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Allocution de Didier Migaud,
Premier Président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique
sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire
mercredi 11 juillet 2012
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes ce matin, à l’occasion de la
publication d’un nouveau rapport public thématique de la Cour qui porte sur le bilan à mi-parcours
de la loi de programmation militaire. Vous remarquerez que la Cour publie un grand nombre de
rapports en ce mois de juillet : il s’agit de la simple conséquence du choix de la juridiction de
s’abstenir de toute publication à sa propre initiative entre les mois de mars et juin, afin de laisser
toute sa place au débat démocratique.
Une loi de programmation militaire a été promulguée le 29 juillet 2009 et porte sur les
années 2009 à 2014. Elle prévoit, pour chacune de ces années, les moyens nécessaires pour
atteindre les objectifs opérationnels fixés par le Livre blanc de 2008 sur la défense et la
sécurité
nationale, en cohérence avec une trajectoire de moyen terme allant jusqu’en 2020.
L’année 2012 est une année importante en termes de décisions pour la politique de défense
de la France. En effet, la loi de programmation a prévu qu’un bilan à mi-parcours serait réalisé en
2012, afin de tirer les premiers enseignements de sa mise en oeuvre et d’ajuster éventuellement les
objectifs visés comme les moyens prévus. Cette réflexion est également rendue nécessaire par le
durcissement de la contrainte liée au redressement des finances publiques, qui ne pourra être sans
effet sur les moyens dont le ministère de la défense disposera au cours des prochaines années. Le
gouvernement a annoncé qu’un nouveau Livre blanc serait élaboré et qu’une nouvelle loi de
programmation serait votée en 2013. Dans ce contexte, la Cour a cherché à apporter sa contribution
à la réflexion actuelle sur les questions de défense. Son analyse n’est pas seulement rétrospective :
elle propose des pistes d’économies envisageables et dessine une méthode pour que les pouvoirs
publics puissent procéder aux ajustements nécessaires. La Cour n’a naturellement pas à se
prononcer sur le volume global de l’effort que la nation peut consacrer à sa défense, qui relève d’un
choix politique, ni à prendre position sur les types d’équipements qu’il convient de renforcer ou de
réduire. En revanche, la Cour peut éclairer les enjeux des arbitrages à venir, et, bien sûr, elle doit
identifier des pistes d’économie qui méritent d’être examinées en priorité, dans la mesure où elles
ne portent que marginalement atteinte aux capacités opérationnelles des forces.
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Pour présenter ce rapport, je suis entouré de Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième
chambre qui a préparé ce rapport, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général
de la Cour, Stéphane Jourdan, auditeur et rapporteur du présent rapport, et Françoise Saliou,
conseillère maître et contre-rapporteur.
Présentation de la LPM
L’élaboration de la loi de programmation, en 2008 et en 2009, s’est déroulée selon un
processus qui peut être qualifié de vertueux, enchaînant trois étapes successives. Dans un premier
temps, le Livre blanc de 2008 a été l’occasion d’une réflexion stratégique sur l’état des menaces
dans le monde, les intérêts et les ambitions de la France et les moyens de faire face à ces
menaces. Ensuite, en s’appuyant sur cette analyse, des objectifs dits capacitaires ont été définis.
Les capacités visées pour les armées ont traduit un effort de modernisation des forces, notamment
avec l’acquisition de nouveaux équipements, mais aussi une réduction de l’ambition des contrats
opérationnels par rapport à ceux fixés auparavant dans le modèle dit Armée 2015. Voici les
principaux objectifs déclinés pour chacune des armées :
l’armée de terre doit être en mesure de déployer, dans un délai de six mois, une force de
30 000 hommes à une distance de 7 000 à 8 000 km de la métropole pour une durée d’un
an. Ce choix traduit une ambition moindre, plus réaliste, que l’objectif visé auparavant, de
50 000 hommes ;
la marine nationale doit pouvoir déployer simultanément un groupe aéronaval, c'est-à-dire
un ensemble de bâtiments déployés autour d’un porte-avion, ainsi que deux groupes
navals amphibie ou de protection du trafic maritime ;
l’armée de l’air, enfin, doit pouvoir projeter 70 avions de combat, en combinant ses moyens
avec ceux de l’aéronavale, ainsi que deux bases aériennes. Antérieurement, l’objectif visé
était celui d’une centaine d’avions.
La troisième étape du processus est d’inscrire dans le moyen terme la traduction concrète
de ces objectifs en termes de moyens budgétaires. La loi de programmation militaire de 2009 s’est
enrichie par rapport aux lois de ce type qui l’ont précédées, en incluant dans son champ non
seulement les dépenses d’équipement, mais également les dépenses de personnel et de
fonctionnement. Son périmètre est donc tout à fait comparable avec la mission « Défense » du
budget de l’État. Ainsi, une dépense cumulée de 180 Md€ est prévue pour la période 2009-2014, et
de 377 Md€ jusqu’en 2020, calculée en euros de 2008.
Cette ambition s’est traduite par une prévision d’évolution des dépenses au même rythme
que l’inflation entre 2009 et 2011, ce qu’on appelle « zéro volume ». A partir de 2012, les dépenses
devaient même augmenter plus rapidement, de 1 % de plus que l’inflation. Cette norme de dépense
était bien moins sévère que celle appliquée aux autres missions du budget de l’État, qui prévoit une
stabilisation en euros courants de leurs dotations, ce qu’on appelle « zéro valeur ». Ainsi, la loi de
programmation pluriannuelle des finances publiques et les lois de finances pour 2009, 2010 et 2011
ont accordé à la mission « Défense » un traitement dérogatoire.
En pratique, pour financer les nouveaux équipements tout en contenant l’évolution
spontanée des dépenses militaires, qui va au-delà de l’inflation, il a été décidé de réduire de façon
importante le nombre des personnels militaires. La loi de programmation prévoit ainsi une réduction
d’effectifs d’en moyenne 7 600 emplois par an, jusqu’en 2015, soit au total 54 000 emplois et 17 %
de l’ensemble de l’effectif du ministère. Les économies entraînées par ces réductions d’effectifs ne
devaient donc pas contribuer au désendettement, comme pour les autres ministères, mais visaient à
contribuer au financement de la modernisation des forces armées.
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Dans l’ensemble, cette démarche a permis de mettre en cohérence les objectifs, les
capacités et les moyens budgétaires des forces armées.
Quatre années après la mise en place de ce cadre, le contexte a profondément évolué.
Avant de vous présenter le bilan et les messages de la Cour, je souhaite insister sur deux défis
importants qui jouent en sens opposé : la contrainte nationale du redressement des finances
publiques et un contexte mondial de concurrence internationale avivée dans le domaine de la
défense.
Le double défi du contexte actuel
Le premier défi est l’aggravation de la situation des finances publiques et les impératifs du
désendettement. Alors que le budget de l’État va être gelé en valeur dans son ensemble, les
dispositions dérogatoires pour le secteur de la défense, dont les dépenses en volume devaient
s’accroître de 1 % par an en 2012, n’est pas apparu tenable. Une stabilisation en volume de ces
dépenses, soit un effort moindre que les autres missions du budget de l’État, a été décidée. Elle
conduirait à réduire de 15 Md€ l’effort cumulé de défense jusqu’en 2020, par rapport aux ambitions
du Livre blanc. S’il était décidé de renforcer la contrainte budgétaire, une stabilisation en valeur
conduirait à une réduction de 30 Md€ de l’effort cumulé d’ici 2020, par rapport à ces mêmes
ambitions. Des arbitrages devront intervenir dans les prochains mois pour définir l’ampleur de
l’ajustement qui s’imposera au ministère de la défense.
Le second défi est celui d’un accroissement des dépenses militaires constatées dans le
monde : celles-ci ont dans l’ensemble augmenté de moitié depuis 2001. Les efforts sont contrastés :
ils ont été importants aux Etats-Unis, en Russie et dans les pays émergents, notamment en Asie ; ils
se sont maintenus en France ; et se sont réduits dans la plupart des autres pays européens. Les
budgets de la défense cumulés des pays européens demeurent inférieurs à la moitié du budget
américain. Celui-ci s’élève à 547 Md€, soit 4,8 % du PIB national. En comparaison, le budget
français, en parité de pouvoir d’achat, est de 39 Md€, soit 1,9 % de son PIB, ce qui le place au
sixième rang dans le monde. Cette position pourrait se dégrader rapidement si les pays émergents
poursuivent leur effort. Un décrochage peut s’observer avec le Royaume-Uni : l’effort britannique, de
52 Md€ en parité de pouvoir d’achat, dépasse désormais l’effort français de 14 Md€ et cet écart
devrait se maintenir au cours des prochaines années. L’Allemagne réalise également un effort un
peu supérieur à celui de la France dans le domaine conventionnel, c'est-à-dire hors dissuasion
nucléaire. L’effort de recherche et développement des États-Unis est plusieurs dizaines de fois
supérieur à celui de la France ou du Royaume-Uni.
De tels écarts entre les efforts de défense dans le monde peuvent entraîner des ruptures
technologiques et une évolution des rapports de puissance entre les États. La France ne peut donc
pas rester indifférente à ces enjeux. Il n’appartient pas à la Cour d’en juger, mais c’est une donnée
de l’équation stratégique en matière de défense.
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Compte tenu de ces deux défis, pour contribuer au débat public et éclairer les choix à venir,
la Cour établit un bilan provisoire de la loi de programmation que l’on peut résumer par quatre
constats :
le premier est que l’écart de dépenses constaté par rapport à la loi de programmation,
est de 1,9 Md€ fin 2011. Cet écart pourrait atteindre 4,1 Md€ fin 2013, en raison
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d’hypothèses budgétaires trop optimistes reposant sur des recettes en partie incertaines,
ainsi que d’une insuffisante maîtrise de la masse salariale ;
le deuxième est que les contrats opérationnels ne pourront pas être entièrement remplis,
mais que des équipements nouveaux et majeurs ont été livrés. Cependant, d’importants
retards ont été pris dans d’autres domaines, notamment les drones et le ravitaillement en
vol ;
le troisième est que la disponibilité du matériel et l’entraînement des forces sont
insuffisants ;
le dernier est que de nombreux engagements fermes ont été pris, qui rigidifient
considérablement la dépense future. Les marges de manoeuvre des prochaines années
sont donc limitées.
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Je vais revenir sur chacun de ces constats.
Le premier est donc celui d’un
écart entre les réalisations et les prévisions de la loi de
programmation de 1,9 Md€ à la fin 2011
, soit une déviation de 2 % par rapport au total des
dépenses sur les trois années. Cet écart tient à l’absence des recettes exceptionnelles ainsi qu’à
d’autres hypothèses trop optimistes.
Les recettes exceptionnelles résultaient de la vente de bandes de fréquence et de biens
immobiliers. Alors que 3,5 Md€ de recettes étaient attendues, seul 1 Md€ a pour le moment pu être
utilisé fin 2011. Ce constat illustre le risque qui s’attache à construire une trajectoire budgétaire à
partir d’hypothèses de recettes exceptionnelles dont la réalisation ne dépend pas du ministère de la
défense. Un tel choix a fait peser un risque sur l’exécution de la loi de programmation dès sa
conception. La Cour recommande de s’appuyer sur des hypothèses réalistes et prudentes, dont la
réalisation dépend du ministère de la défense seul.
D’une part, les cessions des fréquences ont été retardées. Elles ont produit davantage de
recettes qu’attendu, 2,4 Md€ au lieu d’1,5 Md€, mais il n’est pas certain qu’elles soient entièrement
affectées au ministère de la défense au cours des prochaines années. D’autre part, les recettes
immobilières demeurent très incertaines. Elles devaient provenir pour l’essentiel de la cession des
emprises parisiennes du ministère, dont celle de l’Hôtel de la Marine. Cette dernière a été
abandonnée, et les autres ne devraient pas intervenir avant 2013. Les recettes effectives
dépendront en partie de l’issue de la négociation avec les collectivités locales sur l’affectation finale
des surfaces immobilières libérées.
L’hypothèse d’une exportation rapide de l’avion Rafale s’est révélée trop optimiste et a
conduit l’État, en application de ses engagements vis à vis du constructeur, à acquérir cinq appareils
de plus que prévu entre 2009 et 2011, soit un surcoût de l’ordre de 350 M€. Onze appareils
supplémentaires pourraient être commandés pour la même raison entre 2012 et 2014, pour un coût
dépassant 700 M€.
Également, des dépenses pourtant prévisibles au moment de l’élaboration de la loi n’ont
pas été prises en compte, en particulier le coût de la pleine participation de la France aux structures
de commandement intégré de l’OTAN ainsi que l’ouverture d’une nouvelle base à Abu Dhabi.
Le pilotage des réformes, en particulier celui de la maîtrise de la masse salariale, a été
insuffisant. Une économie nette cumulée de 1,1 Md€ était attendue de la réduction des effectifs
entre 2009 et 2011, correspondant à 23 000 emplois supprimés sur la période. Alors même que cet
objectif de suppression d’emplois a été tenu, soit 7 % des effectifs du ministère, la masse salariale a
progressé de 1 Md€. Une telle dynamique conduit à douter de la réalisation effective des économies
annoncées et de leur affectation au profit de l’équipement des forces. Elle traduit l’imprécision des
outils de suivi financiers pourtant nécessaires à la conduite des réformes.
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L’utilisation de report de crédits, ainsi que l’ouverture de crédits complémentaires en loi de
finances n’a pas permis de résorber l’écart qui se creusait entre les dépenses prévues et les
dépenses exécutées. Au total, cet écart a atteint 1,9 Md€ à la fin 2011. Compte tenu des décisions
prises à la mi-2012, notamment celle de stabiliser en volume les dépenses de la mission Défense,
cet écart devrait atteindre au moins 4,1 Md€ à la fin 2013. Si les recettes de cession des fréquences
devaient ne pas être attribuées à la défense, l’écart se creuserait davantage et atteindrait 6,4 Md€.
J’en viens au deuxième constat qui concerne les capacités des forces :
si d’incontestables
succès ont été obtenus au cours des dernières opérations extérieures et si de nombreux
équipements modernes ont pu être livrés aux armées, les contrats opérationnels tels que
définis ne pourront pas être entièrement remplis
. De nombreux équipements nouveaux ont été
livrés aux forces : la dissuasion nucléaire a été modernisée, ce que le Royaume-Uni et la Russie
n’ont pas encore fait. L’armée de terre dispose de nouveaux équipements de combat et de
communication du fantassin FELIN, de 18 hélicoptères de combat Tigre et de 345 véhicules blindés
VBCI. La marine a reçu une frégate de défense aérienne, un bâtiment de projection et de
commandement, sept avions Rafale et six hélicoptères de manoeuvre NH90. L’armée de l’air a reçu
29 avions Rafale.
Par ailleurs, les armées sont intervenues de façon décisive en Côte d’Ivoire et en Libye,
alors qu’elles étaient simultanément engagées sur plusieurs théâtres, en particulier l’Afghanistan et
le Liban.
Certains retards ou incohérences demeurent cependant. Le renouvellement prévu des
capacités de ravitaillement en vol des avions de combat et de transport aérien a été retardé. En
effet, le programme d’avions de transport A400M a pris du retard, et celui d’avions ravitailleurs
MRTT n’a pas été lancé. Les avions ravitailleurs actuels datent des années 1960 et sont les plus
anciens matériels en service dans les armées. En conséquence, l’armée de l’air ne peut pas tenir
ses objectifs capacitaires. Dans le domaine naval, l’objectif capacitaire fixé par la loi n’est pas
cohérent avec le dimensionnement actuel de flotte. Ainsi, la Marine nationale n’est pas en mesure
de déployer un groupe aéronaval en permanence en mer. Le renforcement des capacités de frappe
en profondeur de l’armée de terre, c'est-à-dire son équipement en lance-roquettes et en canons
Caesar, n’est pas encore intervenu. Le programme Scorpion comportant le remplacement des
véhicules de l’avant blindé vieillissants n’a pas encore été lancé. L’armée de terre ne pourrait pas
tenir son objectif de projeter 30 000 hommes pendant un an, faute de capacités de soutien dans la
durée, notamment pour des raisons logistiques. Aucune des trois armées ne peut donc remplir
entièrement son contrat capacitaire.
La Cour a également relevé que la
disponibilité du matériel et l’entraînement des forces
étaient insuffisants
. Les arbitrages effectués ont conduit trop souvent à sacrifier les dépenses
d’entraînement des forces et de maintien en conditions opérationnelles du matériel. Concernant
l’entraînement, les objectifs fixés par la loi de programmation sont loin d’être atteints dans l’armée
de terre : au lieu des 150 jours d’activité prévus, seuls 117 jours sont réellement réalisés, et ce
chiffre continuera à se dégrader en 2012. La situation est également dégradée pour les pilotes de
transport de l’armée de l’air avec 287 heures de vol alors que l’objectif fixé est de 400. La Cour
recommande que la préservation des crédits nécessaires à l’entraînement soit considérée comme
une priorité par le ministère.
Pour certains matériels de première importance, la Cour relève un taux de disponibilité trop
faible : les sous-marins d’attaque de la classe Rubis, c'est-à-dire la génération actuelle, ont un taux
de disponibilité de 60 %, ce qui signifie qu’en moyenne, un peu moins de deux appareils sur trois
sont disponibles à chaque instant. Ce taux est à peu près le même pour les frégates. Pour l’armée
de terre, la disponibilité des véhicules blindés VAB s’est beaucoup réduite, et celle des chars
Leclerc, peu utilisés dans les opérations extérieures actuelles, a été réduite à 15 %.
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Enfin, dernier constat,
les marges de manoeuvre pour les prochaines années sont
limitées car de nombreux engagements fermes ont été pris, qui rigidifient considérablement
la dépense
. La décision de réduire la croissance des dépenses par rapport aux prévisions a conduit
à repousser au-delà de 2013 la livraison de certains matériels. Dans le cadre de la mise en place de
la loi de programmation en 2009 et de l’importante réduction de format des armées qu’elle imposait,
le ministère a été conduit à renégocier les principaux contrats d’équipement en cours. En
contrepartie des réductions qu’il a obtenues, le ministère a passé principalement des commandes
fermes. A la fin de l’année 2011, les crédits qui seront nécessaires pour couvrir les engagements
pris s’élèvent à 45,2 Md€. Les années les plus concernées sont 2012 et 2013, et dans une moindre
mesure 2014 et 2015. En conséquence, les dépenses de défense sont de plus en plus rigides.
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J’en viens maintenant aux messages de la Cour et aux propositions qu’elle formule, qui
visent à maximiser les capacités opérationnelles des forces à budget donné :
Le premier message est que d’importantes marges de manoeuvre existent sur la dépense
sans porter atteinte aux capacités des armées. Dès lors, la maîtrise des coûts doit être
renforcée sans attendre. Ainsi, la progression préoccupante de la masse salariale peut
être stoppée, notamment par une réduction volontariste de l’encadrement supérieur du
ministère. Egalement, des économies peuvent être dégagées par la réduction des
dépenses immobilières, la remise en cause de missions non essentielles et une meilleure
gestion des achats. Ces économies peuvent dépasser 1 Md€ par an ;
Le second message est que la méthode d’élaboration de la loi de programmation militaire
de 2009 constitue un bon exemple dont il faudra veiller à ce qu’il puisse se reproduire dès
2012. Deux objectifs devraient être privilégiés. Le premier est de choisir les décisions
d’économies dont le rapport coût efficacité sera le meilleur. Le second objectif est d’arriver
à un ensemble cohérent dans son fonctionnement et dans sa réponse aux menaces.
La première recommandation de la Cour est que
la maîtrise des coûts doit être dès à
présent renforcée et peut entraîner de l’ordre d’ 1 Md€ d’économies.
L’enjeu principal concerne la masse salariale. Dans le cadre de la poursuite des réductions
d’effectifs prévue, une diminution de la masse salariale devrait être obtenue, contrairement à ce qui
a été observé jusqu’ici. Pour cela, l’augmentation continue de l’encadrement supérieur, qui n’est pas
cohérente avec la réduction du format des armées, doit être stoppée. Une telle mise en cohérence,
appelée repyramidage, permettrait une économie que la Cour évalue à 236 M€. Certes, des besoins
en personnel hautement qualifié existent, dans un contexte mondial caractérisé par une complexité
croissante. Mais le renforcement du taux d’encadrement, qui est passé de 14,6 % à 15,9 % entre
2008 et 2009, présente, outre son coût intrinsèque, plus d’inconvénients que d’avantages, y compris
pour les personnels eux-mêmes. Il peut conduire à l’engorgement et à la bureaucratisation des
administrations centrales, à la multiplication des structures de soutien et de contrôle, et à des
durées de commandement trop courtes.
En particulier, il y a lieu de s’interroger sur le nombre d’officiers généraux, qui est resté à
peu près constant en dépit de la réduction du format des armées. L’armée de terre compte ainsi 176
généraux pour seulement 15 brigades à commander : plus de cent généraux de l’armée de terre
servent en dehors de celle-ci. Pour les 3468 officiers ayant un grade équivalent à celui de colonel,
les commandements disponibles de régiments, de bâtiments de la marine et de bases aériennes
sont au nombre de 150. En administration centrale, ces officiers sont souvent affectés à des postes
de responsabilité insuffisante par rapport à leurs capacités, par exemple de chef de bureau ou
d’adjoint, postes qui sont également confiés à des administrateurs civils en début de carrière.
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La Cour a par ailleurs recommandé en 2011 la suppression des états-majors de soutien de
la défense, structures intermédiaires entre les bases de défense et l’administration centrale, qui
occupent 400 postes. Il y a lieu de regretter la décision prise au début de l’année 2012 d’au
contraire les renforcer.
Des économies peuvent également être trouvées dans la politique de ressources humaines.
Ainsi, un ralentissement du rythme des mutations, qui ont lieu tous les deux ans en moyenne pour
les officiers généraux, serait une source d’économies des frais liés à ces mutations, qui s’élèvent à
275 M€ en 2010. La politique de formation des officiers supérieurs est très ambitieuse et son coût
est élevé : les frais de formation qui interviennent au cours d’une carrière allant du grade de
capitaine à celui de général, soit en moyenne une vingtaine d’années, sont de l’ordre de 500 000€.
Le
ministère
de
la
défense
déploie
une
ambitieuse
politique
immobilière
et
d’accompagnement des restructurations, qui représente 979 M€ en 2011. La majeure partie de ces
dépenses présentent un lien direct avec les besoins opérationnels. Mais des marges de manoeuvre
existent sur la politique du logement, dont le coût annuel est de 107 M€. Une réduction de
l’ensemble des dépenses immobilières de 20 % permettrait une économie de l’ordre de 200 M€.
Parmi les dépenses de fonctionnement, la Cour a identifié des gisements d’économies dans
le domaine des achats, en utilisant pleinement les dispositions permettant au ministère d’aller
enquêter sur les marges de ses fournisseurs pour les marchés non concurrentiels. Le
développement d’externalisations dans le domaine de la restauration ou de l’habillement mérite
d’être davantage étudié, car il peut entraîner de substantielles économies. Le retour à l’équilibre du
service de santé des armées permettait une économie de 280 M€ par rapport à 2009, tout en
préservant ses capacités opérationnelles.
Enfin, certaines dépenses ne contribuant pas ou peu à la capacité opérationnelle pourraient
être réduites. Ainsi, le paiement sans retard des fournisseurs du ministère permettrait d’éviter
d’inutiles dépenses d’intérêts moratoires qui s’élèvent à 45 M€ en 2011. Le ministère dépense 69
M€ pour financer sa politique culturelle. Certaines de ces dépenses pourraient être réduites : ainsi,
la taille du service historique de la défense, qui emploie 500 personnes, paraît élevée. Les
personnels travaillant pour le centre sportif d’équitation militaire et le centre national du sport de la
défense, tous deux situés à Fontainebleau, sont au nombre de 300 et n’apportent pas de
contribution à la capacité opérationnelle des armées. Les dépenses de communication du ministère
s’élèvent à 99 M€, soit un niveau encore élevé. Enfin, malgré la baisse des effectifs, les dépenses
d’action sociale du ministère ont progressé de 27 % entre 2009 et 2011 pour atteindre 113 M€.
Toutes ces économies qui ne touchent pas au format des armées peuvent être engagées
sans délais, dans le cadre du budget pour 2013 qui serait un budget d’attente. Elles ne pourront
porter leur plein effet qu’au bout de plusieurs années.
Le second message de la Cour est de
reconduire rapidement le processus adopté en
2008
qui passe par la préparation d’un nouveau Livre blanc, puis la définition de nouveaux objectifs
opérationnels, et la fixation d’une trajectoire de dépenses de moyen terme, compatible avec ces
objectifs propres aux armées, mais aussi avec les contraintes issues du redressement des comptes
publics.
Il est probable que ce processus ne pourra entièrement aboutir avant la fin du premier
semestre de l’année 2013. Entre temps, des décisions devront être prises très prochainement, dans
le cadre du budget pour 2013, afin de fixer la contribution du ministère de la défense à l’atteinte d’un
objectif de déficit public de 3 %. La Cour a souligné dans son rapport sur les finances publiques
publié la semaine dernière que cet effort serait important et supposait des choix difficiles, tout en
étant réalisable.
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Il importe de veiller à ce que les arbitrages qui seront pris rapidement portent le moins
possible atteinte aux capacités opérationnelles des forces, afin de prendre les décisions
d’équipement dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Les mesures d’efficience
que j’ai déjà présentées pourraient y contribuer.
Pour traduire les choix opérationnels qui figureront dans la prochaine loi de programmation,
quatre options sont possibles, dont la Cour met en évidence les limites.
La première est la renégociation des contrats d’armement. La Cour relève que les marges
de manoeuvre relatives à ces contrats ont pour l’essentiel déjà été consommées à l’occasion de la
renégociation de 2009. La réduction des volumes commandés a d’ores et déjà conduit à un fort
renchérissement du coût unitaire des programmes, rendant cette opération peu rentable d’un point
de vue financier. Ainsi, pour prendre deux exemples, la révision du contrat des frégates
multimissions, la réduction du volume de la commande de 6 frégates a permis d’économiser
l’équivalent de 2,5 frégates. Pour le véhicule blindé de combat de l’infanterie,
23 % de l’économie
théorique est revenue au ministère. Au total, les négociations de 2009 ont porté sur 6,9 Md€
d’annulations dont a résulté 2,9 Md€ d’économies effectivement réalisées pour l’État, pour une forte
diminution du volume des matériels livrés.
Ces renégociations ont également porté sur un report des livraisons qui entraînera des
échéances supérieures à 10 Md€ par an entre 2016 et 2020. Cette bosse budgétaire est à mettre en
regard des échéances pour les années 2012 à 2014, comprises entre 7 et 8 Md€.
Si de nouvelles négociations en vue de réduire les commandes étaient engagées, elles
pourraient être encore moins rentables du point de vue financier.
La deuxième option ouverte est la mise en oeuvre d’achats dits « sur étagère », c'est-à-dire
des achats de matériels déjà existants chez un industriel ou dans une armée étrangère. Les coûts
peuvent être moins élevés par rapport aux programmes sur mesure, ce qui justifie que cette solution
soit étudiée. Néanmoins, elle ne devrait concerner que les équipements non stratégiques. Elle aurait
des conséquences sur l’industrie et sur l’emploi qui ne peuvent être négligées.
Une troisième option est la recherche d’économies via une plus grande mutualisation
européenne, notamment dans le domaine de l’armement. Ses résultats sont cependant incertains et
les effets éventuels ne se feront sentir qu’à long terme.
Enfin, une dernière option est une évolution du format des armées. Une telle décision
présente des contraintes en matière de ressources humaines, compte tenu de la restructuration
mise en oeuvre, qui se traduit par une suppression de 54 000 emplois entre 2009 et 2015.
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En conclusion, la Cour propose une démarche en deux temps. D’abord, des économies ne
touchant pas au format des armées qui ont trop longtemps été différées, devraient sans attendre
être mises en oeuvre, de l’ordre d’1 Md€. Ensuite, la mise à jour du Livre blanc permettra de
réajuster le cas échéant le format et les besoins d’équipement des armées, dans un cadre cohérent
défini par une nouvelle loi de programmation militaire.
Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent, pour répondre à vos questions.