à la
France : Grande-Bretagne, Irlande ou Pays Bas. Une estimation de la fraude potentielle y est
effectuée par extrapolation également, mais à partir de la sélection d’un échantillon de
prestations soumis à un contrôle approfondi (il est procédé à leur analyse complète pour
vérifier si elles font l’objet de l’une des fraudes connues). Les résultats obtenus sont ensuite
extrapolés à l’ensemble des prestations versées.
Cette méthode est par exemple utilisée en Grande-Bretagne, tant par le Department for
Work and Pensions (DWP) compétent en matière de minima sociaux et d’indemnisation du
chômage, que par le National Health System (NHS) qui gère le système de santé.
Dans son évaluation de la fraude potentielle, le conseil d’analyse stratégique
51
a d’ailleurs
pour sa part retenu comme hypothèse que le montant des fraudes aux prestations pourrait
atteindre jusqu’à 5,5 Md€, en retenant des taux de fraudes analogues à ceux constatés en
Grande-Bretagne (pays pour lequel les travaux ont été les plus approfondis
52
).
- les travaux réalisés fin 2009 par la CNAF
Conformément à l’engagement pris dans la COG, la CNAF vient de procéder à une
première évaluation de la fraude potentielle, à partir de vérifications systématiques, par agent
assermenté, auprès de 10 700 allocataires choisis de manière aléatoire
53
dans l’ensemble des
caisses.
51. Note du conseil d’analyse stratégique n° 98 de mai 2008.
52. Le taux de fraude estimé pour les prestations sociales britanniques, soit 1,3 %, est appliqué à l’ensemble des
prestations sociales obligatoires françaises, soit 400 Md€ environ. Compte tenu des différences importantes
entre les deux systèmes de prestations, britannique et français, une telle évaluation paraît assez grossière.
53. Selon la note méthodologique du 9 décembre 2009, qui décrit les modalités de ce sondage, « l’échantillon
d’allocataires a été choisi pour s’assurer d’une bonne qualité d’estimation de la fraude aux prestations légales
en général et de trois prestations en particulier : le RMI, l’API et l’ALS. Les allocataires de l’API et du RMI
étaient surreprésentés par rapport à la population allocataire : 10,8 fois plus pour l’API, 2,1 fois pour le RMI ».
COUR DES COMPTES (avril 2010)
41
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Les conditions de réalisation de l’évaluation des fraudes (source : plan de maîtrise des risques
pour 2009)
L’échantillon comprend 10 700 dossiers répartis de façon représentative sur l’ensemble du
territoire. L’objectif consistait non seulement à évaluer la fraude en général sur l’ensemble des
prestations, mais aussi à tenter de la mesurer sur des prestations sensibles : ALS, API, RMI. A cette fin
et pour avoir un échantillon suffisant, un minimum de 2 000 dossiers contrôlés par prestation a été
jugé nécessaire, soit 2 000 dossiers pour l’API, 2 000 pour le RMI, 2 000 pour l’ALS, et 4 500 pour
toutes prestations.
Le pilotage du projet a été assuré par la direction statistiques, études, recherches et la mission de
prévention et de lutte contre la fraude. Les travaux ont été menés avec le concours des experts des
pôles régionaux mutualisés, des représentants de CAF, afin de s’assurer le plus possible de
l’homogénéité des résultats. A cette fin, un mode opératoire des contrôles a été élaboré. La
qualification des fraudes a été assurée par une instance nationale composée de représentants de CAF.
On observe aujourd’hui en effet des écarts importants de taux de fraude selon les organismes, une des
principales causes tenant à l’appréciation de la fraude.
Dans environ 6 % des visites sur place, même après nouveau rendez-vous, le contrôle s’est révélé
infructueux, en l’absence des allocataires. La part des échecs au contrôle imputable à un obstacle
délibéré a été évaluée à un tiers de ces absences, à partir d’une appréciation des dossiers.
L’estimation présentée étant fondée sur un échantillon, il a fallu extrapoler, avec une valeur
centrale et des valeurs dites « bornes » pour lesquelles la probabilité que la valeur soit inscrite entre les
deux bornes est très élevée.
Enfin, on a rapporté le montant estimé, tantôt aux prestations connues de 2008, tantôt à celui
estimé de 2009. Les écarts entre ces deux méthodes ne sont pas significatifs, pour le propos ici tenu,
qui s’intéresse à un ordre de grandeur.
L’ensemble des précautions ainsi prises a paru conforme aux règles de l’art, ce qui permet de
disposer d’une évaluation significative.
Diverses difficultés de méthode sont inévitables. Ainsi, il a fallu estimer la part de
fraudeurs parmi les allocataires délibérément absents lors des contrôles sur place et apprécier,
dans des cas litigieux, si l’on devait considérer comme fraudeurs les comportements relevés et
pour ce faire recourir à l’avis d’une « commission de qualification ». Avec l’inévitable marge
d’incertitude
54
, les travaux réalisés ont paru constituer une première base de travail très
solide.
Le tableau suivant résume les résultats, en pourcentage de fraudeurs et en montants (en
extrapolant le taux constaté à l’ensemble de la population des allocataires) :
54. On peut en particulier se demander si ont pu être suffisamment prises en compte des fraudes difficiles à
détecter et à quantifier, qui consistent à dissimuler des heures de travail, notamment à domicile, afin de ne pas
dépasser les seuils de ressources fixés pour certaines prestations.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
42
Tableau n° 5 :
Résultats de l’évaluation par échantillon pour la branche famille
En % et en M€
Moyenne
Borne basse
Borne haute
Taux d’allocataires avec indus
10,69
10,04
11,35
Taux d’allocataires fraudeurs
1,38
1,16
1,59
Taux révisé avec obstacles à contrôle
2,15
1,86
2,43
Montant estimé y compris obstacles
(M€)
674
539,8
808,1
Taux de fraude
1,16
0,93
1,39
Source : CNAF : données 2009 pour l’évaluation des fraudes
Les cas de fraude révélés à l’occasion de l’opération d’évaluation correspondent pour la
plupart à des fausses déclarations ou omissions de déclaration de changement de situation ou
de revenus. Il s’agit, toujours selon l’étude de la CNAF, «
de fraudes diffuses dont l’impact
financier est relativement faible, de l’ordre de 5 660 € à comparer au montant moyen de
8 490 € des fraudes détectées en 2008
».
Rapporté au montant des prestations versées en 2008 (les données de 2009 n’étant pas
encore connues en fin d’année 2009), le montant estimé en hypothèse moyenne de 674 M€
fait apparaître un taux de fraude potentielle de 1,16 % environ. Bien entendu, il s’agit d’un
ordre de grandeur), cette première estimation devant à l’avenir être confirmée par d’autres
enquêtes selon une périodicité à définir.
Ce taux est une moyenne, qui recouvre des résultats contrastés selon les prestations. Ainsi
le taux de fraude est faible pour les allocations familiales (estimé à 0,43 %) ou la PAJE
(estimé à 0,24 %). En revanche des prestations aujourd’hui intégrées dans le RSA comme le
RMI (estimé de 3,61 %) ou l’API (avec un taux de 3,1 %) font apparaître des taux de fraude
plus élevés.
Il convient de souligner que cette estimation de la fraude ne constitue pas une évaluation
du préjudice financier, puisque une part très importante des fraudes détectées constitutives
d’indus avait déjà été récupérée. Mais les différences entre les procédures de traitement des
indus simples ou des indus frauduleux ont des effets financiers : la prescription est plus
précoce en cas d’indu simple, ce qui peut constituer un préjudice pour les caisses s’il
s’agissait en réalité d’un indu frauduleux.
On peut donc essayer d’estimer le préjudice financier pour la branche famille, en
considérant qu’il est constitué en grande part par les montants non recouvrés sur ces indus
frauduleux. Selon la note précitée, les indus en général sont recouvrés à hauteur d’environ
88 % (sur deux à trois ans et plus), 11 % font l’objet chaque année de remises de dette et
moins de 1 % d’admission en non valeur (ces deux dernières catégories sont incluses
statistiquement dans les sommes recouvrées). Au total, on peut donc estimer au quart des
sommes fraudées le préjudice final, ce qui n’est pas négligeable (avec l’estimation centrale de
674 M€ fraudés, on aboutit ainsi à un préjudice
55
de 168 M€).
55. La même note signale qu’il conviendrait également de valoriser le coût de la lutte contre la fraude, sans
donner d’éléments précis toutefois.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
43
Comme le résume une note présentée le 6 avril 2010 devant le Conseil d’administration de
la CNAF, qui rend compte de ces travaux d’estimation des fraudes aux prestations,
« dans la
mesure où les indus semblent globalement bien détectés par les CAF, le problème se pose
davantage dans des termes de mauvaise qualification que de mauvaise détection »
.
Cette première évaluation est au total très instructive. De telles évaluations devraient donc
également être effectuées, périodiquement, par les autres branches (et d’ailleurs par les autres
régimes).
-
des travaux encore en projet dans les autres branches
Les deux autres branches, retraite et maladie, ont signalé leur intention de réaliser, elles
aussi, des évaluations de la fraude potentielle à partir d’échantillons nationaux d’une taille
suffisante.
-
Dans la branche retraite, une double démarche de constitution d’un échantillon
aléatoire et d’un échantillon correspondant à des requêtes sur des « populations » à
risques est envisagée. Une étude était engagée mais aucun commencement de
réalisation n’était noté, début 2010.
-
Dans la branche maladie, de même, une démarche visant à évaluer, pour chaque type
de prestation et de soins, le taux de fraude, est acceptée, même si sa mise en oeuvre
n’est qu’à peine engagée. Les premiers projets concrets pour 2010 portent sur la
fraude aux IJ, pas encore sur les fraudes en provenance des professionnels de santé ou
des établissements. En outre, jusque là, aucune réalisation significative n’est
disponible.
Comme on l’a vu, les premières estimations, encore très partielles, réalisées par la branche
maladie, permettent de supposer qu’un ordre de grandeur de 1 % de fraudes serait assez
vraisemblable. Pour la branche retraite, en revanche, même si on peut imaginer des cas de
fraudes à la carrière, par production de faux trimestres, ou si divers risques doivent être
identifiés et évalués, l’ordre de grandeur de la fraude potentielle est sans doute sensiblement
plus bas.
Avec ces hypothèses, on peut estimer la fraude aux prestations, pour le régime général,
entre 2 et 3 Md€. Bien entendu, de telles estimations, encore grossières, doivent être affinées
et précisées, dans la mesure où les évaluations de la fraude potentielle paraissent bien
constituer un socle indispensable pour fonder une politique de lutte contre la fraude bien
ciblée et adaptée aux enjeux. Enfin, dès lors que les fraudes sont détectées, le préjudice
financier ne correspond qu’aux indus non récupérés.
L’ensemble des branches prestataires, comme l’ensemble des régimes, devraient
généraliser les évaluations de la fraude potentielle à partir de vérifications approfondies
d’échantillons significatifs de dossiers.
2. Des hésitations sur le périmètre et la définition des fraudes
La sous-estimation quantitative peut en partie s’expliquer par un refus ou une incapacité
de reconnaître et donc de qualifier de fraudes des comportements qui sont implicitement
requalifiés en erreurs ou en abus. Or il est plus difficile de quantifier un domaine dont les
frontières sont mal précisées.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
44
Dans le principe, il est assez simple de distinguer les fraudes, d’une part, qui supposent
une irrégularité et l’intention de la commettre, et d’autre part les abus ou les erreurs :
-
l’abus, à la différence de la fraude, ne repose pas sur une entorse directe à une règle de
droit ;
-
l’erreur, à la différence de la fraude, ne comporte pas d’élément intentionnel.
Les constats de la Cour montrent cependant que les caisses locales sont souvent
embarrassées pour distinguer ces notions (a), ce qui reflète la complexité de certaines
réglementations (b), mais aussi la confusion qui marque encore l’approche des caisses
nationales, en particulier dans la branche maladie (c).
a. Des pratiques variables selon les caisses
L’enquête de la Cour a cherché à apprécier la diversité des conceptions rencontrées au
sein des branches, en demandant à leurs responsables si tel ou tel comportement doit être
considéré comme frauduleux ou non. Les réponses reçues par la Cour sont révélatrices des
difficultés ressenties, qui se traduisent dans la diversité des définitions utilisées par les
responsables des caisses.
i)
dans la branche maladie
Les actes des médecins constituent l’une des cibles des CPAM dans leur lutte contre les
fraudes. Mais celles-ci, interrogées par la Cour en 2007
56
, éprouvent les plus grandes
réticences à qualifier de frauduleux des comportements qui paraissent pourtant tels de manière
manifeste. Trois exemples de comportements qui laissent présumer une fraude ont été testés,
les réponses se révélant très disparates :
-
dans le premier cas, le questionnaire portait sur les médecins qui effectuent plus de
20 000 consultations annuelles. Une telle activité suppose, avec une moyenne de
20 mn par consultation, plus de 6 666 heures de travail par an, soit plus de 18 heures
de travail tous les jours (y compris dimanches et jours fériés). Même en admettant des
durées de consultations plus brèves (de 10 minutes en moyenne), on aboutit pour ces
56. Soit à une date où les actions nationales de lutte contre les fraudes montaient en charge. Selon la CNAMTS,
les réponses seraient sans doute différentes en 2010.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
45
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
médecins « hyper-actifs »
57
, à un total d’heures de consultation tel que le soupçon au
moins de fraude paraît justifié
58
.
-
Second exemple, les consultations pour certificat d’aptitude au sport, qui ne doivent
pas être facturées à l’assurance maladie, mais font parfois l’objet d’une feuille de
soins, ce qui là encore témoigne d’une infraction à une règle, pourtant rarement perçue
comme telle dans les caisses
59
.
Dans chacun des cas, la dispersion des réponses montre que les comportements au moins
potentiellement frauduleux ne sont pas, le plus souvent, caractérisés comme tels par les
CPAM, et que de ce fait les actions qui paraissent pourtant possibles ne sont pas engagées
60
.
Tableau n° 6 :
Exemples d’incertitudes sur la notion de fraude
dans le réseau de l’assurance maladie
oui
non
nsp
Nombre de
réponses
Un
médecin
qui
effectue
plus
de
20 000
consultations annuelles fraude-t-il ?
13,9 %
61,4 %
24,7 %
101
Un médecin qui cote une consultation pour une
visite médicale d'aptitude d'un enfant à faire du sport
fraude-t-il ?
37,9 %
51,5 %
10,7 %
103
Source :
Cour des comptes, à partir des réponses des caisses
Dans ces différents exemples, il conviendrait que la définition générale de ce qu’est une
fraude puisse être clarifiée et illustrée, de manière à identifier à l’intention des services des
CPAM les critères ou le niveau au-delà duquel une fraude, ou une présomption de fraude,
paraît manifeste.
57. La terminologie de la CNAMTS, qui a mis en oeuvre à partir de 2009 un programme national de contrôle
contentieux ciblé, évoque « les professionnels de santé ayant certains indicateurs d’activité aberrants », visant,
outre les médecins généralistes, les radiologues, ophtalmologues, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes,
chirurgiens dentistes,etc.
Pour les seuls médecins, deux sous-populations pourraient être définies : celle des médecins « super-actifs » qui
facturent plus de 12 000 consultations par an, soit 1 347 omnipraticiens au dessus de deux fois la moyenne, et
celle des médecins « hyperactifs » qui en facturent plus de 18 000, soit 120 praticiens au dessus de trois fois la
moyenne.
58. La durée moyenne de consultation serait selon la DREES de 16 minutes.
Une fraude identifiée chez certains médecins consiste à conserver les cartes VITALE de leurs patients et à
enregistrer des actes fictifs, en tiers payant. Ainsi, le programme de travail détaillé du CNLF pour 2007 signale
parmi les fraudes médicales repérées comme exemplaires des « consultations facturées par un professionnel de
santé mais non effectuées grâce à des cartes Vitale de patients laissées « en dépôt » (d’un) médecin généraliste
qui a facturé plus de 1 800 consultations en un mois a été mis en examen pour faux, usage de faux et
escroquerie ».
59. La plupart des assurés quant à eux ignorent le caractère non remboursable de ces consultations.
60. Il conviendrait par exemple d’analyser les situations des praticiens correspondants en examinant notamment
la part de la suractivité réalisée avec dispense d’avance de frais, en procédant par sondage pour les « super-
actifs» et exhaustivement pour les « hyperactifs ». La combinaison de la sélection par l’atypie et du tirage
aléatoire permettrait peut-être de distinguer selon les comportements et ainsi d’obtenir une estimation de la
fraude - actes fictifs - ou des simples abus - cnsultations ou visites inutiles.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
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Tableau n° 7 :
ii) la branche famille
On retrouve des situations en partie analogues pour certaines prestations versées par la
branche famille. Les gestionnaires, au sein des caisses, hésitent parfois sur les critères qui
doivent permettre de caractériser comme frauduleux certains comportements. Ainsi pour la
condition d’isolement qui est exigée pour le versement de certaines prestations, comme
l’allocation parent isolé (désormais intégrée au RSA, sous la forme d’un complément).
La définition de l’isolement n’est pas simple et chaque CAF caractérise une fraude (une
prestation indue, avec dissimulation délibérée de la véritable situation de vie commune) selon
la doctrine qu’elle a élaborée, ce qui se traduit par des différences de traitement contraires à
l’équité. Dans le cadre du faisceau d’indices utilisé, l’existence d’un domicile commun joue
bien évidemment un rôle central. Pourtant, dans les réponses des gestionnaires de CAF, la
place de ce critère paraît variable, ce qui induit une variation correspondante dans le
diagnostic, porté ou non, de fraude.
Définition de l’isolement dans les CAF
oui
non
nsp
Nombre de
réponses
Deux personnes vivant sous le même
toit et disposant chacune de sa chambre
sont-elles isolées?
44,6 %
18,8 %
36,6 %
112
Source : Cour des comptes, à partir des réponses des caisses
Une autre source potentielle d’hésitation est la plus ou moins grande tolérance aux
« erreurs » ou aux abstentions d’actualisation d’informations. Comment doit-on pondérer
l’inertie inévitable d’une part des allocataires qui répugnent à signaler de manière
systématique des modifications intervenues dans leur situation ?
La CNAF (département de maîtrise des risques) vient d’ailleurs de proposer une « grille
de détection des suspicions de fraudes », qui constitue en réalité une méthode pour la
qualification des fraudes. Cette définition désormais homogène repose sur la distinction :
-
entre les données insusceptibles d’erreurs (relatives à l’identité ou au logement, par
exemple), qui sont présumées fraudées en cas de fausse déclaration ;
-
et celles qui sont susceptibles d’erreurs, qui sont selon les cas qualifiées de fraudes s’il
y a répétition d’erreurs (deux occurrences), ou même répétition multiple (la fraude est
présumée à partir de trois occurrences d’erreurs ou de trois déclarations
contradictoires) ;
-
les omissions pendant plus de six mois et bien entendu l’usage de faux ou les
escroqueries sont également qualifiées de fraudes.
iii) la branche retraite
Jusqu’à très récemment, les distinctions relativement complexes entre « erreurs » et
« fraudes » et les critères qui peuvent permettre de distinguer entre ces deux catégories n’ont
pas fait l’objet d’un travail analogue de la part de la CNAV qui renvoyait ainsi implicitement
vers les organismes et leurs services de contrôle.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
47
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Elle vient cependant de remédier à cette lacune avec la publication d’une circulaire du
16 mars 2010 dans laquelle sont redéfinies les modalités de traitement des indus frauduleux.
Y sont notamment précisées les conditions d’identification de la présomption de fraude, les
compétences respectives des services administratifs, du service du contentieux et des cellules
spécialisées, les règles de prescription ainsi que l’articulation du recouvrement de ces indus
avec d’éventuelles actions civile, pénale ou administrative.
b) La difficulté de certaines réglementations
Les constats ainsi faits de la disparité des approches, d’un organisme à l’autre, peuvent
pour partie s’expliquer par la complexité des réglementations, qui s’efforcent elles-mêmes de
s’adapter à la complexité des situations. Deux exemples, parmi bien d’autres, peuvent en être
donnés : celui, déjà esquissé, de la condition d’isolement, et celui du respect de
l’ordonnancier bizone (OBZ), dans le cas des prescriptions faites aux patients en ALD.
i) la définition de « l’isolement » dans la branche famille
La notion d’isolement est l’une des conditions les plus difficiles à caractériser. Selon le
bilan des actions de lutte contre la fraude établi par la branche famille pour 2007, un quart des
fraudes constatées (24 %) provenait d’une fraude à l’isolement, c'est-à-dire d’une déclaration
mensongère d’isolement.
Dans un avis de décembre 1998, le Haut Conseil de la population et de la famille
constatait déjà que «
la prise en compte des situations d'isolement dans la mise en oeuvre de
régimes juridiques de solidarité et d'assistance n'est plus satisfaisante
», déplorait «
la
multiplicité des règles de droit et leur relative incohérence … qui, pour la recherche de
preuves tendant à établir les droits des particuliers, risquent de porter atteinte à la vie privée,
de prendre en considération des faits non pertinents, voire de se révéler arbitraires
» et
redoutait que la
« confusion des critères normatifs »
ne conduise à «
une manipulation plus ou
moins volontaire de la part des individus des situations de fait dans le but de profiter des
conditions financières les plus avantageuses
».
De fait, les contrôles effectués par les services des CAF ont conduit à une jurisprudence
complexe, que la lettre circulaire LC n° 282-96
61
du directeur des prestations familiales de la
CNAF s’est efforcée de synthétiser. Il en résulte :
-
que la vie maritale suppose la réunion de deux éléments, une adresse commune et des
intérêts financiers et matériels communs ;
-
et que la charge de la preuve, qui incombe normalement au demandeur de la
prestation, repose en fait sur l’OSS en cas de demande de répétition de l’indu.
Cette circulaire se conclut sur la recommandation d’éviter, en raison du faible succès
rencontré par les CAF dans ces procédures, d’engager des contentieux sans disposer
d’éléments de preuve solides de l’existence d’intérêts matériels communs.
La situation n’a que peu évolué, depuis ces constats. La CNAF indiquait dans sa réponse à
la mission d’audit et de modernisation de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS)
portant sur l’API (rapport de décembre 2006) qu’un concubinage non déclaré ne donne lieu
qu’exceptionnellement à une plainte pour deux raisons.
61. Une circulaire est en cours d’élaboration, qui reprend pour l’essentiel ces critères.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
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«
D’une part, la preuve de l’intention frauduleuse est difficile à apporter lorsque en
particulier le nouveau concubin ne dispose d’aucune ressource et est perçu par l’allocataire
plutôt comme une charge financière. (…) ; d’autre part, l’usager doit avoir une perception de
la notion d’isolement claire, sans quoi il n’est pas possible dans nombre de situations mal
avérées de tenter de prouver l’intention frauduleuse
. »
C’est la raison pour laquelle la CNAF précisait faire figurer désormais la définition de
l’isolement sur les nouvelles demandes d’API. Elle ajoutait que les positions des juridictions
correctionnelles, notamment les pratiques de classement sans suite de parquets, pouvaient
expliquer également les différences de qualification de la fraude.
Les contrôleurs des CAF interrogés par la mission IGAS estimaient
« que le contrôle est
faisable et qu’ils ont les moyens de déterminer la situation familiale de l’allocataire »
dans
75 % des cas. A contrario, dans un cas sur quatre, selon les contrôleurs, la situation est
difficile à caractériser. On peut certes s’accommoder d’une telle proportion, en considérant
qu’elle constitue le « prix à payer » pour un plein respect de la vie privée et de la liberté
individuelle
62
.
On peut également considérer qu’une telle proportion est trop élevée, dans la mesure où
elle peut inciter à dissimuler de manière délibérée des cohabitations durables, constituant ainsi
une forme de « prime » à la fraude. La question se pose ainsi de rechercher des critères plus
simples qui pourraient être introduits dans la réglementation. Dans la mesure où la résidence
partagée constitue l’un des critères les plus significatifs de la vie maritale, ne pourrait-on créer
une présomption légale de « non isolement » en cas de résidence commune ? Bien entendu,
cette présomption pourrait être levée, mais la charge de la preuve de l’isolement incomberait
dans ce cas au bénéficiaire de la prestation.
En réalité, une telle piste paraît peu féconde : d’ailleurs, elle n’a pas été retenue par la
direction de la législation fiscale, confrontée à la même question de fraude potentielle pour
l’octroi d’une demi-part supplémentaire (pour l’impôt sur le revenu) aux personnes isolées.
En effet, les modalités de preuve sont difficiles à imaginer, l’exigence de leur production par
des allocataires souvent en situation de précarité ou de fragilité, peu équitable. Quelle que soit
la difficulté de la caractérisation de la situation d’isolement, il reste préférable que la mise en
évidence de fraudes éventuelles à la condition d’isolement reste à l’initiative des caisses. On
peut alors souhaiter que la CNAF établisse un référentiel actualisé, explicitant à l’intention
des contrôleurs assermentés les divers éléments qui doivent être considérés ainsi que leur
pondération, en application de l’appréciation du faisceau d’indices.
62. Des investigations plus poussées, sur la nature des relations entre les colocataires paraissent acceptables en
Grande-Bretagne. Elles ne sont pas envisagées en France.
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l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
ii) le respect des règles de prescription liées à l’ordonnancier bizone (OBZ)
Un deuxième exemple de cette complexité objective des situations peut être donné avec
les prescriptions inscrites sur « l’ordonnancier bizone ». Les patients reconnus en affection de
longue durée (ALD) bénéficient d’un taux de remboursement par l’assurance maladie de
100%, pour les seuls actes et médicaments correspondant à leur affection. Les médecins
doivent donc distinguer, dans les prescriptions qu’ils délivrent aux patients en ALD, d’une
part les soins et médicaments qui rentrent dans le cadre de l’affection prise en charge à 100 %,
d’autre part les soins extérieurs à la pathologie, qui doivent être remboursés au taux de droit
commun, inférieur.
Il est tentant, pour un médecin, de globaliser la prescription et de tout rattacher à l’ALD.
D’autant plus, sans doute, que le traitement de certaines pathologies (diabète, cancer, sida)
provoque des effets secondaires nécessitant des prescriptions non prévues dans le protocole de
l’ALD.
On devine cependant les dérives potentielles : certains médecins, au nom de cette
supposée difficulté d’imputation à l’ALD de certaines prescriptions, écartent la contrainte de
l’ordonnancier bizone. Le risque, si une telle attitude se développe, est qu’un patient qui
n’obtiendrait pas la prise en charge à 100 % de toute la dépense, aille voir un autre médecin.
Comme pour nombre d’autres fraudes, faisant intervenir un professionnel dans un contexte de
concurrence, le risque est que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » et que des pratiques
frauduleuses insuffisamment combattues se généralisent.
Comment caractériser les comportements de ces médecins au regard de la définition de la
fraude ? Doit-on traiter les anomalies de prescription, qui rattachent à tort certains
médicaments à l’ALD, comme une erreur, un abus ou une fraude ?
Il peut sembler a priori que, sauf cas particulier, justifié par la nature protéiforme de
certaines affections, le choix d’une attitude sévère est le seul qui permet d’éviter le risque de
concurrence déloyale et d’alignement des comportements des professionnels de santé sur la
pratique la plus laxiste.
Ce n’est pourtant pas la position retenue par la CNAMTS, qui a demandé que cette
irrégularité soit considérée comme une simple « faute », catégorie pour laquelle «
l’assurance
maladie met en oeuvre des programmes globaux de gestion des risques composée de
différentes séquences d’actions
». «
La séquence de la répression n’intervient que sur les
acteurs dont l’activité persiste dans des dérives majeures après avoir utilisé tous les moyens
de persuasion et d’incitation
».
La « séquence » d’actions menées par la caisse nationale et les caisses pour lutter contre le
mésusage de l’ordonnancier bizone repose donc sur la détection statistique des anomalies
(définies par la part des dépenses remboursées à 100 %, qui peut être « a-typiquement »
élevée), puis sur plusieurs « campagnes » de sensibilisation. Ainsi, par exemple, a été réalisé
en novembre 2005 un contrôle des prescriptions déclarées en rapport avec une ALD dite
« 30 »
63
, d’ailleurs sur le fondement de critères assez restrictifs : les indus potentiels n’étaient
63. Affections de longue durée inscrites sur une liste établie par le ministre de la santé.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
50
mesurés que sur un mois
64
.
Au 31 août
2007, seules 30 pénalités financières avaient été
prononcées par les directeurs de CPAM, soit 1 000 euros environ par fraudeur
65
, pour des
comportements qui sont chacun à l’origine d’un préjudice annuel d’au moins 15 000 euros.
Certes, selon le bilan annuel de lutte contre la fraude de la CNAMTS, pour 2008, si les
médecins traditionnellement non respectueux de la procédure d’inscription des prescriptions
sur l’ordonnancier bizone restent nombreux, on constate un net changement de comportement
parmi les médecins ayant fait l’objet d’une action. Pour les praticiens ayant été sanctionnés
d’une pénalité financière, l’inflexion est la plus forte : le ratio des dépenses prises en charge à
100% pour les personnes en ALD passe de 86 % en décembre 2005 à moins de 76 % en
octobre 2007.
Compte tenu du faible nombre de pénalités financières prononcées, pour l’ensemble des
ALD et des prescriptions associées, les résultats globaux d’une telle procédure ne peuvent être
qu’assez limités (même si l’effet sur les quelques professionnels sanctionnés est fort).
L’assurance maladie a en effet estimé l’impact indirect de son action par l’infléchissement,
très limité, du ratio de remboursement à taux plein pour les ALD
66
: en moyenne 72 % en
2007 contre 73% en 2005. La modestie de ces résultats
67
ne confirme pas la pertinence de la
stratégie suivie qui repose sur une simple « pédagogie » pour la grande majorité des praticiens
(on les suppose simplement en erreur) et l’infliction de sanctions dissuasives à une très petite
minorité (on a considéré qu’il était possible de les sanctionner, du fait de la récidive ou du
caractère marqué des écarts statistiques).
On voit avec ce deuxième exemple qu’à la définition adoptée pour un comportement
(« fraude » « erreur » ou « faute ») correspond une stratégie de lutte, plus ou moins
ambitieuse, plus ou moins déléguée au plan local ou animée par la caisse nationale. La
définition d’un référentiel adapté permettrait de cibler et de qualifier ensuite les
comportements considérés comme frauduleux, que l’action soit menée au niveau national ou
local.
64. Sur deux mois, ce ne sont pas 2 000 médecins, mais 9 000 qui auraient été susceptibles d’être sanctionnés, ce
qui confirme le caractère très répandu de la pratique, malgré plusieurs années d’explications.
La CNAMTS justifie ce choix par l’ampleur du travail de vérification nécessaire et l’absence des moyens
correspondants. La rentabilité d’un tel contrôle – 1 euro dépensé engendre 20 euros économisés selon son
propre chiffrage pouvait pourtant justifier un contrôle plus étendu (voir « Coût des actions de contrôle rapporté
aux économies et récupérations d'indus réalisées pour les programmes thématiques nationaux OBZ et T2A » (à
partir du compte-rendu national) fourni par la CNAMTS.)
65. En outre, au terme des deux premières années de cette action, aucun indu n’a été récupéré ni même notifié,
ce qui eût été non seulement possible mais obligatoire en vertu de l’article L. 133-4-1 du CSS, pleinement justifié
et aurait encore augmenté le bénéfice de l’opération.
66. Part des dépenses de médicaments consommés par les malades en ALD prise en charge à 100 %.
67. Selon la CNAMTS, l’intensification du traitement des pathologies lourdes aurait porté ce ratio à 79 %, sans
action corrective. La stagnation du résultat traduirait donc en réalité un effort de réduction volontariste
neutralisant cet effet. En sens inverse, cependant, l’augmentation du nombre de nouvelles admissions en ALD se
traduit sans doute par une moindre gravité des traitements pour certaines affections.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
51
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Dans le cas particulier, la CNAMTS définirait à l’avance, à l’intention des services
locaux, les conditions de répétition (après avertissement) ou d’écart à la norme (en termes
statistiques) qui permettent de présumer qu’une fraude (et non un simple abus) est commise,
ce qui fonderait des sanctions renforcées contre les fraudes (sans préjudice de sanctions
distinctes, plus modérées, pour les abus simples).
c) Des définitions qui restent imprécises ou restrictives au niveau national
Il conviendrait dès lors de continuer
68
à clarifier la définition donnée à la notion de
« fraude », et ce dans une double direction :
-
pour mieux la distinguer des abus et des erreurs, d’une part ;
-
et pour inscrire dans le droit une définition plus large que la définition pénale, ce qui
permet de fonder une stratégie de lutte elle-même élargie.
i)
une distinction encore insuffisante avec les abus dans la branche maladie
La circulaire 30-2006 du directeur général de la CNAMTS, rédigée à l’attention du réseau
des CPAM, distingue trois concepts au sein de la « fraude au sens large » :
-
la fraude stricto sensu, «
action de mauvaise foi dans le but de tromper, de porter
atteinte aux intérêts d’autrui
» qui suppose «
une intention de nuire
». Un exemple est
cité, celui de la «
facturation d’actes de chirurgie réparatrice pour la réalisation
d’actes de chirurgie esthétique
» ;
-
la faute, quant à elle, serait un «
manquement aux obligations dont l’origine peut être
un fait positif, une faute par omission, une erreur, une ignorance, une imprudence,
une maladresse, une négligence…
». Un exemple est donné, celui du «
non respect des
règles de l’ordonnancier bizone
» (voir l’analyse supra) ;
-
l’abus, enfin, est un
« usage avec excès d’un bien, d’une prérogative ou d’une
pratique outrepassant les niveaux acceptables par incompétence, complaisance ou
négligence
». Il ne serait pas constitué par un «
écart entre les pratiques et les normes
législatives ou règlementaires, mais entre les premières et les référentiels médicaux
».
L’exemple donné pour cette dernière catégorie vise la prescription d’arrêts de travail
ou les dépassements d’honoraires.
Cette classification ternaire paraît cependant à la fois peu claire et potentiellement
démobilisatrice. Ce qui semble véritablement distinguer fraudes et fautes pour la CNAMTS,
et de manière très contestable, c’est le degré de diffusion de la pratique condamnable. Selon la
circulaire, en effet,
« le non respect de l’ordonnancier bizone, qui pourrait être qualifié de
fraude lorsque l’acte est intentionnel et apporte un avantage direct injustifié à l’assuré et
indirect au médecin en fidélisant le patient, alors qu’il entre généralement dans la catégorie
des fautes car l’infraction est très répandue à la suite d’une négligence de l’ensemble des
acteurs… pendant une période prolongée
».
On constate ainsi une forme de flou et de relativisme dans les définitions retenues par la
caisse nationale, à l’usage des services compétents des CPAM. Il paraîtrait beaucoup plus
clair et mobilisateur de souligner que, sauf exceptions à préciser (justifiées pour certaines
68. Un travail en ce sens a déjà été effectué par la DNLF qui a retenu une définition claire de la fraude,
nettement distinguée des abus ou erreurs. Cette définition n’a pas été reprise par l’ensemble des branches, pas
plus d’ailleurs que la typologie des fraudes proposée par la délégation.
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52
pathologies, lorsque les référentiels médicaux sont inadaptés) les infractions à la règle de
l’ordonnancier bizone sont bien des fraudes, mais que leur sanction est seulement différée,
dans une première phase, consacrée à une information complète de tous les professionnels de
santé.
Au-delà de cet exemple, c’est l’ensemble de la politique de lutte contre les fraudes dans la
branche maladie qui est placée sous le signe de ce refus de « stigmatiser » des fraudes et donc
d’une confusion entre des notions pourtant très différentes. Les abus et les erreurs justifient
également des mesures de prévention et de sanctions. Mais celles-ci doivent être au moins en
partie différenciées et ciblées, dans la mesure où les enjeux sont distincts.
Certes, la caractérisation d’une fraude implique souvent une appréciation médicale : ainsi
pour la prescription par un médecin d’un arrêt de travail, assorti d’indemnités journalières :
dans certains cas, le médecin peut paraître bienveillant ; dans d’autres, en l’absence de toute
cause médicale, il sera fraudeur. On connaît d’ailleurs plusieurs cas de fraudes de ce type,
révélées par l’existence de filières organisées pour le recours à des médecins complaisants.
Au total il serait utile, selon la Cour, de réaliser une « cartographie », pour les principaux
cas de fraudes connus, distinguant entre les « erreurs » ou les « abus » ponctuels, d’une part,
et d’autre part les fraudes qui seraient caractérisées par leur répétition, ou leur poursuite
malgré des mises en garde. La possibilité de sanctionner des fraudes caractérisées par les
seules atypies statistiques rend d’ailleurs possible et même nécessaire cet effort de définition.
ii) une définition plus large que sa formulation pénale
La branche famille, qui a clarifié de manière fine la distinction entre « erreurs » et fraudes
paraît constituer un exemple, on l’a dit, pour la branche maladie comme pour la branche
retraite. Pourtant, les questions de définition ou de qualification des fraudes restent également
une difficulté : la définition désormais retenue pour évaluer les fraudes reste en pratique dans
les CAF distincte de celle qui est utilisée pour fonder des sanctions ou apprécier les délais de
prescription. Cette deuxième acception reste marquée par l’accent mis sur une approche
pénale, et donc restrictive, de la notion de fraude.
Cette approche est ancienne et remonte à 1999 avec la diffusion dans le réseau de la
circulaire « Politique de lutte contre la fraude »
69
toujours en vigueur. Ce document précisait
que «
l’attention portée au phénomène doit néanmoins être modérée, pour éviter le risque de
devenir ou paraître excessif et d’accréditer l’idée de fraude massive du système
» et elle
préconise notamment, «
en présence de situations qui peuvent apparaître frauduleuses, une
appréciation très circonstanciée et stricte des cas de fraude… l’engagement de poursuites
pénales systématiques mais dans les seuls cas de fraude avérée, qui ne laisse pas place au
doute»
pour
« minimiser les classements sans suite
».
En conséquence, la définition alors retenue se calquait strictement sur les principales
incriminations pénales de la fraude que sont les manoeuvres frauduleuses, les fausses
déclarations, l’escroquerie, le faux et l’usage de faux. Et la circulaire était largement
consacrée à une exégèse de la jurisprudence pénale. Or ce choix comporte un certain nombre
de conséquences fâcheuses :
69. Lettre LCI 99-222.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
53
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
-
Il est aussi restrictif que le droit pénal. Or, ce qui se justifie au nom des libertés
publiques se comprend moins en matière d’équilibre financier et de défense des
intérêts patrimoniaux de la sécurité sociale. Si l’on réserve le cas de la fausse
déclaration, désormais prévue et sanctionnée par l’article L. 114-13 du CSS, les autres
incriminations ne sont pas propres à la sphère sociale et ne sauraient donc en épouser
parfaitement les problématiques.
-
Lorsque le droit pénal – qui ne concerne logiquement que les formes les plus graves
de déviance, celles pour lesquelles la société s’estime, au nom de la défense de l’ordre
public, tenue d’agir, sans en réserver l’initiative aux victimes - ne sanctionne pas une
violation intentionnelle d’une règle, il n’y a donc pas, selon la CNAF, de possibilité de
sanction.
Certes, la CNAF fait valoir que cette circulaire serait désormais obsolète et que la
possibilité de prononcer les sanctions financières a permis d’élargir les définitions. Cette
orientation serait confirmée par la circulaire du 7 mars 2007 précitée
70
. L’analyse de ce texte
semble pourtant confirmer le tropisme antérieur. La définition donnée continue à encourager
les réticences avérées dans nombre d’organismes à qualifier de frauduleux les comportements
des allocataires (voir infra).
Est cependant prévue par la CNAF la diffusion d’une circulaire, tirant les enseignements
des enquêtes destinées à estimer la fraude et notamment des critères retenus pour désormais
qualifier les fraudes.
De même, la branche retraite vient d’adresser aux caisses locales une instruction
permettant de mieux appréhender les indus frauduleux (directive n° 2010/04, du 16 mars
2010). Cette circulaire précise notamment les modalités d’identification de la présomption de
fraude. Elle indique, par exemple, « que l’indu lié à une déclaration tardive ou à une omission
de déclaration de reprise d’activité est présumé frauduleux lorsqu’il est supérieur à trois
mois ». Là aussi, l’enjeu d’une telle qualification est notamment d’écarter les règles de
prescription, un indu simple se prescrivant en deux ans alors qu’en cas de fraude est appliquée
la prescription de droit commun, désormais de cinq ans.
Il conviendra que ces critères, en cours de définition au niveau national et de diffusion aux
caisses locales, soient bien appliqués dans les deux branches famille et retraite, pour éviter
que des fraudes soient à l’avenir traitées dans les caisses locales avec une bienveillance
injustifiée, comme de simples indus.
Il conviendrait également qu’un travail analogue soit entrepris dans la branche maladie,
même si sa difficulté, liée à la diversité des prestations et des acteurs, ne doit pas être sous-
estimée.
Les critères, élaborés par les caisses nationales des branches famille et retraite, qui
permettent aux caisses locales de qualifier de manière plus homogène et aisée les fraudes,
doivent être diffusés dans les caisses et leur application ensuite suivie. Un effort analogue
doit être engagé dans la branche maladie.
70. Il y aurait également lieu de n’appliquer la prescription anticipée qu’en l’absence de fraude, sans autre
référence, et de substituer systématiquement dans les circulaires diffusées aux CAF ce terme à ceux aujourd’hui
employés (« mauvaise foi », d’ « absence de bonne foi », « manoeuvres frauduleuses » ou « fausse déclaration »).
La CNAF devrait refondre la circulaire de 1999 qu’elle déclare partiellement obsolète.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
54
3. L’utilité d’efforts systématiques pour réduire les possibilités de fraudes aux
prestations
Au-delà d’un travail indispensable pour harmoniser et rendre plus opérationnelles les
définitions de la fraude, il conviendrait qu’un effort d’adaptation des réglementations soit
engagé, pour réduire les possibilités de fraudes. En effet, l’ampleur des fraudes est accrue,
lorsque la réglementation est confuse ou que les référentiels sont difficiles à rendre
opposables. Un effort multiforme devrait donc être entrepris pour repérer les sources de
complexité et de confusion dans le régime des différentes prestations, avec pour objectif de
les rendre plus lisibles et plus faciles à appliquer.
Parmi bien d’autres possibles, un exemple a paru particulièrement représentatif, puisqu’il
concerne les trois branches : la définition des ressources.
En l’état actuel de la réglementation, le recours à des définitions variées pour une même
grandeur, les ressources, comporte deux conséquences fâcheuses :
-
elle rend plus complexe le contrôle et plus difficiles les croisements de fichiers ;
-
elle réduit l’intelligibilité des obligations déclaratives des bénéficiaires et partant
l’appréciation de leur bonne foi en cas d’erreur.
Les divergences peuvent porter sur le périmètre des ressources prises en compte ou sur la
période de référence. Alors que les ressources prises en compte pour la CMU sont définies par
référence aux revenus fiscaux (article L 380-2 du CSS) de l’année civile précédente pour la
période allant du 1er octobre d’une année au 30 septembre de l’année suivante, pour la
CMUC ce sont les ressources imposables et non imposables qui ont été effectivement perçues
au cours de la période des 12 mois civils précédant la demande (article R.861-8 du CSS).
Certes, il s’agit dans un cas de définir l’exigibilité éventuelle d’une cotisation et dans
l’autre le droit à la prise en charge. Mais cela ne peut justifier une telle différence dans les
périodes de référence en matière de déclaration des ressources, différence qui rend
pratiquement impossible le contrôle des ressources déclarées au titre de la CMUC par
croisement avec les données détenues par les services fiscaux. Une expérimentation menée
par la CNAMTS (en 2007) a ainsi mis en lumière un nombre si important de divergences
entre les ressources déclarées à la caisse et celles constatées dans les fichiers de la DGI
(74 %) qu’il devenait impossible d’utiliser ces fichiers pour identifier les fausses déclarations
de la part des bénéficiaires.
Mais c’est dans la branche retraite que subsiste la principale singularité puisque les
ressources considérées pour le versement des prestations non contributives et des pensions de
réversion restent définies par un texte spécifique, le décret du 1
er
avril 1964. Une
harmonisation et une simplification de ces réglementations, d’ailleurs souhaitées par la
CNAV, seraient donc un facteur puissant, donnant aux croisements de fichiers une portée
accrue.
Il conviendrait de recenser les domaines pour lesquelles des évolutions législatives ou
réglementaires paraissent susceptibles de réduire les possibilités de fraudes liées aux
prestations. Le rapport annuel de la DNLF pourrait intégrer des recommandations à cet
effet.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
55
4. Une stratégie nationale insuffisamment formalisée et priorisée
Comme on l’a déjà indiqué, la priorité reconnue à la lutte contre la fraude a permis des
progrès très nets et s’est traduite par une série d’actions efficaces : systématisation des
croisements de fichiers, mise à disposition systématique de sanctions nouvelles graduées.
Toutefois, il n’est pas certain que l’on puisse repérer, malgré la « commande » en ce sens, un
plan stratégique explicite de lutte contre la fraude, établi de manière formalisée. La stratégie
paraît en outre incomplète, en ce sens que son champ est trop restreint et qu’elle n’a pas
suffisamment identifié la contribution respective des différents acteurs.
a) Les documents d’orientation ne sont pas déclinés par les réseaux
Des orientations nationales ont été fixées, correspondant aux progrès identifiés
précédemment. Comme l’a souligné le ministre du budget, des comptes publics et de la
fonction publique, lors du comité de lutte contre les fraudes qu’il présidait en mai
2009, « avec l’installation du CNLF et la création de la DNLF, les pouvoirs publics souhaitent
définir des axes dans lesquels des progrès gigantesques peuvent encore être faits : - connaître
la fraude ; (…) - fixer des objectifs de lutte contre la fraude dans les conventions d’objectifs et
de gestion ; (…) - adapter les outils juridiques ; (…) - accroître les échanges d’informations
(….). »
De telles orientations devraient être prolongées dans les plans annuels d’actions contre les
fraudes qu’établissent les différentes branches : tel n’est pas le cas. Dans ces documents,
aucun de ces objectifs ne s’y trouve décliné en objectifs opérationnels et assorti d’un
calendrier. Apparaît donc un hiatus entre, d’une part, des orientations nationales et leur
insertion dans les programmes opérationnels.
Du fait de cette solution de continuité, les actions annoncées, au plan ministériel, risquent
de ressembler à un catalogue de points particuliers, éloignés des cibles prioritaires. De
manière symptomatique, le relevé de conclusion arrêté à l’issue de cette réunion fixe des
objectifs beaucoup plus ponctuels :
« 1) Actions à très court terme : - Augmenter de 10 % le montant des fraudes détectées
en 2009 par les services ou organismes (4,08 Md€ en 2008, y compris les fraudes aux
prélèvements) ; - Diffuser dans les prochains jours la circulaire commune Justice-Budget de
politique pénale concernant les fraudes aux prestations sociales ; - Lancer une campagne de
communication en direction du grand public.
2) Pistes de travail pour les prochains mois : - approfondir les thèmes proposés :
levée du secret professionnel entre contrôleurs, profilage informatique, - accélérer et
encourager le décloisonnement entre les services et les organismes de protection sociale,
(…) ; - poursuivre les efforts en matière d’échanges d’informations ; évaluer la mise en
oeuvre du droit de communication, en particulier au bénéfice des organismes de sécurité
sociale ; augmenter très fortement les signalements de suspicions de fraude entre services
fiscaux et organismes de sécurité sociale (6 562 en 2008) ; suivre la mise en oeuvre du
répertoire national commun de la protection sociale ;- poursuivre la sécurisation de
l’utilisation de la carte Vitale ; renforcer le contrôle de la condition de résidence pour les
bénéficiaires de l’assurance maladie. ».
Tous ces objectifs sont pertinents. Cependant, un cadre d’ensemble devrait mieux les
mettre en perspective. Les rares objectifs généraux mentionnés, comme l’augmentation des
fraudes détectées, seraient plus mobilisateurs si des objectifs spécifiques étaient fixés à
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
56
chaque branche, en rapport avec leurs perspectives de progression : ainsi un objectif de
progression de 10 % pour la branche retraite revient à lui demander de détecter 0,2 M€
supplémentaires en 2009, soit 20 fois moins que l’estimation des fraudes caractérisées par la
mission d’inspection pour les seules fraudes aux carrières longues.
Quant aux autres actions, elles gagneraient à être placées dans un cadre commun, ensuite
décliné par branche et par régime. Ainsi pour la communication, qui devrait distinguer un
volet de communication interne, envers les personnels des caisses, un volet de communication
spécialisée, par exemple envers les professionnels de santé, enfin un volet destiné au grand
public.
Deuxième conséquence de ce décalage, certains volets pourtant essentiels au bon
déploiement d’une stratégie de lutte contre les fraudes aux prestations ne sont pas traités, en
tout cas de manière explicite : ainsi, les annonces faites sur les évaluations ou la
communication sur les fraudes restent peu suivies d’effets.
Rien n’est dit sur le contrôle interne, sur le suivi de l’effectivité des croisements de
fichiers, sur les bonnes pratiques pour contrer les fraudes internes… Or sur tous ces points,
faute d’un cadrage national, les orientations des caisses nationales risquent d’être insuffisantes
et les pratiques dans les caisses locales décevantes.
En réalité, le « plan contre la fraude » évoqué dans la lettre de mission adressée au
ministre des comptes publics, n’a pas été établi de manière formalisée. Un tel plan aurait
permis de hiérarchiser les objectifs et de mesurer les progrès accomplis. Il serait utile pour
permettre aux différents organismes de mieux situer leurs contributions et de mieux décliner
leurs propres perspectives.
b) Les missions des différents pôles doivent être précisées et spécifiées
Une telle définition suppose sans doute, au préalable, que soient clarifiées les missions
respectives des différents intervenants, DNLF, DSS, en dehors des caisses nationales.
i) les missions de la DNLF
Le décret précité du 18 avril 2008 lui confie une mission de coordination, qui se concentre
sur les facteurs relevant de plusieurs organismes ou administrations, mais pas exclusivement.
Selon ce texte, elle a pour missions :
« 1° De veiller à l’efficacité et à la coordination des actions menées en matière de lutte
contre la fraude, entre les services de l’Etat concernés, d’une part, et entre ces services et les
organismes de sécurité sociale, les organismes de gestion de l’assurance chômage,
l’association pour le régime de retraite complémentaire des salariés et l’association générale
des institutions de retraite des cadres, d’autre part, notamment dans le cadre des conventions
d’objectifs et de gestion passés entre l’Etat et les organismes de sécurité sociale (…) ;
2° D’améliorer la connaissance des fraudes ayant un impact sur les finances publiques, et
notamment d’améliorer l’évaluation existante, le suivi de son évolution et la typologie des
fraudes ;
3° De contribuer à garantir le recouvrement des recettes publiques et le versement des
prestations sociales, notamment en favorisant le développement des échanges d’information,
l’interopérabilité et l’interconnexion des fichiers dans les conditions prévues par la loi du 6
janvier 1978 susvisée ;
COUR DES COMPTES (avril 2010)
57
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
4° De contribuer à la mise en oeuvre d’une politique nationale de prévention et de communication
;
5° De définir des axes d’une coopération renforcée avec les organismes et administrations
étrangers ;
6° De piloter l’activité des comités opérationnels de lutte contre le travail illégal mentionnés à
l’article 8 et des comités locaux mentionnés à l’article 11 ;
7° De proposer toute réforme permettant d’améliorer la lutte contre la fraude, en particulier pour
renforcer les prérogatives des agents concernés, les outils à la disposition des services, les méthodes
d’enquêtes, ainsi que l’effectivité des sanctions ».
Comme on le voit, ces missions sont diversifiées et variables, selon les domaines : tantôt
la délégation est « chef de file » ou « pilote », tantôt elle « contribue ». Une telle énumération
est-elle suffisante, par rapport aux enjeux ?
Le conseil d’analyse stratégique (CAS), dans les recommandations qui concluent son
évaluation relative à la lutte contre la fraude, a préconisé comme une « hypothèse de travail »
de rassembler l’ensemble des instances en charge de la lutte contre la fraude dans une agence
aux prérogatives élargies, capable notamment d’assurer «
la définition pour chaque prestation
de ce qui relève de la fraude, de l’abus ou de l’erreur en procédant ou supervisant le
retraitement de certains dossiers sur le principe de l’échantillon représentatif, en testant les
dispositifs de contrôle au moyen de dossiers mystères
», ou encore de «
définir un plan de
travail global visant à lutter contre la fraude
», enfin «
de superviser les mécanismes de
pénalités et de suspensions de prestations afin d’assurer une homogénéité de traitement à ces
voies alternatives du contentieux de droit commun
».
Certes, la note a été publiée juste après la création de la DNLF et elle ne pouvait donc
rendre compte de son action (elle est citée, avec la recommandation qu’elle s’inspire des
institutions existant à l’étranger). Il est évident, cependant, que celle-ci ne dispose pas des
prérogatives confiées, dans les pays de l’OCDE qui ont déployé des programmes de lutte
contre la fraude aux prestations, aux institutions chargées de les mettre en oeuvre.
Pour autant, la recommandation faite, si elle revient à donner un pouvoir direct de
prescription à cette nouvelle instance, risquerait, au nom de cette seule politique de lutte
contre la fraude, de saper l’autorité des caisses nationales et de les déresponsabiliser, alors
qu’elles doivent mobiliser les organismes de leurs réseaux.
Une voie moyenne serait donc de confier à la DNLF une mission élargie :
-
à la définition d’un plan global, assorti d’objectifs individualisés par acteur incluant
l’ensemble des volets constitutifs de la politique de lutte contre la fraude;
(communication, contrôle interne, mise en oeuvre des pénalités, résultats de tests
« mystères »,…) ;
-
à l’évaluation des actions effectives réalisées. Le rapport annuel de la DNLF,
d’ailleurs explicitement prévu par le décret
71
, pourrait être ainsi enrichi pour donner à
la délégation, cette fonction d’évaluation critique, en complément de son rôle de
coordination des seuls aspects partagés des politiques.
71. L’avant dernier alinéa du même article 2 précise qu’elle « établit un rapport annuel qui fait le bilan des
actions réalisées et des résultats obtenus dans la lutte contre la fraude et qui donne des orientations sur la
coordination en matière de lutte contre la fraude ».
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
58
Un plan de lutte contre la fraude devrait être établi, pour une durée de trois à cinq ans,
détaillé par opérateur et donc par branche et régime, puis être évalué de manière formalisée.
La DNLF pourrait se voir confier cette double mission d’établir ce plan, après avoir
recueilli les avis et les propositions des branches, puis d’évaluer les réalisations constatées.
ii) les missions de la DSS
Au sein de la DSS, un directeur de projet a été nommé en 2006, chargé de coordonner les
actions des différentes sous-directions sectorielles (par branches), dans le domaine de la lutte
contre la fraude. Comme on l’a vu, c’est ce cadre qui a assuré le secrétariat général du comité
interministériel de lutte contre la fraude, avant la création de la DNLF, désormais chargée de
cette tâche.
Un risque de concurrence existe entre cette cellule (le directeur de projet et son adjoint),
qui poursuit ses missions, et la DNLF. Des missions propres lui incombent, notamment celle
de coordonner les orientations qui doivent figurer dans les COG ou d’assurer une veille sur
les textes relatifs aux prestations ou au contrôle. C’est d’ailleurs cette cellule qui suit
également le bon avancement des textes législatifs et leur traduction en textes réglementaires
et en circulaires. C’est elle aussi qui coordonne les relations entre les caisses nationales et la
CNIL.
La coordination entre les deux pôles, de la DNLF et de la DSS, est assurée par la création
d’un rendez-vous mensuel entre le DSS et le DNLF, élargi tous les trimestres aux directeurs
des caisses nationales. Plusieurs groupes de travail spécialisés ont également été crées.
On note cependant des exemples de dysfonctionnements : ainsi les indicateurs recherchés
par la DNLF (comme le nombre d’agents affectés au contrôle) ont été identifiés sans que la
DSS soit consultée, par interrogation directe des caisses nationales, et sans qu’une
méthodologie harmonisée soit définie (ce qui rend les données moins fiables et moins
comparables). De même, la campagne de communication nationale engagée à l’initiative de
l’ACOSS, à l’automne 2009, a été étendue aux branches prestataires, sous forme de spots
dédiés, mais sans aucune participation ni de la DSS, ni même de ces caisses nationales.
L’élaboration d’une typologie des fraudes constitue un deuxième exemple d’une forme de
concurrence peu productive : la DNLF a élaboré à mi 2009 une typologie a priori assez
séduisante, mais sans concertation avec la DSS, ni semble-t-il avec les caisses nationales, dont
les systèmes d’information ne sont pas adaptés pour suivre les catégories ainsi proposées. La
DSS quant à elle vient d’engager un travail avec les caisses nationales, justement à partir des
systèmes d’information des caisses, pour construire une typologie des fraudes homogène entre
les branches. Mais elle n’a pas associé la DNLF à ce travail.
D’une manière plus générale, il paraît évident qu’une complémentarité existe entre ces
deux pôles :
-
la DNLF apporte sa connaissance des administrations financières et permet d’intégrer
les efforts des branches prestataires dans un cadre plus large ;
-
à l’inverse, la DSS permet de coordonner les interventions contre la fraude avec les
autres politiques que mettent en oeuvre les régimes et les branches.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
59
En raisonnant par analogie avec les notions de « maîtrise d’ouvrage » et de « maîtrise
d’ouvrage déléguée », on pourrait poser comme principe que la maîtrise d’ouvrage des
différents chantiers incombe à la DNLF, qui est donc responsable de leur inscription dans un
agenda global (bien entendu, en concertation avec les différents opérateurs et avec les
tutelles) ; mais que le suivi plus précis des chantiers qui ne concernent que les branches du
régime général (ou les régimes) devrait relever de la DSS, au-delà des seuls points inscrits
dans les COG.
Il conviendrait donc que l’organisation des groupes de travail, ou le suivi des relations
avec les caisses nationales soient clarifiés, par une identification plus précise de
l’administration « chef de file ».
La « mise en mouvement » des caisses nationales et par leur intermédiaire des caisses de
base est en effet un chantier complexe, qui exige continuité et cohérence. D’autres impératifs
publics peuvent entrer en conflit avec cet objectif, comme la volonté (pour ne donner que
l’exemple de la branche maladie) d’obtenir le consentement des professionnels de santé et de
leurs organisations collectives, et donc d’éviter de multiplier les actions contentieuses ou les
sanctions pécuniaires. La pratique d’un « contingentement » quantitatif, par instructions
orales des cabinets chargés de la santé, du nombre des actions autorisées au plan national à
l’encontre des médecins a ainsi été évoquée à plusieurs reprises, sans toutefois pouvoir être
documentée.
Dans ce contexte, il paraît particulièrement nécessaire que les diverses administrations de
l’Etat chargées à un titre ou à un autre du suivi et de l’impulsion des actions de lutte contre la
fraude présentent un « front uni », capable de convaincre les interlocuteurs des caisses de la
détermination à changer les pratiques et à mieux faire respecter des règles qui, dans certains
cas, avaient été perdues de vue.
c) La définition d’indicateurs d’efficacité plus pertinents
Il est enfin souhaitable que soit constitué un tableau de bord sélectif des objectifs et des
résultats obtenus, éventuellement des moyens mobilisés en regard. Les deux pôles que sont la
DSS et la DNLF ont tous deux réfléchi à des indicateurs pertinents, d’ailleurs dissemblables :
•
La DSS a cherché à mettre l’accent sur l’usage effectif des dispositions nouvelles. Les
indicateurs de son « tableau de bord » suivent ainsi :
- le nombre de recours au droit de communication (par grandes catégories d'opérateurs),
- le nombre de pénalités infligées,
- le nombre de procédures engagées, en application du décret dit « train de vie »,
- un bilan de l'expérimentation de la contre visite employeurs (article 103 LFSS 2008),
- le nombre de sanctions prononcées « pour l'avenir » (article 110 I de la LFSS 2008).
•
La DNLF de son côté a cherché à constituer une base plus large, portant notamment sur les
moyens mobilisés, les montants détectés et le montant des sanctions. Elle interroge ainsi
(de manière directe) les caisses nationales sur le nombre de contrôles, sur le nombre et le
montant des dossiers de fraudes détectés, sur le nombre de transmissions à d’autres
services, le nombre de sanctions administratives ou de dépôts de plaintes. Elle met en
regard ces indicateurs de résultats avec plusieurs indicateurs de moyens, en ETP et en coût.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
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60
•
Un suivi d’ensemble devrait cependant reposer sur des résultats plus limités en nombre,
mais tous susceptibles d’objectifs mobilisateurs, puisqu’ils correspondent aux trois grandes
phases d’action :
-
estimation de la fraude potentielle pour la branche (et objectif corrélatif quantifié
de diminution, grâce à la
prévention
) ;
-
estimation de la part détectée, soit fraudes détectées rapportées aux fraudes
potentielles (et objectif d’augmentation de cette part, due à la
détection
) ;
-
estimation de la part des fraudes détectées qui fait l’objet d’une sanction (avec
pour objectif l’augmentation de cette part de
sanctions
, au moins dans la phase
actuelle).
Seule la CNAF est en mesure aujourd’hui de renseigner ces données de manière
suffisamment fiable. Il conviendrait que l’ensemble des branches y parviennent pour que des
objectifs à la fois réalistes et mobilisateurs puissent être fixés.
Un tableau de bord simplifié, commun à la DSS et à la DNLF, devrait permettre de
définir des objectifs relatifs aux trois phases des actions de lutte contre la fraude.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
62
II.
Du fait d’impulsions insuffisantes des caisses nationales, les
actions des caisses locales restent trop limitées
Une politique de lutte contre la fraude conduit à cibler (outre le préalable qu’est
l’évaluation du montant des fraudes) trois objectifs distincts et cumulatifs :
-
diminuer le total des fraudes potentielles (qu’on peut appeler par analogie avec le
vocabulaire policier, le « chiffre noir » de la fraude), ce qui renvoie à l’efficacité des
actions de prévention ;
-
augmenter la part détectée au sein de ces fraudes estimées, ce qui renvoie à
l’efficacité des actions de détection et de caractérisation,
-
enfin, sanctionner une part accrue des fraudes détectées, ce qui renvoie à l’efficacité
des actions de sanction ou de répression.
On l’a vu, les progrès accomplis ou en cours au plan national ont permis dans une large
mesure de diversifier les outils mis à la disposition des organismes, chargés des actions
opérationnelles, pour ces différents segments. Mais l’efficacité réelle dépend de l’usage que
font les organismes de ces outils, de leur capacité et de leur volonté à se les « approprier ». Il
est dès lors indispensable de passer en revue les actions menées dans les trois réseaux
prestataires, sous ce triple aspect.
Au préalable, cependant, il a paru utile de situer la capacité d’action des caisses
nationales, leur aptitude à transmettre une impulsion suffisante aux caisses locales dans ce
domaine de la lutte contre les fraudes.
A. Une impulsion encore insuffisante de la part des caisses nationales
Dans ce domaine particulier de la lutte contre les fraudes, les caisses nationales « têtes de
réseau », ont acquis des compétences nouvelles ; en outre, elles ont pu surmonter divers
obstacles que l’on peut qualifier au sens large de « culturels ». Mais elles ne se sont pas
dotées d’outils adaptés au suivi des actions effectives des caisses.
1. Une capacité juridique désormais suffisamment reconnue
a) Malgré les responsabilités étendues des directeurs locaux …
L’intensité des actions contre les fraudes varie fortement, on l’a vu, d’une caisse à l’autre,
et ce dans les trois branches prestataires. Quelques organismes se sont de longue date
impliqués, d’autres, plus nombreux, semblent marquer une forme d’inertie délibérée, la plus
grande part des organismes se situant entre ces deux extrêmes, avec des résultats souvent
assez faibles.
Les choix du directeur, dans ce domaine, constituent un des facteurs d’explication, dans la
mesure où les textes lui confient un rôle particulier. Il est en effet chargé, et c’est sa première
responsabilité, selon le texte de l’article L. 122-2 du code de la sécurité sociale
« de décider
des actions en justice à intenter au nom de l’organisme dans les matières concernant
(notamment) les rapports dudit organisme avec les bénéficiaires des prestations, les
COUR DES COMPTES (avril 2010)
63
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
producteurs de biens et de services médicaux et les établissements de santé (…) ».
Dans les
autres domaines il peut recevoir délégation du conseil d’administration pour agir en justice
72
.
On relève, pour ne donner que cet exemple célèbre par son incidence médiatique, l’impact
donné par la CPAM de Nantes à la lutte contre la fraude, en vertu d’un choix personnel du
directeur qui avait décidé, dès 1993, de constituer une équipe renforcée de cinq contrôleurs
assermentés.
Reflet de cette plus ou moins forte implication, les moyens disponibles pour lutter contre
la fraude ou le nombre de procédures pénales initiées sont très variables, comme sont très
variables les actions recensées, d’une caisse à l’autre du même réseau.
b) … une « nationalisation » partielle de cette politique
L’article L 114-9 du code de la sécurité sociale, issu de la LFSS pour 2006, précise
« que
les directeurs (des organismes) sont tenus lorsqu’ils ont connaissance d’informations ou de
faits pouvant être de nature à constituer une fraude, de procéder aux contrôles et enquêtes
nécessaires. Ils transmettent à l’autorité compétente de l’Etat le rapport établi à l’issue des
investigations menées ». (…) « Les organismes nationaux suivent les opérations réalisées par
les organismes (locaux). Ils en établissent une synthèse qui est transmise au ministre chargé
de la sécurité sociale. Un arrêté (de ce ministre) en définit le contenu et le calendrier
d’élaboration ».
Les deux alinéas suivants prévoient, d’une part une obligation de dépôt de plainte avec
constitution de partie civile, au-delà d’un certain seuil financier ; d’autre part une possibilité
de substitution. En cas de carence, ou s’ils sont mandatés à cet effet, les organismes nationaux
peuvent aussi déposer plainte avec constitution de partie civile.
En réalité, ces articles instaurent une surveillance par les caisses nationales, mais pas une
responsabilité partagée. D’ailleurs, les articles qui définissent les domaines dans lesquels est
reconnue une responsabilité particulière des caisses nationales du régime général (par
exemple, l’article L. 221-1 du code de la sécurité sociale, pour les missions de la CNAMTS)
énumèrent des domaines comme la prévention, le contrôle médical, la coordination de l’action
sanitaire et sociale des caisses, entre autres missions, mais n’incluent pas parmi ces missions
la lutte contre la fraude, ou même simplement la coordination des actions des caisses dans
cette lutte. Cette habilitation, dans le contexte d’une présence de plus en plus affirmée des
têtes de réseau dans la gestion des caisses locales, est cependant suffisante pour permettre aux
caisses nationales de donner les impulsions nécessaires.
2. Des obstacles « culturels » progressivement levés
Au niveau local comme d’ailleurs au niveau national, la reconnaissance d’une priorité à la
lutte contre les fraudes n’allait pas de soi, compte tenu de divers obstacles, progressivement
levés, semble-t-il.
a) Des facteurs locaux
Au-delà de l’implication variable du directeur ou des agents de direction, une forme
d’identité collective des agents de la caisse influe sans doute aussi, qui se perçoivent, dans les
72. Dans la branche maladie, depuis la loi dite LAM de 2004, c’est le directeur qui représente l’organisme en
justice.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
64
branches prestataires, comme étant au service des allocataires et des assurés, et donc conduits
à « distribuer » des prestations plus qu’à surveiller le risque d’éventuels trop versés et à en
exiger le reversement.
Cette culture est plus ou moins marquée selon les branches : elle paraît notamment forte
dans la branche famille, qui verse une part significative de prestations sous conditions de
ressources, à des allocataires proches de la précarité (les prestations les plus souvent fraudées
le sont, statistiquement, par des allocataires ne percevant que des revenus réduits).
Selon les interlocuteurs rencontrés, cependant, une acceptation voire une adhésion
croissante existerait désormais à l’égard des actions de lutte contre les fraudes. Le contenu des
supports de communication interne examinés en témoigne (voir infra).
b) Des réticences récurrentes au niveau national
Deuxième frein potentiel, les caisses nationales elles-mêmes peuvent établir des ordres de
priorité qui seraient défavorables à la lutte contre la fraude, laquelle suppose des actions de
long terme pour des résultats peu spectaculaires, tout en demandant des moyens significatifs.
Même si les réticences sont à chaque fois différentes, d’autres politiques, difficilement
compatibles avec la lutte contre la fraude, peuvent être considérées comme prioritaires :
-
dans l’assurance maladie, la politique de « gestion du risque », qui vise d’abord à
infléchir les comportements des professionnels de santé, peut paraître prioritaire.
Sans être contradictoire avec une politique de lutte contre la fraude, elle suppose de
rechercher des relations de confiance avec les organisations représentatives des
professionnels de santé, ce qui peut conduire à ne progresser que lentement dans les
mesures de sanctions.
-
Dans la branche retraite, le ciblage des actions de lutte contre la fraude conduirait à
poser la question du contrôle des carrières et en particulier à rechercher d’éventuels
faux bulletins de salaires, ce qui est très coûteux en temps, puisque cela implique
d’étendre les missions des liquidateurs et ne correspond pas aux priorités actuelles de
la branche, confrontée à une croissance des flux annuels de liquidation.
-
Dans la branche famille, de même, la priorité est de réussir la mise en oeuvre des
réformes nouvelles telles que le RSA.
Une des conséquences directes de cette hiérarchie de priorités est le risque de voir les
agents disponibles affectés à d’autres missions, des contrôleurs partis en retraite non
remplacés, donc d’un sous-calibrage des effectifs nécessaires au contrôle.
A l’inverse, la certification des comptes a conduit les caisses à renforcer les démarches de
contrôle interne qui incluent la prévention de la fraude. De la même façon, selon les
interlocuteurs rencontrés, les partenaires sociaux au sein des conseils ont évolué sur cette
question (notamment avec le retour au sein des conseils des représentants du MEDEF). Leur
soutien serait suffisant pour poursuivre des politiques ambitieuses dans les trois branches.
3. Une animation encore insuffisante de l’action des organismes locaux.
La lutte contre la fraude n’a pas été suffisamment intégrée dans les mécanismes, peu
nombreux, qui permettent aux caisses nationales de mettre sous tension de résultat les caisses
locales.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
65
a) Des actions croissantes
i) des modèles différenciés selon les branches
D’une branche à l’autre, les modalités de pilotage national de l’action des caisses dans le
domaine de la fraude empruntent des voies assez différenciées, correspondant sans doute aux
particularités de chaque branche.
- dans la
branche retraite,
celle qui dispose du réseau d’organismes le moins nombreux,
une « animation » directe est exercée par la responsable de la cellule fraude, sur les référents
de chaque caisse ;
- dans la
branche maladie
, comme pour la gestion du risque, le suivi est exercé par
l’intermédiaire de la direction de réseau, qui co-signe par exemple les lettres réseau relatives à
la fraude. Ce domaine est donc implicitement intégré dans le suivi général des performances
des caisses ;
- dans la
branche famille
, enfin, la caisse nationale suit les progrès des caisses locales en
matière de lutte contre la fraude par l’intermédiaire de la démarche de maîtrise des risques.
ii) le développement de requêtes ciblées dans les trois branches
Depuis 2007, date de la mise en place effective de la direction de lutte contre les fraudes,
la CNAMTS a développé une série de travaux consistant à extraire des bases de données sur
les soins et les remboursements des « profilages », qui permettent de faire apparaître des
atypies marquées, et donc dans certains cas des suspicions de fraudes.
Les outils législatifs et réglementaires nouveaux permettent en effet de sanctionner les
seules atypies, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’intention frauduleuse ou de prouver
qu’une règle a été enfreinte.
Dans la branche famille, de même, dans le cadre de la démarche de maîtrise du risque, ont
été définies des « cibles » de contrôle de plus en plus précises et détaillées qui reposent sur
une analyse des systèmes d’information (mais le travail sur les fichiers et l’exploitation des
traitements sont délégués aux caisses locales).
De telles requêtes sont déployées depuis 2008 par la branche retraite.
iii) des actions de formation et de sensibilisation en nombre croissant
A l’exception de la CNAV, qui inclut la présentation de sa procédure « carrière à risque »
dans les formations initiales et qui propose des formations pour les agents chargés du
contrôle, les caisses nationales n’ont pas, jusque très récemment, mis à disposition des caisses
locales des modules de formation consacrés à la fraude. Les organismes locaux ne peuvent
donc compter que sur leurs propres moyens, ce qui limite pour l’instant ce type d’action aux
caisses les plus importantes. En revanche, la sensibilisation de l’ensemble des personnels a été
assez largement réalisée par des actions de communication interne, comme le montre le
tableau qui suit.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
66
Tableau n° 8 :
Sensibilisation, formation et motivation
des personnels dans les organismes locaux
OUI
Nombre de réponses
CAF
CPAM
CAF
CPAM
Les techniciens ont-ils été sensibilisés à la
fraude?
97,4%
93,2%
116
100
les techniciens ont-ils été formés à la détection
de la fraude?
37,0%
33,7%
111
98
Leur participation à la lutte contre la fraude
est-elle valorisée?
28,4%
62,5%
116
91
Leur participation à la lutte contre la fraude
est-elle rémunérée?
2,6%
2,0%
117
103
Source : Cour des comptes (données recueillies auprès des CAF et des CPAM)
c) Un suivi encore trop limité des performances comparées des caisses locales
La création d’une cellule spécialisée dans chacune des caisses nationales avait pour
objectif de mieux appuyer l’action des caisses locales, de mettre à leur disposition des outils
nouveaux et de favoriser les échanges d’expérience. Il est logique que la montée en charge de
ces unités nouvelles demande du temps.
Même en tenant compte de cet effet, les constats qu’il est possible de faire, à fin 2009,
paraissent marqués par une insuffisance des actions visant à consolider les résultats des
différents organismes et à mutualiser leurs expériences.
i)
la faiblesse des outils
Ainsi, dans la branche famille, alors que les contrôles effectués mettent à jour chaque
année plusieurs milliers de cas de fraude, il n’existe aucun bilan coût/produit par contrôle, ni
système d’enregistrement et de restitution de la typologie des fraudes, autre que très
sommaire. La réalisation d’un tel outil est seulement en cours. Par ailleurs, si le produit des
différentes cibles est connu, ses variations d’un organisme à l’autre ne sont pas analysées.
La défaillance dans la circulation de l’information est aussi descendante ; la caisse
nationale ne peut diffuser dans le réseau des bonnes pratiques qu’elle ignore. Cette défaillance
a notamment pour conséquence que les organismes locaux développent des pratiques
différentes pour faire face à des problématiques strictement identiques. Ainsi en est-il
notamment pour les conséquences tirées par les organismes d’un retour de courrier NPAI.
Un constat analogue peut être fait pour la branche maladie : d’une manière générale, dans
le cas des actions décentralisées, la pauvreté des informations remontées à la caisse nationale
est patente. Il s’agit avant tout de contribuer à l’élaboration de statistiques nationales qui
pourront être présentées à la tutelle mais pas de synthétiser les expériences et de partager les
savoirs.
ii)
la rareté de diffusion des meilleures pratiques
Paradoxalement, alors que sont recherchés des échanges d'informations et d'expériences
plus intenses entre organismes des différentes administrations et branches, dans une même
région ou un même département, les échanges sur la lutte contre les fraudes restent encore
limités entre les organismes d’un même réseau, et entre ceux-ci et les caisses nationales. Seule
COUR DES COMPTES (avril 2010)
67
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
la branche retraite réunit ses référents, chaque trimestre et procède à des échanges périodiques
sur les meilleures pratiques.
On peut donner un exemple de l'absence de diffusion des « meilleures pratiques », avec la
question de la lutte contre les fraudes liées à la consommation de SUBUTEX®
73
. Introduit
sur le marché en 1996, c'est en France le vecteur privilégié de la politique de désintoxication
des opiomanes. Ce produit peut néanmoins être détourné de son usage thérapeutique par le
trafic de revente.
Débutée en septembre 2004, une action nationale de contrôle se prolongeait encore en
2008 avec des résultats limités. Selon l’observatoire français des drogues et toxicomanies
(OFDT) :
« il semble que le contrôle exercé par les CPAM n’ait eu que peu d’impact sur la
présence globale du SUBUTEX® sur le marché parallèle, les détournements non contrôlés
continuant à l’alimenter »
74
.
Dans son « Etat des lieux et tendances récentes (2007-2009) », paru en janvier 2010 sur
les drogues et l’usage des drogues en France, l’OFDT poursuit l’analyse des effets de la
politique de contrôle menée par les CPAM :
« ces contrôles ont été menés avec des stratégies
variables selon les départements, à l’origine de situations locales diverses. À l’exception du
site de Toulouse, il semble que le contrôle exercé par les CPAM n’ait eu que peu d’impact sur
la présence globale du Subutex® sur le marché parallèle jusqu’en 2007 où des tensions se
sont clairement fait sentir sur le marché. »
75
Certaines CPAM semblent pourtant avoir au moins partiellement
76
résolu le problème des
« méga-consommateurs », en imposant aux bénéficiaires de prescription de BHD la
désignation d’un médecin prescripteur et d’un unique pharmacien dispensateur du produit.
Une CPAM a ainsi ramené la proportion de gros consommateurs de 8,15 % en janvier 2004 à
4,14 % en juillet de la même année (soit -50 % en 6 mois) et à 0,51 % en février 2008. Leur
nombre est passé de 86 à 6 alors que le nombre total de patients traités augmentait de 1 055 à
1 167. Les consommations aberrantes ont donc été très significativement réduites, sans que la
distribution à bon escient du traitement ait été compromise. Cela n’empêche certes pas
complètement le trafic mais en complique considérablement le mode opératoire puisqu’il faut
alors multiplier les identités bénéficiant du tiers payant. Cette bonne pratique n’a cependant
pas été généralisée ni même portée à la connaissance du réseau.
73. Buprénorphine haut dosage ou BHD. Les traitements de substitution des dépendances aux opiacés (TSO)
suppriment les signes de manque consécutifs à l’arrêt de l’héroïne, en permettant aux personnes une réinsertion
sociale.
74. « Phénomènes émergents liés aux drogues », Huitième rapport du dispositif TREND, Février 2008, p.83.
75. En revanche, toujours selon le même organisme la nette diminution des sujets recevant 32 mg/j de BHD ou
plus est à porter au crédit de l’assurance maladie. « C’est une conséquence directe du plan de contrôle de
l’Assurance maladie mené depuis 2004 auprès des assurés suspects de détournement voire de trafic de MSO et
basé sur différents types d’actions selon les cas observés (établissement d’un protocole de soins entre le médecin
prescripteur et le patient, suspension de certaines prestations non médicalement justifiées voire poursuites
pénales) » cf « Données récentes relatives aux traitements de substitution aux opiacés » TENDANCES – OFDT
mai 2009.
76. Selon la CNAMTS, il est possible que les comportements des fraudeurs se soient modifiés, et que désormais
une fraude de type nouveau, par multiplication des petits consommateurs, soit apparue. Il est d’ailleurs possible
que cette modification soit une réponse aux mesures prises, ce qui confirmerait, paradoxalement, leur efficacité
relative (d’autres mesures devront donc être imaginées en réponse aux évolutions / modifications des formes de
fraude).
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
68
iii)
l’absence de conseil pour l’organisation des tâches de traitement des fraudes
Alors même que les tâches élémentaires sont assez complexes, elles ne sont que peu
décrites par les caisses nationales :
-
le quantum de temps nécessaire pour traiter un dossier de sanction n’a été évalué, ni
par la CNAF, ni par la CNAV, ni par la CNAMTS. Il paraîtrait pourtant
indispensable que la progression attendue du nombre des sanctions financières
prononcées, en particulier par les deux branches maladie et famille, puisse être
assumée par des agents dédiés à cet effet, au sein d’un service disposant des
compétences requises.
-
Le choix entre les différentes procédures, pour des cas types, n’a pas fait l’objet de
description particulière.
iv)
l’absence de « mise sous tension de résultats »
Le suivi se limite souvent à un appui dans les cas les plus lourds, voire à une simple prise
de connaissance des fraudes d’une certaine ampleur, plus d’ailleurs par précaution, du fait du
risque d’écho médiatique allant au-delà du rayon de la caisse locale.
Au total, donc, les caisses nationales ne se sont pas dotées d’outils leur permettant :
-
d’établir un diagnostic critique sur l’exercice par un organisme local des missions de
lutte contre la fraude ;
-
d’apporter des conseils pour l’organisation de la fonction, au sein de l’organisme ;
-
enfin de demander et de suivre un plan d’actions, en cas de carence évidente.
Il conviendrait que chaque caisse nationale « tête de réseau » se dote des outils qui lui
permettent de réaliser une analyse critique des actions de lutte contre les fraudes de chaque
organisme local et de demander des plans d’actions correctives en cas de carence persistante
.
B. Des actions encore limitées dans le domaine de la prévention des fraudes
Dans le domaine de la prévention de la fraude, on note une prudence excessive :
-
les actions de communication ciblées restent rares et peu explicites ;
-
le déploiement du contrôle interne n’a pas véritablement intégré la fraude comme cible
prioritaire.
1. Une communication externe peu active
Des actions de communication interne, en direction des agents, peuvent être notées en
nombre croissant, dans les diverses revues destinées aux personnels des trois branches. Par
contre, il n’y a de véritable action d’envergure de communication externe, en direction du
grand public, dans aucune des branches. Certes, le sujet de la fraude n’est certainement pas le
plus simple à traiter pour un organisme de protection sociale qui redoute toujours d’accréditer
l’idée qu’elle se développe impunément ou qu’elle serait généralisée. Les caisses locales,
quelle que soit la branche, paraissent de même craindre qu’un discours ferme puisse
incommoder une majorité des allocataires, des bénéficiaires ou des professionnels de santé.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
69
Pourtant, un discours direct comme en matière de tabagie ou d’accidentalité, même s’il
peut parfois choquer, pourrait fort bien constituer le meilleur moyen de dissuader les
comportements frauduleux potentiels. Plus les personnes susceptibles de commettre une
fraude percevront les risques qu’elles courent, moins elles franchiront le pas. Ce raisonnement
inspire les très vigoureuses campagnes lancées en Grande-Bretagne, notamment pour les
prestations sociales. Il a aussi inspiré en France des campagnes de la part des entreprises de
transport public qui s’efforcent de culpabiliser les fraudeurs et insistent sur les amendes qu’ils
encourent dans les affiches apposées dans les wagons.
Cet exemple a commencé d’être suivi, très récemment, par la branche recouvrement du
régime général, qui a engagé en octobre 2009 une première campagne d’ampleur « grand
public », avec le slogan « ne pas franchir la ligne jaune ». Les branches prestataires, en
revanche sont restées, par comparaison, très passives (certes, un spot radiophonique a été
ajouté à cette campagne pour chacune des branches prestataires : cet ajout, au demeurant peu
compréhensible, ne pouvait tenir lieu de plan de communication).
a) La communication par la branche famille
Les messages émis par les organismes de la branche famille, aussi bien au niveau local
qu’au niveau national, paraissent très réducteurs, par rapport à la réalité et aux enjeux de la
fraude aux prestations.
i)
au niveau local
Dans les CAF, la communication aux allocataires porte moins sur la fraude elle-même que
sur les obligations déclaratives qui pèsent sur eux et sur l’existence d’un contrôle d’origine
légale, susceptible d’engendrer des suspensions de prestations et des remboursements d’indus.
Cette communication, respectueuse des principes de la charte déontologique de la branche,
vise d’abord à l’exactitude des droits et peut donc aussi bien se traduire par des rappels de
prestations que par des récupérations d’indus. Les sanctions n’y sont que très rarement
abordées.
Dans les documents examinés par la Cour, les fraudes sont souvent qualifiées de « très
minoritaires » et il s’agit avant tout de mettre en avant la relation de confiance avec
l’allocataire dont la généralisation de la déclaration sur l’honneur est l’expression privilégiée.
On en trouve une confirmation dans la réticence à demander et à procéder à l’affichage
dans les locaux des condamnations obtenues. Ainsi, seuls 54% des organismes (selon les
réponses au questionnaire de la Cour) demandent systématiquement au juge pénal le droit
d’afficher et de publier les éventuelles condamnations et seulement un tiers procède
systématiquement à l’affichage.
Il est vrai que la publicité de la condamnation, peine additionnelle, est rarement octroyée
aux victimes. Il serait pourtant possible et souhaitable d’afficher systématiquement dans les
locaux et de publier dans les organes d’information propres aux CAF les condamnations
obtenues. Cela ne requiert aucune autorisation préalable dès lors que l’on prend soin de
dissimuler l’identité des personnes condamnées. Le plus important n’est pas, en effet,
d’ajouter l’infamie à la peine principale, mais de faire savoir qu’on court des risques si l’on
fraude. Et donc faire état des condamnations anonymisées comporterait, même s’il était
faible, un effet dissuasif à peu de frais.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
70
De la même façon, les pénalités administratives infligées devraient systématiquement
faire l’objet de mesures de publicité anonymisées. Cela ne semble pas être le cas.
ii)
au niveau de la caisse nationale
Au plan national, dans les messages délivrés, la communication de la CNAF semble
chercher d’abord à minimiser les enjeux. Ainsi, elle souligne à la fois l’importance des
contrôles effectués et leur renforcement en même temps que la faiblesse des fraudes mises à
jour en proportion des sommes gérées par la branche.
Le principal vecteur de diffusion est la lettre des allocations familiales qui précisait au
troisième trimestre 2006 que «
les citoyens ne veulent pas être fichés… qu’il n’y a
aujourd’hui pas de fichier national unique
…
ce système ne permet pas de lutter efficacement
contre certaines fraudes (
…) (mais que)
pour autant la malhonnêteté de quelques uns doit-
elle faire peser sur la majorité un a priori négatif ? Clairement la réponse est non
». Ce
document est précédé par un entretien avec la présidente du conseil d’administration qui
soulignait que la fraude est «
à la marge
» et que «
quel que soit le système mis en place il y
aura toujours des fraudeurs
».
En fait, la CNAF semblait douter de l’effet dissuasif des sanctions et, par conséquent, de
l’utilité d’en faire la publicité, démarche pourtant élémentaire de dissuasion. Ainsi, la
circulaire de 1999 précitée expliquait qu’«
il convient d’observer que la fonction de
prévention collective des peines est assez controversée, le lien entre la peine, sa sévérité, et la
criminalité n’étant guère prouvé, sauf dans une certaine mesure peut-être en matière de
crimes. Ce lien entre criminalité et peine n’est établi ni statistiquement, ni sociologiquement,
ni psychologiquement
».
Dans les derniers mois, les responsables de la CNAF ont paru changer d’attitude. La
COG, on l’a vu, contient des engagements allant dans le sens d’une communication
d’ampleur. Lors d’un séminaire récent consacré à la fraude, un responsable de la CNAF
admettait que les projets en ce sens étaient freinés par les réticences des administrateurs. De
fait, aucune campagne n’a encore été initiée.
La prudence des organismes locaux paraît ainsi assez logique dans un tel contexte et faute
d’une impulsion plus ferme du niveau national.
b) La branche maladie
i)
au niveau local
Les pratiques constatées dans les CPAM, en matière de communication des actions
menées contre les fraudes, sont très variables. Certains directeurs, comme celui de la CPAM
de Nantes, avaient fait depuis plus de 10 ans de la lutte contre les fraudes le vecteur d’une
communication très médiatique ou en tout cas très médiatisée
77
. Son action est cependant
apparue comme relativement isolée, la plupart des caisses ne communiquant que rarement sur
ce sujet (même si la découverte de fraudes d’une certaine ampleur est suivie d’une
communication externe assez intense, par exemple dans la presse locale).
77. Son essai, « Adieu Sécu », retrace ses différents « combats » (Le cherche midi, 2006).
COUR DES COMPTES (avril 2010)
71
Deux formes de communication paraissent ainsi avérées dans les CPAM :
-
des actions « opportunistes », à l’occasion des affaires découvertes ou des divers
événements organisés (conférences devant les professionnels de santé, par exemple) ;
-
à l’attention des assurés qui se déplacent dans les services, sont affichées dans les
locaux, mais seulement dans ceux-ci car ce n’est pas possible ailleurs, les décisions
d’interdiction de délivrance des soins aux assurés sociaux prononcées par les ordres
des professionnels de santé. Y sont publiés également les résultats chiffrés obtenus.
Dans l’ensemble, le discours est souvent assez direct - notamment lorsqu’il vise les
assurés - puisqu’on n’hésite pas à y menacer les fraudeurs de sanctions ou à mettre en garde
contre les « imposteurs » qui essaient de soustraire les cartes VITALE des bénéficiaires en se
faisant passer pour des agents de l’assurance maladie.
Mais on ne note pas de plan de communication dédié et spécialisé. Il est vrai que le sujet
est rendu plus complexe par la diversité des publics et leur hétérogénéité.
ii) au niveau national
Au niveau national, la communication de la CNAMTS paraît pour l’instant porter
principalement sur les résultats de la lutte contre la fraude, qui se trouve à cet effet médiatisée
(le bilan national fait état de quelque 400 articles parus dans la presse à ce sujet). Ce message
semble cependant principalement destiné à convaincre les décideurs politiques et
administratifs de l’implication et de la mobilisation de la branche. Certes, au-delà du discours
direct, on pourrait soutenir qu’indirectement un message est adressé aux fraudeurs ; mais une
telle stratégie indirecte est peu efficace. Comme en matière de sécurité routière, après de
nombreuses années de sensibilisation, il serait sans doute temps d’aborder plus directement
les problématiques.
Comme pour la branche famille, une telle communication est en projet. Selon le bilan
publié à l’automne 2009, un plan national structuré de communication en matière de lutte
contre les fraudes, les fautes et les abus devait être élaboré et mis en oeuvre en 2009. A fin
2009, cependant, aucune action d'ampleur n'avait été réalisée.
c) La branche retraite
La branche retraite prévoit d’établir un plan de communication sur la lutte contre les
fraudes. Mais ce plan prévoit surtout des actions de communication interne ou des insertions
dans les supports écrits. Aucune action grand public ne semble programmée.
On constate également, comme dans les autres branches, une communication jusqu’ici
surtout « opportuniste », c'est-à-dire ciblée sur les cas de fraudes détectées et donc plutôt
défensive (par exemple pour les fraudes « aux carrières longues »).
d) L’absence de démarche intégrée inter-branches et inter-régimes.
Au-delà des observations propres à chaque branche, on relève l’absence de stratégie
conjointe. Certes, les « cibles » visées par chacune sont distinctes et il serait contre-productif
de chercher à construire une communication sur la notion trop vague de « prestation sociale ».
Une coordination minimale des « messages » et des calendriers pourrait cependant être
utile. Elle permettrait peut-être à chaque branche de surmonter plus aisément les réticences
qui semblent entraver la mise en oeuvre des orientations envisagées.
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
72
Un plan national de communication externe contre les fraudes aux prestations,
comportant un « socle » national commun devrait être arrêté, puis décliné à moyen terme
(deux à trois ans) pour chacune des trois branches prestataires.
2. Le déploiement du contrôle interne a trop peu intégré le risque de fraude
a) Des synergies évidentes entre contrôle interne et lutte contre les fraudes
Le déploiement d’un contrôle interne effectif et efficace constitue pour les organismes de
sécurité sociale un enjeu très important, qui va au-delà des seuls risques de fraude :
l’ensemble des procédures est analysé, les risques de non qualité étant appréciés et corrigés.
Bien entendu, les liens entre le déploiement des actions de contrôle interne et la lutte
contre les fraudes sont évidents. La fraude est l'un des risques pris en considération et les
actions générales prévues, même si elles sont dirigées contre tous les risques d’erreurs
conduisant ou non à indus, ont évidemment des incidences très positives du point de vue de la
prévention des fraudes.
La définition de référentiels de contrôle interne de plus en plus complets et exigeants a
donc constitué un moyen d’action jusqu’ici privilégié par les trois branches prestataires du
régime général dans leurs efforts de lutte contre la fraude. Il paraît indéniable que la
formalisation et l’informatisation des processus ont réduit les erreurs
78
commises par les OSS
dans la gestion des prestations. De même, le développement des outils informatiques a aussi
permis, dans un certain nombre de cas, de détecter et de combattre les fraudes.
De manière logique, la cohérence et l’efficacité des actions de lutte contre la fraude
souffrent donc des limites qui continuent à marquer la mise en oeuvre des actions de contrôle
interne dans les organismes et que l’on peut résumer en s’attachant au cas particulier des
fraudes, par trois limites :
-
une mise en oeuvre hétérogène, surtout dans les domaines où la répartition des rôles
entre niveaux national et local reste confuse ;
-
malgré la volonté de réaliser une « cartographie des risques » et les projets exposés en
ce sens, la description et l’appréciation de la gravité des risques, notamment de fraude,
sont encore insuffisantes ;
-
enfin, le risque de fraude interne paraît, de manière générale, sous-évalué et
insuffisamment pris en compte.
78. Même si les chiffrages ont l’effet paradoxal de révéler des erreurs jusque là invisibles. Ainsi le taux d’indus
détectés dans la branche famille a crû, alors même que les actions de détection de ces indus se développaient.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
73
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
b) Un risque d’hétérogénéité dans la mise en oeuvre des actions
Des exemples pourraient être donnés pour chaque branche, notamment à partir des
observations publiées dans les rapports de certification
79
des comptes du régime général.
Deux exemples plus détaillés sont ici développés, à partir des observations portées à la
connaissance de la seule branche retraite, dans le cadre des vérifications dites
« préliminaires », qui portent de manière systématique sur l’état de déploiement du contrôle
interne :
-
l’un est relatif à la mise en oeuvre inégale d’une vigilance renforcée pour les carrières
dites « à risque » ;
-
l’autre porte sur la mise en place, là encore inégale, des requêtes demandées au plan
national.
i) une vigilance inégale selon les CRAM pour les « carrières à risque »
En 1998, la CNAVTS, en sa qualité de caisse régionale pour l’Ile-de-France, a mis en
place une procédure, dite « carrière à risque », qui consiste en une confrontation des éléments
produits par l’assuré avec les informations dont pourrait disposer la branche grâce à ses bases
de données ou par la réalisation d’enquêtes auprès de l’assuré et/ou de tiers (employeur,
organisme social). Lorsque les informations communiquées par l’assuré n’ont pas permis
d’identifier l’employeur, l’existence de ce dernier est ainsi vérifiée auprès de l’URSSAF.
La procédure « carrière à risque » s’applique dans quatre cas :
-
production de documents d’apparence frauduleuse ;
-
signalement de fraude ou de tentative de fraude par un autre organisme ;
-
trois demandes successives de régularisation de carrière accompagnées de la
production de bulletins de salaires ou d’une attestation de l’employeur ;
-
dans le cadre d’une régularisation de carrière, conjonction d’une période lacunaire
d’au moins 24 mois consécutifs et de la production par l’assuré de bulletins de
salaires, d’une attestation de l’employeur ou d’une attestation d’un organisme social.
Avant 2008, l’effectivité de la procédure « carrière à risque » reposait entièrement sur la
vigilance des techniciens. En novembre 2008, elle a été renforcée par l’introduction dans
l’applicatif de liquidation des pensions, l’Outil retraite, d’un signalement et d’un mécanisme
d’inactivation des contrôles obligatoires dans le cadre de l’outil de maîtrise du risque
financier (OMRF) au titre des deux derniers critères énumérés ci-dessus : le dossier est alors
nécessairement contrôlé par l’agence comptable, appelée ainsi à vérifier la réalisation des
enquêtes et le traitement de leurs résultats.
79. Parmi les travaux impliqués par la certification des comptes figure l'évaluation du risque d'anomalies
significatives dans les comptes du fait de fraudes, définies par la norme NEP 240 comme des actes intentionnels
portant atteinte à l'image fidèle et induisant en erreur l'utilisateur des comptes ou portant sur des détournements
d'actifs.
Par ailleurs, les dispositifs de contrôle interne doivent procurer l'assurance raisonnable qu'ils préviennent et
détectent les risques d'anomalies significatives de toute nature dans les comptes. A ce titre, en application des
normes d'audit, les certificateurs prennent connaissance des dispositifs de contrôle des fraudes aux prestations,
en tant que composantes du risque inhérent aux activités des branches de prestation, ou facteurs de risques
d'anomalies significatives résultant du non respect de textes légaux et réglementaires.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
74
Les rapporteurs de la Cour ont constaté que la procédure « carrière à risque » est
désormais généralisée à l’ensemble des organismes audités, contrairement à 2007 où elle était
en cours de montée en charge au sein de la branche. Cependant, des limites au traitement des
« carrières à risque » se manifestent :
-
les modalités d’organisation sont hétérogènes entre les organismes, ce qui est
susceptible d’affecter la bonne application de la procédure. Certains organismes
spécialisent des agents, tandis que d’autres laissent le traitement des « carrières à
risque » à tout agent (y compris pour les diligences les plus complexes, comme
l’analyse des statuts d’une SARL). Certains organismes instaurent une supervision
obligatoire et un contrôle a priori obligatoire, d’autres ne prévoient pas de supervision,
ni de contrôle systématique lorsque le dossier n’est pas soumis au contrôle par l’OMRF
(au titre des deux premiers critères de déclenchement) ;
-
on note un manque de fiabilité du suivi statistique, qui interdit toute comparaison entre
organismes.
ii) la mise en oeuvre des requêtes nationales de prévention des fraudes
L’instruction nationale de la branche retraite sur la fraude (octobre 2006) prévoyait la
mise en oeuvre de requêtes destinées à identifier des situations potentiellement anormales en
matière de paiement des prestations.
La création du DNPLF au sein de la CNAV s’est accompagnée de la diffusion de requêtes
nationales (août 2008) et, en principe, d’une clarification du statut des requêtes. Ont un
caractère obligatoire sept requêtes correspondant à des situations visées par l’instruction
nationale
80
. De manière implicite, les autres requêtes à caractère national ont un caractère
facultatif
81
.
Il n’est pas demandé aux organismes de la branche de traiter les requêtes diffusées pour
tous les cas qu’elles permettent de détecter (y compris, de manière implicite, les requêtes
obligatoires). Mais il est recommandé, en fonction du nombre de situations potentiellement
anormales, de retenir les situations les plus atypiques (en termes d’âge, de résidence, de
nombre de personnes à la même adresse…).
80.
1 - Prestataires + 110 ans en France et à l'étranger (fraude au paiement) ; cette requête est de fait
absorbée par deux autres requêtes nationales sur les prestataires de + 100 ans connus pour résider en France
ou à l’étranger.
2 - Prestataires domiciliés en France chez un tiers et non titulaires d’un avantage non contributif (fraude au
paiement).
3 - Pluralité de prestataires domiciliés en France à une même adresse et non titulaires d’un avantage non
contributif (fraude au paiement).
4 - Prestataires domiciliés en France chez un tiers et titulaire d’un avantage non contributif (fraude à la
résidence).
5 - Pluralité de prestataires domiciliés en France à une même adresse et titulaires d’un avantage non
contributif (fraude à la résidence).
6 - Multiplicité de retraités payés sur un même compte bancaire en France (>2) (fraude à la résidence).
7 - Multiplicité de retraités payés sur un même compte bancaire à l'étranger (>2) (fraude à la résidence).
81. Par exemple, titulaires d’un droit propre avec une majoration pour conjoint lorsque le conjoint a plus de 80
ans et titulaires de l’allocation supplémentaire ou du complément de retraite avec une adresse à l’étranger.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
75
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Lors de ses interventions dans les organismes de la branche, la Cour a constaté que les
requêtes sont inégalement exploitées. Devant le nombre élevé d’occurrences révélées par les
requêtes
82
, une partie des organismes audités n’ont pas mis en place de filtres destinés à
cerner les situations potentiellement les plus risquées et à investiguer celles-ci. Compte tenu
de la lourdeur d’exploitation des requêtes, seuls des résultats limités étaient disponibles. Dans
certains cas, les situations mises en exergue par les requêtes correspondaient à des anomalies
dans les fichiers, qui ont été corrigées.
La sécurité accrue attendue du déploiement des référentiels de contrôle interne, qui
constituent des progrès indéniables (avec les requêtes ou le ciblage sur les carrières à risque)
reste donc encore insuffisante et surtout hétérogène, la mise en oeuvre des outils nouveaux
étant encore inégale.
Ce qui est vrai dans le réseau réduit des CRAM (moins de 20, tous bénéficiant de la taille
critique pour consacrer des moyens importants au contrôle interne) l’est a fortiori dans les
deux réseaux, de plus d’une centaine d’organismes, des branches famille et maladie.
iii) des observations confirmées par les contrôles de la Cour sur les comptes 2009
D’une manière générale, les observations faites par la Cour sur les comptes 2009 de la
branche retraite confirment la disparité des contrôles effectués, selon les CRAM, même sur
des points où les risques de fraudes paraissent avérés.
L’instruction nationale de contrôle de l’agent comptable
83
(qui date de fin mars 2009) est
ainsi partiellement appliquée, certains items récurrents ne faisant en effet pas l’objet de
contrôles tels que préconisés par le niveau national, comme les changements d’adresse vers
l’étranger, les changements de coordonnées bancaires, les certificats d’existence, les décès et
annulations de décès, etc.
- les changements d’adresse « Etranger » doivent faire l’objet, selon l’instruction de
contrôle, d’un contrôle obligatoire a posteriori exhaustif. En pratique, dans les caisses
auditées, ils étaient selon les cas :
- pas du tout vérifiés,
- l’objet de contrôles croisés à hauteur de 5 % de la production,
- contrôlés exhaustivement depuis novembre 2009 ;
- les changements de coordonnées bancaires relèvent d’un contrôle obligatoire a priori mis
en oeuvre par sondage ou de façon exhaustive. Les mêmes modalités de contrôle que pour
l’item précédent ont été notées dans les caisses ;
- pour les certificats d’existence, il est demandé aux caisses d’effectuer un contrôle
obligatoire a posteriori par sondage : une CRAM ne met en oeuvre aucun contrôle, une
deuxième a contrôlé 8,3 % des certificats reçus au second semestre 2009. Une troisième
n’avait pas instauré de contrôle, mais une supervision à hauteur de 5 % jusqu’à fin août. Une
autre contrôle à hauteur de 5 % comme autorisé, mais selon la méthode moins rigoureuse des
contrôles croisés. La dernière enfin réalise un contrôle par sondage à hauteur de 25 % ;
82. Par exemple, pluralité de retraités logés dans des logements sociaux ou des maisons de retraite et couples de
retraités titulaires des prestations du minimum vieillesse. S’agissant des résidents dans des pays du Maghreb,
dont la pratique écrite du français est souvent limitée ou inexistante, pluralité de titulaires de pensions
domiciliés auprès d’un écrivain public ou d’un commerçant.
83. Elle précise les conditions du contrôle des opérations de gestion des comptes des prestataires.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
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- pour les décès est prévu un contrôle a posteriori et par sondage et pour les annulations de
décès, un contrôle obligatoire a priori et exhaustif. Une des CRAM auditées n’effectue pas de
contrôle en la matière. Dans une deuxième, jusqu’à fin août 2009, ces deux items n’ont pas
fait l’objet de contrôles, mais d’une simple supervision à hauteur de 5 %. Enfin, une autre met
en oeuvre des contrôles croisés à hauteur de 5 % ;
- les successions doivent être contrôlées de façon obligatoire a priori et par sondage.
Pourtant, dans l’une des CRAM, elles n’ont pas été vérifiées mais supervisées à hauteur de
5 % jusqu’à fin août 2009 ;
- les reprises de paiements doivent être contrôlées de façon obligatoire a priori et
exhaustivement. Dans une CRAM, elles donnent lieu à des contrôles croisés.
Ces données sont d’ailleurs confirmées par celles présentées lors de la réunion du comité
national de prévention et de lutte contre les fraudes, consacrée au bilan des actions pour 2008.
Il en ressort en effet que :
- sur les 17 requêtes dites nationales, en 2008, 56 % des caisses avaient exploité les
requêtes, 30% avaient sélectionné des dossiers et 20 % avaient effectué des investigations ;
- sur les 12 requêtes dites « IRMA », 41 % des caisses avaient exploité les requêtes, 20%
avaient sélectionné des dossiers et seulement 10 % avaient effectué des investigations.
Les observations faites, dans le même cadre, pour
la branche famille
, témoignent elles
aussi du caractère très variable des contrôles exercés. La Cour a noté ainsi que l’interrogation
du fichier national des bénéficiaires du RMI/RSA n’était pas systématique, voire que des
doublons signalés aux CAF n’étaient pas exploités. La consultation du fichier de Pôle emploi
connaît toujours des défaillances. Les échanges des données entre les CAF et les CPAM
gestionnaires des rentes AT et des pensions d’invalidité ne sont pas encadrés par une
convention.
c) La démarche de contrôle interne ne se fonde pas encore sur une cartographie des
risques
Le déploiement des « pratiques recommandées » (selon la terminologie de la branche
vieillesse) ou de « plans de maîtrise socle » (selon celle de la branche maladie) ne s’appuie
pas encore sur une cartographie des risques, où serait apprécié le risque de fraudes aux
prestations.
i) pour la branche famille
Les critiques les plus vives ont porté sur le contrôle interne de la branche famille, jugé
inadapté : selon le rapport de certification pour 2008, les tests de reliquidation nationaux
effectués ont montré qu’un peu plus de 20% seulement des indus ainsi mis en évidence étaient
détectés par les contrôles prévus. Selon la Cour, «
le contrôle interne de la branche famille se
fonde sur une analyse des risques insuffisante voire inappropriée
»
84
.
Divers progrès sont cependant attendus. Une nouvelle cartographie des risques est en
cours de définition. A compter de 2010 (au plus tôt), la CNAF devrait disposer d’un nouveau
référentiel des risques, réorganisé à partir d’une analyse des risques effectuée prestation par
prestation et à chaque stade de la gestion de toutes les allocations versées. Les règles de mise
84. Rapport de certification des comptes du régime général pour 2008, p. 89.
COUR DES COMPTES (avril 2010)
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l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
en oeuvre du contrôle interne devraient être harmonisées sur l’ensemble du territoire alors que
la pratique actuelle apparaît très variable d’une caisse à l’autre
85
.
ii) pour la branche maladie
La Cour a pris acte des progrès notables dans le contrôle interne de la branche maladie,
avec le déploiement progressif des « plans de maîtrise socle ». Mais là encore, on ne peut pas
se fonder sur une cartographie d’ensemble des risques. Une des conséquences est que la
hiérarchisation des procédures et des contrôles paraît insuffisante, du moins en termes
d’enjeux financiers. C'est en particulier le cas pour ce qui concerne le ciblage des
interventions des services du contrôle médical
86
.
- La branche consacre des ressources qui peuvent paraître disproportionnées au contrôle
des IJ maladie, qui représentent moins de 5 % des dépenses, alors que leur contrôle accapare
entre 20 % et 30 % de la capacité des médecins conseils
87
. Certes, un tel ciblage traduit la
priorité affirmée par les pouvoirs publics sur ce thème qui a fait l’objet au cours des dernières
années de plusieurs mesures législatives, destinées à favoriser le contrôle et à infléchir la
progression des dépenses. Il n’est pas certain pour autant que les enjeux les plus efficaces en
termes d’économies potentielles soient liés à ces prestations.
En outre, au sein des seules IJ, plutôt qu’un contrôle systématique des indemnisations
supérieures à une certaine durée, il semblerait préférable de distinguer selon les affections
alléguées en concentrant les contrôles approfondis sur celles qui présentent des difficultés de
diagnostic (comme les lombalgies ou les dépressions, dont les symptômes sont plus difficiles
à caractériser).
- La branche focalise ainsi l’action de répression sur les prestations en espèces versées aux
assurés, alors que le risque principal, en termes d'enjeux, paraît lié aux comportements des
professionnels de santé et qu’au surplus l’arsenal répressif en matière d’IJ est limité puisque
l’on ne remet pas en cause le diagnostic initial et que le médecin prescripteur ne peut être
attrait en responsabilité.
- Dernier exemple, qui met en évidence les insuffisances de ciblage des contrôles, en
fonction d’une évaluation ex ante des risques et notamment des risques de fraude, le volet
national du plan comporte un thème consacré au contrôle de la T2A qui a permis de mettre à
jour des fraudes ou des abus relativement significatifs, puisqu’ils représentent plus du tiers
des résultats affichés. Mais le choix des établissements contrôlés ne paraît pas découler d’une
analyse suffisante des risques relatifs présentés par les différents établissements.
Le tableau qui suit montre en effet que la « rentabilité » des contrôles, en termes d’indus
constatés, se révèle plus forte lorsqu’ils portent sur des établissements privés :
85. Rapport MECSS, p.22.
86. Voir RALFSS de 2009, l'insertion sur le contrôle médical, page 215 et suivantes.
87. L’absence de ciblage des interventions du service de contrôle médical a été soulignée dans le RALFSS 2009.
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Tableau n° 9 :
Taux de contrôle et taux de fraude dans les établissements en
T2A
Etablissements publics
Etablissements privés
Part dans les établissements pratiquant la T2A
48,52%
51,48%
Part dans les établissements contrôlés en 2006
45,03%
54,97%
Part dans les établissements contrôlés en 2007
48,34%
51,66%
Part dans les indus notifiés en 2007
19,68%
80,32%
Source :
Cour des comptes, données CNAMTS,
Certes, le poids relatif des établissements publics dans les dépenses hospitalières
88
(près
de 33 Md€ en 2008 pour les dépenses de MCO du secteur public, contre 9,4 Md€ pour les
établissements privés
89
) peut justifier une orientation sélective du contrôle, dans les domaines
où les effets d’apprentissage et de correction des pratiques sont les plus forts.
Mais on retrouve ici l’ambigüité des définitions, et donc des actions menées par la
CNAMTS, qui ciblent à la fois les abus et les fraudes. Les erreurs de codage sont
explicitement visées à l’article L 162-22-18, qui prévoit que des pénalités peuvent être
prononcées, en complément de la récupération des indus détectés à l’occasion des contrôles. Il
s’agit ici, sinon d’abus, au moins d’erreurs dont la fréquence justifie une sanction qui permet
de pallier le caractère partiel des sondages effectués sur les actes tarifés.
Le même article prévoit que des pénalités analogues peuvent être imposées,
« en cas
d’absence de réalisation d’une prestation facturée »
. Il s’agit ici clairement de cas de fraudes
qui devraient justifier des actions plus énergiques.
Dans un autre domaine, celui de la médecine de ville, l’article L 162-1-14 qui prévoit la
possibilité de prononcer des pénalités, mélange de même plusieurs catégories :
- des cas avérés de fraudes, comme
« l’absence de déclaration par les bénéficiaires d’un
changement dans leur situation justifiant le service des prestations »
, ou
« des agissements
visant à obtenir ou faire obtenir par toute fausse déclaration ; manoeuvre (…) l’admission à
l’aide médicale de l’Etat », ou encore « le fait d’organiser ou de participer à une fraude en
bande organisée »
;
- des cas relevant d’abus persistants, comme
« 6° une récidive après deux périodes de
mise sous entente préalable »
, des abus constatés (en matière de prescription d’indemnité
journalière) ;
- des situations mixtes, ainsi
« toute inobservation du code de la sécurité sociale, ayant
abouti à une demande, une prise en charge ou un versement d’un indu par un organisme
local d’assurance maladie »
;
- enfin des comportements qui relèvent d’obligations de procédure :
« le refus par un
professionnel de santé de reporter dans le dossier médical personnel les éléments issus de
chaque acte ou consultation »
.
88. En outre, le tableau ci-dessus se rapporte à des exercices pour lesquels la tarification à l’activité
s’appliquait de façon progressive aux hôpitaux publics (et ne reflètent donc pas une situation stabilisée
ultérieurement). Par ailleurs, les sanctions financières sont prononcées par les directeurs des ARH qui ont, en
2008, notifié un montant inférieur de 48 % par rapport au montant proposé par les unités de contrôle régionales
(UCR).
89. Hors MIGAC (voir l’insertion sur le T2A dans le Ralfss de 2009, page 183).
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« La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du
régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
l’Assemblée Nationale (art. LO.132-3-1 du CJF)
Les versements indus aux établissements de santé du fait d’inobservations des règles de
codage peuvent entrer dans cette catégorie. Les contrôles exercés sur les établissements
débouchent ainsi sur deux catégories de pénalités, au titre de l’article L. 162-1-14, relatif aux
fraudes, ou au titre de l’article L. 162-22-18.
Le ciblage d’une politique anti-fraude conduirait plutôt à affecter les moyens vers les
secteurs où les indus frauduleux sont les plus élevés (et peut-être avec des requêtes distinctes).
A l’inverse, la prévention des erreurs ou des abus de codage conduit à cibler sur les
établissements dont l’activité est la plus importante, pour bénéficier de l’effet d’échelle, et à
partir de requêtes ciblées sur des zones où les erreurs sont fréquentes.
La répartition des contrôles (voir le tableau n°9) semble ainsi indiquer que le ciblage
ne distingue pas ces deux objectifs. En outre, au moins en 2007, l’objectif de prévention des
erreurs semble avoir été privilégié.
iii) la sous-estimation des risques de fraude interne
L’analyse des fraudes détectées a mis en évidence la part parfois prise par des personnels
des caisses.
Dans certaines branches, les fraudes réalisées par le moyen de la déclaration de trimestres
fictifs, en vue de départs anticipés pour carrières longues, ont impliqué des agents de plusieurs
caisses, tantôt complices, tantôt bénéficiaires directs ou indirects (par ascendants).
Face à ces risques, les organismes paraissent insuffisamment armés. Certes, il est en
général prévu d’exercer une surveillance particulière sur les mouvements intéressant les
comptes des personnels ou sur les remboursements qui leur sont destinés. Mais il conviendrait
d’étendre le champ de cette vigilance, aux opérations concernant leurs proches.
En effet, dans trois cas de fraude interne sur les neuf recensés au deuxième trimestre 2007
par la CNAMTS et pour lesquels elle disposait de fiches d’analyse, c’est toujours au profit de
proches – père, mère, épouse, compagnon et cousin - que le détournement a été effectué
90
.
iv) l’utilité d’un volet dédié dans le plan de contrôle interne
Les meilleures pratiques en matière de contrôle interne identifient un volet de lutte contre
les fraudes, au sein du plan de contrôle interne (PCI). Telle n’est pas la pratique de toutes les
branches qui, certes, établissent des plans d’actions contre les fraudes aux prestations, mais
parfois encore indépendants des référentiels de contrôle interne.
L’intégration explicite d’un volet « anti-fraudes » dans les plans de contrôle interne
(PCI) permettrait d’en renforcer l’efficacité.
C Des efforts de détection et de caractérisation des fraudes à organiser
La prévention des fraudes doit s’accompagner d’une politique efficace de détection des
fraudes avérées.
90. On relève également dans le bilan 2008 de la CNAMTS que 7 cas de fraudes internes ont été détectés pour
un montant total de préjudice (subie et évité) de 403 000 €. Il s’agit du montant moyen par fraude (+55 000) le
plus élevé, toute fraudes confondues.
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S’agissant de la capacité des organismes à détecter et à caractériser les fraudes, on a vu
que des moyens accrus, informatiques et juridiques, avaient été récemment mis à la
disposition des services dans les caisses, ce qui constitue un progrès indéniable. Certains, très
médiatisés, sont cependant d’un usage assez rare, telle la faculté nouvelle donnée aux services
des CAF d’apprécier les revenus à partir du train de vie
91
.
Il serait surtout optimiste d’en déduire que l’ensemble des organismes de base se trouve
au niveau requis. L’examen des politiques suivies révèle d’abord que nombre d’informations
pertinentes sur les fraudes ou le risque de fraudes restent sans suite, ce qui fait craindre une
déperdition analogue pour les nouvelles sources d’informations désormais disponibles (1).
La capacité des agents à traiter des suspicions de fraudes et à les qualifier comme telles est
donc une question primordiale, longtemps trop peu étudiée par les caisses nationales (2).
L’animation et l’encadrement par les caisses nationales des travaux menés par les caisses
locales en matière de détection des fraudes paraissent enfin encore trop limités.
1. Des signalements laissés sans suites suffisantes
D’une manière générale, peu d’analyses comparatives sont menées sur la pertinence des
données disponibles. Plus grave, sans doute, des informations pourtant précieuses restent
sous-utilisées ou même non exploitées.
a) L’absence d’examen critique des sources disponibles
La question n'est pas seulement d'obtenir des signalements : on a vu qu'ils se multiplient,
grâce aux croisements de fichiers notamment. La question est aussi de la capacité des
organismes à les transformer en actions. Le risque est en effet de laisser sans suite, ou sans
suite suffisante, des informations pertinentes, faute qu'elles soient suffisamment caractérisées
comme frauduleuses.
Contrairement à la Grande-Bretagne, il n'existe pas encore en France d'analyse
comparative des mérites respectifs des différentes sources de détection des fraudes
(exploitabilité, taux de conversion en fraudes avérées, etc.). Or la transformation d'une
information sur une fraude potentielle en constat objectivé, susceptible de fonder une
sanction, ne va pas de soi.
Une telle analyse devrait être menée au niveau de chaque caisse nationale. Elle permettrait
de prioriser les données les plus utiles, en veillant à ce qu’elles soient utilisées de manière
aussi complète que possible. Son principe est décidé, au sein de la branche famille, comme le
montre la circulaire précitée sur la maîtrise des risques. Mais aucune synthèse utilisable, à
l’attention des CAF, n’est encore disponible.
Or l'enquête de la Cour a mis en évidence nombre de situations, dans lesquelles les
signalements étaient soit ignorés, soit sous-utilisés. Deux cas peuvent être distingués :
-
dans certains cas, les informations ne sont utilisées qu’incomplètement, ainsi pour les
dénonciations dans la branche famille ou pour l’historique des fraudes antérieures, dans
les deux branches famille et maladie ;
91. Comme pour les services fiscaux, ce type de disposition permet d’éviter des situations choquantes, mais en
nombre très limité puisque seuls sept cas potentiels auraient été repérés par la branche famille. Cette procédure
est surtout utile, à titre dissuasif, lors de l’ouverture des droits.
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régime général » - Communication à la commission des affaires sociales de
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-
dans d’autres cas, des données disponibles par lecture directe ou rapprochement de
fichiers ne sont pas caractérisées comme relevant de fraudes, malgré l’évidence.
b) Les dénonciations
i) éléments généraux
Les dénonciations soulèvent une double difficulté :
-
d’une part, elles ne sont pas toujours exploitables parce que parfois confuses ou
infondées ;
-
d’autre part, elles posent des problèmes moraux notamment lorsqu’elles sont
anonymes.
Mais elles sont une source majeure d’information sur des opérations qui présentent tous
les aspects extérieurs de la régularité et que les fraudeurs s’efforcent de rendre indécelables
par les systèmes habituels de contrôle. Selon le rapport du National Audit Office