C
OUR DES COMPTES
Les enseignements des
inondations de 2010 sur le
littoral atlantique (Xynthia)
et dans le Var
Juillet 2012
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés sont insérées dans le rapport.
Sommaire
3
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Présentation
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Des risques accrus et oubliés
. . . . . . . . . . . . . . . .
7
2
Les systèmes d’alerte et de secours : des progrès à
poursuivre
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
3
La prévention : des insuffisances persistantes en
matière d’urbanisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
4
La protection des zones bâties : une cohérence
défaillante
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
5
Les indemnisations : très complètes mais avec des
incohérences
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
23
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
29
Présentation
5
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
D
eux catastrophes naturelles ont marqué les esprits en 2010 par leurs conséquences dra-
matiques.
La tempête Xynthia a atteint les côtes françaises dans la nuit du 27 au 28 février 2010,
provoquant une submersion marine, brutale et étendue. Le bilan humain a été très lourd :
vingt-neuf décès, concentrés à la Faute-sur-Mer, en Vendée ; douze décès en Charente-
Maritime.
Des inondations hors du commun, provoquées par des débordements de cours d’eau ou
des ruissellements, eux-mêmes générés par des précipitations exceptionnelles, ont frappé le Var
le 15 juin 2010. Elles ont particulièrement affecté le secteur de Draguignan et les vallées de la
Nartuby et de l’Argens. Vingt-trois personnes y ont perdu la vie, dont neuf à Draguignan, et
deux ont été portées disparues.
En outre, des centaines de personnes ont été blessées, physiquement et psychologiquement,
ont perdu leurs maisons et tous leurs biens.
En plus de leur tragique bilan humain, ces deux catastrophes ont imposé des coûts finan-
ciers considérables à la collectivité. Les dépenses publiques totales (Etat, collectivités locales,
Europe) s’élèvent à 457 M€ pour Xynthia et 201 M€ pour les inondations dans le Var. Les
indemnités versées par les assurances se chiffrent à 690 M€ pour les inondations de Xynthia
et 615 M€ pour celles du Var , soit plus de 1,3 Md € au total, dont 640 M€ pris en charge
par le système de garantie publique “catastrophe naturelle”. C’est l’ensemble des contribuables
qui finance par l’impôt les dépenses publiques et la quasi-totalité de nos concitoyens qui contri-
bue par le paiement des primes d’assurance et de la prime catastrophe naturelle au financement
des indemnités d’assurance.
Ces bilans ont suscité des mises en cause de l’action publique, quant à sa capacité à pré-
venir et à gérer ce type de catastrophe.
C’est pourquoi la Cour des comptes et les trois chambres régionales des comptes des Pays
de Loire, de Poitou-Charentes et de Provence-Alpes-Côte d’Azur ont conduit en 2011, dans
le cadre d’une formation interjuridictions, un ensemble de contrôles destinés à tirer les enseigne-
ments de ces terribles inondations.
7
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
1
Des risques accrus
et oubliés
Des risques accrus
Les catastrophes ont touché des ter-
ritoires vulnérables, où l’urbanisation a
accru les risques pour les populations.
Jusqu’au milieu du XXème siècle,
c’étaient principalement des terres agri-
coles qui étaient menacées par le risque
de submersion marine sur la côte atlan-
tique ou de débordement des cours
d’eau dans le Var.
Depuis, l’urbanisation a changé la
nature du risque. Sous les effets de la
pression démographique, forte sur les
zones littorales et dans la partie la plus
méridionale du pays, et de l’afflux consi-
dérable de population pendant la saison
touristique, il existe sur ces territoires
aux capacités limitées une véritable
« soif » de construire, entretenue par les
propriétaires et les promoteurs, puis
relayée par les élus locaux.
Le secteur du Sud-Vendée com-
prend les communes de La Faute-sur-
Mer, l’Aiguillon-sur-Mer et de la
Tranche-sur-Mer.
Fréquenté
par
150 000 estivants, il a vu en un peu plus
d’un quart de siècle sa population totale
croître de 22 %.
Depuis 1982, en Charente-Maritime
la population a crû de plus de 21 % et
dans le Var de 43 %. En été, son chiffre
double quasiment, pour atteindre près
d’un million de personnes dans le pre-
mier département et plus de deux mil-
lions dans le second.
Des risques oubliés,
malgré certaines
alertes
Des catastrophes ont précédé celles
de 2010 mais ont été oubliées. Pourtant,
des traces visibles par tous subsistent
parfois : ainsi, à Trans-en-Provence, une
plaque de marbre posée sur la façade de
la pharmacie, face à l’hôtel de ville, rap-
pelle la hauteur d’eau atteinte par l’inon-
dation de 1827 et les dégâts provoqués
par celle-ci.
Surtout, des alertes ont été données.
Un rapport de 2008 a ainsi souligné la
gravité, dans les communes de La
Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-
Mer, du risque de « la conjonction de
deux phénomènes, de crue dans l’es-
tuaire du Lay et de submersion marine »
et a précisé que « la zone de l’estuaire du
Lay est la zone la plus dangereuse du lit-
toral… ». Ce rapport n’a sans doute pas
eu le retentissement souhaitable, mais la
plaquette d’information relative au plan
de prévention des risques inondation
Des risques accrus et oubliés
8
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
(PPRI) de l’estuaire du Lay, diffusée plus
largement en juillet 2007, a comporté les
mêmes indications.
En définitive, une culture du risque
très insuffisante a conduit les popula-
tions et les acteurs publics à ne pas pren-
dre la juste mesure des menaces pesant
sur certains secteurs des trois départe-
ments concernés.
Les mesures prises
depuis ces
événements
Les deux catastrophes ont fait l’ob-
jet de rapports parlementaires et d’ins-
pections, ainsi que de nombreux retours
d’expérience.
Par la suite, le gouvernement a pris
plusieurs initiatives regroupées dans un
“plan submersions rapides” (appelé par-
fois “plan digues”), rendu public le
17 février 2011. Ce plan vise à mieux
faire face aux submersions marines, aux
crues soudaines et aux ruptures de
digues.
Il anticipe la future stratégie natio-
nale de gestion des risques d’inondation,
dont le cadre a été fixé dans la loi du 12
juillet 2010 portant engagement national
pour l’environnement, dite « Grenelle
2 », qui transpose la directive euro-
péenne du 23 octobre 2007, dite « inon-
dation ». L’objectif, fixé par cette der-
nière, est l’établissement d’une vision
stratégique du risque d’inondation d’ici
2015.
Certaines dispositions prises notam-
ment en matière de prévision et d’alerte
ont montré leur efficacité lors du nouvel
épisode pluvieux exceptionnel dans le
Var, en novembre 2011.
9
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
2
Les systèmes d’alerte et de
secours : des progrès à
poursuivre
Les systèmes d’alerte et de secours
permettent de sauver des vies humaines.
De surcroît, ils sont d’un coût limité par
rapport à leur impact en cas de crise.
Encore faut-il qu’ils soient complets,
cohérents et rationnels.
Les systèmes
d’alerte
Des améliorations nota-
bles des prévisions
météorologiques et des
crues
Si, pour Xynthia, Météo France a
prévu correctement la surcote, son
ampleur a été sous-estimée dans le sec-
teur de La Rochelle, où les prévisions
l’établissaient entre 0,80 et 1 m alors
qu’elle a atteint 1,50 mètre. Le disposi-
tif de prévision comportait des carences
connues, comme l’absence d’observa-
toire de type marégraphe ou d’installa-
tions du réseau d’observatoires du ser-
vice hydrographique et océanogra-
phique de la marine (SHOM) sur le
pourtour de la baie de Bourgneuf et de
l’anse
de
l’Aiguillon-sur-Mer.
Ces
carences, qui concernaient la quasi-tota-
lité des zones du littoral à très fort risque
de submersion importante, sont regret-
tables, même si leur correction n’aurait
eu d’effet qu’accompagnée de progrès
substantiels des modèles océanogra-
phiques côtiers.
Depuis Xynthia, l’amélioration des
outils visant à intégrer dans la prévision
les caractéristiques des aménagements
côtiers a été engagée, mais elle prendra
du temps et comporte encore des insuf-
fisances. Le nombre d’intervenants justi-
fierait, en outre, la formalisation de la
coordination pour la prévision des sub-
mersions marines.
Dans le Var, les pluies ont dévasté
une zone peu étendue, de 40 à 50 km²,
autour de Draguignan, ce que les outils
opérationnels de prévision de Météo-
France ne permettaient pas de prévoir
de façon suffisamment précise. Par ail-
leurs, la surveillance des rivières à risque
que sont l’Argens et la Nartuby a été très
insuffisante dans le cadre du service de
prévision des crues (SPC), qui dépend
du ministère chargé de l’environnement
et dont les dépenses d’investissement
avaient baissé.
Après la catastrophe, un effort subs-
tantiel d’amélioration des équipements a
Les systèmes d’alerte et de secours :
des progrès à poursuivre
10
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
été entrepris. Il doit être complété et
poursuivi.
Des dispositifs
d’alerte encore à
améliorer
Dans la compréhension des mes-
sages d’alerte de Xynthia, le danger lié
au vent a été prédominant par rapport à
celui de la submersion, la tempête de
1999 étant la référence de la mémoire
collective. Des insuffisances sont cepen-
dant à relever, comme la non-insertion
par Météo-France du dispositif d’avis de
très fortes vagues (ATFV) dans le dispo-
sitif de vigilance météorologique, ce qui
a conduit à la moindre visibilité de ces
avis. Ce défaut a été corrigé.
Dans le Var, même s’il avait été dis-
cuté au sein de Météo-France, le passage
au niveau rouge de l’alerte n’avait pas été
retenu, car jugé trop tardif par rapport à
l’évènement. Depuis, la doctrine a été
amendée.
Pour Xynthia, l’alerte des maires a
été donnée au niveau rouge par des mes-
sages automatiques d’appel et de téléco-
pie des préfectures. En Charente-
Maritime, des maires ont été joints per-
sonnellement par des représentants des
services de l’Etat. En revanche, les
maires du Sud-Vendée, dont les com-
munes étaient en cours de submersion,
n’ont pas prévenu ou fait prévenir d’ur-
gence le préfet, comme le prescrit le
code général des collectivités territo-
riales.
Dans le Var, les messages d’avertisse-
ment aux maires ont vu leur portée atté-
nuée par le non-passage en alerte rouge
et les difficultés de transmission pen-
dant la crise.
Quant à l’alerte aux populations, elle
a été très insuffisante. Si des maires de
Charente-Maritime sont allés prévenir
individuellement les personnes les plus
exposées, l’absence d’un véritable dispo-
sitif d’alerte opérationnel est à déplorer,
tant dans les deux départements atlan-
tiques que dans le Var. Depuis, des ini-
tiatives ont été prises, par exemple par
les trois communes vendéennes, qui
développent, mais de manière dispersée,
des systèmes d’alerte par sirène, alerte
téléphonique ou encore véhicules avec
hauts-parleurs.
A l’échelon national, Météo-France
et le service central d’hydrométéorolo-
gie et d’appui à la prévision des inonda-
tions (SCHAPI) développent de nou-
veaux systèmes d’information pour les
pluies et les crues fluviales. Un nouveau
système d’alerte et d’information des
populations (SAIP) a été prévu dans le
livre blanc sur la défense et la sécurité
nationale de 2008, mais sa mise en
œuvre prend du retard, aucun projet
concret n’existant à ce jour, en dehors
du recensement des sirènes et autres
moyens d’alerte locaux. Par ailleurs, le
partage ambigu de la responsabilité du
système d’alerte entre l’Etat et la com-
mune mérite une clarification.
Les systèmes d’alerte et de secours :
des progrès à poursuivre
11
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L’organisation des
secours
Une planification à
compléter et à actualiser
L’état des plans de secours avant la
crise révèle des carences.
Les plans ORSEC (Organisation de
la réponse de sécurité civile) de l’Etat
n’étaient pas actualisés et les exercices
relatifs aux inondations étaient inexis-
tants. Si le schéma départemental d’ana-
lyse et de couverture des risques
(SDACR) du Var envisageait le risque
inondation, ceux des deux départements
atlantiques ne traitaient pas vraiment
celui de la submersion. Les corrections
apportées depuis demeurent partielles.
Quant aux communes, celles ayant
satisfait à l’obligation pesant sur elles de
réaliser un plan communal de sauve-
garde (PCS) étaient très minoritaires.
Les efforts entrepris depuis la crise res-
tent inachevés : fin 2011, en Charente-
Maritime, 25 communes disposaient
d’un PCS sur les 55 en ayant l’obliga-
tion ; en Vendée, 33 sur 69 ; dans le Var,
27 sur 47.
Par ailleurs, le contenu de ces plans
n’est pas assez opérationnel et les plans
intercommunaux sont trop rares, voire
inexistants comme à la Faute-sur-Mer et
à L’Aiguillon-sur-Mer, où ils seraient
pourtant justifiés.
Les secours : une utilisa-
tion et une coordination à
améliorer
Les retours d’expérience ont souli-
gné l’efficacité et le dévouement des
secours, et des mesures ont été prises
pour améliorer encore le dispositif.
Demeurent toutefois des questions à ce
jour sans réponse.
La gestion des moyens aériens, par-
ticulièrement importants dans ces crises,
a été inégale selon les départements.
Ainsi, la présence d’hélicoptères a été
forte dès le début des opérations de
secours dans le Var et en Charente-
Maritime, mais plus faible et plus tardive
en Vendée. De même, leur coordination
a été variable ; dans le Var, elle a été faci-
litée par la présence d’écoles militaires.
Enfin, la communication air-sol a été
lacunaire.
Une planification nationale des
moyens aériens, relayée à l’échelon des
zones de défense et de sécurité, reste à
réaliser.
L’inadaptation de certains
équipements
Plusieurs casernes de sapeurs-pom-
piers ont été inondées pendant les catas-
trophes : en Charente-Maritime, trois
centres de secours ; dans le Sud-Vendée,
celui de l’Aiguillon-sur-Mer ; dans le
Var, outre le centre de secours des Arcs,
la direction départementale des services
d’incendie et de secours (DDSIS), le
centre de secours principal et le magasin
12
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
départemental à Draguignan. Ainsi, le
centre opérationnel départemental d’in-
cendie et de secours (CODIS) a été mis
hors service et 87 véhicules ont été per-
dus sur un total de 160 sinistrés dans le
Var.
Les implantations des services de
secours en zone inondable doivent être
supprimées ou relocalisées.
Les systèmes d’alerte et de secours : des
progrès à poursuivre
13
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
3
La prévention :
des insuffisances
persistantes en matière
d’urbanisme
Des décisions de
construire lourdes
de conséquences
C’est le cas notamment de la réalisa-
tion du lotissement « Les Voiliers » à La-
Faute-sur-Mer. Quant au projet immo-
bilier dans le quartier du Valescure à
Fréjus, après beaucoup de tergiversa-
tions de l’Etat, il n’a finalement pas été
autorisé. Ces dossiers illustrent la
volonté d’urbanisation des promoteurs
et des collectivités locales, en ignorant
les risques naturels, ainsi que la faiblesse
de l’Etat face à cette volonté. Le
contrôle de légalité ou la loi sur l’eau
n’apparaissent pas avoir été appliqués
avec la rigueur qui eût été souhaitable en
de tels cas.
Les autorisations d’urbanisme dans
les zones à grand risque, outre leurs
conséquences tragiques sur les vies
humaines, peuvent aussi au bout du
compte coûter très cher aux finances de
l’Etat, comme le souligne l’exemple de la
zone de solidarité d’Aytré en Charente-
Maritime.
L’information défail-
lante sur les risques
Le code de l’environnement affirme
le droit à l’information des citoyens sur
les risques majeurs. Avant les crises,
celui-ci a cependant souffert de nom-
breuses imperfections, qui ne sont pas
toutes corrigées.
Les documents d’informa-
tion sur les risques
Le préfet établit le dossier départe-
mental sur les risques majeurs (DDRM).
Les dossiers des trois départements
concernés ont un contenu trop général
et n’ont pas été actualisés dans le délai
règlementaire, qui est de cinq ans au
maximum. Les initiatives prises depuis
2010 pour actualiser et rendre ces dos-
siers plus précis quant aux risques n’ont
pas encore abouti.
Le maire élabore le document d’in-
formation communal sur les risques
majeurs (DICRIM). Une toute petite
minorité de communes en était dotée
avant les catastrophes. Par ailleurs, les
documents existants n’étaient guère
opérationnels. Depuis les crises, les pré-
La prévention : des insuffisances
persistantes en matière d’urbanisme
14
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
fectures ont mis en place une aide aux
communes pour réaliser ces documents,
mais elles se heurtent au manque de
moyens en personnel. Dans le Var, deux
ans après la catastrophe, seuls 32
DICRIM ont été transmis à la préfec-
ture alors que la quasi-totalité des
153 communes est concernée.
Les atlas des zones inondables
(AZI), élaborés par les services de l’Etat,
établissent la cartographie des risques et
peuvent aussi être utilisés, en l’absence
d’un autre document plus précis ou plus
contraignant,
pour
empêcher
des
constructions dans les zones dange-
reuses. Encore faut-il que ces atlas
soient connus et donc diffusés. Or, si
leur diffusion a été convenable dans les
deux départements atlantiques, il n’en a
pas été de même dans le Var, où les atlas
de nouvelle génération n’ont pas été
transmis par le préfet aux maires avant la
catastrophe. Leur contenu s’est pourtant
avéré proche des phénomènes constatés
lors de celle-ci.
Les atlas diffusés sur la côte atlan-
tique établissaient, en revanche, une car-
tographie des risques bien en-deçà des
submersions marines de février 2010.
En tout cas, reçus avec réticence dans
les communes, ils n’avaient guère été uti-
lisés dans l’examen des autorisations de
construire.
Depuis 2010, les ministres concer-
nés ont demandé aux préfets une diffu-
sion complète des documents cartogra-
phiant les risques. La directive euro-
péenne « inondation » de 2007 imposera
d’accroître l’action de cartographie.
Celle-ci devra être pilotée avec soin
depuis les ministères.
L’information des acqué-
reurs et locataires (IAL)
L’information des acquéreurs et
locataires sur les risques pesant sur un
immeuble, décidée par la loi du 30 juil-
let 2003 et applicable depuis juin 2006,
présente de sérieuses insuffisances :
absence de couverture de tous les sec-
teurs à risque, information généralement
parcellaire et ne prenant pas en compte
les risques dans toute leur ampleur, non-
actualisation des arrêtés préfectoraux et
de l’information sur les sites Internet
des services de l’Etat consacrés à l’IAL,
imprécision de l’« état des risques » dont
le modèle a été établi par un arrêté
ministériel et qui est joint aux promesses
et actes de vente chez les notaires.
Si, dans le Var, l’IAL a été actualisée
par les services de l’Etat en 2011 dans le
cadre du contrôle de la Cour, cette
actualisation est loin d’être générale sur
le territoire national. Il convient qu’un
bilan précis de l’existant soit dressé et
que le dispositif soit relancé.
Les plans de
prévention des
risques inondation
Le plan de prévention des risques
inondation (PPRi) est prescrit et adopté
par le préfet, après enquête publique et,
notamment, avis des conseils munici-
La prévention : des insuffisances
persistantes en matière d’urbanisme
15
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
paux concernés. Délimitant en particu-
lier les zones à risque, il a une valeur
contraignante permettant de maîtriser
l’urbanisation.
Des situations suscitent cependant
l’interrogation : la façon dont le secteur
de Saint-Hermentaire, où le centre de
secours principal de la ville a été bruta-
lement inondé, a été traité dans le PPRi
de Draguignan ; en Vendée, le difficile et
trop long cheminement du PPRi de l’es-
tuaire du Lay, mis en application antici-
pée seulement six ans après sa prescrip-
tion et finalement non adopté au
moment de la tempête Xynthia ; s’agis-
sant de ce plan, le contenu de ses dispo-
sitions anticipées, qui interpelle en ce
qui concerne la zone située derrière la
digue Est à La-Faute-sur-Mer, où le
risque parait avoir été minoré.
Les exemples analysés font apparaî-
tre qu’avant les crises :
- des plans de prévention du risque
inondation n’ont pas été prescrits dans
toutes les zones à risque ;
- là où ils l’ont été, la procédure a
parfois été interrompue, comme dans le
Var, ou s’est enlisée dans des discussions
sans fin ;
- les maires se sont, de façon assez
générale, opposés à l’adoption des plans
ou ont retardé celle-ci autant que possi-
ble, y voyant des obstacles à la volonté
d’urbaniser leur commune ;
- l’Etat, à travers ses représentants,
les préfets, n’a pas toujours su résister
aux pressions des élus et a généralement
accepté un allongement excessif des
procédures.
Quant au contenu des plans, il a été
l’objet de concertation, voire de négo-
ciations, pour ne pas trop contraindre
les potentialités d’urbanisation du terri-
toire communal, ceci au détriment de la
sécurité des biens et des personnes. Les
élus locaux ont entrepris de minorer
autant que possible les contraintes et
l’Etat bien souvent a transigé.
Les dispositions prises depuis 2010
témoignent d’une volonté nouvelle de la
part de l’Etat, avec le souci d’améliorer
la couverture des zones à risque, dont
certaines ont été fixées comme priori-
taires, et ceci dans un délai bref. Pour
autant, les oppositions locales, tant des
habitants que des élus, n’ont pas disparu
et, pour que les objectifs soient atteints,
la volonté préfectorale doit s’affirmer en
relais de celle du gouvernement.
Une doctrine nouvelle, qui prend en
compte le changement climatique, a été
fixée pour les plans de prévention des
risques littoraux. La directive euro-
péenne « inondation » va introduire, par
ailleurs, de substantielles modifications
dans le dispositif français de prévention.
Cette phase transitoire ne doit pas
conduire à un ralentissement de l’effort
engagé pour la cartographie et les plans
de prévention des risques.
Les documents
d’urbanisme
Les territoires touchés par les inon-
dations de 2010 étaient souvent cou-
verts par des documents d’urbanisme
La prévention : des insuffisances
persistantes en matière d’urbanisme
16
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
obsolètes, peu contraignants quant à
l’extension de l’urbanisation. Ainsi,
douze des treize communes sinistrées
dans le Var disposaient d’un plan d’oc-
cupation des sols (POS) antérieur à 1995
et, pour sept d’entre elles, à 1990.
Depuis les catastrophes, les collecti-
vités locales n’ont pas vraiment pris
d’initiative pour les remplacer par des
documents de nouvelle génération,
visant un développement équilibré et
durable des territoires.
Quant aux ministères concernés, ils
n’ont pas engagé d’action, en vue d’obli-
ger les collectivités territoriales à activer
l’élaboration des schémas de cohérence
territoriale et à réaliser des plans locaux
d’urbanisme à la place des plans d’occu-
pation des sols obsolètes. Il serait
opportun que l’Etat prescrive, par voie
législative ou règlementaire, les disposi-
tions contraignant les communes à
actualiser leurs documents d’urbanisme.
Le contrôle de
légalité
Avant 2010, les directives nationales
aux préfets ne manquent pas de souli-
gner la nécessité de faire figurer dans les
priorités du contrôle de légalité celui des
documents et décisions d’urbanisme
dans les zones à risque. Leur traduction
opérationnelle montre cependant une
grande faiblesse dans le contrôle des
actes d’urbanisme.
Celle-ci est parfois expliquée en pré-
fecture par la jurisprudence administra-
tive ou l’insuffisance des effectifs. Si ces
arguments reflètent une part de la réa-
lité, l’examen des dossiers sensibles
révèle que cette faiblesse tient surtout à
une insuffisance de volonté préfectorale.
Après la catastrophe, les préfets des
départements concernés ont fait preuve
d’initiative pour une plus grande rigueur
dans le contrôle et des directives à visée
plus opérationnelle leur ont été adres-
sées. Toutefois, pour que l’efficacité du
contrôle de légalité soit améliorée dans
la durée, il faut les moyens nécessaires
en personnel qualifié et surtout une
claire volonté de l’autorité préfectorale.
Celle-ci sera d’autant plus forte qu’elle
se saura soutenue par l’autorité gouver-
nementale.
17
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
4
La protection des zones
bâties : une cohérence
défaillante
L’inadaptation de
certains équipe-
ments publics de
bord de mer et de
rivière
Plusieurs exemples témoignent du
coût pour les contribuables de l’implan-
tation d’un équipement public dans une
zone soumise au risque d’inondation,
sans que celui-ci, bien que connu, n’ait
été pris en compte.
Dans les trois départements, de
nombreux terrains de camping ont été
affectés par les catastrophes, dont cer-
tains en situation de grave danger,
comme, en Vendée, le camping munici-
pal « Côte de Lumière » à La Faute-sur-
Mer, qui de surcroît était dans l’illégalité,
ou comme les trois campings d’Aytré en
Charente-Maritime. Dans ce départe-
ment, trente-deux terrains ont été inon-
dés, dont dix par au moins un mètre
d’eau. Dans le Var, neuf campings ont
dû être fermés durant l’été 2010.
Depuis les crises, la prise de
conscience s’est imposée de la nécessité
de faire strictement appliquer la règle-
mentation en matière de camping, mais
les résultats demeurent partiels.
Les zones à risque
élevé : le rachat du
bâti
Dans les zones exposées à un risque
particulièrement élevé, la pratique des
zones de solidarité, avec le rachat amia-
ble des maisons par l’Etat, aurait pu se
rapprocher d’une politique de « repli
stratégique », c'est-à-dire de renonce-
ment à une protection jugée peu réaliste.
Toutefois, le manque de cohérence de la
démarche observée en relativise la por-
tée.
Les méthodes différentes
suivies après Xynthia et
dans le Var
Après Xynthia, dans une précipita-
tion qu’on peut juger excessive, l’Etat a
délimité des zones de solidarité sans
concertation suffisante, entrainant la
multiplication des protestations.
Dans un second temps, après des
travaux complémentaires d’experts et
La protection des zones bâties :
une cohérence défaillante
18
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
une concertation plus poussée, il a déli-
mité des zones d’expropriation. Le péri-
mètre de ces dernières est souvent plus
réduit que celui des premières.
La décision de rachat amiable de
maisons par l’Etat s’est fondée sur un
double objectif de protection et de soli-
darité nationale, ce qui a été une source
majeure d’ambiguïté. Le coût élevé des
rachats des maisons situées hors zone
d’expropriation (près de 50 M€ en
Vendée, 34 M€ en Charente-Maritime)
illustre le caractère précipité des déci-
sions.
S’il fallait protéger la population
dans des zones à risque très élevé, la
délimitation des zones de rachat amiable
aurait dû être celle, restreinte, des zones
d’expropriation. En revanche, si le prin-
cipe à appliquer était celui de la solida-
rité nationale pour des personnes trau-
matisées, y compris lorsque l’expropria-
tion n’était pas justifiée en l’absence
d’un risque très élevé ou en présence de
solutions de protection moins oné-
reuses, d’autres méthodes auraient été
plus économiques.
L’exemple
du
quartier
des
Boucholeurs (Châtelaillon, Yves) est
significatif d’un processus chaotique et
de décisions contradictoires, inutilement
coûteuses pour les finances publiques.
Dans le Var, selon une méthode
radicalement différente, des zones de
rachat amiable n’ont pas été définies
immédiatement, le problème étant traité
en deux phases : la première concerne
20 maisons ayant fait l’objet d’arrêtés de
péril ; dans la deuxième, une étude est
prévue dans les périmètres les plus
exposés, l'acquisition des constructions
devant être limitée à ces seuls périmè-
tres, en concertation avec les élus.
Aucune estimation fiable du nombre de
maisons concernées n’existe plus d’un
an après les faits, même si un premier
diagnostic en a identifié 18 nouvelles.
Cette procédure évite les acquisitions
inutiles, mais nécessite un long délai
pour statuer sur le cas de constructions
dangereuses et peut rendre, le moment
venu, plus difficile l’acceptation de la
vente par le propriétaire.
Une action trop lente présente aussi
des inconvénients, sans que la rapidité,
légitime, ne justifie la précipitation dont
l’Etat a fait preuve dans un premier
temps dans le cas de Xynthia.
Le financement des
rachats de biens
immobiliers
Les dépenses pour les rachats de
maison, qui atteignent un montant de
316 M€ à la fin de juin 2012 dans les
deux départements atlantiques, sont
financées par le fonds de prévention des
risques naturels majeurs, couramment
appelé « fonds Barnier ». Ce montant est
proche de la totalité des dépenses du
fonds, soit 331 M€, dans la période qua-
driennale 2006-2009. Pour assurer le
financement du fonds en 2011, l’Etat a
été conduit à lui affecter par anticipation
le dividende de la caisse centrale de réas-
surance, de même qu’il a dû lui consen-
tir une avance pour lui garantir une tré-
La protection des zones bâties : une cohé-
rence défaillante
19
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
sorerie suffisante, celle-ci étant quasi-
ment asséchée fin 2010.
La nécessaire définition
d’une politique pour les
biens immobiliers exposés
à de graves dangers
Le statut final des biens immobiliers
acquis par l’Etat reste à fixer, si l’on veut
éviter le risque d’un oubli progressif de
l’impératif de non-construction sur tout
ou partie de ces terrains. Il est essentiel
aussi que les zones dangereuses situées
ailleurs sur le littoral soient identifiées et
traitées, soit par un rachat, soit par une
réduction de la vulnérabilité.
Enfin, il serait souhaitable que les
collectivités locales, qui ont leur part de
responsabilité dans l’urbanisation exis-
tante, contribuent au rachat de biens
immobiliers dans des situations d’ex-
trême danger, afin de les inciter à pren-
dre davantage de précaution dans les
autorisations de construire.
En définitive, une politique globale
et cohérente pour l’ensemble des situa-
tions à risque attend toujours d’être défi-
nie.
Les ouvrages
et les travaux de
protection
Si les populations comptent sur l’ef-
ficacité des ouvrages de protection
contre la mer et sur une gestion efficace
par leurs élus des risques liés aux
rivières, les catastrophes de l’année 2010
ont cependant montré l’insuffisance des
dispositifs existants.
La difficile identification
des responsables
Dans les deux départements atlan-
tiques, l’Etat a entrepris avant la catas-
trophe une action de recensement et de
classement des ouvrages de protection
contre la mer, qui s’est heurtée à de très
sérieuses limites.
L’identification de leurs responsa-
bles s’est en effet révèlée très compli-
quée. Dans de nombreux cas, le proprié-
taire de la digue n’est pas connu et,
quand il l’est, il se montre souvent inca-
pable d’entretenir l’ouvrage, faute de
moyens et de volonté. Les gestionnaires
des digues sont également difficiles à
identifier. Ainsi, pour 95 % du linéaire
en Charente-Maritime, il n’a pas été
possible d’identifier le responsable de la
digue.
Enfin, sur un même linéaire de
digues, la multiplicité des intervenants
potentiels crée une confusion rendant
difficile, sinon impossible, le bon entre-
tien des ouvrages.
Dans le Var, les quatre cours d’eau à
l’origine des inondations sont tous non
domaniaux, de sorte que leur lit appar-
tient aux propriétaires des deux rives, en
principe tenus à leur entretien régulier.
Les collectivités territoriales et leurs
groupements ont la possibilité, mais non
l’obligation, d’intervenir en substitution
aux propriétaires riverains, dans le cadre,
La protection des zones bâties :
une cohérence défaillante
20
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
après enquête publique, d’une déclara-
tion d’intérêt général (DIG).
Dans les faits, les rivières n’ont pas
été entretenues par les riverains et l’in-
tervention des collectivités s’est révélée
très défaillante.
Le mauvais entretien des
digues et des rivières
Sur le littoral atlantique, avant la
catastrophe, le financement de l’entre-
tien des digues a été très insuffisant,
malgré un effort limité après la tempête
de 1999.
Dans les trois communes du sud-
Vendée, entre 2001 et 2009, la dépense
annuelle moyenne pour les digues a été
de 0,54 M€, alors que c’est un montant
trois à quatre fois supérieur qu’il aurait
fallu mobiliser. En Charente-Maritime,
entre 2000 et 2009, l’Etat a consacré
8,7 M€ aux travaux de défense contre la
mer et, après Xynthia, a engagé 19,5 M€,
soit 2,2 fois plus en un an qu’au cours
des dix ans précédents.
L’exemple de la digue Est à La-
Faute-sur-Mer, en Vendée, et celui de la
digue
de
Charron,
en
Charente
Maritime, montrent, par-delà la question
du financement, la difficulté de mener à
bien un investissement sans qu’existe un
véritable responsable de la digue. Ils
illustrent cette « nébuleuse de l’irrespon-
sabilité collective », à laquelle l’Etat n’a
pas su mettre bon ordre.
Dans le Var, un contrat de rivière
existait pour la Nartuby, mais le syndicat
intercommunal d’aménagement de la
Nartuby (SIAN), chargé de sa mise en
œuvre, n’a réalisé que très peu des
actions envisagées pour la protection
contre les crues.
L’action conduite depuis
les catastrophes
Après la tempête Xynthia, les tra-
vaux sur les digues, entrepris sous l’im-
pulsion de l’Etat - travaux d’urgence, de
phase 1, et travaux de remise à niveau et
de confortement, de phase 2 - ont été
sans commune mesure sur le plan finan-
cier avec ce qui s’était fait précédem-
ment. Dans les années à venir, le plan
submersions rapides prévoit d’augmen-
ter encore substantiellement cet effort
financier.
Par ailleurs, un projet de décret
« digues » est en cours de préparation et
sera notamment accompagné d’un
arrêté définissant les principes essentiels
de la conception, la construction, l’en-
tretien et la surveillance des digues. La
réflexion engagée sur ces normes tech-
niques apparait tardive et mérite d’abou-
tir sans tarder.
Dans le « plan submersions rapides »
(PSR), les préfets ont été chargés d’iden-
tifier les zones endiguées à risque
important, prioritaires, et de rechercher
des maîtres d’ouvrage.
Dans les deux départements de la
côte atlantique, ils se sont engagés acti-
vement, avec les collectivités locales,
dans l’élaboration de programmes d’ac-
tions de prévention des inondations
(PAPI). Toutefois, si elle se veut rigou-
La protection des zones bâties :
une cohérence défaillante
21
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
reuse et vise à identifier les gestionnaires
des digues, cette démarche prend du
temps, alors que les attentes de mesures
de protection efficaces sont fortes dans
les localités exposées. Les autorités de
l’Etat doivent gérer cette difficulté avec
leurs partenaires, en évitant des actions
de protection qui ne seraient qu’un
encouragement à poursuivre une urba-
nisation dangereuse.
Dans le Var, une volonté nouvelle
pour la gestion des rivières s’exprime
également autour de la réalisation d’un
PAPI. Là aussi, cette démarche, positive,
exigera du temps et des solutions transi-
toires devront être trouvées. Le gouver-
nement devrait par ailleurs initier une
réflexion au sujet des textes régissant les
rivières non domaniales, afin d’identifier
l’autorité capable de vraiment assurer la
responsabilité de leur entretien.
La question non réglée de
la gouvernance des digues
Dans leur retour d’expérience, les
inspections générales ont envisagé
« trois scénarios pour répondre au défi
de la gestion des ouvrages de protec-
tion » : le statu quo « aménagé » ; le
transfert de compétences aux collectivi-
tés territoriales, intercommunalités ou
départements ; la création d’un établis-
sement national gestionnaire.
Le plan submersions rapides repose
sur l’action des préfets pour identifier
une autorité responsable, en incitant les
acteurs locaux à devenir gestionnaires de
digues dont ils ne seraient pas proprié-
taires. Si cette démarche est pragma-
tique, il n’est pas certain toutefois que
les financements envisagés dans le cadre
du plan suffisent à convaincre les collec-
tivités d’assumer une responsabilité, qui
se révélera lourde.
Un bilan devra donc être dressé
dans un délai raisonnable de l’action des
préfets, pour qu’il en soit tenu compte
dans les décisions, sans doute de nature
législative, qui seront nécessaires pour
régler la question de la gouvernance. En
effet, le dispositif légal actuel est tou-
jours régi par les dispositions de la loi du
16 septembre 1807 relative « au dessè-
chement des marais ». Cette loi, qui
demande à chaque riverain de se proté-
ger contre les inondations, ne corres-
pond guère au contexte actuel, marqué
par le développement de l’urbanisation.
La logique n’est plus celle d’une protec-
tion individuelle de biens matériels, mais
devient celle d’un véritable service
public à l’échelle locale ou intercommu-
nale.
La question fondamentale de la gou-
vernance des ouvrages reste donc à
régler.
Le rôle incitatif à la prévention et à
la protection du régime d’assurance des
catastrophes naturelles mérite, par ail-
leurs, d’être affirmé.
23
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
5
Les indemnisations : très
complètes mais avec des
incohérences
Les aides et
indemnisations
Les indemnités des assu-
rances
S’agissant des délais, si les assureurs
se sont fortement mobilisés pour
indemniser les particuliers, ils n’ont
guère fait d’efforts spécifiques pour les
entreprises, alors que l’Etat a mis en
place des aides pour leur permettre de
surmonter cette phase difficile.
Si le coût moyen du sinistre dans le
Var est légèrement inférieur à celui des
inondations de Xynthia (16 788 € contre
20 909 €), le coût des indemnisations
pour les entreprises et les collectivités y
est en revanche supérieur (266,3 M€
contre 208,9 M€).
Les dons et l’aide aux par-
ticuliers
Le total des dons reçus s’élève pour
Xynthia à 5,65 M€ et pour le Var à
1,14 M€, ce qui, compte tenu de la
déduction fiscale de 66 %, représente un
coût pour l’Etat de 4,4 M€.
Les modalités des aides directes des
collectivités locales aux victimes et la
rapidité de leur versement ont été très
différentes, par exemple entre les com-
munes de La Faute-sur-Mer et de
L’Aiguillon-sur-Mer, pourtant voisines.
Les différences de méthode pour redis-
tribuer les dons ne sont pas anormales,
mais ont l’inconvénient de susciter des
incompréhensions voire des sentiments
d’injustice. Il serait utile que l’Etat éla-
bore un guide recommandant aux col-
lectivités des règles à suivre pour les
aides directes aux sinistrés de telles
catastrophes.
Par ailleurs, la gestion des dons n’a
pas été homogène. Les problèmes appa-
rus - possibilité de cumul, insuffisance
de coordination, non affectation des
sommes à leur destination prévue, dis-
persion des aides - méritent d’être corri-
gés.
Les remises et les exoné-
rations fiscales
Le coût des mesures fiscales de
remises gracieuses aux particuliers dans
le Var est quatre fois et demi plus élevé
qu’en Vendée, alors que le coût des
indemnisations au titre du régime des
Les indemnisations : très complètes
mais avec des incohérences
24
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
catastrophes naturelles pour les habita-
tions n’ y est que légèrement supérieur.
Il est en outre surprenant que le nombre
de demandes ait été aussi élevé et que
toutes aient été satisfaites. Au total, le
coût direct des mesures fiscales est de
1,73 M€ pour Xynthia et de 4,09 M€
pour le Var.
Les dépenses pour
le rachat des biens
immobiliers
Les biens concernés
840 biens en Vendée (dont onze
commerces) et 788 en Charente-
Maritime (dont 70 commerces) sont
concernés par les zones de solidarité.
En Vendée, 701 maisons, situées à
La Faute-sur-Mer et L’Aiguillon-sur-
Mer, ont fait l’objet d’un accord de
vente et fin 2011, 699 dossiers ont été
payés pour une valeur de 151,5 M€.
33 maisons, situées à La Faute-sur-Mer,
dont 17 résidences secondaires, ont une
valeur vénale évaluée à plus de 500 000 €
et représentent un coût total pour l’Etat
de 19,3 M€. Le coût de rachat le plus
élevé atteint 831 000 € pour une rési-
dence secondaire.
En Charente-Maritime, 458 biens,
dans treize communes, ont fait l’objet
fin 2011 d’un accord de vente pour un
coût total de 141,8 M€. Onze habita-
tions, dont huit résidences principales,
ont une valeur vénale évaluée à plus de
1 M€, leur coût total de rachat étant de
16,65 M€.
Les problèmes qui sont
apparus
Deux procédures ont été utilisées
pour le rachat amiable, avec des finalités
similaires et des modalités proches, ce
qui a compliqué la tâche des gestion-
naires, sans justification véritablement
convaincante.
L’exonération de toute imposition
sur les plus-values pour les résidences
secondaires a été appliquée dans les
deux départements atlantiques et a eu,
dans certains cas, des effets suscitant
l’interrogation. Ainsi, un bien immobi-
lier situé à La Faute-sur-Mer a été
racheté pour 602 776 € après déduction
d’indemnités d’assurances de 173 224 €,
alors qu’il avait été acquis en décembre
2007 au prix déclaré de 300 000 €. Des
travaux à hauteur d’environ 90 000 € ont
été effectués depuis. Le rachat par l’Etat
permet, en l’espèce, au propriétaire de
bénéficier d’une plus value de plus de
300 000 € totalement exonérée, contrai-
rement au cas d’une transaction clas-
sique.
L’essentiel des rachats à l’amiable
par l’Etat s’est fait sur la base d’un arti-
cle du code de l’environnement, qui
autorise de telles opérations sous
réserve que le prix « s'avère moins coû-
teux que les moyens de sauvegarde et de
protection des populations ». Alors que,
dans le Var, la comparaison avec le coût
d’autres moyens de sauvegarde a été
Les indemnisations : très complètes
mais avec des incohérences
25
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
faite, il n’en pas été de même pour
Xynthia. La situation de chaque habita-
tion n’a pas été analysée, et, a fortiori, il
n’a pas été vérifié, au cas par cas, si d’au-
tres moyens de protection n’auraient pas
été moins coûteux.
Pour les biens rachetés, aucun
contrôle systématique de l’existence
d’un permis de construire (ou d’une
décision de régularisation) n’a été fait,
privant l’Etat d’un instrument de dissua-
sion des constructions illégales notam-
ment en zone de grave danger.
Pour deux biens rachetés à l’amiable
en Vendée et un dans le Var, aucun
contrat d’assurance n’a pu être produit.
Dans le Var, un autre bien racheté a été
assuré postérieurement aux évènements.
Il s’agit de précédents dangereux et de
situations d’iniquité par rapport aux
propriétaires de biens dont le rachat a
été refusé pour cette raison d’absence de
couverture d’assurance.
Le contrôle des indemnités versées
par les assurances a été insuffisant, alors
qu’un examen minimal de vraisem-
blance était réalisable. Ceci est d’autant
plus regrettable que ces indemnités
viennent directement en déduction des
montants payés par l’Etat.
Les aides aux
acteurs
économiques
Ces aides ont concerné l’agriculture
et les entreprises. L’efficacité de l’aide
apportée à travers le chômage partiel
mérite d’être soulignée.
Le rachat des biens professionnels,
pourtant en nombre limité, a soulevé
des difficultés. Les situations de blocage
et de désarroi ont conduit à rechercher
des solutions ponctuelles sur la base de
modalités de traitement différentes
selon les cas, ce qui est source d’iniquité.
Le rachat de deux restaurants à
L’Aiguillon-sur-Mer, examiné précisé-
ment, offre un exemple des difficultés et
questions soulevées.
Il serait souhaitable pour l’avenir
que les régles applicables dans ce genre
de cas soient claires et unifiées.
Conclusion
27
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
La tempête Xynthia et les inondations du Var de 2010 ont été des catastrophes.
Face aux carences des dispositifs de vigilance, d’alerte et de secours, les progrès qui ont été enre-
gistrés depuis ces crises restent à compléter, en particulier pour créer un réseau performant d’alerte
de la population. Pour les secours, des situations insatisfaisantes subsistent, comme la localisation
de casernes de sapeurs-pompiers en zone inondable ou la planification des moyens aériens. Quant
au dispositif d’indemnisation, quoique complet, il s’est révélé parfois peu cohérent ou mal coordonné.
La mise en oeuvre, après Xynthia, du rachat par l’Etat de nombreuses habitations dans les
zones les plus dangereuses suscite maintes observations. Le caractère précipité des premières décisions
a entrainé de lourdes conséquences, avec des approximations, des compromis, voire des transgressions
de la règlementation, et des dépenses se révélant, en définitive, redondantes ou inutiles. L’importance
des dépenses a, par ailleurs, montré le coût des négligences, voire des irrégularités constatées en
matière d’urbanisme.
Le plus sage pour la protection des vies humaines, et le moins coûteux, est d’empêcher les
constructions dans des zones à risque fort non urbanisées. Face à la volonté de construire des popu-
lations, volonté relayée, voire encouragée, par leurs élus et les promoteurs immobiliers, l’Etat s’est
montré souvent faible dans son action de prévention. La volonté nouvelle, qui se fait jour dans ce
domaine, devra être complétée et prolongée dans la durée, sur la base d’un pilotage national.
Pour le bâti existant, la définition d’une stratégie reste à établir. Un effort a été accompli en
urgence pour réparer et consolider les ouvrages de protection contre la mer dans les zones littorales
et le plan submersions rapides conduira à de nouveaux travaux plus ambitieux. Mais il faut ren-
dre cohérentes les priorités, en privilégiant les zones les plus dangereuses du littoral, et en choisissant
la méthode la plus efficace. S’agissant des digues, leur entretien et donc leur fiabilité ne seront assu-
rés que si des responsables clairement identifiés les prennent en charge, mais la question de leur gou-
vernance n’est pas réglée.
Dans le Var, la défaillance de la gouvernance est également criante en ce qui concerne les
rivières, qui, n’étant pas domaniales, appartiennent selon la loi à des riverains dans l’incapacité
financière et matérielle de les entretenir. La mise en place, indispensable, d’une stratégie globale à
travers un programme d’actions de prévention des inondations ne doit pas empêcher de prendre des
mesures plus urgentes avant son aboutissement.
Conformément à la directive cadre européenne de 2007, une stratégie nationale face aux risques
d’inondation doit être définie, en particulier dans les territoires à risque important. C’est en effet
une stratégie cohérente, avec des mesures adaptées à chaque zone de risque, et l’organisation ainsi
que les moyens correspondants, qui permettront de progresser.
Recommandations
29
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Sur l’alerte
Pour L’Etat :
donner une cohérence d’en-
semble aux mesures prises par les com-
munes en matière d’alerte, en articula-
tion avec le futur système d’informa-
tion et alerte des populations (SAIP) ;
formaliser la coordination pour
la prévision des submersions marines ;
mettre à jour sans délai les sché-
mas
de
couverture
des
risques
(SDACR) et les plans de secours
(ORSEC) dans les départements les
plus à risque ;
mettre en place une planification
a priori de l’intervention des moyens
aériens nationaux ;
Pour les conseils généraux et aux services
départementaux d’incendie et de secours dans
les zones concernées :
supprimer ou relocaliser dans
les meilleurs délais les centres de
secours situés en zone inondable ;
Pour les communes dans les zones concer-
nées :
mettre au point et actualiser
régulièrement leur plan communal de
sauvegarde ;
compléter leur système d’alerte,
y compris sur une base intercommu-
nale lorsque cela est nécessaire.
Sur la prévention en matière
d’urbanisme
Pour l’Etat :
arrêter la stratégie nationale des
risques d’inondation imposée par la loi
« Grenelle 2 » et appliquer la directive
européenne relative aux inondations,
en respectant les délais fixés ;
veiller, dans l’application de la
directive européenne, à ce que l’évolu-
tion des instruments existants ne
retarde pas la mise en place urgente des
dispositifs décidés après les catas-
trophes de 2010 ;
faire assurer la diffusion com-
plète des cartes relatives aux risques et
relancer le dispositif « information des
acquéreurs et locataires » ;
faire aboutir dans le délai prévu
les plans prioritaires de prévention des
risques ;
conduire les communes à dispo-
ser de documents d’urbanisme actuali-
sés, au besoin en fixant par la voie
législative une obligation en la matière ;
soutenir l’administration préfec-
torale pour un contrôle de légalité effi-
cace sur les décisions d’urbanisme des
collectivités locales ;
instaurer un pilotage national,
avec des objectifs et des remontées
régulières d’informations de l’autorité
préfectorale, sur les dispositifs les plus
sensibles, comme l’établissement et la
diffusion de la cartographie des
risques, l’aboutissement des plans de
Recommandations
30
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
prévention, l’actualisation du dispositif
« information des acquéreurs et loca-
taires ».
Pourles communes et intercommunalités :
arrêter les documents d’infor-
mation communaux sur les risques
majeurs (DICRIM) et bien informer
les habitants sur les risques, selon les
dispositions légales ;
apporter à l’autorité préfectorale
une contribution positive pour l’adop-
tion rapide des plans de prévention ;
remplacer les plans d’occupa-
tion des sols (POS) obsolètes, particu-
lièrement là où existent des risques, par
des documents d’urbanisme de nou-
velle génération ; faire aboutir les sché-
mas de cohérence territoriale (SCOT).
Sur la protection dans les zones
bâties :
Pour les collectivités territoriales et
l’Etat :
déplacer ou, si c’est possible,
adapter à la situation les caractéris-
tiques des bâtiments de service public
en zone inondable ;
veiller à la stricte application de
la règlementation des campings.
Pour l’Etat :
identifier précisément les zones
dangereuses sur l’ensemble du littoral
et les traiter dans des délais rapides ;
faire contribuer les collectivités
locales au rachat de biens immobiliers
dans des situations d’extrême danger ;
engager, après établissement du
bilan de l’action des préfets en matière
de gouvernance des digues et des
rivières, les modifications législatives
nécessaires. Veiller à la mise en place
des financements et à la continuité de
l’effort ;
faire déboucher la réforme du
régime Cat-Nat dans les meilleurs
délais, en particulier pour la modula-
tion des primes pour les entreprises et
l’exclusion des biens construits sans
base règlementaire.
Sur le système d’indemnisa-
tion :
Pour l’Etat :
élaborer un guide définissant les
modalités d’aides directes aux vic-
times ;
fixer à l’avance le mode de pilo-
tage et de mise en œuvre des indemni-
sations, avec une collectivité locale
coordinatrice ;
fusionner les deux procédures
existantes pour le rachat amiable de
biens immobiliers dans des situations
d’extrême danger en précisant leurs
Recommandations
31
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
modalités et en les faisant respecter
strictement, en particulier au regard de
l’autorisation de construire ;
faire en sorte que les aides de
l’Etat attribuées aux communes à la
suite de ce genre de crise soient défi-
nies davantage en fonction des situa-
tions budgétaires réelles.
Pour les collectivités territoriales et à
l’Etat :
mettre en place une réflexion
conjointe sur l’accroissement de l’assu-
rance des biens propriétés de ces col-
lectivités ;
améliorer la lisibilité et l’effica-
cité du dispositif d’aides aux agricul-
teurs en réduisant le nombre des diffé-
rentes procédures et de guichets utili-
sées.