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Allocution de Didier Migaud,
Premier Président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique
sur les enseignements des inondations de 2010
sur le littoral atlantique (Xynthia) et dans le Var
jeudi 5 juillet 2012
Mesdames, messieurs,
C’est un tout autre sujet que la situation et les perspectives des finances publiques qui est
abordé par la Cour des comptes dans le rapport que nous vous présentons ce matin. Il s’agit de
deux catastrophes naturelles qui se sont déroulées en 2010, dont le bilan humain, matériel et
financier très lourd justifie que la Cour et les chambres régionales des comptes concernées leur
consacre un rapport public thématique.
La tempête Xynthia de février 2010 a entraîné, par l’action du vent, des dommages
matériels sur un territoire étendu. Ce ne sont pas ces dommages liés au vent qui font l’objet du
présent rapport, mais ceux qu’a entrainé la montée du niveau de la mer sur les zones littorales. Ce
phénomène, qui s'appelle une submersion marine, a eu des conséquences beaucoup plus graves
que l'action du vent, action qui n'entre pas dans le champ du rapport.
Quelques mois plus tard, en juin 2010, c'est-à-dire il y a juste deux ans, de violentes pluies
dans le Var ont déclenché une soudaine et brutale montée du niveau des rivières Nartuby et
Argens, dans la région de Draguignan.
Ces deux inondations ont causé de terribles drames humains : 64 personnes y ont perdu la
vie et deux ont été portées disparues. Des centaines de personnes ont été blessées, ont perdu leurs
maisons et leurs biens. Dans les deux cas, la capacité des acteurs publics à prévenir et à gérer ce
type de catastrophes a été mise en cause.
L’analyse des juridictions financières porte sur ce qui s’est passé avant, pendant et après
ces catastrophes. Elle s’appuie sur des enquêtes de terrain approfondies menées conjointement par
la Cour et les trois chambres régionales concernées, soit celles des Pays de la Loire, dont le
président Louis Vallernaud est ici présent, de Poitou-Charentes et de Provence-Alpes-Côte d’Azur,
dans le cadre d’une formation interjuridictions. Nous leur sommes actuellement reliés par
visioconférence et, pour certaines, une conférence de presse aura lieu avec la presse locale
immédiatement après celle qui nous réunit pour qu’elles présentent plus spécifiquement les
principales conclusions de leurs travaux.
Pour vous présenter ce rapport, j’ai autour de moi Jean-Pierre Bayle, président de chambre
qui a présidé cette formation inter-juridictions, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et
rapporteur général de la Cour. Je tiens à remercier spécialement les rapporteurs, Géraud Guibert,
conseiller maître, et Cyrille Schott, conseiller maître en service extraordinaire, qui sont à nos côtés.
Je voudrais également remercier Jean-Luc Lebuy, conseiller maître et contre rapporteur, ainsi que
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les autres rapporteurs, Hubert La Marle, René-Pierre Tisserand, et Jean-Michel Sansoucy, tous trois
premiers conseillers de chambre régionale des comptes.
Ont été contrôlés dans le cadre de cette enquête les services centraux et déconcentrés de
l’État, notamment les préfectures, ainsi que plusieurs organismes nationaux, notamment Météo
France et la Caisse centrale de réassurance. Les trois régions, les trois départements, les trois
services départementaux d’incendie et de secours et les 14 communes concernées ont également
été contrôlées, ainsi que de nombreux organismes intercommunaux. Au total, les observations et
recommandations du rapport ont fait l’objet d’une contradiction écrite avec près de 80 interlocuteurs.
L’objet du rapport n’est pas simplement de réaliser un bilan mais de contribuer à éviter que
de tels drames ne se reproduisent. C'est pourquoi après chacun de ses constats, la Cour formule
des propositions dont je présenterai les plus importantes. L’une des originalités de l’enquête est
qu’elle examine déjà la réalité des leçons qui ont été tirées des inondations au cours des deux
années qui les ont suivies, en mettant en évidence les efforts accomplis depuis, mais aussi les
insuffisances qui subsistent et qui méritent l’attention des citoyens et des acteurs publics nationaux
et locaux.
*
Dans ce rapport, la Cour délivre trois messages :
•
Le premier concerne la prévention. Dans les deux régions concernées, la culture du
risque était très insuffisante avant les catastrophes. Même après celles-ci, elle n’est
toujours pas assez développée. Dans un contexte d’accroissement démographique,
une « soif » de construire y règne toujours, sans prendre en compte suffisamment
la vulnérabilité du territoire. Elle est encouragée par les promoteurs, soutenue par
les élus et insuffisamment maîtrisée par l’État. Elle conduit toujours à des
incohérences dans la prévention, notamment dans les décisions d’urbanisme.
•
Le deuxième message est que la protection dans les zones bâties les plus
dangereuses doit être une vraie priorité. La politique de rachat de biens menée par
l’État sur la côte atlantique a été effectuée dans la précipitation, ce qui
a entraîné
de lourds gaspillages. L’entretien des digues est encore lacunaire et souffre de
défaillances de gouvernance.
•
Enfin, troisième message, le système d’indemnisations publiques a été très complet
mais a montré également de nombreuses incohérences. J’en présenterai certaines.
*
La prévention
J’aborderai en premier lieu la prévention.
Les habitants des régions littorales vendéennes et charentaises vivent à des niveaux très
proches de celui de la mer et occupent des terres qui étaient autrefois des marais, souvent inondés
par la mer. Au XX
e
siècle, neuf tempêtes avec submersion marine ont frappé les secteurs de l’île de
Ré et la Rochelle. Dans le Sud de la Vendée, ce sont cinq tempêtes de ce type qui ont eu lieu, dont
la dernière est celle 1999. Ces nombreuses catastrophes qui ont existé par le passé ont été
oubliées. Elles
expliquaient la vocation essentiellement agricole de ces terres. Dans le Var, la
situation est la même à proximité immédiate de rivières qui ont connu de violents débordements.
L’urbanisation n’a fait qu’accroître ces risques, en rendant plus complexe l’écoulement des eaux.
Cette urbanisation a été massive : pour l'illustrer, le secteur du Sud de la Vendée, qui comprend les
trois communes de la Faute-sur-mer, l’Aiguillon-sur-mer et la Tranche-sur-mer, a vu sa population
croître de 22 % en un peu plus de 25 ans. Peu étendue, cette région accueille en outre 150 000
estivants chaque année.
Des avertissements ont été donnés. Un rapport de 2008 évoque la gravité potentielle du
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risque de submersion marine en Sud-Vendée. Mais la culture du risque est demeurée très
insuffisante. Après les catastrophes et les mesures d'urgence qui ont suivies et sur lesquelles je
reviendrai, un nouveau cadre se met progressivement en place, selon les principes de la loi dite
Grenelle 2. Il reposera sur la transposition d’une directive européenne de 2007 prévoyant une
nouvelle cartographie des risques d’inondation, une prise en compte d’événements extrêmes et la
mise en place de plans de gestion des risques inondations. L’une de ses nouveautés est d’intégrer
une analyse coût efficacité entre les conséquences dommageables des inondations et les mesures
nécessaires pour les éviter. De tels principes n’ont malheureusement pas été appliqués, même
après les catastrophes, vous le verrez. La Cour recommande la mise en place rapide de ce cadre
global.
Pour évoquer plus précisément la prévention, j’aborderai successivement le système
d’alerte, les secours et l’urbanisation.
Concernant
l’alerte
, il faut constater que les prévisions météorologiques n’ont pas su
caractériser les phénomènes survenus avec assez de précision, en partie en raison d’insuffisances
scientifiques. La tempête Xynthia ne présentait pas de caractéristiques exceptionnelles, mais sa
concomitance avec une marée haute a entraîné une montée des eaux de 1,5 mètre. C’est l’ampleur
de cette montée qui a été sous-évaluée. Depuis, un programme d’action a été élaboré pour
développer la connaissance de ces phénomènes et mieux les prévoir sur le littoral français. Sa mise
en oeuvre complète prendra du temps et supposera une meilleure coordination des acteurs. Dans le
Var, les observations pluviométriques en temps réel n’étaient pas assez précises et la surveillance
des cours d’eau par le service de prévision des crues insuffisante. Des améliorations notables ont
été obtenues, notamment grâce à un effort de perfectionnement des équipements.
Le fonctionnement des systèmes d’alerte aux populations s’est révélé peu efficace. Leur
perfectionnement doit être une priorité, car ils permettent de sauver des vies humaines et
présentent, du point de vue économique, un coût limité par rapport à leurs bénéfices. Dans le Var,
même s’il avait été discuté, le passage au niveau rouge de l’alerte n’avait pas été retenu car jugé
trop tardif par rapport à l’événement. Depuis, la doctrine a été amendée. L’absence de véritable
dispositif d’alerte dans la plupart des communes est à déplorer. C’est sur les maires et les
conseillers municipaux qu’a reposé la tâche de prévenir individuellement les personnes les plus
exposées. Depuis, des équipements ont été mis en place, notamment des sirènes, mais cette
situation appelle une clarification des responsabilités entre État et communes, ainsi que la mise en
place d’un système plus performant d’alerte aux populations, comme le prévoit le livre blanc sur la
défense et la sécurité nationale de 2008 et dont la mise en oeuvre a pris du retard. Beaucoup reste
donc à faire pour que les systèmes d’alerte soient rendus performants et adaptés aux risques
encourus par les populations.
L’état des
dispositifs de secours
présentait des carences avant la crise. J'aborderai
d'abord la planification. L’État, à qui incombe principalement la mission de prévenir et gérer les
crises, n’avait pas actualisé les plans ORSEC et n’avait pas organisé d’exercices autour des risques
d’inondation. Sur le littoral atlantique, le risque de submersion marine n’était pas même vraiment
identifié parmi les risques possibles.
Les corrections apportées depuis demeurent partielles. Les communes situées dans des
zones à risque ont l’obligation d’élaborer des plans communaux de sauvegarde qui précisent la
réponse opérationnelle des communes en cas de crise. Dans chacun des trois départements
concernés, les communes ayant satisfait à cette obligation étaient minoritaires parmi celles qui y
étaient soumises. De nombreuses communes exposées à des risques majeurs n’en étaient pas
dotées, notamment La Faute-sur-mer. En outre, le contenu de nombreux plans était et demeure
insuffisamment opérationnel. Depuis, un effort non négligeable a été accompli, sous l’impulsion de
l’État. Au niveau national, la proportion de communes dotées de plans parmi celles concernées a
doublé entre début 2010 et mars 2011 mais elle ne s’établit qu’à 37 %. En somme, les outils de
planification de l’État comme ceux des communes restent largement à parfaire.
Les retours d’expérience ont tous souligné l’efficacité et le dévouement des secours. Malgré
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les améliorations apportées à l’organisation des secours, des progrès sont encore possibles, en
particulier concernant les moyens aériens. Leur intervention en Vendée a été plus tardive et plus
faible qu’en Charente-Maritime, en raison d’une mauvaise coordination dans l’utilisation des
moyens. La planification a priori de l’intervention des moyens aériens et les possibilités de
communication avec le sol doivent encore être améliorées.
Il faut aussi relever que plusieurs casernes ont été inondées au moment des catastrophes.
Dans le Var, c’est même le centre opérationnel départemental et le centre principal de secours qui
ont été inondés, entraînant des difficultés dans la conduite des opérations de secours et la
destruction de 87 véhicules. Les réparations ont coûté 1,66 M€. Ce centre avait été construit il y a
quarante ans à proximité immédiate de la rivière. Chaque centre qui a été inondé devra
impérativement être reconstruit ailleurs, s’il n’est pas supprimé, dans les délais les plus brefs
possibles.
J’aborde enfin la prévention sous l’angle de l’urbanisme. Cela va de soi, la prévention passe
d’abord par la nécessité d’être rigoureux face à la soif de construire qui est exprimée dans les zones
littorales ou méridionales. Or, avant les crises, l'État a souvent fait preuve de faiblesse en réponse
aux projets de construction dans des zones pourtant identifiées comme inondables. Vous trouverez
dans le rapport plusieurs cas concrets mettant en évidence un respect aléatoire des règles,
notamment de la loi sur l'eau, et des tergiversations des préfets, pris entre les avis techniques de
leurs services et la pression des élus et des promoteurs. Ces études de cas, qui portent notamment
sur les communes de La Faute-sur-mer en Vendée et de Fréjus dans le Var, montrent aussi des
décisions illégales prises par certains maires. Ceux-ci accédaient trop rapidement au désir des
habitants et des promoteurs en minorant, voire en ignorant les risques naturels et leur mission de
préserver la sécurité des personnes et des biens. Le très faible nombre de déférés de ces décisions
illégales dans ces départements met en lumière les défaillances du contrôle de légalité assuré par
les préfectures, en matière d'urbanisme. Ce secteur est pourtant désigné comme prioritaire dans les
directives nationales en matière de stratégie de contrôle de légalité.
Une fois construites, ces habitations mettent en danger leurs résidents et peuvent se révéler
très coûteuses pour l'État qui doit ensuite les racheter pour les détruire. L'État affiche désormais une
volonté nouvelle mais celle-ci devra être prolongée dans la durée pour éviter de nouvelles
constructions dans des zones identifiées comme risquées.
Pour maîtriser l'urbanisation dans les zones inondables, les principaux outils à la disposition
de l'État sont les plans de prévention des risques inondation, les PPRI, prescrits et adoptés par les
préfets après une procédure de consultation préalable exigeante et parfois longue. Une fois
adoptés, ils ont une valeur contraignante. L'application de ce dispositif, auxquels les maires se sont
de façon assez général opposés, pose de nombreuses questions.
Ainsi, le PPRI de Draguignan a t-il identifié une zone de moindre risque le long de la rivière,
qui est précédée et suivie par des zones de fort risque, et dans laquelle se situe le centre de
secours principal que j'ai déjà évoqué, gravement endommagé par l'inondation de 2010. En Vendée,
la procédure d'adoption du PPRI de l'estuaire du Lay s'est enlisée dans d'interminables discussions.
Dans celui de La Faute-sur-mer s'est exprimé le souci de ne pas trop contraindre les potentialités
d'urbanisation souhaitées par la population et relayée par les élus : les risques paraissent y avoir été
minorés, en particulier derrière la digue Est. A d'autres endroits, il n'y avait tout simplement pas de
PPRI prescrit. Les dispositions prises depuis 2010 témoignent de la volonté de l'État d'améliorer la
couverture des zones à risques et d'assurer un déroulement plus bref des procédures, notamment
dans les zones jugées prioritaires. Cependant, en raison d'une diffusion encore insuffisante de la
culture du risque, les oppositions locales n'ont pas disparu. La volonté préfectorale doit s'affirmer en
relais de celle du gouvernement et avec son soutien. La Cour recommande que soit mis en place un
pilotage national, avec des objectifs et des remontées régulières d'information sur l'élaboration des
PPRI.
Quant aux documents d'urbanisme existant dans les communes, c'étaient généralement
des plans d'occupation des sols obsolètes et peu contraignants. Ainsi, 12 des 13 communes
sinistrées dans le Var disposaient d'un POS antérieur à 1995, et, pour sept d'entre elles, à 1990.
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Depuis la crise, les actions entreprises pour favoriser la mise en place de documents de nouvelle
génération, c’est à dire de plans locaux d’urbanisme (PLU), sont insuffisantes. Pour enregistrer des
progrès, la Cour estime que l'État devra passer par l'instauration d'un dispositif contraignant par voie
législative ou réglementaire.
La prévention en matière d'urbanisme ne concerne pas que l'attribution des permis de
construire. Elle passe également par la bonne information des habitants sur les risques, car le code
de l'environnement établit un droit à l'information au bénéfice des citoyens. Avant la crise, de graves
défaillances dans la qualité et l'exhaustivité de cette information apparaissent. Les dossiers
départementaux sur les risques majeurs, établis par les préfets, n'étaient souvent pas actualisés et
rédigés en des termes trop généraux. La déclinaison communale de ces documents était rare. Des
progrès sont en cours mais se heurtent au manque de moyens en personnel.
Les atlas des zones inondables sont établis par les services de l'État pour l'information des
citoyens mais peuvent aussi être évoqués, en l'absence de document plus précis, pour s'opposer à
des constructions en zone dangereuse. Dans le Var, ce document pourtant utile n'avait pas même
été communiqué aux maires. Sur le littoral atlantique, ils avaient été transmis aux maires mais
avaient été reçus avec réticence par ceux-ci et n'avaient guère été utilisés dans l'examen des
autorisations de construire. L'application de la nouvelle directive européenne devrait renforcer les
efforts en matière de cartographie.
La Cour a constaté que l'application du dispositif légal d'information des acquéreurs et
locataires, préalable à la signature des contrats de vente ou de bail, présentait de sérieuses
insuffisances : les informations sont souvent lacunaires et les sites Internet des préfectures ne sont
pas à jour des données les plus récentes sur les risques. Ce constat appelle un bilan de l'existant et
une volonté de mettre pleinement en application la loi.
La protection des zones bâties
J'en viens maintenant au deuxième message qui, après la prévention, concerne la
protection du bâti existant.
Plusieurs exemples illustrent le coût pour les contribuables de l’implantation d’équipements
publics dans des zones à risque. Ainsi, de nombreux terrains de camping ont été inondés, dont
certains étaient dans l’illégalité. Dans le Var, neuf campings ont été fermés durant l’été 2010. Une
prise de conscience de l’importance d’assurer le respect de la réglementation est apparue mais les
résultats obtenus demeurent partiels.
Les constats les plus critiques de la Cour concernent toutefois la mise en oeuvre de la
politique de rachat du bâti entreprise par l’État après les inondations de Xynthia. Celle-ci repose sur
des objectifs légitimes, s’apparentant à « un repli stratégique » : dans les zones les plus
dangereuses, dans lesquelles les dispositifs de protection se révèlent trop coûteux à construire ou à
entretenir, il est préférable de racheter, à l’amiable ou non, les biens afin de les détruire.
Les préfets ont défini des zones dites de solidarité, dans lesquelles les particuliers
pouvaient vendre à l’amiable leurs biens à l’État, en l’attente d’une procédure d’expropriation pour
ceux qui ne souhaiteraient pas vendre. Or, ce processus a été mis en place en Vendée et en
Charente-Maritime avec une rapidité excessive, sans concertation, et a entraîné de vives
protestations. Dans un second temps, après des travaux d’experts et des consultations plus
poussées, des zones dites d’expropriation ont été définies, centrées sur les zones les plus à risque,
dont le périmètre ne concordait souvent pas avec les zones de solidarité établies précédemment.
Ces dernières ont pu avoir un périmètre trop large, car les objectifs affichés du rachat par l’État
étaient à la fois la sécurité mais aussi la solidarité nationale pour des personnes fortement
éprouvées. Ainsi, de nombreux biens qui n’étaient pas en danger, soit par leur localisation, soit pour
d'autres raisons, par exemple parce qu’ils comportaient des étages pouvant servir de refuge, ont été
achetés inutilement par l’État. En Vendée, 163 biens situés dans des zones de solidarité mais hors
zone d’expropriation, c’est à dire de risque avéré, ont ainsi été acquis en vain, pour près de 50 M€.
Parmi ceux-ci figurent onze maisons dont la valeur dépasse 500 000 €. En Charente-Maritime, le
nombre de biens dans cette situation s’élève à 88 pour un coût de 34 M€. Dans ce département,
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c’est par exemple tout un quartier dit « Les Boucholeurs » et situé à cheval entre les communes de
Châtelaillon et Yves qui a fait l’objet de nombreuses acquisitions amiables concernant 35 maisons
pour un coût de 11 M€, avant que la décision de renoncer à toute expropriation ne soit prise au
profit du renforcement des ouvrages de protection contre la mer. Cet exemple est significatif d’un
processus chaotique et de décisions contradictoires, inutilement coûteuses pour les finances
publiques. En effet, une fois acquis, les biens sont voués à la destruction, car la procédure utilisée
répond à un unique objectif de sécurité. Au total, ces dépenses inutiles s’élèvent à 84 M€. Si
l’objectif avait été seulement de protéger, il aurait fallu définir d’emblée des zones de solidarité plus
restreintes, correspondant aux zones d’expropriation. Si l’objectif était la solidarité, le rachat dans
certaines zones moins exposées au danger n’était pas forcément la meilleure solution : le
relogement temporaire des personnes fortement éprouvées, en attendant qu’elles puissent vendre
leur bien, aurait été bien moins coûteux. Enfin, alors que le fait de construire sans permis constitue
un délit, l’État n’a pas réalisé de contrôle systématique de la situation en matière de permis de
construire des biens qu’il rachetait. Une plus grande sélectivité dans les rachats amiables aurait
contribué à la dissuasion des constructions irrégulières dans les zones de grave danger.
Dans le Var, une méthode tout à fait différente a été adoptée, moins précipitée mais plus
longue, ce qui ne présente pas que des avantages.
Au total, les dépenses pour le rachat des maisons dans les deux départements atlantiques
s’élèvent à 316 M€, prélevés sur le fonds de prévention des risques majeurs, dit fonds Barnier, soit
presque autant que les dépenses cumulées de ce fonds sur les quatre années précédentes.
L’asséchement de sa trésorerie a conduit l’État à lui accorder une avance au moyen d’un usage
contestable d’un compte de concours du budget de l’État.
Une véritable politique cohérente en matière de rachat de maisons reste à définir pour
l’ensemble des zones dangereuses du littoral français. Elle devra reposer sur des études à la fois
par zones et bien par bien, comparant d’une part le coût de la protection de ces biens et d’autre part
celui de leur rachat et de leur démolition. Les collectivités devraient participer au financement de ces
opérations, ce qui contribuerait à les responsabiliser en matière d’urbanisme. Les procédures de
rachat amiables devraient être simplifiées, et réservées aux biens construits dans le respect de la
réglementation.
Après la protection des habitations, j’en viens aux ouvrages dédiés à la protection contre la
mer, c’est à dire les digues. Les élus et les populations comptent beaucoup sur ces ouvrages mais
leur situation était très inquiétante à la veille de catastrophe et l’est en partie demeurée depuis.
Certes, dans les deux départements atlantiques, l’État avait tenté un recensement et un classement
des ouvrages. Toutefois, il s’était heurté à de grandes difficultés pour identifier les propriétaires des
digues et les gestionnaires de celles-ci. Dans de nombreux cas, le propriétaire est inconnu et quand
il peut être identifié, il ne dispose souvent pas des moyens financiers d’entretenir la digue, ce qui
entraîne la mise en place de montages complexes en vue du partage des compétences avec
d'autres acteurs locaux. De même, les gestionnaires des digues ont été très difficiles à identifier. En
Charente-Maritime, il n’a pas été possible de le faire pour 95 % du linéaire. Enfin, sur une même
portion de digues, c’est souvent une multitude d’intervenants potentiels qui apparaît. Pour prendre
l’exemple du Sud de la Vendée, sur 20km de linéaire de digues, soit 11 digues, 7 propriétaires de
statut divers ont été identifiés ainsi que 5 gestionnaires.
En pratique, une telle confusion rend difficile, sinon impossible le bon entretien des
ouvrages. L’exemple de la digue Est à La Faute-sur-Mer illustre les effets de la dilution des
responsabilités entre de trop nombreux acteurs dont les ressources sont insuffisantes, et la difficulté
de réaliser l’entretien de la digue qui en résulte.
A ces difficultés de gouvernance et de mobilisation des acteurs locaux s’est ajouté un
financement très insuffisant par l’État de l’entretien des digues : entre 2001 et 2009, la subvention
de l’État pour les ouvrages du Sud de la Vendée s’est élevée à 540 000 € en moyenne par an, alors
que c’est un montant trois à quatre fois supérieur qu’il aurait fallu mobiliser. Dans le cadre du plan
submersions rapides du gouvernement, appelé « plan digues », les financements de l’État ont
retrouvé un niveau adéquat : en Charente-Maritime, l’État a engagé près de 20 M€ depuis 2010, soit
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plus de deux fois plus en un an qu’au cours des dix années précédentes. Dans les années à venir,
le plan digues prévoit d’augmenter encore substantiellement cet effort et de faire coopérer les
services de l’État et les collectivités dans le cadre de programmes d’action de prévention des
inondations, PAPI. La réalisation de ces programmes prendra du temps. Il importera de veiller à ce
que les travaux les plus prioritaires puissent être financés dans un délai plus court, mais en évitant
de se laisser aller à des actions de protection qui ne seraient qu’un encouragement à poursuivre
une urbanisation dangereuse.
Dans le Var, les rivières à l’origine des débordements catastrophiques étaient non
domaniales. C'est dire que légalement, leur lit appartient aux riverains et que la charge de leur
entretien revient en
principe à ceux-ci, c’est à dire à des personnes privées qui, dans les faits,
n’assurent pas cet entretien, faute de volonté mais aussi de capacité à le faire. Les collectivités ont
la possibilité de se substituer aux riverains défaillants après une procédure de déclaration d’intérêt
général, mais cette procédure, lorsqu’elle a été mise en oeuvre, n’a pas donné les résultats
escomptés. Il en est résulté un mauvais état d’entretien des rivières qui a contribué à aggraver les
inondations. Les actions pour améliorer la coordination des acteurs dans le cadre d’un PAPI ne sont
pas encore concrétisées. Dans l’attente, des solutions transitoires devront être trouvées pour
réaliser les travaux les plus urgents.
Pour que la gestion des digues et des rivières connaisse des progrès durables, il importe
que leur gouvernance soit rendue plus efficace, afin que les responsabilités soient bien identifiées.
Or, cette gouvernance est régie, dans le cas des digues, par des textes anciens, notamment la loi
de 1807 relative au dessèchement des marais. Cette loi demande à chaque riverain de se protéger
contre les inondations, dans une perspective de valorisation des terres agricoles. C’est dire si ce
cadre est devenu inadapté aux enjeux présents et appelle des évolutions législatives et
réglementaires. Parmi les solutions possibles figure celle d’un service public communal ou
intercommunal, prenant en compte la complexité des systèmes d’écoulement des eaux, et non la
protection individuelle et morcelée des ouvrages. Par ailleurs, un décret relatif aux normes
techniques concernant les digues est en cours de préparation.
Dans le Var, et de façon plus générale en France, une autorité devra être identifiée pour
l’entretien du lit des rivières non domaniales, capable de véritablement assurer la responsabilité de
cet entretien. Une réflexion mérite d’être engagée par le gouvernement au sujet des textes
existants, qui ne paraissent plus adaptés.
Les indemnisations
Le système d’indemnisation a été très complet mais a montré de nombreuses incohérences.
S’agissant des assurances, leur mobilisation a permis d’indemniser les particuliers dans des
délais courts, mais l’effort a moins porté sur les entreprises, alors que l’État mettait en place au
même moment des aides à leur trésorerie pour surmonter cette phase. Pour Xynthia, les sinistres
ont coûté 690 M€ aux assureurs. Pour le Var, ce coût est de 615 M€. Dans les deux cas, un
montant proche de la moitié a été pris en charge par la Caisse centrale de réassurance qui bénéficie
de la garantie de l’État. J’en viens maintenant aux dépenses publiques d’indemnisation.
En premier lieu, des remises et exonérations fiscales ont été accordées. La Cour s’interroge
sur les disparités constatées entre les territoires. Ainsi, alors que les coûts des indemnisations par
les assureurs étaient comparables en Vendée et dans le Var, celui des mesures fiscales a été
quatre fois et demie plus élevé dans le Var qu’en Vendée. Il est en outre étonnant que le nombre de
demandes ait été aussi élevé dans le Var et que toutes aient été satisfaites. Dans le cadre des
rachats amiables de résidences secondaires, une exonération des plus-values immobilières a été
accordée. Cela n’allait pas systématiquement de soi. Ainsi, pour prendre un exemple, une résidence
secondaire située à La Faute-sur-mer a été rachetée pour près de 600 000 €, après déduction des
indemnités d’assurance, entraînant une plus-value d’environ 300 000 € pour le particulier vendeur
sur laquelle aucun impôt n’a été versé, ce qui constitue une aubaine sur laquelle il y avait lieu de
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s’interroger.
En deuxième lieu, des aides ont été versées par l’État et les collectivités locales aux
victimes, dans des délais et selon des critères très variables d’une collectivité à l’autre. Certaines
introduisaient une condition de ressources, d’autres non. Les règles de cumul de ces aides n’étaient
pas davantage harmonisées. Il serait utile que l’État élabore un guide recommandant aux
collectivités des principes à suivre, afin d’éviter qu’un sentiment d’incompréhension voire d’injustice
se développe chez les citoyens.
En troisième lieu, je rappelle que le coût total de la politique de rachat des biens par l’État
sur le littoral atlantique, s'est élevé à 316 M€, dont 84 dépensés inutilement.
Au total, le coût pour les finances publiques des inondations s’élève à 457 M€ pour Xynthia
et à 201 M€ pour le Var, soit 658 M€. Ces montants sont importants, en particulier pour Xynthia,
notamment en les comparant aux indemnités payées par les assureurs, dont le total s’élève à 1,3
Md€. Cela met en évidence le coût pour les finances publiques des négligences passées voire des
irrégularités constatées en matière d’urbanisme.
*
Pour conclure, la Cour a relevé, vous l’avez constaté, de nombreuses incohérences dans la
prévention et la protection des populations, avant comme après les catastrophes. Des progrès
peuvent être constatés, et la volonté de l’État s’est affirmée mais les initiatives prises doivent être
confortées et pilotées par les administrations centrales de l’État pour qu’une culture du risque se
développe dans ces régions. Il importe que se diffuse l’idée qu’il est plus sage, pour protéger les
vies, et moins coûteux, d’empêcher les constructions dans des zones à fort risque non urbanisées.
Cela suppose des progrès dans l’identification de ces risques et leur cartographie, dans la
diffusion de l’information vers les élus et la population, dans l’élaboration rapide de documents de
planification contraignants et actualisés, et dans la stricte application des règles d’urbanisme.
La mise en place du cadre défini par la directive européenne sur les inondations devrait
contribuer à cet effort nécessaire, afin d’éviter que de nouvelles submersions marines ou crues
violentes ne produisent les mêmes dommages. Il s’agit au fond, je terminerai là dessus, que les
populations et leurs élus retrouvent la mémoire du temps long.
Je suis maintenant à votre disposition, avec les magistrats qui m’entourent, pour répondre à
vos questions.