Sort by *
R
APPORT PUBLIC THEMATIQUE
Paris, le 5 décembre 2011
Les dysfonctionnements du comité d’entreprise
de la RATP
Le
comité d’entreprise de la RATP, créé en 1947
, exerce les deux missions confiées par le code
du travail aux comités d’entreprise : la «
mission générale d’information et de consultation
» des salariés –
qui, contrôlée par la Cour, n’appelle pas d’observations majeures - et la
mission de gestion
d’«
activités sociales et culturelles
».
Il est constitué des agents de la RATP élus par les salariés lors des élections professionnelles. S’il
est présidé par l’employeur (le président-directeur général de la RATP), il jouit d’une
autonomie de
décision et de gestion vis-à-vis de l’entreprise RATP
et est
dirigé par un secrétariat, composé du
secrétaire, du trésorier, élus
qui exercent leurs mandats à plein temps, et de leurs deux adjoints. Le
président-directeur général de la RATP dispose en droit d’un pouvoir de contrôle, qui, en l’occurrence,
n’est pas exercé.
Pour remplir ses missions, le comité d’entreprise
bénéficie d’une subvention annuelle de
l’employeur
, fixée à
3,11 % de la masse salariale de la RATP
(0,3 % pour la mission d’information et
de consultation des salariés et 2,81 % pour la mission de gestion des activités sociales et culturelles), soit
53 M€ en 2009
.
Le comité d'entreprise fait l'objet d'une gestion défaillante, marquée par de
graves irrégularités et troublée par un climat social très dégradé
Les élus, et plus particulièrement
le secrétaire et le trésorier, interfèrent dans la gestion
quotidienne
des activités sociales et culturelles
au point de retirer aux responsables des services du
comité d’entreprise tout pouvoir d’initiative
.
Au cours de la période examinée, les
services gestionnaires ont été écartés des négociations
avec les fournisseurs choisis par les élus sans appel à la concurrence
, en méconnaissance des
instructions internes du comité d’entreprise imposant la consultation de plusieurs entreprises.
La
gestion du personnel est défaillante
: accumulation de
tensions sociales
, nombre élevé de
démissions et licenciements
entre 2004 et 2010 se soldant par 1,1 M€ d’indemnités versées,
postes
stratégiques non pourvus
.
Tout ceci a contribué à
dégrader le climat social
au sein du comité d’entreprise, qui emploie
450
agents sous contrats en durée indéterminée
et 600 agents en équivalent temps plein.
En mai 2010, le
directeur départemental du travail de la Seine-Saint-Denis constatait
« l’existence d’une situation dangereuse » pour la santé physique et mentale des salariés
du
comité d’entreprise. Mentionnant une
alerte donnée par le médecin de travail
(« le management
représente au comité central d’entreprise de la RATP un
risque d’atteinte grave à la santé des
salariés
»), il mettait en demeure le secrétaire du comité central d’entreprise, en sa qualité d’employeur,
de prendre les mesures correctrices nécessaires.
Le comité d’entreprise, qui détient des actifs importants (72 M€
enregistrés au bilan 2009,
générant des charges à hauteur de 82 M€),
ne fait pas certifier ses comptes.
Ces comptes ne sont ni
publiés ni affichés. Une mission d’audit confiée en février 2011 à un cabinet d’expertise comptable a
relevé de
nombreuses anomalies telles que la non-déclaration des cotisations sociales à
l’URSSAF
.
Les investigations de la Cour sur les dépenses du comité d’entreprise en matière d’activités sociales et
culturelles ont été rendues difficiles par les lacunes des pièces justificatives.
Page 2 sur 4
La gestion de la restauration collective
Le comité central d’entreprise
fabrique et sert environ 6000 repas par jour
dans une trentaine de
restaurants et dans une trentaine de sites de distribution automatique.
Il a
fait le choix de gérer
directement l’activité de restauration collective
, sans recourir ni à des prestataires de services ni au
système des tickets-restaurant. Il a également fait le choix, en dépit de ses ambitions sociales affichées, de
ne pas différencier les tarifs des repas en fonction des revenus
des agents de la RATP.
Une
part importante (26% en 2009) des denrées alimentaires livrées en distribution
automatique est retirée (les biens retirés sont ensuite détruits
selon
la réponse fournie par le comité
d’entreprise) dès le jour suivant celui de leur livraison et non à la date limite de consommation (fixée à
fabrication +3 jours). Pour la période 2006-2009, ce sont environ
290 000 € de biens alimentaires produits
qui ont été détruits le surlendemain de leur production
. Par ailleurs, dans un contexte où les élus n’ont
pas souhaité généraliser le paiement des repas par carte bancaire, des
disparitions d’encaisses
ont été
constatées, après le dépôt des recettes par le ramasseur de fonds.
Des
manquements aux règles d’hygiène
sont relevés de manière récurrente
au restaurant du
siège de la RATP à Paris rue de Bercy
, où sont servis environ 1200 repas par jour en pleine activité. La
présence de nuisibles, cafards et souris y a été détectée depuis 2007
sans qu’une solution satisfaisante
n’ait été mise en oeuvre pour assurer la sécurité alimentaire des usagers. Des
dysfonctionnements
mettant en danger la sécurité des employés
n’ont pas non plus été résolus. Le 2 août 2010, les services
compétents de l’Etat ont adressé une mise en demeure au comité d’entreprise.
Les
denrées alimentaires représentent un volume d’achat d’environ 5 M€ par an
. Les
relations
avec la centrale d’achat et les fournisseurs
sont du
ressort exclusif des élus
et plus particulièrement du
trésorier.
Mis à l’écart des négociations de tarifs avec les fournisseurs, les services gestionnaires
ne
disposent pas des données leur permettant de suivre et de contrôler les prix facturés au comité d’entreprise.
Ils ne peuvent que noter de manière ponctuelle des
tarifs anormalement élevés
.
Le comité d’entreprise a mis en place un
système
dans lequel
les prix qu’il paye sont
manifestement surévalués.
Les
défaillances dans le circuit de paiement
des factures conduisent à des
doubles paiements répétitifs à certains fournisseurs
.
La gestion de l’activité « vacances »
Le comité d’entreprise
propose des séjours de vacances
aux agents de la RATP et à leurs
familles, notamment dans la
trentaine de centres qui lui appartiennent
ou dans les
huit centres dont il
est copropriétaire
via sa participation au capital de sociétés civiles immobilières.
Les
résultats
de l’activité ne sont
pas à la hauteur des ambitions sociales affichées
par les élus
d’offrir « un accès au plus grand nombre aux vacances » et de « développer le tourisme social ».
Moins de
13 % des salariés de la RATP
font appel au comité d’entreprise pour leurs séjours de vacances et, parmi
ceux-ci, ce sont les agents les plus favorisés qui sont majoritaires.
Dans
six opérations de rénovation immobilière
menées entre 2004 et 2010 et examinées par la
Cour, les mêmes pratiques se répètent :
prix payés au-delà du marché, prestations facturées mais non
réalisées
,
piètre qualité des travaux
exécutés avec des
malfaçons généralisées
allant jusqu’à
mettre en
danger la sécurité des personnes
.
Les deux plus grandes opérations contrôlées
, l’une menée dans un hôtel à Serre-Chevalier dans les
Hautes-Alpes et l’autre dans un camping dans les Pyrénées-Orientales, pour un coût d’environ 16 M€, ont
été
conduites par le même maître d’oeuvre choisi de gré à gré par les élus
, rémunéré au total
1 057 921 € pour les deux chantiers,
et par la même entreprise de travaux, la SCOP Alpha TP
, retenue
au terme d’une procédure s’apparentant à un
simulacre d’appel d’offres
.
Dans les deux opérations, les
prix facturés par Alpha TP ont été anormalement élevés
.
Dans le cas de la
rénovation de l’hôtel « Chanteneige » à Serre-Chevalier
, acheté par le comité
d’entreprise en 2005, les
travaux ont démarré avant la délivrance du permis de construire puis ont été
exécutés à la hâte pour respecter les délais fixés par les élus,
pour une ouverture en juillet 2006.
L’enquête menée sur pièces et sur place par la Cour en 2010 a conduit à mettre en lumière
l’existence de
risques pour la sécurité de personnes
. Le Procureur général près
la Cour des comptes a alerté la
Page 3 sur 4
préfète des Hautes-Alpes
en décembre 2010. La
fermeture du centre
, décidée à titre conservatoire par le
comité d’entreprise en décembre 2010, a été
ordonnée par le maire de Saint-Chaffrey le 12 mai 2011
. Le
coût de l’opération de réhabilitation de l’hôtel
, qui s’élevait à
7,1 M€ au 31 décembre 2006
,
est
désormais imprévisible
notamment en raison des incertitudes liées à la durée de la période de fermeture
et à l’étendue des travaux à effectuer.
L’opération de
réhabilitation du camping de Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Orientales
, présente
des défaillances similaires. Le
montant de certains travaux facturés par Alpha TP a été supérieur de
20%
au prix facturés pour les mêmes prestations par une entreprise dans un autre centre de vacances du
comité d’entreprise. Des
mobil-homes ont été achetés à une société dont les prix étaient supérieurs de
13%
à ceux d’une entreprise concurrente que les services gestionnaires proposaient de retenir. Des
prestations non réalisées ont été payées
. Au total, le montant des travaux au camping de Sainte-Marie
s’est élevé à près de
9 M€, pour une réhabilitation partielle du centre et pour l’achat de 113 mobil-
homes
dont la durée de vie est estimée à moins de quinze ans.
Autres activités sociales et culturelles
Depuis 2007, le comité d’entreprise organise une
fête annuelle d’une journée dans un château de
l’Essonne,
propriété de la CGT-RATP. Les
dépenses de la journée de fête s’élèvent en moyenne à
447 000 €.
Cet argent est
dépensé par un agent détaché de la RATP, qui ne répond qu’aux élus, ne
suit aucune procédure, choisit seul les fournisseurs dont certains pratiquent des facturations
manifestement abusives, et se dispense de produire les pièces justificatives
pour un nombre
significatif de transactions.
Une
association loi 1901, « échanges et solidarités », créée en 2007 par le comité d’entreprise et
subventionnée par ce dernier (60 733 € en 2010) finance en particulier des opérations à Cuba gérées
par le même agent détaché de la RATP chargé de la fête annuelle du comité d’entreprise
. Il s’agit
d’une coopération avec un centre de loisirs « Rancho Luna » fondé en 1976 pour des enfants handicapés.
Interrogé sur les critères ayant présidé au choix de « Rancho Luna »,
l’agent en question a répondu que
ce centre est situé dans la commune d’où son épouse est originaire. Il se rend fréquemment à Cuba,
où il a effectué au moins sept voyages entre 2008 et 2010, financés par l’association
« échanges et
solidarités » et achète en France divers équipements pour le centre de Rancho Luna.
Certains de ces
équipements
n’ont apparemment pas été livrés comme prévu
.
En conclusion, la Cour considère que
les constats relatifs à la gestion des activités sociales sont
accablants
:
a- le
comité d’entreprise, échappant à tout contrôle
tant interne qu’externe, n’est pas structuré pour
fonctionner rationnellement ;
b-
l’absence d’obligations comptables et de certification des comptes
est un facteur propice au
développement d’irrégularités financières dans un contexte où les règles internes de validation de la
dépense ne sont pas respectées ;
c- les
résultats
des activités sociales ne sont
pas à la hauteur des ambitions sociales affichées
;
d- les
anomalies
constatées dans la conduite des travaux immobiliers
dans les centres de
vacances débouchent parfois sur la
mise en danger de la vie
des utilisateurs
– des personnels de la
RATP et de leurs familles - des prestations du comité d’entreprise ;
e- le
choix des fournisseurs
et la décision de continuer à travailler avec eux en dépit de défaillances
graves et signalées et de
facturations anormalement élevées
posent la question de critères de sélection
qui manifestement ne correspondent pas aux intérêts du comité d’entreprise.
Le
caractère systématique des pratiques constatées
, quel que soit le secteur d’activités analysé,
conduit à penser qu’ils ne sont la conséquence ni de hasards malheureux, ni de défaillances humaines.
C’est un système de « fuite » des fonds confiés au CRE qui apparaît.
Page 4 sur 4
Recommandations
La Cour recommande en premier lieu une remise en ordre profonde des différents aspects de la
gestion du comité central d’entreprise.
La Cour recommande en second lieu trois
réformes de portée générale dans les domaines de la
comptabilité et de l’audit
des comités d’entreprise
:
-
soumettre les comités d’entreprise au droit comptable
avec l’obligation d’établir des comptes
annuels au sens du code de commerce ;
-
soumettre les comités d’entreprise à l’obligation de faire certifier leurs comptes
, au-delà
d’un seuil à déterminer ;
-
prévoir la publication des comptes, des rapports d’activité et du bilan social
du comité
d’entreprise, et leur diffusion auprès des salariés.
Suites données au contrôle de la Cour
Au-delà de la
fermeture administrative du centre de vacances de « Chanteneige »
,
consécutive au contrôle sur place de la Cour des comptes,
le procureur général près la Cour des
comptes a,
sur la demande de la Cour,
saisi le garde des sceaux
, ministre de la justice, de certains
faits de nature à motiver
l’ouverture d’une action pénale
, en application de l’article R. 135-3 du code
des juridictions financières.
En outre, compte tenu des difficultés particulières rencontrées durant le contrôle, et
pour la
première fois
, le procureur général près la Cour des comptes
a également saisi l’autorité judiciaire
pour qu’il soit fait application de l’article L.141-1 du code des juridictions financières, selon lequel
le fait
de faire obstacle
(…)
à l’exercice des pouvoirs attribués aux magistrats
(…)
est puni de 15000
euros d’amende
.
Consulter le rapport et les autres éléments
Contacts presse :
Dorine BREGMAN -
Directrice de la communication - Tél : 01 42 98 98 09 -
dbregman@ccomptes.fr
Denis GETTLIFFE -
Responsable des relations presse - Tél : 01 42 98 55 77
-
dgettliffe@ccomptes.fr