Sort by *
La fraude
aux prélèvements
obligatoires
et son contrôle
Mars 2007
Le Conseil des prélèvements obligatoires est chargé d’apprécier
l’évolution et l’impact économique, social et budgétaire de
l’ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler
des
recommandations
sur
toute
question
relative
aux
prélèvements obligatoires (loi n° 2005-358 du 20 avril 2005).
Le Conseil des prélèvements obligatoires est présidé par
M. Philippe SÉGUIN, Premier Président de la Cour des
comptes.
Il comprend :
M. Bertrand FRAGONARD, président de chambre à la Cour des
comptes,
suppléant le Premier Président de la Cour des comptes,
M. Robert BACONNIER, président et délégué général de
l’association nationale des sociétés par actions,
M. Michel BOUVIER, professeur agrégé des universités,
M.
Jean-François
CHADELAT,
directeur
du
fonds
de
financement de la protection complémentaire de la couverture
universelle du risque maladie,
M. Philippe DOMERGUE, inspecteur général de l’INSEE,
M. Etienne DOUAT, professeur agrégé des universités,
M. Gérard GILMANT, directeur de l’URSSAF de Rouen,
M. Olivier GRUNBERG, directeur général adjoint en charge
des finances de la société Veolia eau
M. Alain GUBIAN, directeur statistique et directeur financier de
l’agence centrale des organismes de sécurité sociale,
M. Henri LACHMANN, président du conseil de surveillance de
Schneider-Electric,
M. Daniel LALLIER, inspecteur général des finances,
M. Denis MORIN, conseiller maître à la Cour des comptes,
M. Michel PINAULT, conseiller d’Etat,
M. Pierre RICORDEAU, inspecteur général des affaires
sociales,
M. Pierre RICHARD, président du conseil d’administration de
DEXIA,
M. Jean-Claude ROGNON, conseiller à la Cour de cassation,
M. Philippe TRAINAR, économiste en chef du groupe de
réassurance SCOR,
Membres du Conseil des prélèvements obligatoires.
Le présent rapport, présenté par le rapporteur général,
M. Maxime BAFFERT, inspecteur des finances, a été délibéré et
arrêté au cours de la séance du 25 janvier 2007.
Les études dont le rapport constitue la synthèse, ont été
effectuées par :
Mme Sabine BRAC de la PERRIÈRE, chargée d’études et de
recherche à la chambre de commerce et d’industrie de Paris,
Mme Emmanuelle CORTOT, auditrice au Conseil d’Etat,
M. Thierry GODEFROY, chercheur au CESDIP
1
,
M. Mirko HAYAT, professeur affilié à l’école des hautes études
commerciales de Paris,
M. Emmanuel MACRON, inspecteur des finances,
M. François MAGNIEN, administrateur de l’INSEE
M. Sébastien RASPILLER,
administrateur de l’INSEE,
M. Paul SERRE, auditeur à la Cour des comptes,
M. Thomas WANECQ, inspecteur adjoint des affaires sociales,
Rapporteurs,
Le secrétariat du Conseil des impôts a été assuré par :
M. Jean-Pierre COSSIN, conseiller maître à la Cour des
comptes, secrétaire général du Conseil des prélèvements
obligatoires,
Mme Madeleine GALLO, attachée au secrétariat général du
Conseil des prélèvements obligatoires.
1) Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, unité
mixte de recherche CNRS – ministère de la justice
TABLE DES MATIERES
I
SOMMAIRE
Pages
Introduction
1
Première partie - Le système de prélèvements obligatoires est
confronté à des risques de fraude en évolution
7
Chapitre I
- Les ressorts de la fraude combinent des facteurs
économiques et des facteurs psychologiques
9
I.
Pourquoi s’intéresser aux ressorts de la fraude ?
9
II.
Les facteurs économiques
12
A.
Le coût de la discipline et la complexité des
opérations fiscales
12
B.
Le niveau de prélèvement
13
C.
La politique de sanctions et de pénalités
15
III.
Les facteurs psychologiques
16
A.
La perception d’un risque minimal d’être
contrôlé
17
B.
Les normes sociales et les caractéristiques
individuelles des contribuables
18
C.
L’équité et la satisfaction vis-à-vis des
prélèvements obligatoires
18
Chapitre II
-
Les résultats des contrôles fournissent une
photographie de la fraude détectée mais doivent être interprétés
avec précaution
21
I.
Typologie et tendances chiffrées de l’irrégularité et de
la fraude à partir des données des contrôles
22
A.
Une typologie par catégorie de prélèvements
obligatoires
23
B.
Typologie par catégorie de contribuables
30
II.
Les résultats des contrôles doivent cependant être
interprétés avec précaution
38
A.
Dans la sphère fiscale, une part importante des
montants redressés n’est en fait pas récupérée
par l’Etat
39
B.
Les mêmes difficultés se retrouvent dans la
sphère sociale
43
C.
Les résultats du contrôle ne constituent donc
pas une mesure adéquate de l’efficacité de
l’action du contrôle
44
II
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Chapitre III
-
Les travaux d’estimation de la fraude sont
balbutiants et, en tout état de cause, imprécis
49
I.
Des méthodes statistiques pour chiffrer la fraude
existent, même si elles présentent des inconvénients et
des limites
51
A.
Les méthodes directes fournissent les approches
les plus solides
51
B.
Les méthodes indirectes ne sont pas
suffisamment fiables
56
II.
Certains pays de l’OCDE sont plus avancés que la
France en matière de chiffrage
59
A.
Plusieurs administrations étrangères procèdent à
un chiffrage ou une évaluation de la fraude
59
B.
Les évaluations disponibles pour la France sont
assez disparates
63
C.
De nouvelles initiatives ont cependant été
lancées dans la sphère fiscale
66
III.
L’application d’une méthode directe simplifiée aux
données de contrôle conduit à une fourchette
d’irrégularité et de fraude comprise entre 29 et 40 Md€
68
A.
La méthode utilisée est une méthode simplifiée
qui présente des limites certaines
68
B.
Les montants d’irrégularités et de fraude ainsi
obtenus ne doivent pas être considérés comme
une « cagnotte »
70
C.
Des travaux supplémentaires seront nécessaires
pour parvenir à une évaluation plus fiable
72
Chapitre IV
- Le système de prélèvements obligatoires
français est confronté au développement de certains types de
fraude liés aux évolutions économique et technologiques
73
I.
Le développement du travail dissimulé est la
conséquence du passage à une économie de services
75
A.
Le travail dissimulé est une forme de fraude aux
prélèvements obligatoires
76
B.
Les mécanismes du travail dissimulé
80
C.
Les secteurs concernés par le travail dissimulé
82
II.
L’ouverture des frontières offre de nouvelles
opportunités pour les fraudeurs
86
A.
Une préoccupation croissante des services en
charge du contrôle
86
B.
Trois exemples du développement des fraudes
transnationales
91
TABLE DES MATIERES
III
III.
Les technologies de l’information et de la
communication peuvent faciliter la fraude
101
A.
Le problème du contrôle des comptabilités
informatisées dans le domaine fiscal
102
B.
Le commerce électronique et le développement
d’internet
105
Deuxième partie – L’adaptation du dispositif de contrôle à ces
nouvelles tendances est encore imparfaite
107
Chapitre V
– Certains risques de fraude sont imparfaitement
contrôlés
109
I.
Globalement, les administrations en charge du
recouvrement ont su maintenir un niveau de vigilance
satisfaisant sur les enjeux budgétaires
110
A.
La DGI a maintenu son niveau de contrôle
110
B.
Dans le réseau des URSSAF, l’amélioration du
ciblage s’est accompagnée d’une diversification
des contrôles
114
II.
Certains prélèvements et certains secteurs ne sont pas
suffisamment contrôlés
117
A.
Certains prélèvements sociaux ne font l’objet
d’aucun contrôle ni redressement
118
B.
Dans le domaine fiscal, certains secteurs
d’activité sont mal couverts
119
C.
La répartition des effectifs sur le territoire est
globalement bien adaptée
122
III.
Les politiques de contrôle doivent concilier des
finalités divergentes au risque de laisser passer une
partie de la fraude
123
A.
Le choix entre les finalités de contrôle n’est pas
toujours évident
123
B.
Dès lors, une partie de la fraude passe en
dessous du « radar » des administrations fiscales
et sociales
125
IV.
En dépit des efforts récents, le travail dissimulé reste le
parent pauvre de la lutte contre la fraude
129
A.
Malgré l’augmentation des contrôles dans
certains secteurs, la verbalisation progresse peu
130
B.
L’implication des services est variable
134
IV
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Chapitre VI
– Les outils de programmation et de contrôle
doivent être adaptés
141
I.
L’analyse-risque se développe mais pourrait davantage
utiliser les fichiers administratifs
142
A.
Le développement de l’analyse-risque est un axe
majeur de la programmation des contrôles
142
B.
Le développement de l’analyse risque pourrait
davantage s’appuyer sur le recours aux fichiers
administratifs
144
II.
Les techniques de contrôle ne favorisent pas toujours
la présence sur le terrain et la réactivité des services de
contrôle
148
A.
La méthode des sondages et de l’extrapolation
pour le contrôle des cotisations sociales ne peut
pas être utilisée dans l’état actuel de la
réglementation
148
B.
Les contrôles longs et exhaustifs limitent la
présence sur le terrain des agents de contrôle
tout en se révélant très lourds pour les contrôlés
149
C.
La tendance est au développement de nouvelles
formes de contrôles
156
III.
La coopération entre les administrations n’est pas
suffisamment active
161
A.
Les échanges au sein de la sphère sociale et avec
l’administration fiscale sont beaucoup trop
ponctuels
161
B.
La coopération avec les administrations
répressives est mieux formalisée mais reste
d’une portée variable selon les départements
165
C.
La coopération européenne dans la lutte contre
la fraude reste encore largement à développer
175
Chapitre VII
– Les sanctions de la fraude
187
I.
Dans la sphère sociale, les sanctions sont assez faibles,
même si elles ont été récemment diversifiées
188
A.
La fraude aux cotisations sociales est plutôt
moins sanctionnée que la fraude fiscale
188
B.
En matière de travail dissimulé, la gamme des
sanctions a été élargie
190
TABLE DES MATIERES
V
II.
Dans la sphère fiscale, le nombre de dossiers faisant
l’objet de suites pénales est limité
191
A.
Le recours aux sanctions fiscales fait l’objet de
pratiques très diverses selon les départements
191
B.
Peu de dossiers de contrôle reçoivent des suites
pénales
193
C.
La sélection opérée par l’administration
apparaît, dans certains cas, discutable
197
III.
Globalement, les sanctions pénales ne semblent pas
très dissuasives
199
A.
En matière de travail dissimulé
199
B.
Dans le domaine fiscal
201
Troisième partie - Propositions
207
Chapitre VIII
– Adapter les stratégies de lutte contre la fraude
à ses tendances les plus préoccupantes
209
I.
Eviter certaines mesures non adaptées aux enjeux
actuels
210
A.
Baisser les prélèvements obligatoires pour lutter
contre la fraude
210
B.
Augmenter le nombre des contrôles dans leur
forme actuelle
211
II.
Prévenir les irrégularités
211
A.
Mesurer l’irrégularité et la fraude
213
B.
Mettre en place un indicateur de complexité des
prélèvements obligatoires
214
C.
Améliorer la sécurité juridique des contribuables
grâce aux procédures de rescrit
217
D.
Développer les contrôles préventifs en
concertation avec les organisations
professionnelles
219
III.
Développer de nouveaux outils contre le travail
dissimulé
220
A.
Mettre en place des références pour aider les
donneurs d’ordre à détecter le travail dissimulé
221
B.
Donner une base légale aux fermetures
administratives pour en faire une sanction
applicable réellement dissuasive
222
C.
Prévoir un redressement forfaitaire lors de la
verbalisation du travail dissimulé
222
D.
Mettre en cause plus fréquemment les donneurs
d’ordre
223
VI
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
IV.
Améliorer la présence des administrations sur le terrain
en développant de nouvelles modalités de contrôle et de
coordination
224
A.
Développer la couverture du tissu fiscal
224
B.
Faciliter la détection et le contrôle
228
V.
Améliorer l’effet dissuasif des sanctions
232
A.
Communiquer davantage en matière de fraude
233
B.
Instaurer des « pénalités sociales »
235
C.
Sensibiliser les juridictions répressives aux
questions liées à la fraude et aux prélèvements
obligatoires
235
Chapitre IX
– Renforcer l’Europe de la lutte contre la fraude
237
I.
Le développement de la coopération est indispensable
pour concilier l’approfondissement du marché unique
avec les exigences de la lutte contre la fraude
239
A.
Le projet de guichet unique pour la TVA rendra
plus difficiles les contrôles à l’entrée du système
européen de TVA
239
B.
Le problème de la fraude au détachement et le
projet de directive sur les services
241
II.
Dans le domaine fiscal, aller plus loin dans la
coopération et la solidarité entre Etats
243
A.
La remise en cause du système actuel de TVA
doit être évitée
243
B.
Le renforcement de la coopération et de la
responsabilité entre les Etats membres
249
III.
Accélérer la mise en place d’un cadre commun de
coopération pour les administrations fiscales
254
A.
Améliorer la coopération et l’échange d’infor-
mations entre les administrations européennes en
matière de détachement transnational
255
B.
Préparer la mise en oeuvre du nouveau
règlement sur la coordination des organismes de
sécurité sociale
256
Liste des propositions du rapport
258
Liste des personnalités rencontrées
262
Annexe I
– Les résultats des contrôles de la DGI et des URSSAF
271
Annexe II
– Typologie de la fraude par type de prélèvements
obligatoires
281
Annexe III
– Une méthode directe simplifiée d’estimation de la
fraude
303
Glossaire
327
Introduction
De tous les délinquants, celui qui fraude le fisc ou la sécurité
sociale est certainement celui qui bénéficie de la plus grande mansuétude
de la part du grand public. La littérature, le cinéma, la télévision ne se
sont pas privés de le représenter sous des dehors sympathiques et
astucieux, confrontés à des vérificateurs et des contrôleurs acariâtres,
inquisiteurs et tatillons.
Pourtant, la fraude aux prélèvements obligatoires est certainement
le délit qui, en termes financiers, fait le plus de victimes. Chacun d'entre
nous qui payons régulièrement nos impôts et nos cotisations sociales
sommes en effet obligés d'augmenter notre contribution pour compenser
le manque à gagner qu'engendre la fraude de toute sorte.
La fraude n'est donc pas quelque chose de bénin : elle diminue les
ressources disponibles pour le financement des services publics
indispensables à la collectivité nationale, elle crée des distorsions de
concurrence et des inégalités au détriment des contribuables honnêtes et
génère de leur part des frustrations et un mécontentement justifié. Elle
constitue donc autant de coups de canif dans le contrat social au risque,
en cas d'expansion, de le mettre sérieusement en danger.
De plus en plus, la fraude a aussi un visage beaucoup moins
anodin. Lorsqu'elle se traduit par du travail clandestin ou dissimulé, elle
signifie aussi souvent pour beaucoup de travailleurs des conditions de
travail et de vie épouvantables, une protection sociale incertaine…
Toutes ces raisons auraient suffi à justifier que le conseil des
prélèvements obligatoires s’intéresse, pour son premier rapport, au thème
de la fraude aux prélèvements obligatoires et des moyens pour lutter
contre ce phénomène.
2
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
A ces considérations est également venu s’ajouter le sentiment que
les évolutions que connaît notre pays sur le plan économique, social et
technologique, engendrent des conséquences lourdes pour notre système
de prélèvements obligatoires, et notamment la crainte que ces évolutions
ne facilitent les opportunités et les risques de fraude.
Mais avant d’aller plus loin, encore faut-il savoir ce que l’on
entend par fraude, car ce terme recouvre souvent des réalités et des
comportements de nature et de gravité très variées.
Plusieurs concepts sont aujourd’hui utilisés dans la littérature ou le
débat public pour caractériser l’attitude qui consiste à ne pas être en règle
par rapport à ses obligations en matière de prélèvements obligatoires. Au
niveau international, l’OCDE a popularisé la notion « d’indiscipline
fiscale ». En France, le terme de « fraude » est souvent utilisé pour faire
référence à l’ensemble des cas de non respect, par un contribuable, de ses
obligations fiscales et sociales.
Or, on voit bien que l’application de ce terme à des situations
extrêmement variées et dont le degré de gravité peut être très différent,
n’est pas satisfaisant. De plus, à la notion de fraude, sont souvent
associées voire assimilées d’autres types de comportements, comme
l’optimisation ou encore l’évasion, sans que la frontière entre ces
différents concepts ne soit toujours très clairement établie.
Les définitions juridiques n’offrent pas véritablement de solutions
satisfaisantes à ces questions de définition. Ainsi, la notion de fraude
fiscale, telle que la définit le code général des impôts apparaît trop étroite,
de même que le délit de travail illégal, prévu dans le code du travail.
Afin de clarifier le débat, ce rapport propose de retenir les
définitions suivantes pour caractériser les différents comportements
d’évitement face aux prélèvements obligatoires.
L’
irrégularité,
fiscale ou en matière de cotisations sociales,
regroupe l’ensemble des cas où le contribuable n’a pas respecté ses
obligations, qu’il ait agi de façon volontaire ou involontaire, de bonne foi
ou de mauvaise foi. Il s’agit en fait de la traduction en français de
l’expression
non compliance
(cf.
infra
), telle qu’elle a été retenue par
l’OCDE.
La
fraude
suppose un acte intentionnel de la part du contribuable,
décidé à contourner la loi pour éluder le paiement du prélèvement. Pour
reprendre une définition utilisée par le conseil des impôts en 1977,
« il y a
fraude dès lors qu’il s’agit d’un comportement délictuel délibéré
». La
fraude est donc un sous-ensemble de l’irrégularité.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
3
Ces
deux
notions
ne
doivent
pas
être
confondues
avec
l’
optimisation
, qui concerne les cas où le contribuable parvient
volontairement à minorer le montant d’impôt ou de cotisations qu’il
aurait dû payer s’il n’avait pas eu recours à l’optimisation, sans pour
autant violer la loi ou se soustraire à ses obligations en matière de
prélèvements obligatoires.
L’optimisation consiste donc à tirer parti des possibilités offertes
par la législation, en utilisant éventuellement ses failles ou son
imprécision et y compris en l’interprétant dans un sens que le législateur
n’avait pas nécessairement prévu, pour réduire les prélèvements dus, tout
en restant dans la légalité. L’optimisation consiste donc, pour le
contribuable, à faire le meilleur usage possible des règles existantes en
matière de prélèvements obligatoires et à profiter de certains effets
d’aubaine générés par la combinaison de plusieurs dispositions.
Il est clair que ces définitions comportent plusieurs limites. Ainsi,
la frontière entre ce qui relève de l’intentionnel et ce qui relève de
l’involontaire est, en pratique, loin d’être toujours évidente. De même, il
est souvent difficile de faire la part entre une certaine habileté du
contribuable dans l’interprétation de la législation, qui s’apparente alors à
l’optimisation et une réelle malhonnêteté, qui relève de la fraude, d’autant
que le contribuable ne sait pas toujours de façon certaine où se situe la
limite entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Lorsque l’optimisation
va trop loin et que les opérations réalisées par un contribuable n’ont
aucun fondement économique mais visent seulement à réduire le niveau
de ses prélèvements, on parle alors d’un « abus de droit » qui constitue
une véritable fraude que l’administration fiscale peut sanctionner.
Contrairement à la fraude, l’optimisation n’est donc pas légalement
répréhensible, même si elle soulève des questions d’équité lorsqu’elle
dépasse un certain niveau et aboutit à une forte diminution des
prélèvements normalement dus. Néanmoins, on remarquera que le
législateur et l’administration ont, dans la plupart des cas, la possibilité de
mettre fin aux pratiques d’optimisation en modifiant les règles en vigueur,
alors qu’un changement de la législation n’est pas suffisant pour mettre
fin à des comportements de fraude.
S’agissant d’un autre concept, on qualifiera d’
évasion
l’ensemble
des comportements du contribuable qui visent à réduire le montant des
prélèvements dont il doit normalement s’acquitter. S’il a recours à des
moyens légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation.
A l’inverse, s’il s’appuie sur des techniques illégales ou dissimule la
portée véritable de ses opérations, l’évasion s’apparentera à la fraude.
4
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Fraude
Enfin,
l’économie souterraine
regroupe l’ensemble des activités
légales
mais
non
déclarées
aux
administrations
en
charge
du
recouvrement des prélèvements obligatoires ainsi que l’ensemble des
activités illégales qui génèrent des revenus dans l’économie. Le travail
dissimulé participe ainsi de l’économie souterraine. Les comptables
nationaux procèdent parfois à des estimations des activités non déclarées
mais pas des activités illégales.
Graphique n°1 – Eléments de définition
Le présent rapport est donc consacré à l’étude des phénomènes
d’irrégularité et de fraude aux prélèvements obligatoires en France
aujourd’hui ainsi qu’aux moyens mis en oeuvre pour lutter contre eux. En
revanche, les questions liées à l’optimisation et à ses conséquences ne
seront pas abordées, sinon de façon incidente. Le champ du rapport
s’étend, conformément à la mission du conseil, à l’ensemble des
prélèvements obligatoires et inclut donc aussi bien les prélèvements
fiscaux que les cotisations sociales. Cependant, pour ne pas étendre
exagérément un champ déjà assez vaste et, compte tenu de différentes
contraintes, les prélèvements collectés par la direction générale des
douanes et des droits indirects (DGDDI) n’ont pas été étudiés. Dans le
rapport, la notion d’administration en charge du recouvrement des
prélèvements obligatoires regroupe ainsi la direction générale des impôts
(DGI) et l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS)
et, de façon beaucoup plus subsidiaire, les services de la DGDDI, de la
Optimisation
Non-respect des
obligations fiscales et
sociales
Respect des
obligations fiscales et
sociales
Irrégularité
Erreur ou
divergence
d’interprétation
de la législation
Erreur
involontaire ou
non
intentionnelle
Evasion
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
5
direction générale de la comptabilité publique ou encore les organismes
de la protection sociale qui recouvrent certaines cotisations (ASSEDIC,
AGIRC-ARRCO…).
Les études et les débats sur la fraude tournent souvent très vite
autour des questions de contrôles ou de sanctions, partant de l’idée que la
fraude étant un phénomène dissimulé, il y aurait peu de choses à en dire.
Ce rapport considère, au contraire, qu’il est primordial de bien analyser et
cerner le phénomène afin d’y répondre par une stratégie adaptée dont les
contrôles et les sanctions sont un élément nécessaire mais insuffisant.
La
première partie
du rapport est donc consacrée à l’analyse de
l’irrégularité et de la fraude telle qu’elles peuvent être observées
actuellement. Après avoir fourni des éléments d’explication quant aux
raisons qui conduisent à ces comportements et présenté les principaux
mécanismes constatés aujourd’hui par les services de contrôle, cette
partie analyse sur la difficile question de l’évaluation quantitative de la
fraude. Enfin, elle présente en détail les grandes tendances et
changements de la fraude observés depuis plusieurs années.
A partir de ces constats, la
deuxième partie
s’attache à analyser
l’adaptation du contrôle à ces évolutions, aussi bien en termes de
couverture des enjeux mais aussi d’outils et de méthodes de contrôles et
également de sanctions.
En s’appuyant sur les premières conclusions, la
troisième partie
présente les évolutions jugées nécessaires par le conseil des prélèvements
obligatoires pour maintenir la capacité des administrations en charge du
recouvrement des prélèvements obligatoires à lutter contre la fraude.
Même si le rapport insiste sur la nécessité de mettre en place des
stratégies diversifiées dans la lutte contre la fraude, il est évident qu’une
grande partie des sujets abordés ont trait aux questions de contrôles et de
sanctions. Cette dimension répressive est indispensable même l’accent est
également mis sur l’importance des approches préventives.
Au-delà de ces aspects relatifs aux moyens et aux méthodes de la
lutte contre la fraude, il est nécessaire de souligner que la façon la plus
efficace de préserver notre système de prélèvements obligatoires de la
fraude consiste probablement à renforcer l’adhésion de nos concitoyens à
ce système. Cela passe d’abord par des politiques de simplification et de
facilitation des obligations de déclaration et de paiement. Le rapport
formule plusieurs propositions dans ce sens. Cela passe également par
une meilleure explication et une mise en valeur plus active du lien
indissociable entre les prélèvements obligatoires et les services
indispensables qu’ils permettent de financer.
Première partie – Le système de
prélèvements obligatoires est confronté
à des risques de fraude en évolution
Il peut paraître assez paradoxal de consacrer des développements
importants à la description et à la mesure de la fraude. Celle-ci étant avant
tout un phénomène dissimulé, les études et les analyses peuvent
apparaître comme un exercice relativement vain. Pourtant, en avançant
dans le sujet, cette première analyse apparaît rapidement à courte vue.
D’abord, même s’ils ne mesurent qu’une partie de la fraude, les milliers
de contrôles réalisés chaque année par le réseau des URSSAF et par la
DGI fournissent des indications précieuses sur la nature de la fraude et les
mécanismes qui y concourent. De plus, de nombreuses études ont été
réalisées sur les ressorts de la fraude mais également sur son niveau et son
ampleur.
Sur la base de ces éléments, cette première partie propose une
photographie, forcément incomplète et biaisée, sur les irrégularités et les
fraudes qui touchent les prélèvements obligatoires en France aujourd’hui.
Le premier chapitre analyse les ressorts de la fraude et présente les
principales études sur les motivations qui poussent certains contribuables
à chercher à échapper à leurs obligations fiscales.
Le deuxième chapitre s’efforce de dresser une typologie de
l’irrégularité et de la fraude par catégorie de prélèvements obligatoires
puis de contribuables.
Le troisième chapitre aborde la difficile question de la mesure de la
fraude. Il présente les principales méthodes statistiques existantes pour
parvenir à un chiffrage ainsi que les principales données aujourd’hui
disponibles pour la France. Il propose également une évaluation de
l’irrégularité et de la fraude à partir d’une méthode statistique simplifiée.
Enfin, le quatrième chapitre est consacré à la présentation de trois
grandes
tendances
dont
les
services
de
contrôle
observent
le
développement aujourd’hui : le travail dissimulé, la fraude dans sa
composante internationale et le recours aux technologies de l’information
et de la communication pour faciliter la fraude.
Chapitre I - Les ressorts de la fraude
combinent des facteurs économiques et
des facteurs psychologiques
I
-
Pourquoi s’intéresser aux ressorts de la
fraude ?
Pourquoi s’intéresser aux ressorts de la fraude ? La question peut
se poser dans la mesure où la fraude est d’abord un phénomène illégal,
qui pénalise les organismes publics, alourdit la charge de la contribution
commune pour l’ensemble des contribuables et vient rompre le principe
fondamental d’égalité devant l’impôt. Dans ces conditions, le rôle des
services en charge du recouvrement doit être de lutter contre ces
comportements, quelles qu’en soit les causes et les ressorts. Dans cette
approche, l’action contre la fraude doit donc se concentrer sur la question
du contrôle et de la pénalisation, sans s’intéresser aux motivations des
éventuels fraudeurs.
Pourtant, faute de comprendre ce qui influence le comportement
des contribuables, les autorités publiques risquent, en matière de lutte
contre la fraude, de s’en tenir aux symptômes sans en traiter les causes
réelles au risque de mettre en place des stratégies inadaptées. En effet,
comme le souligne l’OCDE, qui a mené de nombreux travaux relatifs à la
10
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
gestion du risque d’indiscipline fiscale
2
, «
il ne faut pas automatiquement
partir de l’idée que la population cible pourra changer de comportement
de son plein gré. C’est pourquoi l’autorité fiscale doit bien comprendre
la cause du comportement qui pose problème
3
».
L’analyse du ressort de la fraude et de l’indiscipline fiscale et
sociale
constitue
un
axe
stratégique
majeur
d’évolution
des
administrations fiscales et sociales dans les pays de l’OCDE, comme l’a
montré le rapport de l’Inspection générale des finances de 1997 portant
sur
des comparaisons
internationales
4
.
Celui-ci
relève
que
les
administrations fiscales ont «
[placé] le contribuable et l’analyse de son
comportement au centre de leurs préoccupations (…)
».
Ces analyses ont débouché sur une segmentation de la population
des contribuables, principalement autour de la notion de
compliance
(cf.
supra
), une
summa divisio
étant établie entre les contribuables qui se
conforment à leurs obligations fiscales et ceux qui ne s’y conforment
pas
5
. Il ne s’agit pas d’une séparation stricte entre deux groupes
précisément délimités mais plutôt d’une répartition opérationnelle
destinée à mettre en place des stratégies spécifiques en fonction de la
catégorie de contribuables. Ces stratégies s’articulent principalement
autour de deux axes :
amélioration de la qualité de service et réduction des coûts de
gestion de l’impôt pour les contribuables qui souhaitent se
conformer à leurs obligations fiscales ;
contrôle
plus
sévère
des
contribuables
volontairement
indélicats, avec une réorientation des moyens de contrôle vers
ces seuls contribuables.
En France, l’adoption, dans les administrations chargées du
recouvrement, de stratégies centrées sur l’usager et la qualité de service
montre que ces réflexions ont été prises en compte, même si le
comportement des contribuables n’a pas nécessairement fait l’objet
2) Le terme « fiscal » est ici entendu au sens large et englobe également la sphère
sociale.
3)
Gestion du risque d’indiscipline fiscale : gérer et améliorer la discipline fiscale
(Note d’orientation)
, OCDE – Centre de politique et d’administration fiscales,
Septembre 2004.
4) Rapport de synthèse n°98-M-041-11 de la mission d’analyse comparative des
administrations fiscales.
5) Certaines administrations fiscales ont établi d’autres types de distinctions. Par
exemple, aux Etats-Unis, l’
Internal revenue service
(IRS) fait une distinction entre
trois groupes de contribuables : ceux qui paient l’impôt (
« will pay »
), ceux qui ne
peuvent pas payer l’impôt du fait de leur situation économique («
can’t pay »
) et ceux
qui, quoi qu’il arrive, essaieront d’éluder le paiement de l’impôt («
won’t pay
»).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
11
d’analyses formalisées. Ainsi, à la direction générale des impôts (DGI), le
contrat pluriannuel de performance 2003-2005, qui détermine les
orientations stratégiques de la direction, adopte, pour objectif de
« devenir, en 2005, une administration de service de référence
en France,
autour d’une organisation tournée vers les usagers, de l’essor des
nouvelles technologies dans les relations avec les contribuables et d’une
nouvelle culture de service ».
De même, à l’agence centrale des
organismes de sécurité sociale (ACOSS), la convention d’objectifs et de
gestion (COG) 2003-2005 signée avec l’Etat assigne comme objectif
principal au réseau des Unions de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de «
placer
l’usager au coeur du métier de recouvrement
», objectif que reprend la
convention d’objectifs et de gestion (COG) 2006-2009 en prévoyant de
« mobiliser la branche au service du cotisant ».. Ce texte prévoit
également que «
la branche adaptera ses offres en fonction de la diversité
de ses usagers, en étant à l’écoute de ceux-ci, en leur proposant des
solutions de déclaration et de paiement adaptées pour aider les usagers à
se conformer spontanément à leurs obligations
». Derrière ces stratégies
de la DGI et de l’ACOSS, on retrouve l’idée qu’une partie des
irrégularités relève avant tout de l’erreur involontaire du contribuable face
à la complexité des opérations de paiement de l’impôt.
L’analyse des ressorts de la fraude va cependant au-delà de la
question du partage entre ce qui relève de la simple irrégularité et ce qui
relève de la fraude intentionnelle. Même pour cette dernière catégorie, il
peut être intéressant de comprendre ce qui conduit une entreprise ou un
particulier à chercher délibérément à se soustraire à ses obligations de
paiement de l’impôt.
Pour reprendre un autre exemple proposé par l’OCDE, la
déduction de charges excessives (déclaration inexacte) peut être le
comportement déviant observé auquel il faut remédier. Or, le facteur à
l’origine de ce comportement peut être la nécessité, pour le contribuable,
d’augmenter sa trésorerie pour rester compétitif dans un environnement
où ses concurrents sous-déclarent très fréquemment leurs revenus ou
traitent en liquide. La motivation du contribuable peut être aussi le
sentiment que les taux d’imposition sont trop élevés et qu’il faut donc en
compensation essayer de les diminuer.
En pareille situation, traiter le comportement (le symptôme) n’aura
un effet que sur le contribuable concerné, et même cet effet sera d’une
durée limitée. De plus, le contribuable pourra en fait trouver injuste
d’avoir servi d’exemple alors que d’autres, ayant le même comportement,
ne sont pas sanctionnés. Cela pourra alimenter un ressentiment à l’égard
du système fiscal et susciter de nouvelles déviances. Par conséquent,
12
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
«
examiner la cause essentielle du comportement et choisir la stratégie
qui convient face à cette cause pourrait faire la différence entre une
discipline fiscale parcellaire à court terme (voire une indiscipline fiscale
aggravée) et une discipline fiscale durable dans le long terme »
.
Ces raisons justifient que l’on s’intéresse aux ressorts de la fraude
et que l’on cherche à comprendre ce qui pousse tel ou tel contribuable à
tenter de ne pas respecter ses obligations. Il s’agit d’un moyen, pour les
administrations en charge du recouvrement, de déterminer les stratégies
les mieux adaptées pour réduire le niveau global de la fraude et des
irrégularités.
Deux
niveaux
d’analyse,
qui
s’enrichissent
mutuellement,
permettent de dresser une typologie des motifs de fraude. L’analyse
économique repose ainsi à la fois sur :
des éléments de rationalité économique pure (approche
utilitariste) ;
l’intégration dans les modèles économiques traditionnels des
apports de la psychologie et de la sociologie.
II
-
Les facteurs économiques
A - Le coût de la discipline et la complexité des
opérations fiscales
La complexité des opérations de paiement des prélèvements peut
peser sur l’attitude du contribuable par rapport à ses obligations fiscales à
plusieurs niveaux :
l’exécution des obligations fiscales, au-delà de l’impôt
effectivement acquitté, fait supporter aux contribuables un
certain nombre de coûts. Ces coûts comprennent le temps
nécessaire pour se conformer aux formalités, les frais encourus
parce qu’il faut, le cas échéant, faire appel à un comptable et les
coûts indirects qui découlent de la complexité de la
réglementation fiscale ;
par ailleurs, la complexité du système fiscal, et notamment
l’existence de multiples régimes et mesures dérogatoires, peut
contribuer à créer des opportunités de fraude (cf.
infra
) ;
enfin, de façon plus indirecte, la complexité peut générer un
sentiment d’injustice et d’arbitraire chez les contribuables, ce
qui influera négativement sur leur comportement fiscal.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
13
C’est sur la base de ce constat qu’ont été développées les stratégies
présentées plus haut de la DGI et de l’ACOSS en faveur de la qualité de
service. Leur objectif était ainsi de réduire la part des irrégularités fiscales
liée à des erreurs involontaires ou des réticences des contribuables face à
la complexité.
L’observation des résultats des administrations chargées du
recouvrement
vient
plutôt
confirmer
cette
hypothèse.
Ainsi,
l’amélioration des indicateurs de civisme fiscal suivis par la DGI
(cf.
infra
), qui intervient après les efforts de cette direction pour améliorer
la qualité de service et simplifier ses procédures, peut être analysée
a
contrario
comme la preuve de l’influence de la complexité sur le degré de
discipline fiscale des contribuables.
La fraude peut également, dans certains cas, être une résultante du
fait que des individus cherchent à contourner des réglementations autres
que celles applicables en matière de prélèvements obligatoires. C’est le
cas par exemple en matière de temps de travail. Certains individus, qui ne
veulent pas respecter la législation en vigueur, qu’il s’agisse de la durée
hebdomadaire du travail ou des règles de cumul emploi-retraite, risquent
ainsi se retrouver
de facto
dans une situation de travail dissimulé
6
.
B - Le niveau de prélèvement
1 -
Un facteur important dans l’incitation à la fraude
Un autre facteur de fraude est le niveau de prélèvements qui pèse
sur le revenu d’une personne morale ou physique. On peut intuitivement
penser que plus le niveau d’un prélèvement est élevé, plus l’incitation à la
fraude sera forte (et inversement si le niveau du prélèvement est faible).
Ce phénomène est d’autant plus sensible que l’augmentation du
taux marginal d’un impôt accroît sensiblement la « rentabilité » de la
fraude : plus le taux marginal est élevé, plus le contribuable gagnera à ne
pas déclarer une partie de son revenu.
6) On peut, à ce titre, signaler le cas de certains agents de l’Etat et des collectivités
locales qui ne peuvent généralement pas exercer d’activités privées en plus de leur
emploi principal, à quelques exceptions près (enseignement, activités de conseil…).
14
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La plupart des études économétriques viennent confirmer le
constat évident qu’un niveau élevé d’imposition renforce l’incitation à la
fraude et à l’indiscipline
7
. Une étude américaine montre ainsi qu’une
augmentation d’un point du taux marginal de l’impôt fédéral sur les
revenus des particuliers entraîne,
ceteris paribus
, une augmentation
de 1,4 point de la taille de l’économie informelle
8
.
2 -
Un exemple a contrario de l’influence du taux d’imposition
sur la fraude : l’impact de la baisse du taux de TVA dans le
bâtiment
Pour étayer l’idée selon laquelle le niveau de prélèvement a une
influence directe sur l’ampleur de la fraude, on peut s’intéresser
a
contrario
, à l’impact que peuvent avoir des baisses de taux sur la
réduction de la fraude et du travail au noir. De ce point de vue, la baisse
de la TVA pour les travaux portant sur les logements achevés depuis plus
de deux ans, en 1999, constitue un exemple intéressant
9
.
Si la baisse du taux de TVA avait clairement pour objectif
principal la création de nouveaux emplois dans le secteur du bâtiment, il
avait aussi celui de réduction du travail au noir, aussi bien pour la
Commission européenne que pour le gouvernement français.
Prévu à l’origine pour une période expérimentale de 3 ans, ce
dispositif a fait l’objet d’une évaluation par la Commission en fin de
période
10
. Il a alors été prorogé une première fois en 2002 pour une durée
de 1 an, puis une deuxième fois en 2003 pour une durée de 2 ans, et enfin
une troisième fois en 2006 pour une durée de 5 ans (i.e. jusqu’à fin 2010).
7) Cf. document de synthèse IMF
Working papers Shadow economies around the
world : size, causes and consequences,
F. SCHNEIDER et D. ENSTE, février 2000,
et également
Further empirical results of the size of the shadow economy of 17 OECD
countries over time
, document de travail, Université de Linz (Autriche) –
Département d’économie, 1998.
8)
An empirical analysis of the impact of government tax and auditing policies on the
size of the underground economy : the case of the United States 1993-1994
, R.
CEBULA, American Journal of Economics and sociology, Vol. 56, n°2, 1997. A
noter que ce résultat s’appuie sur une méthodologie indirecte d’estimation de
l’économie souterraine et doit donc être apprécié avec réserve, comme on le verra
plus loin.
9) Cette mesure a été adoptée dans la loi de finances pour 2000, suite à l’adoption de
la directive du 22 octobre 1999 relative aux services à forte intensité de main-
d’oeuvre.
10)
Expérience de l’application d’un taux de TVA réduit sur certains services à forte
intensité de main-d’oeuvre
, Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement
européen (COM 309), 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
15
Les études économétriques viennent confirmer un constat assez
intuitif : la baisse du taux de TVA sur ce secteur a eu un impact
conséquent sur la réduction de l’économie souterraine. Selon l’estimation
officielle réalisée en 2002, un tiers du surcroît de chiffre d’affaires généré
par la mesure est le fait de la réorientation d’une partie du travail
dissimulé vers l’économie formelle, à hauteur de 0,5 Md€ par an en
régime de croisière.
Une réévaluation à la hausse de cette estimation a depuis été
réalisée par les services du Ministère des transports, de l’équipement, du
tourisme et de la mer. Cette nouvelle étude semble mettre en évidence
une importante augmentation de chiffre d’affaires déclaré par les
entreprises du fait de la baisse de TVA : les travaux auraient été effectués
par les entreprises en économie souterraine sans cette baisse. Ils
représentent 1,6 Md€ entre 1999 et 2000, puis 1,5 Md€ entre 2000 et
2001, soit plus de 3 Md€ cumulés de chiffre d’affaires supplémentaire
déclaré par les entreprises par rapport à un scénario sans baisse de TVA.
Cet effet marqué sur la réduction de l’économie souterraine des
travaux d’entretien du logement résulte cependant d’une conjonction
d’éléments favorables. Ainsi, ce secteur est fortement cyclique et a donc
probablement bénéficié de la conjoncture très dynamique de la période
1999-2000. Or, les capacités de production des entreprises étaient alors
saturées. Afin de répondre au surcroît de demande, il n’est sans doute pas
impossible que les entreprises aient fait appel à de la main-d’oeuvre
auparavant dissimulée.
Les tempêtes intervenues fin décembre 1999 ont à cet égard pu
avoir un impact : les ménages dont le logement avait été endommagé
devaient disposer d’une facture en règle pour prétendre à être remboursés
par leurs assurances. Cette conjonction d’éléments favorables a alors
permis de déclencher un cercle vertueux, qui semble se perpétuer grâce
aux efforts des fédérations professionnelles et des administrations.
L’impact de la baisse de la TVA sur les travaux d’entretien des
logements en matière de fraude et de travail dissimulé est donc bien mis
en évidence par les études économétriques.
C - La politique de sanctions et de pénalités
A priori, l’existence de sanctions, pécuniaires et même pénales,
face aux comportements de fraude et d’indiscipline est un facteur qui
incite les contribuables à respecter leurs obligations fiscales et sociales.
Le contrôle des opérations par les administrations en charge du
recouvrement joue ainsi un double rôle :
16
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
vis-à-vis des auteurs de la fraude, un rôle répressif et de
récupération des sommes normalement dues ;
vis-à-vis de l’ensemble des contribuables, un rôle dissuasif.
Dans une perspective strictement amorale, des travaux fondés sur
l’approche économique du crime et la théorie du capital humain
développée par le prix Nobel d’économie G. BECKER, estiment ainsi
que le niveau de fraude est seulement déterminé par la probabilité de
détection de la fraude et le montant des pénalités éventuellement
infligées
11
.
Le cas de la redevance audiovisuelle, avant la réforme intervenue
en 2005, constitue un exemple du rôle de la politique de contrôles et de
sanctions pour limiter le niveau de la fraude. En effet, les difficultés
qu’ont rencontrées les services de la direction générale de la comptabilité
publique (DGCP) pour contrôler cet impôt ont conduit à un niveau de
fraude très important : le taux « d’évasion » avait ainsi été estimé à
16,7 % du montant total de l’impôt par l’inspection générale des finances
en 1999
12
.
III
-
Les facteurs psychologiques
L’approche utilitariste de l’analyse de la fraude trouve rapidement
ses limites. En effet, au regard de la faible probabilité d’être contrôlé et
du niveau des pénalités, une approche strictement économique conduirait
à des niveaux très élevés de fraude. Pour reprendre la conclusion d’une
analyse sur le cas de la Suisse, «
un des plus grands mystères des études
sur la fraude est pourquoi les contribuables continuent à payer des
impôts, compte tenu du faible niveau des pénalités et des faibles
probabilités de contrôle
»
13
. Ceci montre que les facteurs d’ordre
économique ne suffisent pas à expliquer les comportements des
contribuables et qu’ils doivent être complétés par d’autres types
d’explication, notamment concernant la psychologie des contribuables.
11)
Tax compliance
, J. ANDREONI, B. ERARD, J. FEINSTEIN, Journal of
Economic Literature, 1998.
12) Cette situation a conduit à une réforme complète des modalités de recouvrement
de la redevance en 2005. Cf. rapport IGF n°99-M-029, décembre 1999.
13)
Deterrence and tax morale : how tax administrations and taxpayers interact
, L. P.
FELD, B.S. FREY, 2002 – document de travail récompensé par le
Jan Francke Tax
Research Award
décerné par l’OCDE et pouvant être consulté sur le site de l’OCDE
(www.ocde.org).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
17
Ainsi, plusieurs facteurs comportementaux ou psychologiques ont
été identifiés comme ayant un impact sur les comportements des
contribuables vis-à-vis de leurs obligations fiscales :
la perception des politiques de lutte contre la fraude ;
les normes sociales et culturelles, ainsi que les
considérations
psychologiques et morales des contribuables ;
Les interactions avec les pouvoirs publics et l’appréciation des
contribuables envers l’administration fiscale, le système fiscal,
voire les politiques publiques en général.
A - La perception d’un risque minimal d’être contrôlé
Si un contribuable a la possibilité de ne pas se conformer à ses
obligations fiscales et s’il considère qu’il n’a qu’un risque minime d’être
sanctionné, il y a de fortes chances qu’il prendra ce risque. L’étendue de
la fraude dépend donc en partie de la « peur du gendarme », c’est-à-dire
la crainte que l’administration chargée de recouvrer le prélèvement
inspire aux contribuables. Ceci rejoint les considérations précédentes sur
l’effet dissuasif des contrôles.
Ceci explique que la sous-déclaration est plus fréquente pour
certains types de revenus. Ainsi, les revenus salariaux sont généralement
très « visibles » pour l’autorité fiscale puisqu’ils sont déclarés par un
tiers, pour les impôts prélevés par une retenue à la source, ou parce qu’il
existe des méthodes de recoupement, comme cela est le cas en France
pour l’impôt sur le revenu avec les déclarations automatisées de données
sociales (DADS). A l’inverse, d’autres formes de revenus peuvent être
bien moins visibles et donc faire davantage l’objet d’opérations juridiques
ou comptables « créatives » ou de tentatives de fraude.
Ainsi, en matière de contrôles, l’important n’est pas tant leur
réalité que leur perception. Les analyses économiques sont assez
impuissantes devant cette mesure subjective du sentiment d’impunité.
Toutes s’accordent cependant sur le fait que c’est cette perception et non
la réalité qui est déterminante ; pour certains, c’est même l’aversion au
risque des fraudeurs qui est décisive
14
, c’est-à-dire, la préférence pour un
acteur économique de gains certains plus faibles à des gains plus élevés
mais incertains (ceux que l’on peut obtenir en fraudant par exemple). Ce
dernier point n’est pas anecdotique, car il justifie l’importance de
campagnes de communication mettant l’accent de manière distincte sur la
dureté de la sanction et sur le risque encouru d’être « attrapé ».
14) G. LACROIX et B. FORTIN,
Utility-based estimation of labor supply function in
the regular and irregular sectors
, The economic journal, 1992.
18
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
B - Les normes sociales et les caractéristiques
individuelles des contribuables
Comme on l’a vu, les hypothèses utilitaristes ne permettent pas
d’expliquer les raisons pour lesquelles, globalement, les citoyens des
Etats de l’OCDE ont tendance à respecter leurs obligations fiscales et
sociales, ce dont attestent par exemple les taux de recouvrement élevés
constatés dans les administrations chargées du recouvrement des
prélèvements obligatoires.
Cette tendance spontanée au civisme fiscal (
tax morale
dans la
littérature économique) peut trouver son explication dans l’existence de
normes culturelles et sociales. Ainsi, on peut considérer que la culture
démocratique qui s’est développée historiquement dans les pays de
l’OCDE a débouché sur une obligation, ressentie par une majorité de
citoyens de ces Etats, de contribuer aux dépenses publiques, le corollaire
de cette obligation étant que celle-ci est décidée par les représentants des
citoyens et qu’elle fait l’objet d’un contrôle
15
.
Au demeurant, la portée de ces normes culturelles et sociales de
civisme semble varier fortement selon les pays et les traditions nationales.
Une étude économique estime ainsi que c’est en Suisse et aux Etats-Unis
que l’on trouve les niveaux les plus élevés de civisme fiscal et relie ce
constat à la tradition de « démocratie directe », y compris en matière
fiscale, dans ces deux Etats
16
.
Par ailleurs, les différences d’attitude vis-à-vis de la fraude et de la
discipline
fiscale
trouvent
en
partie
leur
explication
dans
les
caractéristiques individuelles et sociologiques des contribuables.
C - L’équité et la satisfaction vis-à-vis des prélèvements
obligatoires
Des considérations d’équité entrent en jeu dans le respect par les
contribuables de leurs obligations fiscales. Celles-ci interviennent à
plusieurs niveaux.
15) Cf. articles 13 à 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26
août 1789.
16) J. ALM, B. TORGLER,
Culture differences and tax morale in the United States
and Europe
,
Journal of economic psychology, 2006.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
19
Au
niveau
de
l’action
de
l’administration
chargée
du
recouvrement,
la
façon
dont
le
contribuable
est
traité
dans
l’accomplissement de ses démarches fiscales peut influer sur son degré de
civisme. Ainsi, une mauvaise qualité de service, un certain arbitraire dans
les procédures de l’administration ou encore un manque de sécurité
juridique jouent négativement sur la volonté du contribuable de respecter
ses obligations
17
. De même, si un individu croit que l’indiscipline fiscale
est répandue, la probabilité est bien plus grande qu’il ne respecte pas lui-
même ses obligations fiscales.
Au niveau de l’ensemble du système fiscal, le comportement du
contribuable sera influencé par le sentiment que le système le traite
justement ou injustement par rapport à d’autres contribuables. Un
exemple de cette sensibilité à l’équité dans la répartition de la charge des
prélèvements peut être trouvé dans l’exemple de la
poll tax
en Grande-
Bretagne au début des années 1990. Considérée comme inéquitable par
une grande partie de la population britannique, l’instauration de la
poll
tax
fit l’objet d’un
boycott
massif et donna lieu à des manifestations
importantes, qui débouchèrent sur le retrait de la mesure et la chute du
gouvernement de l’époque.
Enfin, le contribuable attend généralement de sa contribution un
« juste retour ». S’il estime que le gouvernement fait trop peu avec les
recettes qu’il perçoit, ou que lui-même ne reçoit pas assez de biens et
services publics par rapport à sa contribution, ceci peut influencer
négativement sa volonté de respecter ses obligations fiscales. Cette
perception peut aussi jouer au niveau individuel. Ainsi,
a priori
, on peut
penser que le niveau de fraude va être moins élevé lorsque le redevable
peut établir un lien plus direct entre sa contribution et les prestations
correspondantes, comme c’est le cas, par exemple, pour certaines
cotisations sociales.
Sur ces différents aspects, on peut noter que les enquêtes d’opinion
font apparaître globalement une insatisfaction marquée des Français par
rapport au système fiscal. Ainsi, une enquête réalisée en 2000 montre que
26 % des personnes interrogées jugent le niveau des prélèvements
obligatoires «
insupportable
» et 60 % le juge «
excessif
».
17) Ce point est notamment exposé dans l’article
Deterrence and tax morale : how tax
administrations and taxpayers interact
précité.
20
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
De plus, par rapport à la notion de « juste retour », l’enquête
indique que près de 53 % des personnes sondées
« ne connaissent pas
vraiment l’utilisation des impôts qu’[elles paient] »
18
.
Une enquête plus récente, réalisée par l’institut BVA pour le
compte de l’Institut Paul DELOUVRIER
19
, vient confirmer ces constats.
Ainsi, il en ressort que près de 62 % des personnes interrogées ont une
mauvaise opinion de la fiscalité et de la collecte des impôts, 21 % en
ayant une très mauvaise opinion.
L’analyse des ressorts de la fraude permet donc de mettre en
évidence la diversité des motivations qui sous-tendent les décisions de
frauder. En particulier, elle montre bien que les questions de contrôle et
de sanctions sont un enjeu important pour lutter contre la fraude mais
qu’elles doivent s’inscrire dans une perspective plus large et prendre en
compte d’autres éléments comme la « soutenabilité » du prélèvement et le
traitement global du contribuable par les administrations fiscales et
sociales.
De plus, cette analyse confirme que, face à des ressorts de fraude
variés, une réponse unique et standardisée de durcissement général des
contrôles et des sanctions risque de manquer sa cible et même, dans
certains cas, d’avoir des effets inverses à ceux recherchés. Au contraire,
la lutte contre la fraude doit s’inscrire dans une stratégie plus large et plus
diversifiée.
18) Enquête réalisée par l’institut TNS-SOFRES le 2 octobre 2000 pour la "Journée
du Livre économique
", auprès d'un échantillon national de 1 000 personnes
représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées par
téléphone. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage, catégorie
socioprofessionnelle) et stratification par région et catégorie d'agglomération.
19) « Baromètre des services publics » - Globalement, 4022 entretiens ont été réalisés
par téléphone auprès des Français entre le 23 septembre et le 08 octobre 2005. Pour la
fiscalité, un échantillon de 647 usagers des services fiscaux a été constitué de façon
représentative de la population française.
Chapitre II- Les résultats des contrôles
fournissent une photographie de la
fraude détectée mais doivent être
interprétés avec précaution
Après avoir présenté les ressorts de la fraude, il est nécessaire de
s’interroger sur la nature même de cette fraude et sur les différents
moyens qu’utilisent les contribuables fraudeurs pour éviter l’impôt.
Les résultats des contrôles menés par les différents organismes
chargés du recouvrement des prélèvements obligatoires constituent la
seule source d’information directement disponible concernant la fraude.
En observant quels types de fraude ont été détectés à l’occasion de
l’examen approfondi de la situation d’un échantillon important de
contribuables, on peut ainsi mettre en évidence les principaux
mécanismes de fraude ainsi qu’une certaine typologie des profils de
fraudeurs.
Pour autant, il faut garder à l’esprit que ces chiffres sont, sous
certains aspects, fragiles. D’abord, ils mélangent à la fois ce qui relève de
l’irrégularité et ce qui relève de la fraude
stricto sensu
et la distinction
entre ces deux catégories n’est pas toujours aisée. De plus, les résultats
des contrôles présentent généralement les montants redressés mais ne
prennent pas en compte les événements qui interviennent après le
contrôle (recours devant le juge de l’impôt, dégrèvement gracieux,
recouvrement…).
22
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Enfin, il est évident que ces chiffres ne reflètent que la fraude
détectée et ne constituent donc pas une description exhaustive de la
fraude. En particulier, ils ne sont pas suffisants pour obtenir une
évaluation globale des montants fraudés, qui nécessite des traitements
statistiques spécifiques qui seront présentés dans le chapitre suivant de
cette partie.
I
-
Typologie et tendances chiffrées de
l’irrégularité et de la fraude à partir des données
des contrôles
En 2005, les contrôles fiscaux et sociaux ont abouti à un montant
total de redressements et de pénalités de 15,1 Md€. Ce montant est en
progression de 17 % par rapport à 2001.
Tableau n°
1.– Résultat global des contrôles
20
(en M€)
2001
2002
2003
2004
2005
Variation
2001-2005
Sphère sociale (URSSAF,
travail illégal)
842
739
723
772
921
9,40%
Sphère fiscale (contrôles sur
place et sur pièces)
12 072 13 180 13 515
13 747
14 157
17,30%
Total des droits et pénalités
redressés
12 914 13 919 14 238
14 519
15 078
16,80%
Même s’il faut garder à l’esprit que ces chiffres ne décrivent que
l’irrégularité et la fraude constatées, l’étude de ces résultats permet de
mettre en évidence une typologie et de répondre à des questions
importantes :
quels sont les impôts pour lesquels la fraude la plus importante
a été détectée ?
quels sont les principaux mécanismes de fraude ?
quels sont les professions et les secteurs où la fraude détectée
est la plus importante ?
20) L’annexe I du rapport présente en détail les résultats des contrôles par
administration en charge du recouvrement et par type de contrôles.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
23
A - Une typologie par catégorie de prélèvement
obligatoire
Plusieurs faits saillants ressortent de l’analyse de la typologie de la
fraude détectée
21
:
le niveau de fraude détectée ne correspond pas nécessairement
au poids de l’imposition dans le total des prélèvements
obligatoires ;
il est très difficile d’établir une distinction entre ce qui relève de
la fraude et ce qui relève de la simple irrégularité à partir des
données du contrôle ;
les mécanismes de fraude vont du plus simple, par exemple la
dissimulation de revenus, à des montages beaucoup plus
complexes.
1 -
Le niveau de fraude détectée ne correspond pas
nécessairement au poids du prélèvement dans le total des
prélèvements obligatoires
Le niveau de fraude constaté pour chaque catégorie d’impôts n’est
pas directement corrélé au poids de celle-ci dans le total des prélèvements
obligatoires, comme le montre le tableau suivant. Ainsi, près de 20 % des
droits sont redressés au titre de l’impôt sur les sociétés alors que cet impôt
ne représente que 6 % du total des prélèvements obligatoires. A l’inverse,
les irrégularités en matière de cotisations sociales ne représentent que 6 %
des irrégularités détectées alors que ces prélèvements atteignent près de
37 % du total.
21) Le détail de cette typologie est présenté dans l’annexe II de ce rapport.
24
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°
2.- : Répartition des montants redressés par catégorie de prélèvement (en M€)
Contrôle
sur pièces
Contrôle
sur place
Total
Produit
de
l'impôt
En % du
produit
de
l'impôt
Part dans
le total
des
montants
redressés
Part dans
le total
des P.O.
Impôt sur les
sociétés
327
2 693
3 020
42 679
7,1%
20%
6%
Impôt sur le
revenu
1 596
831
2 427
49 375
4,9%
16%
7%
TVA
579
2 230
2 809
127 037
2,2%
19%
17%
Droits
d'enregistrement
1 566
178
1 744
9 691
18,0%
12%
1%
Autres impôts
286
920
1 206
242 972
0,5%
8%
32%
Pénalités
fiscales
2 947
2 947
2 947
100,0%
20%
0%
Cotisations
sociales (et
impositions
recouvrées par
les URSSAF)
-
921
921
277 500
0,3%
6%
37%
Total
4 354
10 720
15 074
752 200
2,0%
100%
100%
Plusieurs explications peuvent être apportées à ce constat. L’écart
peut d’abord être lié à la politique de ciblage des contrôles : les
administrations peuvent en effet décider de privilégier certains types de
contrôle et donc certaines catégories d’impôts. L’influence de ce facteur
est cependant probablement limitée, compte tenu des méthodes de
contrôles actuellement utilisées par les vérificateurs. Ainsi, dans la sphère
fiscale, c’est la méthode de la vérification générale qui est la plus
employée (cf.
infra
). Or, cette méthode consiste précisément à auditer la
totalité de la comptabilité d’une entreprise et de prendre en compte la
globalité de ses obligations fiscales. Dans ces conditions, il n’y a pas
véritablement de ciblage des contrôles par impôt, même si on ne peut pas
exclure une certaine spécialisation des vérificateurs en fonction de leur
tissu fiscal.
Dès lors, on peut considérer que l’écart constaté est plutôt lié au
mécanisme de taxation lui-même, qui peut se révéler plus ou moins
propice aux irrégularités et à la fraude. Par exemple, le fait que les
salariés soient intéressés, au moins en partie, au paiement des cotisations
sociales pour bénéficier des assurances sociales, induit une surveillance
supplémentaire sur l’employeur, ce qui complique les possibilités de
fraude pour celui-ci. D’autres facteurs contribuent également à cette
situation, comme les modalités de recouvrement des cotisations sociales.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
25
2 -
La distinction entre irrégularité et fraude est complexe à
établir
Les résultats du contrôle sur pièces, dans le domaine fiscal, sont
importants par rapport au contrôle sur place : les montants rappelés
depuis le bureau représentent environ 40 % des droits redressés au titre du
contrôle fiscal externe.
L’analyse de ces résultats permet-elle d’établir la distinction entre
la fraude et l’irrégularité ? En simplifiant, le contrôle sur pièces devrait
plutôt permettre de repérer l’irrégularité et l’erreur, alors que la fraude
stricto sensu
n’est souvent détectable qu’en auditant directement la
comptabilité ou la situation personnelle d’un contribuable.
La
réalité
est
malheureusement
plus
complexe.
Certains
redressements réalisés depuis le bureau ne donnent pas forcément lieu à
des pénalités alors même qu’on peut fortement s’interroger sur le
caractère involontaire de l’erreur commise par le contribuable. C’est par
exemple le cas lorsque celui-ci se trompe dans les montants déclarés au
titre de sa rémunération et que l’administration s’en aperçoit en croisant
les éléments déclarés avec les données transmises par les employeurs. Ce
type de contrôle, parfois appelé dans les services « montant sur
montant », représente près de 40 % des sommes rappelées au titre de
l’impôt sur le revenu par le contrôle sur pièces. A l’inverse, le contrôle
fiscal externe débouche parfois sur des redressements qui s’apparentent
davantage à la correction d’erreurs qu’à la sanction de véritables fraudes.
Il en est ainsi des redressements portant sur la date d’exigibilité de la
TVA ou encore les dates de déduction qui constituent, en base, le premier
motif de redressement.
De même, nombre des redressements effectués dans le cadre du
contrôle fiscal sont en fait des rappels de décalage des amortissements,
des provisions ou des faits générateurs de TVA. Si ces redressements ont
une justification au regard de la bonne application de la loi, ils n’auront
aucune conséquence en termes de recettes pour l’Etat, uniquement un
avantage de trésorerie, dans la mesure où une déduction au titre de la
période suivante viendra compenser le redressement.
En fait, la seule mesure fiable dont on dispose pour faire la part de
ce qui relève de la fraude et de l’irrégularité concerne le contrôle fiscal
externe. En effet, lorsque les contrôles fiscaux donnent lieu à des
sanctions exclusives de la bonne foi, ils sanctionnent ainsi une véritable
fraude. Cette catégorie de contrôles, qui entrent dans la catégorie des
26
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
contrôles répressifs selon la typologie de la DGI
22
, a représenté en 2004
20,3 % des montants redressés.
On peut également avoir un diagnostic plus fin selon les impôts.
En particulier, en matière d’impôt sur les sociétés, il apparaît que la part
principale des montants redressés s’apparente plus à des irrégularités qu’à
des fraudes (cf. annexe II). Ceci s’explique par le fait que certains
éléments entrant dans le calcul de l’impôt, comme les provisions, les
amortissements, ou encore les prix des transferts de revenus entre sociétés
d’un même groupe ne sont pas toujours évidents à évaluer. Il peut donc y
avoir des divergences entre l’administration fiscale et l’entreprise sans
qu’il y ait eu intention de frauder de la part de celle-ci.
Dans le domaine social, la distinction entre fraude et irrégularité
est pratiquement impossible. Au-delà du travail dissimulé, qui relève
clairement de la fraude mais constitue d’abord une infraction à la
législation du travail, les sanctions pénales du non respect de la
législation relative aux cotisations de sécurité sociale sont, hormis les cas
d’entrave à contrôle et de récidive, des contraventions, dont le caractère
de gravité n’apparaît pas toujours suffisant pour mériter l’appellation de
fraude. Dans cet ordre d’idée, on peut relever le fait que les contrôles
donnent parfois lieu à des « redressements négatifs » - environ
167 M€
en 2005, ce qui montre bien que les contrôles ne mettent pas en évidence
la seule fraude mais plus généralement, les irrégularités.
3 -
Les mécanismes de fraude vont des actions les plus simples
aux montages les plus complexes
S’agissant des mécanismes utilisés par les fraudeurs, coexistent à
la fois des méthodes très simples et ayant toujours existé avec des
opérations beaucoup plus complexes qui utilisent toutes les subtilités du
droit social mais aussi du droit civil et commercial pour tenter d’échapper
aux prélèvements.
a)
La dissimulation ou la minoration de recettes
Le mécanisme le plus simple – et peut-être le plus ancien – pour
frauder consiste à ne pas exister aux yeux des administrations en charge
du recouvrement. Il s’agit donc ne pas signaler à ces administrations
l’existence d’une activité économique ou la perception d’un revenu.
22) Cf.
Annexe I.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
27
Le contribuable s’abstient alors de se déclarer non seulement à
l’administration fiscale, mais également aux organismes de sécurité
sociale, employant à cette fin une main d’oeuvre
« au noir »
. Avec ses
partenaires commerciaux, il s’efforce de traiter par l’intermédiaire de
prête-nom, afin de mettre l’administration dans l’impossibilité d’effectuer
les recoupements auxquels elle procède normalement. Il peut encore ne
pas s’embarrasser de ce type de précautions, et tabler simplement sur
l’échec de ces recoupements.
La jurisprudence offre des exemples concrets des comportements
ainsi visés, parmi lesquels :
celui d’un contribuable qui, exerçant une activité clandestine,
avait volontairement omis de se faire inscrire au registre du
commerce
23
;
celui d’un contribuable qui avait abusivement souscrit une
déclaration de cessation d’activité
24
;
celui d’un contribuable qui, possédant des éléments de train de
vie, avait omis de les déclarer à l’administration fiscale
25
.
On retrouve ce type de fraude pour quasiment la totalité des impôts
et cotisations sociales. Le travail dissimulé, dont on verra plus tard qu’il
constitue une des tendances de fraude les plus inquiétantes, est
précisément fondé sur ce mécanisme. En matière de TVA, certaines
entreprises qui réalisent pourtant un chiffre d’affaires supérieur au seuil
de la franchise ne s’enregistrent délibérément pas.
Dans la même logique, un autre procédé de fraude consiste à
minorer ses revenus, c’est-à-dire à ne pas porter en comptabilité tous les
revenus retirés d’une activité. L’opération est assez facile à réaliser pour
les contribuables qui perçoivent une part importante de leurs revenus en
espèces, à l’encontre desquels les moyens de recoupement dont dispose
l’administration sont limités
26
.
S’agissant de l’impôt sur le revenu, la jurisprudence de la Cour de
cassation offre là encore de nombreux exemples de condamnations de
personnes physiques pour fraude fiscale par dissimulation de recettes, par
exemple, à l’encontre :
23) TGI Seine 16 février 1954, cité par D. adm. 13-N-4212, n° 3, 15 novembre 1984.
24) TGI Seine 23 novembre 1953, cité par D. adm. 13-N-4212, n° 3, 15 novembre
1984.
25) Cass. Crim. 9 mars 1961, Bull. Crim., n° 151.
26) Pour limiter ce risque, on peut noter qu’il existe un seuil maximal, fixé à 3 000 €,
au-delà duquel il est interdit de régler en espèces un achat auprès d’un commerçant.
28
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
du gérant d’un dancing qui avait mis en place une double
billetterie
27
;
d’un négociant en gros de fruits et légumes qui procédait à des
ventes sans factures à des détaillants, alors que, dans le même
temps, il revendait aux collectivités les marchandises de qualité
inférieure, à bas prix et avec factures, de façon à minorer le
bénéfice net dégagé par son activité
28
;
d’un contribuable qui, exerçant une activité libérale, minorait
ses recettes en payant une partie de ses dépenses au moyen de
chèques non comptabilisés
29
;
d’un exploitant agricole qui avait procédé à des manipulations
comptables ayant pour objet de maintenir le chiffre d’affaires
dans les limites du forfait
30
.
b)
Les fausses justifications
Une deuxième grande catégorie de fraude, plus élaborée, consiste,
pour le contribuable fraudeur, à chercher à travestir la réalité de sa
situation de façon à minorer le montant d’impôt normalement dû.
En matière de cotisations sociales, ce type de fraude se traduit de
plusieurs façons. Cela peut d’abord passer par le recours abusif à certains
statuts particuliers : travailleurs indépendants, régime du droit d’auteur et
des royalties ou encore emploi de « faux » stagiaires. Ces régimes
permettent d’éviter de rentrer dans le droit commun du régime général de
la Sécurité sociale et donc d’avoir à payer l’intégralité des cotisations
sociales correspondantes. La fraude peut également porter seulement sur
une partie de la rémunération : elle consiste alors à réduire l’assiette de
l’impôt en versant la rémunération du salarié non pas sous forme de
salaire imposable mais à travers des compléments spécifiques de
rémunération : frais professionnels, épargne salariale et intéressement,
indemnités de licenciement… La surévaluation des rémunérations non
soumises à cotisations et des frais professionnels représente ainsi 36 % du
montant des redressements opérés par les URSSAF.
27) Cass. Crim. 10 juillet 1991,
Muglia
, n° 90-84333 Cass. Crim. 10 juillet 1991,
Muglia
, n° 90-84333.
28) Cass. Crim. 28 novembre 1988,
Ledamoisel
, inédit.
29) Cass. Crim. 21 mai 1979, DF 1979, comm. 2359.
30) Cass. Crim. 21 juin 1982, n° 81-83317, DF 1983, comm. 946 ; Cass. Crim. 19
janvier 1984,
Hennuyer
, Bull. Crim., n° 351.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
29
Dans le même ordre d’idée, une autre fraude à l’impôt sur le
revenu porte sur la domiciliation du contribuable. Cette fraude à la
domiciliation concerne les contribuables qui vont prétendre de façon
mensongère ne pas résider de manière habituelle en France pour échapper
à l’impôt sur le revenu. Le procédé de fraude consiste alors à invoquer les
stipulations d’une convention internationale en vertu de laquelle le
contribuable fraudeur serait imposé dans le pays de son lieu de résidence
allégué.
Plus généralement, rentre dans cette catégorie de fraude l’attitude
qui consiste à chercher à bénéficier d’une réduction d’impôt alors même
que les règles prévues par la législation n’y ouvrent pas droit. Ce type de
fraude concerne tous les prélèvements mais tout particulièrement les
cotisations sociales. En effet, l’augmentation du nombre de dispositifs –
49 en 2006 – et l’avantage qu’ils procurent à leurs bénéficiaires ont
fortement renforcé l’incitation à frauder. On peut ainsi mentionner le cas
des exonérations de cotisations sociales, instaurées par la loi du
14 novembre 1996 pour les entreprises installées dans les zones franches
urbaines. Certaines entreprises procèdent à une installation fictive de leur
siège social dans une telle zone alors qu’elles n’y exercent aucune activité
économique. Les sociétés de domiciliation commerciales sont ainsi
largement utilisées, ainsi que des déplacements sans objet de salariés dans
une zone franche urbaine afin de prouver qu’ils y ont une activité.
c)
Le développement des montages
A l’inverse des catégories précédentes, la dernière grande catégorie
de fraude - cette présentation des principaux mécanismes de fraude
n’étant pas exhaustive - est beaucoup plus sophistiquée : il s’agit du
recours à des montages juridiques complexes toujours avec le même
objectif de réduction de la cotisation d’impôt. Les montages ne sont pas,
au demeurant, frauduleux en eux-mêmes mais ils le deviennent lorsque
l’opération qu’ils permettent de réaliser n’a pas de réalité économique
mais seulement une finalité fiscale.
Pour l’impôt sur les sociétés, les montages peuvent atteindre un
degré de complexité extrêmement élevé, d’autant que, pour les grandes
entreprises, ils comportent souvent une dimension internationale et
s’inscrivent dans des structures de groupe elles-mêmes complexes.
Les montages se retrouvent également pour d’autres types
d’impôts. En matière d’impôt sur le revenu, les montages visent souvent à
tenter d’échapper à l’imposition des plus-values. Les montages sur les
droits d’enregistrement visent également à échapper au paiement des
droits de mutation, notamment à travers des donations d’immeubles
30
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
déguisées en vente ou encore des donations successives ayant pour seul
objet d’éluder les droits de mutation à titre gratuit. D’autres sont mis en
oeuvre pour échapper à l’ISF, par exemple par le biais du démembrement
de propriété.
Aux Etats-Unis, une véritable « industrie » du montage fiscal, et
notamment du montage fiscal abusif, s’est développée au début des
années 2000. Comme le souligne un rapport du Sénat américain, «
le
développement et la vente de montages fiscaux potentiellement illégaux et
frauduleux est devenue une industrie lucrative et plusieurs professions,
comme les grands cabinets d’experts-comptables, les banques et les
conseillers
en
investissements
en
sont
devenus
des
promoteurs
importants
31
».
En France, il ne semble pas que ce phénomène ait pris la même
importance, même s’il s’agit d’une tendance réelle et observée par
l’administration fiscale. Celle-ci dispose d’ailleurs d’un outil – le contrôle
des abus de droit, prévu à l’article L. 64 du CGI, qui lui permet de
remettre en cause certaines opérations, même juridiquement régulières,
mais n’ayant pas d’autre objectif que de soustraire à l’impôt certaines
opérations.
Ces montages se retrouvent également en matière de cotisations
sociales. Par exemple, l’organisation de certains professionnels en
partnerships
leur permet, tout en vivant en France, avec des clients
exclusivement français, de déclarer près de 90 % de leurs revenus à
l’étranger. Le recours au portage salarial peut également rentrer dans cette
catégorie de montages.
B - Typologie par catégorie de contribuables
Comme l’a montré l’analyse des ressorts de la fraude, les raisons
pour lesquelles un contribuable va s’engager dans un comportement
irrégulier et frauduleux dépendent de facteurs et de motivations très
différentes selon les acteurs.
Il y a donc un intérêt, sans chercher à stigmatiser certains
redevables, à développer une analyse par catégorie de contribuables de
façon à pouvoir élaborer, en réponse, des stratégies adaptées à chaque
type de comportement.
31) US Senate - Committee on governmental affairs,
US Tax shelter industry: the role
of accountants, lawyers and financial professionals
, 2003 (traduction libre).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
31
1 -
Les grandes entreprises fraudent peu mais se retrouvent
souvent dans des situations d’irrégularité et d’optimisation
Les grandes entreprises font l’objet d’un suivi particulier en
matière de contrôle, tant fiscal que social. D’abord, ces entreprises sont,
compte tenu des enjeux, contrôlées beaucoup plus souvent que les PME.
En moyenne, qu’il s’agisse des contrôles des URSSAF ou de ceux de la
direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), une
grande entreprise va être contrôlée environ tous les cinq ans
32
.
Les résultats des contrôles font apparaître un constat assez
convergent en ce qui concerne les comportements d’irrégularité et de
fraude des plus grandes entreprises. D’abord, on observe un niveau très
élevé d’irrégularités aussi bien au niveau fiscal que social. A la DVNI,
près de 86 % des dossiers contrôlés contiennent au moins un
redressement au titre des irrégularités. Dans le réseau des URSSAF, la
fréquence des redressements suite à contrôle de grandes entreprises atteint
88 %.
Ce constat est assez préoccupant puisqu’il implique qu’en dépit
des moyens plus importants dont disposent les grandes entreprises pour
gérer leurs obligations sociales et fiscales, la complexité et la variabilité
de la législation sont telles qu’elles ne sont pas capables d’être
parfaitement en règle et d’éviter les erreurs dans l’application de la loi.
Néanmoins, ce niveau d’irrégularité n’est pas seulement dû à des
erreurs mais aussi à des divergences d’interprétation de la législation
entre les grandes entreprises et les administrations en charge du
recouvrement.
Précisément
parce
qu’elles
disposent
de
moyens
importants pour recourir à des conseil, les grandes entreprises ont
tendance à chercher à appliquer la législation de la façon qui leur est la
plus favorable, sans pour autant tomber dans l’illégalité.
Aussi, les grandes entreprises qui ont recours à la fraude
stricto
sensu
sont extrêmement minoritaires, comme le montre le graphique
suivant en ce qui concerne l’aspect fiscal. La part des dossiers ayant fait
l’objet d’une pénalité exclusive de bonne foi représente moins de
3,5 % des dossiers contrôlés entre 2002 et 2005. Parmi ces dossiers, ceux
32) Il s’agit ici de « grandes entreprises » au sens de celles entrant dans la compétence
de la DVNI, c’est-à-dire réalisant au moins 152 M€ de chiffres d’affaires hors taxe
(ou au moins 76 M€ pour une activité de prestations de services) ou 15,2 M€ de
participations ou de produits financiers, et toutes les entreprises qu’elles contrôlent.
Le nombre total de sociétés du ressort de la DVNI est ainsi d’environ 5 000 groupes et
77 000 entreprises. Pour les URSSAF, la notion de grandes entreprises commence dès
que le seuil de 200 employés est franchi.
32
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
qui ont reçu une suite pénale sont extrêmement rares (cf. graphique
suivant).
Graphique n°2 – Contrôles réalisés par la DVNI entre 2002 et 2005
33
Dans la sphère sociale, compte tenu de l’absence de pénalités
exclusives de bonne foi, il n’existe pas de données aussi précises
permettant d’isoler la fraude intentionnelle. On peut néanmoins noter que
le taux de redressement des cotisations contrôlées est nettement plus
faible pour les grandes entreprises (soit 1,6 %) que pour les PME (2,6 %)
ou pour les TPE (4,2 %).
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette situation :
33) Répartition des 5 122 dossiers contrôlés de 2002 à 2005 par la DVNI selon les
deux types de fraude fiscale (surfaces proportionnelles au nombre de dossiers).
5 122 dossiers
contrôlés
4 420 dossiers
irréguliers
Ensemble des irrégularités et
de la fraude
La fraude
intentionnelle
(156 dossiers
pénalisés)
La fraude
pénale
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
33
l’existence de contrôles internes importants au sein de ces
entreprises ;
la possibilité d’avoir recours à des dispositifs d’optimisation
légale pour diminuer la charge fiscale globale ;
la fréquence des contrôles effectués par les administrations en
charge du recouvrement.
Ainsi, pour les services de contrôle, les grandes entreprises
représentent un enjeu déterminant d’un point de vue budgétaire, même si
les contrôles débouchent principalement sur la correction d’irrégularités.
Par exemple, pour le réseau des URSSAF, les contrôles sur les entreprises
de plus de 200 salariés ont représenté 44 % des sommes redressées en
2004. De même, les redressements de la DVNI, bien qu’intervenant sur
un portefeuille d’entreprises beaucoup plus restreint, a représenté 36 %
des redressements du contrôle fiscal externe en 2005.
Pour autant, les grandes entreprises constituent un enjeu moindre
en termes de fraude proprement dite, dans la mesure où, pour des raisons
qui tiennent à leur organisation et à leurs ressources, les grandes
entreprises constituent une population globalement peu fraudeuse. Ce
constat ne signifie pas, au demeurant, que les grandes entreprises ne
cherchent pas à réduire le niveau de leurs prélèvements. Mais elles y
arrivent généralement à travers des dispositifs légaux d’optimisation qui,
s’ils peuvent parfois porter sur des montants importants et problématiques
en termes d’égalité devant les prélèvements obligatoires, n’en demeurent
pas moins légaux et validés par les juridictions.
2 -
Les PME présentent un risque de fraude plus important du
fait de leurs caractéristiques économiques
L’analyse des résultats des contrôles tant des services de la DGI
que de ceux des URSSAF fait ressortir que les PME présentent des
risques de fraude importants.
S’agissant des cotisations sociales, le tableau suivant montre qu’en
dépit du fait que les entreprises petites et moyennes sont globalement
moins contrôlées et moins redressées, le taux de redressement des
cotisations est nettement plus important que celui constaté dans les
grandes entreprises de plus de 200 salariés.
34
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau
3. : contrôles des URSSAF en 2005 par taille d’entreprise
Effectif
Taux de
contrôle des
cotisants (%)
Taux de
redressement
des cotisants
(%)
Proportion
des
cotisations
ayant fait
l’objet d’un
contrôle (%)
Taux de
redressement
des cotisations
(%)
<10 salariés
4,2
43,9
6,9
4,17
10-199 salariés
14,7
72,1
15,6
2,56
>=200 salariés
(grandes
entreprises)
22,3
88,2
21,1
1,55
En matière fiscale, une estimation des redressements sur les PME
montre que ceux-ci représentent environ 6 Md€ (y compris les pénalités),
soit 61 % du total des résultats du contrôle fiscal externe en 2005
34
.
Cette part importante des PME dans les résultats des contrôles
correspond d’abord au poids de ces entreprises dans l’économie. D’après
l’INSEE, les entreprises de moins de 250 salariés représentent ainsi
99,8 %
du nombre total d’entreprises, 42,9 % de la valeur ajoutée
nationale et 63,1 % de l’emploi.
Par ailleurs, plusieurs caractéristiques propres aux PME peuvent
expliquer la part importante que celles-ci occupent dans les résultats du
contrôle. D’abord, les PME ont globalement moins de facilités que les
groupes pour accéder à des conseils « pointus » en matière de
prélèvements obligatoires. Ceci entraîne deux conséquences :
un risque d’erreur et d’irrégularités plus élevé, même si ce type
d’entreprise bénéficie souvent de mesures spécifiques de
simplification ;
un moindre accès aux dispositifs légaux d’optimisation et donc
une moindre capacité à réduire leur charge de prélèvement, ce
qui peut, en retour, entraîner une incitation à frauder plus
importante.
Dans le même ordre d’idée, les PME sont également davantage
susceptibles que les grands groupes de connaître des difficultés
économiques, ce qui, là encore, peut se traduire par une tentation plus
forte de frauder.
34) Pour obtenir de ce chiffre, on a retiré des montants totaux redressés en 2005 au
titre du contrôle fiscal externe (CFE), les redressements réalisés par la DVNI et ceux
réalisés dans le cadre d’un examen de la situation fiscale personnelle du contribuable.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
35
S’agissant de la vraie fraude, au-delà des mécanismes habituels
décrits
dans
l’annexe
II,
deux
aspects
méritent
d’être
plus
particulièrement abordés : le travail dissimulé et la question de la
domiciliation des très petites entreprises (TPE).
a)
Le travail dissimulé
L’analyse des résultats du contrôle mené par les services de lutte
contre le travail illégal dans les secteurs dits prioritaires (cf.
infra
) fait
apparaître que la très grande majorité des infractions de travail illégal sont
commises dans des établissements comprenant 1 à 10 salariés. Dans le
secteur des hôtels-cafés-restaurants, la part des très petites entreprises
dans le total des entreprises verbalisées atteint même 84,7 %. Le reste des
infractions est commis par des travailleurs indépendants (entreprises de
0 salarié). Seul le secteur du spectacle présente un niveau élevé
d’entreprises de plus de 50 salariés parmi les employeurs sanctionnés.
La répartition des infractions constatées par taille d’établissement
dans les secteurs prioritaires du plan national de lutte contre le travail
illégal est présentée dans le tableau suivant.
Tableau n°
4. - Répartition des infractions constatées par taille d’établissement
0 salarié
1 à 10
salariés
11 à 49
salariés
+ de 50
salariés
Total
Agriculture
13,1 %
65,6 %
3,1 %
1,4 %
100 %
BTP
10,0 %
70,6 %
2,5 %
0,5 %
100 %
Déménagement
4,0 %
72,0 %
0,0 %
0,0 %
100 %
HCR
2,7 %
84,7 %
1,6 %
0,1 %
100 %
Spectacles
6,9 %
71,8 %
3,8 %
17,6 %
100 %
Source : Bilan annuel de la DILTI 2005, cité par JACQUEMET Nicolas, op. cité
Note de lecture : La différence à 100 correspond à la proportion du nombre
d’établissements dont la taille n’est pas communiquée.
Si l’entreprise verbalisée pour travail dissimulé est donc souvent
une TPE, cela ne veut pourtant pas dire que ce sont toujours les petites
entreprises et les indépendants qui pratiquent la sous-déclaration. En
effet, la pratique, en fort développement, de la fausse sous-traitance
(cf.
infra
), incite à penser que cette verbalisation est aussi due à la
difficulté de la mise en cause du donneur d’ordre dans les cas de travail
dissimulé.
36
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
b)
La question des TPE et des entreprises domiciliées
La question des petites entreprises est identifiée, à la DGI, comme
un axe problématique dans les plans de contrôle fiscal de plusieurs
interrégions (Ile-de-France, Nord, Sud-Ouest, Sud-est).
Ces entreprises relèvent généralement de deux régimes spécifiques,
le régime dit micro et le régime simplifié d’imposition (RSI).
Près de
500 000 impositions aux régimes micro sont établies au niveau national
chaque année, dont les trois quarts pour le seul régime du micro BIC. Le
tout représente le quart du nombre de BIC et BNC déclarés à l’impôt sur
le revenu. Le RSI s’applique aux entreprises dont le chiffre d’affaires est
supérieur aux limites du régime micro mais n’excède pas 763 000 € HT
pour les entreprises de vente ou 230 000 € HT pour les entreprises de
prestation de services.
Ces entreprises présentent un risque spécifique en termes de fraude
dans la mesure où il est particulièrement difficile de détecter une
anomalie depuis le bureau à l’occasion d’un contrôle sur pièces. En effet,
les mesures de simplification prévues par la loi aboutissent à ce que ces
sociétés ne tiennent généralement qu’une comptabilité sommaire, avec un
compte d’exploitation très simplifié et parfois pas de bilan. C’est pour
cette raison d’ailleurs que certaines entreprises préfèrent rester, y compris
de façon frauduleuse, dans les régimes simplifiés, afin de réduire le risque
de détection d’un mécanisme de fraude.
De plus, cette difficulté du contrôle peut être aggravée par
l’utilisation d’une domiciliation à une adresse collective. En effet,
certaines entreprises dites domiciliantes offrent à d’autres entreprises la
possibilité d’établir leur siège social dans des locaux sans que les
entreprises clientes n’y exercent effectivement d’activité économique. Ce
phénomène a pris une certaine ampleur dans les années récentes. Dans la
région Ile-de-France, on dénombre plus de 900 entreprises domiciliantes
en activité en 2005, qui abritent le siège d’environ 76 000 entreprises
domiciliées, ce qui est considérable.
Cette situation obère singulièrement la capacité de contrôle des
administrations en charge du recouvrement. Dès lors, même si la
domiciliation n’accroît pas forcément, en elle-même, le risque de fraude,
celle-ci peut constituer une couverture efficace pour mettre en place
différents schémas de fraude (carrousels de TVA, activité dissimulée…)
grâce à la discrétion offerte aux contribuables fraudeurs. Ainsi, une étude
réalisée par la DGI dans trois directions des services fiscaux fait
apparaître que les entreprises domiciliées ont représenté près de 38 % des
propositions de poursuites correctionnelles pour fraude fiscale, en 2002,
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
37
alors même que ces entreprises ne représentaient que 12 % du nombre de
redevables au régime général de TVA
35
. Les difficultés de contrôle sur les
entreprises domiciliées sont d’ailleurs accrues par la volatilité des
structures domiciliantes dont la durée de vie moyenne a été estimée à
20 mois en Ile-de-France.
3 -
Les particuliers
Si l’on excepte le cas des particuliers exerçant une activité
industrielle et commerciale mais soumise à l’impôt sur le revenu et qui
rentre plutôt dans la catégorie des petites et moyennes entreprises, il est
particulièrement difficile de cerner la fraude des particuliers. En montant,
le résultat des contrôles réalisés sur des particuliers est nettement
inférieur à celui des contrôles sur des entreprises.
C’est tout particulièrement vrai s’agissant de la fraude aux
cotisations sociales et en matière de travail dissimulé dans la mesure où la
possibilité pour les agents de contrôles des URSSAF d’accéder aux
domiciles de personnes privées est conditionnée à l’accord de celles-ci.
Dans ces conditions, le nombre de contrôles effectués sur ce type de
population est extrêmement limité.
Davantage d’informations sont disponibles s’agissant de l’aspect
fiscal, même si on se heurte à la difficulté de déterminer ce qui
correspond à des erreurs involontaires et ce qui relève de la fraude
proprement dite. L’action de l’administration fiscale en termes de
contrôle des particuliers repose principalement sur le contrôle sur pièces,
le contrôle fiscal externe n’étant qu’un contrôle d’exception pour les
particuliers. Ainsi, le contrôle sur pièces de l’impôt sur le revenu
débouche sur davantage de redressements que le contrôle fiscal externe.
Malgré cette difficulté, on peut néanmoins distinguer deux grandes
catégories de fraude.
La première catégorie concerne une fraude « bas de gamme », au
sens où elle porte sur des montants assez faibles, même si, cumulés, ceux-
ci peuvent atteindre des sommes non négligeables. Rentre notamment
dans cette catégorie la fraude à la PPE, qui sera présentée dans la
deuxième partie du rapport. La dissimulation d’une petite activité vivrière
en fait également partie, de même que la non-déclaration de certains
revenus qui peuvent être détectées à l’occasion du contrôle sur pièces et
du recoupement avec les données fournies par les employeurs.
35)
Etude sur la gestion et le contrôle des entreprises soumises au régime micro
(finalité dissuasive)
, Mission d’expertise et de liaison (MEL), novembre 2003.
38
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
A l’opposé, la deuxième catégorie recouvre des mécanismes de
fraude beaucoup plus sophistiqués comme, par exemple, la fausse
domiciliation (cf.
supra
) ou encore la mise en place de montages
patrimoniaux complexes. Sont particulièrement concernés les particuliers
disposant de revenus et de patrimoines importants et notamment, dans
cette catégorie, les personnes relevant du régime des bénéfices non
commerciaux de l’impôt sur le revenu.
La DGI dispose de plusieurs moyens pour contrôler ces
contribuables susceptibles de frauder. Au niveau du contrôle sur pièces, la
notion de « dossiers à fort enjeu » a été créée pour les contribuables dont
le revenu est supérieur à 200 000 € ou dont le patrimoine dépasse 2,5 M€
d’actif brut. L’objectif des services, prévu dans le contrat de performance
pluriannuel, est que 100 % des dossiers à fort enjeu aient fait l’objet d’un
contrôle sur pièces approfondi sur trois ans.
De plus, avec la procédure de l’examen de situation fiscale
personnelle (ESFP)
36
, la DGI dispose d’un moyen extrêmement précieux
pour appréhender la situation d’un contribuable dans sa globalité et
vérifier ainsi qu’il respecte ses obligations fiscales. L’importance de la
moyenne des droits nets, de même que leur niveau élevé, confirme le fait
que cette procédure permet de mettre en évidence des cas de fraude
graves chez les particuliers.
Tableau n°
5. – Utilisation par la DGI de la procédure d’ESFP
2001
2002
2003
2004
Nombre
5146
4932
4807
5112
Droits nets rappelés (en M€)
510
530
508
595
Pénalités (en M€)
273
297
271
326
Moyenne des droits nets (en €)
99 106
107 461
105 679
116 393
Taux de pénalités
54%
56%
53%
55%
II
-
Les résultats des contrôles doivent cependant
être interprétés avec précaution
Les résultats des contrôles fournissent une photographie des
irrégularités et de la fraude détectées par les services de contrôle au cours
d’une année. Il s’agit donc des seules données tangibles disponibles sur
ces phénomènes dont la nature même est d’être cachés.
36) Procédure prévue à l’article L. 112 du LPF. Cf. annexe I.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
39
Pour autant, ces résultats ne sont que des données brutes et
plusieurs précisions sont nécessaires de façon à ne pas se tromper sur
l’interprétation de ces chiffres.
On a déjà dit que ces chiffres reflétaient des comportements de
nature très différente dans la mesure où ils correspondent à des erreurs
involontaires de la part du contribuable, mais aussi à de véritables
manoeuvres frauduleuses ou encore à des divergences d’interprétation de
la loi fiscale entre les redevables et l’administration fiscale.
Pour être complet, il faut aussi préciser que les résultats des
contrôles sont toujours présentés en termes de droits redressés, c’est-à-
dire de montant notifié au contribuable à l’issue de la procédure de
contrôle. Ces résultats, tels qu’ils sont présentés habituellement, ne
prennent donc pas en compte les événements postérieurs au contrôle, qui
peuvent pourtant avoir un impact très significatif sur les montants
finalement récupérés par le Trésor public ou la Sécurité sociale :
les contestations que le contribuable peut être conduit à
formuler, d’abord par un recours hiérarchique puis par un
recours devant le juge de l’impôt. Ces contentieux peuvent
déboucher sur l’annulation de tout ou partie des montants
redressés à l’occasion du contrôle ;
les conditions de recouvrement des droits redressés. En effet,
après le contrôle, les administrations doivent se mobiliser pour
récupérer
les
montants
supplémentaires
imputés
au
contribuable, celui-ci n’étant d’ailleurs pas nécessairement
solvable.
Au final, il faut donc garder à l’esprit que seule une partie des
montants redressés à l’issue des contrôles sera
in fine
effectivement
encaissée.
A - Dans la sphère fiscale, une part importante des
montants redressés n’est en fait pas récupérée par
l’Etat
1 -
Le montant des dégrèvements est important mais ne peut pas
être suivi avec précision
Les montants redressés à l’issue d’un contrôle fiscal peuvent faire
l’objet de dégrèvements, c’est-à-dire que les droits et les pénalités
supplémentaires
peuvent
être
annulés
et
remis.
Cette
décision
d’annulation ou de remise peut être prise soit par l’administration elle-
même, dans le cadre d’un contrôle hiérarchique ou bien suite à une
décision du juge de l’impôt.
40
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Au total, entre le montant du redressement initial et le
redressement finalement à percevoir, l’écart peut être important. Cet écart
peut être pris en compte en rapportant le montant des dégrèvements
prononcés sur des créances suite à redressement durant les trois années
suivant leur prise en charge, comme le montre le tableau suivant.
Cependant, il est impossible de connaître l’historique complet d’un
contrôle et, ce faisant, de savoir s’il a, en définitive, donné lieu à
recouvrement ou si tel ou tel montant a été dégrevé car les systèmes
informatiques de la direction générale des impôts (DGI) ne le permettent
pas. Dès lors, les montants figurant dans le tableau ci-dessous sont
indiqués afin de fournir un ordre de grandeur même si les dégrèvements
présentés ne sont pas rattachables à une année précise de prise en charge.
Tableau
6. - Prises en charge et dégrèvements suite à contrôle fiscal (sur les professionnels) de
2001 à 2005
Années de
prises en
charge
37
Montants pris en
charge suite à CF
(droits et
pénalités)
Décharges et
remises
% des prises en
charge donnant
lieu à
dégrèvements
2001
4 888,1
599,2
12,3
2002
4 967,6
825,1
16,6
2003
4 855,7
571,8
11,8
2004
6 523,4
532,9
8,2
2005
8 521
489,7
5,7
Source : DGI, bureau P2
Ainsi peut-on constater qu’en moyenne 11% des créances suite à
contrôle fiscal prises en charge donnent lieu à dégrèvements. On peut
néanmoins noter que les montants de dégrèvements sont en baisse depuis
2001, ce qui traduit la politique menée par la DGI pour améliorer la
qualité de ses contrôles.
2 -
Seulement la moitié des montants redressés font l’objet d’un
recouvrement
Une fois le contrôle terminé, le vérificateur adresse, le cas échéant,
au contribuable, une proposition de rectification qui indique à celui-ci le
37) Ces créances, suivies par le bureau P2 de la DGI, sont enregistrées pour 3 ans.
D’une part, il n’est donc pas possible de connaître les montants dégrevés totaux pour
2001 et 2002 dans la mesure où les situations ont été arrêtées au 31/12/N+3. D’autre
part, pour les années 2003, 2004, 2005, les montants de dégrèvements ne sont que
partiels aussi car les situations sont arrêtées au 30/06/2006.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
41
montant de droits supplémentaires et de pénalités qu’il lui est demandé de
payer. Le recouvrement de cette créance n’est pas du ressort des services
de contrôle : c’est aux comptables de la DGI et de la DGCP, auxquels les
redressements sont transmis, de s’assurer que le contribuable « redressé »
s’acquittera bien de sa dette.
Seule une fraction des montants redressés est effectivement
récupérée par les comptables. Ainsi, deux ans après le contrôle, le taux de
recouvrement sur ces créances est de l’ordre de la moitié, 53,3 % en
2005.
Graphique n°3 : comparaison entre les montants redressés et les montants
effectivement recouvrés deux ans après le contrôle
,0 M€
2,0 M€
4,0 M€
6,0 M€
8,0 M€
10,0 M€
12,0 M€
2000
2001
2002
2003
Droits rappelés et
pénalités
Droits effectivement
encaissés deux ans après
le contrôle
Cette faiblesse du taux de recouvrement découle de la nature même
des créances concernées. En effet, le niveau du recouvrement des
créances issues du contrôle fiscal dépend de deux éléments :
la rapidité du comptable à exercer son action en recouvrement
(et parfois à l’anticiper ou à la préparer en cours de contrôle),
qui dépend elle-même en partie de la qualité des liaisons entre
les
services
de
contrôle
et
les
services
chargés
du
recouvrement ;
la solvabilité des contribuables redressés ainsi que leur
disposition à s’acquitter ou non de leur dette fiscale.
L’administration fiscale a une marge d’action sur le premier point :
il lui appartient de s’assurer que les comptables de la DGI et de la DGCP
sont suffisamment associés à la programmation et à l’exécution des
contrôles et que les liaisons entre les services sont suffisamment fluides.
Il s’agit d’ailleurs d’un des axes stratégiques de progrès prévus par le
contrat de performance de la DGI pour la période 2006-2008.
42
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
S’agissant de la solvabilité des personnes redressées, la situation
est très variable selon le type de contribuable et la cause des
redressements. Ainsi, une grande entreprise redressée du fait d’une
divergence d’interprétation de la loi fiscale pour la détermination d’un
prix de transfert va généralement payer rapidement les montants
réclamés. A l’inverse, un individu qui a dissimulé une partie de ses
revenus et se voit appliquer une pénalité importante, va beaucoup plus
rechigner à payer, voire, dans certains cas, organiser son insolvabilité.
Cette variété des situations possibles peut se lire dans l’observation
du taux de recouvrement en fonction des différentes finalités du contrôle
fiscal (cf.
infra
). L’inspection générale des finances a examiné en 2004
avec un tel objectif un échantillon de 460 créances
suite à des contrôles
fiscaux de 2001
38
. Les taux de recouvrement par finalité de contrôle fiscal
sont présentés dans le tableau suivant.
Table
au
7. - Taux de recouvrement suite à CFE en fonction des finalités (sur échantillon)
Finalité
39
Part des montants
recouvrés par
rapport aux prises en
charge en N-2
Répressive
21,7 %
Dissuasive
60,4 %
Budgétaire
69,6 %
Total
44,5 %
Source : IGF
Deux ans après, le taux de recouvrement des contrôles ayant eu
une finalité répressive est de l’ordre d’un cinquième des montants
effectivement redressés. Ce taux est au moins trois fois plus important
pour les finalités dissuasive et budgétaire.
38) Inspection générale des finances,
Rapport d’audit sur les engagements du contrat
de performance 2003-2005 de la direction générale des impôts
, février 2005.
39) Cf. la définition de ces finalités à l’annexe I.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
43
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, certaines
entreprises peuvent avoir été conduites à la fraude du fait de leur situation
économique. Confrontées à des difficultés de trésorerie, elles ont pu être
amenées à faire des arbitrages entre leurs différents créanciers et à choisir
d’éluder illégalement le paiement de l’impôt.
Dans ces conditions, un contrôle fiscal va contribuer à révéler le
caractère non viable de l’activité de l’entreprise et va, dans de nombreux
cas, déboucher sur une mise en redressement ou en liquidation judiciaires
de la société vérifiée. Ainsi, une grande partie des difficultés de
recouvrement tient au fait que beaucoup d’entreprises sur lesquelles l’Etat
détient une créance ont en fait cessé leur activité ou sont en phase de
redressement judiciaire. Or, il est très difficile pour les comptables
publics de récupérer les sommes dues dans cette situation car il reste
généralement très peu d’actifs dans ces entreprises.
Cependant, dans le cas de véritables fraudeurs, le placement sous
la protection du droit des faillites peut être intentionnellement recherché
de façon à éviter les poursuites en recouvrement. Ainsi, plutôt que de
poursuivre une activité dont il sait que le contrôle va révéler la nature en
partie frauduleuse, certains contribuables préfèrent placer leur société en
liquidation judiciaire, parfois dès l’envoi de l’avis de vérification, pour en
recréer immédiatement une autre dans la même branche. Dans les cas les
plus graves, les fraudeurs organisent leur insolvabilité pour être sûrs que,
quels que soient les résultats du contrôle, le Trésor public ne pourra de
toute façon pas récupérer son dû. Cette pratique peut par exemple
consister dans des divorces fictifs entre conjoints et l’attribution de tous
les biens du ménage à l’autre conjoint, ce qui fait que le contrôlé lui-
même n’a pratiquement plus aucun actif à son nom. Ces manoeuvres, au
demeurant passibles du délit de fraude fiscale, peuvent faire l’objet de
mesures conservatoires de la part du comptable en charge du
recouvrement de la créance mais elles sont néanmoins difficiles à contrer.
B - Les mêmes difficultés se retrouvent dans la sphère
sociale
Les problématiques identifiées dans le domaine fiscal sont
transposables aux prélèvements gérés par le réseau des URSSAF.
Néanmoins, les systèmes d’information de l’ACOSS et des URSSAF ne
permettent pas de disposer de données aussi détaillées que pour la DGI,
notamment en matière de taux de recouvrement suite à contrôle.
44
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
En termes de contestation des contrôles, et donc d’annulation
a
posteriori
des redressements effectués, le ratio des contrôles contestés,
sur un échantillon de 41 organismes, est relativement stable depuis 2002
et reste inférieur à 3 %. Il est ainsi passé de 2,51 % des contrôles en 2002
à 2,61 % en 2004
40
. Les contestations portent essentiellement sur le fond
des motifs de redressement et les questions de procédure ne représentent
que 9,61 % des contestations. S’agissant des suites données aux
contestations, elles sont dans certains cas favorables aux cotisants mais
dans des proportions qui varient très fortement d’une URSSAF à l’autre.
Ainsi, si l’on prend les recours administratifs devant la commission des
recours amiable (CRA), le taux de suites favorables au cotisant varie
de 0 %
à Bar-le-Duc ou Melun à 38,09 % à Gap et même 50 % à Tulle.
De même, s’agissant des suites contentieuses, la part des cotisants qui
obtiennent des suites favorables devant le tribunal des affaires de sécurité
sociale va de 0 à 50 % selon les URSSAF.
Les mêmes constats mis en évidence pour les résultats du contrôle
fiscal peuvent cependant s’appliquer aux contrôles menés par les
URSSAF, ceux-ci pouvant faire l’objet de contestations et donc
d’annulations, et de difficultés de recouvrement.
C - Les résultats du contrôle ne constituent donc pas
une mesure adéquate de l’efficacité de l’action du
contrôle
Ainsi, il existe une marge sensible entre d’une part l’irrégularité et
la fraude détectées à l’occasion des contrôles et d’autre part ce que
récupéreront
in fine
les caisses de l’Etat et de la Sécurité sociale. Dans le
cas du contrôle fiscal externe, deux ans après le contrôle, environ la
moitié des sommes redressées ont été effectivement encaissées, et encore
ce chiffre ne prend-il pas en compte les montants qui ont pu être
dégrevés.
Ce constat débouche-t-il pour autant sur un constat d’échec de
l’action des services de contrôle ? Rien n’est moins sûr.
40) Mission d’évaluation des COG,
Evaluation thématique de la convention
d’objectifs et de gestion Etat/ACOSS 2002-2005
, 2005.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
45
1 -
L’impact des contrôles va au-delà des sommes récupérées à
cette occasion
D’abord, l’impact des contrôles va bien au-delà des montants
effectivement recouvrés. Cet impact comporte en fait trois aspects :
le recouvrement éventuel des montants indus ;
un effet direct de cessation du comportement frauduleux. En
intervenant et en mettant à jour une fraude, le contrôle aboutit
normalement à ce que le contribuable change de comportement.
Même s’il n’y a pas de recouvrement et si l’entreprise tombe en
liquidation judiciaire, le contrôle permet de mettre fin à la
reconduction d’une infraction aux règles fiscales et sociales ;
un effet indirect de dissuasion sur les autres contribuables
tentés de recourir aux mêmes procédés frauduleux. Ceux-ci
savent en effet que s’ils ont recours à la fraude, ils risquent
d’être sanctionnés et la crainte d’un contrôle va donc
normalement les dissuader de frauder. Encore faut-il, sur ce
dernier point, que les sanctions soient adaptées aux enjeux : ce
point sera étudié dans la deuxième partie du rapport.
Il est probable que le troisième effet, bien qu’indirect soit aussi le
plus important : les contrôles ont finalement moins d’intérêt pour les
montants qu’ils permettent de récupérer directement que pour la pression
qu’ils maintiennent sur l’ensemble des contribuables et notamment ceux
qui seraient tentés de frauder.
Une étude de l’administration fiscale suédoise semble venir
confirmer ce point
41
. D’après cette étude, l’administration suédoise
recouvre 91 % du montant de prélèvements voté par le Parlement, le reste
entrant dans la catégorie des « erreurs fiscales », qui regroupe, selon la
définition utilisée dans le rapport, à la fois les irrégularités et la fraude.
Sur ces 91 %, environ 62 points rentrent spontanément dans les caisses de
l’Etat du fait du civisme fiscal des contribuables. Pour le reste, 1 à
2 points sont récupérés dans le cadre du contrôle et près de 25 points sont
récupérés du fait de l’effet de dissuasion lié au contrôle qui conduit les
contribuables suédois à remplir d’eux-mêmes leurs obligations fiscales.
La différence entre le recouvrement directement lié aux contrôles et le
recouvrement dû à la dissuasion qu’exercent ces contrôles est donc très
importante.
41) Skatteverkett (Agence fiscale suèdoise),
Purchasing and performing undeclared
work in Seweden
, 2006.
46
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’importance de l’effet indirect du contrôle a d’ailleurs été
confirmée par des travaux récents de l’ACOSS (cf.
infra
)
42
. Ceux-ci,
réalisés dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants montrent que le seul
passage du contrôleur induit une augmentation du montant des salaires
déclarés de 5 %. Cet effet, constaté toutes choses égales par ailleurs,
confirme
que
le
contrôle
semble
bien
contribuer
à
rendre
le
comportement du contribuable plus vertueux.
Il ne faudrait cependant pas en conclure qu’il n’est pas nécessaire
de suivre les dégrèvements suite à contrôle ou que les montants recouvrés
n’ont pas d’importance. Bien au contraire, ces deux éléments constituent
deux indicateurs fondamentaux pour apprécier la qualité des opérations
de contrôle, aussi bien dans la sphère fiscale que sociale. En effet, des
montants importants de dégrèvements peuvent signifier que les
vérificateurs ont procédé à des redressements injustifiés auxquels
l’administration a dû ensuite renoncer, soit de son propre fait, soit après
une décision juridictionnelle. De même, les difficultés de recouvrement
des créances liées au contrôle peuvent découler de problèmes de liaison
entre les services de contrôle et de recouvrement ou à une insuffisante
célérité des comptables publics. Dans ces conditions, il est important de
suivre le taux de recouvrement de ces créances, ce que font la DGI et la
DGCP dans le cadre de leur contrat pluriannuel de performance.
2 -
La performance de l’action de contrôle ne doit pas être
mesurée à partir des montants redressés
Il ressort néanmoins de ce qui précède que les résultats du contrôle
ne constituent pas un bon indicateur pour mesurer la performance de
l’action des services de contrôle.
Ces résultats peuvent en effet être artificiellement augmentés par la
multiplication du nombre de contrôles ou bien par une verbalisation plus
systématique de certaines irrégularités par les contrôleurs, sans que cela
ne traduise un réel durcissement dans la lutte contre la fraude ou une
amélioration de son efficacité. Au contraire, s’il s’agit de contrôles ou de
redressements injustifiés ou mal ciblés, cela se traduira après coup par des
dégrèvements importants et des recouvrements faibles.
A la rigueur, une trop grande attention portée au niveau des
redressements peut aboutir à un résultat inverse à celui qui est recherché.
42) M. CORNU-PAUCHET, N. JOUBERT, T. SENTA,
Fraude sociale et dispositifs
de répression
, présenté au colloque de l’Association Française de Sciences
Economiques en septembre 2006,
et Lutte contre le travail illégal, bilan 2005
,
ACOSS, Direction de la réglementation, du recouvrement et du service (DIRRES).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
47
En effet, s’ils ne sont jugés que sur le montant des droits redressés, les
vérificateurs sur le terrain peuvent être tentés de se concentrer sur les
redressements les plus « faciles » et les plus « rentables », c’est-à-dire
principalement la correction de certaines irrégularités relativement
bénignes en termes de civisme fiscal, au détriment de la recherche et de la
répression des fraudes les plus graves.
C’est pourquoi le montant total des droits redressés ne fait plus
partie des indicateurs retenus dans les documents stratégiques des
administrations en charge du recouvrement.
Pour la DGI, le contrat pluriannuel de performance 2006-2008
retient comme indicateurs de performance en matière de contrôle fiscal :
la part des opérations à caractère répressif dans le total des
redressements effectués, ce qui doit permettre de s’assurer que
les services de contrôle consacrent une partie suffisante de leur
action à la fraude proprement dite ;
la part des contrôles à caractère répressif issu d’un signalement
par les services de recherche, ce qui permet de suivre
l’efficacité des services de la DGI en charge de la recherche
(cf.
infra
) ;
le taux de recouvrement des créances issues du contrôle fiscal,
ce qui permet d’évaluer la qualité du contrôle fiscal et, plus
particulièrement, la qualité des liaisons entre les services de
contrôle et les services de recouvrement.
Pour le réseau des URSSAF, la convention d’objectifs et de
gestion signée entre l’Etat et l’ACOSS prévoit deux indicateurs en
matière de contrôle :
le taux de couverture du fichier, c’est-à-dire le nombre de
personnes contrôlées par rapport au nombre de personnes
présentes dans la base des cotisants et qui mesure la présence
des URSSAF par rapport aux redevables ;
le taux de redressement des personnes dans le cadre de la lutte
contre le travail dissimulé, qui permet de vérifier la qualité de
la programmation et du ciblage dans ce domaine.
Le taux de redressement des cotisations, qui mesure les montants
redressés par rapport au total des cotisations n’est qu’un indicateur de
suivi et pas un indicateur de performance.
Ainsi, dans le cadre de la détermination de leur stratégie ou du
pilotage de leurs services de contrôle, ni la DGI ni l’ACOSS n’utilisent le
total des montants redressés pour apprécier la performance de ces
services.
48
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Les résultats des contrôles restent néanmoins des références parfois
utilisées dans la communication de ces organismes ou dans le débat
public. Les résultats du contrôle fiscal sont présentés chaque année au
Parlement dans le deuxième tome du fascicule « Voies et moyens » de la
loi de finances. De même, l’ACOSS publie chaque année un rapport
ad
hoc,
le « Bilan des contrôles des cotisants », qui présente de façon
détaillée les rappels de cotisations suite à contrôle.
Il convient donc de souligner que ces données sont fragiles dans
leur interprétation, qu’elles mélangent à la fois des irrégularités et des cas
de fraude avérés, qu’une partie de ces résultats fera l’objet d’une remise
ou d’une annulation
a posteriori
et que seule une fraction de ces montants
rentrera effectivement dans les caisses de l’Etat ou de la Sécurité sociale.
Pour avoir une analyse plus solide sur la fraude et sur l’efficacité du
contrôle des prélèvements obligatoires, il faut impérativement les
compléter par d’autres indicateurs, notamment le nombre de contrôles, le
taux de couverture des contribuables, qui permettent d’obtenir une vision
plus globale quant à la présence des administrations en charge du
recouvrement sur le terrain et la « pression » qu’elles exercent pour
inciter les contribuables à se conformer à leurs obligations fiscales et
sociales.
Enfin, dans le même ordre d’idée, les résultats du contrôle ne
permettent pas véritablement d’obtenir une estimation du niveau de la
fraude, ce qui pourrait également constituer une mesure de la
performance des administrations. Pour obtenir cette évaluation, le recours
à des méthodes statistiques est indispensable.
Chapitre III- Les travaux d’estimation
de la fraude sont balbutiants et, en tout
état de cause, imprécis
La question de l’évaluation peut sembler en première analyse
incongrue dans la mesure où la fraude est un phénomène par nature
caché, dont les auteurs sont généralement peu disposés à répondre à une
enquête statistique sur le sujet. Cette position est d’ailleurs celle
défendue, en France, par nombre d’acteurs, y compris au sein des
administrations en charge du recouvrement.
Faut-il alors se résoudre à ce que les pouvoirs publics mènent un
combat « à l’aveugle » face à un phénomène dont ils ne connaissent ni
l’ampleur, ni la répartition entre secteurs ou entre régions et sans être
capables d’apprécier l’efficacité des stratégies qu’ils ont mises en oeuvre ?
Car tel est bien le contexte dans lequel la lutte contre la fraude
s’inscrit aujourd’hui. Pourtant, il existe des méthodes statistiques pour
évaluer la fraude ou, plus généralement l’irrégularité fiscale. En effet, le
paradoxe est que la fraude est certes globalement un phénomène
dissimulé mais que, chaque année, les services de contrôle révèlent une
partie du phénomène dans des proportions suffisamment significatives
pour constituer un échantillon représentatif, au sens statistique.
50
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La difficulté provient des modalités de « tirage » de cet
échantillon : les services de contrôle ne choisissent pas les entreprises
contrôlées au hasard mais procèdent généralement à une analyse du
risque. L’enjeu, pour aboutir à une évaluation relativement fiable du
phénomène, consiste donc à tenter d’éliminer ce biais.
Une évaluation statistique de la fraude présenterait plusieurs
avantages. Elle permettrait d’abord évidemment de mieux connaître le
phénomène et de donner une indication sur son ampleur. Aujourd’hui,
faute de disposer d’une telle évaluation, n’importe quel chiffre peut être
avancé dans le débat public, qui peut constituer aussi bien une
surestimation flagrante comme au contraire une banalisation ou une
minimisation du phénomène. Disposer d’une évaluation de la fraude
permettrait donc de clarifier les discussions autour de ce thème.
Notamment, dans une approche dynamique, une mesure de la fraude
fondée sur une méthode constante permettrait d’apprécier l’évolution du
phénomène au cours du temps.
De plus, la mesure de l’ampleur de la fraude et de l’irrégularité
permettrait d’évaluer les stratégies mises en place par les administrations
en charge du recouvrement pour lutter contre ce phénomène.
Ex ante
,
cette évaluation pourrait constituer un élément pour déterminer et calibrer
les moyens dédiés à cette mission. En effet, la réponse adaptée ne peut
être la même selon que la fraude est estimée à 1 % ou à 15 % du PIB…
Ex post
, une mesure de la fraude pourrait constituer un des indicateurs
pour apprécier l’efficacité des moyens engagés pour contrer ce
phénomène.
Enfin, l’évaluation de la fraude a également un caractère
opérationnel par rapport à la programmation des contrôles et plus
généralement, sur la stratégie globale pour la contrer. D’abord, grâce à
une décomposition du phénomène par secteur ou par région, elle pourrait
permettre de mieux choisir les secteurs, les prélèvements ou les régions
sur lesquels doit porter en priorité l’effort de contrôle. De plus, la mesure
de la fraude pourrait également servir à apprécier la qualité du ciblage et
de la programmation des contrôles. Cette évaluation serait également utile
afin de mieux déterminer les professions ou les régions pour lesquelles un
effort de prévention de la fraude et de communication serait le plus
efficace. Ainsi, l’évaluation de la fraude ne peut être séparée de celle des
stratégies pour la combattre (en y intégrant tous leurs effets et leurs coûts,
notamment les effets dissuasifs du contrôle) et par voie de conséquence
de la compréhension de ses ressorts.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
51
I
-
Des méthodes statistiques pour chiffrer la
fraude existent même si elles présentent des
inconvénients et des limites
On distingue généralement deux catégories d’approches pour
estimer, de façon globale, la fraude et plus généralement l’économie
souterraine :
les
méthodes
d’estimation
« directes »
ou
« microéconomiques » qui cherchent à quantifier le phénomène
directement à partir d’éléments disponibles (chiffres de
l’administration fiscale, réalisation d’enquêtes…). L’INSEE
utilise ce type de méthode pour ses estimations ;
les méthodes d’estimation « indirectes » ou macroéconomiques
qui s’appuient sur des données intermédiaires, des hypothèses
et des modèles macroéconomiques et qui sont surtout valables
pour quantifier l’économie souterraine dans son ensemble et
non pas la fraude.
A - Les méthodes directes fournissent les approches les
plus solides
Un recensement des méthodes directes existantes permet de mettre
en évidence quatre principales techniques d’estimation :
une méthode fondée sur des questionnaires soumis à un panel
d’individus ;
une méthode fondée sur l’extrapolation des résultats des
contrôles fiscaux ;
une méthode fondée sur l’analyse des incohérences statistiques
des comptes nationaux ;
une quatrième méthode fondée sur les activités criminelles et
l’évaluation des prix et quantités de ces dernières. Cette
méthode n’est mentionnée que pour mémoire, dans la mesure
où elle concerne moins la fraude aux prélèvements obligatoires.
Ces différentes méthodes font l’objet d’une présentation rapide
dans les paragraphes suivants. La méthode retenue par l’INSEE, qui
s’appuie sur les méthodes directes pour le redressement des comptes
nationaux, est également présentée.
52
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
1 -
Les méthodes fondées sur des enquêtes
L’estimation de la fraude et de l’économie informelle est obtenue à
partir des réponses que des individus acceptent de fournir à des
questionnaires.
Cette
méthode
présente
l’avantage
de
disposer
d’informations assez détaillées sur la structure de la fraude, le
comportement des fraudeurs et leurs motivations.
Ainsi, une étude québécoise fondée sur des questionnaires adressés
à environ 5 000 personnes a montré que l’offre de travail au noir est
relativement faible : la part des personnes interrogées qui participeraient à
un marché du travail « souterrain » est ainsi estimée à 5 % pour l’année
1994
43
.
Cette méthode se heurte cependant aux limites traditionnelles des
enquêtes, c’est-à-dire la part des non réponses et la volonté des
répondants de coopérer. Or, ces limites sont particulièrement amplifiées
s’agissant d’un phénomène illégal et dissimulé. De même, il est à craindre
que la teneur des réponses varie fortement en fonction de la façon dont les
questions de l’enquête sont formulées. Il n’en reste pas moins que
l’enquête peut constituer une approche intéressante dans certains cas,
notamment pour disposer d’une information directement en provenance
des contribuables fraudeurs.
2 -
Les méthodes fondées sur l’extrapolation des résultats des
contrôles fiscaux
Cette méthode consiste à évaluer l’ampleur de l’économie
informelle à partir de la différence entre les revenus déclarés aux autorités
fiscales et ce qui est mesuré par des contrôles sélectifs. Les résultats du
contrôle fiscal et des contrôles en matière de cotisations sociales
permettent ainsi de déterminer un niveau de sous-déclaration ou de fraude
qui est ensuite appliqué à l’ensemble de l’économie.
Cette technique est utilisée dans de nombreux pays. En France, les
sources fiscales sont notamment utilisées pour ajuster le calcul de la
production et de la valeur ajoutée dans les comptes nationaux (cf.
infra
).
Elle apparaît particulièrement adaptée pour mesurer la fraude sur les
prélèvements obligatoires, même si elle est plus fruste pour mesurer
l’économie informelle dans son ensemble et connaît certaines limites.
43)
« Offre de travail au noir en présence de taxation et de contrôles fiscaux »
, B.
FORTIN, N. JOUBERT et G. LACROIX cité dans l’étude
« L’évaluation de
l’économie
souterraine :
un
recensement
des
études »
,
Marianne
CORNU
PAUCHET, ACOSS STAT – n°08 – septembre 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
53
En effet, cette méthode pose deux difficultés dont les effets jouent
sur l’estimation de la fraude en sens contraire. D’abord, les contrôles ne
sont pas menés de façon aléatoire mais sont généralement ciblés de façon
à ce que les contrôles aient le plus de chance de saisir les fraudeurs. Ceci
aboutit donc à une sur-représentation des fraudeurs dans l’échantillon et
donc, après extrapolation, un risque de surestimation de la fraude. Ce
biais peut être évité si une partie des contrôles est choisie de façon
aléatoire (cf.
infra
).
D’autre part, les résultats de contrôles donnent une indication sur
le niveau de fraude des personnes qui déclarent leur activité mais ces
contrôles ne dévoilent qu’une partie des montants éludés et prennent
imparfaitement en compte la fraude des redevables non déclarés.
3 -
L’approche par les anomalies statistiques des comptes
nationaux
Le principe de cette approche consiste à « traiter la production
dissimulée comme la production légale et à interpréter les incohérences
statistiques dont témoignent les comptes nationaux comme des indices de
la présence de l’économie souterraine
44
».
Une application consiste ainsi, en matière de TVA, à calculer
l’écart entre la TVA théorique, calculée à partir des éléments de la
comptabilité nationale, et la TVA effectivement collectée. La TVA
théorique est calculée aux agrégats de dépenses par produit des taux
théoriques de TVA.
Cette méthode est assez largement utilisée. Ainsi, dans le cadre des
redressements opérés pour le calcul du PIB, l’INSEE mesure cet écart de
TVA à 8,1 milliards d’euros dans la base 2000
45
. De même,
l’administration fiscale britannique a chiffré cet écart de TVA à 10,4 Md£
(15 Md€) pour l’année 2002
46
.
44) Cette méthode peut être considérée comme « directe » dans la mesure de
l’économie informelle peut se lire « directement » dans les statistiques économiques
nationales. Cf.
Evaluer l’ampleur de l’économie criminelle
, Christine FAUVELLE-
AYMAR, Pierre KOPP, Patricia VORNETTI, in Les cahiers de la sécurité intérieure,
n°48, 2ième trimestre 2002.
45) Cf.
Les comptes nationaux passent en base 2000
, Dossier spécial sur la base 2000
des comptes nationaux sur le site de l’INSEE (www.insee.fr).
46)
Measuring indirect tax losses
, HM Customs and Excise, Novembre 2002.
54
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Cette méthode présente l’avantage d’une certaine fiabilité dans la
mesure où les sources sur lesquelles elle s’appuie pour le calcul de la
TVA théorique sont indépendantes des données d’origine fiscale. Elle est
particulièrement intéressante sur l’estimation de la fraude en matière de
TVA.
Son principal inconvénient est néanmoins que l’écart ainsi calculé
est considéré comme relevant largement d’une fraude (en particulier, de
la TVA encaissée mais non reversée) alors même que d’autres facteurs
peuvent aussi participer à l’existence de cet écart (redressements,
erreurs…). De plus, le résultat ainsi obtenu fournit peu d’informations
quant à l’origine des pertes et aux mécanismes de fraude.
4 -
L’évaluation de l’INSEE pour la comptabilité nationale se
fonde essentiellement sur les résultats du contrôle fiscal et
l’analyse de l’écart TVA
L’INSEE ne produit pas d’estimations de la fraude en tant que
telle. En revanche, dans un souci d’exhaustivité de la comptabilité
nationale, et conformément aux règles européennes et internationales, les
services de l’INSEE sont conduits à corriger les biais causés par la fraude
et le travail au noir sur les estimations des productions et des valeurs
ajoutées des secteurs marchands non agricoles et non financiers. Cette
correction a pour effet d’augmenter, dans la comptabilité nationale, la
production et l’excédent brut d’exploitation.
L’Institut statistique procède donc à un redressement de la valeur
ajoutée produite chaque année à partir de trois types de fraude :
la
production
dissimulée
des
entreprises
régulièrement
enregistrées (dissimulation de recettes) ;
l’écart entre la TVA théorique calculée dans les comptes
nationaux et le montant réel des recettes de TVA, cet écart étant
notamment lié à la dissimulation de recettes mentionnée
précédemment ;
la production non déclarée d’unités de production non
enregistrées (travail au noir).
Le tableau suivant présente l’estimation de l’INSEE de chacune de
ces composantes de la fraude pour l’année 2000 en base 2000.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
55
Tableau n°
8. – Redressements réalisés par l’INSEE dans les comptes nationaux au titre de la
fraude et du travail au noir
(en % du PIB)
2000
Fraude et travail au noir
2,70%
Fraude à la TVA
0,60%
Total
3,30%
La méthode de calcul de ces estimations a été définie dès les
années 1960 et a fait l’objet d’une amélioration sensible au cours des
années 1980
47
. La méthodologie présentée ici est celle utilisée pour la
base 2000 des comptes nationaux. Elle est différente selon le type de
fraude.
Ainsi,
les
redressements
pour
fraude
sont
évalués
par
extrapolation des fichiers de contrôles fiscaux des trois dernières
campagnes fiscales disponibles. Par ailleurs, pour le travail au noir, la
méthodologie distingue deux cas : les unités non déclarées et les emplois
non déclarés dans des entreprises régulièrement enregistrées. Dans le
premier cas, les évaluations de la base 1995 (qui reprenaient elles-mêmes
les évaluations de la base précédente) ont été reprises dans la base 2000.
La seconde forme de « travail au noir » a été estimée à partir des
dissimulations de coûts mises en évidence lors des contrôles fiscaux.
En matière de fraude fiscale, la méthode utilisée revient à
appliquer le niveau de fraude décelée sur des entreprises ayant fait l’objet
de contrôles fiscaux à l’ensemble des entreprises de caractéristiques
communes. Ainsi, l’INSEE calcule un taux de rehaussement du chiffre
d’affaires sur la base des fichiers transmis par la DGI puis applique ce
taux de rehaussement à toutes les entreprises d’un même secteur.
Pour la fraude à la TVA, l’écart entre le montant théorique de TVA
tiré de la comptabilité nationale et le produit réel de cet impôt fait l’objet
d’un retraitement pour éliminer la part qui résulte des franchises, décotes
et autres décalages temporels. Le reste est traité comme fraude des
entreprises et intégré dans leur valeur ajoutée.
Cette méthodologie appelle plusieurs commentaires. En premier
lieu, elle ne donne qu’une image partielle de la fraude et de l’indiscipline,
c’est-à-dire uniquement celle qui résulte de la dissimulation de recettes
des entreprises non financières et non agricoles. Cette situation n’est pas
anormale : il s’agit en effet pour l’INSEE non pas d’évaluer précisément
la fraude et la manque à gagner pour le Trésor public mais de prendre en
compte l’impact sur la production d’un phénomène non retracé par les
procédures de collecte statistique habituelles.
47) Cf. l’article de référence sur ce point : Jean-Charles WILLARD,
L’économie
souterraine dans les comptes nationaux
, in Economie et statistique n°226, novembre
1989.
56
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Dès lors, le type de fraude pris en compte par l’INSEE est limité à
la fraude qui peut avoir un impact sur le niveau de chiffre d’affaires. En
revanche, les mécanismes portant sur le niveau du résultat sans passer par
une sous-estimation de la valeur ajoutée ne font l’objet d’aucun
redressement car ces manipulations n’affectent pas les agrégats des
comptes nationaux.
Par ailleurs, pour les secteurs qui font l’objet d’un redressement,
l’utilisation des chiffres du contrôle fiscal comporte un biais dans la
mesure où les contrôles ne sont pas effectués de façon aléatoire mais
après une procédure d’analyse de risque. Dans ces conditions, l’hypothèse
utilisée par l’INSEE selon laquelle le comportement des entreprises
contrôlées est représentatif de celui de l’ensemble est de nature à conduire
à une surestimation de la fraude pour les secteurs concernés. Il faut
cependant noter que la pratique des statisticiens consiste à éliminer les
valeurs extrêmes issues de l’exploitation des données du contrôle fiscal.
Ainsi, les résultats de l’INSEE ne constituent pas une estimation de
la fraude aux prélèvements obligatoires et du manque à gagner qui en
résulte pour les administrations publiques. Il s’agit avant tout d’éléments
destinés à compléter et fiabiliser les données de la comptabilité nationale.
B - Les méthodes indirectes ne sont pas suffisamment
fiables
Ces méthodes sont considérées comme « indirectes » dans la
mesure où elles passent par l’adoption de certaines hypothèses concernant
le fonctionnement de l’économie ou encore par le recours à des modèles
macro-économiques.
Les méthodes indirectes n’estiment pas véritablement la fraude
mais plutôt l’économie informelle au sens large, c’est-à-dire non
seulement la production ou le travail dissimulé, mais aussi les activités
illégales marchandes et non marchandes, qui n’entrent pas dans le champ
du rapport.
1 -
Les différentes méthodes « indirectes » utilisées
48
Parmi les principales approches utilisées, on peut citer d’abord
l’approche par les transactions monétaires, qui repose sur l’hypothèse
qu’il existe une relation constante dans le temps entre le volume des
transactions et le PIB officiel. Cette méthode évalue donc la taille de
l’économie souterraine, en supposant qu’elle est proportionnelle aux
transactions qui s’y produisent.
48) Cf. le document de synthèse IMF Working papers,
Shadow economies around the
world: size, causes and consequences
, F. SCHNEIDER et D. ENSTE, Février 2000.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
57
Une autre approche est fondée sur la demande de monnaie et part
de l’idée que les transactions, dans l’économie souterraine, sont réalisées
en argent liquide. Dès lors, la méthode consiste à estimer l’écart entre la
demande de monnaie effective et la demande de monnaie « structurelle »
(c’est-à-dire expliquée par les facteurs traditionnels comme les taux
d’intérêt, le revenu par tête…).
Autre exemple, l’approche par la consommation d’électricité
repose sur l’idée que la consommation d’électricité constitue un
indicateur physique valable de la taille du PIB, officiel et « informel ».
Dans ces conditions, l’estimation est réalisée en calculant la différence
entre la consommation d’électricité jugée « normale », par rapport au PIB
officiel, et la consommation réelle, l’écart représentant la part de
l’économie informelle.
Enfin, il existe une approche fondée sur des modèles « multi-
variables » qui cherchent à estimer la taille de l’économie souterraine,
non plus à partir d’un seul indicateur mais à partir de plusieurs facteurs
explicatifs (cf. modèles
Multiple indicators
– Multiple causes
).
2 -
Analyse des méthodes indirectes
Ces méthodes indirectes ont été largement utilisées par des
économistes pour mesurer l’importance de l’économie informelle,
notamment dans les pays de l’OCDE. Le tableau suivant montre que les
différentes méthodes aboutissent à des résultats extrêmement divergents
pour un même pays.
Tableau n°
9.– Taille de l’économie souterraine en fonction des différentes méthodes
d’évaluation (en % du PIB – moyenne sur la période 1986-1990)
49
Méthodes directes
Méthodes indirectes
Pays
Enquête Audit fiscal
Transactions
monétaires
Demande de
monnaie
Consommation
d'électricité
Allemagne
-
-
31,4 %
11,3%
14,5%
Canada
1,4%
2,9%
21,2%
12,0%
11,2%
Etats-Unis
5,6%
10,0%
19,4%
6,2%
9,9%
Grande-
Bretagne
-
-
9,7%
13,2%
Italie
-
10,0%
-
21,3%
19,3%
49) Ce tableau, qui reprend des données de l’étude de MM. SCHNEIDER et ENSTE
(FMI – 2000 – cf.
supra
), est également cité par l’article
L’évaluation de l’économie
souterraine : un recensement des études
tiré du n°8 d’ACOSS STAT (septembre 2003
- cf.
supra
).
58
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
De plus, pour les pays où des approches directes ont également été
réalisées, on constate que les résultats sont très éloignés de ceux des
méthodes indirectes. En effet, les méthodes indirectes aboutissent
généralement à des résultats plus élevés que ceux obtenus par des
méthodes directes.
Ce constat met en lumière le manque de robustesse des mesures
« indirectes » de l’économie informelle. Les méthodes indirectes
reposent, en général, sur l’estimation d’un niveau « normal » ou
« structurel » d’une variable qui est comparée au niveau réel pour estimer
la part de l’économie souterraine. Or, le calcul de ce niveau normal n’est
pas toujours évident et il est marqué par de nombreuses incertitudes.
Ainsi, dans le cas de l’approche fondée sur la demande d’électricité, on
peut noter que la relation entre le PIB et la consommation d’électricité
n’est pas stable et évolue en fonction des progrès techniques. De la même
façon, toutes les activités informelles ne demandent pas nécessairement
une quantité importante d’électricité, d’autant que d’autres sources
d’énergie peuvent être utilisées (pétrole…).
Ces incertitudes ont conduit les organismes en charge des
statistiques officielles et des comptes nationaux à manifester une
réticence certaine par rapport aux méthodes indirectes. Ainsi, les
statisticiens de plusieurs organismes publics internationaux ont estimé,
dans une déclaration commune de janvier 2006 que «
les méthodes
[fondées sur des modèles macroéconomiques] peuvent aboutir à des
résultats grossièrement exagérés, attirant l’attention de la classe
politique et des médias et obtenant ainsi une large publicité. Les normes
internationales relatives à la mesure de l’économie informelle rejettent
ces méthodes car elles souffrent de sérieux problèmes de fiabilité »
50
. De
fait, les standards internationaux excluent le recours à des méthodes
indirectes pour redresser les comptes nationaux.
Ces éléments doivent conduire à exclure les approches indirectes
pour procéder à une évaluation fiable de la fraude dans la mesure où
les hypothèses sur lesquelles elles reposent sont fragiles et
contestables. Il n’est donc pas possible d’y faire référence de la
même manière que pour des données tirées de la comptabilité
nationale ;
50) Déclaration de janvier 2006 du groupe de travail inter secrétariat sur la
comptabilité nationale, qui regroupe les experts de la Banque mondiale, d’Eurostat, du
FMI, de l’ONU et de l’OCDE. Les normes internationales auxquelles il est fait
référence renvoient au manuel SCN 93 (
System of national accounts,
1993), co-signé
par les organisations précitées.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
59
les modèles sur lesquels s’appuient ces approches sont
complexes à élaborer et nécessitent un travail important de
collecte de données et de calibrage.
II
-
Certains pays de l’OCDE sont plus avancés
que la France en matière de chiffrage
Lorsque l’on commence à explorer le sujet de la fraude, il est
frappant de constater que la plupart des études macroéconomiques sur ce
sujet portent sur des exemples étrangers. Il existe en effet une littérature
relativement importante, qui porte aussi bien sur l’évaluation de la fraude
que sur l’analyse du comportement des contribuables.
Pour la France, les travaux sont beaucoup plus rares et leur valeur
et leur portée scientifiques nettement plus disparates. L’évaluation
réalisée par l’INSEE ne concerne en effet qu’une partie du phénomène et
vise simplement à mesurer le redressement qu’il est nécessaire d’apporter
au PIB pour y intégrer la production dissimulée. D’autres évaluations
peuvent être trouvées dans des rapports parlementaires ou en provenance
d’autres sources, mais ils ne s’appuient généralement pas sur des travaux
statistiques rigoureux. Les travaux portant sur des données françaises et
concernant l’analyse du comportement des contribuables sont aussi
extrêmement rares.
La situation a cependant récemment sensiblement évolué dans la
sphère sociale du fait du lancement de travaux innovants à l’ACOSS.
A - Plusieurs administrations étrangères procèdent à un
chiffrage ou une évaluation de la fraude
Les travaux menés à l’étranger comportent généralement trois
sources : les études et recherches menées par les administrations fiscales
elles-mêmes, celles conduites par les instituts statistiques et enfin des
travaux universitaires de recherche.
Ces travaux peuvent être classés en deux grandes catégories : ceux
qui portent sur la mesure de la
compliance
ou de la fraude aux
prélèvements obligatoires
,
et ceux qui concernent davantage la mesure de
l’économie souterraine et des activités dissimulées.
60
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
1 -
Les études sur l’évaluation de la
compliance
et de la fraude
Plusieurs administrations fiscales des pays de l’OCDE ont lancé,
dans les années 1990, des études pour obtenir un chiffrage de la
compliance
dont font preuve les contribuables. Il s’agit donc de mesurer
le respect volontaire, par ceux-ci, de leurs obligations fiscales et donc,
corrélativement, d’évaluer la part de l’irrégularité et de la fraude.
L’objectif principal de ces études est de s’assurer de l’efficacité de la
stratégie mise en place pour lutter contre la
non-compliance
.
Un des programmes de recherche les plus importants menés sur ces
sujets a été lancé par l’administration fiscale américaine, l’
Internal
Revenue Service
(IRS), dès les années 1960 : le
Taxpayer compliance
measurement program
(TCMP). Ce programme utilise des données tirées
de contrôles choisis de façon aléatoire et donc non biaisées par le ciblage
réalisé par les services de contrôle. Il
a essentiellement concerné les
particuliers, même si certaines PME ont pu être incluses dans le champ
des contrôles aléatoires. Pour la première année, la taille de l’échantillon
était de 100 000 contribuables, puis 50 000 dans les années suivantes et
enfin 26 000 par an. Ce programme a depuis été remplacé par le
National
resarch program
, identique dans ses finalités mais moins lourd à gérer
pour l’IRS.
Les résultats tirés de ces recherches ont permis ensuite de stimuler
la recherche universitaire sur ces sujets et en particulier autour de
l’analyse du comportement du contribuable et des ressorts de la
non-
compliance
. Ainsi, l’IRS utilise les données tirées de ces analyses non
seulement pour estimer le
tax gap
, c’est-à-dire l’écart entre le produit
théorique des impôts et le montant effectivement collecté, mais aussi pour
détecter certains problèmes particuliers de fraude, mettre au point son
programme de contrôles et allouer ses ressources budgétaires. L’IRS va
même jusqu’à considérer que «
la mesure de la compliance s’apparente à
la mesure du résultat net pour une entreprise privée. Les deux notions
constituent l’évaluation finale de leur efficacité
51
».
Plusieurs Etats, à la suite des travaux de l’IRS, se sont engagés
dans la même voie et procèdent à une estimation régulière du
tax gap
et
communiquent ensuite autour des résultats. Ces estimations sont parfois
réalisées par les administrations fiscales elles-mêmes : c’est le cas au
niveau fédéral aux Etats-Unis mais aussi au niveau de plusieurs Etats
fédérés pour les taxes locales (Californie, Idaho, Minnesota), au
Royaume-Uni, en Suède. Dans d’autres cas, l’estimation de la fraude ou
51) R. Brown, Mark MAZUR,
IRS’s comprehensive approach to compliance
measurement
, Internal revenue service, Juin 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
61
du
tax gap
est issue de travaux universitaires, comme par exemple au
Canada, en Nouvelle-Zélande, aux Philippines ou encore au Brésil
52
.
Au Canada, l’Agence du revenu, sans procéder à une estimation
globale de la fraude, mène une politique de recherche et d’expertise très
active sur l’inobservation des règles fiscales et la fraude. Par exemple,
elle a mis en place un programme de vérifications aléatoires qui lui
permet de mesurer la qualité du ciblage que ses équipes réalisent.
Récemment, plusieurs Etats européens ont mis en place des
mesures spécifiques de l’écart TVA (cf.
supra
) afin d’avoir une idée de
l’ampleur des phénomènes pressentis en matière de fraude à la TVA, en
particulier le Royaume-Uni
53
ou l’Allemagne, où le calcul de l’écart a été
réalisé pour les années récentes par un institut économique privé
54
. De
même, depuis 2004, l’Italie fournit une estimation du montant de la
fraude à la TVA. En France, l’INSEE procède certes au calcul de cet écart
mais uniquement tous les cinq ans dans le cadre du calibrage de la base
des comptes nationaux et cette mesure ne fait pas l’objet d’une analyse
particulière de la part de l’administration fiscale.
Le Royaume-Uni est d’ailleurs particulièrement dynamique en
matière d’évaluation de la fraude et de l’irrégularité puisqu’en plus du
calcul de l’écart TVA, l’administration britannique - le HMRC (
Her
Majesty’s Revenue and Customs)
- a aussi mis en place un suivi du niveau
de la
non compliance
, en matière de crédits d’impôt en faveur des
familles, en matière d’accises sur les alcools et les tabacs ainsi qu’un
calcul de la fraude imputable aux carrousels de TVA
55
. Ces évaluations
constituent un des indicateurs pour apprécier l’efficacité de l’action de
l’administration fiscale britannique.
Il faut cependant souligner que la majorité des Etats européens ne
procèdent pas à une évaluation de la fraude aux prélèvements
obligatoires. Cette situation a d’ailleurs conduit la Commission
européenne à lancer, en mai 2006, une étude pour quantifier la fraude au
sein des Etats de l’Union européenne.
52) Voir la liste qui figure en annexe de l’article de J. McMANUS et N. WARREN,
The case for measuring tax gap
, Journal of tax research
,
Vol. 4, n°1, Août 2006
53) HMRC
, Measuring indirect tax losses - 2005
, Décembre 2005.
54) C
an new models of value added taxation stop the VAT revenue shortfalls ?
, IFO,
2003.
55) HMRC – Analysis team,
Child and working tax credits – Error and fraud
statistics 2003-04
, 2006.
62
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
2 -
Les études sur l’économie souterraine et les activités
dissimulées
Au-delà de la seule mesure du
tax gap
, il existe de nombreux
travaux qui visent à évaluer, plus globalement, la part de l’économie
souterraine
dans
les
économies
de
l’OCDE.
Ces
travaux
sont
généralement menés par les instituts statistiques des pays concernés, à
quelques exceptions près, comme l’étude de l’administration fiscale
suédoise déjà citée sur le travail dissimulé
56
.
En effet, l’estimation de l’économie souterraine ou dissimulée peut
s’intégrer dans le cadre du redressement de l’évaluation de la production
dans les comptes nationaux même si, comme on l’a vu dans le cas de
l’INSEE, ces redressements ne débouchent pas nécessairement sur une
vision exhaustive du phénomène.
Suite à une enquête lancée par les Nations-Unies auprès des pays
européens, 29 Etats ont répondu sur leurs méthodes d’estimation de
l’économie souterraine
57
. La France n’a pas répondu à cette enquête.
Il ressort de cette étude que les méthodes utilisées pour procéder à
cette estimation s’apparentent généralement à des méthodes directes et les
instituts statistiques s’appuient généralement sur des recoupements entre
différentes sources statistiques. Certaines méthodes originales ont été
développées, notamment par l’Italie (cf. encadré suivant).
56) Skatteverkett (Agence fiscale suèdoise),
Purchasing and performing undeclared
work in Seweden
, op. cit.
57) United Nations economic commission for Europe,
Non observed economy in
national accounts – survey of national practices
, 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
63
Encadré n°1 : la méthodologie développée par l’ISTAT en Italie
En Italie, l’institut national de la statistique (ISTAT) a élaboré, dans les
années 1990, une méthode indirecte d’évaluation de l’économie souterraine
mêlant l’utilisation des agrégats économiques et des enquêtes spécialisées. Pour
élaborer cette méthode, que l’organisme statistique EUROSTAT a qualifiée de
«
bonne pratique méritant une attention particulière
», l’ISTAT est parti du
principe que lorsqu’elles sont interrogées par des enquêteurs, fussent-ils
indépendant des corps de contrôle, les entreprises ne déclarent que les employés
en règle, alors que les travailleurs salariés sont moins réticents à déclarer leurs
revenus professionnels, même illicites.
En utilisant les données déclaratives officielles des entreprises et celles
issues d’enquêtes à destination des ménages (dont le recensement), le
paramétrage du modèle est complété à partir d’enquêtes administratives diverses
relatives à l’agriculture, la sécurité sociale ou sur les demandes de permis de
séjour. Bien qu’elle se fonde sur des enquêtes, cette méthode est bien indirecte
car elle ne se fonde pas directement sur une extrapolation de données relatives
aux contrôles ou aux irrégularités.
La méthode italienne offre de nombreux aspects très séduisants et à peu
près inédits dans le cadre des méthodes indirectes. A la différence des méthodes
indirectes classiques, elle fournit des estimations par secteur et par échelon
territorial. L’ISTAT publie ainsi régulièrement le nombre officiel de travailleurs
au noir, exprimé en unités de travail à temps plein (ULA).
Cette méthode assez pointue a toutefois été contestée en Italie même.
L’hypothèse
selon
laquelle
les
travailleurs
déclareraient
spontanément
l’intégralité de leurs revenus est apparue fragile (ce que l’ISTAT a en partie
reconnu) et les situations d’irrégularité partielle (sous-déclaration) seraient
imparfaitement prises en compte. Enfin, comme toute méthode indirecte, celle de
l’ISTAT ne permettrait pas une description qualitative du phénomène mesuré. Au
final, la méthode de l’ISTAT ne peut être considérée comme un instrument
miracle ou définitif, mais constitue malgré tout un des exemples les plus
convaincants en matière de mesure du phénomène.
B - Les évaluations disponibles pour la France sont
assez disparates
1 -
L’estimation de la fraude aux prélèvements obligatoires
Deux rapports parlementaires ont été consacrés au thème de la
fraude à la fin des années 1990
58
. L’un d’entre eux, le rapport Courson,
58) Il s’agit du rapport sur les fraudes et pratiques abusives de MM. Gérard
LEONARD et Charles de COURSON (avril 1996) et du rapport sur la fraude et
l’évasion fiscale de M. Jean-Pierre BRARD (rapport n°1105, octobre 1998).
64
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
fournit des estimations de la fraude sur les prélèvements obligatoires qui
sont présentées dans le tableau suivant. Ces estimations s’appuient sur des
méthodes assez disparates et plus ou moins rigoureuses sur le plan
statistique.
Tableau n°
10. – Total des fraudes aux prélèvements obligatoires estimées par le rapport
Courson pour l’année 1994
I – Partie recettes
Recettes
Montant
total des
recettes
perçues en
1994
(en MdF)
Montant de
la fraude
constatée et
redressée
(en MdF)
Fraude
et abus
en %
des
recettes
Montant
estimé de la
fraude et des
abus
(en MdF)
Fraude et abus
estimés en %
des recettes
perçus ou des
cotisations
liquidées
Redevance
audiovisuelle
9,4
0,28
(6)
2,9
1,0
10,6
Impôt sur les
sociétés hors
restitutions
113,3
4,7
(2)
4,2
(2)
8,2
(10)
7,3
(10) (12)
TVA nette
540,5
3,7
(2)
0,6
(2)
32,43
6
(14)
Impôt sur le
revenu
295,6
5,7
(2)
2
(2)
15,0
5
(13)
ISF
8,6
0,3
(4)
3,6
(7)
0,31
(8)
3,6
(8)
Contributions
chômage et
FNGS
59
155,7
0
0
1,9
1,2
Recettes des
URSSAF sur
les cotisations
sociales et en
attribution de
tiers
917
2,6
(1)
0,3
(1)
7,0
0,76
Total
2040,1
17,1
65,9
3,2
Travail illégal
3263
(3)
0,16
(5)
0,1
(5)
De 100 à
160
(11)
De 3 à 5
(11)
Au total, le rapport Courson avait estimé la fraude aux
prélèvements obligatoires dans une fourchette comprise entre 25,3 et
34,5 Md€ pour l’année 1994.
59) Fonds national de garantie des salaires.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
65
De son côté, le rapport BRARD ne donne pas d’estimation globale
concernant la fraude, le rapporteur ayant considéré que les méthodes
disponibles n’étaient pas suffisamment fiables pour fournir une
évaluation incontestable.
Les syndicats des personnels des administrations fiscales procèdent
également à leur propre évaluation de la seule fraude fiscale. Le syndicat
national unifié des impôts (SNUI) procède ainsi à une évaluation de la
fraude fiscale depuis plusieurs années. Selon ses analyses, la fraude
fiscale serait passée de 29,7 Md€ en 1992 à « un niveau compris entre
42 et 51 Md€ pour la période 2004-2005
60
». Cette estimation s’appuie
sur l’agrégation de différents travaux : extrapolation des résultats du
contrôle fiscal et utilisation des données fournies par la commission
européenne sur la TVA.
Certains travaux ont également été menés par des chercheurs et des
universitaires sur ce thème. Ainsi, des chercheurs du Centre de recherches
sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) évaluent à
24,6 milliards d’euros par an les pertes de recettes liées à la fraude fiscale
pour la période 1988 à 1991, à raison de 15,7 milliards pour les
impositions des revenus, 2,7 milliards pour les patrimoines et
6,2 milliards d’euros pour la taxation de la consommation. Ces
estimations sont fondées sur l’exploitation des données du contrôle
fiscal
61
.
2 -
L’estimation de l’économie souterraine
Le rapport COURSON, paru en avril 1996 note que « globalement,
la part de l’économie souterraine peut être évaluée, de manière
concordante par différentes méthodes, à une proportion de 3 à 5% du PIB,
soit 220 à 360 milliards de francs [33,5 à 54,9 Md€] en 1994 ». Pour
autant, aucun détail ni aucune explication ne sont fournis quant à l’origine
de ces chiffres, qui apparaissent assez proches de l’estimation fournie par
l’INSEE, et leur méthode de calcul. Le rapport parlementaire de
M. BRARD de 1998 se contente de reprendre ces chiffres sans chercher à
les valider ou les actualiser.
60) Contribution écrite communiquée par le SNUI dans le cadre des travaux du
Conseil des prélèvements obligatoires, juillet 2006.
61) Thierry GODEFROY et Bernard LAFARGE,
Les coûts du crime en France –
estimation monétaire des criminalités – données pour 1988 à 1991
, 1995.
66
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Les
évaluations
et
estimations
disponibles
de
l’économie
informelle, dans son ensemble, proviennent de travaux universitaires.
L’étude de référence sur ce thème est le document de travail du FMI cité
précédemment qui présente les résultats obtenus par différentes méthodes
(demande d’électricité, demande de monnaie…)
62
.
D’après ces études, la France se situe dans une position assez
proche de celle de pays européens comparables, l’Allemagne et la
Grande-Bretagne. La part de l’économie informelle en France apparaît
également plutôt inférieure à la moyenne des Etats de l’OCDE et
sensiblement plus faible que dans les Etats du sud de l’Europe (Espagne
et Italie)
63
.
Il convient cependant de rappeler les importantes incertitudes
méthodologiques qui entourent l’utilisation des méthodes indirectes.
Ainsi, malgré le recours à des méthodes proches, l’écart entre les résultats
des différentes études est très important et atteint, pour la France, une
amplitude de 4 points de PIB, soit environ 70 Md€, ce qui confirme que
les méthodes indirectes ne sont pas fiables et ne peuvent pas fournir des
évaluations
robustes
des
phénomènes
de
fraude
et
d’économie
souterraine.
C - De nouvelles initiatives ont cependant été lancées
dans la sphère sociale
Les travaux disponibles pour la France concernant la mesure de
l’irrégularité et de la fraude ou de l’économie souterraine sont donc
d’origine très variable et apparaissent méthodologiquement assez fragiles.
Cette situation est cependant en train d’évoluer dans la sphère
sociale suite au lancement de travaux assez prometteurs notamment sur le
travail dissimulé.
62) IMF Working papers,
Shadow economies around the world: size, causes and
consequences
, op. cit.
63) Le niveau français est également sans comparaison avec les taux calculés pour les
pays en voie de développement (de l’ordre de 40 %) ou les pays dits en transition
(entre 20 et 25 % du PIB).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
67
1 -
L’ACOSS a lancé depuis 2004 des travaux d’estimation
concernant le travail dissimulé
L’ACOSS a réalisé, en 2004, une opération spécifique de contrôle
destinée à permettre une évaluation du travail dissimulé dans le secteur
« Hôtels Cafés Restaurants » (HCR). Ces contrôles ont été réalisés, dans
trois zones touristiques (littoral méditerranéen et atlantique) auprès
d’environ 1 500 établissements et ont donné lieu à l’audition de
4 000 salariés.
L’étude s’est fondée sur une méthode directe d’estimation.
Cependant, l’originalité de la démarche de l’ACOSS est que, pour
neutraliser le biais lié au ciblage des contrôles (cf.
supra
), le choix des
entreprises contrôlées a été réalisé de façon aléatoire.
L’analyse des résultats fait apparaître une part non négligeable
d’infractions puisqu’une absence de déclaration unique d’embauche
(DUE) a été constatée pour 10 à 15 % des salariés auditionnés et concerne
20 à 25 % des établissements visités
64
.
Le recours à un tirage aléatoire des établissements contrôlés
constitue une nouveauté dans les travaux français sur l’évaluation de la
fraude et permet d’envisager d’obtenir des résultats statistiquement
fiables concernant l’estimation du phénomène, à condition que le champ
de l’étude soit élargi à d’autres secteurs et que les contrôles aléatoires
programmés soient effectivement réalisés.
2 -
Les études de l’ACOSS devraient se poursuivre dans les
prochaines années mais sans être complétées par une analyse dans
la sphère fiscale
La nouvelle convention d’objectifs et de gestion signée entre
l’ACOSS et l’Etat pour la période 2006-2009 fait de l’évaluation de
l’assiette dissimulée une priorité, de même que la poursuite des travaux
sur l’impact indirect des opérations de contrôle et sur le comportement
des cotisants. Ceci devrait permettre de donner une appréciation sur
l’étendue des phénomènes de fraude, d’approfondir la connaissance du
réseau des URSSAF sur ces sujets et de définir les réponses les plus
adaptées pour endiguer les comportements frauduleux.
64) Les résultats de l’étude sont présentés dans le rapport
Lutte contre le travail
illégal – Bilan 2004
, ACOSS – Direction de la réglementation, du recouvrement et du
service (DIRRES), septembre 2005.
68
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
En
revanche,
du
côté
de
l’administration
fiscale,
aucune
perspective ne se dessine concernant le lancement de travaux devant
déboucher sur une évaluation de la fraude.
III
-
L’application d’une méthode directe
simplifiée aux données de contrôle conduit à une
fourchette d’irrégularité et de fraude comprise
entre 29 et 40 Md€
Afin de participer au débat concernant l’évaluation de la fraude
aux prélèvements obligatoires en France, le présent rapport propose sa
propre estimation de l’irrégularité et de la fraude fondée sur une méthode
statistique directe mise en oeuvre au cours de l’année 2006 à partir des
données des contrôles de la DGI et du réseau des URSSAF.
La méthode utilisée est une méthode simplifiée et ce premier
résultat doit donc être analysé avec beaucoup de précautions. Cette
méthode était la seule envisageable, compte tenu du format habituel des
travaux du conseil des prélèvements obligatoires, étant entendu qu’un tel
travail mériterait d’y affecter des équipes entières de recherche pendant
plusieurs années.
Le résultat fourni ici n’est donc qu’une première estimation qui ne
demande qu’à être affinée et même contestée par des travaux ultérieurs
d’ampleur plus importante.
A - La méthode utilisée est une méthode simplifiée qui
présente des limites certaines
1 -
Une méthode directe fondée sur les résultats des contrôles de
la DGI et des URSSAF
65
On a vu que la principale difficulté concernant l’application des
méthodes d’estimation statistique de la fraude porte sur l’élimination du
biais induit par le ciblage des contrôles. Faute d’éliminer ce biais, on
risque de surestimer le niveau de la fraude lors de l’extrapolation des
résultats des contrôles.
La méthode mise en oeuvre pour parvenir au résultat présenté dans
ce rapport vise précisément à traiter un premier niveau de ciblage. Ce
premier niveau de ciblage concerne la taille des entreprises contrôlées et
leur secteur d’activité. Les services de contrôle, aussi bien fiscaux que
65) La méthode utilisée est présentée en détail dans l’annexe III de ce rapport.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
69
sociaux, savent depuis longtemps que certaines catégories d’entreprises
sont, plus que d’autres, susceptibles de frauder : le
risque
qu’elles
présentent est plus élevé que le « risque moyen » de l’ensemble des
entreprises.
Ce risque revêt deux aspects : d’une part, la probabilité que ce
risque se réalise, c’est à dire que le montant de cotisations qu’elles ont
liquidé soit à redresser, et, d’autre part, si redressement il y a, l’ampleur
de celui-ci. Le ciblage, dont l’objet est de recouvrer la plus grande part
possible des impôts et des cotisations éludés, doit donc prendre en compte
ces deux aspects.
La taille des entreprises est un critère central pour l’appréciation du
risque de fraude ou plus généralement de redressement. Ainsi, dans le
domaine de la fraude aux cotisations sociales, la probabilité qu’une
entreprise contrôlée soit redressée augmente fortement avec sa taille :
44 % chez les très petites entreprises (TPE), 72 % chez les PME et 88 %
chez les grandes entreprises (GE), (données du CCA de 2004).
Bien d’autres critères de risques existent, liés directement à la
structure de l’entreprise (secteur d’activité, structure du compte de
résultat ou de bilan, …), à la législation ou au contrôle lui-même
(probabilité d’être contrôlé, …). Quels qu’en soient les déterminants, le
ciblage conduit à un échantillon
non représentatif
d’entreprises
contrôlées. Il induit ainsi un biais dans une extrapolation globale à
l’ensemble des entreprises des redressements des entreprises contrôlées :
en statistique, on considère que le dispositif de contrôle ne constitue pas
un sondage aléatoire simple, mais un
sondage stratifié
.
On peut donc contourner cette difficulté en stratifiant l’univers des
entreprises en classes « homogènes », par exemple de taille et d’activité,
puis en appliquant une méthode d’extrapolation au sein de chacune de ces
« strates » d’entreprises. Par totalisation, on obtient alors une évaluation
plus précise de la fraude de l’ensemble des entreprises.
2 -
La méthode utilisée ne permet pas de réduire entièrement les
biais liés au ciblage des contrôles
Cette méthode présente plusieurs faiblesses et limites sur lesquelles
il est nécessaire d’insister. D’abord, compte tenu de la nature même des
données de contrôle, il a été nécessaire de réaliser des hypothèses
concernant les modalités de redressement. Par exemple, dans la mesure
où le contrôle porte généralement sur plusieurs années, il aurait fallu, en
première analyse, diviser le montant des redressements par le nombre
d’années contrôlées. Pour autant, une entreprise n’est pas nécessairement
fraudeuse sur l’ensemble d’une période et, de même, le contrôleur peut,
70
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
par manque de temps, n’exercer son contrôle que sur une partie des
années prévues. Il a donc été nécessaire de formuler des hypothèses sur la
répartition annuelle des contrôles.
La deuxième limite concerne la fragilité des chiffrages en matière
de travail dissimulé. En effet, le nombre de contrôles y est beaucoup plus
limité par rapport aux autres contrôles réalisés sur les cotisations sociales
(10 000 contre près de 120 000), ce qui limite d’autant le caractère
significatif de l’extrapolation. Dès lors, compte tenu de la faiblesse des
constatations dans ce domaine (cf.
infra
), il est probable que l’estimation
du rapport sous-estime les sommes de prélèvements éludées du fait des
activités dissimulées.
Enfin, et surtout, cette méthode ne permet pas d’éliminer un
deuxième niveau de ciblage pratiqué par les administrations en charge du
recouvrement et qui représente pourtant une part essentielle de la
programmation des contrôles. Ce niveau de ciblage, qui s’appuie
notamment sur des travaux économétriques (dans certaines URSSAF) ou
sur des critères d’analyse risque conduit à l’augmentation des taux de
redressement. Il existe des méthodes pour tenter de dépasser ce niveau de
ciblage et de supprimer le biais qu’il entraîne lors de l’extrapolation mais
il s’agit d’un travail de longue haleine qui ne pouvait pas être réalisé dans
les contraintes de temps et de moyens habituelles du Conseil des
prélèvements obligatoires.
B - Les montants d’irrégularités et de fraude ainsi
obtenus ne doivent pas être considérés comme une
« cagnotte »
Le montant global d’irrégularité et de fraude auquel on parvient au
terme de l’application de la méthode présentée plus haut est compris entre
29 et 40 Md€, soit entre 1,7 et 2,3 % du PIB. Cette estimation est
probablement une fourchette plutôt basse du niveau d’irrégularité et de
fraude dans notre pays.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
71
Tableau n°
11. – Evaluation de l’irrégularité et de la fraude par catégorie de prélèvements (en
Md€)
Prélèvements fiscaux
Prélèvements sociaux
Type de
prélèvement
TVA
IS
IR
Impôts
locaux
Autres Total
Travail
au noir
Hors
travail
au
noir
Total
Total PO
Montants
éludés
(en Md€)
7,3 à
12,4
4,6
4,3
1,9
2,4
20,5 à
25,6
6,2 à 12,4
2,2
8,4 à
14,6
28,9 à
40,2
Plusieurs précisions importantes doivent être apportées par rapport
à ce tableau. D’abord, il s’agit bien des montants de prélèvements éludés
et non pas d’une estimation de l’économie souterraine ou de l’activité
dissimulée.
De plus, par rapport aux définitions présentées dans l’introduction
de ce rapport, les résultats agrègent aussi bien les irrégularités que la
fraude
stricto sensu
. En effet, dans la mesure où il n’est pas possible de
bien délimiter ce qui appartient à chacune des deux catégories dans les
résultats des contrôles, il n’est pas davantage possible de les séparer dans
le cadre de l’extrapolation présentée dans le tableau précédent.
Enfin, et surtout, les montants présentés plus haut ne doivent pas
être considérés comme une « cagnotte » dont les pouvoirs publics
pourraient disposer grâce à un accroissement de l’effort de lutte contre la
fraude. Certes, on peut penser qu’une partie plus importante de ces
montants pourrait effectivement être récupérée grâce à une stratégie
adaptée de lutte contre la fraude. Tel est le sens des propositions qui
seront formulées à la fin de ce rapport.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’évaluation ainsi présentée
repose sur un raisonnement « toutes choses égales par ailleurs ». La
décision de certains agents économiques de s’intégrer dans un processus
de production est en effet conditionnée par la possibilité de le faire sans
acquitter les prélèvements. Si subitement, il ne devient plus possible de
frauder, l’activité de production dissimulée ne sera peut-être plus
effectuée et le montant de prélèvements « récupérables » en sera
fortement diminué.
Il faut donc se méfier de raisonnements trop simples qui mettraient
face à face le niveau de fraude et le niveau de déficit public et déduiraient
de l’évaluation de la fraude qu’il y a là un moyen « facile » ou en tout cas
atteignable de régler les problèmes de financement de l’Etat et des
organismes sociaux. Certes, la lutte contre la fraude doit permettre de
faire rentrer des recettes supplémentaires dans les caisses des organismes
72
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
publics mais elle ne sera pas suffisante pour ramener à des niveaux plus
soutenables les déficits publics. Ceci dépend en effet principalement de
l’écart entre le rythme d’augmentation des dépenses et celui des recettes,
sur lesquels la fraude ne joue pas en dynamique.
C - Des travaux supplémentaires seront nécessaires
pour parvenir à une évaluation plus fiable
Comme on l’a vu, la méthode présentée dans ce rapport est
affectée de limites sérieuses et ne constitue qu’une première tentative
pour parvenir à une estimation du niveau de fraude et d’irrégularité sur
les prélèvements obligatoires en France. L’objectif est que cette méthode
soit analysée, critiquée et améliorée par d’autres travaux, comme
l’ACOSS le fait actuellement et comme il est souhaitable que d’autres
organismes publics et d’autres chercheurs le fassent.
Le problème principal de la méthode du présent rapport est lié à la
difficulté d’éliminer le biais issu du ciblage des contrôles. Cette question
est extrêmement complexe mais elle n’est pas pour autant indépassable.
Deux options sont en effet possibles, si l’on se réfère aux méthodes
statistiques habituelles. La première option consiste à réaliser une partie
du ciblage de façon entièrement aléatoire puis à procéder à des
extrapolations à partir des irrégularités et fraudes constatées. Cette
méthode, qui est celle retenue par l’ACOSS pour son évaluation du
travail dissimulé, a pour inconvénient d’être relativement lourde à mettre
en oeuvre et de mobiliser des moyens importants des services de contrôle.
Elle a néanmoins le grand avantage d’éliminer entièrement toute forme de
biais et donc de fournir une évaluation extrêmement fiable.
Une autre option consiste, à partir des données de contrôles
existantes, à chercher à éliminer les biais de ciblage par le recours aux
techniques statistiques habituelles de sondage non aléatoire.
Cette
méthode est néanmoins complexe car elle suppose de déterminer, par des
méthodes appropriées, les plans de sondage implicites qui ont conduit au
choix des cibles de contrôles.
Quelle que soit la méthode retenue, il apparaît cependant important
que le premier essai tenté dans ce rapport soit prolongé et poursuivi, de
façon à aboutir à des travaux plus fiables et plus robustes sur l’évaluation
de la fraude aux prélèvements obligatoires en France.
Chapitre IV- Le système de
prélèvements obligatoires français est
confronté au développement de certains
types de fraude liés aux évolutions
économiques et technologiques
Au-delà de l’estimation de la fraude présentée dans le chapitre
précédent, il convient également de s’interroger sur la nature même de la
fraude et sur son évolution. En effet, la fraude est un phénomène en
constante évolution, du fait à la fois des nouvelles opportunités
qu’ouvrent les mutations économiques et technologiques mais aussi de la
dialectique permanente entre les fraudeurs et les services en charge de les
poursuivre. Ainsi, les services de contrôle s’adaptent aux nouveaux
procédés que peuvent mettre en oeuvre les fraudeurs qui, en retour, vont
chercher de nouvelles voies pour tenter d’échapper à leurs obligations
fiscales et sociales.
Trois tendances importantes en matière de fraude vont être plus
particulièrement
détaillées :
l’importance
du
travail
dissimulé,
l’accroissement de l’aspect international des mécanismes de fraude et
enfin la découverte de nouveaux vecteurs de fraude grâce aux évolutions
technologiques.
74
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Il existe une dernière tendance forte, mais qui concerne plus
directement l’irrégularité que la fraude et qui touche les prélèvements
obligatoires : la complexité croissante des règles applicables en matière
de prélèvements obligatoires. Cette complexité génère non seulement de
nombreuses irrégularités de la part des contribuables mais elle peut aussi
être un facteur de facilitation de la fraude, dans la mesure où celle-ci peut
s’appuyer sur certains dispositifs complexes, comme par exemple les
mesures dérogatoires. Les exemples de cette complexité ne manquent pas
et ont été très largement pointés par le Conseil d’Etat dans son rapport
public de 2006, consacré à la sécurité juridique et à la complexité du
droit. A titre d’exemple, on peut noter la multiplication des dispositifs
d’exonération de charges sociales dont le nombre est passé de 39 au début
2005 à 43, fin 2006. Dans la mesure où il s’agit d’un sujet qui dépasse le
seul cadre de la fraude, la question de la complexité ne sera pas traitée en
tant que telle dans les développements suivants même s’il faut garder à
l’esprit son caractère propice à générer l’irrégularité et la fraude.
En eux-mêmes, les trois phénomènes mentionnés plus haut n’ont
rien de véritablement nouveau. La dissimulation d’activité est un
mécanisme très ancien de même que la tentation de se protéger de
l’administration fiscale en dehors des frontières nationales. Il apparaît
cependant que ces vecteurs de fraude s’inscrivent dans des tendances
lourdes des économies de l’OCDE et qu’on peut donc penser qu’ils
tendent à se renforcer au fur et à mesure que l’économie française devient
de plus en plus ouverte, que la part des services s’accroît et que
l’économie se dématérialise de plus en plus, grâce aux technologies de
l’information et de la communication.
Au demeurant, ces tendances ne sont pas indépendantes les unes
par rapport aux autres. Au contraire, elles se complètent et se renforcent.
Ainsi, l’ouverture des frontières facilite l’arrivée en France de personnes
à la recherche d’un emploi qui constituent un vivier, souvent contre leur
gré, pour le recours au travail dissimulé. De même, le développement de
l’informatique permet aujourd’hui de virer instantanément des fonds à
n’importe quel endroit de la planète, sans que les administrations fiscales
ou sociales ne soient ensuite toujours à même de reconstituer précisément
ces flux.
Faute d’études ou d’évaluations disponibles sur le cas français, il
est évident que le choix de ces trois tendances peut paraître un peu rapide
ou arbitraire. Néanmoins, l’analyse de la documentation existante et les
rencontres avec de nombreux acteurs en charge de la lutte contre la fraude
semblent valider les tendances qui vont être présentées ci-dessous.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
75
Ces tendances en matière de fraude ont une caractéristique
commune : elles sont de plus en plus difficiles à appréhender et à
contrôler par les administrations en charge du recouvrement, en tout cas
avec leurs moyens d’actions actuels. En effet, elles ont chacune pour
conséquence de placer une partie de l’activité et des bases imposables
hors de portée des services de contrôle car les administrations ont peu de
moyens de connaître ce qui n’est pas déclaré, ce qui se passe au-delà des
frontières nationales ou encore les nouveaux réseaux numériques.
C’est pourquoi, après avoir étudié ces tendances de fraude, la
deuxième partie du rapport sera consacrée à l’adéquation des moyens et
des méthodes de contrôle à ces nouvelles menaces.
I
-
Le développement du travail dissimulé est la
conséquence du passage à une économie de
services
Les économies de l’OCDE sont devenues, depuis plusieurs
décennies, des économies de services. En 2005, le secteur des services
représentait près de 76 % de l’emploi total et environ 80 % de la valeur
ajoutée. Or, dans le secteur des services, le travail est par définition le
principal facteur de coût. C’est d’autant plus vrai qu’au-delà du seul
salaire, notre système de protection sociale repose encore très largement
sur un financement assis sur le travail, les cotisations sociales. Le
développement des exonérations de cotisations sociales depuis 1993 ne
remet que partiellement en cause ce constat. Certes, les cotisations de
Sécurité sociale ne représentent plus que 4,3 % du salaire au niveau du
SMIC, grâce aux allègements récents, mais il faut également y ajouter les
cotisations au titre des régimes complémentaires de retraite et de
l’assurance-chômage, soit pratiquement 20 points supplémentaires.
Conformément à l’analyse des ressorts de la fraude présentée plus
haut, il ne faut donc pas s’étonner que le développement du travail
dissimulé soit une tendance lourde de fraude détectée par les services de
contrôle. Ainsi, il s’inscrit dans une mutation profonde de nos économies
tout en revenant à une des techniques les plus simples et les plus
anciennes de fraude : la dissimulation d’activité. Celle-ci permet non
seulement d’éluder les prélèvements sur le travail mais aussi tous ceux
qui pèsent sur l’activité des entreprises (TVA, impôt sur les sociétés…).
76
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Un autre phénomène contribue à faciliter le développement du
travail dissimulé : l’universalisation de la protection sociale. En effet, à
partir du moment où la nécessité d’avoir un emploi pour bénéficier de la
protection sociale s’atténue, on peut penser qu’un salarié va être plus
enclin à accepter de travailler sans être déclaré.
Au-delà du manque à gagner qu’il génère pour les caisses de l’Etat
et de la Sécurité sociale, le travail dissimulé a deux autres conséquences
négatives qui rendent son développement particulièrement préoccupant.
D’abord, il génère des distorsions de concurrence importantes au
détriment des entreprises qui s’acquittent normalement de leurs
obligations fiscales. En effet, faute de payer les prélèvements qui leur
incombent, les entreprises dont l’activité est en tout ou partie dissimulée
peuvent offrir des prix nettement inférieurs à ceux de leurs concurrents et
gagner ainsi indûment des parts de marché. Le travail dissimulé vient
donc fausser le libre jeu du marché en permettant une concurrence
déloyale au profit des opérateurs qui adoptent des comportements
frauduleux.
Surtout, le travail dissimulé présente dans de nombreux cas des
risques, parfois très élevés, pour les salariés qui sont employés de cette
façon. Les employeurs qui ont recours au travail dissimulé sont
généralement peu préoccupés des règles en matière d’hygiène, de sécurité
et de conditions de travail, avec parfois un véritable danger pour
l’intégrité physique des salariés. Dans les cas les plus graves, le travail
dissimulé trouve son origine dans les filières de fraude les plus
crapuleuses et s’apparente quasiment à de nouvelles formes d’esclavage -
surtout lorsque s’y trouvent mêlées des personnes étrangères en situation
irrégulière - dont les moyens de défense et de recours sont extrêmement
limités.
A - Le travail dissimulé est une forme de fraude aux
prélèvements obligatoires
Le travail dissimulé n’est pas en soi une fraude à la législation
relative aux prélèvements obligatoires, à l’exclusion de celle concernant
le salarié employé illégalement qui ne va pas déclarer ses revenus. Sa
définition, comme sa sanction, s’insèrent dans un dispositif législatif qui
ne relève ni du code pénal ni du code de la sécurité sociale, mais du code
du travail.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
77
1 -
Le travail dissimulé est une des formes du travail illégal
C’est la loi n°97-210 du 11 mars 1997 relative au renforcement de
la lutte contre le travail illégal qui a établi la terminologie actuelle et
précisé les différentes notions. Le terme de travail clandestin, dont la
connotation était ambiguë
66
, a été remplacé par celui de
travail
dissimulé
, tandis qu’un nouveau concept plus général était introduit :
celui de
travail illégal
.
Encadré n°2 : la définition du travail dissimulé dans le code du travail
Selon les termes de l’article L.324-10 du code du travail, deux formes de
travail dissimulé sont distinguées selon que le travailleur est indépendant ou
salarié. Est ainsi réputé «
travail dissimulé par dissimulation d'activité
l'exercice
à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de
prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute
personne physique ou morale qui, se soustrayant intentionnellement à ses
obligations :
- n'a pas requis son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les
départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des
entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est
obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou
postérieurement à une radiation ;
- ou n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de
protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions
législatives et réglementaires en vigueur.
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié
le fait,
pour tout employeur, de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de
l'une des formalités prévues aux articles L. 143-3 et L. 320
(NDR : ces articles
renvoient respectivement à l’obligation de délivrer un bulletin de salaire et à la
déclaration préalable à l’embauche)
. La mention sur le bulletin de paie d'un
nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué constitue, si cette
mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord conclu en application du
chapitre II du titre Ier du livre II du présent code, une dissimulation d'emploi
salarié.
»
66) En particulier le terme clandestin pouvait laisser entendre qu’il incluait l’emploi
d’étrangers sans titre, constitutif d’une infraction spécifique.
78
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’article L.325-1 du code du travail définit le travail illégal comme
l’ensemble des six infractions suivantes : le travail dissimulé, l’emploi
d’étrangers sans titres de travail, le prêt illicite de main d’oeuvre, le
marchandage, la fraude aux revenus de remplacement, le cumul
d’activités.
Le travail dissimulé n’est ainsi qu’un des aspects du travail illégal.
Il ne faut toutefois pas s’y tromper, car l’attractivité juridique de la notion
est forte et le travail dissimulé représente l’essentiel des infractions
relatives au travail illégal, comme le montre le tableau suivant.
Tableau n°
12. - Condamnations pour travail illégal en 2004
Travail
dissimulé
Fraude aux
ASSEDIC
Emploi
d’étrangers
sans titre
Prêt de
main
d’oeuvre
Cumul
d’emplois
TOTAL*
4 376
308
188
156
6
5 034
Source : Casier judiciaire national, Ministère de la Justice, in ACOSS,
Lutte
contre le travail illégal, Bilan 2005.
* Il faudrait ajouter à ce chiffre les 271 condamnations pour exercice illégal
du métier de transporteur routier.
Le
travail
dissimulé
représente
ainsi
plus
de
85 %
des
condamnations pour travail illégal : malgré les différences juridiques
entre les deux notions, le travail illégal se ramène souvent à du travail
dissimulé. Surtout, le travail dissimulé représente la seule infraction de
travail
illégal
qui
constitue
directement
un
préjudice
pour
les
prélèvements obligatoires (la fraude aux revenus de remplacement est une
fraude aux prestations) et peut donc également donner lieu à une mise en
recouvrement par les organismes de protection sociale.
Si le travail dissimulé est défini par l’article L.324-10 du code du
travail, son interdiction résulte des dispositions de l’article L.324-9 :
« Le
travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les
conditions prévues par l'article L. 324-10, est interdit
».
Le travail dissimulé est, par ailleurs, une fraude au sens du code pénal,
c’est-à-dire «
un acte de mauvaise foi accompli dans le but de préjudicier
des droits que l’on doit respecter
»
67
. Il se matérialise d’abord par le non-
respect de certaines obligations déclaratives de la part de l’employeur
(obligation d’immatriculation et de déclaration d’activité, déclaration
préalable à l’embauche, émission d’un bulletin de paie présentant
certaines mentions obligatoires…).
67) C
ORNU
Gérard, Vocabulaire juridique.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
79
2 -
Les manquements aux obligations déclaratives ne suffisent
cependant pas à caractériser le travail dissimulé.
C’est donc l’élément intentionnel qui différencie le travail
dissimulé d’une simple contravention pour omission, comme le précisent
les dispositions de l’article L.324-10 précité : il s’agit de se «
soustraire
intentionnellement
». Or, cet élément fondamental, qui emporte le
caractère frauduleux, doit être prouvé car il ne saurait être présumé, ce
qui est à l’origine de difficultés persistantes dans les poursuites pénales.
Le travail dissimulé, comme la plupart des infractions relatives au
droit des cotisations sociales, est un délit de l’employeur ou du travailleur
indépendant, mais ne peut pas être imputé au salarié. Celui-ci est
considéré par le droit français du travail comme une victime de la fraude,
qui le prive de protection sociale et il ne peut donc être poursuivi à ce
titre.
Encadré n°3 : Le lien entre travail dissimulé et fraude aux prestations sociales
Si le travail dissimulé est une infraction imputable à l’employeur, il n’est pas
toujours le seul à intervenir dans la décision ; le coût du travail n’est pas seulement
élevé pour l’employeur. Un certain nombre de prestations sont versées sous condition
de ressources : on en perd au moins partiellement le bénéfice lorsque les revenus
dépassent un certain niveau bien inférieur au SMIC. Un salaire déclaré peut donc
signifier la perte des minima sociaux ou des revenus de remplacement pour des
personnes dont la situation financière est parfois très précaire.
Ce phénomène est qualifié par les économistes de trappe à inactivité. Pour
certains auteurs (Vallée, 2000
68
), ces trappes à inactivité étaient particulièrement
élevées en France jusqu’au début des années 2000 car le taux marginal d’imposition –
c’est-à-dire la part des revenus supplémentaires prélevés par l’Etat et le système de
protection sociale – pouvait être proche de 100 % pour les bénéficiaires de minima
sociaux (du fait de la perte de ces revenus).
Pour combattre ces effets de trappe, des mécanismes ont été mis en place qui
en
limitent
les
effets :
possibilité
de
cumuler
provisoirement
revenus
de
remplacements et revenus d’activité (c’est le cas du RMI) ou création de revenus
incitatifs à la reprise de l’activité (primes pour l’emploi). Ces mécanismes ne sont
pourtant pas sans défaut (cf. rapport de la Cour des comptes sur la prime pour
l’emploi
69
) et les effets de trappe n’ont pas été supprimés.
Ces trappes sont donc des incitations fortes à ne pas déclarer son activité. Il y
a dans ces cas-là une fraude de l’employeur (travail dissimulé) et une fraude du
travailleur (fraude aux revenus de remplacement) toutes deux constitutives de travail
illégal. Cet exemple, qui se retrouve notamment dans le secteur des services à la
personne et contraint les résultats du chèque-emploi-service universel (CESU, cf.
infra
), montre combien les relations entre fraude aux prélèvements et fraude aux
prestations sont fortes dans le droit des prélèvements sociaux.
68) V
ALLEE
Annie, Les systèmes fiscaux, Seuil, Paris, 2000.
69) C
OUR DES
C
OMPTES
, Rapport sur la gestion de la prime pour l’emploi, septembre
2006.
80
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Cette vision du travailleur salarié comme victime du travail
dissimulé est vérifiée dans de nombreux cas. Néanmoins, il faut se garder
d’un certain angélisme sur ce sujet : le salarié peut lui-même trouver un
intérêt à la non-déclaration ou à la sous-déclaration de son activité.
B - Les mécanismes du travail dissimulé
Le délit de travail dissimulé est constitué dès lors qu’un travail est
effectué sans que l’ensemble des formalités déclaratives ait été accompli.
Il peut toutefois prendre des formes très variées de la plus simple à la plus
sophistiquée. Deux mécanismes utilisés de plus en plus fréquemment
retiennent en particulier l’attention : la fausse sous-traitance et la sous-
déclaration.
1 -
La fausse sous-traitance
a)
Définition et principe
Le terme de fausse sous-traitance, d’usage courant au sein des
services en charge de la lutte contre le travail dissimulé, n’a pas de
définition juridique précise et n’est pas mentionné dans le code du travail.
En pratique, il renvoie surtout à deux infractions constitutives de travail
illégal, le prêt illicite de main d’oeuvre et le marchandage, et qui
impliquent en général l’exercice ou le recours au travail dissimulé.
Pour un employeur, ne pas déclarer ses employés emporte un
certain nombre de risques financiers et pénaux qui contrebalancent les
avantages immédiats liés aux économies fiscales et sociales en cours. Il
peut toutefois diminuer ces risques en faisant porter la contrainte
financière sur un sous-traitant. La fausse sous-traitance intervient dès lors
que cette solution purement financière ne trouve pas sa contrepartie dans
la réalité de l’indépendance de l’équipe du sous-traitant vis-à-vis du
cocontractant.
b)
Pratique de la fausse sous-traitance
Sous sa forme la plus simple, la fausse sous-traitance fait intervenir
un faux travailleur indépendant qui a tous les attributs du salarié
(rémunération exclusive par un employeur, subordination à celui-ci), sans
bénéficier
des
garanties
du
salariat :
salaire
minimum,
durée
hebdomadaire du travail, repos compensateur, etc. Surtout, la fausse sous-
traitance permet de reporter le paiement des charges sociales sur le sous-
traitant : l’opération est donc financièrement intéressante pour le donneur
d’ordre.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
81
Pour échapper aux conséquences pénales du délit, les donneurs
d’ordre
donnent
à
leur
sous-traitant
toutes
les
apparences
de
l’indépendance. Ceux-ci sont ainsi inscrits au répertoire des métiers ou
bien au registre du commerce et affiliés aux organismes de protection
sociale des travailleurs indépendants. En ce sens, leur activité est bien
déclarée, mais pas sous la bonne qualification.
Dans un schéma plus élaboré, l’employeur peut faire appel à des
sous-traitants qui auront eux-mêmes des sous-traitants, et ainsi de suite
(c’est ce qu’on appelle la sous-traitance en cascade), jusqu’au dernier
maillon de la chaîne qui est soit un faux travailleur indépendant, soit une
entreprise ne déclarant pas ses salariés. Le montage juridique peut être
très complexe et faire intervenir jusqu’à une quinzaine de niveaux de
sous-traitants. A chaque étape, la satisfaction des obligations de moyens
incombant au donneur d’ordre permet à celui-ci de limiter les risques de
mise en cause pénale ou financière et complique d’autant la tâche des
services de contrôle. Le dernier échelon de sous-traitance est en général
constitué par une entreprise dite « éphémère », qui aura disparu bien
avant d’être identifiée comme l’employeur des salariés mal ou non
déclarés.
2 -
La sous-déclaration
a)
Le principe
La non-déclaration d’un employé est une opération risquée pour un
employeur : la présence d’un travailleur clandestin sur un chantier ou
dans
les
locaux
d’une
entreprise
est
difficilement
justifiable.
Réciproquement, les salariés risquent de perdre beaucoup s’ils ne sont pas
déclarés : le bénéfice de la plupart des prestations de sécurité sociale et du
chômage reste conditionné à l’occupation du statut de salarié. Une
« optimisation » convergente des intérêts des deux parties au détriment de
la collectivité peut alors être trouvée dans la sous-déclaration.
La sous-déclaration, ou déclaration partielle, consiste à ne pas
reporter volontairement sur les bulletins de salaire d’un travailleur une
partie des heures de travail que ce dernier a effectuées. Cette non-
déclaration se fait généralement en utilisant le paiement en espèces, mais
les employeurs ont parfois recours à des procédés plus élaborés :
paiement d’une partie de la rémunération sous forme d’indemnités, de
frais de déplacements ou d’avantages divers. Dans tous les cas, ces
transferts d’argent sont exonérés de cotisations sociales et d’impôt sur le
revenu.
82
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La sous-déclaration peut, dans certains cas, concerner les salariés
au lieu des heures de travail : certains d’entre eux sont déclarés alors que
les autres travaillent « au noir ». Ce procédé est plus dangereux que le
précédent (il y a des travailleurs dont la présence est difficile à justifier en
cas de contrôle) et moins intéressant vis-à-vis de la protection sociale (les
travailleurs non déclarés n’étant pas couverts). Elle permet toutefois de
conserver des apparences de respectabilité indispensables pour éviter les
contrôles et participer aux marchés publics. Les deux options ne sont
toutefois pas exclusives et des « panachages » sont fréquemment observés
par les services de contrôle.
b)
Les effets
La sous-déclaration permet de cumuler les avantages de l’emploi
régulier et les avantages financiers du travail clandestin. L’employé
bénéficie de la couverture sociale – en particulier de la couverture contre
les accidents du travail –, peut, si son salaire déclaré est inférieur à un
certain seuil, continuer à bénéficier des minima sociaux et ne subit pas
l’éventuelle stigmatisation sociale du travailleur au noir. En contrepartie,
il doit souvent travailler bien au-delà de la durée légale et ne bénéficie pas
toujours des droits conventionnels (repos compensateur, niveau de la
rémunération – au moins pour la partie non déclarée, etc.)
L’employeur, quant à lui, diminue considérablement le niveau de
ses charges sociales tout en conservant la respectabilité de celui qui
déclare ses salariés, espérant ainsi détourner l’attention des services de
contrôles. Surtout, il limite les risques de poursuites pénales en cas
d’accident du travail lorsque le salarié est effectivement déclaré.
La sous-déclaration est d’autant plus intéressante pour les
fraudeurs qu’elle est difficile à détecter et à prouver en l’absence de
références opposables (cf.
infra
troisième partie ) : un entrepreneur qui
prétend construire un pavillon avec deux ouvriers en une semaine ne
déclare probablement pas toutes les heures de tous ses employés.
C - Les secteurs concernés par le travail dissimulé
Connaître les situations susceptibles de faire naître les risques de
fraude est fondamental pour améliorer le ciblage opéré par les services de
lutte contre le travail dissimulé. Au-delà, c’est aussi le moyen de
comprendre qui fraude en France et donc d’apporter une réponse plus fine
et plus adaptée au développement du travail dissimulé (cf.
supra
, les
travaux sur la propension des firmes à frauder).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
83
Pour déterminer ce profil, deux caractéristiques de l’entreprise sont
examinées : sa taille et son secteur d’activité.
1 -
Les secteurs « traditionnels »
Certains secteurs de l’économie sont traditionnellement considérés
comme plus atteints par la pratique du travail dissimulé. Le plan national
de lutte contre le travail illégal 2004-2005 avait ainsi identifié quatre
secteurs prioritaires pour les services de contrôle :
l’agriculture
, le
BTP
,
le
spectacle
et les
hôtels-cafés-restaurants
(HCR).
Selon la Commission nationale de lutte contre le travail illégal,
«
on observe en effet
dans ces secteurs une fraude massive qui entraîne
des déséquilibres sur le marché du travail, des distorsions de
concurrence inacceptables et, dans le secteur du spectacle et de
l’audiovisuel, un lourd déficit du régime d’assurance chômage
»
70
.
Les caractéristiques de ces secteurs expliquent l’importance du
travail dissimulé qu’on y constate : forte saisonnalité, importance des
coûts de main d’oeuvre, structures de petite taille, paiements en espèces…
De plus, ces petites structures sont souvent fragiles économiquement et
donc peuvent être tentées de surmonter ces difficultés en ayant recours à
la fraude.
Tableau n°
13.
- Evolution du nombre d’infractions par secteur d’activité depuis 1992
Année Agriculture BTP
HCR
Commerce Transport Services Industrie Autres Total
1992
7,7%
31,4%
13,2%
16,2%
3,4%
19,1%
8,8%
0,2%
100%
1995
8,4%
25,5%
14,7%
20,3%
4,6%
19,7%
6,7%
0,1%
100%
1997
7,0%
24,0%
15,0%
21,0%
6,3%
19,7%
7,0%
0,0%
100%
2001
7,2%
19,1%
18,6%
18,4%
7,9%
20,6%
8,2%
0,0%
100%
2003
6,3%
22,9%
16,8%
20,2%
9,7%
18,6%
3,1%
2,3%
100%
2004
4,8%
26,6%
17,0%
21,5%
8,5%
4,0%
3,8%
13,8% 100%
2005
5,3%
28,5%
17,2%
21,2%
7,3%
2,8%
4,0%
13,7% 100%
Source :
Analyse de la verbalisation du travail illégal en 2005
, Délégation
interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI)
Les résultats du contrôle font effectivement apparaître une
prédominance du BTP dans les infractions relevées. Le secteur représente
ainsi entre le quart et le tiers des infractions relevées depuis 1992 (28,5 %
en 2005), ce qui en fait la première activité pour la verbalisation du
travail illégal. Les commerces et les « hôtels-cafés-restaurants » sont
70) Commission nationale de lutte contre la travail illégal ; plan national de lutte
contre le travail illégal, 2004-2005, 18 juin 2004.
84
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
verbalisés à un niveau assez proche et représentent respectivement 21,2 %
et 17,2 % des infractions relevées en 2005. En revanche le commerce, qui
constitue le deuxième secteur pour le nombre des infractions relevées, ne
figurait pas dans les priorités du plan national (cf.
infra
).
L’agriculture et les transports constituent un troisième niveau de
secteurs qui représentent entre 5 % et 10 % du total. Les services et
l’industrie se situent à des niveaux résiduels.
Ces résultats paraissent confirmer en partie les priorités du plan
d’action – le spectacle n’est pas un secteur identifié par les statistiques et
le commerce n’est pas dans le plan national – n’indiquent pourtant que la
réalité des infractions relevées par les services de contrôle : en matière
d’infractions, on ne trouve que là où on cherche.
2 -
Les autres secteurs
Les quatre secteurs identifiés par le plan d’action précité ne sont
pas les seuls concernés par le travail dissimulé. Un certain nombre
d’activités professionnelles sont également marquées par une présence,
ancienne ou récemment développée de ce type de fraude. Trois secteurs
peuvent ainsi être signalés : le commerce, le déménagement, les
transports routiers et les services.
Comme indiqué dans le tableau
supra
, le commerce, avec 21,5 %
des infractions relevées, représente un des secteurs les plus verbalisés en
matière de travail illégal. Avec 12,9 % de la population active, c’est aussi
l’un des secteurs les plus importants de l’économie nationale. Le
commerce est également caractérisé par l’importance de la grande
distribution qui représente près de la moitié du commerce français.
Le travail illégal dans le commerce est marqué par la dissimulation
d’activité dans le secteur du petit commerce, où certains contribuables ne
déclarent pas l’ensemble de leurs revenus ou les déclarent différemment
aux services fiscaux et aux organismes en charge de la collecte des
prélèvements sociaux. Dans le cas des activités salariées, la pratique de la
sous-déclaration est également très répandue ainsi que celle de la fausse
sous-traitance, qui prend des formes assez élaborées : faux gérants
rémunérés comme salariés malgré une subordination de fait, utilisation
délictueuse de la franchise ou le mandat commercial.
Le transport routier est un secteur qui a connu dans la décennie
écoulée de profondes évolutions liées au développement du commerce
intra-européen et à sa libéralisation dans le cadre de la réglementation
européenne. Les effectifs du transport routiers ont ainsi continûment
augmenté depuis 1995.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
85
Dans le même temps, la reprise dans le cadre communautaire de
l’interdiction de travailler plus de 200 heures dans le mois (issue
initialement de l’accord « grands routiers » du 23 novembre 1994) a créé
les conditions d’un recours au travail dissimulé plus accentué.
Celui-ci
a
toujours
existé
dans
ce
secteur
et
consistait
traditionnellement en dissimulation partielle d’activité – renforcée par
l’accord « grands routiers » – et, dans une moindre mesure, en
dissimulation d’emploi salarié par non déclaration des employés. La
réglementation européenne a par ailleurs encouragé certaines entreprises
à recourir à la fausse sous-traitance en créant des filiales dans des pays
européens à bas niveau de charges sociales et en utilisant les possibilités
offertes par la prestation transnationale de service.
Les services sont un secteur où le travail dissimulé est ancien et
mal connu des services de contrôle qui ont peu accès à l’activité se
déroulant au domicile des particuliers (cf.
infra
).
Ainsi, les services à la personne constituent-ils un secteur
d’activité où le travail dissimulé par dissimulation d’activité totale ou
partielle est sans doute l’une des plus importantes : les cours particuliers
ou les travaux ménagers sont des activités dans lesquelles la déclaration a
longtemps été l’exception, jusqu’à l’apparition du chèque emploi-service
et le travail dissimulé s’y pratique encore avec une indulgence forte de la
part de la société.
D’autres secteurs des services sont également le lieu de pratiques
importantes en matière de travail dissimulé. Le nettoyage et la sécurité-
gardiennage, marqués par une forte intensité de main d’oeuvre, sont ainsi
des domaines d’activité où la fausse sous-traitance a connu un grand
succès dans la décennie écoulée. Enfin, les services informatiques
présentent un profil atypique puisqu’il s’agit d’un secteur à forte valeur
ajoutée, où les rémunérations sont élevées (1,3 fois plus élevées que dans
les autres services aux entreprises), les conditions de travail intéressantes
(trois quarts des offres d’emplois concernent des contrats à durée
déterminée (CDI) ou des contrats à durée déterminée (CDD) de plus de
six mois), et le chômage faible (inférieur à 6 %). Le travail dissimulé y
prend en général la forme de la fausse sous-traitance de salariés déclarés
comme indépendants.
86
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
II
-
L'ouverture des frontières offre de nouvelles
opportunités pour les fraudeurs
Parler de globalisation des économies est aujourd’hui devenu un
truisme tant le phénomène de mondialisation a pris une ampleur
importante au cours des dernières décennies. Désormais, pour beaucoup
d’entreprises, le niveau international est devenu l’horizon naturel de leur
activité.
Cette évolution est particulièrement sensible pour l’économie
française car elle a été amplifiée par la construction d’un grand marché
intérieur européen au sein duquel les frontières ont été progressivement
abolies et les réglementations rapprochées.
Il ne s’agit naturellement pas ici de critiquer ou contester une
évolution qui a apporté énormément d’avantages et d’opportunités pour
notre pays. Simplement, force est de constater que cette dimension de
plus en plus internationale de l’activité des entreprises et des individus
complique singulièrement la tâche des administrations en charge du
recouvrement dont les pouvoirs s’arrêtent aux frontières nationales.
Ainsi, autant les services de contrôle disposent de prérogatives
étendues an niveau national, en particulier pour avoir accès aux
informations relatives aux contribuables afin de connaître la réalité de
leur situation, autant ils sont assez démunis lorsqu’il s’agit d’appréhender
ce qui se passe dans des Etats étrangers.
Dès lors, certains fraudeurs s’abritent de plus en plus derrière des
opérations
économiques
transfrontalières
pour
masquer
leurs
comportements frauduleux (dissimulation de recettes…) et faire échapper
une partie de leurs revenus aux prélèvements obligatoires nationaux. Face
à ces phénomènes, la coopération internationale se développe mais reste
encore insuffisante, comme on le verra dans la deuxième partie du
rapport.
A - Une préoccupation croissante des services en charge
du contrôle
La dimension internationale de la fraude est de plus en plus prise
en compte par les administrations en charge du recouvrement qui
s’efforcent d’apporter une réponse adaptée à ce phénomène. Il ne s’agit
d’ailleurs pas d’une inquiétude spécifiquement française : ce thème se
retrouve dans les programmes de travail de la plupart des administrations
fiscales des pays de l’OCDE.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
87
1 -
L’aspect international occupe une place croissante dans
l’activité du contrôle fiscal
Ce constat se vérifie aussi bien concernant les grandes entreprises
que les PME et même les particuliers. Ainsi, à la direction des
vérifications nationales et internationales (DVNI), les infractions aux
règles de la fiscalité internationale constituent un des principaux motifs
de redressement assorti de pénalités exclusives de bonne foi : onze
rectifications avec pénalités exclusives de bonne foi ont ainsi été
prononcées dans les quatre dernières années, pour un total de 10 M€, et
un rehaussement des bases correspondant de 101 M€.
En ce qui concerne les PME, l'activité internationale constitue une
zone de risque bien identifiée par les directions interrégionales du
contrôle fiscal (DIRCOFI) qui réalisent la majorité des rappels dans ce
domaine (46% en nombre et 86% des rendements).
Dans la région Ile-de-France, qui concentre un cinquième des
échanges internationaux, les zones de risque concernent principalement
les rappels de TVA et les impôts directs à la suite de contestation de prix
de transfert. Dans cette région, un millier de rappels avec une moyenne de
droits de plus de 400 000€ ont été effectués en 2005. Dans ces affaires, la
mise en oeuvre de la collaboration internationale via l'assistance
administrative reste résiduelle (de l'ordre de 2%).
La fraude à caractère international est ainsi devenue une
préoccupation prioritaire pour certaines DIRCOFI. Elle concerne surtout
les impôts directs et recouvre des situations diverses. Parmi les
mécanismes de fraude rencontrés par les vérificateurs, on peut indiquer :
la création de coquilles vides dans un pays à fiscalité
privilégiée;
les systèmes qui permettent aux opérateurs internationaux de
faire apparaître les bénéfices là où la fiscalité est la plus
clémente comme les prix de transfert ; mais aussi les
commissions et redevances payées à l'étranger, facturation sans
objet, charges irrégulièrement supportées par une entité
française…
la délocalisation de bases de taxe professionnelle,
la diminution ou la suppression des plus-values par le recours à
des sociétés étrangères interposées.
88
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La dimension internationale de la fraude va d’ailleurs au-delà de la
seule activité des entreprises et concerne également les particuliers,
notamment sous l’angle de la domiciliation (cf.
supra
). Les aspects
internationaux sont d’ailleurs considérés par la DGI comme devant être
un des axes prioritaires des plans interrégionaux de contrôle fiscal
71
.
2 -
En matière de cotisations sociales, les règles juridiques ne sont
pas suffisamment bien établies
La construction européenne s’est fixée comme but la libre
circulation des travailleurs comme celle des biens et services (article 3 du
traité instituant la Communauté européenne). Cette libre circulation
entraînant des conflits de normes nationales applicables, le législateur
européen a fixé les principes applicables dans le règlement 1408/71 du 14
juin 1971 ainsi que dans le règlement d’application 574/72 du 21 mars
1972. Toutefois, ces deux règlements ne définissent qu’imparfaitement
les règles juridiques applicables et les modalités de reconnaissance
mutuelles des titres exécutoires.
La règle de principe concernant les travailleurs au sein de l’Union
européenne est celle de l’affiliation dans le pays où se déroule l’activité
du travailleur.
L’application de cette règle oblige en principe tout ressortissant
européen travaillant en France à être affilié à la sécurité sociale française.
L’affiliation étant toutefois usuellement liée à la notion d’établissement
(cf.
supra
), certains travailleurs se retrouvent dans une situation
paradoxale lorsqu’ils sont employés en France par une entreprise
étrangère qui ne dispose pas d’établissement sur le sol national. Le
versement des cotisations afférentes à ces salariés a été centralisé à
l’URSSAF du Bas-Rhin (cf. encadré).
71) Cf. note du 22 juillet 2005 de la sous-direction du contrôle fiscal.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
89
Encadré n°4 : L’URSSAF du Bas-Rhin et les salariés d’entreprises étrangères
Afin de garantir la bonne affiliation des travailleurs salariés en France
d’entreprises étrangères qui n’y ont pas d’établissement, la loi de financement de
la sécurité sociale pour 2004 a introduit un nouvel article L.243-1-2 dans le code
de la sécurité sociale, qui dispose que l’employeur, dans une telle situation :
«
remplit ses obligations relatives aux déclarations et versements des
contributions et cotisations sociales d'origine légale ou conventionnelle
auxquelles il est tenu au titre de l'emploi de personnel salarié auprès d'un
organisme de recouvrement unique
». L’arrêté du 29 décembre 2004 du ministre
de la santé et de la protection sociale a désigné pour cela l’URSSAF du Bas-Rhin.
Cette centralisation a permis des économies d’échelle et offre un
interlocuteur unique et facilement identifiable aux entreprises étrangères rentrant
dans le champ du dispositif. Deux options leur sont ouvertes : elles peuvent
s’adresser directement à l’URSSAF du Bas-Rhin ou «
désigner un représentant
résidant en France qui est personnellement responsable des opérations
déclaratives et du versement des sommes dues
». Sur les quelque 3 700 comptes
ouverts par des entreprises étrangères auprès de l’URSSAF, plus de 3 000 n’ont
pas de représentant.
L’assurance-chômage et les régimes de retraite complémentaire ont
également désigné un interlocuteur unique pour les entreprises étrangères sans
établissement. Il s’agit du groupe TAITBOUT (retraite complémentaire) et du
Groupement des ASSEDIC de la région parisienne (GARP, pour l’assurance
chômage).
La règle du lieu de travail souffre toutefois certaines exceptions,
pour lesquelles c’est la législation du pays d’origine qui s’applique. Ainsi,
selon les dispositions de l’article 14 du même règlement : «
La personne
qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre au
service d'une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée
par cette entreprise sur le territoire d'un autre État membre afin d'y
effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la
législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible
de ce travail n'excède pas douze mois et qu'elle ne soit pas envoyée en
remplacement d'une autre personne parvenue au terme de la période de
son détachement
».
La portée du principe posé à l’article 13 est donc largement
réduite. La durée de douze mois censée limiter les recours abusifs à ce
type de détachement n’est elle-même pas un obstacle dirimant à la règle
du pays d’origine, puisque l’article 14 de la directive autorise à dépasser
cette durée sous réserve de l’autorisation de l’autorité compétente de
l’Etat membre où se déroule la prestation.
90
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le règlement 1408/71 ne clarifie donc pas complètement le
problème de la législation applicable. Le principal risque de fraude qui en
découle est celui lié à la fraude au détachement, qui relève de l’infraction
de travail dissimulé (cf.
infra
).
De plus, même lorsque la législation applicable a été déterminée, le
problème du recouvrement forcé des cotisations se pose de manière aiguë
pour les débiteurs étrangers. Le caractère exécutoire des mises en
demeure adressées par les URSSAF n’est en effet pas reconnu au-delà des
frontières nationales en l’absence d’accords bilatéraux spécifiques entre
Etats membres.
Trois accords ont ainsi été négociés avec la Belgique, l’Allemagne
et le Luxembourg
72
. Ces conventions bilatérales sont cependant loin
d’être satisfaisantes. En effet, elles ne constituent que des accords
d’
exequatur
73
simplifié et ne présentent aucun caractère automatique. Un
débiteur des URSSAF françaises, établi à l’étranger
74
, pourra ainsi
contester la mise en demeure française devant le juge de son pays au
moment de l’exequatur. La décision de ce dernier ne sera alors pas liée
par celle de l’URSSAF ni même par celle du juge français le cas échéant :
le système est donc largement fondé sur la bonne volonté des parties ce
qui, en matière de recouvrement forcé, apparaît comme une limite
significative.
3 -
Une préoccupation partagée par la plupart des
administrations fiscales de l’OCDE
Les administrations françaises chargées du recouvrement des
prélèvements obligatoires ne sont pas seules à être confrontées à un
développement d’une fraude à caractère international. Au contraire, la
globalisation
des
économies
aboutit
à
ce
que
la
plupart
des
administrations fiscales et des organismes de recouvrement des
cotisations sociales sont confrontés au même phénomène.
72) Les accords relatifs au recouvrement transfrontalier de cotisations ont été conclus
par la France avec le Luxembourg (sur la base de l'art. 51 du règlement (CEE) n°3/58)
le 24 février 1962, avec la Belgique (sur la base de l'art. 92 du R. 1408/71) le
3 octobre 1977 et avec l'Allemagne (id.) le 26 mai 1981. Ces trois accords ont été
ratifiés en application du décret 53-192 du 14 mars 1953.
73) L’
exequatur
est la décision par laquelle un tribunal autorise l’exécution d’un
jugement ou d’un acte étranger.
74)Soit qu’il ne possède pas d’établissement en France, soit que sa filiale française
soit insolvable.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
91
Dans une communication au Parlement européen et au Conseil, la
Commission européenne explique ainsi que «
la libre circulation des
biens, des services, des personnes et des capitaux dans le cadre de la
mise en oeuvre du marché intérieur en 1993 les rend de moins en moins
capables de combattre la fraude fiscale de façon isolée
75
». La
Commission avance, dans cette communication, plusieurs pistes afin de
renforcer la coopération entre les administrations fiscales afin que celles-
ci soient à même d’évoluer au même niveau que les fraudeurs qui tirent
parti de la fragmentation des services de contrôle dans un espace
économique unifié. On peut d’ailleurs souligner que la Commission
insiste sur l’urgence d’adopter de nouvelles mesures, «
compte tenu de la
gravité de la situation »
.
Au demeurant, cette préoccupation ne concerne pas que le
continent européen. Ainsi, le plan stratégique de l’IRS pour la période
2005-2009
aux
Etats-Unis
indique
que
« [certaines
transactions
transfrontalières] peuvent constituer des formes d’évasion ou de fraude
fiscales inacceptables. Si des ressources adéquates ne sont pas dégagées
pour identifier, analyser et résoudre ces problèmes, la globalisation va
entraîner des risques sérieux pour les bases fiscales américaines
76
».
Le
plan stratégique prévoit ainsi un renforcement du rôle des attachés fiscaux
de la
Criminal Investigation
, afin de faciliter la coopération internationale
et mener des enquêtes approfondies à l’étranger. Le même type de constat
est réalisé dans d’autres Etats, en particulier au Canada.
B - Trois exemples du développement des fraudes
transnationales
Pour illustrer le développement de la fraude internationale, trois
exemples caractéristiques ont été retenus qui concernent différents types
de prélèvements :
la fraude aux prestations de services transnationales, qui
pénalise en premier lieu le recouvrement des cotisations
sociales ;
la fraude qui implique des « paradis fiscaux » et qui concerne
plus spécifiquement l’imposition portant sur le revenu des
entreprises ou des particuliers ;
la fraude à la TVA au sein de l’Union européenne, et
notamment le problème des fraudes « carrousels ».
75) Commission européenne
, Communication sur la nécessité de développer une
stratégie coordonnée en vue d’améliorer la lutte contre la fraude fiscale
, 31/05/06.
76)Internal Revenue Service,
IRS Strategic plan 2005-2009
, 2004.
92
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
1 -
La fraude aux prestations de services transnationales
a)
Le principe du détachement
Comme on l’a vu précédemment, les règles européennes, et
notamment le règlement n°1408/71, prévoient des exceptions à la règle de
l’application du droit du pays d’accueil, notamment en ce qui concerne
les travailleurs détachés.
Pour garantir l’application du droit du travail en France, l’article
L.341-5 du code du travail a précisé les dispositions qui restent
applicables aux travailleurs détachés
77
. Les dispositions concernées sont :
le salaire minimum, la durée du travail et des congés, les règles relatives à
l’intérim, la non-discrimination, les conditions de travail (hygiène et
sécurité) et la protection de certaines catégories de travailleurs (femmes
enceintes, mineurs).
Le détachement s’inscrit généralement dans le cadre d’une
prestation de service transnationale. Un donneur d’ordre ou une entreprise
peut faire appel à des entreprises étrangères pour n’importe quel service
au même titre qu’une entreprise française. Si le contrat dure moins de
12 mois où si certaines tâches ne nécessitent qu’une intervention
ponctuelle, l’entreprise étrangère peut alors détacher quelques-uns de ses
salariés, dans le cadre d’une prestation de service.
Selon l’article 1
er
de la directive du 16 décembre 1996 précitée,
la
prestation de service
peut consister :
soit dans l’exécution de travaux par une entreprise, pour son
compte et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu
entre cette entreprise et le destinataire de la prestation de
service ;
soit dans la mise à disposition de travailleurs, en vue de leur
utilisation par une entreprise dans le cadre d’un marché public
ou privé.
77) Cette application partielle de la législation du pays d’accueil a été confirmée et
amendée par la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du
16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre
d'une prestation de services.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
93
b)
Le détachement est un phénomène en augmentation
Le détachement est une pratique en forte augmentation, comme le
montre le graphique suivant tiré d’une étude de la délégation
interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI)
78
.
Graphique n°4 – Nombre de déclarations de détachement reçues par la DILTI
entre 2000 et 2004
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
2000
2001
2002
2003
2004
Nombre de salariés
détachés
Nombre de déclarations de
détachement reçues
De plus, il ne s’agit là que des interventions déclarées. D’après la DILTI,
le nombre réel de salariés détachés se situe plutôt entre 126 000 et
157 000, soit une augmentation de 33 % par rapport à l’estimation de
2003, ce qui signifie que seuls 20 % des détachements font l’objet d’une
déclaration. Ce phénomène est assez développé dans les zones
frontalières mais concerne désormais l’ensemble du territoire.
En termes de secteurs, l’industrie représente 35 % des déclarations
d’intervention en 2004 tandis que le BTP est également un important
intervenant avec 34 % des interventions déclarées. De façon moins
sensible, interviennent également le secteur de l’hôtellerie-cafés-
restauration (11,2 %) et l’agriculture (6,4 %).
La pratique du détachement est complexe à contrôler dans la
mesure où elle nécessite souvent une coordination et un échange
d’informations avec les organismes de Sécurité sociale des Etats d’origine
des salariés détachés. Pour ces raisons, ce mécanisme apparaît
relativement propice à la fraude.
78) DILTI,
Intervention en France des entreprises étrangères prestataires de services
– Rapport d’enquête 2005
, 2005.
94
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
c)
Les fraudes
En dérogeant pour partie au principe de la législation du pays
d’accueil, la prestation de service transnationale permet une mise en
concurrence, tout à fait légale, des systèmes de prélèvements obligatoires
qui n’est pas toujours à l’avantage de la France. Mais elle est aussi un
cadre particulièrement approprié pour la fausse sous-traitance – qui est,
elle, tout à fait illégale : dans les chantiers du bâtiment et des travaux
publics, la sous-traitance en cascade aboutit de plus en plus souvent à un
prestataire de service étranger. Un premier entrepreneur sous-traite ainsi
une partie du chantier à un second entrepreneur qui fait appel à un sous-
traitant établi dans un pays étranger ; ce même sous-traitant détache ses
salariés sur le chantier, mais ceux-ci sont en fait sous l’autorité directe de
du premier entrepreneur, qui les rémunère
79
.
Un deuxième type de fraude est plus spécifique au détachement,
c’est la fraude à l’établissement. Elle consiste à installer fictivement son
établissement dans un pays étranger et à détacher ensuite des salariés
alors que leur activité dans le pays d’accueil est régulière et sans limite
dans le temps. Ce montage permet d’appliquer au salarié la législation du
pays où est établie l’entreprise et non celle du pays d’accueil.
Le recours à ce type de fraude est rendu possible par les procédures
administratives qui encadrent le détachement. Certes, les articles
D.341-5-7 et D.341-5-8 du code du travail obligent les entreprises qui
détachent des salariés à adresser à la direction du travail, de l’emploi et de
la formation professionnelle une déclaration comprenant des informations
précises sur l’entreprise (nom, raison sociale, adresse) sur la prestation
(lieu, date et nature) et sur l’ensemble des salariés détachés (noms et dates
des contrats de travail). Mais ces dispositions, dont le non-respect
n’entraîne pas de sanction, ne sont globalement pas respectées. Il est donc
en pratique impossible de connaître la durée du détachement des
travailleurs dans le cadre des prestations de service transnationales.
Les entreprises qui pratiquent la fraude à l’établissement ont ainsi
l’essentiel de leur activité en France, emploient parfois des Français, mais
les déclarent comme salariés détachés. Ce défaut de déclaration devrait
être compensé par la présentation des formulaires E 101. Mais, pour des
79) Une variante de ce type de fausse sous-traitance utilise également la prestation de
service transnationale mais sans faire appel au détachement. Les entreprises sans
établissement en France doivent en effet faire immatriculer leurs employés auprès de
l’URSSAF de Strasbourg. En l’absence de contrôle possible par l’URSSAF sur un
territoire étranger, la tentation peut exister pour ces entreprises de pratiquer la sous-
déclaration, en ne déclarant pas tous les employés salariés en France.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
95
raisons pratiques, celui-ci n’est pas toujours exigé pour les détachements
de courte durée (comme pour le transport routier par exemple).
Même dans le cas où il existe, le certificat est parfois valable pour
une durée très inférieure à la présence réelle des salariés. Enfin, certaines
entreprises, en contradiction avec les règles posées par le règlement
1408/71, obtiennent des renouvellements systématiques du détachement,
du fait de contrôles insuffisants des administrations des pays d’origine.
Comme l’administration française n’a pas le droit d’annuler un certificat
de détachement, la recherche et le contrôle de ce type d’infraction est
complexe (cf.
infra
). Car dans tous ces cas, l’employeur aurait dû
immatriculer ses employés en France – auprès de l’URSSAF de
Strasbourg s’il n’a pas d’établissement – et a commis le délit de travail
dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
2 -
Les pays à fiscalité privilégiée
La possibilité de réaliser des transactions financières dans des
« paradis
fiscaux »
constitue
une
autre
possibilité
offerte
aux
contribuables pour tenter d’échapper à leurs obligations en allant chercher
la « protection » d’une frontière contre les pouvoirs d’investigation de
l’administration fiscale.
L’OCDE a défini quatre facteurs principaux pour déterminer si un
Etat ou un territoire constitue un pays à fiscalité privilégiée :
le fait que cet Etat ou ce territoire applique des impôts
inexistants ou insignifiants ;
les transactions bancaires et financières sont marquées par une
absence de transparence ;
il existe des lois ou pratiques administratives qui empêchent un
véritable échange de renseignements à des fins fiscales avec les
autres administrations en ce qui concerne les contribuables qui
bénéficient d’une imposition inexistante ou insignifiante ;
il est possible de créer des sociétés sans que celles-ci n’aient
d’activités substantielles
80
.
L’existence de « paradis fiscaux » permet à des contribuables
indélicats d’y loger des actifs ou des revenus sur lesquels les impôts
normalement dus dans le pays d’origine n’ont pas été acquittés, l’absence
de coopération administrative empêchant l’administration fiscale du pays
d’origine de connaître ces montants.
80) Ce critère permet d’identifier les paradis fiscaux dans la mesure où l’absence
d’activités substantielles laisse supposer qu’un Etat ou territoire pourrait s’efforcer
d’attirer des investissements et des transactions qui sont uniquement motivés par des
considérations fiscales.
96
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’existence de fraudes importantes liées aux paradis fiscaux a fait
l’objet de nombreuses enquêtes de l’administration fiscale américaine.
L’IRS a ainsi mis en lumière un schéma habituel de fraude, consistant à
faire sortir illégalement des Etats-Unis des revenus non déclarés, puis à
utiliser des cartes de crédit émises par des filiales de grands réseaux
bancaires américains situées dans des paradis fiscaux (Bahamas,
Iles Caïmans…) pour dépenser ces sommes sur le territoire américain.
L’IRS estime que la part annuelle de recettes liée à des transferts dans les
paradis fiscaux, s’élève à un minimum de 70 Md de dollars.
Il n’existe pas de chiffrage correspondant pour la France alors qu’il
serait intéressant d’avoir une idée de l’ampleur du phénomène pour notre
pays.
On peut noter qu’après que l’OCDE ait publié, en 2000, une liste
comprenant une quarantaine d’Etats considérés comme des paradis
fiscaux, une majorité écrasante de pays et de territoires identifiés en 2000
a accepté de coopérer en vue d’améliorer la transparence et de permettre
un échange effectif de renseignements. Les paradis fiscaux qui restent
non coopératifs sont l’Andorre, la Principauté de Liechtenstein, le
Liberia, la Principauté de Monaco et la République des îles Marshall
81
.
3 -
La fraude intra-communautaire à la TVA
« Entre 1950 et 1960, il y eut une fraude énorme sur la TVA. Cette
taxe (…) en fut, à l’époque, gravement compromise. Le système de la taxe
déductible, combiné avec la vente en suspension et les remboursements
de taxe pour exportation, suscita alors la constitution de vastes
organisations de banditisme financier qui mirent au point une méthode
nouvelle, consistant en un emploi de firmes de façade, représentées par
des hommes de paille qui délivraient des factures de complaisance
portant mention de la TVA
82
»
.
Cet extrait d’un article de presse des années 1970 montre que la
TVA est un impôt pour lequel, pratiquement dès l’origine, des systèmes
élaborés de fraude ont été mis en place. Il apparaît aujourd’hui que ces
systèmes ont été portés au niveau européen : profitant des failles du
régime applicable en matière de TVA dans les échanges intra-
communautaires, de véritables organisations de fraude se sont mises en
place, utilisant «
des procédés dignes de Chicago
», pour reprendre une
expression de l’article précité. Cette évolution a pris une importance
81)
Projet de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables : rapport d’étape
2004,
OCDE – Centre de politique et d’administration fiscales, février 2004.
82) Extrait d’un article du journal « Le Monde » en date du 10 février 1970.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
97
quantitative extrêmement préoccupante et menace même aujourd’hui
l’ensemble du système de TVA au niveau européen.
La fraude à la TVA intra-communautaire ne présente pas de
spécificité intrinsèque sur le plan des méthodes employées parmi
lesquelles on peut citer :
la déclaration de livraisons intra-communautaires fictives alors
que les biens sont écoulés sur le territoire national ; l’entreprise
peut alors disposer d’un avantage concurrentiel en facturant les
biens HT ou bien accroître sa marge en maintenant son prix
TTC sans reverser la TVA ;
la non déclaration d’acquisitions intra-communautaires, traitées
fictivement comme des acquisitions internes ; il est possible
dans ce cas de déduire abusivement une TVA non liquidée sur
des marchandises acquises HT ;
les montages juridiques plus complexes reposant sur des
circuits commerciaux faisant intervenir des sociétés éphémères
(cas des fraudes de type carrousel). D’autres montages peuvent
exploiter les failles de certains régimes particuliers tels que les
ventes à distance ou les achats de véhicules neufs.
Il existe en revanche une différence importante entre la fraude
intra-communautaire et la fraude interne, portant sur la rentabilité de la
fraude : schématiquement, le montant que peut espérer éluder ou
récupérer en interne le fraudeur ne peut excéder la différence entre la
TVA due sur les opérations taxables et la TVA déductible sur les achats.
Au niveau communautaire, les livraisons ne sont pas taxées et le fraudeur
peut donc espérer éluder ou récupérer toute la TVA collectée due sur les
opérations taxables. Les contrôles sont par ailleurs plus difficiles à mener
au niveau communautaire qu’en interne.
a)
Le cas particulier des carrousels de TVA
La fraude carrousel constitue l’archétype de la fraude à la TVA
intra-communautaire. Cette fraude est très vivace en raison de sa relative
facilité d’exécution et de l’importance de ses conséquences budgétaires.
Les limites des compétences territoriales des Etats et les délais de
réalisation des assistances administratives la rendent par ailleurs difficile
à appréhender en temps réel pour les administrations fiscales des Etats
membres.
98
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Les schémas de type « carrousel » impliquent au moins trois
entreprises dans au moins deux Etats membres différents. Ils ont pour
objet l’exploitation abusive des règles selon lesquelles les Etats membres
de la Communauté européenne taxent, depuis 1993, les opérations
effectuées par des entreprises situées dans deux pays distincts de la
Communauté.
Ces règles sont pour l’essentiel au nombre de deux. La première est que
les livraisons de biens effectuées par un vendeur à destination d’un
acquéreur situé dans un autre Etat membre sont exonérées de TVA. La
TVA n’est donc pas facturée à l’acquéreur, comme elle l’aurait été si
celui-ci avait été inscrit à la TVA dans le même Etat membre que le
vendeur.
La
seconde
règle
est
que
la
TVA
sur
les
acquisitions
intracommunautaires, dans le même temps, est auto-liquidée par
l’acquéreur et lui ouvre un droit à déduction. En d’autres termes,
l’entreprise qui fait l’acquisition de marchandises taxables auprès d’un
vendeur inscrit à la TVA dans un autre Etat membre que celui où elle est
elle-même inscrite, se facture à elle-même la TVA et s’accorde
simultanément un crédit de TVA du même montant. Du point de vue de
sa trésorerie, l’opération est donc totalement neutre.
Les montages de type carrousel reposent sur l’interposition entre le
vendeur (entreprise A) et l’acquéreur (entreprise C) d’une société taxi
(entreprise B), dont le rôle est d’émettre de fausses factures. Dans sa
forme la plus simple, le mécanisme est le suivant : l’entreprise A, établi
dans un Etat X de la Communauté européenne, cède des marchandises
taxables à la société B, située dans un autre Etat Y de la Communauté.
L’entreprise
A
invoque
la
règle
d’exonération
des
livraisons
intracommunautaires, et ne facture pas la TVA à la société B. Le procédé
n’a jusque là rien d’illégal.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
99
Graphique n°5 – Schéma d’une fraude carrousel à la TVA intra-
communautaire
État membre 1
_________________________________________________________________
État membre 2
Mais la société taxi ne va jamais réceptionner la marchandise
qu’elle a prétendu acheter : là commence la fraude, qui se poursuit en ce
que la société B s’abstient d’autoliquider la TVA. A ce stade, pourtant,
l’Etat n’est pas encore volé, car la société B n’exerce pas son droit à
déduction de la TVA : elle se borne à émettre une fausse facture par
laquelle elle va prétendre céder à la société C les biens soi-disant achetés
à la société A. En contrepartie de l’émission de cette fausse facture,
l’entreprise C versera à la société B une commission qui constituera le
seul gain financier de celle-ci à la participation au montage frauduleux.
Car c’est l’entreprise C qui, en définitive, va le plus largement
bénéficier du montage. Sur la base de la facture émise par la société B,
elle exercera un droit à déduction de la TVA sur la marchandise cédée par
la société A, que celle-ci lui livrera directement. En contrepartie de ce
droit à déduction, la société C n’aura pas autoliquidé la TVA, comme elle
aurait dû le faire si elle avait traité directement avec l’entreprise A. Pour
sa trésorerie, l’opération d’acquisition intracommunautaire entraîne donc
un gain net.
Grâce à ce gain, la société C sera en mesure de vendre les
marchandises achetées à la société A sous l’étiquette
« toutes taxes
comprises »
, à un prix qui est en réalité hors taxes. La société C en retire
donc un avantage concurrentiel : auprès de la société B, elle a acquis, non
Entreprise C
« courtier »
(Déduit la TVA non
payée par B ou en
demande le
remboursement)
Entreprise D
« Tampon »
Entreprise A
« relais »
(vend les marchandises sans
compter la TVA)
Entreprise B
« opérateur défaillant »
(reçoît la TVA de D, mais
ne la reverse pas au
fisc)
100
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
pas une marchandise, mais un droit à déduire de la TVA sur un prix qui
est un prix hors taxe. Les marchandises en cause seront alors soit écoulées
sur le marché, et ce sans difficulté compte tenu de leur prix, soit
revendues, par l’intermédiaire d’une autre société taxi (entreprise D), à la
société A, si celle-ci est complice de la fraude à laquelle se sont livrées
les entreprises B et C. Dans cette hypothèse, le montage frauduleux
fonctionnera alors selon les mêmes modalités, mais au bénéfice, cette
fois, de la société A qui, dans le montage initial, a prêté son concours au
dispositif sans en tirer bénéfice.
Pour l’Etat Y, le montage se traduit par une perte sèche : apparaît
un droit à déduction de TVA sur une opération qui n’a jamais été taxée
sur le territoire national. La société A, si elle n’est pas impliquée dans un
montage « miroir » jouant à son bénéfice, ne retire aucun avantage de sa
participation au montage frauduleux, dont elle peut d’ailleurs ignorer le
véritable caractère. La société B, qui disparaît au bout de quelques mois
d’existence afin de ne pas laisser prise à l’administration fiscale,
récupère, on l’a dit, le montant de la commission que lui verse
l’entreprise C. Cette dernière, enfin, retire un gain net de trésorerie égal
au montant de la TVA assise sur le prix hors taxe des marchandises
échangées, qui se traduit par la capacité d’écouler sa marchandise sur le
marché à un prix cassé. Au total, les sociétés B et C se partagent la perte
de recette enregistrée par l’Etat Y.
La fraude de type
« carrousel »
à la TVA intracommunautaire
présente une gravité particulière, compte tenu de ce que, d’une part, elle
se traduit pour le Trésor par une insuffisance de recettes et, d’autre part,
elle fausse les règles de concurrence.
b)
Le développement de ce phénomène est préoccupant pour lé régime
européen de TVA
La fraude à la TVA intra-communautaire s’est développée, au
point de devenir un phénomène particulièrement préoccupant pour
certains Etats membres comme l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ce
dernier Etat estime ainsi que la fraude atteint, en 2005, environ
11,3 Mds £ (16,8 Md€), soit près de 13,5 % du produit total de la taxe. La
fraude liée aux seuls carrousels est estimée à environ 10 % du total éludé,
ce qui correspond à des pertes de recettes de l’ordre de 1,7 Md€
83
.
83) L’importance de la fraude au Royaume-Uni s’explique notamment par les délais
très courts de remboursement des crédits de TVA dans ce pays, qui permettent aux
fraudeurs de toucher rapidement le bénéfice du mécanisme frauduleux qu’ils ont mis
en place.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
101
D’après un rapport de la Commission de 2004, le niveau de la
fraude pourrait dépasser 10 % des recettes nettes de TVA dans plusieurs
Etats membres
84
.
En France, il n’existe pas d’estimation du niveau de la fraude en
matière de TVA mais on constate que le nombre d’affaires réalisées dans
ce domaine par la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) tend à
croître depuis le début des années 2000, même si cette augmentation
correspond aussi à une plus forte présence des services de contrôle sur ce
thème (cf. tableau suivant).
Tableau
14. - Résultats de la DNEF sur les carrousels TVA
Année Nombre Droits nets (M€)
Pénalités (M€)
2002
38
131
253
2003
69
120
281
2004
102
183
324
2005
112
239
481
Les enquêtes effectuées par la direction nationale des enquêtes
fiscales
(DNEF), en charge de la lutte anti-carrousels en France, montrent
que les secteurs les plus concernés sont ceux des composants
électroniques et de la téléphonie mobile (en raison de la difficulté de
surveiller les flux physiques du fait du faible volume des produits et de la
rentabilité élevée liée à leur valeur), ainsi que du textile.
L’importance des fraudes de type carrousel est telle qu’elle a
conduit certains Etats à avancer des propositions qui vont dans le sens
d’une remise en cause des principes de base de la TVA, comme on le
verra dans la troisième partie du rapport.
III
-
Les technologies de l’information et de la
communication peuvent faciliter la fraude
La dernière des grandes tendances de fraude qui sera étudiée en
détail dans ce rapport s’appuie sur la généralisation des technologies de
l’information et de la communication (TIC) au sein de notre économie et
de notre société. Là encore, cela n’est pas cette généralisation qui est en
cause mais bien le fait que des fraudeurs sont à même de tirer parti des
opportunités qu’elle offre, notamment en termes de dissimulation
d’activité.
84) Commission européenne,
Rapport de la Commission sur le recours aux
mécanismes de la coopération administrative dans la lutte contre la fraude à la TVA
,
avril 2004.
102
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Comme les phénomènes précédemment étudiés, le développement
des TIC rend plus difficile la détection de la fraude par les services de
contrôle. Cette évolution concerne plus spécifiquement deux aspects : le
développement des comptabilités informatisées dans les entreprises et
l’expansion du commerce électronique et des prestations de services
dématérialisées.
A - Le problème du contrôle des comptabilités
informatisées dans le domaine fiscal
De plus en plus d’entreprises ont recours à des logiciels spécialisés
pour tenir leur comptabilité, y compris pour les plus petites d’entre elles.
Cette évolution est incontestablement positive pour les entreprises qui
voient ainsi la tenue de leurs comptes facilitée et automatisée.
Du point de vue des services de contrôle, cette évolution ne va
cependant pas sans poser certains problèmes. En effet, la tenue des
comptes sous forme papier obéissait à certaines règles qui permettaient de
s’assurer que ceux-ci n’avaient pas fait l’objet de modifications
ex post
et
reflétaient bien la réalité de l’activité de l’entreprise. Dès lors, un certain
nombre de contrôles de cohérence menés sur la comptabilité d’un
contribuable permettaient de détecter d’éventuels indices de fraude, voire
de mettre à jour des manoeuvres frauduleuses (dissimulation de recettes,
majoration de charges…).
Les logiciels de comptabilité n’offrent pas, pour les vérificateurs,
le même niveau de sécurité. En effet, la plupart d’entre eux ont un
caractère « permissif », dans la mesure où ils offrent aux entreprises une
grande souplesse au niveau des modalités d’élaboration des écritures
comptables. Ces logiciels peuvent donc permettre de redonner
a
posteriori
une cohérence à des écritures comptables qui auraient dû être
biaisées par certains procédés de fraude.
Pour être efficace, le contrôle fiscal doit donc sortir des seules
données comptables pour apprécier également la cohérence de celles-ci
avec les données de gestion. Ces dernières sont souvent gérées par des
progiciels
ad hoc
, ce qui implique que les vérificateurs soient à même de
les utiliser et de réaliser des requêtes.
Or, si l’adaptation du cadre juridique a été réalisée, des progrès
importants semblent encore nécessaires pour former et mobiliser les
services de contrôle sur ce thème.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
103
1 -
L’adaptation du cadre juridique a été réalisée
L’administration fiscale a publié, au début de l’année 2006, une
nouvelle
instruction
pour
prendre
en
compte
les
évolutions
technologiques intervenues dans la tenue de la comptabilité par les
entreprises
85
.
Cette instruction rappelle le cadre juridique du contrôle des
comptabilités informatisées et fixe les règles en vue de la tenue de
comptabilités sincères, régulières et probantes. Parmi les principes
rappelés par la circulaire, et découlant des dispositions du plan comptable
général révisé de 1999, on trouve notamment :
l’intangibilité des écritures comptables après validation ;
la numérotation chronologique des opérations ;
la permanence du chemin de révision entre l’écriture et la pièce
justificative qui en est à l’origine ;
la clôture périodique des comptes.
La circulaire précise également le périmètre informatique rentrant
dans le contrôle, conformément à l’article L. 13 du livre des procédures
fiscales. Deux éléments non strictement comptables mais essentiels pour
réaliser des contrôles de cohérence sont ainsi inclus dans le champ du
contrôle : les caisses enregistreuses dotées de procédés de mémorisation
et de calcul ainsi que les données qui concourent indirectement aux
écritures comptables issues du domaine de gestion (suivi de la facturation,
de la production…). Dans le même ordre d’idées, la circulaire indique la
teneur des obligations de présentation des documents comptables et de
conservation des données concourant directement ou indirectement à la
détermination du résultat fiscal.
La dernière partie de la circulaire est consacrée aux contrôles
proprement dits. Sont ainsi présentés les différentes modalités de contrôle
des comptabilités informatisées, les manquements susceptibles d’aboutir
à un rejet de la comptabilité et, enfin, les comportements de nature à
constituer une opposition au contrôle fiscal.
85) BOI n°13 L-1-06 du 24 janvier 2006 relatif au contrôle des comptabilités
informatisées.
104
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
2 -
Il reste cependant de nombreux problèmes pratiques pour
mettre au niveau les services de contrôle
Aujourd’hui, les situations d'impossibilité d’exercer un contrôle en
présence de comptabilités informatisées (art. L. 74 et L. 47A du LPF)
sont en forte augmentation et représentent une part non négligeable, à
savoir 10%, du montant comme du nombre de redressements ayant donné
lieu à l’application de pénalités exclusives de bonne foi.
Le premier problème concerne les éditeurs de logiciels, qui, dans
certains cas, tardent à proposer des produits qui ne puissent pas ouvrir la
voie à la fraude fiscale. Concernant les logiciels comptables, les éditeurs
concernés ont engagé une démarche pragmatique de certification des
logiciels en fonction de leur niveau de « permissivité ». L’évolution
apparaît en revanche moins favorable concernant les logiciels de
facturation et de recettes pour lesquels il semble que les éditeurs, dans
certains cas, font de la capacité de leurs produits à dissimuler des recettes
en espèces un argument de vente.
Le deuxième enjeu concerne la nécessité pour l’administration
fiscale de disposer des moyens humains et techniques pour procéder au
contrôle des comptabilités informatisées. Un effort sensible a été réalisé
depuis plusieurs années avec :
la création, en 1982, de brigades de vérification des
comptabilités
informatisées
composées
d’inspecteurs
des
impôts ayant des compétences d’informaticiens et qui apportent
un appui aux vérificateurs pour les entreprises à fort enjeu ;
la spécialisation de certains vérificateurs généraux, dotés d’un
logiciel spécifique d’audit qui leur permet de traiter une grande
masse
de
données
et
notamment
de
procéder
à
des
recoupements et des contrôles de cohérence dans les données
de gestion des entreprises. Ce point constitue un axe stratégique
des plans interrégionaux de contrôle fiscal.
En dépit de cet effort, le développement des fonctions permissives
dans les comptabilités informatisées apparaît relativement préoccupante
et la capacité des services de contrôle à détecter ce type de fraude est loin
d’être toujours évidente.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
105
B - Le commerce électronique et le développement
d’Internet
Le commerce électronique présente plusieurs spécificités qui
rendent impossible l’application des règles fiscales traditionnelles.
D’abord, la dématérialisation de l’économie fait que les transactions
deviennent moins visibles, ce qui perturbe non seulement l’application de
la TVA mais aussi, plus généralement, la perception des impôts sur les
bénéfices ou des cotisations sociales.
Ce problème est aggravé par la désintermédiation, c'est-à-dire la
disparition des intermédiaires commerciaux qui sont traditionnellement
les collecteurs de TVA, au profit d’un rapport plus direct entre le
producteur et le consommateur final qui supporte la TVA.
Enfin, il existe un problème de « désincarnation » de l’activité
économique, dans la mesure où un site Internet est un espace virtuel qui
ne peut pas être localisé géographiquement. Il peut donc être difficile de
déterminer le lieu d’établissement de l’entreprise prestataire de services
électroniques, qui implique normalement l’exercice effectif d’une activité
économique au moyen d’une installation stable et pour une durée
indéterminée.
L’exemple des sites d’échanges en ligne ou de ventes aux
enchères, qui connaissent un succès croissant, est assez éclairant. S’il
n’existe pas d’évaluation officielle des montants en jeu sur ce type de
marché, certaines études indiquent que près de 15 000 Français vivraient
des revenus des ventes de biens sur le site de vente aux enchères e-bay.
Ces revenus ne sont pratiquement jamais déclarés par les vendeurs,
même lorsqu’il s’agit de sommes importantes et régulières, et la
recherche de cette forme particulière d’infraction apparaît complexe.
Ce problème est encore accru dans le cadre du développement des
prestations de services dématérialisées : télécommunications, logiciels,
musique, vidéo à la demande, jeux en ligne. Comment les administrations
fiscales et sociales pourront-elles s’assurer demain que les opérateurs de
ses services respectent bien leurs obligations fiscales et sociales ?
Face à cette évolution, les administrations de contrôle ont
commencé à réaliser des contrôles sur ce type d’activités. De plus, les
Etats de l’OCDE ont lancé plusieurs initiatives afin d’adapter les
systèmes de taxation. Ainsi, au niveau de l’OCDE, la conférence
d’Ottawa, en octobre 1998, a permis de définir les conditions à appliquer
en matière de taxation du commerce électronique. De même, l’Union
européenne a adopté une directive spécifique sur l’application de la TVA
au commerce électronique en 2002.
106
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
En matière de fraude, la directive prévoit notamment la mise en
place d’un interlocuteur fiscal unique pour les opérateurs des pays tiers
qui réalisent des transactions électroniques auprès de consommateurs
finaux au sein de l’Union européenne. Ceci est destiné à inciter ces
opérateurs des pays tiers à s’acquitter de leurs obligations.
Pour autant, cette obligation de déclarer ses opérations sur le
portail électronique unique n’est assortie d’aucune sanction particulière et
elle est, en pratique, extrêmement difficile à contrôler. Ainsi, comme
l’indique un rapport récent,
« compte tenu de cette difficulté à contrôler
les prestations dématérialisées en provenance des États tiers, la TVA
versée par les opérateurs de ces pays s’apparente plus à une contribution
volontaire qu’à la stricte application des règles en matière de TVA
86
»
.
Bien qu’encore marginal pour le moment, le développement du
commerce électronique et tout particulièrement des prestations de
services dématérialisées pourrait générer dans les années qui viennent des
opportunités de fraude nouvelles et importantes et poser ainsi un véritable
défi aux services de contrôle, compte tenu de la difficulté pour réaliser un
contrôle sur des opérateurs virtuels et ne disposant pas d’établissements
stables sur le territoire national.
86) Commission LÉVY-JOUYET,
Rapport sur l’économie de l’immatériel
,
décembre 2006.
Deuxième partie -
L'adaptation du
dispositif de contrôle à ces nouvelles
tendances est encore imparfaite
Les tendances lourdes d’évolution de la fraude qui viennent d’être
analysées compliquent fortement la tâche des services de contrôle. Les
contrôles traditionnels, centrés sur la comptabilité de l’entreprise et les
modalités de rémunération de ses employés, apparaissent de moins en
moins efficaces lorsque les contribuables ne sont plus enregistrés ou
lorsqu’ils localisent à l’étranger une partie de leur activité.
Il importe donc de s’interroger sur l’adaptation de notre dispositif
de contrôle face aux défis engendrés par ces comportements frauduleux
en développement. Tel est l’objet de cette deuxième partie.
Le premier chapitre est consacré à la présence des administrations
en charge du recouvrement des prélèvements obligatoires face à ces
nouveaux défis. Il analyse donc la couverture par la DGI et par le réseau
des URSSAF des différents risques de fraude.
Le deuxième chapitre étudie la question de l’organisation et des
méthodes de contrôle. Aujourd’hui, aussi bien les services fiscaux que les
contrôleurs des URSSAF s’appuient principalement sur des contrôles
longs et exhaustifs des contribuables, vérification générale ou contrôle
comptable d’assiette. De plus, chaque service fonctionne de façon
relativement autonome, ce qui conduit à s’interroger sur la coordination
des efforts en matière de lutte contre la fraude.
Le dernier chapitre est consacré aux sanctions applicables en
matière de prélèvements obligatoires. En particulier, la question de
l’utilisation des sanctions pénales pour réprimer la fraude aux
prélèvements obligatoires est examinée.
Chapitre V– Certains risques de fraude
sont imparfaitement contrôlés
Les contrôles qu’exercent les administrations en charge du
recouvrement des prélèvements obligatoires ont un rôle de dissuasion
fondamental pour l’ensemble de la population des redevables : la « peur
du gendarme » constitue un ressort puissant du civisme en matière de
prélèvements obligatoires. Or, pour être véritablement efficace, cet effet
dissuasif doit être ressenti par les contribuables qui doivent considérer
qu’ils ont une chance non négligeable d’être contrôlés dans un avenir
proche.
Dès lors, la couverture des contribuables par les opérations de
contrôle, c’est-à-dire le taux de personnes effectivement contrôlées, doit
être suffisamment importante pour éviter le développement d’un
sentiment d’impunité chez certaines catégories de contribuables.
Jusqu’ici, la DGI comme le réseau des URSSAF ont eu tendance à
privilégier, dans la couverture de leur tissu fiscal, les enjeux budgétaires
et donc à concentrer les contrôles sur les entreprises de taille importante.
Ce choix, s’il est parfaitement défendable du point de vue du
recouvrement direct des prélèvements obligatoires, peut néanmoins
rentrer en contradiction avec l’objectif de dissuasion et aboutir à ce que
certaines « petites fraudes » soient peu contrôlées.
De plus, on a observé, jusqu’à récemment, quelques failles assez
préoccupantes, notamment concernant les cotisations de la protection
sociale, qui n’entrent pas dans le champ de compétences des URSSAF.
110
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
De plus, toujours dans une perspective de dissuasion, la répartition
géographique des effectifs de contrôle doit être ajustée en fonction de
l’importance du risque de fraude. Cette préoccupation semble assez bien
prise en compte par la DGI comme par l’ACOSS.
I
-
Globalement, les administrations en charge du
recouvrement ont su maintenir un niveau de
vigilance satisfaisant sur les enjeux budgétaires
Depuis plusieurs décennies, les administrations fiscales des Etats
de l’OCDE oscillent entre deux axes stratégiques opposés : le
renforcement du service à l’usager d’une part, et le renforcement des
contrôles et de la couverture des risques d’autre part. Les années 1990 ont
incontestablement été celles du service avec des efforts très sensibles
pour faciliter la réalisation par le contribuable de ses obligations et
améliorer sa satisfaction par rapport aux prestations offertes par
l’administration
87
.
Sans remettre en cause les acquis obtenus en matière de service, il
apparaît que plusieurs administrations, notamment aux Etats-Unis et au
Canada, mettent désormais davantage l’accent sur le volet « contrôle » et
renforcent leurs politiques et leurs moyens dans ce domaine (cf.
infra
).
Par rapport à ces évolutions, la France apparaît dans une position
plutôt atypique au sens où elle a été moins concernée par ce mouvement
de balancier. D’abord, les efforts en matière de qualité de service ont
commencé plus tardivement, à la fin des années 1990, même s’ils sont
devenus l’orientation stratégique première qui se retrouve aussi bien dans
le contrat de performance de la DGI que dans la convention d’objectifs et
de gestion de l’ACOSS. Pour autant, cette réelle amélioration en termes
de services ne s’est pas accompagnée d’un recul en termes de capacités
de contrôle et de couverture de la population des contribuables.
A - La DGI a maintenu son niveau de contrôle
1 -
Un niveau de contrôle stable
Le nombre de contrôles fiscaux externes est marqué, depuis au
moins une décennie, par une remarquable stabilité. La DGI réalise chaque
année environ 50 000 contrôles, dont près de 90 % sont des vérifications
de comptabilité des entreprises, le reste concernant les impôts des
particuliers.
87) Voir notamment sur ce thème le rapport de l’Inspection générale des finances,
Mission d’analyse comparative des administrations fiscales
, mai 1999.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
111
Graphique n°6 – Nombre de contrôles fiscaux externes depuis 1996
0
10 000
20 000
30 000
40 000
50 000
60 000
1996
1998
2000
Examens de situation
fiscale personnelle
Vérifications de
comptabilité
On n'a donc pas observé de relâchement ou de ralentissement dans
l'effort de contrôle de la part des services fiscaux. Au demeurant, bien que
la DGI ait réalisé des réductions d’effectifs importantes depuis le contrat
de performance 2001-2003, ceux dédiés au contrôle fiscal n’ont pas
diminué.
De même, concernant les poursuites pénales et l’exercice du droit
d’enquête prévu aux articles L. 80 F et L. 80 J. du LPF, le recours à ces
procédures demeure assez constant depuis une dizaine d’années.
Graphique n°7 – Recours aux poursuites pénales et au droit d’enquête
0
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
4 500
1996
1997
1998
1999
2000
2001
Nombre de droits
d’enquête clôturés
Nombre de poursuites
pénales
En termes strictement quantitatifs, la DGI a donc maintenu à un
niveau très stable ses moyens et ses actions de contrôle.
112
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
2 -
Une couverture du tissu qui tend à privilégier les enjeux
budgétaires
Le taux de couverture par la DGI des entreprises présentes dans
son fichier est de 1 %, ce qui signifie qu’une entreprise choisie au hasard
fait l’objet d’un contrôle à peu près tous les cent ans. Ce taux apparaît
relativement faible, même s’il est comparable à celui constaté dans
d’autres Etats de l’OCDE, notamment les Etats-Unis, le Canada ou
encore la Suède. D’autres Etats ont des taux de couverture nettement plus
importants du fait du recours à des méthodes de contrôle différentes
(cf.
infra
).
Ce constat d’un faible taux de couverture mérite pourtant d’être
nuancé à plusieurs titres. D’abord, le niveau de la couverture varie
fortement selon les niveaux de contrôle et on constate que plus les enjeux
budgétaires sont importants, plus la DGI assure une présence forte en
termes de contrôle.
Tableau n°
15. – Taux de couverture par niveau de contrôle fiscal externe
Niveau
Taux de
couverture
(en %)
Départemental (DSF)
0,60%
Interrégional (DIRCOFI)
6,50%
National (directions
nationales)
8,20%
Total
1,00%
A la DVNI, qui est en charge du contrôle des grandes entreprises et
où les enjeux budgétaires sont très élevés - 30 % des redressements du
contrôle fiscal - avec un très bon taux de recouvrement, le taux de
couverture atteint environ 20 %, c’est-à-dire que toutes les entreprises
« têtes de groupe » sont vérifiées au moins une fois tous les cinq ans.
La deuxième objection que l’on peut apporter au constat d’un
faible taux de couverture est que cet indicateur ne prend pas en compte le
ciblage des entreprises à risque effectué par la DGI. Les services de
contrôle effectuent en effet, au moment de la programmation des
contrôles, un tri dans le portefeuille dont ils ont la charge et affectent les
moyens là où les enjeux, notamment budgétaires, apparaissent les plus
importants. Dans ces conditions, un indicateur plus pertinent serait de
rapporter le nombre d’entreprises contrôlées au nombre d’entreprises à
risque mais un tel indicateur est difficile à calculer.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
113
Ainsi, en dépit d’un taux de couverture relativement faible, la
direction générale des impôts assure un niveau de contrôle plus important
sur les grosses PME et sur les grandes entreprises, ce qui est satisfaisant
d’un point de vue budgétaire. On peut, en revanche, davantage
s’interroger sur les conséquences de cette situation en termes de présence
sur le terrain de l’administration fiscale et d’effet dissuasif des contrôles.
3 -
Une stratégie orientée sur le civisme fiscal qui commence par
le respect des obligations déclaratives
Tout en maintenant ses contrôles à un niveau constant, la direction
générale des impôts
a choisi le développement du civisme fiscal comme
cap
stratégique
de
son
action
depuis
2000,
c’est-à-dire
«
l’accomplissement volontaire de leurs obligations fiscales par les
contribuables »
88
, s’inscrivant ainsi dans une évolution suivie par la
majorité des administrations fiscales de l’OCDE (cf.
infra
).
Cette stratégie a un impact direct en termes de contrôle. D’abord,
en facilitant la vie du contribuable et en cherchant à simplifier ses
obligations fiscales, cette démarche a pour but de traiter en amont et de
réduire une partie des irrégularités et même une partie de la fraude, ce qui
doit permettre ensuite aux services de contrôle de se concentrer sur la
fraude intentionnelle.
Par ailleurs, cette stratégie peut également permettre de détecter de
façon précoce les comportements irréguliers ou à risque et donc
d’orienter une partie de la programmation des contrôles.
Tableau n°
16. - Evolution des indicateurs de civisme fiscal
2001
2002
2003
2004
2005
CIV1 : Déclaration de TVA
dans le délai légal
-
-
84,20%
88,48%
89,17%
CIV2 : Déclaration d'impôt
sur le revenu dans le délai
légal
94,90%
96,03%
97,50%
97,75%
97,78%
CIV3R : paiement dans le
délai légal
96%
96,50%
98,20%
98,47%
98,75%
88) Titre 1 du contrat de performance 2003-2005 de la DGI.
114
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le tableau précédent présente les résultats obtenus par la DGI
depuis 2001 grâce à la stratégie mise en oeuvre depuis cette date et
souligne les progrès obtenus par cette administration dans le respect des
obligations déclaratives par les entreprises.
B - Dans le réseau des URSSAF, l’amélioration du
ciblage s’est accompagnée d’une diversification des
contrôles
Contrairement à la DGI, le réseau des URSSAF, dont le taux
global de couverture est nettement supérieur
89
, s’est engagé depuis
plusieurs années dans une stratégie de réduction du nombre de contrôles
comptables d’assiette. Cette stratégie a été accompagnée d’efforts dans le
ciblage, si bien que le montant global redressé a continué à augmenter.
De plus, cette baisse du nombre de contrôles comptables d’assiette
s’est accompagnée d’une diversification des modes de contrôle, si bien
que, globalement, la présence des URSSAF sur le terrain est restée stable.
1 -
L’élargissement du champ des contrôles des URSSAF s’est
accompagné d’un meilleur ciblage des entreprises contrôlées
Le nombre de contrôles comptables d’assiette a diminué de 25 %
entre 1999 et 2005, ce qui s’est traduit par une baisse du taux de contrôle
des cotisants, qui s’établit à 5,30 % en 2005, soit un risque d’être contrôlé
tous les 18,8 ans.
89) Il faut cependant préciser que la durée moyenne des contrôles effectués par la
DGI et par l’URSSAF est très différente : environ 1,3 jour pour un contrôle comptable
d’assiette contre environ 84 jours pour une vérification générale (cf.
infra
).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
115
Graphique n°8 – Evolution du taux de contrôle des cotisants et des cotisations
dans le réseau des URSSAF entre 1998 et 2005
0,00%
5,00%
10,00%
15,00%
20,00%
25,00%
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
140 000
160 000
180 000
Taux de contrôle
des cotisants
Taux de contrôle
des cotisations
Nombre de
contrôles
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette évolution à la baisse
du nombre de contrôles. Il y a d’abord la mise en place de nouvelles
mesures, notamment d’exonérations de charges, ce qui accroît le champ
du contrôle. De plus, l’amélioration du ciblage a augmenté le nombre
d’éléments à vérifier lors d’un même contrôle : le nombre de motifs de
redressement est ainsi passé de 2,5 à 2,7 entre 2004 et 2005. Enfin,
dernier élément, la modification des règles de prescription des cotisations
et contributions a conduit à un élargissement de la période de contrôle,
avec, là encore, une augmentation de la durée du contrôle.
116
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Encadré n°5 : Le contrôle des URSSAF
Le contrôle des cotisations effectué par les URSSAF
90
est limité dans le
temps par le délai de reprise des cotisations, qui est celui dans lequel les
organismes de recouvrement peuvent réparer les omissions, insuffisances ou
erreurs concernant les cotisations sociales. En vertu des dispositions de l’article
L.244-3 du code de la sécurité sociale, ce délai comprend les trois dernière
années civiles achevées ainsi que l’année en cours.
Tout contrôle sur place doit être précédé par l’envoi en recommandé d’un
avis de contrôle
envoyé au minimum 15 jours avant le début de celui-ci
91
(article
R.243-59 du code de la sécurité sociale). En vertu des dispositions de l’article
L.243-7 du même code, les agents du contrôle sont les inspecteurs du
recouvrement des URSSAF, assermentés et tenus au secret professionnel. Ils sont
en droit d’exiger à tout moment
la communication du double des bulletins de
paie
(article L.243-12) et les employeurs sont tenus de
communiquer «
tout
document
et de permettre l'accès à tout support d'information qui leur sont
demandés par ces agents comme
nécessaires à l'exercice du contrôle
» (article
R.243-59 précité).
Le contrôle se clôt obligatoirement par une lettre d’observation
qui
récapitule l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée, la
période de vérification ainsi que les éventuels redressements envisagés (nature,
mode de calcul et montant). Cette communication, qui n’est soumise à aucun
délai
92
, peut faire l’objet d’une réponse de l’employeur dans les 30 jours qui
suivent son envoi. A l’issue des 30 jours et en l’absence de réponse de
l’employeur, l’URSSAF peut procéder, le cas échéant, à la mise en recouvrement
du redressement en adressant à l’employeur une
mise en demeure
à valeur
exécutoire (cf.
supra
).
Cette mise en demeure pourra aboutir à une
contrainte
, procédure
extrajudiciaire signifiée par acte d’huissier, à laquelle le cotisant pourra faire
opposition
dans les 15 jours. Dans tous les cas, les décisions de l’URSSAF
faisant grief au cotisant peuvent faire l’objet d’un recours devant la
Commission
de recours amiable
(CRA) de l’URSSAF.
La diminution du nombre de contrôles n’a pas eu d’impact sur les
redressements. Au contraire, grâce à l’amélioration du ciblage, les
montants redressés ont fortement progressé entre 1999 et 2004 (+40 %)
pour atteindre 827 M€ en 2005. Comme on l’a déjà noté dans la première
partie du rapport, les redressements issus des contrôles comptables
90) Dans tout ce paragraphe, le contrôle étudié sera celui des cotisations de sécurité
sociale du régime général des travailleurs salariés effectué par les URSSAF. Le
contrôle des cotisations des travailleurs indépendants, également effectué par les
URSSAF, ainsi que celui des agriculteurs dont les caisses de la MSA ont la
responsabilité, ne diffèrent toutefois pas fondamentalement de celui-ci.
91) A l’exception des contrôles portant sur l’infraction de travail illégal, pour des
raisons évidentes d’efficacité (article R.243-59 précité).
92) Cass. 2ème civ. , 11 juillet 2005, n°1228 : RJS 11/05 n°140.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
117
d’assiette sont concentrés sur certains motifs. Ainsi, en nombre de
contrôles, trois motifs assez traditionnels représentent près de 75 % du
total :
les
rémunérations
non
soumises
à
cotisations,
les
frais
professionnels et les cotisations, contributions et versements annexes.
Néanmoins, depuis 10 ans, les motifs de redressement liés aux mesures
dérogatoires en faveur de l’emploi ont également fortement augmenté.
Comme la DGI, les URSSAF donnent la priorité aux enjeux
budgétaires dans leur politique de couverture du tissu de leurs cotisants.
Ainsi, le taux de contrôle est nettement supérieur pour les grandes
entreprises (plus de 200 salariés) par rapport aux plus petites d’entre elles.
Ainsi, alors que 5,3 % des personnes ont été contrôlées, les contrôles
comptables d’assiette ont permis de vérifier la situation de 19,95 % des
salariés et 16,62 % des cotisations. Sur trois ans, le réseau des URSSAF
vérifie ainsi plus de la moitié des cotisations dues par les cotisants.
2 -
La diversification des modes de contrôle
La baisse du nombre de contrôles comptables d’assiette n’a pas
entraîné de diminution de la présence des URSSAF auprès des cotisants.
Ainsi, le taux de couverture du fichier
est passé de 7,95 % à 8,12 % entre
2004 et 2005. Le nombre d’entreprises dont la situation a été examinée
par un inspecteur est passé en une année de 165 756 à 173 866.
L’accroissement en deux ans est de plus de 4 %.
Cette
augmentation
a
été
réalisée
dans
le
cadre
d’une
diversification des modes de contrôle. Parmi les nouveaux types de
contrôle, figurent notamment les contrôles liés à la lutte contre le travail
dissimulé, les actions de prévention (offres de conseil personnalisé…), les
contrôles
sur
certaines
catégories
professionnelles
(travailleurs
indépendants…), les contrôles partiels ou encore les contrôles sur pièces
(cf.
infra
).
II
-
Certains prélèvements et certains secteurs ne
sont pas suffisamment contrôlés
Si les administrations en charge du recouvrement ont su maintenir
une pression forte sur les principaux enjeux budgétaires, une analyse de la
répartition des contrôles fait cependant apparaître des déficiences dans la
couverture des enjeux.
118
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le point le plus grave concerne les cotisations sociales et, plus
exactement, les cotisations dues au titre des régimes de retraite
complémentaire et d’assurance-chômage, pour lesquels aucun contrôle
n’est effectué.
Dans le domaine fiscal, certains secteurs font l’objet d’une
couverture assez lâche alors même que l’on peut penser que les enjeux
fiscaux sont importants.
Enfin, la répartition géographique des effectifs des services de
contrôle n’apparaît pas entièrement optimale par rapport aux enjeux.
A - Certains prélèvements sociaux ne font l’objet
d’aucun contrôle ni redressement
La première limite du contrôle des cotisations sociales concerne
son champ. Dans le cas des travailleurs salariés du régime général, seuls
les URSSAF exercent un contrôle systématique du paiement des
cotisations et de sa régularité.
Ni les cotisations d’assurance-chômage ni celles de retraite
complémentaire ne font l’objet de vérifications, les régimes concernés ne
disposant pas de corps d’inspection. Les redressements opérés par les
URSSAF, qui se font sur des assiettes souvent communes à l’ensemble
des cotisations sociales, ne portent ainsi que sur les cotisations de sécurité
sociale, sans même que les assiettes redressées et les irrégularités soient
communiquées aux autres régimes de protection sociale, lesquels
n’apparaissent pas nécessairement demandeurs en ce domaine. Au total,
c’est près de 75 Md€ de cotisations qui ne font l’objet pratiquement
d’aucun contrôle, alors même que les agents de contrôle des URSSAF
procèdent à des vérifications qui portent sur des assiettes identiques.
Les régimes de retraite complémentaire justifient leur position en
arguant d’un contrôle décentralisé qui serait opéré par les assurés eux-
mêmes. Ce contrôle par le salarié devrait d’ailleurs être facilité dans le
cadre du système d’information des droits acquis de l’assuré prévu par la
réforme des retraites de 2003. L’argument du GIE
93
AGIRC/ARRCO
n’apparaît cependant pas recevable : s’il est exact que les systèmes
contributifs sont par nature moins sujets à l’évasion, ce contrôle
décentralisé fait du salarié un inspecteur du recouvrement qui ne mesure
pas toujours l’importance de sa responsabilité.
93) Groupement d’intérêt économique.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
119
Le cas de l’assurance chômage apparaît plus significatif encore.
L’UNEDIC a, pour l’heure, rejeté les propositions de l’ACOSS de faire
des services de contrôle des URSSAF le corps d’inspection de l’assurance
chômage
94
.
La loi de financement pour la sécurité sociale pour 2007 vient
heureusement mettre fin à cette situation en prévoyant notamment que les
services de contrôle des URSSAF sont habilités à vérifier l’assiette, le
taux et le calcul des cotisations de retraite complémentaire ainsi que
d’assurance-chômage. Ces cotisations devraient donc désormais faire
l’objet des contrôles nécessaires pour éviter la fraude, sous réserve que
les conventions qu’il prévoit soient rapidement signées entre l’ACOSS,
l’UNEDIC, l’ARRCO et l’AGIRC.
B - Dans le domaine fiscal, certains secteurs d’activité
sont mal couverts
Il existe des différences importantes dans les taux de couverture
par le contrôle fiscal externe de certains secteurs ou de certaines
catégories de contribuables.
En soi, ces différences ne sont pas nécessairement problématiques.
En effet, il est légitime que l’administration fiscale définisse des priorités
et concentre ses moyens sur les domaines qui paraissent présenter les plus
grands risques en termes d’irrégularité et de fraude.
Deux écueils sont cependant à éviter :
les secteurs sur lesquels les moyens de la lutte contre la fraude
sont concentrés doivent effectivement correspondre à des
enjeux importants ;
les secteurs proportionnellement moins contrôlés ne doivent
cependant pas être trop délaissés car cette absence de
l’administration fiscale risque alors de laisser libre cours à un
développement rapide de la fraude.
C’est au regard de ces deux critères que doit être appréciée la façon
dont l’administration fiscale se déploie dans sa lutte contre la fraude
fiscale.
94) Dans le cadre du GUSO (guichet unique du spectacle occasionnel), géré par
l’assurance chômage (cf.
supra
) un système de guichet unique a toutefois été mis en
place qui permet le contrôle sur l’ensemble des cotisations sociales ainsi que le
recoupement entre les cotisations versées et les droits revendiqués.
120
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le tableau suivant présente le taux de couverture du contrôle fiscal
externe, c’est-à-dire le nombre de contrôles effectués rapporté au nombre
d’entreprises du secteur figurant dans les fichiers de la DGI.
Tableau
17. : Taux de couverture des DSF, DIRCOFI et directions nationales en 2004 en
fonction des secteurs d’activité
Secteurs d’activité
Taux de
couverture
du tissu
par les
DSF
Taux de
couverture
du tissu
par les
DIRCOFI
Taux de
couverture
du tissu
par les
directions
nationales
Taux
global de
couverture
Activités diverses
0,60%
9,70%
31,90%
0,70%
Activités financières
1,00%
5,50%
11,40%
2,80%
Activités immobilières
0,30%
6,00%
3,00%
0,40%
Agriculture, chasse, sylviculture
0,10%
2,10%
5,70%
0,20%
Commerce de détail et
réparations d’articles
domestiques
0,70%
4,30%
8,20%
1,00%
Commerce de gros et
intermédiaires de commerce
2,60%
8,60%
16,80%
4,30%
Commerce et réparation
automobile
1,80%
4,80%
12,60%
2,50%
Construction
1,30%
11,20%
6,90%
1,80%
Education, Santé Action sociale
0,40%
2,80%
0,90%
0,50%
Energie
1,20%
9,90%
12,50%
2,70%
Industrie automobile
1,30%
13,20%
40,60%
7,00%
Industries agricoles et
alimentaires
1,10%
4,90%
15,30%
2,10%
Industries des biens de
consommation
1,50%
4,50%
6,90%
2,30%
Industries des biens d'équipement
0,90%
21,70%
21,50%
2,50%
Industries des biens
intermédiaires
1,20%
16,70%
37,90%
3,60%
Services aux entreprises
1,40%
5,80%
6,70%
2,20%
Services aux particuliers
0,80%
6,30%
5,70%
0,90%
Transports
0,80%
5,90%
6,50%
1,90%
Total
0,60%
6,50%
8,20%
1,00%
Source : Direction générale des impôts
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
121
L’analyse par secteur met en évidence des disparités très fortes
dans les taux de couverture selon les secteurs. Certaines activités font
ainsi l’objet d’un contrôle manifestement moins fréquent que d’autres. Il
en est ainsi de l’éducation, de la santé et de l’action sociale, de
l’agriculture et de l’immobilier.
S’agissant du secteur de l’éducation et de l’action sociale, on peut
raisonnablement avancer que la faiblesse des enjeux justifie la rareté des
contrôles sur cette activité.
Cette conclusion est moins évidente concernant l’agriculture. En
effet, les bases fiscales peuvent certes être variables selon les
départements mais pas au point de justifier un taux de couverture aussi
faible que 0,2 %, ce qui correspond à une chance d’être contrôlé tous les
500 ans.
Tableau
18. – Taux de couverture des bénéfices agricoles (impôt sur le revenu)
en fonction du
chiffre d’affaires
Taux de couverture du
tissu total
CA > 152 449
0,30%
76 225 < CA <152 449
0,10%
0 < CA <76 225
0,10%
Bénéfices agricoles
0,10%
De plus, il ne semble pas y avoir de différences très marquées en
fonction des enjeux financiers. Ainsi, les agriculteurs qui réalisent plus de
0,15 M€ de chiffre d’affaires présentent un taux de couverture
faible,
trois fois inférieur au taux national moyen pour 2005 et plus de huit fois
inférieur à celui constaté pour un prestataire de services ayant un niveau
comparable de chiffre d’affaires.
Cette faiblesse des contrôles dans le secteur agricole ne peut
cependant pas tout à fait être reprochée à la direction générale des impôts
dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte plus général dans lequel
le législateur a plutôt cherché à alléger la charge fiscale de ce secteur en
difficulté (forfait agricole, exonération partielle de taxe foncière sur les
propriétés non bâties, allègement de taxe intérieure sur les produits
pétroliers…).
En revanche, la faiblesse de la couverture concernant le secteur de
l’immobilier apparaît beaucoup plus surprenante : que ce soit au niveau
des directions des services fiscaux (DSF), des directions du contrôle fiscal
(DIRCOFI) ou des directions nationales de contrôle, le niveau de
couverture de ce secteur est toujours nettement inférieur au taux moyen
national. Ce constat est d’ailleurs confirmé sur un aspect particulier, celui
122
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
du contrôle des revenus fonciers, certains de ces revenus (loueurs de
parking, locaux nus industriels ou commerciaux…) n’ayant même fait
l’objet d’aucun contrôle en 2004.
Tableau
19. – Taux de couverture des revenus fonciers selon le type de revenus
Taux de couverture
du tissu total
RF (loueurs parkings/locaux nus
industriels ou commerciaux)
0,00%
SCI déposant des déclarations n°2071
et
2072
0,10%
Sous-total revenus fonciers
0,20%
Il faut néanmoins préciser que ces chiffres ne concernent que le
contrôle fiscal externe et ne prennent donc pas en comptes les contrôles
sur pièces qui ont pu être effectués.
C - La répartition des effectifs sur le territoire est
globalement bien adaptée
En l’absence d’une estimation de la fraude, il est assez difficile
d’évaluer de façon objective la répartition des agents de contrôle sur le
territoire national. Néanmoins, même en l’absence d’une telle mesure, on
peut utiliser d’autres agrégats qui permettent d’approcher le niveau réel
de fraude : le PIB ou encore le nombre de contribuables à contrôler.
La couverture géographique est un enjeu très important. En cas de
sous-effectif du contrôle, il y a un risque que la fraude se développe selon
un phénomène cumulatif. Inversement, des effectifs trop importants
reflètent une gestion peu efficace des moyens publics et peuvent aussi
conduire à des contrôles trop fréquents et donc mal vécus par les
contribuables.
De l’analyse menée dans le cadre de ce rapport, il apparaît
globalement que ces préoccupations ont été prises en compte de façon
adéquate
par
les
administrations
de
contrôle
car
la
répartition
géographique de leurs effectifs apparaît correspondre, globalement,
à la
répartition des enjeux sur le territoire.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
123
III
-
Les politiques de contrôle doivent concilier
des finalités divergentes au risque de laisser passer
une partie de la fraude
La couverture des enjeux de fraude par les services de contrôle
présente un paradoxe. En effet, en principe, les services de contrôle ne
sont pas astreints à un objectif budgétaire exprimé en montant redressé.
Pourtant, lorsque l’on observe les taux de couverture par catégorie
d’entreprises, on constate que les services ont tendance à beaucoup plus
contrôler les grandes entreprises, dont les erreurs ont un impact
budgétaire important mais qui représentent un enjeu plus faible en termes
de fraude
stricto sensu
. A l’inverse, le taux de couverture des petites
entreprises est très nettement plus faible.
Ce choix s’explique par un souci de gestion efficiente des moyens
publics qui conduit les administrations en charge du recouvrement à
préférer concentrer leurs effectifs sur les cas qui se traduiront par la
récupération des sommes les plus fortes au bénéfice du budget de l’Etat et
de la Sécurité sociale. Il peut néanmoins apparaître assez contestable en
terme de dissuasion et aboutit à ce que certains « petits » fraudeurs
échappent largement aux contrôles.
A - Le choix entre les finalités du contrôle n’est pas
toujours évident
Les contrôles menés par les services fiscaux et les URSSAF
obéissent à des logiques et des objectifs différents qui sont bien résumés
par les trois finalités définies par la direction générale des impôts :
une finalité budgétaire de récupération des montants éludés ;
une finalité de répression des comportements frauduleux et de
punition de leurs auteurs ;
une finalité de dissuasion à l’égard de l’ensemble de la
population des contribuables.
Or, si la finalité répressive ne pose pas de difficultés particulières,
la conciliation entre un objectif budgétaire et une logique de dissuasion
est plus complexe.
En effet, dans une perspective budgétaire, les services de contrôle
ont intérêt à se concentrer sur les contribuables les plus importants,
d’autant plus que les cas d’irrégularité – mais pas nécessairement les cas
de fraude – y sont les plus fréquents. Ainsi, le taux de redressement des
124
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
personnes suite à contrôle de l’URSSAF atteint 89,1 % pour les grandes
entreprises contre seulement 44,8 % pour les petites entreprises. On peut
d’ailleurs faire le même constat pour les contrôles de la DGI. Ainsi, si
l’on
prend
l’exemple
du
contrôle
des
bénéfices
industriels
et
commerciaux en matière de prestations de service, le taux de contrôle
sans redressement atteint 28,6 % pour un chiffre d’affaires inférieur à
80 000 € contre 9,4 % pour un chiffre d’affaires supérieur à 6 M€.
Pour autant, dans une logique de dissuasion, il est préférable de
chercher à couvrir le plus possible le tissu fiscal de façon à maintenir une
présence et une visibilité suffisante de l’administration fiscale, y compris
pour les contribuables de taille plus limitée. Ceci apparaît d’autant plus
nécessaire que la fraude et l’irrégularité, si elles sont peut-être moins
fréquentes de la part des petites entreprises, sont souvent, en proportion,
de plus grande ampleur. Ainsi, pour les contrôles de l’URSSAF, le taux
de redressement des cotisations contrôlées atteint 4,69 % pour les petites
entreprises contre 2,02 % pour les grandes.
L’arbitrage entre ces finalités n’est donc pas toujours évident dans
un contexte où les moyens des services de contrôle restent stables.
Aujourd’hui, comme on l’a vu précédemment, les administrations en
charge du recouvrement, aussi bien du côté de la DGI que de celui du
réseau des URSSAF, tendent plutôt à privilégier la logique budgétaire.
Ainsi, la couverture des entreprises grandes et moyennes est relativement
forte tandis qu’elle atteint des niveaux assez faibles pour les petites
entreprises.
Ce choix n’est d’ailleurs pas forcément explicitement assumé et
peut paraître en contradiction avec le fait que les services de contrôle
n’ont pas d’objectifs en termes de montants redressés. Il reflète
néanmoins le souci des administrations d’une allocation efficace des
moyens et d’un souci de bonne gestion des deniers publics. En effet, dans
la mesure où le premier objectif de la direction générale des impôts et du
réseau des URSSAF est la collecte des prélèvements obligatoires, il est
normal que celles-ci cherchent d’abord à récupérer, à travers le contrôle,
les montants les plus importants. De plus, cette préférence pour le
budgétaire traduit également le constat que, sur le terrain, il est difficile
de mobiliser les agents de contrôle sur des cibles qui présentent des
enjeux faibles en termes de montants à redresser et pour lesquelles ils ont
peut-être moins de chance de trouver des éléments à corriger.
Cette approche plutôt centrée sur le budgétaire n’est au demeurant
pas propre aux administrations de recouvrement françaises. Par exemple,
au Royaume-Uni, dans une approche très
value for money
, le rapport
annuel du HMRC compare les montants redressés par les contrôles au
coût de ces contrôles afin d’évaluer l’efficacité et la pertinence de
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
125
l’allocation des moyens. Le ratio est ainsi de 12,9 pour les contrôles en
matière d’impôt sur les sociétés pour l’exercice 2004-05. Il ne s’agit
cependant pas du seul critère et le rapport annuel précise qu’il faut
également prendre en compte l’effet de dissuasion, bien qu’il soit
difficilement quantifiable.
En effet, la critique que l’on peut apporter à la préférence donnée à
la logique budgétaire est qu’elle sous-estime probablement l’effet indirect
des contrôles et l’importance de cet effet pour conduire les contribuables
à s’acquitter spontanément de l’ensemble de leurs obligations fiscales
95
.
De plus, l’approche centrée sur les montants redressés a tendance à
sous-estimer le fait que, comme on l’a vu, il existe un écart très important
entre les résultats des contrôles et les montants effectivement encaissés,
compte
tenu
des
contentieux
postérieurs
et
des
difficultés
de
recouvrement. Ainsi, un contrôle d’une moyenne entreprise qui peut
apparaître relativement « rentable »
a priori
pourra finalement ne rien
rapporter pour le budget de l’Etat si l’entreprise en question se met en
redressement ou en liquidation judiciaire.
Dès lors, le risque est qu’en privilégiant trop la perspective
budgétaire, les administrations en charge du recouvrement relâchent leur
couverture de l’ensemble de la population et laissent donc se développer,
dans certaines catégories, un sentiment d’impunité lié à la faiblesse du
contrôle. Dans ce cas, bien que les montants individuels restent faibles, le
volume global de fraude peut atteindre des montants élevés. Surtout, un
tel phénomène peut connaître une évolution cumulative et avoir des
conséquences très néfastes en termes de respect spontané de leurs
obligations fiscales et sociales par les contribuables et en termes
d’adhésion au système de prélèvements obligatoires.
De fait, on constate que, dès aujourd’hui, une partie de la « petite »
fraude fait l’objet d’un niveau de contrôle faible, ce qui ne va pas sans
risque en terme de civisme fiscal et peut-être même de cohésion sociale.
B - Dès lors, une partie de la fraude passe en dessous du
« radar » des administrations fiscales et sociales
1 -
La fraude à la prime pour l’emploi
La fraude à la prime pour l’emploi (PPE) est un bon exemple de
fraude qui, au niveau individuel, représente un faible montant, mais qui,
au niveau national, peut constituer, en dépit des progrès constatés, des
95) Cf. notamment l’enquête suédoise sur le travail illégal déjà citée.
126
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
montants non négligeables et surtout contribuer à diffuser une attitude
permissive par rapport à la fraude aux prélèvements obligatoires (ainsi
qu’aux prestations sociales).
La fraude à la PPE constitue également un exemple de fraude qui
consiste à chercher à bénéficier indûment d’une dépense fiscale mise en
place par le législateur (cf.
supra
). La particularité de la prime pour
l’emploi est que le mécanisme de fraude est inversé par rapport à celui
habituellement constaté par les services fiscaux. En effet, dans de
nombreux cas, la volonté de toucher la PPE conduit le contribuable
fraudeur à sur-déclarer ses revenus, pour toucher le montant maximal de
prime, et non à sous-déclarer.
Une étude spécifique de la Cour des comptes a procédé par
vérifications sur pièces dans douze centres des impôts de deux
départements et a mis en évidence le fait que, pour 75% des
429 déclarations 2002 observées, les revenus ou les heures mentionnés
présentaient plusieurs anomalies.
S’il est probable que la très grande majorité de ces cas
correspondent à des erreurs, il n’est pas interdit de penser que certains
d’entre eux relèvent de comportements frauduleux visant à se soustraire
au paiement d’un impôt dû et à majorer la prime pour l’emploi perçue.
Des études sont actuellement menées par le ministère des finances pour
affiner et actualiser l’évaluation réalisée par la Cour des comptes en 2002.
Au demeurant, ce problème de fraude liée au détournement d’un
crédit d’impôt en faveur du retour à l’emploi n’est pas spécifique à la
France et se retrouve dans tous les pays ayant mis en place un système
comparable. Au Royaume-Uni, les fraudes et erreurs sur l’équivalent
anglais de la PPE, le
Working Families Tax
Credit, sont estimées
à 1,28 Md £ (1,9 Md€). Aux Etats-Unis, la fraude à l’
Earned Income Tax
Credit
fait partie des attributions de la
Criminal Investigation,
la division
de l’IRS dédiée à la lutte contre les fraudes les plus sérieuses.
Compte tenu de la concentration des contrôles sur pièces sur les
dossiers présentant un enjeu financier significatif, la PPE, dont le montant
est, en moyenne, de 200 €, est peu contrôlée. Il est difficile, en
conséquence, d’évaluer, parmi les bénéficiaires pour lesquels le
recoupement d’informations ne permet pas de certifier les revenus
déclarés, la part des inciviques. De plus, les instruments classiques de
recoupement d’informations fiscales, comme le fichier FLR, ne sont pas
complètement opérants.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
127
Pour autant, le fait d’envisager des contrôles spécifiques sur la PPE
ne semble pas devoir être retenu. Compte tenu de la faiblesse des enjeux
individuels, la stratégie retenue par la DGI apparaît pertinente. En effet,
l’administration fiscale n’a pas retenu la PPE comme un axe de fraude
mais a indiqué la possibilité de pratiquer des actions ciblées sur quelques
catégories d’erreurs ou de fraudes les plus sensibles, en particulier lorsque
la domiciliation est incertaine
96
.
En fait, la prise en compte des enjeux liés à la PPE implique de
développer de nouvelles méthodes de contrôle, plus automatisées et
moins consommatrices de ressources. Ainsi, parmi les solutions
envisagées par la Cour des comptes pour répondre à ces risques de fraude,
il est proposé que les systèmes d’information soient «
paramétrés de
façon à assurer la détection et la correction, dans des proportions non
négligeables, de chacune des principales catégories d’anomalies
répertoriées – minoration des revenus perçus (sous-déclarations), mais
également inexactitudes sur les heures travaillées et majoration des
revenus perçus (sur-déclarations)
». La mise en place de la déclaration
pré-remplie constitue, de ce point de vue, un moyen intéressant pour
identifier plus rapidement les écarts entre les montants déclarés et les
montants effectivement perçus, ce qui concerne d’ailleurs l’ensemble des
contribuables.
2 -
Le problème des régimes simplifiés en faveur des TPE
Les entreprises les plus petites présentent des risques spécifiques
en terme de fraude mais se révèlent particulièrement difficiles à contrôler
dans la mesure où leurs obligations en terme de tenue de comptabilité
sont souvent très limitées (cf.
supra
). L’exemple du contrôle des
bénéfices industriels et commerciaux par la direction générale des impôts
est, sur ce point, assez éclairant (cf. tableau suivant).
96) Note du 7 novembre 2005 de la sous-direction du contrôle fiscal de la DGI.
128
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau
20. – Taux de couverture des contribuables soumis au régime des bénéfices industriels
et commerciaux au titre de l’impôt sur le revenu
Taux de couverture
du tissu total
BIC régime micro
0,10 %
BIC régime normal
2,80 %
BIC régime simplifié d'imposition
0,70 %
IS régime normal
4,60 %
IS régime simplifié d'imposition
1,70 %
Autres
0,20 %
Sous-total BIC/IS
1,60%
Ainsi, les micro-entreprises ne sont pratiquement jamais contrôlées
et les entreprises qui bénéficient du régime simplifié d’imposition font
l’objet de beaucoup moins de contrôles que les entreprises du régime
normal.
Cette situation est liée au fait que ces petits dossiers posent avant
tout un problème de sélection. Les outils d'analyse-risque des services de
contrôle prennent difficilement en compte cette population qui sort
souvent des critères utilisés. Ainsi, les petites entreprises en micro BIC et
RSI sont faiblement couvertes par le contrôle sur pièces comme par le
contrôle fiscal externe.
Une étude réalisée par la direction générale des impôts fait ainsi
apparaître un taux de présence annuel (2,4 %) sensiblement inférieur à
celui constaté sur l’ensemble des dossiers professionnels
97
. Les auteurs
indiquent que : « b
ien que s’estimant généralement compétentes pour le
contrôle sur pièces des régimes micro, les inspections spécialisées ne les
sélectionnent pas ès qualité estimant les enjeux insuffisants ou ne
correspondant pas aux attentes perçues de leur encadrement. La
présence sur ces dossiers reste essentiellement le fait des secteurs
d’assiette à l’occasion de l’exploitation d’autres axes de programmation.
Pour autant, cette population comporte des zones à risques (revenus
exonérés, contributions sociales non acquittées, erreurs de catégories
permettant de bénéficier d’un abattement supérieur) qui peuvent, comme
en atteste l’action de certains services, pour un coût modéré, être mieux
exploitées. C’est ainsi, par exemple, que sur un échantillon de
135 dossiers de l’espèce ayant fait l’objet d’un contrôle sur pièces (CSP),
70 % ont été redressés pour une moyenne de droits de 1 106 € par
dossier. Un tiers des rappels portaient sur le revenu micro lui-même »
.
97) DGI – Mission d’expertise et de liaison,
Etude sur la gestion et le contrôle des
entreprises soumises au régime micro (finalité dissuasive)
, novembre 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
129
Le contrôle sur pièces porte donc peu sur ces petites entreprises
alors même que la fraude y est souvent, en proportion, plus conséquente.
Ainsi, un document interne à la direction générale des impôts observe que
«
la fréquence des contrôles est 2,5 fois plus élevée pour une entreprise
au réel normal que pour une entreprise au régime simplifié d’imposition.
Pourtant, les résultats des vérifications portant sur les entreprises au
régime simplifié d’imposition sont supérieurs à ceux portant sur les
entreprises au régime normal
».
La même problématique se retrouve dans les URSSAF pour le
contrôle des très petites entreprises (TPE) dont on a vu que si les cas de
fraude ou d’irrégularité étaient généralement moins fréquents, ceux-ci
étaient, en proportion, plus importants dans les taux de redressement.
Ces constats plaident pour un développement des contrôles des
TPE mais cette orientation se heurte à la faiblesse des montants
individuels. Il y a donc là un enjeu de développement de nouveaux types
de contrôles de façon à améliorer la présence dans cette population des
administrations en charge du recouvrement, sans pour autant y consacrer
des moyens humains trop importants.
IV
-
En dépit des efforts récents, le travail
dissimulé reste le parent pauvre de la lutte contre
la fraude
Le travail dissimulé, bien que constituant une fraude évidente et
grave aux prélèvements obligatoires a, pendant longtemps, assez peu
mobilisé les administrations en charge du recouvrement. Or, il crée des
distorsions de concurrence fortes pouvant conduire à la mise en cause de
la pérennité de petites entreprises artisanales.
Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette situation. D’abord,
les contrôles dans ce domaine sont plus difficiles et plus complexes : il
faut, dans certains cas, détecter des fraudeurs non enregistrés dans les
fichiers et souvent déterminés à ne pas se mettre en règle. De plus, les
résultats de ces contrôles en termes de montants redressés peuvent
apparaître assez décevants par rapport à ceux que peut générer, par
exemple, un contrôle comptable d’assiette. On retrouve ici le difficile
arbitrage entre la finalité budgétaire et la finalité dissuasive du contrôle.
En dépit d’une amélioration récente liée à une volonté politique
affirmée dans ce domaine, l’implication des administrations en charge de
lutter contre le travail dissimulé apparaît encore insuffisante.
130
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
A - Malgré l’augmentation des contrôles dans certains
secteurs, la verbalisation progresse peu
1 -
Une forte mobilisation sur certains secteurs dans le cadre d’un
plan national
En juin 2004, la lutte contre le travail illégal a fait l’objet d’une
relance volontariste avec le lancement d’un plan national prévu pour la
période 2004-2005 et centré sur quatre secteurs identifiés comme
particulièrement à risque : le BTP, l’agriculture, le secteur « hôtellerie-
cafés-restaurants » et celui du spectacle vivant et enregistré.
La mise en oeuvre de ce plan s’est traduite par la réalisation de
59 256 contrôles en 2005 et la découverte d’environ 3 054 entreprises en
infraction, soit 5,2 % du total. Le montant des redressements notifiés dans
ce cadre s’élève à 17,6 M€, soit une augmentation de 17 % par rapport à
2004 et de 144 % par rapport à 2003.
D’une façon générale, d’après les statistiques de l’ACOSS, le
nombre d’actions de prévention et de recherche menées en matière de
travail dissimulé progresse de façon significative.
Graphique n°9 – Nombre d’actions de prévention et de recherche et
nombre de salariés contrôles entre 2002 et 2005
0
10 000
20 000
30 000
40 000
50 000
60 000
70 000
2002
2003
2004
2005
Nombre d'actions de
prévention et de recherche
Nombre de salariés vérifiés
Néanmoins, le nombre d’actions de prévention et de recherche en
matière de travail dissimulé ne représente, en 2005, qu’environ la moitié
du nombre de contrôles fiscaux et entre 20 et 25 % du nombre de
contrôles comptables d’assiette diligentés chaque année par le réseau des
URSSAF.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
131
2 -
Une verbalisation qui progresse peu mais des montants
redressés en nette hausse
En 2005, 6 593 procès-verbaux relatifs au travail illégal ont été
transmis à la DILTI. Ce chiffre, qui est en augmentation de 4,8 % depuis
2004, est toutefois inférieur aux résultats du contrôle opéré entre 1994 et
2000 (où il s’établissait à plus de 8 000 procès-verbaux par an, atteignant
même 10 092 en 1998). La verbalisation de 2005 ne représente ainsi que
72 % de son niveau dix auparavant.
Graphique n°10 : évolution du nombre de procès-verbaux reçus par la
DILTI
Toutefois, comme le souligne la DILTI, «
l’interprétation de cet
indicateur et de son évolution requiert une certaine réserve
98
». En effet,
les procédures de verbalisation ne sont pas uniformes, et tous les procès-
verbaux ne sont pas transmis à la DILTI. L’enquête menée en 2001 par la
délégation a ainsi conclu que le taux de transmission des procès verbaux
était de 61 %.
Il
n’en
reste
pas
moins
que
l’affichage
des
priorités
gouvernementales sur les dix dernières années ne s’est pas encore traduit
par une augmentation significative des résultats du contrôle.
L’examen des redressements opérés par les URSSAF en matière de
lutte contre le travail dissimulé donne une idée plus juste de l’implication
des services. Les montants des redressements sont présentés dans le
tableau ci-dessous.
98) DILTI,
Analyse de la verbalisation du travail illégal en 2005
, 2006.
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
132
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°
21. - Redressements opérés par les URSSAF pour travail illégal (en M€)
Année
2002
2003
2004
2005
Montant redressé
33
41
56
59
Source : ACOSS
La progression observée entre 2002 et 2005 est importante,
puisque les montants redressés ont augmenté de 96 %. En revanche,
l’année 2005 marque un palier, que l’ACOSS attribue à sa politique
générale de développement des opérations de contrôle non ciblées, qui
ont progressé de 26 % pour atteindre 27 000 actions en 2005
99
. Il faut
attendre pour savoir si la tendance des années 2002-2004 peut être
prolongée.
Par ailleurs, ces montants, bien qu’en progression importante,
doivent être mis en regard des évaluations du travail dissimulé qui
représente au moins 5,5 Md€ de cotisations de sécurité sociale éludées.
C’est donc environ 1 % des cotisations éludées qui sont effectivement
redressées par les URSSAF.
De plus, si l’on fait la comparaison avec un pays qui a fortement
investi en matière de lutte contre le travail illégal, l’Italie, la comparaison
des montants redressés montre que les résultats français sont faibles.
99) Notons que la mise en place, en 2004, des opérations aléatoires dans le cadre de la
mesure du travail dissimulé (cf.
supra
) n’a pas eu d’impact sur la progression des
redressements, en hausse de 36%. En 2005, ces contrôles représentent une part encore
plus faible du total des actions non ciblées (moins de 10%).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
133
Graphique n°11 – Comparaison des montants redressés au titre du travail illégal
en France et en Italie entre 2003 et 2005
0 M€
200 M€
400 M€
600 M€
800 M€
1 000 M€
1 200 M€
1 400 M€
2003
2004
2004
Italie
France
Même si on peut penser que le phénomène est plus aigu en Italie
qu’en France, les marges de progression apparaissent donc importantes
concernant la lutte contre le travail dissimulé.
3 -
En particulier, les prestations de service transnationales sont
peu contrôlées
Comme on l’a vu dans la première partie du rapport, les prestations
de service transnationales et le détachement de salariés entre Etats de
l’Union européenne constituent des mécanismes relativement propices à
des opérations de travail dissimulé.
Or, le nombre de contrôles réalisés dans ce domaine est très faible :
148 interventions en 2003 et 79 interventions en 2004. Par rapport au
nombre de déclarations reçues, cela représente un contrôle de seulement
1,3 % des entreprises qui se sont déclarées. De plus, les entreprises
déclarées ne représentent qu’une partie du phénomène, dans la mesure où
beaucoup d’entreprises se dispensent de la formalité de la déclaration. Il y
a donc là un enjeu important et croissant en matière de travail dissimulé
qui, pour le moment, est très mal couvert par les services de contrôle.
Le renforcement de ces contrôles est d’ailleurs un des principaux
axes du plan national de lutte contre le travail illégal pour 2006-2007. Par
exemple, l’ensemble des déclarations préalables devrait être mis en ligne
au cours de cette période, de façon à faciliter les contrôles des services
compétents.
134
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
B - L’implication des services est variable
Le nombre de services impliqués dans la lutte contre le travail
dissimulé est en théorie important
100
, ce qui devrait normalement garantir
une certaine présence de l’administration sur le terrain. Pourtant,
l’implication des différents services est variable.
1 -
L’Inspection du travail
Chargée de veiller à l’application des dispositions du code du
travail, l’Inspection du travail est le premier service administratif
concerné par la recherche et la verbalisation du travail dissimulé.
L’Inspection du travail dispose, dans le cadre de ses compétences,
de prérogatives de police administrative étendue
101
. En particulier, les
inspecteurs ont accès à tous les locaux professionnels des entreprises et
des travailleurs indépendants, à l’exclusion des locaux habités pour
lesquels l’autorisation des occupants est requise.
Deux caractéristiques de l’inspection du travail tendent néanmoins
à limiter son implication en matière de lutte contre le travail dissimulé. La
première, c’est son éclatement : outre les quatre cents inspecteurs du
travail et de la main d’oeuvre proprement dite qui intervient dans le cadre
des DDTEFP
102
, il existe des inspecteurs du travail de l’emploi et de la
protection sociale agricole (ITEPSA), et des inspecteurs du travail des
transports.
100) L’article L.324-12 du code du travail dispose ainsi que «
les infractions aux
interdictions mentionnées à l'article L.324-9 sont recherchées par les officiers et
agents de police judiciaire, les agents de la direction générale des impôts et de la
direction générale des douanes, les agents agréés à cet effet et assermentés des
organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole, les
inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et fonctionnaires de contrôle
assimilés au sens de l'article L. 611-10, les inspecteurs et les contrôleurs du travail
maritime, les officiers et les agents assermentés des affaires maritimes, les
fonctionnaires des corps techniques de l'aviation civile commissionnés à cet effet et
assermentés ainsi que les fonctionnaires ou agents de l'Etat chargés du contrôle des
transports terrestres placés sous l'autorité du ministre chargé des transports, et
constatées par ces agents au moyen des procès-verbaux transmis directement au
parquet. Ces procès-verbaux font foi jusqu'à preuve contraire
».
101) La liste des pouvoirs d’investigation de l’Inspection du travail est fixée par
l’article L.611-8 du code du travail.
102) Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle (DDTEFP). Au niveau départemental, l’inspection du travail
s’organise en sections qui comprennent un inspecteur et deux contrôleurs du travail
(agents pouvant procéder à des contrôles mais ne disposant pas de l’ensemble des
prérogatives attachées aux inspecteurs).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
135
La deuxième caractéristique importante de l’Inspection du travail
réside dans l'indépendance d’appréciation garantie aux inspecteurs dans
l'exercice de leurs fonctions de contrôle, avec les suites qui leur sont
données, tant par rapport à leur hiérarchie qu'aux autorités judiciaires ou
préfectorales
103
. Or, il apparaît que beaucoup d’inspecteurs du travail sont
réticents à intervenir en matière de travail dissimulé car ils craignent
souvent que ce type d’intervention ne pénalise le salarié employé de
façon dissimulée.
De fait, l’Inspection du travail réalise environ 23 % du total des
procès-verbaux recensés par la Délégation interministérielle à la lutte
contre le travail illégal (DILTI), soit à peu près 1 520 constatations, ce qui
représente 3,7 procès-verbaux par an et par inspecteur du travail, ce qui
paraît faible.
La réforme de l’Inspection du travail annoncée en mars 2007
prévoit notamment le renforcement des moyens. Un plan pluriannuel pour
2007-2010 prévoit ainsi la création de 700 nouveaux postes (240
inspecteurs et 420 contrôleurs) et l’amélioration du cursus des contrôleurs
du travail, ce qui pourrait permettre de développer les contrôles de
l’Inspection du travail en matière de travail dissimulé.
2 -
Le réseau des URSSAF
Au titre de leur compétence de contrôle des cotisants (article
L.243-7 du code du travail), les URSSAF disposent des mêmes
prérogatives que l’Inspection du travail.
Le rôle des URSSAF apparaît fondamental car, en l’absence de
poursuites pénales, le rappel des cotisations constitue souvent la sanction
la plus efficace en même temps qu’une réparation du préjudice subi.
Cependant, la lutte contre le travail dissimulé est restée pendant
longtemps assez peu prisée des services de contrôle des URSSAF du fait
de la difficulté de réaliser ces contrôles et de leur faible rentabilité en
termes de montants redressés.
On observe cependant depuis plusieurs années un réel sursaut. La
convention d’objectifs et de gestion (COG) 2002-2005 conclue entre
l’État et l’ACOSS prévoyait que le temps consacré à la lutte contre le
travail dissimulé par les URSSAF devait atteindre 10 % du temps de
travail des inspecteurs du recouvrement. Dix ans après l’attribution aux
organismes de recouvrement, ce résultat, en apparence modeste,
103) Cette indépendance est liée à la ratification par la France, le 10 août 1950, de la
convention n° 81 sur l'Inspection du travail dans l'industrie et le commerce, adoptée
par la Conférence de l'Organisation internationale du travail le 11 juillet 1947.
136
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
représente un progrès qui n’a pas été égalé par les autres services de
contrôle (cf. tableau suivant).
Tableau n°
22. - Temps consacré par les inspecteurs du recouvrement à la lutte contre le travail
dissimulé
Année
2002
2003
2004
2005
Part du temps
consacré à la lutte
contre le travail
illégal
10,32 %
11,06 %
11,89 %
13,19 %
Source : ACOSS
La montée en puissance des URSSAF sur le sujet est donc
régulière. La nouvelle convention d’objectifs et de gestion conclue pour
la période 2006-2009 entre l’État et l’ACOSS comprend d’ailleurs un
chapitre spécifique relatif à la lutte contre le travail dissimulé. Celui-ci est
articulé autour de trois axes, qui marquent l’importance grandissante
accordée à cette tâche au sein de la branche du recouvrement :
l’augmentation des moyens consacrés. L’ACOSS a ainsi décidé
d’augmenter la part des ressources de la branche dirigée vers la
lutte contre le travail dissimulé. La précédente COG avait fixé
l’objectif de 10 % du temps de contrôle consacré à cette tâche ;
la nouvelle a prévu l’instauration de référents régionaux censés
capitaliser les acquis de la lutte et faciliter sa coordination ;
le renforcement des partenariats et de la communication. La
COG prévoit ainsi le renforcement des liens entre les URSSAF
et les autres organismes, notamment interministériels en charge
de la lutte contre le travail dissimulé et la coopération avec
l’OCLTI (cf.
infra
) ;
la création d’une cellule d’intelligence économique. Celle-ci
réunira des moyens d’étude et d’expertise sur le travail
dissimulé et ses pratiques.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
137
Encadré n°6 : un seul corps d’inspection ? Le cas de l’Espagne
Compte tenu de leurs domaines d’intervention proches dans la lutte contre
le travail illégal, la dualité des services de l’Inspection du travail et de
l’Inspection du recouvrement des URSSAF pourrait sembler contre-productive.
Pour éclairer ce point, on peut examiner les solutions retenues par les autres pays
de l’OCDE. Parmi ceux-ci, il en est un qui a fait le choix d’un service unique :
l’Espagne.
Le système de protection sociale espagnole apparaît souvent comparable à
celui de la France, avec un financement fondé sur les cotisations et l’impôt et des
prestations de sécurité sociale relativement généreuses. Une des différences avec
le système français réside dans le caractère étatique du recouvrement des
cotisations sociales.
En conséquence, le contrôle des cotisations est une compétence exclusive
de l’État. Or, l’administration espagnole n’opère pas la distinction française entre
travail et affaires sociales. C’est donc assez naturellement à l’Inspection du
travail, créée en 1906, que les compétences de contrôle des cotisations sociales
ont été attribuées dès 1939. Après le rétablissement de la démocratie, la loi de
réforme de la fonction publique a créé l’Inspection du travail et de la sécurité
sociale dont les attributions sont proches de celles de ses deux homologues
françaises.
Le bilan de cette fusion est toutefois décevant. Si l’intégration, déjà
ancienne, entre travail et sécurité sociale ne pose guère de problèmes, la
mobilisation de l’Espagne autour de la lutte contre le travail illégal est
relativement récente et très orientée vers l’immigration clandestine : sur les
60,1 M€ de redressements
(sanctions incluses) concernant l’emploi,
59,3 M€ le
sont pour emploi irrégulier d’étrangers
), il n’existe pas d’évaluation officielle
du travail illégal en Espagne, alors même que celui-ci représente, selon
l’administration, un problème majeur et durable du pays. La fusion des deux
services n’est donc pas le gage d’une lutte plus efficace contre le phénomène.
3 -
La police et la gendarmerie
Les officiers et agents de police judiciaire sont compétents pour
rechercher l’infraction de travail dissimulé.
Les différents services de police ne sont cependant pas impliqués
de manière équivalente dans la lutte contre le travail dissimulé. La police
aux frontières (PAF) est ainsi spécialisée dans la lutte contre le travail
dissimulé lié à l’immigration clandestine. La police nationale intervient
généralement en soutien d’opérations conjointes, alors que la gendarmerie
assume une compétence de recherche plus avancée et coopère
fréquemment avec les URSSAF. Selon la DILTI, les constatations de la
gendarmerie ont représenté près de 45 % des procès-verbaux en matière
de travail illégal au cours des dernières années alors que la police ne
réalisait qu’environ 5 % de ces procès-verbaux..
138
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’implication de la gendarmerie devrait être encore accrue suite à
la création, en 2005, d’un office central de lutte contre le travail illégal,
dédié à la répression du travail dissimulé (cf. encadré suivant).
Encadré n°7 – La création de l’Office central de lutte contre le travail
illégal (l’OCLTI)
L’Office central de lutte contre le travail illégal a été créé par le décret
n°2005-455 du 12 mai 2005. Il est rattaché à la sous-direction de la police
judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale et dirigé par un
officier supérieur de gendarmerie. Il devra, à terme, comporter une trentaine de
personnels, parmi lesquels des gendarmes, des officiers de police et, «
en tant que
de besoin
» (article 4 du décret), des représentants des corps de contrôle
administratifs.
Son rôle sera d’animer et de coordonner, au niveau national, les actions de
police judiciaire relatives au travail illégal, d’observer les «
comportements les
plus caractéristiques des auteurs et complices
», de centraliser les informations et
d’assister les unités de gendarmerie, la police nationale et plus globalement tous
les services de contrôle dans la lutte contre le travail illégal sur leur demande, sur
celle du procureur de la République, ou d’initiative «
si les circonstances
l’exigent
» (article 4).
Pour l’heure, seul un « élément précurseur » de l’OCLTI a été mis en
place. Il comportait initialement deux officiers supérieurs de gendarmerie, et
quatre sous-officiers et devrait monter en puissance d’ici la fin de l’année 2007.
4 -
La direction générale des impôts (DGI)
Dans le cadre des opérations de contrôle fiscal externe, les services
de contrôle de la DGI sont fréquemment amenés à constater des activités
dissimulées et à les redresser. Ainsi, sur les 50 000 contrôles annuels,
environ 6 500 donnent lieu à reconstitution de recettes, c’est-à-dire que le
vérificateur, soupçonnant qu’une partie des recettes n’a pas été déclarée,
va s’efforcer d’évaluer la réalité du chiffre d’affaires sur la base d’un
faisceau d’indices (consommations intermédiaires…). De plus, sur cette
base, la DGI dépose chaque année environ 200 plaintes pénales contre
des contribuables ayant éludé une partie de leurs revenus.
La DGI est donc très présente en ce qui concerne la lutte contre la
dissimulation de recettes grâce à ses opérations de contrôle fiscal et
contribue donc largement à dissuader les contribuables de recourir à ce
genre de fraude.
La portée de cette action est néanmoins atténuée à plusieurs titres.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
139
D’abord, ces contrôles ne portent que sur les entreprises
enregistrées dans les bases de la DGI mais dont une partie de l’activité est
dissimulée. Elle ne concerne donc pas les unités entièrement dissimulées
qui n’ont fait aucune déclaration fiscale. Or, d’après les services de
contrôle rencontrés, il existe une tendance au développement de ce type
d’unités, notamment dans les activités de services et du BTP.
De plus, la technique de la vérification de comptabilité ne permet
pas d’intervenir de façon inopinée dans une entreprise car, à peine de
nullité, la procédure prévoit l’envoi préalable d’un avis de vérification à
la personne contrôlée. Le vérificateur ne sera donc pas à même de
constater directement une activité dissimulée. Or, la reconstitution de
recettes est une opération assez lourde et qui suppose un certain montant
de revenus dissimulés pour être véritablement probante. Les méthodes de
contrôle ne permettent donc pas vraiment de détecter une activité
dissimulée de faible ampleur, surtout dans les secteurs où le paiement en
espèces est fréquent (restauration, commerce…). De plus, même lorsqu’il
y a reconstitution de recettes, il n’est pas forcément évident d’en déduire
un recours à de la main d’oeuvre dissimulée.
Enfin, les redressements effectués au titre d’une activité dissimulée
ne sont pas suffisamment exploités du côté des URSSAF, compte tenu
des problèmes de coordination et de transmission d’informations entre la
sphère fiscale et la sphère sociale (cf.
infra
).
Chapitre VI- Les outils de
programmation et de contrôle doivent
être adaptés
La première étape des opérations de contrôle réalisées par les
services de la DGI ou des URSSAF consiste à déterminer les entreprises
qui vont en faire l’objet. Cette programmation était jusqu’ici beaucoup
alimentée par les activités de gestion de ces administrations. Depuis
plusieurs années, elle a été renforcée par le recours à des systèmes
d’analyse risque mais leur efficacité reste limitée par les restrictions en
matière d’interconnexion de fichiers.
S’agissant des contrôles en tant que tels, les services semblent
aujourd’hui privilégier des procédures longues et exhaustives, qui
apparaissent relativement inadaptées par rapport à certaines tendances de
fraude identifiées au début du rapport. Le développement de formes de
contrôles plus courts apparaît donc nécessaire.
De plus, l’efficacité de ces contrôles pâtit d’une coordination
insuffisamment active entre les différents acteurs de la lutte contre la
fraude. Entre la sphère fiscale et la sphère sociale, les échanges
d’informations sont trop ponctuels. Avec les services répressifs, police et
gendarmerie, dont l’intervention est indispensable pour certains cas plus
graves, la coordination semble également perfectible. Enfin, alors que la
fraude a de plus en plus une composante internationale, le travail en
commun des administrations européennes n’avance que lentement, et
principalement dans la sphère fiscale.
142
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
I
-
L’analyse-risque se développe mais
pourrait
davantage utiliser les fichiers administratifs
Dans un contexte où les taux de couverture sont assez faibles et
donc où la probabilité pour une entreprise d’être contrôlée est limitée, il
est important que les administrations fiscales puissent cibler les
contribuables les plus à risque au moment du choix des entreprises
contrôlées.
Cette nécessité est d’autant plus forte que la fraude est aujourd’hui
plus difficilement décelable. En effet, dans le passé, les services de
contrôles étaient alimentés par les services de gestion qui détectaient les
entreprises à risque, par exemple à l’occasion d’un contrôle sur pièces.
Or, la comptabilité étant de moins en moins utile pour identifier
directement une fraude, comme on l’a souligné en première partie, le
développement d’autres systèmes de détection était indispensable.
C’est pourquoi les administrations en charge du recouvrement ont
fortement investi dans des systèmes d’analyse risque. L’efficacité de cette
détection pourrait être poussée plus loin grâce à l’interconnexion des
fichiers informatisés.
A - Le développement de l’analyse-risque est un axe
majeur de la programmation des contrôles
1 -
A la direction générale des impôts, l’analyse risque est utilisée
en complément des services de recherche
Les services de contrôle de la DGI disposent, traditionnellement,
de trois sources d’information pour programmer leurs contrôles fiscaux
externes :
les anomalies détectées lors du contrôle sur pièces depuis le
bureau et transmises aux services de vérification ;
les services de recherche - la direction nationale des enquêtes
fiscales
(DNEF)
au
niveau
national
et,
dans
chaque
département, une brigade de contrôle et de recherche – chargés
de collecter des informations permettant de déclencher des
contrôles fiscaux, à travers notamment le droit d’enquête prévu
à l’article L. 80 du livre des procédures fiscales ;
et, enfin, les listes fournies par les outils d’analyse-risque.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
143
La part des contrôles découlant des activités de gestion reste
encore prépondérante : en 2004, les services de gestion étaient ainsi à
l’origine de plus de 40% de la programmation des DIRCOFI et de près de
70% de la programmation des DSF. Le rôle des services d’enquête est
également très important : 18 % des contrôles réalisés au niveau
départemental et 10 % des contrôles au niveau interrégional. Le reste des
contrôles est effectué sur la base d’une « auto-programmation » qui
s’appuie en grande partie sur des logiciels d’analyse-risque.
Parmi ceux-ci, qui sont d’ailleurs également utilisés dans le cadre
du contrôle sur pièces, la base de données OASIS (outil d’aide à la
sélection pour les inspections spécialisées) permet d’identifier les
redevables, d’obtenir des informations numériques issues des déclarations
fiscales professionnelles et des ratios repères (fourchettes statistiques de
ratios pour un secteur d’activité) permettant de procéder à des contrôles
de cohérence et de détecter des anomalies.
Cette base a donc pour fonction, pour les professionnels, de
détecter les ruptures de comportement ou les évolutions anormales,
permettant
in fine
de réaliser un contrôle sur pièces ou de programmer un
contrôle sur place.
Une seconde base d’informations, intitulée SYNFONIE, est un
outil d'analyse synthétique du tissu fiscal qui permet de choisir les
entreprises en fonction de critères déterminés (TVAI, chiffre d'affaires,
sous-traitance, secteur économique, etc.).
Enfin, concernant les contrôles sur les particuliers, L'application
SIRIUS permet de réaliser des analyses croisées des revenus et du
patrimoine (exemple : lister l'ensemble des contribuables déclarant un
montant élevé de revenu depuis 3 ans et qui ne déclarent pas à l'ISF), de
coter le risque de fraude concernant les dossiers ISF (cotation des
contribuables par redressements potentiels et par nombre de requêtes en
anomalie) et d'étudier l'évolution des éléments déclarés.
2 -
Le réseau des URSSAF s’est également doté de nouveaux
outils de contrôle
La question du ciblage des contrôles se pose, dans les URSSAF,
avec une acuité un peu moindre qu’à la DGI, dans la mesure où une
entreprise a statistiquement plus de chances d’être contrôlée.
Néanmoins, le réseau des URSSAF a entamé, à partir de 2002, une
réflexion structurée sur l’analyse des risques afin d’améliorer le ciblage
des contrôles et on a vu précédemment que cette stratégie avait permis
d’améliorer les montants redressés tout en diminuant le nombre de
144
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
contrôles comptables d’assiette. Cette réflexion s’est appuyée notamment
sur les travaux de l’Observatoire National des Cotisants et des Risques,
mis en place à la fin de l’année 2002.
Pour déterminer les plans de contrôle dans chaque URSSAF,
plusieurs outils nationaux de gestion du risque sont utilisés. Le logiciel
SIGMA permet de réaliser un tri des cotisants par ancienneté des
contrôles et donc de détecter ceux qui n’ont pas été contrôlés depuis
longtemps. De même, le logiciel ISIS sert au ciblage du risque pour les
entreprises de 10 à 99 salariés et le logiciel SCORE pour le ciblage du
risque pour les très petites entreprises (1 à 9 salariés). Ces deux
applications sont en cours de rapprochement de façon à mettre en place
un outil de planification unique et intégré.
B - Le développement de l’analyse-risque pourrait
davantage s’appuyer sur le recours aux fichiers
administratifs
Si le recours aux procédures d’analyse risque se développe dans la
programmation des contrôles, il reste néanmoins limité par rapport à ce
qui se pratique dans d’autres Etats de l’OCDE.
En effet, pour identifier les risques de fraude ou d’irrégularités,
beaucoup d’administrations s’appuient sur le croisement de fichiers
informatisés et le recoupement de données de sources diverses. Cette
procédure a plusieurs avantages. D’abord, elle permet de détecter des
contribuables qui se sont enregistrés auprès d’une administration mais pas
auprès d’une autre. Ensuite, elle permet de gagner du temps en mettant en
évidence certaines incohérences et donc d’accélérer le rythme des
contrôles.
1 -
La France a moins recours que ses partenaires à des
identifiants uniques permettant de suivre l’activité des
contribuables
Très souvent, les recoupements de fichiers s’appuient sur un
numéro unique d’identification des contribuables. Comme le souligne
l’OCDE,
« d
epuis longtemps, l’utilisation obligatoire d’un numéro unique
d’identification joue un rôle fondamental lorsqu’il s’agit, pour les autorités
fiscales, de contrôler le respect des obligations fiscales d’une personne
physique. On peut étendre cette obligation aux entreprises, même au point
d’obliger toutes les composantes d’une entreprise à mentionner le numéro
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
145
d’identification dans leurs transactions avec d’autres entreprises et dans
leurs relations avec les autorités fiscales
104
»
.
De ce point de vue, la France est plutôt en retrait avec une
utilisation assez limitée de numéros uniques pour identifier les
contribuables
dans
leurs
différentes
opérations
économiques
et
administratives.
a)
La situation est différente pour les particuliers et pour les
entreprises
Les administrations fiscales et sociales n’utilisent pas un numéro
d’identifiant unique pour les particuliers. Ainsi, l’administration fiscale
utilise, pour les particuliers, un identifiant spécifique appelé SPI. En
revanche, les organismes sociaux ont recours au numéro INSEE, appelé
NIR, pour identifier un contribuable dans leurs bases de données.
L’utilisation du NIR par les administrations fiscales a été autorisée
en 1998
105
. L’objectif était de permettre aux administrations fiscales de
l’utiliser pour certains traitements en matière de contrôle mais aussi pour
faciliter les échanges entre les administrations fiscales et les organismes
de sécurité sociale de façon à pouvoir recouper les informations fournies
de chaque côté par le contribuable.
Cette autorisation a cependant été assortie de strictes réserves de la
part du Conseil constitutionnel qui a notamment estimé que l’utilisation
du NIR devait rester restreinte et
« se limiter à éviter les erreurs
d’identité »
. La Commission nationale de l’informatique et des libertés
(CNIL) a veillé par la suite au respect de ces réserves.
En revanche, pour les entreprises, il existe un identifiant unique, le
numéro SIREN, attribué au moment de leur immatriculation et qui est
utilisé aussi bien dans les services de la DGI que dans ceux des URSSAF.
b)
La situation française est assez spécifique par rapport aux autres
Etats de l’OCDE
L’absence
d’identifiant
unique
pour
les
particuliers
est
pratiquement une spécificité française, partagée avec l’Allemagne et
l’Autriche. La plupart des autres Etats de l’OCDE ont mis en place un
numéro unique d’identification des contribuables.
104) OCDE,
Gérer l’indiscipline fiscale
, op. cit.
105) Article 107 de la loi de finances du 30 décembre 1998.
146
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Plus généralement, il est regrettable que la France apparaisse en
retrait par rapport aux pratiques des autres Etats de l’OCDE et de l’Union
européenne, car le recoupement constitue une des méthodes les plus
efficaces de lutte contre la fraude, d’autant plus que les obligations de
déclaration de certains revenus sont plutôt limitées. Par exemple, en
Espagne, les loyers, les prestations de services à la personne, les ventes de
biens, les redevances de la propriété intellectuelle ou encore les gains du
jeu doivent être signalés par le payeur à l’administration fiscale qui
pourra ensuite procéder à des recoupements, alors que ça n’est pas le cas
en France pour ce type de revenus.
Autre exemple, sans doute parce qu’elle est plus concernée par le
phénomène, l’Italie est particulièrement en pointe sur ce sujet. Chaque
contribuable se voit attribuer un code fiscal indispensable pour la plupart
des transactions économiques. L’administration fiscale utilise ensuite ce
code fiscal pour procéder à des recoupements et les possibilités dans ce
domaine ont été récemment élargies. Ainsi, les communes et certains
fournisseurs de services devront transmettre en ligne à l’Agence des
impôts, des informations concernant, respectivement, les actes de leurs
administrés et de leurs clients. Ainsi,
l’Anagrafe Tributaria
s’enrichira
des informations contenues dans les actes et contrats suivants :
permis de construire, déclarations de début d’activité déposées
auprès du guichet communal compétent et autres documents
relatifs à des travaux immobiliers, transmis par les communes ;
contrats
de
fourniture
de
gaz,
d’eau
et
abonnements
téléphoniques mentionnant le code fiscal du contribuable ainsi
que les références cadastrales des immeubles concernés,
transmis par les fournisseurs de services.
De plus, les établissements postaux et bancaires ainsi que tous les
intermédiaires financiers devront tenir à disposition de l’administration
l’identité, y compris le code fiscal, de toute personne entretenant avec eux
des relations de nature financière. L’ensemble de ces données pourra faire
l’objet de recoupements et de tests de cohérence grâce au croisement des
fichiers.
2 -
Les possibilités d’interconnexion de fichiers semblent sous-
exploitées même si la situation est en évolution
Si la CNIL n’autorise pas un recoupement général des fichiers, elle
n’a pas pour autant d’opposition de principe aux interconnexions de
fichiers lorsqu’elles sont mises en place avec un objectif d’amélioration
des contrôles. A partir du moment où il n’y a pas d’opposition de nature
législative, la CNIL autorise ainsi généralement les interconnexions
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
147
demandées par les administrations, même si elle assortit généralement
son autorisation de conditions assez strictes en termes d’information des
personnes et de mesures de sécurité devant entourer les échanges.
Ainsi, il existe déjà de nombreux recoupements réalisés de façon
automatisée dans les administrations de recouvrement. Ainsi, les services
fiscaux peuvent déjà comparer les déclarations des contribuables avec
d’autres sources externes d’informations, par exemple les déclarations
annuelles des données sociales envoyées par les entreprises, ce qui permet
de contrôler les montants déclarés par les salariés. De même, la DGI
reçoit également des informations des banques concernant le paiement
des intérêts et des dividendes.
Il est vrai que les interconnexions et les recoupements se sont
récemment davantage développés pour le contrôle des prestations sociales
que pour celui des prélèvements obligatoires. On peut citer, par exemple,
la transmission par les services de la direction générale des impôts aux
organismes de sécurité sociale et aux institutions de retraite des
informations nécessaires à l’appréciation des conditions d’ouverture et de
maintien des droits à prestations ou encore au calcul du montant des
prestations.
Ces échanges de données informatisées présentent un intérêt
certain car ils permettent des contrôles de masse, et présentent une grande
efficacité en termes de résultats. D’après des données fournies par la
caisse nationale des allocations familiales (CNAF), en 2005, à eux seuls,
les échanges informatisés avec la DGI (sur les ressources) et les
ASSEDIC (sur la situation professionnelle) ont généré 63% des indus et
44% des rappels liés aux contrôles dans les caisses d’allocations
familiales.
Or, il semble que les possibilités existantes dans le domaine des
prélèvements obligatoires ne sont pas suffisamment utilisées aujourd’hui,
même s’il est clair que l’absence d’un identifiant unique généralisé ne
facilite pas le développement de ces recoupements.
Un exemple permet de mettre en évidence certaines difficultés
liées à la situation actuelle. Ainsi, il n’existe pas de recoupement
automatique entre, d’une part, le fichier des entreprises qui ont déposé
une déclaration unique d’embauche (fichier DUE) et, d’autre part, le
fichier de paiement des cotisations (base V2). Ainsi, certaines entreprises
peuvent se donner l’apparence de la légalité en envoyant des déclarations
uniques d’embauche au service compétent, sans pour autant payer ensuite
148
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
les cotisations correspondantes
106
. Alors que cette fraude pourrait être
repérée par un croisement entre les deux fichiers, les inspecteurs des
URSSAF sont actuellement obligés de consulter le fichier des DUE au
cas par cas et de faire ensuite les recoupements de façon manuelle. Il y a
donc là une déperdition dans l’efficacité de la programmation des
contrôles en matière de travail dissimulé.
II
-
Les techniques de contrôle ne favorisent pas
toujours la présence sur le terrain et la réactivité
des services de contrôle
A - La méthode des sondages et de l’extrapolation pour
le contrôle des cotisations sociales ne peut pas être
utilisée dans l’état actuel de la réglementation
Le contrôle sur place peut s’avérer particulièrement complexe et
consommateur en temps, en énergie et en hommes pour les organismes de
recouvrement, particulièrement lorsque l’entreprise à contrôler possède
des effectifs importants et que l’examen des pièces justificatives est
lourde.
Le contrôle des frais professionnels (réalité, régularité, montant)
des grandes entreprises peut ainsi occuper une part non négligeable du
temps des inspecteurs du recouvrement d’une URSSAF.
Afin d’accélérer la procédure et d’économiser leurs ressources,
certaines URSSAF ont eu recours à des méthodes d’échantillonnage et
d’extrapolation pour établir le montant des redressements. La loi des
grands nombres étant rapidement vérifiée dans les entreprises dont les
effectifs dépassent 500 personnes, une estimation fiable du redressement
correct pouvait être obtenue en procédant d’abord à un contrôle total sur
un effectif limité, déterminé par sondage, puis à une extrapolation à
l’ensemble des effectifs de l’établissement. Afin d’éviter un redressement
excessif, les URSSAF retenaient, pour cette extrapolation, la limite basse
de l’intervalle de confiance fourni par les tables statistiques.
106) Même si l’envoi d’une déclaration unique d’embauche n’est pas nécessairement
suivi d’une embauche réelle, la possibilité de croiser ces deux fichiers permettrait de
détecter plus de situations susceptibles d’être frauduleuses.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
149
Dans un arrêt ADECCO du 24 octobre 2002, la chambre sociale de
la Cour de cassation a validé la méthode de la branche du recouvrement
mais elle a indiqué que cette méthode, pour être utilisée dans un contrôle,
devait préalablement recevoir l’approbation de l’entreprise contrôlée, ce
qui en diminue fortement l’intérêt.
Avec les réserves posées par le juge et les réticences de certaines
entreprises, le développement de la méthode des sondages et de
l’extrapolation a donc été fortement contenu, ce qui prive les URSSAF
d’un moyen de faciliter et d’accélérer le contrôle des grandes entreprises.
B - Les contrôles longs et exhaustifs limitent la présence
sur le terrain des agents de contrôle tout en se révélant
très lourds pour les contribuables contrôlés
Les taux de couverture de la population des contribuables, qui ont
été analysés plus haut, dépendent largement des méthodes de contrôle
utilisées. En effet, à moyens constants, les services de contrôle peuvent
choisir de contrôler une entreprise de façon plus ou moins exhaustive, ce
qui influe directement sur le nombre total de contrôles réalisés et donc sur
le taux de couverture.
Le choix des administrations en charge du recouvrement des
prélèvements obligatoires penche plutôt aujourd’hui vers la réalisation de
contrôles exhaustifs de la situation d’une entreprise, même si, en pratique,
leur portée et leur durée sont différentes entre les contrôles de la DGI et
ceux des URSSAF.
Or, même si le fait de s’intéresser à la situation globale d’un
contribuable demeure évidemment indispensable, les procédures actuelles
ne semblent que partiellement adaptées aux nouvelles menaces de fraude
qui ont été identifiées dans la première partie de ce rapport.
1 -
Des méthodes de contrôle qui privilégient les contrôles longs et
exhaustifs
Les procédures aujourd’hui privilégiées dans les services de
contrôle sont la vérification générale de comptabilité à la direction
générale des impôts et le contrôle comptable d’assiette dans les URSSAF.
150
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
a)
A la direction générale des impôts
La vérification de comptabilité constitue, comme on l’a vu, le
mode privilégié d’intervention du contrôle fiscal. Cette procédure
a pour
objet d’examiner sur place la comptabilité d’une entreprise et de la
confronter à certaines données de fait ou matérielles afin de contrôler
l’exactitude et la sincérité des déclarations souscrites et d’assurer
éventuellement les redressements nécessaires.
Un inspecteur des impôts, qui réalise une vérification de
comptabilité, peut pousser plus ou moins loin ses investigations. Une
vérification est considérée comme générale lorsqu’un agent des impôts
vérifie la situation fiscale de l’entreprise pour tous les impôts pour
lesquels l’entreprise est susceptible d’avoir des obligations déclaratives et
de paiement. De plus, cette vérification est dite complète lorsque la
comptabilité de l’entreprise est examinée sur toute la durée non prescrite.
A l’inverse, on parle de vérification ponctuelle lorsque le contrôle porte
sur un point précis ou une période plus courte. Le fait d’avoir une
procédure unique qui englobe aussi bien les impôts directs que les impôts
indirects constitue une spécificité française, les autres Etats ayant plutôt
recours à des contrôles spécialisés par catégorie d’impôts.
Dans ce cadre, la vérification générale est, de loin, la formule la
plus utilisée. Elle a représenté, en 2005, 84 % du total des vérifications
effectuées par les services fiscaux. On observe cependant une tendance à
l’augmentation de la part des autres formes de vérifications, simples et
ponctuelles, dont la part est passée de 11 à 16 % entre 1999 et 2005
(cf. graphique suivant).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
151
Graphique n°12 – Evolution des types de vérifications de comptabilité
entre 1999 et 2005
0%
20%
40%
60%
80%
100%
1999
2000
2001
2005
Vérifications
ponctuelles
Vérifications simples
Vérifications générales
Or, ce type de contrôle est assez long. La durée moyenne des
contrôles sur place, hors ESFP, en 2005 a été de 84 jours, avec des
différences sensibles selon les niveaux de contrôle.
Tableau
23. - Durées moyennes des contrôles dans le cadre du contrôle fiscal externe (hors
examen de la situation fiscale personnelle (ESFP) en 2005
Types de directions
Durée moyenne des
contrôles externes
(en jours)
DSF
66
DIRCOFI
107
Directions nationales
150
Moyenne
84
L’examen de situation fiscale personnelle (ESFP), qui constitue
l’autre mode privilégié de contrôle des services fiscaux, mais pour les
particuliers, est également un contrôle global et exhaustif de la situation
d’un contribuable.
152
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
b)
Dans le réseau des URSSAF
Dans le réseau des URSSAF, le contrôle comptable d’assiette est la
procédure la plus utilisée pour s’assurer du respect par les cotisants de
leurs obligations en matière de cotisations sociales. Le contrôle
comptable d’assiette peut se définir comme «
le contrôle sur place d’une
entreprise dont la situation est vue dans son ensemble. Les investigations
portent sur l’ensemble de la législation et non, comme pour le contrôle
partiel, sur un point particulier
107
». Le contrôle comptable d’assiette
constitue la mission principale des services de contrôle. Il représente ainsi
64 % des actions réalisées par les inspecteurs, 90 % du montant des
redressements, et 80 % du temps passé au contrôle.
La durée moyenne des contrôles comptables d’assiette tend à
s’allonger même si, globalement, l’ordre de grandeur est très différent de
celui constaté en matière de vérification fiscale de comptabilité.
Le temps
moyen
est
ainsi
passé
de
1,16
jour/contrôle
en
2002
à
1,29 jour/contrôle en 2005.
La différence de durée entre le contrôle comptable d’assiette et la
vérification générale de comptabilité s’explique par le fait que les
contrôles des URSSAF ne portent que sur un aspect de la gestion de
l’entreprise – principalement la gestion des ressources humaines (emploi,
paye…) – alors que la vérification de comptabilité concerne un champ
plus large. Il faut cependant noter que la durée des contrôles comptables
d’assiette peut fortement augmenter en fonction de la taille de l’entreprise
et de la complexité de sa situation.
2 -
Les pratiques dans les autres Etats de l’OCDE sont assez
diverses
Il n’existe pas de modèle unique en Europe et dans les pays de
l’OCDE, concernant les modalités d’intervention de l’administration
fiscale en contrôle externe
108
.
Néanmoins,
on
peut
noter
une
caractéristique
commune :
l’attention portée aux grandes entreprises et à l’enjeu que représente leur
contrôle. Dans la plupart des Etats de l’OCDE, l’administration fiscale est
très présente sur le contrôle des grandes entreprises. Dans certains Etats,
107) ACOSS,
Bilan du contrôle des cotisants 2005
, op. cit.
108) L’approche comparative a été principalement développée pour le domaine fiscal.
Une grande partie des chiffres cités sur ce sujet sont repris d’un rapport de la DGI :
«
analyse comparative du contrôle fiscal dans 10 pays
», Gérard STRAINCHAMPS
et Franck DUVAL, Direction générale des impôts, novembre 2001.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
153
comme au Canada ou aux Etats-Unis, sa présence est quasiment
permanente, au point qu’elle dispose de bureaux dédiés au sein des
locaux de ces contribuables.
Concernant le contrôle des PME, on peut regrouper les principaux
pays de l’OCDE en trois groupes en fonction de critères comme le taux
de couverture de la population des contribuables, la part des contrôles
partiels…
Le premier groupe est constitué de pays dont le contrôle fiscal
repose principalement sur des contrôles partiels et ponctuels de la
situation des contribuables. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont les
principaux exemples et affichent donc un taux de couverture de leur
fichier qui dépasse 10 % chaque année. Ainsi, le HMRC
109
a réalisé, en
2005, en Grande-Bretagne, 77 786 vérifications ponctuelles ou simples de
comptabilité, soit environ 8 fois plus qu’en France.
Le deuxième groupe de pays réalise, au contraire, un nombre
global de contrôle moins important, si bien que le taux de couverture du
fichier est nettement plus faible, de l’ordre de 1 à 2 %. C’est le cas de la
France, des Etats-Unis ou encore du Canada et de l’Italie. Au Canada,
l’Agence du revenu affiche ainsi un taux de couverture d’environ 0,85 %
sur l’exercice 2004-2005, soit environ 40 000 contrôles.
Enfin, le dernier groupe d’Etats se trouve dans une situation
intermédiaire par rapport aux deux précédents. Ce groupe comprend
notamment l’Espagne, l’Allemagne ou encore l’Irlande. Leur taux de
couverture du fichier des PME se situe entre 5 et 10 %.
Les écarts constatés entre les Etats de l’OCDE trouvent leur
explication dans l’histoire et les habitudes des administrations fiscales
mais dépendent aussi des choix en termes de méthodes de contrôle et
d’affectation de moyens au contrôle. De ce point de vue, la différence
entre le nombre de contrôles effectués semble bien principalement liée au
choix des méthodes de contrôle et non aux effectifs dédiés à cette
fonction au sein des administrations fiscales.
De plus, il est intéressant de noter qu’au vu des montants redressés,
aucun choix ne semble plus particulièrement s’imposer. Ainsi, la France
et les Pays-Bas, bien qu’ayant choisi des méthodes de contrôles
radicalement différentes, récupèrent environ la même proportion de droits
à l’issue des opérations de contrôle.
109) Her Majesty’s Revenue & Customs.
154
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
On observe cependant une tendance au développement des
contrôles plus ciblés et plus courts dans les Etats qui affichaient jusqu’ici
des taux de couverture faibles. Ainsi, au Canada, grâce au développement
des systèmes d’analyse risque, les vérifications portent de plus en plus sur
un élément précis de la déclaration ou une transaction donnée. Ainsi,
l’Agence du revenu du Canada développe des « projets pilotes » qui
débouchent sur des contrôles ciblés, par exemple sur les sociétés en
commandite ou encore les fiducies de revenu. Aux Etats-Unis, pour
réduire la durée de contrôle, l’IRS
110
demande désormais à ses bureaux
locaux de se concentrer sur les principales zones de risque de
non
compliance
lors des vérifications de comptabilité.
3 -
Ces méthodes de contrôle présentent des inconvénients
Par rapport aux grandes tendances de fraude identifiées plus haut,
le recours à des procédures longues et exhaustives présente plusieurs
inconvénients.
D’abord, mécaniquement, qu’il s’agisse de la vérification de
comptabilité ou du contrôle comptable d’assiette, ces procédures limitent,
dans l’absolu, la présence des agents de contrôle dans les entreprises.
Ainsi, en moyenne, un vérificateur de la DGI va pratiquer entre 12 et 14
contrôles par an et la présence de la DGI sur le terrain se sera donc fait
sentir dans autant de PME. Ce chiffre est relativement faible mais
correspond aussi à la nécessité d’un contrôle exhaustif. Le choix des
procédures actuelles tend donc plutôt à atténuer l’effet dissuasif des
contrôles en limitant la présence des vérificateurs dans les entreprises.
Cette situation n’est pas seulement problématique en terme de
couverture de la population des contribuables. On a vu, en effet, qu’il
était plus difficile aujourd’hui de détecter des fraudes en s’appuyant sur la
seule comptabilité, compte tenu de la permissivité de certains logiciels
comptables ou encore du fait que certains comportements sont
entièrement dissimulés et n’apparaissent donc pas dans les bases et
registres des services de contrôle.
Dans ces conditions, il est nécessaire que les services de contrôle
puissent avoir une certaine présence sur le terrain de façon à récupérer
des informations susceptibles de mettre à jour ces types de fraude. Pour
cela, la multiplication des occasions de contact avec des entreprises
différentes apparaît plus efficace que des contrôles longs et portant sur un
plus petit nombre d’entreprises. Ce besoin se ressent tout particulièrement
en matière de travail dissimulé. Or, de ce point de vue, la prééminence
des contrôles comptables d’assiette a des conséquences plutôt négatives.
110) International Revenue Service.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
155
En effet, elle occupe une partie importante du temps des agents, ce qui
représente autant de disponibilité en moins pour la lutte contre le travail
dissimulé.
De plus, outre qu’elles limitent la couverture de la population des
contribuables, ces méthodes ne sont pas adaptées pour lutter efficacement
contre certains phénomènes de fraude en développement.
Par exemple, la vérification de comptabilité comme le contrôle
comptable d’assiette impliquent de prévenir à l’avance le contribuable de
l’imminence du démarrage d’un contrôle. De cette façon, le fraudeur qui
aurait recours à du travail dissimulé peut cesser cette activité et présenter
ainsi une apparence de régularité lors de l’arrivée des vérificateurs dans
l’entreprise.
De la même manière, la vérification de comptabilité n’est pas
adaptée pour détecter et mettre un terme aux fraudes organisées de
carrousels de TVA (cf.
supra
). En effet, ce type de fraude repose sur
l’existence de sociétés éphémères qui disparaissent rapidement sans avoir
reversé
la TVA
normalement
due.
L’identification
de
ce
type
d’opérateurs défaillants doit donc être précoce et la réaction de
l’administration fiscale rapide pour appréhender au plus vite les auteurs
de la fraude. D’après la direction générale des impôts, cette difficulté va
croissant dans la mesure où la durée de vie des sociétés taxis tend à se
réduire : estimée à 18 mois environ entre 1998 et 2002, elle ne dépasse
pas aujourd’hui quatre mois.
Ce besoin de réactivité n’est donc pas compatible avec la lourdeur
et le formalisme de la procédure de vérification de comptabilité
111
.
L’article L 47 du livre des procédures fiscales ne pallie que partiellement
cette difficulté. Il permet certes des contrôles inopinés, mais uniquement
sur des constats matériels relatifs à des éléments physiques de
l’exploitation ou à l’existence et à l’état des documents comptables. Dès
lors, après ces premiers constats, le fraudeur a le temps de disparaître
avant que ne commence la vérification proprement dite
112
.
111) Ce point peut néanmoins être nuancé, compte tenu de la possibilité pour
l’administration fiscale de remonter, dans certains cas, la chaîne de fraude et s’en
prendre à l’acheteur ou au vendeur des biens ayant fait l’objet d’un carrousel. Voir
notamment la décision du Conseil d’Etat, CE 27 juillet 2005,
Société Fauba France
.
Dans ce cas, une vérification de comptabilité peut être utilisée pour mettre en
évidence un carrousel. L’administration se heurtera néanmoins à la difficulté de
prouver la mauvaise foi du vendeur ou de l’acheteur.
112) Voir, sur ce point et, plus généralement, sur la fraude à la TVA, le rapport du
Conseil des impôts,
La TVA – XIXième rapport au Président de la République
, juin
2001.
156
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Dernier élément, les procédures de contrôle telles qu’elles sont
majoritairement utilisées aujourd’hui sont lourdes pour le contribuable,
qui, dans la majorité des cas, n’est pas fraudeur et pour lequel le contrôle
occasionne des contraintes importantes. L’acceptation du contrôle n’est
donc pas toujours évidente. De plus, des contrôles exhaustifs aboutissent
nécessairement à des montants de redressements élevés. Pour le contrôle
fiscal, la moyenne des droits nets rappelés par contrôle s’élevait ainsi
131 280 €. Ce chiffre est beaucoup plus faible pour les contrôles
comptables d’assiette, dont le montant moyen va de 2 000 à 10 000 €
selon les motifs de redressement. Les entreprises redressées peuvent donc
se retrouver dans des situations difficiles en termes de trésorerie pour
régler le redressement, ce qui explique en partie les difficultés de
recouvrement (cf.
supra
).
Ainsi,
sans
remettre
en
cause
la
nécessité
de
vérifier
périodiquement la situation globale d’une entreprise ou d’un particulier
au regard de ses obligations fiscales et sociales, il apparaît que les
procédures aujourd’hui privilégiées ne sont pas totalement adaptées pour
lutter contre les tendances lourdes de la fraude et assurer une présence
suffisamment dissuasive sur le terrain. Ce constat, qui plaide pour le
développement de nouvelles formes de contrôle, a conduit les
administrations en charge du recouvrement à commencer à diversifier
leur mode d’intervention.
C - La tendance est au développement de nouvelles
formes de contrôle
1 -
Le développement de contrôles préventifs et associant
davantage le contribuable
Comme on l’a vu, une large partie des motifs de redressement suite
à contrôle correspond à de simples irrégularités : erreurs factuelles,
divergences d’interprétation de la réglementation… Dans ces cas,
fréquents du fait de la complexité de la législation, et lorsque la bonne foi
du redevable n’est pas en cause, les procédures habituelles de contrôle
peuvent se révéler assez intrusives et pénalisantes pour les contribuables
qui en font l’objet.
C’est pourquoi, dans un souci de développement du service rendu
à l’usager et d’amélioration des relations avec les contribuables, des
formules de « contrôle à la demande » ou de contrôles préventifs ont été
mis en place tant pour les impôts que pour les cotisations sociales.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
157
Ce mode de contrôle, assez répandu dans d’autres Etats, offre la
possibilité aux services de la DGI et des URSSAF d’améliorer leur taux
de couverture des redevables et de développer leur présence sur le terrain
tout en évitant, en amont, que les contribuables ne commettent certaines
irrégularités.
Il reste que le contrôle préventif a encore du mal à se développer
car il souffre de la mauvaise image traditionnelle du contrôle et suscite
une certaine méfiance de la part des contribuables de bonne foi, qui
doutent parfois, à tort, des bonnes intentions des services de contrôle.
a)
Dans les URSSAF, le développement des offres de services aux
cotisants
Depuis 2003, les URSSAF proposent à certaines entreprises des
offres de services qui visent à les aider à remplir leurs obligations en
matière de cotisations sociales. Deux moments précis sont plus
particulièrement ciblés : dans les neuf premiers mois après la création de
l’entreprise ou lors de la signature d’un accord d’entreprise concernant
l’épargne salariale (intéressement, plan d’épargne d’entreprise, plan
d’épargne investissement
,
plan partenarial d’épargne salariale volontaire,
etc).
Ces offres de service s’inscrivent dans une démarche de service et
d’accompagnement individuel et visent à réduire les irrégularités que les
entreprises sont susceptibles de commettre en les assistant en amont. En
2005, il y a ainsi eu 2 001 visites auprès d’entreprises nouvelles et 605
visites préalables à la mise en place d’un accord collectif, ce qui a
débouché sur 1 512 rappels des règles applicables pour 753 employeurs.
Ces offres de service ne sont au demeurant qu’une des modalités
de la prévention que les URSSAF se sont efforcées de développer pour
réduire les irrégularités et la fraude. D’après l’ACOSS, au cours de
l’année 2005, 17 119 actions de prévention ont été réalisées qui, outre les
offres de service, ont pris la forme de séances d’informations collectives à
l’attention de publics ciblés ou encore l’examen, en partenariat avec les
directions départementales de l’emploi, du travail et de la formation
professionnelle (DDETFP) d’accords d’épargne salariale.
En dépit des efforts des URSSAF, ce type de services semble
encore avoir du mal à convaincre les cotisants, notamment parce que
ceux-ci bénéficient déjà des conseils de professionnels (avocats, experts-
comptables), ou parce qu’ils ne sont pas entièrement convaincus de
l’aspect préventif et partenarial de ce type de contrôles. De plus, la mise
en oeuvre de ces offres de service nécessite un effort important de la part
des URSSAF en termes de communication et d’information de façon à
158
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
faire connaître ces possibilités aux chefs d’entreprise. Ceci implique donc
une charge de travail non négligeable : envois de mailing, suivi des
réponses…
Or, l’intérêt des cotisants pour ces procédures n’est pas évident et
le taux de réponse apparaît souvent décevant. Par exemple, en Seine-
Saint-Denis, le taux de retour est de 3 %. De même, à l’URSSAF de
Périgueux, les offres de service font l’objet d’une vingtaine de demandes
par an pour environ 100 créations d’entreprises par mois, soit un taux
d’entreprises ayant recours à cette formule de seulement 1,6 %.
Il reste donc un important effort de communication à réaliser
auprès des cotisants pour essayer de changer l’image des contrôles et
populariser la notion de contrôles préventifs.
b)
A la direction générale des impôts, des contrôles à la demande sont
désormais possibles
EN 2004, le rapport GIBERT soulignait l’existence d’une «
forte
demande, en France comme à l’étranger, du développement du règlement
en amont des questions fiscales
113
». A la suite de ce rapport, différentes
mesures ont été adoptées de façon à offrir plus de sécurité juridique aux
entreprises dans leurs obligations fiscales.
En particulier, dans la loi de finances rectificatives pour 2004, a été
créée la possibilité pour les PME de demander une intervention sur place
de l’administration fiscale pour les aider à bien appliquer les règles
fiscales. Cette procédure est assortie de la possibilité, pour les
contribuables de bonne foi, de régulariser leur situation en cours de
contrôle, sans pénalités et moyennant un intérêt de retard réduit de 50 %.
Cette nouvelle possibilité est encore peu utilisée par les entreprises
et il faudra certainement du temps pour changer l’image traditionnelle du
contrôle fiscal. Néanmoins, elle atteste de la volonté de l’administration
fiscale de développer de nouvelles formes de contrôle et de trouver des
modalités
d’intervention
qui
soient
moins
pénalisantes
pour
le
contribuable de bonne foi.
Dans le même esprit, la DGI a mis en place pour les particuliers, à
l’automne 2005, un dispositif de relance amiable qui permet aux
contribuables de régulariser rapidement et sans sanctions les discordances
relevées sur leurs déclarations d’impôt sur le revenu, pourvu qu’il
113) Bruno GIBERT,
Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer
l’attractivité du territoire
– rapport au ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie
, septembre 2004.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
159
s’agisse d’erreurs de bonne foi. Cette mesure, qui a bénéficié à
400 000 foyers, est un autre exemple du développement de nouvelles
modalités de contrôle partenarial et préventif.
2 -
Le contrôle sur pièces est en phase de démarrage dans le
réseau des URSSAF
Dans le réseau des URSSAF, le contrôle sur pièces est peu
développé, même si certaines URSSAF y ont recours depuis une dizaine
d’années. Il tend cependant à se généraliser avec le déploiement dans tous
les organismes d’un outil informatique, SCORE.
Le contrôle sur pièces comprend plusieurs aspects :
la vérification de la cohérence des données portées sur la
déclaration elle-même ;
le recueil et le recoupement des pièces justificatives ;
les échanges d’informations avec les services fiscaux et les
services déconcentrés de l’emploi.
Le contrôle sur pièces, même s’il ne permet pas nécessairement de
repérer toutes les irrégularités qu’un contrôle comptable d’assiette aurait
pu déceler, permet là encore d’accroître le taux de couverture de la
population des cotisants, de maintenir une certaine vigilance sur les TPE
alors même qu’elles sont moins souvent contrôlées par les services de
contrôle.
Il
permet
également
de
réaliser
facilement
certains
redressements grâce à la transmission d’informations des services fiscaux,
sous réserve que cette information se fasse de façon fluide (cf.
infra
).
Dans ce cadre, la nouvelle convention d’objectifs et de gestion
pour la période 2006-2008 prévoit que «
le contrôle sur pièces sera
développé pour les petites entreprises en s’appuyant sur un dispositif
juridique sécurisé, selon une méthodologie définie au niveau national et
le développement d’un « métier » de contrôleur du recouvrement
».
3 -
A la direction générale des impôts, de nouvelles structures
expérimentent un contrôle à mi-chemin entre contrôle sur pièces
et contrôle sur place
A la direction générale des impôts, le contrôle sur pièces des
entreprises et des travailleurs indépendants doit faire face à la diminution
de ses résultats et aux difficultés croissantes de contrôler des déclarations
de plus en plus dématérialisées et traitées par des logiciels d’optimisation
comptable et fiscale.
160
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Face à cette situation, l’administration fiscale a, dans un premier
temps, créé des structures spécifiques dédiées au contrôle sur pièces des
dossiers des professionnels. Auparavant, ce contrôle était réalisé par les
équipes qui étaient également en charge de la gestion courante des
dossiers. Des structures spécialisées, baptisées inspection de contrôle et
d’expertise (ICE), ont donc vu le jour dans le cadre de la fusion entre les
centres des impôts et les recettes des impôts. La création de ces
structures,
dotées
d’outils
d’analyse-risque,
doit
permettre
une
professionnalisation du contrôle sur pièces et une amélioration de ses
résultats.
Pour pallier les difficultés à mener un contrôle depuis le bureau, la
DGI encourage le développement des contrôles sur place réalisés par les
ICE. Ainsi, en 2005, 12% des opérations de CFE et 3% des droits
redressés (soit un total de 190 millions d’euros) sont imputables aux ICE.
Cette pratique reste d’une ampleur variable selon les départements.
Ainsi, l’implication des ICE dans le contrôle ponctuel sur place, si elle est
en cours de développement, n’est pas partout acquise. Or, il apparaît que
pour le contrôle des entreprises, cette technique présente de nombreux
avantages. En effet, les ICE peuvent constituer un premier niveau
intéressant de contrôle, réalisant une forme de contrôle à mi-chemin entre
un contrôle sur pièces élaboré et un contrôle sur place simplifié et
ponctuel. Ces nouvelles structures constituent donc une opportunité pour
augmenter la présence des services de contrôle de la DGI sur le terrain et
la couverture de la population des contribuables, tout en développant un
contrôle moins long, moins exhaustif, plus partenarial et donc peut-être
mieux accepté par les contribuables de bonne foi.
Ainsi, à titre d’exemple, depuis 2005, la direction des services
fiscaux de Seine-Saint-Denis a réorienté ses contrôles pour être plus
présente sur les régimes simplifiés d’imposition (RSI) et micros, souvent
utilisés frauduleusement comme nous l’avons évoqué. A partir des ICE, a
été lancée une pratique d’«
l’îlotage
fiscal
» qui consiste à aller sur le
terrain et à comparer les observations avec les informations détenues en
interne. La présence sur le terrain permet de se rendre compte
d'incohérences factuelles, que la documentation en interne ne permet pas
de vérifier. Cette démarche a été appliquée notamment aux demandes de
remboursement de TVA. Les services ont renforcé leur présence sur le
terrain en exerçant un droit de communication qui permet d'examiner les
factures sans effectuer à proprement parler un contrôle.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
161
III
-
La coopération entre les administrations
n’est pas suffisamment active
Dans un contexte où les prélèvements obligatoires font l’objet d’un
recouvrement et d’un contrôle par des administrations et des organismes
différents, la coopération administrative est un facteur décisif pour limiter
les failles du système de prélèvement et éviter que des fraudeurs
n’échappent à leurs obligations fiscales et sociales.
Au demeurant, cette coopération n’implique pas seulement les
administrations directement en charge du recouvrement mais doit aussi
concerner les administrations répressives (police, gendarmerie, justice),
notamment dans les cas de fraude les plus graves.
Or, la coopération entre les administrations en matière de fraude
aux prélèvements obligatoires est aujourd’hui largement perfectible.
A - Les échanges au sein de la sphère sociale et avec
l’administration fiscale sont beaucoup trop ponctuels
Les services de contrôle de la direction générale des impôts et des
URSSAF interviennent sur des prélèvements obligatoires distincts et
selon des modalités et des procédures différentes. Il reste néanmoins
qu’ils poursuivent le même objectif - la récupération de prélèvements
éludés - et qu’ils contrôlent la même population d’entreprises. De plus,
dans certains cas, l’opération qui a permis d’éluder des cotisations
sociales pourra également avoir conduit à frauder sur des impôts et
réciproquement.
Dans ces conditions, les échanges entre ces administrations
présentent un intérêt incontestable dans la mesure où ils peuvent
permettre de détecter facilement certains comportements frauduleux et de
les sanctionner. Elle pourrait ainsi déboucher sur une réelle synergie et
une augmentation sensible de l’impact des contrôles réalisés, en termes de
répression de la fraude, de montants redressés et de couverture des
enjeux.
Il en va de même pour les échanges d’informations entre les
différents organismes de protection sociale. Là encore, en mutualisant les
informations disponibles, et notamment les résultats des contrôles, ces
organismes ont la possibilité d’améliorer l’efficacité et l’effet de leurs
interventions.
162
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pourtant, ces coopérations restent aujourd’hui trop ponctuelles et
soumises à la bonne volonté des acteurs locaux. L’absence d’une
coopération formalisée et d’une transmission automatisée de certaines
données limite donc les synergies et ouvre la possibilité aux contribuables
de mauvaise foi de passer entre les mailles des filets des différentes
administrations en charge du recouvrement.
1 -
Le développement inachevé des échanges entre
administrations sociales
L’absence de contrôle des cotisations en matière de retraites
complémentaires et d’assurance-chômage a déjà été soulignée (cf.
supra
).
D’une façon générale, les organismes coopèrent de façon limitée et
échangent peu d’informations. En effet, à l’exception de la mutualité
sociale agricole et de quelques mécanismes de guichet unique (comme le
GUSO
114
ou le CESU
115
), il n’existe pas de transmission systématique
d’informations qui permettraient d’opérer des redressements cohérents
sur l’ensemble des cotisations.
La coopération au niveau du recouvrement n’est toutefois pas la
seule possible au sein des organismes de la protection sociale. La
séparation entre recouvrement et prestation qui s’observe au sein du
régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés (mais non pour
les agriculteurs pour l’assurance chômage et la retraite complémentaire)
s’avère en effet pénalisante pour le contrôle dans la mesure où celui-ci ne
peut mettre en regard les cotisations payées et les droits revendiqués. Or,
ces échanges entre organismes chargés de servir des prestations et
organismes en charge du recouvrement ont jusqu’ici été trop rares.
Pour améliorer cette situation, le nouvel article L.114-12 du code
de la sécurité sociale issu de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2006 prévoit ainsi que
« pour l'application des dispositions
législatives et réglementaires relatives à la sécurité sociale, les
organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité
sociale, les caisses assurant le service des congés payés et les organismes
mentionnés à l'article L. 351-21 du code du travail se communiquent les
renseignements qu'ils détiennent sur leurs ressortissants
».
114) Guichet unique du spectacle occasionnel.
115) Chèque emploi service universel.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
163
Localement, des mécanismes informels de coopération et de
signalement des cas de fraude ont été mis en place, sans que ces échanges
aient un caractère systématique. Dans certains cas, des conventions de
partenariat ont d’ores et déjà été signées, comme par exemple dans le
Bas-Rhin. Un accord national de coopération entre organismes de
recouvrement et de prestations a ainsi été signé à la fin de l’année 2006
sur ce sujet.
Le code de la sécurité sociale comme le livre des procédures
fiscales prévoient des échanges entre l’administration fiscale et les
organismes de recouvrement des cotisations sociales
116
.
Cette disposition législative repose sur un besoin réel, qui concerne
également le contrôle. En effet, des contrôles réalisés par l’un ou l’autre
des services pourraient déboucher facilement sur des redressements pour
les différents types de prélèvements.
La réalité des échanges entre administration fiscale et sociale
apparaît toutefois insuffisante sur le terrain, dans les deux sens : la
coopération est ainsi souvent décrite comme ponctuelle et insuffisamment
formalisée. Certaines DSF ont mis en place des conventions avec
l’URSSAF correspondante de façon à échanger des données pour
comparer les déclarations de ressources envoyées à l’URSSAF et les
déclarations de revenu à la DGI. De plus, il arrive régulièrement que les
agents de contrôle se rendent dans les locaux de l’autre administration
pour avoir accès à certains éléments et certaines données. Les services
s’échangent également de façon spontanée des informations à l’aide de
bulletins de transmission d’informations envoyés aux administrations
intéressées mais, là encore, le nombre de bulletins envoyés apparaît
relativement faible.
L’exemple de la direction des services fiscaux de Seine-Saint-
Denis, s’il n’est pas nécessairement représentatif à lui seul, vient
confirmer ce constat, comme le montre le tableau suivant. Ainsi, le
nombre de contrôles diligentés suite à des informations des organismes
sociaux est très faible.
116) Voir notamment l’article L. 114-14 du code de la sécurité sociale ou encore
l’article L. 152 du livre des procédures fiscales.
164
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°
24. - Informations obtenues par la direction des services fiscaux
de Seine-Saint-
Denis des administrations partenaires (en nombre de contrôles externes diligentés)
Année
2003
2004
2005
DGDDI
2
4
3
Gendarmerie
1
1
4
Inspection du travail
1
1
Justice
1
7
16
Organismes sociaux
1
4
7
Police
9
9
Autres
2
5
10
Total
8
30
50
D’une façon générale, les informations fournies par les organismes
sociaux ne représentent qu’une part très limitée des informations utilisées
par les services fiscaux pour diligenter des contrôles, comme le montre le
tableau suivant, tiré d’une étude réalisée par la DGI
117
.
Tableau
25. -
Répartition par source des affaires ayant une origine externe dans un échantillon
de 6 directions des services fiscaux
Origine
des
sources
externes
Gendarmerie Police
Justice
(dont
GIR et
COLTI)
Douanes
URSSAF,
DDTEFP,
DDCCRF
Autres
sources
externes des
brigades de
recherche
Total
Part dans
le total
des
sources
externes
11,60%
8,90%
9,90%
17,00%
7,10%
45,50%
100,00%
Un autre exemple peut être donné concernant le travail dissimulé.
Ainsi, d’après l’ACOSS, les services fiscaux ont bénéficié de 8 % des
informations transmises par les URSSAF, contre 38 % au profit des
services de police et de gendarmerie. En sens inverse, les URSSAF n’ont
reçu que 5 % de leurs informations en matière de travail dissimulé des
services de la direction générale des impôts.
Ainsi, la coopération entre la sphère fiscale et la sphère sociale a
généralement un caractère ponctuel. En particulier, les services de la DGI
n’informent pas systématiquement l’URSSAF des redressements qu’ils
ont réalisés et il en va de même dans l’autre sens.
117) DGI – Mission d’expertise et de liaison,
Etude sur la programmation d’origine
recherche en DSF et DIRCOFI
, juin 2005.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
165
Même si le décret n°2002-771 du 3 mai 2002 met en place une
procédure de transfert des données fiscales, aucun de ses arrêtés
d’application ne prévoit de communication de données aux URSSAF
pour le contrôle des déclarations relatives aux cotisations de sécurité
sociale. La branche du recouvrement se retrouve ainsi exclue du seul
système existant de transfert des données provenant de l’administration
fiscale.
Ainsi, même s’il existe des échanges entre les services dont
l’ampleur et la régularité varient selon les départements, la situation
actuelle n’est pas satisfaisante dans la mesure où elle prive les services de
contrôle d’informations précieuses qui pourrait faciliter leur propre travail
de détection et de vérification.
B - La coopération avec les administrations répressives
est mieux formalisée mais reste d’une portée variable
selon les départements
Contrairement à d’autres Etats, qui ont fait le choix de confier à
certains services de leur administration en charge du recouvrement des
compétences de police judiciaire, la France n’est pas allée jusque là,
même si les pouvoirs d’investigation des services français sont assez
étendus.
Une coopération avec les services de police et de gendarmerie est
donc indispensable dans certains cas, notamment parce que les fraudeurs
qui sont poursuivis présentent un niveau de dangerosité élevé ou parce
que des investigations lourdes et approfondies sont indispensables pour
mettre en évidence la fraude.
Cette coopération apparaît aujourd’hui d’une importance et d’une
portée variables selon les départements. Pour la renforcer, des structures
de coordination, comme les comités opérationnels de lutte contre le
travail illégal ou les groupements d’intervention régionaux, ont été mises
en place.
1 -
Les administrations en charge du recouvrement ne disposent
pas de compétence de police judiciaire
Ni les services de contrôle de la DGI, ni ceux des URSSAF ne
disposent des attributions attachées à la qualité d’officier de police
judiciaire et les procédures qu’ils mettent en oeuvre sont celles
prévues par le code général des impôts, le code de la sécurité sociale ou le
code du travail, mais pas par le code pénal.
166
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
a)
Un choix différent dans d’autres Etats ou pour d’autres
administrations
Dans plusieurs Etats de l’OCDE, il existe un service, indépendant
ou rattaché à l’administration fiscale, qui dispose de compétences de
police judiciaire pour procéder, sous le contrôle d’un magistrat, à des
enquêtes en matière de fraude aux prélèvements obligatoires.
Aux Etats-Unis, la division
Criminal Investigation
de l’IRS
dispose de compétences légales proches de celles d’autres agences
fédérales comme le FBI ou encore le Secret service. Son rôle consiste à
détecter et réprimer les cas les plus graves de fraude fiscale, susceptible
de faire l’objet d’un procès pénal. Ce service dispose de 4 400 agents,
dont 2 800 ayant un statut de
Special Agent
et, si son coeur de métier est
bien la lutte contre la fraude fiscale, il intervient également en matière de
terrorisme et de blanchiment d’argent.
De même, en Italie, la
Guardia di Finanza
, qui est habilitée à
effectuer des perquisitions dans des locaux professionnels ou à domicile,
ainsi qu’à saisir ou reproduire tout document comptable, est tenue
d’informer le magistrat du Parquet compétent de tout fait constituant une
irrégularité :
« le délit fiscal est donc entièrement assimilé à un délit de
droit commun et traité comme tel »
118
.
En France, cette évolution a d’ailleurs été retenue, depuis 1999,
pour les services de la direction générale des douanes et des droits
indirects avec la création d’un service national de la douane judiciaire
(cf. encadré suivant).
118) Jacques BRURON,
Droit pénal fiscal
, LGDI, 1993, p. 151.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
167
Encadré n°8 : le service national de la douane judiciaire
L’article 28 de la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de
la procédure pénale a en effet introduit dans le code de procédure pénale un
nouvel article 28-1, en vertu duquel les agents des douanes de catégorie A et B,
spécialement désignés à cette fin par arrêté des ministres chargés de la justice et
du budget, sont dotés de pouvoirs similaires à ceux des officiers de police
judiciaire.
Concrètement, ces agents sont compétents sur l’ensemble du territoire
national pour constater
« les infractions prévues par le code des douanes, les
infractions en matière de contributions indirectes, les infractions prévues aux
articles L. 716-9 à L. 716-11 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que pour
les infractions qui leur sont connexes »
. Ils peuvent effectuer des enquêtes
judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission
rogatoire du juge d'instruction, ce qui implique qu’ils puissent procéder à des
perquisitions, à des saisies de documents, placer sous scellés les objets et
documents
saisis,
requérir
des
informations
auprès
des
opérateurs
de
télécommunication, défendre à toute personne de s’éloigner du lieu d’une
infraction, ou encore entendre les témoins qu’ils souhaitent.
La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité a encore accru les pouvoirs conférés aux agents de la douane
judiciaire, en étendant le champ des infractions pour lequel ils sont compétents au
délit d’escroquerie en matière de TVA.
b)
Les administrations disposent néanmoins de pouvoirs
d’investigation étendus
Les URSSAF ou la DGI ne disposent pas de prérogatives de police
judiciaire,
la
législation
leur
confie
cependant
des
pouvoirs
d’investigation assez étendus. Ceux-ci permettent de contrôler et de
sanctionner la fraude et l’irrégularité mais sont sans doute insuffisants
pour déceler et réprimer les formes de fraude les plus graves et les plus
complexes.
Le tableau suivant présente ainsi, de façon rapide, les pouvoirs de
l’administration fiscale pour déceler les agissements frauduleux.
168
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°
26. - Procédures susceptibles d’être utilisées par l’administration fiscale aux fins de
déceler des agissements frauduleux
Recherches auprès du contribuable
Recherches auprès de tiers
Demande d’information
(article L. 10 LPF)
Audition
(article L. 15 LPF)
Demande d’éclaircissement ou de
justifications (articles L. 16, L. 19, L.
20 et L. 23 LPF selon l’impôt en cause)
Droit de vérification
(articles L. 12 et L. 13 LPF)
Droit d’enquête pour le contrôle du
respect des règles de facturation
(article L. 80 F LPF)
Droit de visite et de saisie
(article L. 16 B LPF)
Droit de contrôle en matière de TVA
des redevables placés sous RSI
(article L. 16 D LPF)
Demande d’information
(article L. 10 LPF)
Droit de communication
(articles L. 81 à L. 102 AA LPF)
Droit d’enquête pour le contrôle du
respect des règles de facturation
(article L. 80 F LPF)
Droit de visite et de saisie
(article L. 16 B LPF)
En particulier, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
(LPF), qui confie aux agents de la direction générale des impôts un droit
de visite et de saisie est un outil d’enquête particulièrement puissant. De
fait, son usage est encadré et la DGI n’y a recours que de façon modérée.
D’abord, le recours à l’article L. 16 B est soumis à l’autorisation du juge
judiciaire et les opérations de visite et de saisie de documents qui sont
réalisées dans ce cadre s’effectuent sous le contrôle d’un officier de
police judiciaire. De plus, seuls certains agents de contrôle, ceux rattachés
à la direction nationale des enquêtes fiscales, peuvent mettre en oeuvre le
droit de visite et de saisie et l’utilisation de l’article L. 16 B est restreinte.
Ainsi, en 2005, 240 visites domiciliées ont été organisées sur le
fondement de l’article L. 16 B du LPF, et ce dans trois types de dossiers :
des dossiers où les enjeux financiers sont importants, comme
les dossiers de fraude de type
« carrousel »
;
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
169
des dossiers où sont à l’oeuvre des mécanismes de fraude
nouveaux, qu’il est urgent de comprendre pour éviter la
généralisation de la fraude ;
des dossiers, enfin, où le mécanisme en jeu est susceptible de
bénéficier, même pour un faible montant, à un grand nombre de
contribuables.
En matière de travail dissimulé, les pouvoirs des administrations de
contrôle sont également importants. D’abord, comme le rappelle l’article
L.325-12 du code du travail, «
pour la recherche et la constatation de ces
infractions, les agents précités disposent des pouvoirs d'investigation
accordés par les textes particuliers qui leur sont applicables
». De plus,
le même article précise l’ensemble des documents que les agents
compétents pour la lutte contre le travail dissimulé peuvent se faire
présenter immédiatement lors d’un contrôle
119
. Il s’agit :
des documents relatifs à l’immatriculation et aux déclarations
effectuées auprès des organismes de protection sociale ;
des documents justifiant que l’entreprise a procédé aux
vérifications légales concernant ses sous-traitants ;
des documents commerciaux relatifs aux prestations exécutées
en infraction à la législation sur le travail dissimulé.
Les agents peuvent en outre se faire communiquer par les services
préfectoraux tout document relatif à l’exercice d’une profession
réglementée.
En vue de la verbalisation du travail dissimulé, les agents
disposent, outre des pouvoirs d’enquête déjà mentionnés, d’un pouvoir
très large d’audition. Ils peuvent ainsi entendre «
toute personne
rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée
par l'employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la
nature de ses activités, ses conditions d'emploi et le montant des
rémunérations s'y rapportant, y compris les avantages en nature
». Ces
auditions peuvent également être consignées par procès-verbal. Enfin, les
agents de contrôle sont habilités à demander à toute personne figurant sur
le procès-verbal d’audition de justifier de son nom et de son adresse.
Les pouvoirs dont disposent les agents de contrôle en matière de
recouvrement des prélèvements obligatoires sont donc importants. Pour
autant, ils restent limités par rapport à ceux dont disposent des officiers de
police judiciaire.
119) Ils peuvent également en exiger une copie.
170
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ainsi, l’article L. 16 B, dans le domaine fiscal, ne prévoit pas de
procédure d’audition formalisée, ni la possibilité de recourir à des gardes
à vue. D’une façon générale, les pouvoirs des administrations de contrôle
font l’objet d’un encadrement procédural beaucoup plus strict, et donc
beaucoup plus contraignant, par rapport à celui des officiers de police
judiciaire. Cela signifie que, dans certains cas, les vérificateurs sont
empêchés de prendre connaissance de certains faits ou de certains
agissements car ils doivent rester dans les limites que leurs procédures
spécifiques imposent.
De plus, faute pour ces agents d’avoir la qualité d’officiers de
police judiciaire, les constatations effectuées dans le cadre des opérations
de contrôle n’ont pas, devant le juge pénal, valeur de preuve. Ainsi, le
juge judiciaire
« ne peut pas faire son siège sur des comparaisons, des
estimations ou des valeurs moyennes opposables au contribuable »
120
.
Les
éléments versés au procès pénal par les administrations ne valent ainsi
qu’à titre de renseignements.
Cette situation oblige les services de la direction générale des
impôts ou des URSSAF, dans certaines affaires particulièrement
complexes ou dangereuses, et nécessitant des moyens d’investigation
étendus, à recourir à l’appui de la police ou de la gendarmerie. On a déjà
vu que ces services étaient associés à la lutte contre le travail dissimulé,
avec notamment la création récente de l’office central de lutte contre le
travail illégal (OCLTI – cf.
supra
).
On retrouve également cette situation dans le domaine fiscal. En
effet, les infractions fiscales, dans un certain nombre de cas, sont
commises en même temps que d’autres délits de droit commun :
usurpation d’identité, abus de biens sociaux, faux et usages de faux, pour
n’en citer que quelques uns. Cette connexité justifie l’existence de
services de police judiciaire qui mobilisent l’expertise des agents de
l’administration fiscale, comme par exemple la brigade nationale
d’enquête économique (BNEE).
120) Cass. Crim. 12 mai 1976, Bull. Crim., n° 154, note RENOUX, D. 1984, p. 616.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
171
Encadré n°9 : la brigade nationale d’enquêtes économiques
La
brigade nationale d'enquêtes économiques
(BNEE), créée en 1948
pour lutter contre le marché noir et les infractions économiques, est chargée
d’apporter une assistance à la police judiciaire dans les enquêtes qui requièrent
les capacités d'expertise financière et fiscale des inspecteurs des impôts,
notamment dans le cadre des informations judiciaires qui peuvent être ouvertes
dans le cadre de poursuites pour fraude fiscale ou pour escroquerie à la TVA. Elle
est exclusivement composée de fonctionnaires de la DGI. Son siège est situé dans
les locaux de la direction centrale de la police judiciaire à Nanterre, le reste des
effectifs étant implanté dans les services régionaux de la police judiciaire sous la
forme de groupes régionaux d'enquêtes économiques (GREE).
Par ailleurs, depuis 1999, la DGI met une dizaine d’agents à la
disposition du ministère de la Justice. Ces agents dépendent soit de
l'instruction, soit du Parquet, et sont rattachés aux juridictions de Paris,
Lyon et Bordeaux, Fort de France, Versailles, Aix en Provence et
Bastia
121
.
Dans un certain nombre de cas, l’action de recherche et de sanction
de la fraude menée par la DGI et les URSSAF implique donc
l’intervention des services répressifs de police et de gendarmerie. La
mobilisation de ces services, et de ceux du Parquet qui les contrôle, n’est
cependant pas toujours évidente dans la mesure où ils ont leurs propres
priorités. Par exemple, sur 13 000 actions conjointes menées par le réseau
des URSSAF en 2005, la gendarmerie a participé à ces actions dans 18 %
des cas et les services de police dans 16 % des cas.
Pour améliorer la coordination, des structures formalisées ont ainsi
été mises en place : les comités opérationnels de lutte contre le travail
illégal (COLTI) et les groupes d’intervention régionaux (GIR).
2 -
Les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal
Crées par l’article 11 du décret de 1997, les comités opérationnels
de lutte contre le travail illégal sont présidés par le procureur – en
pratique un vice-procureur ou un substitut – et sont chargés de la
coordination opérationnelle des acteurs du contrôle. En particulier, les
COLTI sont chargés de la programmation et de la préparation des actions
concertées entre plusieurs services.
121) Source : Assemblée nationale,
Rapport d’information n° 1098 sur les groupes
d’intervention
régionaux
,
enregistré
le
1er
octobre
2003
et
présenté
par
M. Marc LE FUR.
172
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le renforcement du rôle des COLTI était un des objectifs du plan
national de lutte contre le travail illégal (cf.
supra
). De fait, on constate
qu’environ 18 % des opérations conduites en 2005 dans les secteurs du
plan national se sont déroulées dans le cadre du COLTI contre 14 % en
2004. Cette coordination a été particulièrement renforcée dans certains
secteurs, comme l’agriculture où 37 % des opérations programmées l’ont
été sous l’égide des COLTI. Ces structures ont permis notamment de
mettre en place des actions de contrôle d’envergure : 600 opérations ont
ainsi eu lieu entre août et décembre 2005.
Le bilan des COLTI est cependant très inégal selon les
départements et dépend souvent de l’implication du procureur et du
secrétaire permanent. Celui-ci est en effet chargé des différents aspects
logistiques, du suivi des actions judiciaires, de la communication des
procès-verbaux aux organismes de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et du traitement statistique de la verbalisation du travail
illégal.
Ainsi les départements où les services du procureur et le secrétaire
sont fortement impliqués dans la lutte contre le travail illégal obtiennent-
ils des résultats probants. Dans ces cas-là, le COLTI est un véritable lieu
d’impulsion
pour
des
actions
communes.
A
l’inverse,
certains
départements n’ont même pas mis en place de secrétariat permanent – le
décret ne précise pas quel service doit être mis à disposition pour cette
tâche assez lourde – et les COLTI sont, au mieux, le lieu d’enregistrement
d’actions concertées qui lui sont étrangères. En tout état de cause,
l’absence d’évaluation et de pilotage national aboutit à une forte
hétérogénéité et sans doute à une sous-utilisation des potentialités du
dispositif.
3 -
Les groupements d’intervention régionaux
Pour
combattre
la
délinquance
entretenue
par
l’économie
souterraine, en voie de développement notamment dans les quartiers
sensibles, les coopérations existant entre les services de police judiciaire
et l’administration fiscale paraissaient toutefois insuffisantes. Comme le
relève un rapport parlementaire
122
, les échanges entre les services fiscaux
et les services de police judiciaire restaient
« rares »
et
« de fait limités
aux enquêtes portant sur des affaires particulièrement lourdes, fort
éloignées de l'activité habituelle des services locaux d'enquête »
.
122) Rapport d’information n° 1098 sur les groupes d’intervention régionaux,
présenté par le député Marc Le FUR, Assemblée nationale.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
173
C’est donc pour faciliter et élargir la coopération entre ces services
que la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d’orientation et de
programmation pour la sécurité intérieure a institué les groupements
d’intervention régionaux (GIR).
Les URSSAF ne sont pas membres en tant que telles des GIR,
même si elles peuvent être associées à leurs opérations. Cette situation,
qui s’explique par le fait qu’elles ont un statut d’organisme de droit privé,
laisse cependant de côté un acteur qui pourrait être particulièrement
précieux dans les affaires impliquant des infractions de travail illégal.
Graphique n°13- Représentation schématique du fonctionnement d’un
GIR
174
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La mise en place des GIR s’est accompagnée d’un aménagement
des règles relatives au secret professionnel des agents des services
fiscaux, rendu nécessaire pour des actions de coopération avec d’autres
services.
123
Au 30 juin 2003, l'action des groupements d’intervention
régionaux avait permis de constater 486 infractions à la législation fiscale.
Tableau
27.- Infractions poursuivies dans le cadre de l’action des GIR
124
Type d'infractions
Infractions
recherchées
Infractions
découvertes
Infractions pénales
343
491
Dont trafics de stupéfiants
120
127
Vols et recels
99
134
Trafics de véhicules
46
50
Blanchiment et « proxénétisme de la drogue »
12
22
Associations de malfaiteurs
11
12
Infractions fiscales
0
486
Infractions douanières
27
248
Infractions au code du travail
10
42
Infractions aux règles de l'hygiène et de la sécurité
1
13
Tromperies sur les déclarations à l’URSSAF
1
1
Infractions à la législation sur l'urbanisme
3
5
Recouvrement de créances du Trésor
1
1
Total
386
1 287
Ces infractions ont donné lieu à l'engagement de plus de
100 contrôles fiscaux externes et de 107 contrôles sur pièces, 119 autres
contrôles externes étant par ailleurs programmés pour le second semestre
de l’année 2003
125
. A ce jour, néanmoins, seule une faible proportion de
ces contrôles fiscaux ont donné lieu à des poursuites correctionnelles.
123) Article 5 de la loi du 29 août 2002, tel que modifié par l’article 16 de la loi
n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité.
124) Source : ministère de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales,
cité par Assemblée nationale,
Rapport d’information n° 1098 sur les groupes
d’intervention régionaux
, enregistré le 1er octobre 2003 et présenté par M. Marc Le
Fur.
125) Source : Assemblée nationale, ouvrage précité.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
175
La collaboration avec l’administration fiscale peut prendre deux
formes :
les éléments recueillis par le GIR ne mettent pas en évidence
une infraction pénale caractérisée mais sont néanmoins
susceptibles d'intéresser la direction générale des impôts ; une
fiche technique d’information rapide pour suite fiscale à donner
lui est alors transmise ;
les éléments recueillis par le GIR sont suffisants pour retenir
l'infraction pénale et intéresser par la suite la brigade de
contrôle et de recherche (BCR) ; dans ce contexte, un juge
suivra le dossier ; les informations transmises devront être
validées par le biais d’un droit de communication.
Ces collaborations ont induit des changements de méthode, les
services fiscaux agissant moins directement et utilisant davantage ces
collaborations, ce qui peut s’avérer plus efficace pour certaines catégories
de fraude ou certaines populations. Ainsi, dans le cas d'un
groupe de
micro-entreprises frauduleuses, l'intervention seule des services fiscaux
peut conduire à la disparition rapide des véritables organisateurs de la
fraude. Aussi le GIR permet-il d’agir autrement, d’une part en contrôlant
la situation irrégulière des étrangers, avec une intervention policière,
d’autre part en s’attaquant à l'abus de biens sociaux que les services
signalent à la justice.
La principale difficulté dans le fonctionnement des groupements
d’intervention régionaux (GIR) est liée aux différences d’approche et de
procédures entre les services, dans la mesure où les modalités
d’intervention de la police et de la gendarmerie ne correspondent pas
nécessairement à celles qui sont nécessaires pour constater et sanctionner
une fraude fiscale. Ainsi, pour mettre en évidence une fraude, les services
fiscaux ont généralement besoin de laisser passer au moins une échéance
déclarative, ce qui est souvent peu compatible avec le calendrier
d’intervention des GIR. De plus, s’agissant de l’appréhension des revenus
illicites, les agents de la direction générale des impôts se heurtent à la
difficulté que les personnes interpellées ont généralement un faible
patrimoine, ayant transféré la propriété juridique de leurs biens à d’autres
personnes,, ce qui limite les possibilités de recouvrement.
C - La coopération européenne dans la lutte contre la
fraude reste encore largement à développer
Lorsqu’elles
acquièrent
une
dimension
internationale,
les
infractions aux prélèvements obligatoires ne peuvent être détectées
qu’avec le concours des Etats étrangers concernés.
176
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
A cela vient s’ajouter une deuxième dimension spécifique à la
situation européenne. En effet, jusqu’à la suppression des frontières, en
1993, dans le cadre de la mise en place du marché intérieur, les Etats
étaient relativement à même de suivre et contrôler les flux, notamment de
travailleurs et de marchandises grâce aux contrôles effectués aux
frontières par les services des douanes. Avec le Marché unique européen,
les organismes publics ne disposent plus directement de ces informations
et doivent donc les obtenir auprès des autres Etats.
La
coopération
entre
les
administrations
en
charge
du
recouvrement revêt donc une importance cruciale dans un contexte où
l’horizon des entreprises mais aussi des fraudeurs est de plus en plus
international.
La situation actuelle est assez différente selon que l’on regarde les
administrations fiscales ou les administrations sociales, même si,
globalement, le niveau de coopération ne paraît pas encore adapté aux
enjeux.
1 -
Au niveau des administrations fiscales, les mécanismes de
coopération et d’échanges d’information sont trop longs
La Commission européenne a mis en place, pour la coopération
fiscale
administrative,
un
cadre
légal
qui
vise
à
favoriser
le
développement
des
échanges
et
des
collaborations
entre
les
administrations fiscales des Etats membres.
Pourtant, en dépit de ces efforts, la coopération fiscale n’apparaît
pas suffisamment efficace face au défi posé par la fraude.
a)
Un cadre juridique communautaire renforcé
Mis en place dans les années 1970 et 1980, le cadre juridique de la
coopération administrative a été significativement renforcé au début des
années 2000. Aujourd’hui, à l’exception des dispositions relatives aux
impôts directs, la Commission estime que les textes actuels sont suffisants
et offrent de réelles perspectives de coopération.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
177
Encadré n°10 : La rénovation du cadre juridique de coopération fiscale au
début des années 2000
La suppression des frontières physiques lors de la création du marché
unique a entraîné le développement rapide des échanges transfrontaliers et une
mobilité accrue des contribuables et des bases fiscales. Dès lors, les Etats
européens et la Commission se sont efforcés de moderniser continuellement les
instruments juridiques d'assistance mutuelle et de rendre plus efficace la
coopération entre administrations fiscales.
Plusieurs textes récents sont venus moderniser les dispositions existantes
en matière d’assistance administrative mutuelle :
-
la coopération administrative en matière de TVA, mise en place en 1981, a
été réformée par le règlement 1798/2003 du Conseil;
-
la coopération administrative en matière d'accises, dont les premiers
éléments
avaient
été
adoptés
en
1993,
a
été
réformée
par
le
règlement 2073/2004 du Conseil et la directive 2004/106 du Conseil;
-
l'assistance mutuelle en matière de fiscalité directe qui, historiquement, avait
fait l’objet du premier texte en 1977, a été modernisée par la
directive 2004/56/CE du Conseil;
-
enfin, l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances a été
modernisée et étendue par la directive 2001/44/CE du Conseil et la
directive 2002/94 de la Commission.
En matière de TVA, le règlement n°1798/2003 réaffirme une
obligation d’assistance entre les administrations fiscales des Etats
membres. Pour cela, il prévoit la possibilité pour une administration de
demander des renseignements, voire une enquête précise, à une autre
administration qui est tenue d’y répondre dans les trois mois. Le
règlement autorise également la possibilité de détacher un fonctionnaire
dans les bureaux d’une autre administration fiscale, la participation de
fonctionnaires à des enquêtes fiscales dans un autre Etat ou encore la
réalisation de contrôles simultanés dans différents pays de l’Union. Le
règlement pose enfin un principe d’échange spontané d’informations, si
possible de façon automatisée, lorsqu’un Etat a connaissance d’éléments
ou d’indices laissant penser qu’une fraude va être ou bien a été commise
dans un autre Etat membre.
En matière d’accises, la directive et le règlement de 2004 fixent
des règles et des obligations similaires pour les échanges d’informations.
178
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le niveau de coopération prévu par les textes européens en matière
d’impôts directs est moins ambitieux. En particulier, les administrations
fiscales peuvent refuser de réaliser certaines enquêtes ou de fournir
certaines informations «
dès lors que la réalisation de telles enquêtes (…)
est contraire à [leur] législation ou à [leurs] pratiques administratives
126
.
En parallèle à la mise en place d’un cadre légal pour favoriser la
coopération administrative, l’Union européenne finance des programmes
destinés à rapprocher les administrations fiscales, en particulier le
programme FISCALIS.
Encadré n°11 : le programme FISCALIS
Mis en place par la décision 2235/2002/CE, le programme FISCALIS
2003-2007 est un programme visant à améliorer le fonctionnement des systèmes
fiscaux dans le marché intérieur en renforçant la coopération entre les pays
participants, leurs administrations et leurs fonctionnaires. Le programme dispose
pour cela d’un budget de 56 M€ sur cinq ans.
Le programme FISCALIS est centré sur la lutte contre la fraude et, parmi
ses
objectifs,
figurent
notamment
une
meilleure
collaboration
entre
administrations
fiscales,
la
formation
des
fonctionnaires
nationaux,
le
développement des outils et des méthodes d’analyse-risque.
Pour atteindre ces objectifs, le programme prévoit plusieurs outils. Le
premier d’entre eux est l’amélioration des systèmes de communication et
d’échange d’informations, notamment
le système VIES pour la TVA (cf.
infra
).
Un autre outil est le développement d’échanges de fonctionnaires, l’organisation
de séminaires sur des thèmes liés à la fraude internationale ou enfin le
développement de contrôles multilatéraux.
b)
Les possibilités de coopération sont peu utilisées et sont
généralement assez lentes
En dépit de ce cadre propice à la collaboration, un constat
s’impose, comme la Commission elle-même le reconnaît : «
les Etats
membres n’utilisent pas suffisamment les possibilités nouvelles ainsi
offertes et le niveau d’utilisation de la coopération administrative n’est
pas
en
proportion
avec
la
dimension
du
commerce
intra-
communautaire
127
».
126) Article 1 de la directive 2004/56/CE du Conseil du 21 avril 2004 modifiant la
directive 77/799/CEE.
127) Commission européenne
, Communication sur la nécessité de développer une
stratégie coordonnée en vue d’améliorer la lutte contre la fraude fiscale
, op. cit.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
179
Certes, le nombre de demandes d’assistance mutuelle en matière de
TVA est en nette augmentation depuis 10 ans. D’après les dernières
données disponibles, il a été multiplié par 4 entre 1995 à 2002, passant
ainsi de 4 204 demandes à 17 059
128
.
Néanmoins, dans le même temps, le nombre de contrôles
simultanés, toujours pour la TVA, qui constitue le principal enjeu
communautaire, a tendance à stagner. La Commission en recense ainsi 3
en 2003, 4 en 2002 et 8 en 2001. Comme le souligne la Commission, il
s’agit d’un niveau très faible comparé au 1,5 million d’entreprises qui ont
une activité intra-communautaire.
De plus, la coopération intra-communautaire est marquée par une
certaine lenteur et un manque de réactivité qui nuisent à son efficacité,
particulièrement en matière de détection et de répression des carrousels.
D’après la Commission, plus de la moitié des réponses ne sont pas
fournies dans le délai de trois mois pourtant prévu dans le règlement.
Cette lenteur de l’assistance administrative peut d’ailleurs être
vérifiée à travers l’exemple de la direction du contrôle fiscal (DIRCOFI)
Sud-Est. Le tableau suivant montre ainsi les délais moyens de réponse
aux demandes d’assistance émises par les vérificateurs de la DIRCOFI.
128) Cf. Commission européenne,
Rapport sur le recours aux mécanismes de la
coopération administrative dans la lutte contre la fraude à la TVA
, 16/04/2004.
180
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°
28. – Délai moyen de réponse aux demandes d’assistance administrative envoyées
par la DIRCOFI Sud-est de 2004 à 2006
Pays
Nombre de
demandes
concernées
(du 01/01/04
au 30/10/06)
Délai
moyen de
réponse
(en jours)
Allemagne
3
242
Autriche
1
816
Belgique
13
137
Danemark
4
205
Espagne
14
190
GB
15
156
Italie
16
261
Liban
1
96
Luxembourg
14
137
Monaco
39
57
Pays Bas
2
397
Portugal
1
253
USA
3
187
MOYENNE
241
MEDIANE
190
Le délai moyen de réponse est ainsi de plus de 6 mois et le tableau
précédent montre que ce problème ne concerne pas seulement les Etats
membres de l’Union européenne.
Parmi les facteurs qui contribuent à ces déficiences de la
coopération administrative, la Commission recense notamment
« les
problèmes de langue, le manque de ressources humaines et de
connaissance des procédures de coopération au niveau des agents
contrôleurs »
. Elle souligne également l’absence d’une « culture
administrative communautaire » comme un élément majeur qui explique
les difficultés de coordonner la lutte contre la fraude.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
181
c)
Les systèmes d’échanges automatisés d’informations ne sont pas
suffisamment utilisés
De plus, les systèmes d’échange automatisés d’informations, qui
permettraient de nettement fluidifier la coopération, ne sont pas très
développés et ne fonctionnent pas de façon optimale.
Le principal système existant, le système VIES, concerne
aujourd’hui les échanges de biens intra-communautaires, afin de
permettre aux Etats membres de procéder à des contrôles en matière de
TVA (cf. encadré).
Encadré n°12 : le système VIES
Ainsi, l’article 28 nonies de la sixième directive et le règlement n°
218/1992 du 27 janvier 1992 sur la coopération administrative dans le domaine
des impôts indirects ont institué des mécanismes d’échanges de données
concernant les déclarations d’échanges de biens (DEB), auxquelles sont en
principe
astreints
les
assujettis
à
la
TVA
réalisant
des
opérations
intracommunautaires.
En vertu de ces textes, chaque assujetti à la TVA réalisant des transactions
communautaires est identifié par un numéro. L’entreprise vendeuse doit en
principe vérifier la validité de ce numéro avant de procéder à une livraison
intracommunautaire. Chaque trimestre, elle doit en outre communiquer à
l’administration fiscale un état récapitulatif des livraisons intracommunautaires
auxquelles elle a procédé, et ce en identifiant chacun de ses clients. Les
renseignements ainsi fournis sont consignés dans une base de données tenue par
l’administration fiscale de l’Etat membre concerné.
Une
passerelle
informatique
commune,
le
système
VIES
(
VAT
Information Exchange System
) permet d’échanger de manière automatique les
informations collectées de la sorte par chaque Etat membre qui communique à
chacun de ses partenaires le montant des livraisons intracommunautaires
effectuées à destination d’opérateurs inscrits à son registre national. Les résultats
agrégés dans la base de recoupement entre Etats membres (BREM) permettent de
recouper les acquisitions intracommunautaires, soit à partir du montant global par
pays des acquisitions de chaque opérateur, soit à partir du montant individualisé
des acquisitions effectuées auprès de chacun des fournisseurs.
Le système VIES est fréquemment utilisé par les administrations
fiscales. Ainsi, les Etats membres introduisent chaque année près de 15
millions de demandes d’informations spécifiques. De plus, le nombre de
validations de numéros d’identification TVA sur Internet dépassait, en
2004, trois millions par mois.
182
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pourtant, le système VIES souffre de plusieurs défauts qui
réduisent fortement son utilité pour les services de contrôle. En effet, mis
en place en 1992, il n’a pas été modernisé depuis et sa technologie de
gestion des bases de données est devenue obsolète.
Ainsi, il faut en moyenne trois mois entre la date d’une opération
d’échange de biens et la transmission des données. Ce délai est beaucoup
trop long pour pouvoir, dans le cadre de la lutte anti-carrousel, détecter
des opérateurs défaillants qui auront disparu bien avant. De plus, la
qualité des données entrées dans VIES dépend de l’exhaustivité et de
l’exactitude des déclarations des contribuables et peut se révéler très
variable, d’autant que ces déclarations sont encore souvent saisies sous
forme papier.
Enfin, beaucoup d’informations ne sont pas intégrées dans VIES,
en particulier tout ce qui a trait aux prestations de services. De plus,
certains mécanismes particuliers comme les ventes à distance ne sont pas
recensés.
Un autre système automatisé d’informations est en train d’être mis
en place dans le cadre de la directive sur les revenus de l’épargne de
2003
129
. Ainsi, tous les États membres doivent, depuis 2005, procéder à
l'échange automatique d'informations sur les paiements d'intérêts
effectués par les agents payeurs établis sur leur territoire à des personnes
physiques qui résident dans d'autres Etats membres; à l'exception de la
Belgique, du Luxembourg et de l'Autriche.
En dehors de ces deux exemples, la Commission souligne qu’il «
y
a peu d’échanges automatiques ou spontanés d’informations entre Etats
membres
».
Des perspectives d’amélioration ont néanmoins été avancées
récemment. Dans sa communication de mai 2006, la Commission se fixe
ainsi comme objectif la modernisation du système VIES avec le
développement d’une deuxième version.
De plus, le Parlement et le Conseil ont prévu, dans une décision du
16 juin 2003, de mettre en place, à horizon 2009, un système informatisé
de suivi des mouvements des produits d’accises en suspension de taxe, ce
qui devrait permettre de sécuriser le suivi des échanges de ce type de
biens qui n’est actuellement réalisé que sous forme papier.
129) Directive 2003/48/CE.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
183
2 -
La coopération internationale des organismes sociaux est
encore balbutiante
En matière de cotisations sociales et de travail dissimulé, la
coopération européenne est beaucoup moins avancée que dans la sphère
fiscale, alors que les enjeux, notamment concernant la fraude aux
prestations transnationales, se développent (cf.
supra
).
On peut néanmoins constater une évolution positive. Alors que la
coopération portait principalement sur des discussions à haut niveau et
des échanges de bonnes pratiques, elle tend à prendre, de plus en plus, un
aspect opérationnel.
a)
Une coopération initialement centrée sur des échanges de bonnes
pratiques
Une des lignes directrices adoptées en 2003 dans le cadre de la
stratégie européenne pour l’emploi vise à «
transformer le travail
dissimulé en emploi régulier
». Les Etats membres s’engagent ainsi à
mettre en oeuvre des actions pour éliminer le travail dissimulé, en
combinant des mesures de simplification, des mesures d’incitation fiscale
et d’amélioration de la politique de contrôles et de sanctions.
L’application de cette ligne directrice a notamment donné lieu à
des discussions à haut niveau, par exemple dans le cadre d’un Conseil des
ministres informel en juillet 2003, sur les méthodes de lutte contre le
travail dissimulé. Une résolution a ensuite été adoptée par le Conseil en
octobre 2003 et la Commission a réalisé un exercice d’évaluation du
travail dissimulé, terminé en mai 2004.
Parallèlement, le réseau européen contre le travail non déclaré est
une initiative lancée en 2004 et financée par la Commission européenne
dans le cadre de son programme «
d’apprentissage réciproque
». Il s’agit
d’un espace commun d’échanges de bonnes pratiques et de partage
d’informations impliquant cinq pays européens : l’Italie, la France,
l’Allemagne, la Belgique et la Roumanie. Il se réunit régulièrement à un
haut niveau (pour la France, ce sont des directeurs d’administration
centrale ou des chefs de service qui le représentent en général) et publie
des rapports sur la situation du travail au noir dans les pays membres.
L’essentiel de la coopération a donc été réalisé à un haut niveau et
s’est concentré sur des questions de mesure, d’analyse du phénomène et
d’échanges de bonnes pratiques.
184
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
b)
Le développement d’échanges opérationnels d’informations
concernant le détachement de travailleurs
Un cadre législatif et opérationnel se met progressivement en place
pour développer les échanges d’informations et la collaboration entre les
organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales et de la lutte
contre le travail dissimulé. Celui-ci s’inscrit notamment dans le contrôle
des dispositions relatives à la libre prestation de services et au
détachement. En effet, ce type d’opérations peut permettre de couvrir des
activités de travail dissimulé. Sa mise en oeuvre concrète se heurte
cependant à de nombreuses limites.
La directive n°96/71/CE du 16 décembre 1996, relative au
détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de
services, prévoit une coopération et un échange d’information pour la
surveillance des conditions de travail et d’emploi prévues dans la
directive, en particulier en cas d’activités transnationales présumées
illégales. Ainsi, un bureau de liaison est mis en place dans chaque pays
pour répondre aux demandes éventuelles des services de contrôle. En
France, c’est la délégation interministérielle à la lutte contre le travail
illégale (DILTI) qui est chargée de ce rôle.
La Commission européenne, dans un rapport récent, note
cependant que «
si plusieurs Etats membres font des efforts considérables
pour atteindre cet objectif, force est de constater que d’autres devront se
donner plus de peine pour respecter non seulement la lettre de l’article 4,
mais également son esprit
130
».
En pratique, le contrôle du détachement européen pose de sérieuses
difficultés, liées à son caractère normalement temporaire et à la
confrontation de systèmes juridiques différents.
La première difficulté a trait à la langue. Les services de contrôle
français sont en effet confrontés à devoir contrôler des documents rédigés
dans la langue d’origine des travailleurs détachés.
130) Commission européenne,
Rapport sur la mise en oeuvre de la directive 96/71/CE
concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de
services
, avril 2006.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
185
De plus, l’application des règles de la directive, et notamment
celles qui concernent l’existence d’une législation équivalente dans le
pays d’origine, complique également le contrôle. En effet, les services de
contrôle ne peuvent pas se contenter de vérifier la bonne application du
droit du travail interne, car l’entreprise peut également appliquer une
législation équivalente de son pays d’établissement. Il appartient donc
aux inspecteurs de connaître la législation des autres Etats et d’apprécier
leur équivalence par rapport au droit français.
Le bilan de la mise en oeuvre des dispositions de la directive sur la
coopération administrative et l’échange d’informations fait également
l’objet d’un jugement très critique : effectifs insuffisants des bureaux de
liaison, faiblesse des demandes d’informations, délais de réponse très
longs…
Dans le cadre du plan national de lutte contre le travail illégal
2006-2007, la DILTI a annoncé son intention d’améliorer la coopération
administrative entre les bureaux de liaisons européens, ce qui passe
notamment par un renforcement des relations avec les autorités
compétentes de pays dont les entreprises de main d’oeuvre interviennent
de façon importante en France (Royaume-Uni, Irlande, Portugal,
Luxembourg) et avec lesquels la coopération administrative demeure
insuffisante. Toujours dans le cadre du plan national, la DILTI souhaite
approfondir les actions de coopération avec les pays d’Europe centrale et
orientale.
Chapitre VII- Les sanctions de la fraude
La sanction constitue le point d’aboutissement indispensable des
procédures de contrôle mises en oeuvre par les administrations en charge
du recouvrement des prélèvements obligatoires. En l’absence d’une
sanction adaptée, la portée du contrôle sera en effet considérablement
affaiblie voire annulée.
Il apparaît pourtant que les modalités de sanctions de la fraude
présentent certaines déficiences qui pénalisent l’efficacité de l’action des
services de contrôle.
Dans la sphère sociale, malgré une certaine diversification des
modes de sanctions du travail dissimulé, l’échelle des sanctions
concernant la fraude aux cotisations sociales ne paraît pas suffisamment
progressive, surtout quand on la compare aux sanctions fiscales.
Concernant les sanctions fiscales, on peut noter une diversité des
pratiques selon les départements et une tendance à l’augmentation du taux
de pénalités infligées suite à contrôle. Se pose néanmoins la question de
l’articulation de ces sanctions avec le recours à l’action pénale et, plus
généralement, le choix par l’administration fiscale des dossiers faisant
l’objet d’une procédure pénale appelle quelques remarques.
Enfin, il apparaît que la sanction pénale des fraudes en matière de
prélèvements obligatoires est relativement clémente, peut-être parce que
les sanctions administratives - et notamment fiscales – sont déjà
importantes et constituent des pénalités fort utiles pour la répression de la
fraude courante.
188
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ce constat est préoccupant au regard des évolutions récentes
constatées en matière de fraude. En effet, s’il est évident que, compte tenu
de ses conséquences, la sanction pénale ne peut qu’être réservée aux cas
les plus graves ; elle ne demeure pas moins indispensable pour contrer le
comportement de certains fraudeurs. On observe ainsi que ceux-ci se
révèlent de moins en moins sensibles aux risques liés aux sanctions
traditionnelles, notamment parce qu’ils ont recours à la liquidation
judiciaire pour échapper à toute forme de recouvrement des sanctions
pécuniaires. Dans ces conditions, seule la sanction pénale et, très
concrètement, le risque d’emprisonnement, peuvent avoir véritablement
un effet dissuasif face à ce type d’individus. C’est pourquoi, même si
elles ne doivent représenter qu’une partie minoritaire de la politique de
lutte contre la fraude, l’existence de sanctions pénales constitue un
élément déterminant dans la dissuasion et la répression de la fraude.
I
-
Dans la sphère sociale, les sanctions sont assez
faibles, même si elles ont été récemment
diversifiées
A - La fraude aux cotisations sociales est plutôt moins
sanctionnée que la fraude fiscale
La comparaison avec le droit fiscal est éclairante. Non seulement
le code général des impôts définit un délit général de fraude fiscale mais
il sanctionne également un ensemble de comportements frauduleux –
entremise illicite, délivrance de renseignements inexacts, omission
d’écritures comptables – par des peines correctionnelles au regard
desquelles le code de la sécurité sociale apparaît clément. Enfin, la fraude
fiscale peut dans certains cas, comme celui de la fraude à la TVA, être
constitutive du délit d’escroquerie. La fraude aux cotisations sociales ne
bénéficie pas d’un tel traitement. En particulier, il n’existe pas de délit
pénal général de fraude aux cotisations sociales.
La fraude fiscale et la fraude aux cotisations sociales, malgré leurs
caractéristiques proches, ne sont pas donc pas définies avec la même
précision, ne sont pas sanctionnées de la même manière et sont
poursuivies différemment. Ces différences, explicables par l’histoire des
prélèvements ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux incriminations pénales : les
sanctions civiles encourues sont également différentes, comme le montre
le tableau suivant.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
189
Tableau
29. -
Récapitulatif des sanctions civiles en cas d’irrégularité dans la déclaration et le
paiement des cotisations sociales
Irrégularité
Sanction
Sanction fiscale
correspondante*
Majoration de 10 %
des cotisations
augmentée de 2 %
par trimestre échu.
Majoration de retard de
10 % du montant de
l’impôt et intérêt de
retard de 0,4 % par mois.
Retard dans le paiement
des cotisations
(patronales et ouvrières)
Article R.243-18 CSS
Articles L.1730 et L.1727
CGI
7,5 € par salarié dans
la limite de 450 €
pour les inexactitudes
et de 750 € pour les
retards.
Majoration de 10 % à
80 % du montant de
l’impôt selon le retard et
son motif.
Défaut ou retard de
production du BRC ou
des tableaux récapitulatifs
Article R.243-16 CSS
Article L. 1728 CGI
Taxation forfaitaire
Taxation d’office
Comptabilité défaillante
Article R.242-5 CSS
Articles L.66 à L.72A
LPF
Taxation
provisionnelle
Taxation d’office
Non versement des
cotisations
Article R.242-5 CSS
Articles L.66 à L.72A
LPF
Dommages-intérêts
Toute irrégularité ayant
entraîné un préjudice à la
sécurité sociale
Article L.1382 du
code civil
_
* La sanction fiscale correspondante est la sanction qui s’applique au
contrevenant qui a commis une irrégularité fiscale comparable à l’irrégularité
sociale présentée
La gamme de sanctions fiscales administratives apparaît donc plus
diversifiée, plus progressive et probablement plus dissuasive que celle
que peut utiliser le réseau des URSSAF.
Néanmoins, cette situation tend à être désormais partiellement
compensée par le développement de nouvelles sanctions, particulièrement
en matière de travail dissimulé.
190
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
B - En matière de travail dissimulé, la gamme des
sanctions a été élargie
Au-delà des sanctions pénales du travail dissimulé et des sanctions
liées au non-paiement des cotisations sociales, l’arsenal répressif à la
disposition des services de contrôle a été récemment diversifié et
renforcé.
La loi du 2 août 2005 permet ainsi de refuser le bénéfice des aides
publiques aux entreprises ayant fait l’objet d’un procès-verbal pour travail
illégal. Les aides publiques susceptibles d’être refusées sont recensées par
l’article D.325-1 du code du travail et le champ de l’exclusion est large :
contrats aidés (contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation,
etc.), concours du Fonds social européen (FSE), les subventions
publiques accordées au spectacle, mesures de soutien à la consommation
et à l’investissement dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants, aides au
développement économique délivrées par les collectivités territoriales.
Toutes ces aides sont susceptibles d’être refusées par l’autorité
administrative compétente pendant une période maximale de cinq ans en
fonction de la gravité du délit.
La nouveauté de ce dispositif est qu’il ne nécessite pas
l’intervention du juge pour être effectif : sans attendre le verdict pénal,
l’autorité administrative peut prendre des sanctions sur la seule base du
procès-verbal.
Dès lors que le principe du refus des aides publiques avait été
consacré par la loi, il était logique que les mesures d’exonération de
cotisations de sécurité sociale fussent, elles aussi, conditionnées par
l’absence d’une verbalisation. Ainsi, les exonérations dont a bénéficié
l’employeur verbalisé pour travail illégal doivent désormais être
remboursées, en vertu de l’article L.133-4-2 du code du travail. Cette
annulation est toutefois plafonnée par un décret du 30 juin 2006 à
45 000 €.
Enfin, outre les sanctions pécuniaires, certains acteurs en charge de
la lutte contre le travail illégal ont eu recours à des sanctions plus
immédiatement contraignantes dans le domaine des hôtels-cafés-
restaurants (HCR), prenant appui sur les dispositions de l’article
L.3332-15 du code de la santé publique. Celui-ci dispose en effet que la
fermeture d’un établissement pour six mois, assortie d’une annulation du
permis d’exploitation, peut être motivée par «
des actes criminels ou
délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur
». Le fondement
juridique de ces décisions apparaît cependant relativement fragile.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
191
II
-
Dans la sphère fiscale, le nombre de dossiers
faisant l’objet de suites pénales est limité
Pour sanctionner la fraude fiscale, les agents en charge du contrôle
peuvent d’abord infliger les pénalités prévues à l’article 1729 du code
général
des
impôts.
Depuis
plusieurs
années,
on
constate
une
augmentation du taux moyen de pénalités infligées, ce qui reflète, en
principe, un meilleur ciblage des contrôles. Dans le même temps, les
pratiques apparaissent très variables selon les directions.
A l’inverse, les poursuites pénales dans le domaine fiscal
s’inscrivent dans une procédure spécifique et centralisée, qui vise à
soumettre au contrôle d’une commission indépendante les décisions de
recourir à l’arme pénale face à certains comportements frauduleux.
De fait, le nombre de dossiers faisant l’objet de poursuites pénales
est stable – de l’ordre de 1 000 dossiers par an – et plutôt limité par
rapport au nombre total de contrôles. Ainsi, environ 1,5 à 2 % des
dossiers font l’objet d’un traitement pénal.
Il est difficile de porter un jugement sur ce choix d’une faible
pénalisation des dossiers de fraude, d’autant qu’il reflète non seulement
les choix de la DGI mais aussi une anticipation de l’appréciation des
juges.
Néanmoins, au-delà du nombre absolu de dossiers transférés,
certains choix de la DGI peuvent apparaître plus contestables, notamment
celui de ne pas toujours poursuivre pénalement certains dossiers où les
montants à recouvrer sont importants ou encore les complices de certains
fraudeurs
131
.
A - Le recours aux sanctions fiscales fait l’objet de
pratiques très diverses selon les départements
Le montant total des pénalités infligées par les services de
contrôles s’élève à 2,7 Md€ en 2005, ce qui représente un taux moyen de
pénalités de 38 % des droits redressés. Depuis 1996, ce taux moyen est en
constante augmentation, comme le montre le graphique suivant.
131) Même si, sur ce dernier point, la DGI n’est pas seule en cause. Il appartient
également aux services du Parquet ou au magistrat instructeur de procéder à la
recherche d’éventuelles complicités.
192
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique n°14 – Taux moyen de pénalités en pourcentage des droits redressés
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Cette augmentation du taux moyen de pénalités reflète d’abord les
efforts de la DGI concernant le ciblage des contrôles sur les affaires de
fraude les plus graves. Cette évolution est attestée par l’augmentation de
la part des contrôles à caractère répressif qui est passée de 14,1 % en
2000 à 18,7 % en 2005.
Cependant, on observe dans le même temps de très fortes
disparités entre les directions qui ne paraissent qu’imparfaitement
corrélées aux risques de leur tissu fiscal. Ainsi, même si les 94,6 % de
pénalités observés en 2000 dans la Creuse sont, sans doute, le résultat de
quelques affaires exceptionnelles et sans lendemain, on peut s'étonner que
le Tarn-et-Garonne culmine à 76,1 % en 2002 et à 73,9 % en 2003. Ce
chiffre apparaît très élevé en comparaison de celui constaté dans la
direction des services fiscaux voisine de Toulouse (38,4 % en 2002 et
37,6 % en 2003). Dans le même ordre d’idée, le Pas-de-Calais a infligé
61,7 % en 2002 et 67,9 % en 2003 de pénalités contre 27,5 % et 36,5 %
en 2002 et 2003 dans les Alpes-Maritimes, où le risque de fraude apparaît
pourtant plus important. En 2003, la DSF de Paris-Ouest est à 57,6 %
alors que celle de Paris-Nord est à 20,1 %. Enfin, certaines DSF affichent
un taux assez anormalement faible de pénalités : 14,1 % en 2002 et
15,8 % en 2003 dans le territoire de Belfort, 10,5 % en 2002 et 11,0 % en
2000 dans le Cantal.
De plus, les taux de pénalités présentent, pour une même DSF, des
variations très importantes d’une année sur l’autre. En se limitant à des
DSF importantes, effectuant autour d'un demi-millier de contrôles chaque
année, on constate assez fréquemment des sauts brusques de résultats.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
193
Ainsi, l'Isère passe de 33,9 % de pénalités en 2002 à 63,3 % en
2003. La
DSF de Paris-Nord connaît une évolution inverse, passant de 38,5 à
20,1 %. De façon encore plus marquée, la DSF du Lot est passée d’un
taux de pénalités de 23,3 % en 2002 à 61,4 % en 2003 alors que, dans le
même temps, son taux de poursuites pénales passait de 5,6 % à 0 %.
Ces variations peuvent trouver une explication, notamment du fait
de quelques affaires exceptionnelles. Cependant, dans les cas mentionnés
ci-dessus, les différences d’une année sur l’autre sont trop importantes
pour n’être liées qu’à ce seul facteur.
Ces constats conduisent à s’interroger sur l’encadrement des
pratiques des directions des services fiscaux en matière de taux de
pénalités. Actuellement, les services départementaux disposent d’une très
grande marge de manoeuvre dans l’application des pénalités. Cette liberté
entraîne une diversité des pratiques qui peut poser problème de cohérence
de l’action répressive sur l’ensemble du territoire mais aussi d’égalité
devant l’impôt. Ainsi, si dans certains cas, le niveau global des pénalités
apparaît trop faible, inversement, il semble très élevé dans un certain
nombre de départements.
B - Peu de dossiers de contrôle reçoivent des suites
pénales
1 -
Le filtre de la Commission des infractions fiscales évite la
multiplication des affaires pénales
Les poursuites pénales obéissent à certaines règles spécifiques et
dérogatoires au droit commun de la procédure pénale prévues à l’article
L. 228 du LPF.
D’abord, en matière de répression pénale de la fraude fiscale, c’est
l’administration fiscale qui décide d’engager des poursuites, et non le
procureur de la République de sa propre initiative. Néanmoins, cette
décision doit être validée par la Commission des infractions fiscales
(CIF), créée par la loi du 29 décembre 1977.
194
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Encadré n°13 : La Commission des infractions fiscales
Avant l’intervention de la loi du 29 décembre 1977, l’administration
décidait seule de porter plainte contre un contribuable. Sa marge de manoeuvre
pour ce faire était importante dans la mesure où, si elle pouvait être déférée
devant le juge administratif, la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre un
contribuable
n’était
soumise
qu’à
un
contrôle
de
l’erreur
manifeste
d’appréciation, à l’époque exercé par le juge administratif.
C’est à une restriction de ce pouvoir d’appréciation que la loi du
29 décembre 1977 a voulu procéder, à une époque où l’administration avait
entrepris d’accroître le nombre des plaintes déposées devant les juridictions
répressives aux fins de faire sanctionner pénalement des infractions fiscales.
Entre 1969 et 1975, le nombre de ces plaintes, en effet, était passé de 64 à 740.
Les travaux préparatoires de la loi indiquent ainsi que
« l’objet de l’article 1
er
est
d’enlever à l’administration fiscale la prérogative de décider seule et librement
du dépôt d’une plainte pour fraude fiscale »
132
.
Par ailleurs, la loi du 29 décembre
1977 entendait accroître les garanties procédurales des contribuables. Les travaux
préparatoires de la loi révèlent ainsi l’attention portée par le législateur de
l’époque à ce que
« l’engagement des poursuites correctionnelles se fasse en
pleine clarté et selon une procédure offrant aux redevables toutes garanties
d’impartialité »
.
Pour offrir de telles garanties, la Commission des infractions fiscales
(CIF), créée par l’article 1
er
de la loi du 29 décembre 1977 précitée, a été conçue
comme une autorité administrative indépendante. Elle est composée de douze
membres titulaires et de douze membres suppléants, qui sont des conseillers
d’Etat et des conseillers maîtres à la Cour des comptes, en activité ou à la retraite.
Les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1977 révèlent le souci de
garantir l’indépendance de cette commission et de préserver la liberté
d’appréciation des juges judiciaires qui, après l’avis rendu par la CIF, seraient
amenés à se prononcer sur le dossier.
La CIF joue ainsi un rôle de filtre par rapport aux poursuites
pénales que les services de la DGI souhaitent lancer. Dans la très grande
majorité des cas, elle donne un avis favorable à l’engagement de
poursuites correctionnelles dans les dossiers qui lui sont transmis par
l’administration. Depuis 2001, le taux de rejet s’établit entre 4 et 5,5 %
des dossiers présentés par la DGI. Une fois l’avis de la CIF donné, les
procureurs utilisent généralement la procédure de la citation directe pour
poursuivre les faits dénoncés par l’administration fiscale, ce qui présente
l’inconvénient de ne pas mettre en cause la responsabilité des complices.
L’importance du taux d’avis favorables donnés par la CIF ne
signifie pas que celle-ci ne protège pas le contribuable contre le risque de
poursuites correctionnelles abusives en matière fiscale. En effet, la
plupart des dossiers transmis à la CIF ne posent pas vraiment de
132) JOAN, 1977, n° 2997.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
195
difficultés d’appréciation quant au caractère intentionnel du non paiement
des droits. De plus, le passage d’un dossier devant la CIF est précédé d’un
grand nombre de
« filtres »
au niveau local puis au niveau de
l’administration centrale de la direction générale des impôts.
2 -
L’administration transmet à la CIF des dossiers sélectionnés
au vu de critères d’ordre fiscal, pénal et personnel
La circulaire Justice – Budget 13 N-3-81 du 30 octobre 1981
indique que
« (…) le choix des affaires susceptibles de donner lieu à
l’engagement de poursuites correctionnelles s’effectue essentiellement en
considération de la nature, de l’importance et de la gravité de la fraude,
sans qu’il soit fait exception de la qualité sociale ou professionnelle de
ses auteurs. Ceci n’exclut pas, bien entendu, qu’il soit tenu compte, le cas
échéant, des circonstances humaines, notamment, propres à chaque cas
particulier »
.
Il ressort de ces dispositions que, dans la décision de porter plainte
pour fraude fiscale, l’administration se détermine au vu de critères qui
sont de trois ordres : fiscal, pénal et personnel. La pertinence de ces
critères est confortée par l’analyse des principales caractéristiques des
dossiers qui sont transmis à la Commission des infractions fiscales.
Le
montant
des
droits
fraudés
est
le
premier
critère.
L’administration transmet à la Commission des infractions fiscales des
dossiers où les droits éludés sont, en moyenne, plus importants que dans
les dossiers ayant donné lieu à des redressements. Ainsi, le montant
moyen des droits éludés dans les dossiers transmis à la CIF est 2 à 3 fois
supérieur au montant moyen des droits éludés dans les dossiers de même
nature ayant donné lieu à redressement.
Un autre critère de choix est également la régularité de la
procédure administrative d’imposition. L’administration sélectionne
également les dossiers qu’elle transmet à la Commission des infractions
fiscales en fonction du soin avec lequel a été conduite la procédure
d’imposition, pour éviter un éventuel vice de procédure devant le juge
pénal.
Concernant les critères d’ordre pénal, la nature et la gravité de la
fraude sont les critères les plus importants
.
Certains mécanismes
frauduleux rentrent ainsi dans cette catégorie : les activités occultes, la
dissimulation de recettes au moyen d’un logiciel frauduleux, l’utilisation
de factures fictives, la participation à un carrousel de TVA, les
domiciliations fictives à l’étranger...
196
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’administration, enfin, tient compte, dans sa décision de saisir la
CIF, de critères qui tiennent à la situation personnelle du contribuable, et
vont pouvoir justifier de l’indulgence. A cet égard, elle pourra prendre en
compte l’âge du contribuable ou sa volonté manifeste de s’amender, par
exemple lorsqu’il a acquitté les droits éludés.
D’autres éléments, au contraire, plaideront dans le sens de la
sévérité à l’égard des contribuables. C’est notamment le cas de ceux qui
exercent
des
professions
comptables,
financières
ou
juridiques.
L’administration examine également avec une rigueur particulière le cas
des contribuables qui ont déjà fait l’objet de poursuites pénales ou de
pénalités fiscales à caractère répressif, et ce même s’il n’y a pas récidive
au sens pénal du terme, c’est-à-dire commission du même délit, dans un
délai de cinq ans, concernant le même impôt.
3 -
Globalement, le nombre de poursuites pénales est limité
La DGI a globalement peu recours à la procédure pénale pour
sanctionner la fraude fiscale. En moyenne, le nombre de dossiers transmis
à la CIF ne dépasse pas 2 % du total des contrôles fiscaux réalisés et,
depuis plusieurs années, il oscille dans un intervalle très régulier compris
entre 900 et 1 100 dossiers.
Tableau n°
30.
- Evolution comparée du nombre des contrôles fiscaux externes et du nombre des
saisines de la CIF
133
Année
Nombre d’affaires
transmises à la CIF
Nombre de contrôles
fiscaux externes
effectués l’année
précédente
Ratio
(en %)
1994
869
43 036
2,02
1995
903
45 456
1,98
1996
914
48 303
1,89
2005
1026
52 226
1, 96
Le nombre de poursuites pénales apparaît également limité si on le
rapporte au nombre de cas de fraude détectés, c’est-à-dire au total des
contrôles ayant donné lieu à l’application de pénalités exclusives de
bonne foi. En 2005, seuls 11 % de ces dossiers ont fait l’objet d’une
transmission à la Commission des infractions fiscales.
133) Source : DGI et Assemblée nationale,
Rapport n° 1105 sur l’évasion et la fraude
fiscales
, enregistré le 6 octobre 1998 et présenté par M. Jean-Pierre BRARD.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
197
En la matière, les comparaisons internationales sont délicates du
fait de modalités d’enquêtes, de sanctions et de systèmes juridiques très
différents. Au Canada, le nombre total de renvois devant le juge pénal est
de l’ordre de 150 par an, ce qui est beaucoup plus faible qu’en France. Au
Royaume-Uni, le
Revenue and customs prosecutions office,
organisme
indépendant rattaché à l’
Attorney general
et chargé de poursuivre les
affaires de fraude, a conduit environ 1 400 personnes devant les tribunaux
répressifs pour des affaires de fraude aux prélèvements obligatoires (y
compris
les
affaires
douanières).
Aux
Etats-Unis,
la
Criminal
investigation
de l’IRS, chargée de poursuivre les fraudes les plus graves,
a recommandé la poursuite de 2 859 affaires, ce qui, rapporté à l’échelle
du pays, est assez proche de la pratique française.
Le faible nombre de plaintes déposées par l’administration du chef
de fraude fiscale contraste avec l’ampleur du champ d’application de
l’article 1741 du CGI qui, on l’a dit, permet en théorie de faire
sanctionner une très grande variété et un très grand nombre de
comportements indélicats.
Il est difficile de porter un jugement dans l’absolu sur le nombre de
poursuites et sur l’opportunité de l’augmenter ou de le diminuer. En fait,
d’autres critères sont aussi importants que le nombre de poursuites en tant
que tel : le choix des dossiers poursuivis, le niveau effectif de
condamnation ou encore la publicité faite à ces condamnations. C’est
seulement sur la base de l’ensemble de ces éléments que l’on peut porter
un jugement sur l’efficacité du recours à la procédure pénale pour lutter
contre la fraude fiscale.
C - La sélection opérée par l’administration apparaît,
dans certains cas, discutable
1 -
La cohérence du recours aux sanctions pénales n’est pas
toujours évidente
Dans certains départements, le recours aux sanctions pénales est
rare, voire inexistant. En 2003, 10 DSF, dont la Seine-et-Marne qui figure
pourtant dans le groupe des directions des services fiscaux les plus
importantes, n’ont porté aucune affaire au pénal, ce qui paraît étonnant
dans une perspective d’utilisation des sanctions pénales comme outil de
dissuasion.
198
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
De plus, la cohérence entre le choix des sanctions pénales ou des
sanctions fiscales apparaît parfois délicate. En théorie, il serait logique de
constater l'existence d'une relation entre le taux des pénalités et celui de la
correctionnalisation. Certes, cette relation peut-être assez lâche, mais
a
priori
le caractère plus ou moins « fraudogène » du tissu fiscal devrait
conduire à ce que l’on observe une concomitance entre un niveau élevé
de sanctions fiscales et, dans le même temps, un recours assez fréquent
aux sanctions pénales.
Or, si cette concomitance se retrouve effectivement dans beaucoup
de DSF, certains départements présentent en revanche des comportements
de sanctions moins cohérents. Ainsi, le département de la Creuse, en
2000, a un taux de pénalités de 94,6 % mais aucun cas de renvoi devant le
juge pénal. En 2003, quatre directions des services fiscaux, qui se situent
dans le groupe de celles qui ont le plus fort taux de pénalités ou de
poursuites correctionnelles, se situent aussi dans le groupe des directions
des services fiscaux où l’autre catégorie de sanctions est la moins
fréquente.
2 -
Des complices rarement mis en cause
Les dispositions de l’article 1742 du CGI relatives à la complicité
du délit de fraude fiscale ne sont apparemment que rarement appliquées
par les juridictions répressives. Cette affirmation s’appuie sur le constat
que le nombre de condamnations prononcées, qu’elles soient ou non
définitives, n’est que faiblement supérieur au nombre total des décisions
de justice en la matière.
Tableau
31. - Comparaison du nombre de décisions rendues par les juridictions répressives et
du nombre de personnes condamnées, de manière définitive ou non
134
1998
1999
2000
2001
2002
Nombre de décisions
1 075
1 079
1 069
982
1 107
Nombre de personnes
condamnées ou relaxées
1 218
1 236
1 252
1 123
1 259
Ratio
1,13
1,14
1,17
1,14
1,14
C’est dire que les décisions rendues par les tribunaux répressifs ne
concernent, dans la majorité des cas, que le contribuable lui-même, les
co-auteurs ou les complices étant peu visés.
134) Source : ministère de la justice.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
199
Ce constat peut surprendre, compte tenu de ce que les
contribuables condamnés ont souvent bénéficié de conseils de différents
types de professionnels. La CIF étant au demeurant saisie
in rem
et non
in
personam
, c’est-à-dire saisie des faits et non des personnes, les magistrats
judiciaires ont le loisir de mettre en cause, dans le cadre de la procédure
d’instruction, des personnes qui, sans avoir été nommément déférées
devant la CIF, auraient participé à des agissements dont celle-ci a autorisé
la poursuite.
La raison du faible nombre de complices ou de co-auteurs mis en
cause est sans doute à rechercher aussi bien du côté de la DGI que de
l’action des juridictions. D’une part, le recours massif à la procédure de
citation directe limite les investigations effectuées par les magistrats
judiciaires. De plus, l’administration fiscale, de son côté, verse aux débats
des éléments qui sont, avant tout, centrés sur le contribuable, c’est-à-dire
sur son interlocuteur pendant le contrôle fiscal.
III
-
Globalement, les sanctions pénales ne
semblent pas très dissuasives
Parmi les sanctions susceptibles d’être infligées en matière de
fraude aux prélèvements obligatoires, les sanctions pénales sont celles qui
ont vocation à jouer le rôle dissuasif le plus fort. En effet, au-delà de la
sanction du comportement frauduleux, la nature de la peine et sa gravité
devraient normalement conduire à dissuader d’autres contribuables de
s’engager dans ce type de pratiques.
Pourtant, cet objectif ne semble actuellement que très partiellement
atteint. En effet, globalement, les peines infligées par les juridictions
répressives apparaissent peu sévères et, en particulier dans le domaine
fiscal, ne débouchent qu’exceptionnellement sur de la prison ferme.
De plus, la publicité et la communication autour de ces
condamnations ne paraissent pas suffisantes pour véritablement avoir un
impact dissuasif.
A - En matière de travail dissimulé
Pour clarifier et unifier les pratiques des procureurs, le ministère de
la justice a défini dans une circulaire du 27 juillet 2005, une «
politique
pénale pour la répression des infractions relatives au travail illégal
».
Cette circulaire précise les axes prioritaires de la lutte et se termine par
une section « traitement judiciaire de la lutte contre le travail illégal ».
200
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La circulaire préconise « une réponse ferme et adaptée ». En
particulier, elle recommande un usage limité des mesures alternatives aux
poursuites et suggère «
une réponse systématique adaptée à la légalité
des faits
». Tout classement sans suite est donc, sauf exception ou
absence d’exactitude matérielle des faits, à proscrire. Les nouvelles
procédures pénales - procédure de plaider-coupable et reconnaissance
préalable de culpabilité - sont encouragées, de même que la comparution
immédiate (comparution devant le juge dans les 24 heures, en général
pour les cas de flagrants délits). Enfin, la circulaire invite les procureurs à
interjeter appel à chaque sanction décidée par le juge lorsque les peines
prononcées ne correspondent ni à la gravité de l’infraction reprochée à
l’auteur ni à sa personnalité ou ne prennent pas assez en considération les
conséquences économiques et sociales de l’infraction.
Le travail dissimulé est un délit et sa sanction pénale est
théoriquement lourde, jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 € d’amendes.
Mais cette sanction est la plus importante que le juge peut infliger et il
n’existe pas de peine minimale : de la relaxe à la prison en passant par
l’amende, toutes les options sont offertes au juge.
Le tableau ci-dessous présente les condamnations pour travail
dissimulé en 2004.
Tableau
32. - Peines prononcées pour travail dissimulé en 2004
Toutes
peines
Emprisonnement Amende
Peine de
substitution
Dispense
de peine
Exercice d’un
travail dissimulé
3 857
1 621
1 896
258
82
Recours à du
travail dissimulé
364
120
224
12
8
TOTAL
4 376
1 741
2 267
270
98
Source : Casier judiciaire national in Lutte contre la travail illégal, Bilan
2005 de l’ACOSS.
Les chiffres de ce tableau n’incluent pas les classements sans suite
et ne mentionnent pas la procédure suivie. De plus, compte tenu du
système d’information du ministère de la justice, il n’est pas possible de
faire la part entre les condamnations comprenant un emprisonnement
ferme et celles qui ne prévoient qu’un emprisonnement avec sursis. On
constate, en tout état de cause, que si les peines d’emprisonnement
s’affichent à des niveaux relativement élevés, elles restent très inférieures
au nombre des amendes. En outre, la condamnation pour recours au
travail dissimulé est significativement plus faible : la mise en cause du
donneur d’ordre reste une affaire compliquée.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
201
B - Dans le domaine fiscal
1 -
La majorité des décisions sont des condamnations
Les décisions rendues par les juridictions répressives en matière
fiscale ne le sont que dans un très petit nombre de cas au bénéfice du
contribuable. Ainsi, sur les années 1998 à 2002, la proportion des relaxes,
non lieux et autres cas d’extinction de l’action publique, n’excède pas
6 % des contribuables faisant l’objet d’une décision des tribunaux
répressifs en matière fiscale.
Tableau n°
33. - Nature et sens des décisions de justice
135
Année
1998
1999
2000
2001
2002
Nombre de personnes
condamnées
1 163
1 202
1 152
(17)
1 076
(18)
1 192
(67)
Condamnations non
définitives
531
529
(1)
538
(7)
540
(5)
571
(42)
Condamnations définitives
632
673
(13)
614
(10)
536
(13)
621
(25)
Relaxes, non lieux, cas
d’extinction de l’action
publique
55
34
50
(1)
47
(1)
67
(2)
Taux des relaxes, non lieux
et cas d’extinction de
l’action publique
136
4,7
2,8
4,3
(4,3)
4,4
(4,4)
5,6
(5,4)
La très forte proportion des décisions de condamnation, définitives
ou non, s’explique par la multiplicité des filtres intervenus avant que les
juges du siège n’aient à se prononcer. Avant eux, en effet, on l’a dit, les
dossiers ont été successivement soumis à l’examen de l’administration
fiscale, de la Commission des infractions fiscales et du procureur de la
République. Il n’est donc guère surprenant qu’en aval de ce processus de
sélection, les juridictions répressives soient amenées, dans la très grande
majorité des cas, à conclure à la culpabilité des prévenus.
135) Source : ministère de la justice. Les chiffres mentionnés entre parenthèses
correspondent aux décisions pour escroquerie à la TVA.
136) Les ratios mentionnés entre parenthèses tiennent compte des décisions pour
escroquerie à la TVA.
202
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
2 -
Les peines infligées sont globalement peu sévères
Cependant, les sanctions prononcées par le juge pénal du fait du
délit de fraude fiscale se situent en majorité dans le premier tiers de
l’échelle des peines prévues par la loi. L’emprisonnement ferme est
rarement prononcé : en 2004, il ne concernait ainsi que 8 % des cas où
une peine d’emprisonnement avait été infligée, la durée moyenne
d’emprisonnement étant, dans de tels cas, de 11 mois. Dans 92 % des cas
où une peine d’emprisonnement était infligée, elle l’était avec sursis, la
durée moyenne de la peine d’emprisonnement étant alors de 9 mois. Les
peines d’amende, enfin, demeuraient modestes : 90 % d’entre elles étaient
inférieures à 15 000 €.
Le délit d’escroquerie à la TVA donne lieu à des sanctions plus
sévères. Ainsi, en 2002, des peines d’emprisonnement fermes avaient été
prononcées dans la moitié des cas de condamnation. Dans le même ordre
de grandeur, sur les 29 condamnations définitives intervenues en 2004 en
matière d’escroquerie à la TVA, 14 peines d’emprisonnement ferme
avaient été prononcées. A 12 reprises, elles avaient été accompagnées
d’une amende.
Tableau n°
34. - Décisions de justice rendues depuis 1998 concernant les infractions visées par
le code général des impôts
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
Décisions de justice
rendues
1 064
1 068
1 051
964
1 074
1 127
1 250
Condamnations
prononcées,
1 163
1 188
1 135
1 058
1 125
1 172
1 230
Dont condamnations
définitives
632
660
604
523
596
514
617
Peines de prison, dont :
635
648
573
508
552
487
585
Avec sursis
574
589
536
471
519
456
544
Sans sursis
51
59
37
37
33
31
41
Peines d’amende,
dont :
311
324
276
232
307
232
262
Avec sursis
10
9
7
7
15
8
16
Sans sursis
301
315
269
225
292
214
246
Interdiction d’exercer
une profession
commerciale ou
libérale
45
53
41
41
46
59
41
Au demeurant, les peines prononcées en cas de condamnation pour
fraude fiscale apparaissent moins sévères que celles infligées par les
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
203
tribunaux correctionnels pour les autres actes de délinquance astucieuse et
financière.
Tableau n°
35. - Comparaison de la sévérité des peines infligées en matière de délinquance
astucieuse et financière (année 2004)
137
Nombre de
condamnations
dont prison
ferme
Proportion des
peines de prison
fermes par
rapport au total
des
condamnations
Durée
moyenne des
peines de
prison ferme
infligées (en
mois)
Escroquerie
5 544
1 479
27 %
9
Escroquerie en
bande organisée
282
193
68 %
18
Abus de biens
sociaux
123
17
14 %
17
Banqueroute
451
60
13 %
10
Fraude fiscale
714
55
8 %
11
En particulier, les peines d’emprisonnement ferme sont nettement
moins fréquentes en matière de fraude fiscale que pour toutes les autres
infractions astucieuses ou financières. Elles sont en outre moins lourdes
que pour un certain nombre de ces infractions, notamment l’escroquerie
en bande organisée et l’abus de biens sociaux.
Plusieurs éléments peuvent permettre d’expliquer la relative
indulgence des juges répressifs face au délit de fraude fiscale.
D’abord, les spécificités de la procédure selon laquelle ce délit est
poursuivi aboutissent à ce que des informations judiciaires ne soient
qu’exceptionnellement ouvertes lorsque des poursuites correctionnelles
sont engagées du chef de fraude fiscale. Dans la très grande majorité des
cas, ces affaires donnent lieu à la procédure de citation directe. Il en
résulte que les magistrats judiciaires n’investissent pas la matière fiscale
de la même manière que les autres champs du droit pénal financier. En
particulier, ils ne participent dans les mêmes proportions à la recherche
des éléments de preuve propres à déterminer si le délit est ou non
constitué. Il n’est donc guère surprenant qu’à l’audience, le réquisitoire
du magistrat du Parquet ait plus de peine qu’en d’autres matières à
convaincre de la nécessité d’appliquer une peine sévère.
137) Source : DGI.
204
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’existence, ensuite, à côté des sanctions pénales, d’un système de
sanctions fiscales aura déjà permis à l’administration de mettre de lourdes
pénalités à la charge du contribuable fraudeur. Certes, rien ne fait
obstacle, en l’état actuel du droit, au cumul des sanctions pénales et des
sanctions fiscales, ainsi que l’ont jugé la Cour européenne des droits de
l’homme
138
et le Conseil d’Etat
139
. Mais il est probable que les juridictions
répressives prennent en compte, au moment de décider du
quantum
de la
peine à infliger, les pénalités fiscales déjà mises à la charge du
contribuable fraudeur. La relative indulgence des magistrats judiciaires à
l’égard du délit de fraude fiscale serait alors la manifestation de la
concurrence que se font les deux systèmes de sanctions applicables en cas
d’infractions fiscales.
Une troisième explication, enfin, qui est avancée par certains
auteurs, doit être mentionnée pour souligner qu’elle paraît peu
convaincante. Elle repose sur l’idée selon laquelle les magistrats
judiciaires seraient moins enclins à requérir et infliger de lourdes peines à
l’égard des contribuables fraudeurs au motif que ces personnes sont
économiquement
bien
intégrées
et
se
rendent
coupables
d’un
comportement qui ne porte pas de trouble majeur à l’ordre public. Cette
explication, néanmoins, ne permet pas de justifier la différence de
traitement constatée avec le délit d’abus de biens sociaux, qui concerne le
même type de population.
On relèvera par ailleurs que l’administration fiscale et le ministère
de la justice indiquent que très peu d’affaires donnent lieu à l’application
des dispositions relatives à la récidive. Aucune statistique précise,
néanmoins, n’a pu être trouvée sur ce point.
3 -
La publicité donnée aux décisions pénales est limitée
Les poursuites pénales ont pour objet de pénaliser les contribuables
qui ne respectent pas la loi et de décourager d'autres personnes de
commettre les mêmes infractions. Pour maximiser l’effet dissuasif, les
condamnations résultant de poursuites doivent faire l’objet d’une
publicité suffisante.
138) CEDH 14 septembre 1999,
Ponsetti c/ France
et
Chesnel c/ France
, RJF 3/00,
n° 443. Dans cette affaire, la CEDH ne s’est toutefois prononcée que sur le cas des
pénalités pour défaut de déclaration. Le cas du cumul d’une sanction pénale avec les
pénalités pour mauvaise foi ou pour manoeuvres frauduleuses, qui supposent un
élément intentionnel, n’a, à ce jour,
donné lieu à aucune décision de sa part.
139) Avis CE 4 avril 1997,
Jamet
, RJF 05/97, n° 469.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
205
Or, sur ce sujet, en dépit de l’obligation qui leur est faite par
l’article 1741 du code général des impôts, les juridictions répressives
n’assortissent pas systématiquement les condamnations pour fraude
fiscale d’une peine de publication et d’affichage. Ainsi, en 2003, sur
514 condamnations prononcées, 213 n’ont pas été assorties de la peine de
publication et d’affichage, soit un peu plus de 40 %.
L’administration se pourvoit très rarement en appel ou en cassation
contre des arrêts de condamnation au motif qu’ils auraient omis de
prononcer les peines complémentaires obligatoires. Ce moyen, du reste,
n’est plus au nombre de ceux que la Cour de cassation relève d’office.
Ainsi,
au-delà
de
certains
cas
médiatiques
ou
d’affaires
ponctuelles, la communication de la direction générale des impôts autour
des condamnations pour fraude fiscale est limitée.
D’autres administrations fiscales ont une politique plus active dans
ce domaine. Au Canada, depuis 1994, les poursuites pour évasion fiscale
visant des impôts de 250 000 $ ou plus et les cas d'intérêt national doivent
être diffusés dans l'ensemble du pays au moyen de communiqués. Des
communiqués régionaux font état des cas d'évasion fiscale concernant des
sommes moins élevées. Tous ces communiqués font mention de
l'accusation, des détails de la cause, de la pénalité et de l'identité du
contrevenant. Ces communiqués sont également disponibles sur le site
Internet de l’Agence du revenu du Canada. D’après le vérificateur général
du Canada, la publicité semble avoir un effet positif sur les contribuables
contrevenants. Ainsi, au cours du dernier exercice, le nombre de
divulgations volontaires de revenus non déclarés
140
a augmenté de plus de
100 p. 100, passant de 268 à 587. L'année dernière, le motif le plus
souvent invoqué pour les divulgations volontaires a été la publicité faite
par le Ministère.
140) Procédure qui permet à un contribuable de se présenter spontanément à
l’administration fiscale de façon à subir un redressement sur des revenus non déclarés,
tout en bénéficiant de pénalités atténuées.
Troisième partie : Propositions
A l’issue de cet examen des tendances de fraude et de l’adéquation
du dispositif de contrôle, quel bilan peut-on tirer ?
Bien que l’estimation soit extrêmement fragile et appelle des
travaux complémentaires, la fraude et l’irrégularité, évaluées autour de
2 % du PIB apparaissent importantes, évidemment excessives, mais ne
semblent pas non plus atteindre des montants tels qu’ils justifieraient un
bouleversement général du système actuel et un renforcement sensible
des efforts de contrôle et des sanctions.
Il reste cependant que les tendances présentées dans la première
partie du rapport sont inquiétantes, qu’il s’agisse du travail dissimulé, du
développement de la fraude à composante internationale ou encore du
recours aux technologies de l’information et de la communication comme
vecteur de fraude. Ces évolutions sont d’autant plus préoccupantes
qu’elles sont de plus en plus difficiles à détecter, ce qui fait que l’ampleur
réelle de ces problèmes est complexe à appréhender.
Aussi, le rapport présente des propositions pour améliorer la
réponse des pouvoirs publics face aux risques de fraude. Compte tenu de
la diversité des mécanismes et des ressorts de la fraude, compte tenu aussi
des difficultés du contrôle présentées ci-dessus, la réponse qui est
proposée ne se veut pas seulement fondée sur la répression et la sanction.
Au contraire, le premier chapitre présente différentes mesures
destinées à adapter les stratégies de lutte contre la fraude aux tendances
identifiées dans la première partie. Ces mesures visent notamment à
développer, en amont, la prévention de l’irrégularité et de la fraude.
Le second chapitre est entièrement consacré aux aspects
européens. En effet, une des principales conclusions du rapport est le fait
que les contribuables et notamment les contribuables fraudeurs évoluent
aujourd’hui dans un environnement international où, paradoxalement, la
frontière les protège contre l’action des administrations de recouvrement.
C’est pourquoi il est urgent de renforcer l’Europe de la lutte contre la
fraude en faisant passer la coopération entre les Etats à une vitesse
supérieure.
Chapitre VIII-
Adapter les stratégies de
lutte contre la fraude à ses tendances les
plus préoccupantes
Face aux tendances de fraude pointées dans ce rapport et pour
corriger les inadaptations des administrations de contrôle qui ont été
relevées, il apparaît nécessaire de compléter les stratégies déployées par
les administrations en charge du recouvrement.
Les mesures proposées dans ce chapitre ne se veulent pas une
révolution ou un bouleversement. Au contraire, elles se situent dans le
prolongement direct des évolutions et des réformes entreprises par la
direction générale des impôts et par le réseau des URSSAF depuis
plusieurs années. En effet, parallèlement à la démarche d’amélioration de
la qualité de service qui doit faciliter le respect de leurs obligations par les
contribuables de bonne foi, il est nécessaire de mettre en oeuvre une
action volontariste contre les contribuables qui cherchent délibérément à
éluder le paiement des prélèvements dus.
Pour autant, ces mesures ne sont pas seulement focalisées sur les
aspects répressifs. Au contraire, la diversité des ressorts de la fraude et
des mécanismes utilisés plaide pour une réponse diversifiée, qui, certes,
garantisse l’efficacité dissuasive des contrôles et des sanctions mais qui
puisse aussi aborder le problème en amont et prévenir au maximum la
survenue des cas de fraude.
210
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Dès lors, après avoir écarté certains axes auxquels on pourrait
spontanément penser pour lutter contre la fraude, les différentes mesures
proposées sont développées dans les paragraphes suivants.
Pour porter ces mesures, et en particulier celles qui concernent à la
fois la sphère fiscale et la sphère sociale, il n’est pas apparu opportun de
créer une nouvelle structure ou un nouveau comité, compte tenu de
l’existence de relations anciennes et régulières entre la DGI et l’ACOSS.
Pour autant, afin de formaliser la volonté des deux réseaux de travailler
de façon coordonnée dans la lutte contre la fraude, il serait souhaitable de
procéder à la signature d’une convention qui fixerait les modalités de
coopération, au niveau national comme au niveau local, et déterminerait
les principaux chantiers communs à mener pour améliorer l’efficacité de
la lutte contre la fraude.
I
-
Eviter certaines mesures non adaptées aux
enjeux actuels
A - Baisser les prélèvements obligatoires pour lutter
contre la fraude
A partir du moment où le niveau des prélèvements obligatoires
constitue un des principaux ressorts de la fraude, il pourrait sembler
logique de proposer de baisser ces prélèvements
pour réduire le niveau
global de fraude.
Une telle démarche avait ainsi été suivie concernant la baisse du
taux de TVA sur le bâtiment en 1999 (cf.
supra
) même si la réussite de
cette mesure est aussi liée à des circonstances exceptionnelles et aux
particularités du secteur. De plus, le coût de cette mesure pour les
finances publiques est élevé : il est estimé, par la direction générale du
Trésor et de la politique économique (DGTPE), à 4,4 Md€ pour 2005 et il
est supérieur à 4 Md€ depuis plusieurs années. Il s’agit certes d’un coût
brut qui ne prend pas en compte les recettes indirectement générées par le
surcroît de demande et les créations d’emploi. Néanmoins, le coût de la
mesure apparaît élevé par rapport à son seul impact sur le « blanchiment »
de l’économie souterraine, estimé à 3 Md€ de chiffres d’affaires
supplémentaires sur la période 1999-2001. Le coût de la mesure par
rapport à la fraude évitée peut sembler disproportionné.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
211
Ce constat s’explique aisément par le fait qu’une baisse d’un
prélèvement bénéficie à l’ensemble des contribuables concernés et non
pas aux seuls fraudeurs. L’avantage bénéficie donc à tous les
contribuables alors que son objectif est de modifier les comportements de
seulement certains d’entre eux. Le fait que la mesure soit générale
explique donc son coût élevé au regard du seul objectif de lutte contre la
fraude.
Il ne s’agit pas de dire qu’une baisse d’un ou plusieurs
prélèvements obligatoires n’est jamais justifiée. Cette question est
étrangère au champ du présent rapport et relève avant tout d’un choix des
pouvoirs publics.
B - Augmenter le nombre des contrôles dans leur forme
actuelle
Face aux tendances de la fraude telles qu’elles ont été présentées
plus haut, la multiplication des vérifications de comptabilité ou des
contrôles comptables d’assiette, tels que ces contrôles sont aujourd’hui
réalisés, ne serait pas de nature à enrayer les phénomènes en
développement. La réponse à apporter face à ces comportements
frauduleux ne saurait donc être un durcissement de la répression dans sa
forme actuelle.
L’enjeu consiste donc à mettre en oeuvre des solutions multiples, à
la fois préventives et répressives, qui prennent en compte plusieurs
impératifs et notamment l’amélioration de la présence sur le terrain des
administrations en charge du recouvrement, pour mieux détecter les
activités dissimulées, la sophistication des moyens de détection, le
renforcement
de
la
coordination
entre
administrations,
tout
particulièrement au niveau européen. Ces différentes pistes sont
développées dans la suite de cette partie.
II
-
Prévenir les irrégularités
Comme on l’a vu tout au long du rapport, les redressements
réalisés par les services de contrôle, tant à la direction générale des
impôts que dans les URSSAF, concernent aussi bien des irrégularités que
des fraudes
stricto sensu
. Ainsi, une grande partie des montants rappelés
ne provient pas d’une intention délibérée de la part du contribuable
d’échapper à ses obligations, mais provient plutôt d’erreurs ou de
divergences d’interprétation dans l’application de la règle.
212
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
On a également souligné qu’il était extrêmement difficile de faire
la part entre ce qui relève de la fraude et ce qui relève de l’irrégularité,
soit parce que les systèmes de suivi des contrôles n’intègrent pas cette
distinction, soit parce que celle-ci est pratiquement impossible à faire,
notamment dans le cadre du contrôle sur pièces.
Ce
niveau
élevé
d’irrégularités
est
peu
satisfaisant.
Les
contribuables vivent généralement mal de devoir, après coup, payer
davantage que ce qu’ils avaient calculé et anticipé. Du côté des
administrations, ces irrégularités mobilisent fortement les services de
contrôle sur des enjeux qui pourraient être traités en amont. De plus, un
niveau élevé d’irrégularités crée un contexte assez favorable pour le
développement de la fraude.
Dans ces conditions, la réduction des irrégularités reste un objectif
indispensable qui passe principalement par la simplification de la
législation et des démarches des contribuables.
Des actions fortes dans ce sens ont déjà été engagées au cours des
années récentes. Outre la stratégie d’amélioration de la qualité de service
engagée par la direction générale des impôts et par les URSSAF,
plusieurs séries de mesures ont été adoptées par voie d’ordonnances pour
simplifier
les
textes.
Parmi
celles-ci,
figurent
notamment
trois
ordonnances de simplification fiscale adoptées entre 2003 et 2005
141
. Ces
textes clarifient certaines règles fiscales, notamment concernant les
pénalités mais aussi allège sensiblement certaines obligations déclaratives
des contribuables. Le total représente, d’après les calculs du ministère du
budget, près de 1,6 million de documents à remplir en moins chaque
année.
De même, toujours dans l’idée de faciliter le respect par les
contribuables de leurs obligations fiscales et sociales, des dispositifs
importants ont été mis en place. Dans le domaine fiscal, la déclaration
pré-remplie permet de simplifier la déclaration par les foyers fiscaux de
leurs revenus et de limiter les risques d’erreurs (cf.
supra
). De même,
s’agissant des services à la personne et des services à domicile, la mise en
place du chèque emploi-service, dont le champ a été récemment étendu
avec le chèque emploi service universel, a permis de considérablement
simplifier les démarches de paiement de cotisations à domicile pour les
particuliers employeurs et, sans doute, de réduire le travail dissimulé.
141) Ordonnances de simplification fiscale des 22 décembre 2003, 25 mars 2004 et
7 décembre 2005.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
213
D’autres mesures ont été annoncées dans le même esprit.
Néanmoins, force est de constater que, dans le même temps, l’impact de
cet effort en termes de lisibilité et de simplicité du système de
prélèvements peut sembler brouillé par l’adoption de nombreuses
nouvelles mesures dérogatoires, de nouveaux prélèvements ou des
changements des règles applicables aux prélèvements existants, par
exemple concernant les modalités de paiement de l’impôt sur les sociétés.
Le présent rapport n’a pas l’ambition de traiter la question de la
complexité des règles en matière de prélèvements obligatoires et de leur
simplification, car elle mériterait une étude en soi. Pour autant,
considérant que la réduction des irrégularités serait de nature à faciliter
l’action des services de contrôle dans la lutte contre la fraude proprement
dite, plusieurs propositions sont avancées qui visent à agir en amont pour
réduire la complexité du système de prélèvements et les nombreuses
irrégularités qui en découlent.
A - Mesurer l’irrégularité et la fraude
L’intérêt de procéder à une évaluation du montant global de
l’irrégularité et de la fraude a été souligné dans la première partie du
rapport. Il s’agit avant tout de mieux cerner ces phénomènes et leur
ampleur de façon à ce que les pouvoirs publics soient à même d’y
apporter une réponse adaptée et efficace. Une telle mesure fournirait
également une indication et un élément parmi d’autres de l’efficacité de la
lutte contre la fraude et des politiques de réduction des irrégularités et
permettrait de tirer des conclusions opérationnelles, par exemple en
matière de ciblage des contrôles.
Cette évaluation pourrait être faite dans le cadre de la préparation
et de l’évaluation des documents stratégiques des administrations en
charge du recouvrement
142
. S’agissant d’une opération relativement
lourde,
le
caractère
pluriannuel
de
ces
documents
apparaît
particulièrement adapté, d’autant plus que l’évaluation pourrait servir de
support pour discuter des résultats du contrat ou de la convention
précédents et nourrir le contenu des suivants. Néanmoins, compte tenu
des limites de cette estimation, il est clair qu’il s’agira plus d’un élément
de contexte général que d’un outil d’évaluation et de gestion des
administrations de contrôle.
142) Il s’agit du contrat pluriannuel de performance pour la DGI et de la convention
d’objectifs et de gestion de l’ACOSS.
214
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
S’agissant de la méthode à utiliser, il appartient aux différentes
administrations concernées de définir elles-mêmes celle qui leur paraît la
plus adaptée, en s’appuyant sur les travaux de leur service statistique. En
tout état de cause, les méthodes indirectes de mesure de la fraude
devraient être proscrites, compte tenu de leur manque de fiabilité.
Enfin, plus généralement, on ne peut que souhaiter que cette
évaluation
globale
soit
accompagnée
de
travaux
de
recherche
complémentaires portant sur le comportement des contribuables et leur
attitude vis-à-vis des prélèvements obligatoires. La réalisation de ce
rapport a en effet permis de constater la prédominance des travaux anglo-
saxons sur ces sujets.
Il serait souhaitable, toujours dans le souci de mettre en place des
stratégies adaptées, que les administrations en charge du recouvrement
s’emploient à stimuler et dynamiser la recherche française sur ces aspects.
B - Mettre en place un indicateur de complexité des
prélèvements obligatoires
Le constat de la complexité du système de prélèvements
obligatoires fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus, partagé dans
l’ensemble des Etats de l’OCDE. La poursuite des efforts de
simplification apparaît donc indispensable, de même qu’il serait
souhaitable de limiter et, à tout le moins, de soumettre à une analyse
« coûts/avantages » très rigoureuse la création de nouveaux dispositifs ou
de nouvelles mesures dérogatoires
143
.
Un des problèmes par rapport à cette orientation est que, au-delà
d’un constat général, des réflexions portant sur quelques mesures
spécifiques – par exemple, le crédit d’impôt recherche – et du ressenti
fortement exprimé par les contribuables, il n’existe pas véritablement
aujourd’hui dans le débat public de données permettant de quantifier le
phénomène et d’apprécier son évolution au cours du temps. Or, un
phénomène qui n’est pas mesuré est un phénomène qu’il est, par nature,
difficile de maîtriser.
Pour pallier cette difficulté, il est proposé de mettre en place des
moyens de mesurer la complexité de façon à disposer d’éléments
tangibles pour apprécier l’impact d’une nouvelle mesure et pouvoir
intégrer cet impact dans les critères de prise de décision en matière de
prélèvements obligatoires.
143) Cf. Conseil des impôts,
La fiscalité dérogatoire – pour un réexamen des
dépenses fiscales, XXIième rapport au Président de la République
, septembre 2003.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
215
Une première étape consisterait à mesurer la charge administrative
qu’implique le respect des obligations en matière de prélèvements
obligatoires. Plusieurs Etats, parmi lesquels l’Australie et les Etats-Unis
ou encore le Canada se sont engagés dans cette voie, qui est également
explorée par d’autres types d’administrations qui sollicitent beaucoup les
usagers, comme par exemple les instituts de statistique publique.
Plusieurs éléments pourraient être utilisés pour mesurer des coûts
de
compliance
. On peut d’abord s’appuyer sur des données objectives,
comme le nombre moyen de déclarations ou de documents à remplir et
renvoyer pour chaque type de contribuable, le nombre de lignes ou
d’informations à porter sur ces déclarations ou encore le nombre d’étapes
pour procéder au calcul de l’impôt dû. Ces premiers constats pourraient
être complétés par des enquêtes auprès des contribuables sur le temps
passé pour remplir leurs obligations fiscales. Par exemple, une auto-
évaluation, qui n’aurait certes qu’un caractère déclaratif, pourrait être
demandée à la fin des différents documents à remplir. Enfin, il pourrait
également être intéressant d’intégrer dans cette mesure le recours par les
contribuables à des conseils extérieurs pour les aider à respecter leurs
obligations, en évaluant la proportion des contribuables ayant recours à
un conseil et le montant des honoraires versés.
La mesure de la charge administrative entraînée par les
prélèvements obligatoires pourrait ensuite être complétée par d’autres
données concernant :
la complexité de la législation en tant que telle, mesurée selon
des critères quantitatifs et un peu abrupts, comme le nombre
d’articles du code général des impôts, le nombre de pages, le
nombre de mesures dérogatoires, comme les exonérations de
cotisations sociales ;
le niveau de contestation
a posteriori
dont font l’objet les
prélèvements, mesuré par le nombre des réclamations ou encore
le taux de dégrèvements, le taux de remises.
L’ensemble de ces données pourrait être agrégé dans un indicateur
synthétique, qui mesurerait non pas un niveau absolu – sauf peut-être
pour la charge administrative qui peut être mesurée en durée ou en
montant – mais plutôt l’évolution dans le temps de la complexité.
L’encadré ci-dessous présente les grandes lignes de ce que pourrait être
cet indicateur synthétique.
216
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Encadré n°14 : éléments pour la construction d’un indicateur synthétique de
complexité des prélèvements obligatoires
L’indicateur pourrait être calculé de façon relative en base 100 la
première année de calcul (ou l’année précédente). Il s’agirait d’un indicateur
synthétique, c’est-à-dire qu’il regrouperait différents sous-indicateurs et serait
calculé séparément pour la sphère fiscale et pour la sphère sociale, puis agrégé,
sous réserve que cette agrégation ne conduise pas à réduire la lisibilité des
évolutions..
On peut regrouper les sous-indicateurs susceptibles d’être intégrés dans
l’indicateur synthétique dans trois catégories identiques dans les deux réseaux :
-
des sous-indicateurs relatifs à la charge administrative qui pèse sur les
contribuables
: comme on l’a déjà indiqué, pourraient ainsi être recensés le
nombre de documents à remplir et renvoyer, le nombre de lignes ou
d’informations par document. Ces éléments pourraient être complétés par
des enquêtes sur le temps passé par les contribuables pour accomplir leurs
obligations fiscales ;
-
des sous
-
indicateurs concernant la complexité de la législation
: dans cette
catégorie pourraient rentrer en ligne de compte d’abord le nombre de
mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires dans la loi de
finances ou la loi de financement de la sécurité sociale, de même que le
nombre de mesures dérogatoires nouvelles et le nombre total de mesures
dérogatoires. Pourraient également être mesurés le nombre d’articles du code
général des impôts (et de la partie du code de la sécurité sociale relative aux
cotisations sociales), le nombre de lignes, le nombre de pages ou encore le
nombre de mots. Par ailleurs, les circulaires et instructions destinées à
expliquer au contribuable les modalités d’application de la législation
pourraient aussi être intégrées dans le calcul ;
-
des sous-indicateurs relatifs aux réclamations et contestations
exprimées par
les contribuables : nombre de réclamations (déjà suivi à la DGI), nombre de
dégrèvements ou de remises accordés, le niveau du contentieux devant le
juge de l’impôt.
Il faut néanmoins garder à l’esprit que la multiplication des données de
nature et de portée différente pourrait réduire la lisibilité des résultats constatés.
De plus, certaines évolutions peuvent avoir un sens ambivalent par rapport à
l’objectif de simplification. Par exemple, le nombre de données demandées à un
contribuable dans un formulaire peut augmenter le temps de remplissage du
formulaire mais aussi lui faire gagner du temps sur d’autres procédures.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
217
La quantification de la complexité des prélèvements obligatoires
pour tenter de la réduire s’inscrit directement dans les orientations
décidées récemment par le gouvernement en matière de simplifications
administratives
144
.
La mise en place d’un tel indicateur nécessitera des études
complémentaires, tant du côté de la direction générale des impôts que de
l’ACOSS, pour fiabiliser les données de base, s’assurer de leur
disponibilité dans les systèmes d’information et déterminer précisément
le contenu de l’indicateur. Une fois ces travaux préliminaires achevés, le
nouvel indicateur pourrait être intégré dans les projets annuels de
performance des programmes budgétaires concernés et servir à éclairer
les choix de politique fiscale du gouvernement et du Parlement.
C - Améliorer la sécurité juridique des contribuables
grâce aux procédures de rescrit
Les procédures de rescrit, qui permettent au contribuable de
demander en amont à l’administration de se prononcer sur la validité
d’une opération ou d’un montage, ont été fortement mises en avant dans
les années récentes.
Elles présentent de nombreux avantages, notamment en termes de
sécurité juridique pour le contribuable et de visibilité sur l’application de
la législation pour les administrations en charge du recouvrement. La
consultation préalable de l’administration par la procédure du rescrit
permet en effet de traiter en amont les difficultés avec le contribuable et
donc de réduire les irrégularités détectées lors des contrôles.
Il y a donc un intérêt réel à poursuivre le développement de ces
procédures. Pour cela, une extension du champ des décisions de rescrit
apparaît nécessaire en matière de cotisations sociales. S’agissant de la
sphère fiscale, des avancées importantes ont déjà été réalisées.
1 -
Généraliser le rescrit social
Afin
d’assurer
plus
de
stabilité
juridique
aux
cotisants,
l’ordonnance n°2005-651 du 6 juin 2005 a institué un rescrit social,
codifié aux articles L.243-3 du code la sécurité sociale et L.725-24 du
code rural. Celui-ci permet à tout cotisant ou futur cotisant en sa qualité
d’employeur, de solliciter de son organisme de recouvrement une
décision explicite sur l’application à son cas de la législation relative aux
144) Voir notamment le deuxième volet du plan PME 2007 qui prévoit de fixer des
objectifs de réduction quantitative de certaines formalités administratives.
218
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
cotisations de sécurité sociale. La réponse, que l’URSSAF doit fournir
dans les quatre mois, l’engage pour l’avenir : elle lui sera opposable lors
d’un contrôle. Elle peut toutefois modifier sa position mais il lui faut alors
en informer l’intéressé, qui peut solliciter l’arbitrage de l’ACOSS.
Le champ d’application du rescrit social ne s’étend pour l’heure
qu’à trois domaines :
les contributions dues par les employeurs en cas de mise en
place de régime de retraite supplémentaire ou de prévoyance ;
les avantages en nature et les frais professionnels ;
certaines exonérations de cotisations de sécurité sociales liées à
une zone géographique déterminée : zones de redynamisation
rurale (ZRR), zones de revitalisation urbaine (ZRU) et zones
franches urbaines (ZFU).
Le développement du rescrit social est assez lent du fait de son
caractère récent mais aussi de son champ limité. Ainsi, entre janvier et
novembre 2006, seulement 156 demandes de rescrit ont été validées,
portant en majorité sur les dispositifs zonés. Dès lors, il est proposé de
généraliser cette procédure à l’ensemble des domaines pouvant faire
l’objet d’un contrôle et, le cas échéant, d’un redressement.
Cette généralisation aurait ainsi trois conséquences positives.
D’abord, elle constituerait un moyen d’assurer une effectivité réelle à
l’obligation d’information qui incombe aux URSSAF. Elle permettrait
ensuite d’amplifier la sécurité juridique des cotisants. Elle serait enfin
l’occasion de modifier les relations entre les organismes de recouvrement
et les cotisants en renversant la charge de la distinction entre la bonne et
la mauvaise foi : une interprétation de la loi n’ayant pas fait l’objet d’un
rescrit devrait être sérieusement argumentée lors du contrôle.
2 -
Dans la sphère fiscale, poursuivre la politique engagée
Suite au rapport GIBERT
145
et aux travaux de la DGI, différentes
mesures ont été adoptées pour favoriser le recours au rescrit par les
entreprises et notamment :
l’extension des procédures à certains domaines précis (prix de
transfert, établissements stables…) ;
145) Bruno GIBERT,
Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer
l’attractivité du territoire
, op. cit.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
219
la publication de ces rescrits de façon à informer les autres
contribuables
des
mesures
de
portée
générale
que
l’administration fiscale a pu être amenée à prendre ;
la création, à la DGI, d’une cellule chargée de l’animation de la
politique des rescrits ;
la création d’un « rescrit-contrôle », c’est-à-dire que les
décisions des services fiscaux sur les points examinés en cours
de contrôle deviennent ensuite opposables à l’administration.
Le dispositif législatif et réglementaire apparaît donc en place pour
permettre un développement des rescrits. Il appartient désormais à la DGI
d’animer le dispositif et d’encourager les entreprises à y avoir recours.
D - Développer les contrôles préventifs en concertation
avec les organisations professionnelles
La pratique des contrôles préventifs ou de contrôle à la demande
est de nature à prévenir les irrégularités en amont tout en développant la
présence des administrations sur le terrain. De plus, elle peut contribuer à
réduire le nombre tout en dédramatisant le contrôle vis-à-vis des
contribuables de bonne foi.
Il s’agit donc d’une pratique à encourager. Pour améliorer la
participation des contribuables à ces opérations, il pourrait être envisagé
de développer des opérations ciblées sur certains points précis – par
exemple, la mise en place d’une nouvelle législation – en coordination
avec les organisations professionnelles ou les réseaux consulaires.
Ce travail en coopération avec des professionnels existe depuis
longtemps avec les centres de gestion agréés, créés en 1974, et qui
regroupent souvent différents partenaires des entreprises (experts-
comptables, organismes consulaires…). Les centres de gestion agréés
apportent une assistance à la gestion pour les chefs d’entreprises et les
aident à se conformer à leurs obligations fiscales et pourraient constituer
une aide à la lutte contre l’irrégularité grâce à leurs propres travaux de
contrôle des dossiers de leurs adhérents.
Des initiatives dans le même ordre d’idée ont également déjà été
prises au niveau local. Par exemple, l’URSSAF de Marseille a mené, en
2002, une opération préventive avec l’ensemble des entreprises
implantées dans la zone franche urbaine afin de s’assurer que celles-ci
appliquaient correctement les dispositions en vigueur. Cette opération a
permis ainsi de corriger les pratiques de certains cotisants et de fiabiliser
les déclarations des entreprises dans un contexte réglementaire très
complexe.
220
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Cette pratique est également courante dans les administrations
étrangères. Par exemple, aux Etats-Unis, après une analyse de risque,
l’IRS peut cibler une catégorie de contribuables jugée à risque en termes
de respect de la loi fiscale. Elle va ensuite engager une démarche de
contrôle partenarial sans pénalités pour aider les personnes concernées à
se conformer à leurs obligations. L’opération pourra ensuite se terminer
par des contrôles plus répressifs à l’encontre des contribuables qui
n’auraient pas participé aux contrôles partenariaux.
Il est donc souhaitable que les URSSAF et la direction générale
des impôts développent de telles opérations en direction de leurs
contribuables.
III
-
Développer de nouveaux outils contre le
travail dissimulé
Le travail dissimulé est un enjeu particulièrement préoccupant et
l’on a vu que les efforts entrepris n’étaient pas véritablement à la hauteur
des enjeux.
Par rapport à l’Italie, qui consacre 1 900 agents à la lutte contre le
travail dissimulé, les effectifs disponibles en France sont nettement plus
faibles : environ 200 agents dans les URSSAF
146
auxquels il faudrait
ajouter une partie des 400 inspecteurs du travail, les effectifs de police et
de gendarmerie pour la part de leur temps consacrée à la lutte contre le
travail illégal, une partie des services fiscaux…
Par rapport à ce constat, il convient cependant d’abord de préciser
que le phénomène de travail dissimulé atteint probablement un niveau
endémique en Italie. Ainsi, l’ISTAT évaluait en 2005 le nombre de
travailleurs dissimulés à 3,2 millions, pour une économie souterraine
représentant 16 % du PIB.
Pour
renforcer
la
lutte
contre
le
travail
dissimulé,
des
augmentations d’effectifs sont, au demeurant, déjà programmés. Ainsi,
les effectifs de l’inspection du travail vont être augmentés dans les
prochaines années d’environ 700 postes. De même, la convention
d’objectifs et de gestion signée entre l’Etat et l’ACOSS
prévoit la
création de 100 postes supplémentaires d’inspecteurs du recouvrement
dédiés à la lutte contre le travail dissimulé. Cette augmentation des
effectifs apparaît nécessaire mais il existe aussi un enjeu d’amélioration
146) Sur la base de 1 500 inspecteurs dédiés au contrôle qui consacrent 13,19 % de
leur temps à la lutte contre le travail dissimulé.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
221
de la performance et de l’efficacité de la lutte actuellement menée : les
montants redressés par agent s’élèvent à 521 K€ en Italie contre
seulement 298 K€ en France en 2005.
C’est pourquoi plusieurs propositions sont avancées ici pour
fournir de nouveaux outils aux agents chargés de lutter contre le travail
illégal afin d’améliorer l’impact de leur action. Ces propositions vont
dans deux directions complémentaires : d’une part, la prévention du
travail dissimulé, notamment à l’occasion des marchés publics et, d’autre
part, la diversification des moyens de sanctions et de répression du travail
dissimulé. Au-delà, c’est également grâce à leur présence sur le terrain
que les administrations pourront mieux détecter le travail dissimulé, ce
qui renvoie aux propositions développées dans la partie suivante.
A - Mettre en place des références pour aider les
donneurs d’ordre à détecter le travail dissimulé
A l’occasion de la passation des marchés publics, la volonté des
entreprises de proposer les prix les plus bas possibles conduit parfois
celles-ci à recourir au travail dissimulé, dans l’exécution du contrat, pour
respecter le prix auquel le marché a été attribué. C’est particulièrement
vrai dans certains secteurs comme le BTP ou encore les services
(gardiennage…).
Pour éviter cette situation, il apparaît souhaitable de fournir aux
autorités qui passent des marchés des éléments susceptibles de détecter,
en amont, un risque de recours au travail dissimulé. Néanmoins, ces
mesures de précaution ne doivent pas aboutir à une réduction de la
concurrence entre les participants qui pourrait se traduire par un
renchérissement injustifié des coûts pour les collectivités publiques.
Aussi,
plutôt
qu’un
système
de
références
juridiquement
opposables comme celui qui a été mis en place en Italie, il est suggéré de
privilégier une action non normative et d’engager une concertation entre
l’ensemble des donneurs d’ordre et des professionnels concernés pour
définir des standards minimaux d’usage de main d’oeuvre et de coûts dans
les marchés publics. Une telle démarche a déjà été engagée au niveau
local en France, avec la signature de conventions avec les professionnels
du bâtiment ou des hôtels et cafés pour définir des références pour
exécuter certains travaux, notamment dans le département de Seine -
Maritime.
222
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ces références pourraient ensuite être utilisées, en amont, par les
donneurs
d’ordre
pour
écarter
les
propositions
dont
le
prix,
manifestement trop bas, indiquerait la présence de travail dissimulé. Les
agents de contrôle pourraient également les utiliser pour programmer une
partie de leurs contrôles.
B - Donner une base légale aux fermetures
administratives pour en faire une sanction applicable
réellement dissuasive
La pratique, à la base légale incertaine, de fermeture de débits de
boisson après verbalisation pour travail illégal par certains préfets, a
toutefois montré son efficacité. L’article 3332-15 du code la santé
publique pourrait ainsi être modifié pour permettre explicitement au
préfet de procéder à une telle fermeture en la fondant sur une
verbalisation pour travail dissimulé. La mise en oeuvre de cette
disposition nécessiterait toutefois une application mesurée, compte tenu
des risques contentieux : son principal impact serait dissuasif.
Même en modifiant le code de la santé publique, cette mesure ne
concernerait que les débits de boisson. Il pourrait donc être envisagé de
l’étendre à d’autres secteurs d’activités en créant un nouvel article
L.325-8 dans le code du travail qui pourrait être rédigé comme suit : « le
représentant de l’État dans le département peut, sur proposition du
directeur départemental du travail
147
, décider par arrêté motivé de la
cessation temporaire d’activité de l’entité verbalisée pour travail illégal.
Les modalités de cette fermeture, qui ne peut excéder six mois et peut
s’accompagner de la saisie à titre conservatoire du matériel professionnel
des contrevenants, sont fixées par décret en conseil d’État ».
En cas de verbalisation sur un chantier, celui-ci pourrait ainsi être
interrompu avec, le cas échéant, saisie conservatoire du matériel. Cette
sanction serait vraisemblablement dissuasive à l’égard d’un grand nombre
de contrevenants potentiels.
C - Prévoir un redressement forfaitaire lors de la
verbalisation du travail dissimulé
Une des difficultés les plus fréquemment rencontrés par les
services en charge de la lutte contre le travail dissimulé est de démontrer
l’antériorité de la fraude, les employeurs pris sur le fait déclarant
147) Les services de l’URSSAF pourraient communiquer leurs demandes de
fermetures administratives au directeur départemental du travail.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
223
généralement que le salarié non déclaré a été embauché le matin même du
contrôle.
L’article R.242-5 du code de la sécurité sociale prévoit une
possibilité de redressement forfaitaire dans les cas où la détermination de
l’assiette à partir de la comptabilité de l’employeur est rendue impossible.
Ce redressement s’effectue à partir des conventions collectives en vigueur
voire des salaires pratiqués localement. Le même article précise que «
La
durée de l'emploi est déterminée d'après les déclarations des intéressés
ou par tout autre moyen de preuve
».
Certaines URSSAF ont décidé d’opérer systématiquement trois
mois de redressement dans les cas où la durée du travail dissimulé ne
pouvait être estimée avec certitude. Cette évaluation n’est pas en
contradiction formelle avec les dispositifs de l’article R.242-5 mais
pourrait se voir opposer les témoignages des salariés cherchant à se
concilier leurs employeurs pour ne pas perdre leur source de revenus.
L’article R.242-5 pourrait explicitement prévoir la possibilité
d’effectuer un redressement forfaitaire de trois ou six mois de cotisations
en cas de verbalisation, sauf preuve contraire.
D - Mettre en cause plus fréquemment les donneurs
d’ordre
La mise en cause des clients est fondamentale pour assurer
l’effectivité de la sanction, car la sous-traitance en cascade permet
souvent à certaines entreprises, notamment du BTP, et aux clients (y
compris publics) de se décharger de leur responsabilité sur de plus petites
entreprises.
Les obligations qui s’imposent au donneur d’ordre ont été
renforcées par la loi du 2 août 2005. Mais il s’agit d’obligations de
moyens qui peuvent être satisfaites relativement facilement par les
entreprises et qui n’empêchent pas le recours à la sous-traitance en
cascade, avec des risques élevés de travail dissimulé.
Aussi, la loi devrait faciliter la mise en cause des donneurs d’ordre
en renversant la charge de la preuve dans certains cas. Ainsi, lorsqu’un
cas de travail dissimulé serait détecté par les services de contrôle dans des
conditions telles que le donneur d’ordre ne pouvait manifestement pas
ignorer que ses sous-traitants auraient recours au travail dissimulé, la
responsabilité financière du paiement des cotisations et des amendes
incomberait alors au donneur d’ordre initial qui aurait la possibilité de se
retourner contre son cocontractant pour récupérer les sommes versées.
224
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
IV
-
Améliorer la présence des administrations
sur le terrain en développant de nouvelles
modalités de contrôle et de coordination
Les trois grandes tendances de fraude, qu’il s’agisse du travail
dissimulé, de la fraude internationale ou de la fraude utilisant les
technologies de l’information et de la communication, ont une
caractéristique commune : elles sont de plus en plus difficiles à détecter
par l’analyse de la seule comptabilité de l’entreprise. Les contrôles
traditionnels, comme la vérification de comptabilité ou le contrôle
comptable d’assiette, apparaissent donc de moins en moins opérants face
à ces types de fraude.
Aussi, la présence de l’administration sur le terrain, auprès des
contribuables, apparaît comme un élément indispensable, d’autant plus
que cette présence a un effet dissuasif certain.
Le développement de la présence peut se matérialiser de
différentes façons – contrôle sur place ponctuel, contrôle sur pièces plus
fréquent… – même si l’objectif est bien de multiplier les contacts avec le
contribuable. Il passe également par une amélioration de la coordination
entre les administrations de contrôle, de façon à accroître l’impact des
contrôles réalisés.
A - Développer la couverture du tissu fiscal
La présence des administrations de recouvrement sur le terrain, de
façon à afficher leur vigilance face au risque de fraude, a toujours
constitué un enjeu fondamental au regard duquel les taux de couverture
du tissu fiscal par les contrôles peuvent sembler aujourd’hui un peu
décevants.
Cet enjeu prend encore plus d’importance dans un contexte où la
fraude est de moins en moins détectable depuis le bureau. C’est pourquoi
les mesures proposées ci-après vont dans le sens d’une augmentation de
la présence de l’administration grâce au développement de nouvelles
modalités de contrôles
Cette orientation a au demeurant déjà été largement engagée par
les administrations en charge du recouvrement avec pour objectif
d’améliorer, à moyens constants, la couverture de leur fichier de
contribuables.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
225
1 -
Mettre en oeuvre les contrôles sur les cotisations de la
protection sociale
La loi de financement de la sécurité sociale de 2007 a permis de
mettre fin à une des situations les plus choquantes pointées dans ce
rapport : l’absence de contrôles réalisés sur les cotisations de retraite
complémentaire ainsi que sur les cotisations d’assurance-chômage.
En effet, à son article 30, la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2007 prévoit que les agents de contrôle des URSSAF
pourront désormais vérifier l’assiette, le taux et le calcul de ces
cotisations. Les résultats de ces vérifications seront ensuite transmis aux
institutions concernées en vue du recouvrement.
Des conventions doivent néanmoins être signées entre ces
organismes et l’ACOSS afin de fixer les modalités de transmission des
résultats et la rémunération du service rendu par les URSSAF. Il importe
que les discussions avec les ASSEDIC, l’ARRCO et l’AGIRC soient
engagées au plus vite de façon à ce que les véritables friches du contrôle
qui ont existé dans ce domaine soient supprimées.
La signature de ces conventions permettra d’étendre le champ du
contrôle des URSSAF à des prélèvements qui, jusqu’ici, ne faisaient
l’objet d’aucun contrôle.
2 -
Dans la sphère sociale, le contrôle sur pièces doit être
fortement développé
Le développement du contrôle sur pièces dans le réseau des
URSSAF est, comme on l’a vu, un des objectifs prioritaires fixés dans la
nouvelle convention d’objectifs et de gestion pour la période 2006-2008.
Celle-ci dispose ainsi que «
le contrôle sur pièces sera développé pour les
petites entreprises en s’appuyant sur un dispositif juridique sécurisé,
selon une méthodologie définie au niveau national
». L’ACOSS envisage,
dans ce cadre, la mise en place d’un contrôle à distance, qui se ferait par
communication aux URSSAF des pièces justificatives.
Pour faciliter ces contrôles, plusieurs améliorations devraient être
apportées aux modalités de déclaration par les entreprises de leurs
cotisations sociales, dans le cadre des travaux du groupement d’intérêt
public « Modernisation des déclarations sociales » :
226
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
fournir deux données supplémentaires faciles à obtenir, en plus
de celles déjà exigées : le nombre d’heures rémunérées en
dessous de 1,6 SMIC et les effectifs correspondants. Avec cette
mention, un contrôle de cohérence de masse pourrait ainsi être
réalisé sur les mesures d’allègement de charges sociales ;
obliger les entreprises d’une certaine taille à dématérialiser les
déclarations transmises aux URSSAF, ce qui libérerait des
ressources aujourd’hui encore consacrées à la saisie et au
vidéocodage des bordereaux. Une telle obligation est déjà en
vigueur pour le paiement des cotisations sociales
148
ainsi qu’en
matière de déclaration et de paiement de la TVA.
Au-delà de ces mesures qui sont susceptibles d’être mises en
oeuvre rapidement, la convention d’objectifs et de gestion prévoit que soit
expérimentée une transmission des données relatives aux cotisations qui
serait individualisée par salarié. En effet, les documents actuellement
transmis aux URSSAF font masse de l’ensemble des salariés d’un
établissement, ce qui ne permet pas un contrôle sur pièces fin et
complique le contrôle sur place.
Cette individualisation, qui impliquera la dématérialisation des
transmissions, est déjà pratiquée par la Mutualité sociale agricole sans
problème technique particulier. Néanmoins, La généralisation de ce
procédé, qui doit engager l’ensemble des organismes de recouvrement (y
compris UNEDIC et AGIRC-ARRCO) à l’ensemble des entreprises
apparaît à la fois complexe et souhaitable. Une large concertation avec les
acteurs économiques sur la base des résultats de cette expérimentation est
donc nécessaire avant d’envisager sa généralisation.
3 -
Dans le domaine fiscal, développer les vérifications ponctuelles
sur place
Pour la DGI, l’enjeu consiste à augmenter sa présence sur le terrain
en utilisant les ressources qui ont été affectées au contrôle dans le cadre
de la fusion entre les centres et les recettes des impôts. Il s’agirait de faire
des inspections de contrôle et d’expertise (ICE), des structures effectuant
à la fois des contrôles sur pièces sur les entreprises mais aussi des
contrôles simples et ponctuels sur place.
148) Article L.243-14 du code de la sécurité sociale.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
227
Des objectifs de nombre de contrôles pourraient ainsi leur être
assignés de façon à développer la couverture du tissu fiscal. Ces contrôles
n’auraient pas vocation à déboucher sur un niveau élevé de droits
redressés et pourraient ne pas aboutir à des redressements. Néanmoins, ils
marqueraient la présence de l’administration fiscale sur le terrain,
permettraient de détecter des anomalies plus graves, non visibles depuis
le bureau et susceptibles de faire l’objet d’une vérification générale. Ce
niveau de « contrôle fiscal de proximité » permettrait aussi de développer
les contrôles à la demande chez les PME de façon à réduire les niveaux
d’irrégularités tout en dédramatisant le contrôle pour les contribuables de
bonne foi.
Encadré n°15 : un exemple de bonne pratique – le développement de l’îlotage
fiscal en Seine-Saint-Denis
Ainsi, à titre d’exemple, depuis 2005, la DSF du 93 a réorienté ses
contrôles pour être plus présente sur les régimes simplifiés d’imposition (RSI) et
micros, souvent utilisés frauduleusement (cf.
supra
).
A partir des ICE, a été lancée une pratique d’« l’îlotage fiscal »qui
consiste à aller sur le terrain et à comparer les observations avec les informations
détenues en interne. La présence sur le terrain permet de se rendre compte
d'incohérences factuelles, que la documentation en interne ne permet pas de
vérifier.
Cette
démarche
a
été
appliquée
notamment
aux
demandes
de
remboursement de TVA. Les services ont renforcé leur présence sur le terrain en
exerçant un droit de communication qui permet d'examiner les factures sans
effectuer à proprement parler un contrôle.
Cette réforme est déjà largement engagée. Ainsi, en 2005, 12% des
opérations de contrôle fiscal externe et 3% des droits redressés (soit un
total de 210 M€) sont imputables aux inspections de contrôle et
d’expertise (ICE). Sa poursuite et son approfondissement supposent
néanmoins que deux conditions soient remplies.
La première condition est largement symbolique mais elle a son
importance dans le débat public. L’orientation qui est suggérée ici
implique que le nombre total de contrôles effectués par la DGI augmente
et dépasse l’horizon des 50 000 contrôles par an pour augmenter de façon
non négligeable au fil du temps. Dans ces conditions, il sera nécessaire
d’assumer une augmentation du nombre de contrôles, même s’il ne
s’agira pas des mêmes contrôles qu’auparavant.
228
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
La deuxième condition est qu’une impulsion suffisante soit donnée
à cette évolution. Actuellement, la situation n’est pas homogène sur le
territoire et la fréquence de sortie sur le terrain des agents des ICE est très
variable selon les DSF. Les moyens nécessaires en formation et en termes
d’outils informatiques devront également être fournis pour accompagner
les agents dans l’évolution de leur activité.
B - Faciliter la détection et le contrôle
En complément du développement des nouvelles formes de
contrôle mentionnées ci dessus, le renforcement de la présence de
l’administration passe aussi par une meilleure utilisation des contrôles
existants grâce à une meilleure coordination entre les administrations.
Ceci devrait notamment permettre de faciliter la détection de la
fraude et, en conséquence, d’améliorer l’efficacité des services de
contrôle et donc également de dégager des marges de manoeuvre pour
renforcer la couverture du tissu fiscal.
1 -
Développer les interconnexions de fichiers
Comme on l’a montré en deuxième partie, l’interconnexion des
fichiers, qui facilite la détection de la fraude, semble aujourd’hui
insuffisamment utilisée.
Il ne s’agit pas de généraliser l’usage d’un numéro unique
d’identifiant
qui
serait
largement
utilisé
dans
les
transactions
économiques, comme cela se pratique dans d’autres Etats de l’OCDE.
Au-delà du chantier informatique et administratif très important que cela
impliquerait, une telle option constituerait une évolution profonde par
rapport aux équilibres construits depuis la loi de 1978 sur l’informatique
et les libertés. Or, le niveau de la fraude, tel qu’il est approché dans ce
rapport, ne semble pas justifier que l’on s’engage dans une voie aussi
radicalement différente de celle suivie jusqu’ici.
Pour autant, cela ne doit pas empêcher les administrations en
charge du recouvrement des prélèvements obligatoires de développer les
interconnexions lorsqu’elles apparaissent utiles pour détecter certains
comportements frauduleux. On peut d’ailleurs noter que le contexte
administratif et réglementaire a récemment évolué dans ce sens avec
notamment :
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
229
la création d’un comité national de lutte contre la fraude en
matière de protection sociale, en octobre 2006
149
qui pourrait
constituer un lieu d’échanges sur les interconnexions et les
recoupements possibles de fichiers ;
la création, par la loi de financement de la sécurité sociale de
2007, d’un répertoire commun à l’ensemble des organismes de
protection sociale, concernant les bénéficiaires des prestations
sociales.
Ce
fichier,
lorsqu’il
sera opérationnel,
pourra
constituer
une
source
intéressante
pour
développer
les
interconnexions.
Avant même de mettre en place des échanges entre services, les
administrations de contrôle doivent se mettre en mesure de croiser
l’ensemble des données dont elles disposent déjà
. Par exemple, dans le
réseau des URSSAF, si les données relatives aux déclarations uniques
d’embauche étaient comparées à celles des « grands comptes », les
entreprises qui déclarent des embauches sans déclarer les salaires
correspondant
pourraient
être
immédiatement
repérées
par
les
inspecteurs.
C’est pourquoi il serait intéressant de procéder à un recensement,
dans chaque administration participant au recouvrement des prélèvements
obligatoires, des fichiers et bases de données susceptibles de faire l’objet
d’interconnexions ou de recoupements. Ce recensement pourrait au
demeurant aller au-delà de leurs propres fichiers et inclure ceux gérés par
d’autres administrations et notamment les tribunaux de commerce, dont
les informations dont ils disposent seraient des plus utiles.
Cette première étape serait ensuite suivie d’une mise en oeuvre
des croisements jugés les plus utiles pour la lutte contre la fraude.
2 -
Faciliter les moyens de contrôle des grandes entreprises par
les URSSAF
Les services de contrôle rencontrent parfois des difficultés d’ordre
matériel pour procéder au contrôle des grandes entreprises, celles-ci
utilisant parfois les failles de la législation pour compliquer la tâche des
vérificateurs. Les mesures proposées visent donc à pallier ces éventuelles
difficultés.
149) Décret du 23 octobre 2006.
230
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ainsi, concernant le contrôle des cotisations sociales, il est
nécessaire que le recours à l’échantillonnage puisse être utilisé par les
URSSAF sans avoir à demander l’autorisation de l’entreprise contrôlée.
Pour cela, il est proposé qu’après une concertation avec les organisations
représentatives des employeurs, afin de déterminer, le cas échéant, une
marge d’appréciation ou toute autre considération méthodologique, un
décret soit pris pour valider cette technique de contrôle et permettre aux
contrôleurs de l’URSSAF de l’utiliser.
3 -
Améliorer la coordination entre les services de la direction
générale des impôts et ceux des URSSAF
La coordination entre les administrations fiscales et sociales
constitue un axe majeur pour amplifier la portée des contrôles réalisés,
faciliter le travail de détection et mieux lutter contre la fraude.
Dans le prolongement de la proposition précédente, le premier
aspect à améliorer dans cette coordination concerne les échanges
d’informations. Les arrêtés interministériels du 28 mars 2006 précités
prévoient des transferts de données fiscales vers les organismes de
sécurité sociale pour contrôler la régularité des prestations. Il n’existe en
revanche pas d’arrêté ni de convention visant le décret du 3 mai 2002
susmentionné et permettant un transfert de données à la branche du
recouvrement (cf.
supra
). Il apparaît nécessaire de prévoir un dispositif
réglementaire permettant, sinon ces transferts, du moins une consultation
des dossiers par les URSSAF dans deux cas au moins : les liasses fiscales
des indépendants et certaines données du contrôle des entreprises
salariées. Réciproquement, il apparaîtrait logique de permettre à
l’administration fiscale un accès aux données correspondantes au sein des
URSSAF.
Les liasses fiscales des indépendants représentent une source
d’informations précieuses pour le recouvrement car elles permettent de
vérifier que les déclarations de revenus déclarés aux services des impôts
et aux gestionnaires du régime social des indépendants (RSI) - qui les
transmettent aux URSSAF - correspondent effectivement, ce qui n’est
absolument pas contrôlé aujourd’hui. De même, un redressement opéré
par l’administration fiscale sur ces revenus, bien que ne liant pas les
URSSAF, constituerait un élément d’assiette leur permettant d’effectuer
un redressement.
Dans le cas des entreprises, certaines données du contrôle opéré
par
les
services
fiscaux
pourraient
intéresser
les
URSSAF,
essentiellement en ce qui concerne la masse salariale.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
231
Afin de faciliter les échanges d’informations, il est proposé que,
sous le contrôle de la CNIL, soit mis en place un système automatisé de
communication des redressements réalisés et susceptibles d’intéresser
l’autre service de contrôle. Ce système pourrait prendre la forme de
l’envoi de listes informatisées sur les données et les résultats du contrôle
ou bien la mise en place d’un Intranet commun, même si cette dernière
solution apparaît relativement lourde et techniquement complexe.
Faut-il aller plus loin dans la coordination, notamment sur des
aspects plus opérationnels ? Les expérimentations concernant les
contrôles conjoints ou coordonnés, ne plaident pas véritablement dans ce
sens, pas plus que le bilan assez mitigé des comités opérationnels de lutte
contre le travail illégal (COLTI). Une piste pourrait être d’expérimenter la
participation aux réunions de programmation de chaque service d’un
représentant
de
l’autre
administration
susceptible
d’apporter
des
informations. Par exemple, le responsable local de la brigade de contrôle
et de recherche (BCR) participerait à la préparation du plan de contrôle de
l’URSSAF, tandis que le responsable de la lutte contre le travail
dissimulé dans les URSSAF assisterait aux réunions de programmation
des contrôles dans les brigades.
4 -
Etudier l’opportunité de confier des missions de police
judiciaire à certains services de contrôle
Parmi les propositions avancées plus haut, plusieurs devraient
permettre de faciliter le travail de détection de la fraude par les services
de contrôle. Il reste néanmoins que l’action de ceux-ci reste parfois
insuffisante face à des fraudes de grande ampleur ou particulièrement
bien dissimulées et nécessitant des moyens d’investigation que les
procédures actuelles ne permettent pas d’entreprendre.
Cette situation a conduit certains experts à proposer d’habiliter
certains agents de l’administration fiscale à mener des missions de police
judiciaire
150
. Dans ce cas, qui pourrait également trouver à s’appliquer en
matière de lutte contre le travail dissimulé pour certains agents de
l’URSSAF, les agents concernés pourraient effectuer des enquêtes
judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur
commission rogatoire du juge d'instruction, ce qui impliquerait qu’ils
puissent procéder à des perquisitions, à des saisies de documents, placer
sous scellés les objets et documents saisis, requérir des informations
auprès des opérateurs de télécommunication, défendre à toute personne
de s’éloigner du lieu d’une infraction, ou encore entendre les témoins
jugés nécessaires.
150) Voir notamment la note de l’Institut de l’entreprise, «
Propositions pour une
réforme du contrôle fiscal
», mai 2006.
232
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Une telle proposition apparaît assez intéressante dans un contexte
de criminalisation de la fraude aux prélèvements obligatoires, qui rend les
procédures existantes de moins en moins opérantes pour mettre en
évidence la fraude et en détecter les éléments d’intentionnalité.
Pour autant, le fait d’habiliter certains agents ou services à
accomplir des missions de police judiciaire constituerait une évolution
sensible par rapport à l’organisation actuelle, avec des conséquences à
évaluer précisément en termes de procédure judiciaire et fiscale. Dès lors,
l’intérêt d’une telle réforme et sa portée mériteraient d’être étudiés de
façon plus approfondie, le présent rapport s’étant contenté de souligner
les grandes lignes du problème.
C’est pourquoi le Conseil recommande que la possibilité
d’habiliter des agents en charge du contrôle, à la direction générale des
impôts ou dans les URSSAF, pour réaliser des missions de police
judiciaire fasse l’objet d’une évaluation plus approfondie par les
administrations concernées en liaison étroite avec le ministère de la
justice. Cette évaluation porterait notamment sur le fait de donner à des
agents des administrations fiscales et sociales la possibilité d’effectuer
des actes de police judiciaire, notamment lorsque les infractions entrant
dans leurs attributions sont connexes avec des crimes ou délits de droit
commun relevant de la délinquance organisée. Elle aborderait également
les conséquences d’une telle réforme sur les règles spécifiques de la
procédure pénale fiscale.
V
-
Améliorer l’effet dissuasif des sanctions
L’existence d’un système de sanctions efficace est une condition
indispensable, non seulement pour punir ceux qui se sont livrés à des
comportements frauduleux, mais aussi, et peut-être surtout, pour
dissuader ceux qui pourraient être tentés de frauder et garantir aux
contribuables honnêtes qu’ils ont raison de rester dans le droit chemin.
Pour être efficaces, les sanctions doivent être proportionnées,
adaptées et être réellement mises en oeuvre. Comme le note l’OCDE,
«
les
sanctions seront crédibles dès lors que le contribuable sera dans une
situation plus mauvaise après la sanction que s’il s’était conformé d’emblée
à ces obligations
».
Il n’est pas évident que cette situation soit aujourd’hui vérifiée
dans notre pays, compte tenu des déficiences des sanctions de la fraude
analysées plus haut, en dehors des pénalités fiscales. C’est pourquoi des
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
233
propositions ont déjà été formulées pour enrichir l’arsenal des sanctions
en ce qui concerne le travail dissimulé (cf.
infra
).
Au-delà de cette diversification, deux axes semblent devoir être
privilégiés. D’abord, en s’appuyant sur les analyses des ressorts de la
fraude présentées en première partie, il apparaît qu’un effort de
communication autour de la fraude et de sa sanction serait utile pour
changer la perception de l’opinion et renforcer l’effet dissuasif des
contrôles.
Ensuite, dans certains cas, il apparaît nécessaire d’agir directement
sur le niveau des sanctions, soit directement, en renforçant les sanctions
en matière de fraude aux cotisations sociales, soit indirectement en
sensibilisant le juge répressif à l’importance de la sanction pénale dans le
domaine de la fraude aux prélèvements obligatoires.
A - Communiquer davantage en matière de fraude
La communication autour du thème de la fraude est encore assez
rare dans notre pays. Au-delà de la publication des résultats des contrôles,
cette question n’apparaît dans les médias qu’à travers certaines affaires
saillantes, soit parce qu’elles concernent des personnalités, soit parce
qu’il s’agit de fraude d’une certaine ampleur.
D’une
façon
générale,
les
administrations
en
charge
du
recouvrement font preuve d’une certaine prudence en la matière et
préfèrent mettre l’accent sur leurs efforts en matière de qualité de service.
Cette situation commence néanmoins à évoluer. Des campagnes de
communication sur le travail dissimulé en direction du grand public ont
déjà été organisées, au niveau local, à l’initiative de certaines URSSAF,
notamment à Rouen et à Toulouse.
L’analyse des ressorts de la fraude, développée en première partie,
met en évidence l’importance des facteurs psychologiques dans les
comportements de fraude : la peur du gendarme, les normes sociales ou
encore le degré de satisfaction vis-à-vis du système de prélèvements
obligatoires sont autant de facteurs qui influencent l’attitude du
contribuable. Or, sans forcer le trait, on peut constater que la fraude aux
prélèvements obligatoires bénéficie d’une certaine mansuétude dans
l’opinion publique. De ce point de vue, la relative clémence des
magistrats pénaux vis-à-vis des fraudeurs (cf.
supra
) apparaît comme le
reflet de l’attitude globale de la société vis-à-vis de la fraude, de même
que l’image du couple du fraudeur sympathique victime d’un vérificateur
acariâtre souvent véhiculée par le cinéma.
234
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Plusieurs exemples de comportements dont l’acceptation sociale a
été fortement réduite, notamment grâce à une communication efficace
couplée avec un renforcement des sanctions, montrent qu’il n’y a pas de
fatalité en la matière. Qu’il s’agisse de la sécurité routière, de la lutte
contre le tabagisme ou encore des efforts contre la contrefaçon, ces trois
cas montrent que l’on peut réduire la mansuétude du corps social vis-à-vis
d’attitudes qui le pénalisent directement.
C’est pourquoi il est recommandé que les administrations adoptent
une politique plus active de communication autour du thème de la fraude.
Sous réserve des études à réaliser par des professionnels dans ce
domaine, cette politique pourrait s’appuyer sur deux volets. D’abord, des
campagnes nationales de sensibilisation permettraient de faire ressortir les
conséquences négatives de la fraude, non seulement pour le financement
des biens collectifs en général mais aussi pour chaque contribuable et
pour les autres victimes de la fraude (risques pour les travailleurs
illégaux…).
Cette politique de sensibilisation pourrait être complétée par des
actions de communication orchestrées par les services de contrôle au
niveau national et local. Ces actions porteraient notamment sur les
sanctions encourues car, comme l’indique l’OCDE, « l
’autorité fiscale ne
doit pas seulement être dotée de pouvoirs crédibles de sanction ; il lui
faut aussi bien faire savoir qu’elle exerce ces pouvoirs ».
Cette communication pourrait porter à la fois sur la politique
générale du contrôle, comme cela se pratique en Suède ou en Australie où
l’homologue du directeur général des impôts commente chaque année le
programme de lutte contre la fraude. Elle pourrait enfin porter sur les
risques de fraude, par exemple en indiquant aux contribuables les
montages considérés comme frauduleux et détectés à l’occasion des
contrôles.
Les premiers travaux réalisés
151
sur cette question semblent
indiquer que le premier type de communication est préférable. Dans un
contexte où les individus ont une perception minimale du risque de
contrôle, une communication donnant une information spécifique sur un
type de fraude ou une probabilité de contrôle, par exemple, aurait
tendance à renforcer l’optimisme des fraudeurs. Une politique véhiculant
un message général dissuasif (du type « le contrôle n’arrive pas qu’aux
autres »,…) serait plus efficace.
151) Cf. les travaux de recherche du laboratoire GATE impulsés par l’ACOSS :
« Etude expérimentale des activités illégales sur le marché du travail », rapport de
Recherche du GATE pour l’ACOSS, septembre 2006.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
235
Ceci pourrait être relayé au niveau local par des actions de
communication dans les médias locaux autour des affaires réalisées et des
sanctions infligées, afin de renforcer l’exemplarité et le caractère
dissuasif des sanctions. Pour appuyer cette démarche, les services de
contrôle devraient s’assurer que les tribunaux répressifs assortissent bien
leurs condamnations en matière de fraude des peines complémentaires de
publicité et d’affichage.
B - Instaurer des « pénalités sociales »
Actuellement, la fraude aux cotisations sociales peut être
sanctionnée par des pénalités de retard ou par des contraventions. La
difficulté est que ces contraventions de 3
ième
ou 5
ième
classe doivent être
prononcées par un tribunal de police, ce qui alourdit sensiblement la
procédure de sanctions.
A l’inverse, le code général des impôts français prévoit également
un système de sanction beaucoup plus large que celui issu de la
législation sociale : les pénalités de retard, les majorations de droit et les
amendes fiscales prévues par le chapitre II du livre II du code général des
impôts n’ont pas d’équivalents en matière sociale.
Afin de donner aux agents des URSSAF la possibilité de
sanctionner eux-mêmes directement les comportements manifestement
frauduleux, il est proposé de créer un système de pénalités sociales,
proportionnées au montant des cotisations redressées et qui seraient
infligées par les agents de contrôle, sous le contrôle du juge civil, pour les
cas où la mauvaise foi du contribuable leur semble établie. Cette mesure
aurait l’avantage de créer une sanction à la fraude aux cotisations sociales
qui interviendrait immédiatement après le contrôle sans avoir à passer
devant le juge. Elle permettrait également de punir plus sévèrement et
plus lourdement les comportements frauduleux en matière de cotisations
sociales.
C - Sensibiliser les juridictions répressives aux
questions liées à la fraude aux prélèvements obligatoires
Dans le domaine des prélèvements obligatoires, la sanction pénale
ne doit être infligée qu’à titre exceptionnel. Face aux tendances les plus
préoccupantes de la fraude, elle n’en demeure pas moins indispensable,
surtout pour une certaine catégorie de fraudeurs, exerçant des activités
dissimulées et qui utilisent la liquidation judiciaire pour échapper au
recouvrement et sont peu effrayés par la perspective d’une condamnation
pénale assortie de sursis.
236
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Actuellement, les délits liés à la fraude aux prélèvements
obligatoires font l’objet d’une certaine clémence de la part des magistrats
qui débouche sur des peines relativement faibles par rapport aux peines
prévues dans la loi. Rien ne justifie cette situation et il paraît légitime,
ainsi que le reconnaît d’ailleurs le ministère de la justice, que la fraude
soit punie avec la même sévérité que les autres infractions financières.
L’amélioration de la situation actuelle ne passe sans doute pas par
une aggravation des peines encourues, telles qu’elles sont fixées par les
textes, dans la mesure où les causes de l’indulgence des juges, on l’a vu,
ne résident pas dans le plafonnement excessif de l’échelle des sanctions
pénales.
Si ces causes, comme l’hypothèse en a été émise, se trouvent dans
l’insuffisante appropriation par les magistrats judiciaires des questions
liées aux prélèvements obligatoires, c’est par la formation et par la
sensibilisation des magistrats qu’il faut essayer de faire évoluer les
comportements.
Une telle politique de sensibilisation doit donc être poursuivie sur
le long terme et passe par le renforcement de la formation au droit pénal
fiscal et au droit applicable en matière de travail dissimulé à l’Ecole
nationale de la magistrature. Cette action sur la formation initiale pourrait
être complétée par une série de manifestations organisées par les
administrations en charge du recouvrement au niveau national et au
niveau local : séminaires, journées de formation, stages de magistrats à la
direction générale des impôts ou dans les ACOSS, réalisation d’un guide
de la fraude disponible sur Internet,
newsletter
retraçant les évolutions
récentes de la législation et de la jurisprudence... Aucune piste ne doit être
négligée pour faire mieux prendre conscience aux magistrats de
l’importance de leur sévérité dans les affaires de fraude les plus graves.
Une circulaire du ministre de la justice, en outre, pourrait faire
connaître aux magistrats du siège, sans préjudice de l’indépendance dont
ceux-ci bénéficient, les principes qui peuvent guider le juge dans le choix
de la peine à infliger dans les affaires de fraude fiscale.
Chapitre IX– Renforcer l’Europe de la
lutte contre la fraude
En 1785, confrontés à une fraude massive sur un prélèvement de
l’époque – l’octroi, les fermiers généraux, alors chargés de collecter
l’impôt pour le compte de la monarchie, firent construire un mur autour
de Paris. Long de 24 kilomètres et doté de 64 bureaux d’octroi, ce mur
avait pour objectif d’obliger au paiement de l’octroi pour les
marchandises entrant dans Paris. Devenues très rapidement extrêmement
impopulaires auprès de la population parisienne, les barrières furent
attaquées et incendiées du 10 au 14 juillet 1789 et, en mai 1791, l’octroi
fût supprimé et l’entrée de Paris redevenait libre. L’heure n’était plus aux
murs…
Les Etats de l’Union européenne se trouvent aujourd’hui
mutatis
mutandis
dans une position qui s’apparente à celle des fermiers généraux.
Face
au
développement
d’une
fraude
transfrontalière,
tout
particulièrement en matière de TVA, chaque Etat est tenté de réagir de
façon isolée en mettant en place de nouvelles barrières pour empêcher le
départ frauduleux de ses bases fiscales.
Pourtant, ce sont les Etats européens eux-mêmes qui ont décidé, en
1986, de la suppression des murs et des barrières, tarifaires et surtout
douanières dans le cadre de la construction d’un grand marché unique
européen, au sein duquel les marchandises, les capitaux et les hommes
circuleraient librement. Ce projet est devenu, depuis 1993, une réalité
dont les économies européennes ont largement bénéficié.
238
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ainsi, le problème est aujourd’hui que cette suppression des
frontières pour les agents économiques, y compris les fraudeurs parmi
eux, ne s’est pas accompagnée d’une suppression concomitante des
différences dans les modes de fonctionnement nationaux et des
cloisonnements
des
administrations
en
charge
des
prélèvements
obligatoires dans les différents pays de l’Union européenne.
Et l’on se retrouve donc dans une situation paradoxale où la
frontière n’existe plus que pour ces administrations. Leur champ de
compétences et leurs prérogatives, aussi étendus qu’ils soient au niveau
national, restent étroitement circonscrits aux limites du territoire, tandis
que les fraudeurs peuvent circuler librement et organiser frauduleusement
leur activité économique et leurs flux de revenus entre différents Etats.
Faute d’une coordination et d’une coopération suffisante entre les
Etats, les frontières protègent ainsi les fraudeurs. Ce constat n’est pas
nouveau mais il prend une acuité particulière dans le cadre du marché
unique européen.
Il n’y a cependant pas de fatalité à cette situation et de plus en plus
d’Etats, de même que les institutions européennes, sont conscients de la
nécessité d’une réaction face au développement des différentes formes de
fraude transfrontalière. Le risque est néanmoins que, confrontés à ces
fraudes, les Etats réagissent en ordre dispersé et ne cherchent qu’à mettre
en place des solutions nationales. Outre que la validité juridique de ces
situations n’est pas évidente dans le cadre européen, cette attitude pourrait
conduire à remettre en cause certaines avancées et certains bénéfices liés
à la construction européenne.
C’est pourquoi il est urgent de mettre en place une réponse
commune face à la fraude. La difficulté vient du fait que, dans le domaine
fiscal comme dans celui qui touche à la sécurité sociale, l’unanimité est
requise pour la prise de décision. Compte tenu des enjeux, il n’est
cependant pas exclu d’arriver à mobiliser l’ensemble des Etats sur ces
sujets et la présidence française du Conseil, en 2008, constituera une
opportunité intéressante pour faire avancer ces sujets.
Aussi, après avoir expliqué pourquoi la coopération européenne est
la seule voie possible pour concilier la lutte contre la fraude avec
l’approfondissement du Marché intérieur, plusieurs propositions seront
avancées, tant dans le domaine fiscal qu’en matière de cotisations sociales
et de travail dissimulé, pour améliorer la coopération entre les
administrations européennes et aller plus loin dans le renforcement de la
coopération et de la solidarité entre les Etats en matière de lutte contre la
fraude.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
239
I
-
Le développement de la coopération est
indispensable pour concilier l’approfondissement
du marché unique avec les exigences de la lutte
contre la fraude
On a déjà vu comment la mise en place du marché commun avait
ouvert des opportunités de fraude pour les contribuables mal intentionnés
et que les administrations en charge du recouvrement des prélèvements
obligatoires avaient eu du mal à adapter leur mode de fonctionnement et
le niveau de leur coopération européenne à cette nouvelle réalité.
Or, la poursuite des réformes destinées à favoriser les échanges au
sein de l’Union européenne risque d’aggraver encore cette situation. En
effet, conformément à la mission qui lui est confiée par le traité sur
l’Union européenne, la Commission continue de lancer et de mettre en
oeuvre plusieurs projets destinés à faciliter, pour les entreprises, la
réalisation de leurs opérations au sein de l’Union européenne. Ces projets
s’appuient généralement sur la réduction des obligations préalables et des
formalités administratives nécessaires pour réaliser des opérations intra-
européennes. Dès lors, sans un réel accroissement de la coopération entre
les administrations européennes, l’adoption et la mise en oeuvre de ces
projets risquent de compliquer encore la tâche des administrations de
recouvrement.
Deux exemples en cours de discussion au niveau européen
illustrent parfaitement cette problématique : la mise en place d’un guichet
unique pour la TVA et la proposition de directive sur les services dans le
marché intérieur.
A - Le projet de guichet unique pour la TVA rendra
plus difficiles les contrôles à l’entrée du système
européen de TVA
La Commission européenne a fait de la simplification des
obligations fiscales des entreprises européennes une de ses priorités dans
le cadre de sa stratégie fiscale
152
. En particulier, en matière de TVA, la
Commission défend le principe du guichet unique comme un élément clé
de cette simplification. Actuellement, les entreprises qui exercent des
activités dans différents pays de l’Union sont soumises à autant
d’obligations déclaratives et de paiement différentes.
152) Voir notamment la communication n° COM (2003) 614 de la Commission
d’octobre 2003.
240
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pour réduire les coûts de gestion qui découlent de cette situation, la
Commission a proposé la mise en place d’un guichet unique pour les
assujettis à la TVA réalisant des opérations pour lesquelles ils sont
redevables de la taxe dans un Etat membre où ils ne sont pas établis.
Dans un tel système, ces entreprises pourraient s’immatriculer,
déposer leurs déclarations et demander le remboursement de la TVA dans
leur pays d’établissement pour les opérations réalisées dans un autre Etat
membre. Les informations seraient ensuite transmises par le pays
d’établissement à l’administration de l’Etat où la TVA est effectivement
due. Le paiement se ferait également dans le pays de consommation et
non dans le pays d’établissement.
La mise en place d’un tel guichet unique constituerait une
simplification pour les entreprises qui réalisent des opérations intra-
européennes sans nécessairement être implantées dans chacun de ces
Etats.
Pour autant, au regard de la lutte contre la fraude à la TVA,
l’existence d’un guichet unique suscite de nombreuses questions.
D’abord, il rendrait quasiment inopérants tous les systèmes destinés à
empêcher des fraudeurs potentiels de s’identifier à la TVA et d’utiliser un
numéro de TVA intracommunautaire. La France a peu utilisé cette
possibilité mais certains pays, comme le Royaume-Uni ont mis en place
un système de contrôle avant l’immatriculation pour éviter d’attribuer un
numéro de TVA intra-communautaire à des opérateurs susceptibles
ensuite de réaliser des opérations frauduleuses
153
. Avec le guichet unique,
cette vérification préalable avant l’attribution du numéro devient
pratiquement inopérante dans la mesure où il suffit pour un fraudeur de
créer fictivement une entreprise dans un Etat qui ne pratique pas ces
contrôles pour ensuite venir réaliser des opérations dans les pays de l’UE
depuis son pays d’origine.
D’une façon générale, la mise en place d’un guichet unique
réduirait, pour les administrations fiscales de l’Etat où la TVA est due,
leur niveau de connaissance directe des contribuables et leur capacité à
pratiquer un contrôle sur pièces dans la mesure où elles ne recevraient
plus directement les déclarations du redevable.
Ainsi, l’Etat membre de
consommation resterait responsable de la vérification des déclarations, de
l’application de ses propres règles et du recouvrement de la taxe, alors
même que l’essentiel des formalités administratives serait réalisé dans un
153) Le numéro de TVA intracommunautaire constitue en effet un « sésame »
indispensable pour les fraudeurs car il s’agit d’une condition indispensable pour
pouvoir ensuite réaliser des opérations économiques intracommunautaires avec
d’autres opérateurs immatriculés.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
241
autre
Etat.
Le
système
nécessiterait
au
demeurant
d’importants
investissements informatiques pour mettre en place une base de données
performante concernant les déclarations.
Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la pertinence ou l’intérêt du
système de guichet unique tel qu’il est proposé par la Commission
européenne. Néanmoins, il convient de noter que ce système, qui fait
l’objet d’un « paquet » de mesures fiscales actuellement en discussion
devant le Conseil des ministres, risque de réduire encore la capacité des
administrations fiscales à mener des contrôles efficaces en matière de
TVA, ce qui plaide donc pour un renforcement important de la
coopération entre administrations au sein de l’Union européenne.
B - Le problème de la fraude au détachement et le
projet de directive sur les services
Dans le domaine social, les difficultés d’adoption de la directive
sur les services dans le marché intérieur, dite directive BOLKENSTEIN,
illustrent également la tension entre la volonté de progresser dans
l’intégration économique européenne et la nécessité des Etats de procéder
à des contrôles pour garantir leurs recettes.
Avant même la discussion sur ce projet, la Cour de justice des
communautés européennes avait, selon la Commission, très strictement
encadré les mesures de contrôle que les Etats membres pouvaient mettre
en oeuvre pour s’assurer que les détachements de salariés sur leur
territoire,
correspondaient
bien
aux
dispositions
de
la
directive
96/71/CE
154
.
En effet, la Cour de justice, qui a toujours reconnu le bien-fondé de
mesures de contrôles pour vérifier le respect des exigences de la directive
sur le détachement, s’est également attachée à vérifier, dans sa
jurisprudence, que les Etats n’adoptaient pas des restrictions injustifiées
et disproportionnées par rapport au principe de libre prestation de
services.
154) On rappellera que la fraude au détachement international ne correspond pas
nécessairement à du travail dissimulé mais qu’elle en est souvent un vecteur.
242
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ainsi, la Cour de justice a jugé que l’exigence d’avoir une
succursale sur le territoire national constituait «
la négation même de la
libre prestation de services
155
»
. De même, elle a, de manière constante,
interdit de subordonner à une autorisation préalable l’exercice de
prestations de services dans un Etat membre par une entreprise implantée
dans un autre Etat membre, à l’exception de certaines activités
réglementées ou de motifs impératifs d’intérêt général
156
.
Certaines formalités sont néanmoins admises, comme la possibilité
de soumettre l’exercice d’une prestation de services à une déclaration
préalable à des fins d’information des autorités du pays d’accueil. La
Cour admet également qu’il soit exigé du prestataire qu’il tienne certains
documents sociaux (registre du temps de travail, documents relatifs aux
conditions de santé et de sécurité) à disposition des autorités de contrôle
du territoire d’accueil en un lieu accessible et clairement identifié.
Cependant, elle a précisé que cette exigence était valide, «
faute,
notamment, d’un système organisé de coopération ou d’échange
d’informations entre Etats membres, tel que prévu à l’article 4 de la
directive 96/71/CE
157
»
.
De plus, la Cour a fortement limité la portée de cette possibilité en
estimant qu’il n’était pas acceptable que les documents de sécurité sociale
puissent être exigés, dans la mesure où ils font l’objet d’une procédure
spécifique dans le pays d’origine, conformément au règlement n°1408/71
(cf.
supra
). Il n’est donc pas possible, lors d’un contrôle, de vérifier
directement l’affiliation des travailleurs détachés à la sécurité sociale de
leur
pays
d’origine,
dans
la
mesure
l’employeur
n’a
pas
nécessairement à conserver les documents correspondants dans le pays où
il réalise la prestation de services.
Néanmoins, comme la Commission l’a rappelé dans une
communication d’avril 2006, la jurisprudence de la Cour continue de
s’appliquer et fixe un cadre assez restrictif
pour l’exercice de mesures de
contrôles afin d’éviter des fraudes liées au détachement international.
Dans ce contexte, le développement de la coopération entre les services
de contrôle au niveau européen apparaît d’autant plus indispensable.
155) CJCE, affaire C-279/00,
Commission c. République italienne,
arrêt du 7 février
2002, point 18.
156) CJCE, affaire C-43/91,
Raymond Vander Elst c. Office des migrations
internationales
, arrêt du 9 août 1994.
157) CJCE, affaires jointes C-369/96 et 376/96,
Ministère public c. Jean-Claude
Arblade et autres,
arrêt du 23 novembre 1999.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
243
II
-
Dans le domaine fiscal, aller plus loin dans la
coopération et la solidarité entre Etats
Le principal sujet de discussions au niveau européen en matière de
fraude
concerne
aujourd’hui
la
TVA.
Face
au
constat
d’un
développement préoccupant de cette fraude, plusieurs pistes de solutions
sont évoquées qui vont d’une simple adaptation à une remise en cause
profonde du système européen de TVA en vigueur depuis pratiquement
trente ans.
Les solutions « maximalistes » ne semblent cependant pas capables
de véritablement régler les problèmes actuels, ce qui conduit le conseil
des
prélèvements
obligatoires
à
insister
sur
l’importance
d’un
renforcement sensible de la coopération entre les administrations fiscales
des Etats et à avancer différentes propositions dans ce sens.
A - La remise en cause du système actuel de TVA doit
être évitée
Des propositions ont été avancées par certains Etats membres pour
lutter contre la fraude à la TVA. Ces propositions visent notamment à
développer des systèmes d’auto-liquidation de la TVA en lieu et place du
système actuel de paiements fractionnés. De son côté, la Commission
propose la mise en place du régime de TVA repoussé par les Etats en
1993 (« régime définitif »). Enfin, une autre piste consisterait à renforcer
les conditions de participation au commerce intra-communautaire en
mettant en place un système d’opérateurs agréés.
Néanmoins, pour des raisons différentes, aucune de ces pistes ne
semble apporter une réelle solution au problème de la fraude.
244
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
1 -
Le développement de l’auto-liquidation présente des risques
L’Allemagne et l’Autriche ont exprimé leur souhait, pour lutter
contre la fraude intra-communautaire à la TVA, de substituer au régime
de droit commun de la 6
ème
directive un mécanisme d’auto-liquidation
pour les transactions internes au-delà d’un certain montant
158
.
En fait, la proposition allemande revient à ce que toutes les
opérations d’un montant supérieur à 5 000 € et réalisées entre assujettis
ne fassent plus l’objet d’un paiement de TVA, du fait de l’auto-
liquidation. Seuls les assujettis qui vendent à des consommateurs finaux
seraient réellement collecteurs de la taxe. Les transactions supérieures à
5 000 € entre assujettis seraient assorties d’une obligation mensuelle de
déclaration électronique, détaillée opération par opération pour permettre
la surveillance du seuil, et recoupée avec la déclaration d’auto-liquidation
des clients (à l’image du dispositif de contrôle intracommunautaire). Ce
gigantesque outil de suivi des opérations commerciales entre entreprises,
presque en temps réel, s’appuierait sur une méthodologie de gestion du
risque censée trier entre les inévitables anomalies de recoupement et les
discordances révélatrices de fraude.
Cette proposition supprime la possibilité de mettre en place des
circuits de fraude de type carrousel. En effet, à partir du moment où les
entreprises collectent et déduisent la TVA de façon concomitante, le
principal ressort de la fraude carrousel, c’est-à-dire la possibilité de
déduire une TVA qui n’a pas été encaissée, disparaît. L’auto-liquidation
ciblée peut donc constituer une réponse appropriée pour des secteurs où
les entreprises en bout de chaîne sont considérées comme plus vertueuses
que les entreprises en début de chaîne. Dans ce cas, le fait de reporter la
collecte de la taxe en bout de chaîne génère peu de risque, moins en tout
cas que le système classique de TVA.
Néanmoins, si cette proposition constituerait incontestablement un
moyen d’éviter les fraudes carrousels, elle présente de sérieux
inconvénients.
158) Liquidation de la taxe non plus par le vendeur ou le prestataire, mais par le client
s’il est lui-même assujetti. Le même client ayant, en règle générale, le droit de déduire
la taxe ainsi « auto liquidée », il n’a de fait aucune taxe à reverser à l’Etat. Ne sont
donc plus collecteurs effectifs que les assujettis qui s’adressent à des consommateurs
finaux.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
245
D’abord, l’auto-liquidation généralisée remplace le mécanisme
actuel des paiements fractionnés par un mode de recouvrement au niveau
des opérateurs qui vendent aux consommateurs finaux. Or, il n’est pas
évident qu’il soit plus facile de contrôler la TVA à ce niveau plutôt qu’au
niveau des opérateurs actuels.
En effet, aujourd’hui, 80 % de la TVA est payée par moins de
10 % des assujettis et les administrations peuvent donc contrôler
efficacement l’essentiel de leurs recettes de TVA, même si une fraude
importante se développe à la marge. Comme l’indique la Commission
européenne, dans sa réponse à la demande allemande, «
l’application de
l’auto-liquidation généralisée signifierait que la taxe serait perçue par un
groupe nettement plus important d’assujettis, ce qui compliquerait
d’autant le contrôle
159
».
En fait, le système d’auto-liquidation revient à transformer la TVA
en un impôt proche de la
sales tax
américaine. Or, les estimations de la
fraude sur cette taxe sont très élevées, jusqu’à 40 % du montant théorique
à
collecter
160
.
L’option
proposée
risque
ainsi
de
favoriser
le
développement des ventes dissimulées, de même que la tentation de
disparaître pour la dernière entreprise de la chaîne de livraison.
Le système de suivi électronique des transactions, proposé pour
pallier ces difficultés, risque de ne pas être suffisamment efficace. Il est
en effet permis d’être extrêmement sceptique sur la capacité du système
proposé à maîtriser les incohérences statistiques inévitables dans le
traitement des données reçues. De plus, on peut s’interroger sur la
capacité technique et politique des services de contrôle à assurer une
pression suffisante sur le commerce de détail dont la tentation d’éluder
une partie de son chiffre d’affaires taxable ne sera plus amortie par la
déduction de la taxe d’amont
161
.
159) Commission européenne,
Communication au Conseil conformément à l’article
27, paragraphe 3, de la directive 77/388/CE
, juillet 2006. La Commission a rejeté les
demandes allemandes et autrichiennes.
160) Voir W. Fox et M Murray. “
Sales Taxation in a Global Economy
”. Dans
l’ouvrage de James Alm, Jorge Martinez-Vasquez et Sally Wallace,
Taxing the Hard-
to-Tax
. Elsevier, 2004.
161) Le danger est encore plus fort concernant les demandes de l’Autriche qui
revendique la liberté de généraliser l’auto liquidation au delà d’un seuil un peu plus
élevé, mais sans s’encombrer d’obligations déclaratives supplémentaires.
246
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ensuite, le système proposé soulève de nombreuses questions
techniques – coûts administratifs, nouvelles contraintes pour les
entreprises
162
, complexité tenant à la gestion du seuil de 5 000 €, effet
négatif de trésorerie pour l’Etat l’année de la mise en oeuvre – même si
ces questions ne concerneraient que l’Etat qui choisirait le nouveau
système.
On peut également noter que, pour les entreprises, la situation
pourrait devenir extrêmement complexe dans la mesure où les assujettis
relèveraient de trois régimes de TVA différents : le système interne
normal de TVA, le système de l’auto-liquidation pour les livraisons entre
entreprises et le système intracommunautaire.
Enfin, l’auto-liquidation comporte une menace de transfert de la
fraude vers les Etats qui n’adhéreraient pas au nouveau système. En effet,
alors que les administrations nationales sont aujourd’hui motivées à
surveiller l’exonération applicable aux livraisons intra-communautaires,
pour se protéger contre le risque de déductions abusives au titre de la taxe
d’amont, l’effacement de l’essentiel de cette taxe, en cas d’auto-
liquidation, les inciterait naturellement à reporter leur effort sur les
opérations intérieures. Il s’en suivrait inévitablement une dégradation de
la fiabilité des informations de recoupement transmises aux Etats
partenaires qui faciliterait chez eux les fraudes de type carrousel.
Certains
Etats
appliquent
cependant
déjà
des
mécanismes
d’autoliquidation qu’ils réservent à certains secteurs ciblés bien précis.
Ainsi, ce mécanisme est déjà appliqué au sein de l’Union européenne : en
France pour le secteur des déchets, en Allemagne et en Autriche pour le
secteur du nettoyage, aux Pays-Bas pour le secteur du textile. De même,
la loi de finances pour 2006 prévoit que, lorsque le prestataire ou le
vendeur n’est pas établi en France, il y aura auto-liquidation des
opérations internes. Ce dispositif est entré en vigueur au 1
er
septembre
2006. Dans ce cadre, le Royaume-Uni a également déposé une demande
pour appliquer les mécanismes d’auto-liquidation à certains secteurs
faisant l’objet d’importantes fraudes carrousels comme les téléphones
mobiles ou les composants électroniques.
162) Le patronat allemand est apparu jusqu’à présent très réservé, en raison des
contraintes déclaratives et de l’insécurité juridique détectée sur les conditions
d’exonération du vendeur ou du prestataire.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
247
2 -
Le passage au régime permanent évoqué par la Commission
ne résoudrait pas nécessairement les difficultés
Si l’auto-liquidation n’apparaît pas comme une réponse pertinente
au problème de la fraude à la TVA intracommunautaire, on peut
s’interroger sur l’opportunité de mettre en place le régime définitif de
TVA proposé par la Commission en 1993. Dans sa communication sur la
fraude
de mai 2006, celle-ci rappelle que «
le régime définitif de TVA
auquel ont souscrit les instances communautaires serait susceptible
d'apporter des réponses à ces faiblesses ainsi qu'à certains types de
fraude
».
En effet, le régime définitif prévoit la taxation des échanges
intracommunautaires dans le pays du domicile fiscal de l’exportateur
(principe du pays d’origine). Il n’y a donc plus, dans ce système, de
marchandises qui circulent en suspension de TVA dans le cadre des
échanges intracommunautaires puisque la TVA est acquittée dès que la
marchandise
sort
de
l’entreprise
qui
réalise
la
livraison
intracommunautaire. Ainsi, le risque d’une disparition de la marchandise
(qui sera ensuite écoulée sur des marchés parallèles sans TVA) ou encore
le risque de carrousel diminue.
Pour autant, cette vision apparaît relativement optimiste. En effet,
le régime définitif ne supprime pas toute possibilité de fraude. Au
contraire, il fait naître un nouveau risque dans la mesure où les Etats
doivent accepter les déductions de TVA sans qu’ils soient nécessairement
sûrs qu’elle a bien été acquittée dans le pays de départ des marchandises.
Ainsi, le risque d’autoriser des déductions de TVA injustifiées ne
disparaît pas avec le régime définitif mais il n’intervient plus au sein d’un
seul et même pays mais entre deux Etats différents. C’est-à-dire que
l’opérateur défaillant (la « société-taxi »), au lieu d’être implanté dans le
même pays que l’entreprise qui bénéficie de la déduction indue serait
désormais implanté dans un autre Etat et donc, potentiellement, plus
difficile à contrôler. Néanmoins, l’ampleur de la fraude serait moins
importante, dans la mesure où, par le jeu de la chaîne des
taxations/déductions, la fraude ne porterait que sur la marge, c’est-à-dire
la différence entre la TVA collectée et la TVA déduite.
248
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ce risque de fraude est d’ailleurs une des raisons qui ont conduit
les Etats membres à repousser
sine die
l’entrée en vigueur du régime
définitif
163
.
Toutefois, des solutions nouvelles se font jour grâce aux
possibilités offertes par les technologies de l’information et de la
communication. En effet, dès lors qu’elle serait fiabilisée, tant dans ses
conditions de dépôt que par l’engagement de la responsabilité de l’Etat
d’origine
164
, la déclaration d’échange de biens pourrait servir à la fois de
garantie que le droit à déduction dans l’Etat de destination répond à une
taxation effective dans l’Etat d’origine, et de support au remboursement
dû par le second Etat au premier. Cette solution permettrait d’éviter le
risque de fraude lié au passage au régime définitif tout en se plaçant dans
le prolongement direct des améliorations envisagées du système existant.
3 -
Un système d’opérateurs agréés ne semble pas compatible
avec la volonté de simplifier les opérations fiscales des entreprises
Le point d’entrée pour mettre en place une fraude à la TVA
intracommunautaire est de disposer d’un numéro d’identification. En
effet, ce numéro permet de recevoir en franchise de droits des
marchandises en livraison intracommunautaires. Pour une « société-taxi »
impliquée dans un carrousel de TVA, il est donc indispensable de
disposer de ce numéro pour pouvoir recevoir des livraisons intra-
communautaires, revendre ces biens à une autre entreprise qui déduira la
TVA correspondante, puis disparaître sans avoir acquitté la TVA due au
titre de l’opération intra-communautaire.
C’est pourquoi certains Etats ont mis l’accent sur les contrôles
préalables avant l’attribution du numéro pour détecter les entreprises à
risque
et
les
empêcher
de
pouvoir
réaliser
des
échanges
intracommunautaires.
On pourrait envisager de poursuivre dans cette direction et de
renforcer considérablement les obligations préalables à l’obtention du
numéro, ce qui reviendrait
de facto
à mettre en place un système
d’opérateurs agréés à participer au commerce intracommunautaire.
Ainsi
seules les entreprises qui répondraient à certaines conditions voire
produiraient des garanties spécifiques seraient autorisées à réaliser des
livraisons et des acquisitions intracommunautaires.
163) Il ne s’agit pas de la seule raison. Le régime définitif entraînerait également une
redistribution importante des recettes de TVA entre Etats et obligerait donc, pour
conserver les niveaux actuels, à mettre en place une forme de redistribution dont les
contours et les modalités pratiques sont apparus complexes à définir.
164) Cf. proposition
infra
en matière de responsabilité partagée.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
249
Une telle proposition a pu être avancée pour « verrouiller » l’entrée
dans le système de commerce intra-européen et faire la part, en amont,
entre les entreprises honnêtes et les fraudeurs potentiels.
Cependant, cette piste apparaît difficile à concilier avec le principe
fondateur de libre circulation des marchandises, prévu dans les traités
européens ainsi qu’avec l’objectif de simplification et de facilitation des
formalités administratives des entreprises. Ses chances d’adoption
apparaissent donc très limitées.
B - Le renforcement de la coopération et de la
responsabilité entre les Etats membres
Au-delà des propositions qui ont été présentées ci-dessus, la
réponse des Etats membres face au risque de fraude à la TVA a été
essentiellement apportée au niveau national. Ainsi, en France, plusieurs
dispositions législatives sont venues, au cours des années récentes,
renforcer les moyens juridiques de la DGI de contrôler et sanctionner les
organisateurs d’une fraude de type carrousel
165
.
Par exemple, la loi de finances rectificative pour 2006 autorise
désormais l’administration fiscale à :
remettre en cause le droit à déduction exercé par un acheteur
lorsqu’il est établi que cet acheteur participait sciemment par
son achat à une opération de fraude à la TVA ;
remettre
en
cause
l’exonération
de
la
livraison
intracommunautaire lorsqu’il est établi que le fournisseur
savait, ou ne pouvait ignorer, que le destinataire présumé
n’avait pas d’activité réelle ;
rendre les entreprises clientes, qui participent en connaissance
de cause à la chaîne frauduleuse, solidairement responsables du
paiement de la TVA collectée qui a été éludée par les
fournisseurs directs ou indirects.
165) Par exemple, l’article 90 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 portant loi
de finances rectificative pour 2005, qui introduit dans le LPF un article L. 16 D165
aux termes duquel :
« Les opérations réalisées ou facturées par les redevables de la
taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime simplifié de liquidation des taxes sur le
chiffre d'affaires prévu à l'article 302 septies A du code général des impôts peuvent
faire l'objet d'un contrôle à compter du début du deuxième mois suivant leur
réalisation ou leur facturation, dans les conditions prévues aux articles L. 47 à L. 52
A, à l'exception des articles L. 47 C et L. 50 (…) ».
250
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pour autant, l’adoption de dispositions strictement nationales ne
sera pas suffisante pour régler le problème et il apparaît clairement que la
priorité doit être donnée au développement de la coordination et au
renforcement de la responsabilité partagée des Etats membres.
Cette préoccupation est au demeurant désormais partagée par les
institutions européennes. En avril 2006, dans sa communication sur la
fraude, la Commission indique ainsi que «
la fraude pourrait être mieux
maîtrisée par une action conjuguée de la Commission et des Etats
membres et par une organisation efficace et moderne accompagnée d’une
coopération forte et rapide entre les Etats membres et, le cas échéant,
l’OLAF sur la base d’instruments juridiques appropriés
166
».
De même, le
Conseil ECOFIN, lors de sa réunion du 28 novembre 2006, a reconnu le
besoin urgent d’établir une stratégie contre la fraude au niveau de
l’Union.
Les propositions qui suivent vont dans ce sens. Il convient de
garder à l’esprit qu’elles nécessiteraient l’accord de l’ensemble des Etats
de l’Union sans exception pour pouvoir être mises en oeuvre.
1 -
Développer les outils de la coopération actuelle
Comme cela a été rappelé précédemment, les bases juridiques de la
coopération entre Etats ont été sensiblement renforcées au cours des
années récentes, si bien que l’amélioration de la coopération ne passe pas,
au moins à court terme, par des changements dans les textes mais par des
solutions pratiques et un engagement fort de la part des Etats.
a)
Fixer des objectifs précis en matière de coopération et en assurer
le suivi au niveau politique
La
coopération
entre
les
administrations
fiscales
souffre
aujourd’hui de délais de réponse trop longs et d’un certain manque
d’implication des administrations fiscales des Etats.
C’est pourquoi il est proposé la mise en place d’un meilleur suivi
par la Commission de quelques indicateurs clés en matière de coopération
administrative et notamment, le délai moyen de réponse aux demandes
d’assistance administrative ou encore le nombre de contrôles simultanés
réalisés. Ces indicateurs pourraient être mis en place, avec des objectifs
précis, dans le cadre du renouvellement du programme FISCALIS pour la
période 2007-2013. L’évolution de ces indicateurs pourrait ensuite faire
166) Commission européenne,
Communication sur la nécessité de développer une
stratégie coordonnée en vue d’améliorer la lutte contre la fraude fiscale
, op. cit.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
251
l’objet d’une présentation périodique par la Commission devant le conseil
ECOFIN et d’une discussion des ministres sur ce sujet.
b)
Renforcer et développer les systèmes informatiques facilitant les
échanges d’information
La modernisation du système VIES a déjà été annoncée comme
une des priorités de la Commission (cf.
supra
). On a vu que le délai
d’actualisation du système est trop long : il faut près de six mois pour que
la base de recoupement entre Etats membres, c’est-à-dire la base de
données qui permet de confronter les déclarations de livraisons et
d’acquisitions intra-communautaires, soit mise à jour.
Une grande partie de ce délai est due à la nécessité de re-saisir
dans VIES les déclarations d’échanges de biens envoyées par les
entreprises sous format papier.
Il est donc proposé, dans le cadre de la refonte du système VIES
d’obliger les opérateurs réalisant des opérations intracommunautaires
d’adresser leur déclaration d’échanges de biens uniquement sous format
électronique, de façon à accélérer leur intégration dans la base et donc
leur exploitation afin de détecter d’éventuelles anomalies.
Par ailleurs, la mise en place d’un fichier communautaire des
opérateurs défaillants pourrait permettre d’éviter que certains fraudeurs
ayant exploité des schémas de fraudes dans un Etat membre ne
s’installent dans un autre Etat pour reprendre leurs activités frauduleuses.
Plus généralement, on constate qu’une partie de l’assistance
administrative consiste simplement à interroger une administration fiscale
sur la situation d’un contribuable. Pour y répondre, l’administration
fiscale concernée n’a parfois qu’à consulter ses bases de données
nationales. Il pourrait donc être utile d’envisager la possibilité d’accélérer
la procédure de demande d’assistance en facilitant l’accès aux fichiers
nationaux des administrations fiscales étrangères.
Ces deux propositions posent cependant de nombreuses difficultés,
non seulement techniques mais aussi juridiques, notamment concernant la
protection des données individuelles. C’est pourquoi la mise en place
d’un groupe de travail sous l’égide de la Commission apparaît comme un
préalable indispensable avant d’envisager de s’engager dans cette voie.
252
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
2 -
Aller plus loin dans la responsabilité partagée entre les Etats
membres en matière de lutte contre la fraude
Au-delà de la démarche de coopération dont les bases juridiques
existent déjà mais pour laquelle les administrations fiscales doivent
s’engager plus fortement, il est apparu nécessaire d’avancer des
propositions plus ambitieuses, compte tenu des enjeux importants
auxquels l’Union et ses membres sont aujourd’hui confrontés.
En effet, dans un contexte où les échanges européens sont de plus
en plus faciles et rapides et où les contribuables malhonnêtes ont
parfaitement intégré cette évolution, il est indispensable que les Etats
membres dépassent les clivages nationaux habituels en matière de
fiscalité et s’engagent dans une intégration de plus en plus étroite du
fonctionnement de leurs administrations fiscales.
a)
En matière de TVA intracommunautaire, mettre en place une
responsabilité partagée entre le pays de destination et le pays
d’origine
Dans un schéma de fraude « carrousel »
à la TVA, les Etats sur le
territoire desquels se déroule la fraude ne sont pas affectés de la même
façon. En effet, c’est l’Etat de destination qui est la victime du schéma de
fraude puisque la TVA normalement due ne va pas être versée par la
« société-taxi » tandis que son client va bénéficier de la possibilité de
déduire le montant de la taxe éludée de la TVA qu’il a lui-même
collectée.
En revanche, pour l’Etat d’origine, d’où est partie la livraison
intra-communautaire, la fraude n’a pas de conséquences. A la rigueur, si
le schéma de carrousel vise à diminuer artificiellement le prix d’un
produit, les consommateurs de l’Etat d’origine, où la marchandise
reviendra
in fine
,
vont même bénéficier de la baisse de prix engendrée par
la fraude.
Ce constat ne vaut que si l’on est bien dans une configuration de
« carrousel ». Néanmoins, il est tout à fait possible que l’opérateur de
départ, dans le pays d’origine ne soit pas impliqué dans la fraude qui ne
concerne alors que la « société taxi » et son client. Dans ce cas, cet
opérateur aura envoyé une déclaration d’échanges de biens. Comme
a
priori
, la « société-taxi » n’enverra pas, de son côté, cette déclaration,
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
253
l’administration du pays de destination est théoriquement à même de
détecter l’anomalie et d’intervenir
167
.
En revanche, si l’opérateur du pays d’origine est complice de la
fraude, il est probable qu’il n’aura pas envoyé de déclarations d’échanges
de biens pour ne pas éveiller les soupçons du pays de destination.
L’absence de cette formalité pourtant obligatoire n’entraîne en effet
quasiment aucune sanction aujourd’hui.
Il est donc proposé de faire de l’absence de déclaration d’échanges
de biens un motif de retrait de l’exonération de TVA dont a bénéficié
l’expéditeur des biens et de mettre en place une solidarité financière pour
que la TVA correspondante soit ensuite reversée au pays de destination
qui a été victime de la fraude.
Dans ce schéma, si un Etat constate qu’il a été victime d’une
fraude de type carrousel, il procède à une vérification des déclarations
d’échanges de biens. Si celle de l’opérateur situé dans le pays d’origine
n’a pas été envoyée, l’Etat de destination peut alors saisir l’Etat d’origine
pour qu’il revienne sur l’exonération accordée initialement, applique donc
le taux normal de TVA puis reverse les montants concernés à l’Etat de
destination.
Il est donc proposé de mettre en place une responsabilité partagée
entre les Etats en matière de TVA intracommunautaire sur la base du
respect de l’obligation de dépôt de la déclaration d’échanges de biens.
Ainsi, en cas de fraude et d’absence de la déclaration correspondante, le
pays victime de la fraude pourra se retourner vers le pays d’origine pour
obtenir une réparation. Celui-ci récupérera les montants concernés en
revenant sur l’exonération de TVA qu’il avait accordée à l’exportateur.
Cette proposition ne règlerait pas tous les problèmes liés à la
fraude à la TVA intra-communautaire mais constituerait néanmoins une
avancée significative dans la mise en place de l’Europe de la lutte contre
la fraude.
b)
Mettre en place une structure d’alerte et d’échanges de
renseignements au niveau européen
L’essentiel de la coopération administrative passe aujourd’hui par
des bureaux de liaisons prévus dans les directives relatives à la
coopération fiscale. Afin de renforcer l’efficacité de la coopération entre
les administrations, la mise en place d’une structure européenne de
167) On a vu cependant que les problèmes de la base VIES rendent cette
confrontation entre les deux DEB trop tardive pour être véritablement utile.
254
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
coordination pourrait être envisagée, dans l’esprit de ce qui existe en
matière de police avec EUROPOL ou en matière de justice avec
EUROJUST.
Cette structure pourrait ainsi être chargée d’accélérer les échanges
d’informations entre les administrations fiscales. Elle serait composée
d’agents de chacune des administrations fiscales des Etats membres.
Elle pourrait notamment gérer la base de données relative aux
opérateurs défaillants proposée plus haut et également interroger les bases
de données nationales pour le compte des services de contrôle d’un autre
pays. Cette structure pourrait également être le point nodal d’un réseau
d’alerte en matière de fraude à la TVA permettant, lorsqu’une anomalie a
été détectée dans un Etat, de relayer très rapidement l’information dans
les services opérationnels pour éviter que les fraudeurs ne disparaissent.
Cette structure pourrait également servir de poste de coordination
pour la préparation et le suivi des opérations de contrôles simultanés, en
fournissant des propositions de contrôles, des analyses opérationnelles et
en assurant la mutualisation des informations et des résultats.
Enfin, cette structure pourrait être chargée de mener des études sur
les grandes tendances de fraude constatées au sein de l’Union et de mettre
en commun les bonnes pratiques mises en oeuvre dans chaque Etat pour
essayer d’y répondre.
III
-
Accélérer la mise en place d’un cadre
commun de coopération pour les administrations
sociales
En matière de travail dissimulé, la prise de conscience d’une
nécessité d’agir au niveau européen est plus récente que dans le domaine
fiscal où les premières bases avaient été mises en place dès les années
1970. En effet, les phénomènes de détachements illégaux ou de
« fausses » prestations de services transnationales, même s’ils peuvent
exister depuis longtemps, notamment dans les zones frontalières, ont
commencé à prendre de l’ampleur à partir de l’ouverture des frontières,
en 1993, et ont probablement connu une accélération avec l’entrée dans
l’Union des nouveaux Etats membres issus de l’Europe centrale et
orientale en 2004.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
255
On a vu que, comme en matière de fiscalité, les institutions
européennes et les Etats membres étaient confrontés à deux exigences
assez contradictoires : renforcer l’intégration économique au sein du
marché intérieur mais aussi, dans le même temps, disposer de moyens de
contrôles suffisants pour faire respecter la législation nationale en matière
de droit du travail et de cotisations sociales. Seule une coopération
administrative plus forte entre les Etats permettra véritablement de sortir
de ce dilemme.
Celle-ci
pourrait
être
renforcée
à
partir
de
deux
axes :
l’amélioration
de
la
coopération
administrative
en
matière
de
détachement et la mise en oeuvre du nouveau règlement sur la
coordination des régimes de sécurité sociale.
A - Améliorer la coopération et l’échange
d’informations entre administrations européennes en
matière de détachement transnational
La question du détachement et de la libre prestation de services
concentre
aujourd’hui
l’essentiel
des
difficultés
en
matière
de
coordination européenne dans la lutte contre la fraude, qu’il s’agisse
d’une fraude au détachement
stricto sensu
ou d’une infraction de travail
dissimulé s’appuyant sur un détachement.
Le texte de la directive sur les services ayant été définitivement
adopté en décembre 2006 par le Parlement et le Conseil, l’enjeu porte
désormais sur la coopération entre administrations nationales. Plusieurs
mesures en ce sens sont présentées ici.
Le bilan tiré tant par la Commission européenne que par d’autres
acteurs sur la coopération des administrations européennes dans ce
domaine est clairement négatif.
Pour améliorer cette situation, il semble nécessaire d’impliquer
davantage les administrations concernées. Pour cela, il pourrait être
intéressant de modifier la directive 96/71/CE pour y développer la partie
relative aux échanges entre les administrations.
Actuellement, c’est l’article 4 de la directive précitée qui fixe le
cadre de la coopération en matière de détachement. Il prévoit la mise en
place de bureaux de liaison – en France, la DILTI – ainsi qu’une
coopération qui «
consiste en particulier à répondre aux demandes
d'informations motivées de ces administrations publiques relatives à la
mise à disposition transnationale de travailleurs, y compris en ce qui
concerne des abus manifestes ou des cas d'activités transnationales
présumées illégales
».
256
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Il pourrait être proposé de préciser et de développer les modalités
de cette coopération dans une nouvelle directive modificatrice. En
particulier, sur le modèle de ce qui a été mis en place dans le domaine
fiscal, un délai maximal de trois mois pourrait être imposé à la réponse à
une demande de renseignements d’un autre Etat membre. De même, la
possibilité de détacher un fonctionnaire dans l’administration du pays
d’établissement de l’entreprise prestataire pourrait également être
autorisée.
Enfin, le programme de coopération des administrations de
contrôle serait également de nature à favoriser les échanges entre les
administrations concernées.
B -
Préparer la mise en oeuvre du nouveau règlement
sur la coordination des organismes de sécurité sociale
1 -
Appuyer l’initiative de la Commission pour la mise en place
du réseau informatisé d’échanges d’information
Le règlement n°883/2004, adopté par le Parlement et le Conseil,
fixe le nouveau cadre de coordination des organismes de sécurité sociale
au sein de l’Union européenne. Ce nouveau règlement, officiellement en
vigueur, ne sera toutefois opposable qu’avec l’adoption d’un règlement
d’application dont un premier projet a été présenté en janvier 2006. Son
application effective est donc prévue pour 2009 ou 2010.
Le nouveau règlement vise essentiellement à définir les procédures
concrètes de la coordination entre institutions de sécurité sociale de façon
à ce que les citoyens puissent pleinement bénéficier de leurs droits
sociaux au sein de l’Union européenne. Il comporte néanmoins certaines
dispositions intéressantes pour renforcer les échanges et la coopération
qui pourraient faciliter la lutte contre la fraude aux cotisations sociales.
Pour préparer la mise en oeuvre de ces nouveaux textes, il est
proposé de soutenir très fortement dès aujourd’hui l’initiative de la
Commission pour la mise en place du réseau d’échanges informatisés
entre les organismes européens de sécurité sociale. La mise en place de ce
réseau représentera en effet un projet de grande ampleur et il paraît donc
souhaitable que, sans attendre l’adoption du règlement d’application du
règlement n°883/2004, les Etats préparent son entrée en vigueur en
lançant ce chantier.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
257
2 -
Développer les échanges et les coopérations bilatérales dans le
nouveau cadre
En parallèle de la mise en place du nouveau cadre de coordination,
il faudrait travailler au resserrement des liens entre les différents acteurs
impliqués dans la lutte contre la fraude aux cotisations sociales au niveau
européen. Pour développer cette culture administrative commune, outre
les propositions qui ont déjà été avancées, on peut envisager la mise en
place d’un programme de coopération sur le modèle du programme
FISCALIS dans le domaine fiscal.
Ce
programme
serait
financé
par
l’Union
européenne
et
concernerait les fonctionnaires chargés des contrôles en matière de
cotisations sociales et de travail dissimulé, c’est-à-dire, pour la France,
principalement les agents des URSSAF et les inspecteurs du travail. Ce
programme pourrait comporter des offres de formation à la législation des
différents Etats membres, l’organisation de séminaires sur des thèmes
communs et en vue de la mutualisation de bonnes pratiques ou encore des
échanges de fonctionnaires. Il viendrait ainsi compléter le réseau
européen de lutte contre le travail dissimulé (cf.
supra
) et diffuser aux
services de terrain une culture européenne plus fournie.
Enfin, pour compléter les règles actuellement en vigueur et
renforcer l’implication de nos partenaires dans la lutte contre le travail
dissimulé, la conclusion d’accords bilatéraux apparaît comme un outil
intéressant. Les services du ministère de l’emploi et de la cohésion
sociale ont ainsi élaboré un projet d’accord-type bilatéral en matière de
lutte contre le travail illégal. Cet accord-type, amendé le cas échant pour
tenir compte des spécificités nationales, a vocation à être signé au niveau
bilatéral entre la France et ses partenaires européens. Il prévoit la
possibilité d’opérer des signalements entre organismes de sécurité sociale
et de procéder à des vérifications d’immatriculations transnationales.
Par ailleurs, des accords bilatéraux en matière d’entraide
administrative sont proposés par le ministère chargé des affaires sociales.
Ces accords visent notamment à faire reconnaître le principe de
l’exequatur et à fixer un cadre bilatéral pour l’entraide administrative
dans la lutte contre la fraude à la Sécurité sociale. Un accord a déjà été
passé avec le Luxembourg et des négociations sont en cours avec la
République Tchèque, la Pologne et la Belgique.
Ce processus de contractualisation dans un cadre européen, qui
constitue une préoccupation forte de la direction de la sécurité sociale
depuis plusieurs années, apparaît indispensable et doit être poursuivi.
Liste des propositions du rapport
Prévenir les irrégularités
Proposition n°
1 : Procéder tous les trois ans, dans le cadre du contrat
pluriannuel de performance de la DGI et de la convention d’objectifs et
de gestion de l’ACOSS, à
une évaluation globale de l’irrégularité et de
la fraude fondée sur une méthode statistique fiable
. Plus généralement,
développer la recherche, les études et la connaissance sur ces phénomènes
et sur le comportement des contribuables.
Proposition n°
2 Mesurer le niveau de complexité du système de
prélèvements obligatoires en mettant en place des mesures des coûts du
respect des obligations fiscales et sociales, puis en construisant sur cette
base
un
indice
synthétique
de
complexité
des
prélèvements
obligatoires
.
Proposition n°
3: Généraliser la
procédure de rescrit dans le domaine
des cotisations sociales
à l’ensemble des domaines pouvant faire l’objet
d’un contrôle par les URSSAF.
Proposition n°
4 : Développer les
opérations ciblées de contrôles
partenariaux
préventifs
en
coordination
avec
les
organisations
professionnelles et les réseaux consulaires.
Développer de nouveaux outils contre le travail dissimulé
Proposition n°
5 : Pour les marchés publics, définir des
standards
minimaux indicatifs
de main d’oeuvre et de coûts en coopération avec les
organismes professionnels, pour permettre aux donneurs d’ordre de
détecter les offres où la probabilité de recours à du travail dissimulé
apparaît très élevée.
Proposition n°
6 : Donner une base légale aux fermetures administratives
suite à verbalisation pour travail dissimulé.
Proposition n°
7
: Prévoir, dans le code de la sécurité sociale, la
possibilité de procéder à un
redressement forfaitaire de trois ou six
mois de cotisations
en cas de verbalisation pour travail dissimulé. Il
appartiendrait à l’employeur verbalisé d’apporter la preuve que le recours
au travail dissimulé a duré moins longtemps.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
259
Proposition n°
8
: Etendre au donneur d’ordre initial la responsabilité
financière du paiement des cotisations et des amendes en cas de constat
de travail dissimulé chez un de ses sous-traitants, dans les cas où le
donneur d’ordre ne pouvait manifestement pas ignorer ce recours au
travail dissimulé.
Améliorer la présence des administrations sur le terrain en
développant de nouvelles formes de contrôle
Proposition n°
9 : Mettre en place une convention entre la DGI,
la direction de la sécurité sociale et l’ACOSS qui fixerait les
modalités de coopération et les principaux chantiers communs à
mener pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude.
Proposition n°
10
:
Recenser les fichiers et les bases de données dont
l’interconnexion pourrait permettre de faciliter la détection de certains
types de fraude, au sein de chaque administration et entre elles. Lorsque
les
perspectives
semblent
intéressantes,
mettre
en
place
ces
interconnexions et ces recoupements de façon informatisée.
Proposition n°
11
:
Pour faciliter le développement du contrôle sur pièces
dans les URSSAF, modifier les modalités de déclaration des entreprises
auprès des URSSAF en les obligeant, au-dessus d’une certaine taille, à
télédéclarer, et en leur demandant des informations supplémentaires
simples qui faciliteraient les contrôles de cohérences sur les exonérations
de charges sociales.
Proposition n°
12
:
Autoriser par décret les services des URSSAF à
procéder à des contrôles des cotisations sociales des
grandes entreprises
sur la base de la
technique de l’échantillonnage et de l’extrapolation
.
Proposition n°
13
:
Parvenir, au plus vite, à la signature des conventions
prévues à l’article 30 du PLFSS 2007 entre l’ACOSS, l’UNEDIC,
l’ARRCO et l’AGIRC, de façon à ce que
les inspecteurs des URSSAF
puissent désormais contrôler les cotisations d’assurance-chômage et
les cotisations de retraite complémentaire
.
Proposition n°
14
: Mettre en place, entre l’URSSAF et la DGI, un
système automatisé de communication des contrôles réalisés et des
redressements effectués
, pour les opérations susceptibles d’intéresser
l’autre administration. Améliorer également les échanges d’informations
avec les services de la DGDDI chargés de la lutte contre la fraude ainsi
qu’avec TRACFIN.
260
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Proposition n°
15
: Etudier la possibilité d’habiliter des agents de la DGI
ou des URSSAF à effectuer des missions de police judiciaire sous le
contrôle de l’autorité judiciaire
Améliorer l’effet dissuasif des sanctions
Proposition n°
16 : Mener une
politique de communication plus active
dans le domaine de la fraude en lançant des campagnes nationales de
sensibilisation sur les effets négatifs de ces comportements et en ayant
une présence plus soutenue dans les médias sur la politique de contrôle,
les sanctions infligées et les risques de fraude.
Proposition n°
17
: Mettre en place un
système de « pénalités sociales »
pour permettre aux agents des URSSAF d’infliger directement une
majoration de droits à des cotisants manifestement de mauvaise foi, dans
l’esprit des amendes fiscales.
Proposition n°
18 : Entreprendre une
politique de sensibilisation des
magistrats répressifs
aux enjeux de la fraude aux prélèvements
obligatoires de façon à les inciter à faire preuve de davantage de sévérité
pour les cas les plus graves qu’ils ont à juger. Pour cela, lancer des
actions tant au niveau de la formation initiale que par le biais de
différentes manifestations (séminaires, journées d’études…).
Renforcer l’Europe de la lutte contre la fraude
Proposition n°
19 : En matière de
coopération entre les administrations
fiscales
de l’Union européenne,
définir des objectifs précis sur certains
indicateurs clés
, comme le délai moyen de réponse aux demandes
d’assistance administrative ou encore le nombre de contrôles et assurer
ensuite un suivi de ces indicateurs devant le Conseil ECOFIN.
Proposition n°
20 : Dans le cadre de la refonte du système VIES
d’échanges d’informations sur les opérations intracommunautaires,
obliger les entreprises à
transmettre leurs déclarations d’échanges de
biens sous forme électronique
.
Proposition n°
21 : Proposer la mise en place d’un groupe de travail pour
étudier les conditions juridiques et les problèmes techniques concernant la
mise en place d’un
fichier européen des opérateurs défaillants
à la
TVA et l’
ouverture aux autres administrations fiscales européennes
des bases de données
dont disposent les administrations fiscales
nationales.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
261
Proposition n°
22 : Proposer l’instauration d’une
solidarité entre pays
d’origine et pays de destination
dans le cadre d’une opération
intracommunautaire frauduleuse à partir du respect de l’obligation de
dépôt de la déclaration d’échanges de biens.
Proposition n°
23 : Sur le modèle de ce qui existe en matière de police et
de justice, proposer la mise en place d’une
structure de coordination et
de renseignements en matière de fiscalité au niveau européen
, chargée
de faciliter la circulation de l’information entre les administrations
fiscales, d’animer un réseau d’alerte en matière de fraude à la TVA et de
coordonner la réalisation de contrôles simultanés.
Proposition n°
24 : Proposer de renforcer les exigences de coopération
entre administrations prévues dans la directive n°96/71/CE, par une
directive modificatrice qui fixerait un délai impératif de réponse aux
demandes de renseignement et prévoirait la possibilité de détacher des
agents de contrôle dans un autre Etat pour y mener des enquêtes en
matière de fraude au détachement.
Proposition n°
25 : Lancer dès aujourd’hui une initiative européenne pour
démarrer les travaux sur la mise en place du réseau européen d’échanges
d’informations entre organismes de sécurité sociale.
Proposition n°
26 : Proposer la mise en place, sur le modèle de
FISCALIS, d’un programme de coopération et d’échanges, réunissant les
inspecteurs du travail et les agents de contrôle des organismes de sécurité
sociale, afin de développer une culture administrative commune grâce à
des formations communes, des séminaires de mutualisation de bonnes
pratiques ou encore des échanges de fonctionnaires.
Proposition n°
27 : Poursuivre les efforts de conclusion d’accords
bilatéraux avec nos partenaires européens en matière de lutte contre la
fraude sociale et le travail dissimulé.
Liste des personnalités rencontrées
JURIDICTIONS ET AUTORITES ADMINISTRATIVES
C
ONSEIL D
’E
TAT
M. Olivier FOUQUET, Président de la section des finances du
Conseil d’Etat
C
OMMISSION DES INFRACTIONS FISCALES
M. François LAVONDES, Conseiller d’Etat honoraire, président
de la commission des infractions fiscales
C
OMMISSION NATIONALE
«
INFORMATIQUE ET LIBERTES
»
Mme Sophie VULLIET-TAVERNIER, directeur des affaires
juridiques
M. Jeanne BOSSI, chef de la division affaires publiques et sociales
M. Guillaume DELAFOSSE, chargé de mission au pôle fisc,
collectivités et administration électronique
MINISTERE DES FINANCES
I
NSPECTION GENERALE DES FINANCES
M. André BARILARI, ancien directeur général des impôts,
inspecteur général des finances
M. Sébastien PROTO, inspecteur des finances
D
IRECTION GENERALE DES IMPOTS
Administration centrale
M. Bruno PARENT, directeur général des impôts
M. Jean-Pierre LIEB, chef du service juridique de la direction
générale des impôts
M. Jean-Louis GAUTIER, sous-directeur du contrôle fiscal
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
263
M. Jean-Marc VALES, chef du bureau CF1 de la sous-direction du
contrôle fiscal (jusqu’en avril 2006)
M Jean-Luc BARÇON-MAURIN, chef du bureau CF1 de la sous-
direction du contrôle fiscal (à partir d’avril 2006)
M. Guy FOULQUIER, chef du bureau J3 du service juridique de la
direction générale des impôts
M. Thierry DUFANT, chef du bureau M1
M. Olivier TOUVENIN, chef du bureau P2
M Jérôme HELIAS, Inspecteur principal Bureau CF 1
Direction de la législation fiscale
M. Marc WOLF, directeur adjoint, chargé de la sous-direction D à
la direction de la législation fiscale
M. Pierre HEILBRONN, inspecteur des finances, chargé du bureau
E2 à la direction de la législation fiscale
Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI)
M. Jean-Pierre LAVAL, directeur interrégional dirigeant la DVNI
M. Michel ROULET, directeur départemental
Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF)
M. Fernand PIERRE, directeur de la direction nationale d’enquêtes
fiscales
M. Antoine SAINT-VOIRIN, directeur divisionnaire, chef de la
division « logistique et enquêtes » de la direction nationale d’enquêtes
fiscales
M. Bruno BENARD, chef de la deuxième brigade interrégionale
d’intervention (Paris Nord) de la direction nationale d’enquêtes fiscales
Mme Martine ZWOLENIK, chef de la deuxième brigade
d’intervention rapide de la direction nationale d’enquêtes fiscales
M. Jean-René DAVY, chef du pôle documentaire à la direction
nationale d’enquêtes fiscales
Délégation Interrégionale Ile-de-France
M. Jacques PERENNES, délégué Interrégional
M. Thierry CLERGET, directeur départemental à la délégation
inter-régionale
264
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
M. Roland CHARBONNIER, chef des services fiscaux, DIRCOFI
Ile de France Est
M. Gilbert LISI, directeur départemental, DIRCOFI Ile de France
Est
M. Didier VALENTIN, directeur divisionnaire, DIRCOFI Ile de
France Est
M. Serge KLENDEK, directeur des services fiscaux de Seine Saint
Denis
Délégation Interrégionale Nord
M. Bernard HOUTEER, délégué Interrégional Nord
M. Roger SANTISTEBE, directeur des services fiscaux, DIRCOFI
Nord
M. Marc EMPATZ, directeur départemental, DIRCOFI Nord
M. Serge HEDIN, directeur des services fiscaux, Lille Nord
M. Gérard LEROY, directeur divisionnaire chargé du contrôle
fiscal à la DSF
D
IRECTION GENERALE DE LA COMPTABILITE PUBLIQUE
M. Gérard BOURIANE, trésorier payeur général du Morbihan,
ancien sous-directeur du contrôle fiscal à la DGI
MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES
D
IRECTION DE LA SECURITE SOCIALE
M. Dominique LIBAULT, directeur de la sécurité sociale
M. Jean-Louis REY, Chef de service, adjoint au directeur
Mme Laurence ASSOUS, chef du bureau de la législation
financière
M. Jean-Luc DECOBERT, chef du bureau du recouvrement
M.
Jean-Luc
IZARD,
chef
de
la
division
des
affaires
communautaires et internationales (DACI)
M. Jean-Claude FILLON, adjoint au chef de la DACI
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
265
D
ELEGATION INTERMINISTERIELLE A LA LUTTE CONTRE LE TRAVAIL
ILLEGAL
(DILTI)
M. Thierry PRIESTLEY, secrétaire général
Direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle (DRTEFP)
M. Patrick SOLD, responsable de la coopération transfontalière,
ancien directeur adjoint de la DDTEFP du Bas-Rhin
Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation
professionnelle (DDTEFP) de Seine-Maritime
Mme Yasmina TAIEB, directrice du travail
M. Sylvian CHICOTE, directeur adjoint du travail
DDTEFP de la Gironde
Mme Sylvie BOUTHORS, directrice adjointe du travail
M. Jean-François MOTHES, secrétaire du COLTI
M. Dominique COLLARD, inspecteur du travail
Mme Eliane BRACOT, contrôleur du travail
Mme Michèle JAMIN, contrôleur du travail
ORGANISMES DE PROTECTION SOCIALE
ACOSS
(
ET RESEAU DES
URSSAF)
M. Jean-Luc TAVERNIER, directeur de l’ACOSS
M. Alain GUBIAN, directeur des statistiques, des études et de la
prévision (membre du conseil des prélèvements obligatoires)
M.
Pierre
MAYEUR,
directeur
de
la
réglementation,
du
recouvrement et du service
M. Pierre SAMSONOFF, sous-directeur des entreprises
M. Marie-Gabrielle DUBREUIL, sous-directrice juridique et
réglementaire
266
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
M. Emmanuel DELLACHERIE, sous-directeur en charge du
secteur public et des politiques de recouvrement et de contrôle.
M. Marianne CORNU-PAUCHET, responsable de la mission
recherche, études, publications à la DISEP
URSSAF de Rouen
M. Gérard GILMANT, directeur (membre du conseil des
prélèvements obligatoires)
M.
Jean-François
THIERY,
responsable
de
la
mission
d’information, de communication, de conseil et de contrôle
URSSAF du Havre
M. François COULLET, directeur
URSSAF de Paris
M. Jean HUE, directeur adjoint
Mme Gisèle RUESZ-VILLENA, responsable de la division des
recours amiables et judiciaires
Mme Maryse FILIBERTI, adjointe à la responsable de la division
des recours amiables et judiciaires
URSSAF de Strasbourg
Mme Isabelle USTIG, directrice adjointe
M. Albert LAUTMANN, sous-directeur
M. Richard BRENGARD, responsable du contrôle
C
ENTRE
DES
LIAISONS
EUROPEENNES
ET
INTERNATIONALES
DE
SECURITE SOCIALE
(CLEISS)
Mme Denise FORNES, secrétaire générale
Mme Françoise ROGER, responsable du service juridique
Mme Sylvie DOUHERET, adjointe à la responsable du service
juridique
C
AISSE CENTRALE DE LA MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE
(CCMSA)
Mme Danièle SAINT-MARTIN, directeur délégué au financement,
agent comptable
M. Elie QUIDU, sous-directeur à la direction de la protection
sociale (DPS)
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
267
Mme Annabelle FRANCISCI, responsable du contrôle interne
GIE
AGIRC/ARRCO
M. Pierre CHAPERON, directeur du cabinet
Mme Hélène APECHE, adjointe au directeur du contrôle des
objectifs et de la qualité
M. Jean-Charles WILLARD, économiste
UNEDIC
M. Michel MONIER, directeur général adjoint à la gestion au
contrôle
M. André MARIN, directeur du département de la prévention des
fraudes et du contrôle interne
MINISTERE DE LA JUSTICE
M. Bernard HACQUIN, direction des affaires criminelles et des
grâces, sous-direction de la justice pénale spécialisée
M. Jean-Pierre VALENSI, procureur de la République d’Arras
M. Michel MAES, substitut du procureur de la République près le
tribunal de grande instance de Paris (pôle financier)
Mme Marjorie OBADIA, vice-procureure à la section S1
économique et sociale (tribunal de grande instance de Paris)
M. Pascal CLADIERE, substitut du Procureur de la République de
Rouen (tribunal de grande instance de Rouen)
CABINETS D’AVOCATS
M. Michel TALY, ancien directeur de la législation fiscale, avocat
associé, Arsene
M. Hervé LEHERISSEL, ancien directeur de la législation fiscale,
avocat associé, Ernst & Young Law
M. Noël CHAHID-NOURAÏ, conseiller d’Etat, avocat associé,
Allen & Overy
M. Patrice LEFEVRE-PEARON, avocat associé, Morgan Lewis
Mme Isabelle DUQUESNE-CLERC, avocate, Farthouat
268
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Mme Catherine HILGERS, avocate, Ernst & Young Law
M. Philippe DEROUIN, avocat, Linklaters
Me Jean-Jacques GATINEAU, avocat au Conseil d’État et à la
Cour de cassation, SCP J.-J. Gatineau
ENTREPRISES
M. Jean-Pascal BEAUFRET, ancien directeur général des impôts,
directeur financier d’Alcatel
M. Patrice POULIGUEN, responsable du département « Affaires
fiscales groupe », BNP-Paribas
M. Patrick SUET, secrétaire général adjoint, Société générale
M. François VILLEROY de GALHAU, ancien directeur général
des impôts, PDG de CETELEM
ORGANISATIONS SYNDICALES ET PROFESSIONNELLES
Mme Véronique CAZALS, directrice de la protection sociale au
MEDEF
M. Vincent DREZET, secrétaire national du Syndicat national
unifié des impôts
M. Jean-Louis TERDJMAN, directeur des affaires sociales à la
Fédération française du bâtiment
UNIVERSITAIRES
Pr Philippe COURSIER, maître de conférences à la Faculté de
droit de Montpellier
DEPLACEMENTS INTERNATIONAUX
C
OMMISSION EUROPEENNE
M. Michel AUJEAN, directeur des analyses et des politiques
fiscales
M. Denato RAPONI, chef d’unité
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
269
E
SPAGNE
Mme Blandine LEGOUT, conseillère sociale à l’ambassade de
France en Espagne
M. Manuel ALIA
RAMOS, sous-directeur général de l’inspection
pour la sécurité sociale et l’économie irrégulière
I
TALIE
Lt-Col Giovanni AVITABILE, chef de la section des impôts sur le
revenu de la Guardia di Finanza
Maj Antonio MANCAZZO, chef de la section antifraude et de la
coopération internationale de la Guardia di Finanza
Cap Paolo CONSIGLIO, adjoint au chef de la section sur l’impôt
sur le revenu de la Guardia di Finanza
M. Francesco LOTITO, président du CIV (service en charge de
l’inspection) à l’INPS (organisme de protection sociale)
M. Francesco SPADACCIA,
directeur des ressources humaines de
la
Task force
contre l’émersion
Mme Claudia CARLETTI, directrice des services informatiques et
télécommunications de la task force contre l’émersion
M. Alfredo FERRANTE, directeur de la division des projets
innovants au ministère du travail et des affaires sociales
Mme Grazia STRANO, directrice générale du département pour
l’innovation technologique au ministère des affaires sociales
M.Alessandro GENOVESI, directeur du département travail du
syndicat CGIL
E
TATS
-U
NIS
Mme Kelly L. CABLES, directeur de la gestion de la performance
et du management de la qualité, division des grandes et moyennes
entreprises à l’Internal revenue service (IRS)
Mme Grace ROBERTSON, analyste de programmes, Internal
revenue service
M James C LEE, analyste à la division internationale de la section
des investigations criminelles à l’Internal revenue service
270
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
C
ANADA
M. André LAMOTHE, directeur, direction des petites et moyennes
entreprises, direction générale des programmes d’observation à l’Agence
du revenu du Canada
M.
Phillip
DIGUER,
gestionnaire,
direction
du
secteur
international
et
des
grandes
entreprises,
direction
générale
des
programmes
d’observation
à
l’Agence
du
revenu
du
Canada
Annexe I - Les résultats des contrôles de
la DGI et des URSSAF
En 2005, les contrôles réalisés tant dans la sphère fiscale que dans
la sphère sociale ont abouti à un montant total de redressements de
15,1 Md€. Ce montant est en progression de 17 % par rapport à 2001.
Tableau n°1 – Résultat global des contrôles
2001
2002
2003
2004
2005
Variation
2001-2005
Sphère sociale
(URSSAF, travail
illégal)
842
739
723
772
921
9,4%
Sphère fiscale
(contrôles sur place
et sur pièces)
12 072
13 180
13 515
13 747
14 157
17,3%
Total des droits
redressés
12 914
13 919
14 238
14 519
15 078
16,8%
A - La sphère fiscale
Les résultats du contrôle fiscal externe constituent la première
source d’informations sur la fraude détectée par les services de la DGI. Ils
doivent être complétés par les résultats des contrôles sur pièces menés
depuis le bureau par les services des impôts.
3 -
Les résultats du contrôle fiscal externe
Il existe deux types de contrôle fiscal externe, c’est-à-dire réalisé
sur place :
les
vérifications de comptabilité
, prévues à l’article L13 du
livre des procédures fiscales, concernent les entreprises et les
professions libérales ;
l’examen contradictoire de l’ensemble de la situation fiscale
personnelle (ESFP)
, prévu à l’article L12 du LPF, concerne les
contribuables personnes physiques et porte sur l’ensemble de
leurs revenus.
Dans l’ensemble, l’activité de la DGI en matière de contrôle fiscal
externe est plutôt stable depuis une dizaine d’années : le nombre de
contrôles est passé de 50 767 en 1996 à 52 226 en 2005, soit une
272
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
progression de 2,9 %. Le nombre de vérifications de comptabilité oscille
entre 45 000 et 47 000 depuis 1996, tandis que le nombre d’ESFP connaît
une progression plus sensible (+ 6,3 %) et s’établit à 4 959 contrôles en
2005.
Graphique n°1 : évolution de l’activité de contrôle fiscal externe de la
DGI
0
10 000
20 000
30 000
40 000
50 000
60 000
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Vérifications de
comptabilité
Examens de situation
fiscale personnelle
Sur la période, le total des droits redressés et des pénalités, qui
atteint 9,8 Md€ en 2005, progresse d’environ 40 %. Toutefois, en
neutralisant l’effet de la hausse des prix, on constate que la hausse globale
est de 20 %. Cette hausse masque de plus une évolution contrastée entre
les droits proprement dits et les pénalités infligées par les services
fiscaux. Alors que les premiers n’augmentent que de 28 % en euros
courants sur la période 1996-2005, les pénalités ont augmenté de près de
68 %, toujours en euros courants.
Tableau n°2 – Résultat du contrôle fiscal externe
1996 1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Variation
1996-
2005
Droits
nets
rappelés
6 087 6 787
7 308
6 675
6 595
6 769
6 954
7 078
6 938
6 856
13%
Pénalités 1 862 2 023
2 536
2 517
2 875
2 607
2 729
2 844
2 976
2 947
58%
Total
7 949 8 810
9 844
9 192
9 470
9 376
9 683
9 922
9 914
9 803
23%
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
273
Les résultats du contrôle fiscal externe de la DGI englobent
cependant
des
montants
redressés
qui
ne
correspondent
pas
nécessairement à des comportements frauduleux. Certaines opérations de
contrôle ont en effet pu déboucher sur des rappels de droits sans que
l’intention frauduleuse ait été établie, par exemple dans le cas d’erreurs
involontaires dans les déclarations ou de divergences d’interprétation de
la loi fiscale entre le contribuable et l’administration fiscale.
Pour quantifier cet aspect, la DGI a mis en place une typologie des
finalités du contrôle fiscal :
les opérations de contrôle à finalité « dissuasive » visent à
inciter les contribuables à s’acquitter de leurs obligations
fiscales en couvrant de manière réfléchie et proportionnée aux
enjeux
les
différentes
catégories
de
contribuables.
Ces
opérations peuvent donner lieu à des redressements mais la
« bonne foi » du contribuable n’est cependant pas contestée ;
les opérations à finalité « budgétaire » visent à récupérer le plus
rapidement possible des montants de droits éludés par les
redevables, sans que, là encore, leur « bonne foi » ne soit mise
en cause ;
les opérations à finalité « répressive » visent à sanctionner les
comportements les plus frauduleux. Le caractère « répressif »
d’une opération de contrôle est attribué
a posteriori
aux
opérations de contrôle fiscal externe sur la base de deux
critères : les propositions de poursuite pénale et un niveau de
pénalité exclusif de bonne foi (soit un montant global de
pénalités supérieur à 7 500 € et représentant au moins 30 % des
droits rappelés).
274
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique n°2 : répartition des opérations de contrôle fiscal en
fonction des finalités du contrôle
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Finalité répressive
Finalité budgétaire
Finalité dissuasive
Au regard de cette typologie, seules les opérations à finalité
répressive relèvent réellement de la fraude, conformément à la définition
donnée précédemment, soit 21,4 % des opérations en 2004 (cf.
graphique). Cette part est en nette augmentation depuis 2000, où elle
n’était que de 14 %.
Cette typologie doit certes être regardée avec prudence dans la
mesure où :
l’établissement de la mauvaise foi du contribuable n’est pas
toujours évident
168
et il est possible que, dans le doute, les
vérificateurs de la DGI préfèrent ne pas appliquer les pénalités
les plus sévères, aboutissant, en pratique, à minimiser la part
des opérations répressives dans le total ;
le minimum de 7 500 € de pénalités utilisé pour classer une
opération dans la finalité répressive conduit à exclure du champ
de la fraude des « petites » opérations pour lesquelles des
pénalités exclusives de bonne foi ont pu cependant être
appliquées.
Il n’en demeure pas moins que la fraude
stricto sensu
apparaît
assez limitée dans le total des résultats des opérations de contrôle fiscal
externe de la DGI.
168) On pense notamment à la détermination de la frontière entre optimisation et
fraude s’agissant des entreprises.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
275
4 -
Les résultats du contrôle sur pièces
Le contrôle sur pièces est un contrôle réalisé par les services de la
DGI sur la base des déclarations et des éléments justificatifs fournis par le
contribuable. Celui-ci n’est pas nécessairement informé de la réalisation
de ce contrôle même s’il peut être contacté pour une demande de
renseignements ou de justifications. A l’issue du contrôle, le cas échéant,
l’agent des impôts adresse au contribuable une notification de
redressements.
Le contrôle sur pièces est réalisé dans les centres des impôts et
dans les services des impôts des entreprises. Un précédent rapport du
Conseil des impôts estimait que 6 % des dossiers des particuliers et 15 %
des dossiers des entreprises font l’objet d’un contrôle annuel
169
.
Tableau n°3 – Résultat du contrôle sur pièces
170
Contrôle
du bureau
(en M€)
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2 005
Variation
1996-2005
Impôt sur
les sociétés
477
474
478
447
378
377
410
424
372
327
-31%
Impôt sur
le revenu
1 259
1 353
1 347
1 357
1 363
1 428
1 287
1 325
1463
1 596
27%
Taxes sur
le chiffre
d’affaires
1 020 1 002
911
746
731
649
702
649
624
579
-43%
Droits
d’enregistre
ment
530
549
582
696
731
936
1 028
1 122
1 290
1 566
195%
Impôt de
solidarité
sur la
fortune
44
51
47
65
65
81
64
68
76
198
351%
Impôts
divers
10
9
7
9
9
8
6
5
8
88
775%
Droits
nets
3 340
3 438
3 372
3 320
3 278
3 479
3497
3 593
3 833
4 354
30%
Entre 1996 et 2005, le montant des droits redressés au titre du
contrôle sur pièces augmente de 30 % en euros courants. De plus, on
constate une évolution assez nette dans les types d’impôts concernés : la
part des droits redressés au titre de l’impôt sur les sociétés et de la TVA
passe de 31 % à 13 % entre 1996 et 2005, tandis qu’en 2005, les droits
d’enregistrement représentent désormais plus d’un tiers des montants
redressés.
169) Conseil des impôts,
XXe rapport au Président de la République – Les relations
entre les contribuables et l’administration fiscale
, 2002.
170) Hors rejet des remboursements de crédit de TVA.
276
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pour autant, il est difficile de tirer de ces résultats du CSP des
éléments précis en vue d’une estimation de la fraude. En effet, il n’existe
pas d’éléments permettant de savoir si la rectification réalisée correspond
à une intention de fraude du contribuable ou à une simple erreur
171
. Les
résultats du CSP entrent donc dans la catégorie générale des irrégularités
fiscales.
B - La sphère sociale
L’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale confie aux
organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général le
contrôle de l’application de l’ensemble de la législation de sécurité
sociale par les employeurs, personnes privées ou publiques. La principale
source d’informations concernant la fraude détectée en matière de
prélèvements sociaux provient donc des contrôles réalisés dans les
URSSAF
172
.
5 -
Les contrôles comptables d’assiette
Le contrôle comptable d’assiette peut se définir comme le contrôle
sur place d’une entreprise dont la situation est vue dans son ensemble.
Les investigations portent sur l’ensemble de la législation et non, comme
pour le contrôle partiel, sur un point particulier
173
.
Le contrôle comptable d’assiette représente la mission principale
des 1 500 postes budgétaires dédiés au contrôle au sein des URSSAF.
Près de 99,6 % de ces contrôles sont réalisés en entreprise.
Le nombre de contrôles comptables d’assiette est en baisse : - 25 %
entre 1999 et 2005. Rapporté au nombre de personnes à contrôler, la
tendance est identique : le taux de contrôle des redevables s’établit à
5,30% en 2005, en baisse d’environ 25 % par rapport à 1999.
171) Dans la plupart des cas, le vérificateur ne cherche même pas à le déterminer.
172) Cf. notamment le rapport annuel « Bilan du contrôle des cotisants » réalisé par la
direction de la réglementation, du recouvrement et du service de l’ACOSS.
173) Le contrôle comptable d’assiette apparaît donc comme l’équivalent, dans la
sphère sociale, de la vérification générale de comptabilité réalisée par les services
fiscaux.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
277
Graphique n°3 : évolution de l’activité de contrôle comptable d’assiette
des URSSAF
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
140 000
160 000
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
0,00%
5,00%
10,00%
15,00%
20,00%
25,00%
Nombre de
personnes
contrôlées
Taux de contrôle
des cotisations
Le taux de contrôle des cotisations est également en diminution.
Ceci traduit notamment une politique mise en oeuvre par l’ACOSS de
réduction des contrôles sur les grandes entreprises présentant des risques
minorés. Le taux de contrôle des cotisations reste cependant à un niveau
élevé : en trois ans, les URSSAF vérifient plus de la moitié (51,42 %) des
cotisations.
Concernant les résultats des contrôles, ceux-ci atteignent 827 M€
en 2005, soit une augmentation de 40 % entre 1999 et 2005.
Parallèlement,
l’ACOSS
recense
le
nombre
d’entreprises
présentant des anomalies dans l’application de la gestion (75 317 en
2004), que ces anomalies aient donné lieu ou non à un redressement. Cet
élément peut constitue un indicateur concernant le civisme des redevables
en matière de cotisations sociales : le taux d’anomalies s’établit
à 64,34 %.
6 -
La lutte contre le travail dissimulé
Le cadre général de la lutte contre le travail illégal est fixé par la
loi et le décret du 11 mars 1997. Le travail dissimulé est une des fraudes
que couvre la notion de travail illégal
174
. La lutte contre le travail illégal a
reçu une nouvelle impulsion en 2004 avec la réunion de la commission
174) Les autres infractions sont le marchandage, le prêt illicite de personnel, l’emploi
d’un étranger démuni de titre de travail, le cumul irrégulier d’emplois, la fraude aux
revenus de remplacement.
278
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
nationale
ad hoc
et l’adoption d’un plan national de lutte contre le travail
illégal pour la période 2004-2005. Ce plan ciblait notamment quatre
secteurs (agriculture, spectacle vivant et enregistré, hôtellerie-restauration
et BTP) sur lesquels les corps de contrôle devaient faire porter leurs
efforts en priorité.
La lutte contre le travail dissimulé a représenté, en 2005, 13,19 %
du temps consacré au contrôle dans les URSSAF. Cette part est en
augmentation régulière depuis 1995, où elle n’était alors que de 5,36 %.
Dans ce cadre, le réseau des URSSAF a réalisé 35 530 actions, en
2005, au titre du travail dissimulé. Près de 76 % de ces actions étaient des
actions de prévention et n’ont donc pas donné lieu à contrôle ou à
redressement. Par ailleurs, 1 435 procès-verbaux de travail dissimulé ont
pu être recensés en 2005.
Graphique n°4 : Résultats des actions contre le travail illégal menées
par les URSSAF
0
10
20
30
40
50
60
70
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
0
500
1000
1500
2000
Nombre de procès-verbaux établis par les inspecteurs
des URSSAF
Redressements de cotisations (en M€)
Les actions de contrôle en matière de travail dissimulé peuvent déboucher
sur une mise en recouvrement des cotisations et contributions éludées. Le
montant des résultats opérés en 2005 s’élève à près de 59 M€. Les
montants redressés sont en forte augmentation depuis 1999 (+ 118 %).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
279
7 -
Synthèse des contrôles du réseau des URSSAF
Outre les contrôles comptables d’assiette et l’action contre le
travail illégal, le réseau des URSSAF réalise d’autres types d’action qui
entrent dans le champ de la lutte contre la fraude et l’indiscipline :
des actions de prévention sont réalisées afin d’améliorer le
civisme des cotisants. Près de 17 119 actions ont ainsi été
menées en 2005, soit trois fois plus qu’en 1999, ce qui traduit
l’engagement fort des URSSAF en matière de prévention ;
le contrôle forfaitaire et celui des travailleurs indépendants, qui
concerne le contrôle d’assiette des travailleurs indépendants,
des praticiens et auxiliaires médicaux, des employés de maison
et des assistantes maternelles. Environ 11 500 actions ont été
conduites dans ce cadre en 2004, pour un montant redressé de
l’ordre de 8 M€ ;
d’autres types de contrôles des entreprises (contrôles partiels,
compléments suite à contrôle et enquêtes d’assujettissement).
Plus de 54 000 actions de ce type ont été effectuées par les
URSSAF en 2005. On peut en particulier noter l’augmentation
de la part des contrôles partiels qui traduit le développement du
contrôle sur pièces dans services de contrôle.
Au total, près de 141 540 personnes ont fait l’objet d’une action
des URSSAF susceptible de faire l’objet de redressements et le montant
total des redressements atteint 921,2 M€ en 2005. L’évolution de ce
montant total est présentée dans le graphique suivant.
280
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique n°5 : évolution du montant total des montants redressés par
le réseau des URSSAF
0 M€
100 M€
200 M€
300 M€
400 M€
500 M€
600 M€
700 M€
800 M€
900 M€
1 000 M€
2001
2002
2003
2004
2005
²
Comme pour les résultats du contrôle fiscal, il est probable que ces
montants recouvrent des comportements très variés de la part des
cotisants et que seule une partie de ces redressements s’apparente à de la
fraude
stricto sensu
. Ceci peut notamment être confirmé par le fait que les
contrôles des URSSAF peuvent également donner lieu à des ajustements
positifs pour les entreprises : environ 167 M€, en 2005, soit 18,14% du
total des redressements (cf. infra).
Annexe II – Typologie de la fraude par
type de prélèvements obligatoires
L’objet de cette annexe est de présenter brièvement les principaux
mécanismes de fraude observés sur les impositions faisant l’objet des
redressements les plus importants. Un des aspects importants consiste
notamment à essayer de faire la part entre ce qui relève de la simple
irrégularité et ce qui relève de la fraude
stricto sensu
.
1.
L’impôt sur les sociétés
En matière d’impôt sur les sociétés, on peut considérer que la part
principale
des
montants
redressés
s’apparente
davantage
à
des
irrégularités qu’à de la fraude
stricto sensu
.
D’abord, près de 60 % des redressements au titre de l’impôt sur les
sociétés sont réalisés par la direction des vérifications nationales et
internationales (DVNI), le service de la DGI en charge du contrôle des
grandes entreprises. Or, une analyse détaillée des redressements réalisés
par la DVNI fait apparaître que ceux-ci sont très rarement assortis de
pénalités signalant une intention effective de frauder (cf. infra). Ainsi, en
2005, seulement 5 % des montants redressés au titre de l’impôt sur les
sociétés avaient fait l’objet de pénalités exclusives de bonne foi.
282
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique n°6: répartition des montants redressés au titre de l’impôt
sur les sociétés en fonction de l’origine du contrôle
CSP
DVNI
CFE (hors grandes
entreprises)
La part importante des irrégularités en matière d’impôt sur les
sociétés par rapport à la véritable fraude s’explique par plusieurs facteurs.
D’abord, la matière imposable est en elle-même relativement complexe,
compte tenu de la diversité des situations juridiques, couplée avec des
organisations d’entreprises parfois très sophistiquées, surtout pour les
grands groupes.
De plus, l’établissement de l’impôt donne également lieu à des
opérations également complexes puisqu’il faut retraiter les données
comptables de l’entreprise et prendre en compte, parfois de façon très
détaillée, différents éléments de la vie de l’entreprise, par exemple les
amortissements, les provisions ou encore les prix déterminés par
l’entreprise pour ses transferts entre filiales. Le tableau suivant montre
bien l’importance des questions liées au calcul des provisions dans les
redressements opérés lors des contrôles fiscaux.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
283
Tableau n°4 – 1es redressements les plus importants en matière d’impôt sur les sociétés (en base
et en M€)
2004
2005
Provision sur titres de participation - LT
1802
2733
Réduction de MVLT
167
1142
Provision devenue sans objet
68
1133
Provision pour dépréciation
582
877
BIC - IS - Transfert de bénéfices à l'étranger
1156
873
Provision pour risques et charges
447
803
Recettes/CA non comptabilisés et non déclarés
728
711
IS - Groupes de sociétés - Art. 223 A à 223 U
324
682
Recettes/CA: exercice rattachement erroné
77
481
Charges non engagées dans l'intérêt de
l'entreprise
267
444
Pour déterminer ces éléments, et leurs conséquences fiscales, il
existe certes des règles précises définies par le code général des impôts et
par la documentation fiscale. Il reste que les entreprises disposent d’une
certaine marge de manoeuvre pour arrêter le niveau de leurs provisions ou
encore déterminer le montant « normal » de redevances à verser à une
autre entreprise du groupe. Ces éléments peuvent cependant être contestés
par l’administration fiscale qui peut estimer que les niveaux décidés par
l’entreprise ne sont pas adéquats et aboutissent à minimiser la charge
fiscale de l’entreprise. Ce type de désaccords est fréquent : d’après une
étude du cabinet
Ersnt & Young
, près de 35 % des contrôles sur les prix
de transfert débouchent sur une modification des montants fixés par
l’entreprise
175
. Les désaccords sur les prix de transfert, comme d’ailleurs
en matière de provision ou d’amortissement, peuvent donc déboucher sur
des redressements sans que l’on puisse parler de véritable intention de
fraude de la part de l’entreprise. Il s’agit davantage d’une divergence
d’interprétation de certaines dispositions fiscales, qui d’ailleurs, le plus
souvent, ne donne pas lieu à l’application de pénalités.
Un autre type d’irrégularités relativement fréquentes concerne les
dépenses fiscales. Le crédit d’impôt recherche, codifié à l’article 244
quater B du CGI est un bon exemple. Qualifié de « stroboscope législatif
permanent » par le Conseil d’Etat, il a connu près de 23 modifications en
23 ans et la documentation permettant de le mettre en oeuvre prend plus
175) Ernst & Young,
2005-2006 Global transfer pricing surveys
, novembre 2005.
284
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
de 40 pages
176
. Dans le même ordre d’idées, et pour citer des dispositions
adoptées récemment, on peut relever que l’instruction fiscale de mise en
oeuvre du crédit d’impôt pour dépenses de prospection commerciale
compte près de 27 pages, tandis que celle pour le crédit d’impôt pour
investissement dans les nouvelles technologies en compte 17.
Il est clair que cette situation est plutôt propice à la réalisation
d’irrégularités par les entreprises, notamment concernant le champ et
l’éligibilité des dépenses. La frontière entre ce qui peut rentrer dans la
dépense fiscale et ce qui n’en fait pas partie peut, dans certains cas être
malaisée, ce qui peut, là aussi, déboucher sur des redressements non
frauduleux.
Il existe cependant une véritable fraude à l’impôt sur les sociétés
qui peut prendre des formes diverses dont seules les principales seront
rappelées ici.
La fraude la plus évidente consiste bien évidemment à dissimuler
une partie de ses recettes de façon à éviter de devoir payer l’impôt
correspondant. Les recettes non déclarées ont ainsi représenté près de
37 % des rappels « frauduleux » - c’est-à-dire ayant donné lieu à
application de pénalités exclusives de bonne foi - réalisés par
l’administration fiscale en 2005, d’autant qu’il faudrait y ajouter les cas
de recettes reconstituées.
Un autre type de fraude porte sur le constat de charges non
engagées dans l’intérêt de l’entreprise, comportement réprimé par l’article
39 du CGI (et la construction jurisprudentielle de l’acte anormal de
gestion). Cela peut être par exemple des prêts accordés sans intérêt par
l’entreprise à des tiers ou encore l’abandon de certaines créances sans que
l’entreprise ne bénéficie d’aucune contrepartie.
La réalisation de montages fiscaux peut également constituer la
source d’opérations frauduleuses. Les montages sont des opérations ou
des contrats qui aboutissent à réduire l’impôt normalement dû. Ils peuvent
avoir un caractère frauduleux lorsqu’ils ne présentent pas de véritable
intérêt économique pour l’entreprise.
La mise en place de montages – qui, au demeurant, ne sont pas
nécessairement frauduleux – est une opération fréquente dans les
entreprises qui ont généralement recours pour cela à des services de
cabinets d’avocats ou d’expertise-comptable. Ces montages peuvent avoir
une composante internationale de façon à modifier la localisation du
bénéficie et le transférer dans un pays où la fiscalité est plus clémente.
176) Conseil d’Etat,
Rapport public 2006 : sécurité juridique et complexité du droit,
mars 2006.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
285
Aux Etats-Unis, une véritable industrie du montage fiscal, et
notamment du montage fiscal abusif, s’est développée au début des
années 2000. Comme le souligne un rapport du Sénat américain, «
le
développement et la vente de montages fiscaux potentiellement illégaux et
frauduleux est devenue une industrie lucrative et plusieurs professions,
comme les grands cabinets d’experts-comptables, les banques et les
conseillers
en
investissements
en
sont
devenus
des
promoteurs
importants
177
».
En France, il ne semble pas que ce phénomène ait pris la même
importance, même s’il s’agit d’une tendance réelle et observée de près par
l’administration fiscale. Celle-ci dispose d’ailleurs d’un outil puissant – le
contrôle des abus de droit, prévu à l’article L. 64 du CGI, qui lui permet
de remettre en cause certaines opérations, même juridiquement régulières,
mais n’ayant d’autre objectif que de soustraire certaines recettes à
l’impôt.
2.
La TVA
En matière de TVA, le contrôle fiscal externe aboutit à des
redressements nettement supérieurs à ceux du contrôle sur pièces :
2,2 Md€ contre 0,6 M€. Pour autant, il ne faut pas déduire de ces chiffres
une répartition entre ce qui relève de l’irrégularité et ce qui relève de la
fraude.
En effet, comme le montre le tableau suivant, le contrôle fiscal
externe débouche aussi sur des redressements qui s’apparentent
davantage à des irrégularités qu’à de la véritable fraude. Ainsi, les
redressements qui concernent la déduction anticipée, et qui, en base,
représentent les redressements les plus nombreux, correspondent souvent
à de simples erreurs et la TVA redressée sera ensuite déduite par
l’entreprise sur la bonne période.
177) US Senate - Committee on governmental affairs,
US Tax shelter industry: the
role of accountants, lawyers and financial professionals
, 2003 (traduction libre).
286
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°5 – Les 10 principaux motifs de redressements en matière de TVA à l’issue d’un
contrôle fiscal externe (en base et en M€)
2004
2005
TVA déductible - Déduction anticipée
6 586
6 763
TVA déductible - Absence de justificatif., mention
sur facture
5 858
6 062
TVA brute –Opérations imposables non déclarées
mais comptabilisées
5 581
5 918
Opérations imposables non comptabilisées et non
déclarées
4 732
5 166
Remise en cause de la réalité d'une charge
3 555
3 987
Pièces justificatives non présentées
3 688
3 853
TVA brute- Vente à assujetti facturée et non
comptabilisée
3 363
3 573
Charges non engagées dans l'intérêt de l'entreprise
3 596
3 548
TVA brute-Vente à assujetti non facturée non
comptabilisée.
3 055
3 532
TVA - Fait générateur - exigibilité non respectée
2 988
3 224
En matière de fraude proprement dite, le paiement fractionné rend
a priori
la TVA moins vulnérable à la fraude fiscale qu’un impôt sur le
chiffre d’affaires prélevé sur les entreprises en bout de la chaîne de
production. Les Etats-Unis, qui pour des raisons tenant à leur organisation
fédérale persistent seuls parmi les pays développés à appliquer un
système de taxation au stade du détail, doivent ainsi faire face à un taux
d’évasion fiscale particulièrement élevé
178
. Le risque de fraude à la TVA
existe cependant, comme pour tout autre impôt, d’autant que les taux de
TVA sont relativement élevés et constituent donc une véritable incitation
à échapper à cet impôt.
La fraude à la TVA consiste nécessairement soit à minorer la TVA
brute soit à majorer la TVA déductible. Cela inclut notamment le fait de
ne pas reverser à l’administration la taxe collectée.
Les formes les plus courantes de fraude à la TVA s’apparentent
donc à celles que l’on rencontre traditionnellement s’agissant des taxes de
vente (défaut d’immatriculation des entreprises, sous-estimation des
recettes déclarées, utilisation frauduleuse des différents taux et défaut de
versement de la taxe perçue aux administrations fiscales) mais il existe
178) De l’ordre de 30 % des recettes de cette taxe, selon des discussions informelles.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
287
aussi d’autres formes de fraude liées à la nature même de la TVA
(utilisation de fausses factures, exercice de droits à déduction indus). Un
autre élément qui distingue la TVA des autres formes de taxes sur le
chiffre d’affaires est le lien entre un programme de contrôle effectif et la
capacité de gérer un système de remboursement de crédit de TVA
approprié.
Les principaux types de fraude sont au nombre de quatre :
la fraude classique visant à réduire la taxe collectée
: des
entreprises qui exercent une activité commerciale légitime
sous-estiment le montant de leurs ventes ou surestiment
délibérément le montant de leurs achats afin de réduire le
montant de TVA versée par rapport à la TVA nette qu’ils ont
effectivement collectée ;
l’économie souterraine
: des entreprises qui réalisent un chiffre
d’affaires supérieur au seuil de la franchise ne s’enregistrent
délibérément pas ;
les fraudes intra-communautaires de type chaînon manquant
:
après
s’être
enregistrés,
les
fraudeurs
achètent
des
marchandises exonérées en provenance d’un autre pays de
l’Union européenne puis disparaissent après avoir revendu ces
marchandises à un prix TTC sans reverser la TVA ainsi
collectée ;
la fraude au remboursement de crédit de TVA
: les fraudeurs
s’enregistrent à la TVA, produisent de fausses factures pour se
faire rembourser un crédit fictif de TVA avant de disparaître.
Les mécanismes à l’oeuvre peuvent être les suivants :
absence de facturation de la TVA sur des opérations devant être
assujetties à cet impôt ;
déduction à tort d’une TVA ayant grevé des biens ou services
acquis par la société (une raison possible de non déductibilité
de la TVA est que les biens ou les services ne sont pas affectés
à l'activité de l'entreprise ou ne sont pas utilisés pour les
besoins d'opérations taxables ; le droit à déduction peut être
également exclu en raison d'une disposition législative
expresse).
non reversement aux services des impôts de l'excédent de TVA
dû après imputation de la TVA déductible ayant grevé les biens
ou services acquis par la société ;
288
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
demande de remboursement d'un crédit de TVA indu ou non
justifié aux services des impôts, le remboursement pouvant être
remis en cause pour des raisons de forme tels qu’un montant
insuffisant ou l’absence de certains justificatifs à l'appui de la
demande, ou en raison d'une anomalie dans la naissance du
crédit (opération n'ouvrant pas droit à déduction, opérations
fictives ou demande exercée par des sociétés fictives) ;
omission de recettes en comptabilité et non déclarées, qui
engendrent par conséquent l'omission de la TVA afférente à ces
dernières.
Les pertes de recettes de TVA peuvent ainsi provenir d’une gamme
de comportements des entreprises, étendue à ce que l’on appelle
l’indiscipline fiscale. Cette gamme inclut notamment les erreurs lors de
l’envoi des déclarations TVA, le non respect du délai de remise des
déclarations de TVA, le non paiement, le non enregistrement à la TVA si
le seuil de la franchise est dépassé, la mise en oeuvre de schémas
d’optimisation artificiels afin de retarder, réduire ou éviter le paiement de
la TVA, la sous-estimation délibérée du montant à reverser dans les
déclarations fiscales, la dissimulation d’activité à large échelle dans
l’économie souterraine, et enfin l’attaque criminelle organisée contre le
système de TVA.
3.
Les droits d’enregistrement
En matière de droits d’enregistrement, le produit du contrôle sur
pièces est près de 10 fois supérieur à celui du contrôle fiscal externe –
1,6 Md€ contre 132 M€, ce qui constitue une originalité par rapport à
d’autres types de prélèvements.
Cette situation tient d’abord au fait que le contrôle sur place est
juridiquement beaucoup moins facile. En effet, d’après une jurisprudence
de la Cour de cassation, les déclarations et actes qui servent à la
perception des droits d’enregistrement ne peuvent être assimilés ni aux
documents comptables visés par l’article L. 13 du livre des procédures
fiscales (L.P.F.) ni aux déclarations visées par l’article R* 13-1 du même
livre et ne peuvent, dès lors, être contrôlés au cours d’une vérification de
comptabilité
179
.
179) Voir notamment Cass. Com., 17 octobre 1995 publié au BOI 13-L-8-96.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
289
De même, la Cour exclut les droits d’enregistrement du champ de
l’examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques
(E.S.F.P.), cette procédure ne devant concerner que l’impôt sur le revenu
conformément aux dispositions de l’article L. 12 du L.P.F.
La Cour de cassation admet certes l’utilisation par l’administration
d’éléments recueillis lors d’une vérification de comptabilité ou d’un
E.S.F.P. pour justifier l’exigibilité des droits d’enregistrement alors même
que ces derniers ne figurent pas dans l’avis de vérification
180
. Il n’en
demeure pas moins que le contrôle n’est alors qu’indirect et moins
évident que pour les autres impôts.
En revanche, on observe un dynamisme marqué dans la
progression des résultats du contrôle sur pièces, puisque les droits
rappelés ont progressé de près de 200 % entre 1996 et 2005. Cette forte
augmentation correspond principalement à la flambée des prix sur les
marchés immobiliers, en particulier en région parisienne et dans les
grandes villes de province, d’autant que les résultats du contrôle sur
pièces incluent les contrôles effectués en matière d’impôt sur la fortune.
Ainsi, à l’occasion de contrôle des déclarations, l’administration fiscale a-
t-elle été conduite à redresser la valeur ayant servi de base au calcul de
l’impôt dû.
Cependant, les droits d’enregistrement font également l’objet de
montages complexes, dont l’objectif est de travestir la réalité d’une
opération économique et lui donner une autre qualification juridique qui
permettra d’échapper à l’impôt. Parmi ces montages, dont certains sont
qualifiés d’abus de droit, conformément aux dispositions de l’article L. 64
du LPF, on peut donner quelques exemples :
des donations d’immeubles déguisées en ventes ;
des donations successives ayant pour seul objet d’éluder les
droits de mutation à titre gratuit.
4.
L’impôt sur le revenu
En matière d’impôt sur le revenu, les résultats du contrôle sur
pièces sont supérieurs à ceux du contrôle fiscal externe : 1,5 Md€ contre
0,9 Md. Ce constat traduit, en première analyse, l’importance de
l’irrégularité fiscale et s’explique en grande partie par la complexité de la
législation et la difficulté pour les contribuables d’appréhender celle-ci et
de l’appliquer sans erreur.
180)
Voir BOI 13 L-4-86, 13 J-1-89, 13 L-8-96 et 13 L-3-99.
290
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Pour autant, l’assimilation entre résultats du contrôle sur pièces et
irrégularité peut apparaître, en matière d’impôt sur le revenu, un peu
rapide. Lorsque l’on regarde de plus près ces résultats, on note qu’environ
40 % des droits rappelés provient de la relance amiable et du contrôle
« montant sur montant » effectué par les agents depuis le bureau. Or, dans
les deux cas, il s’agit de différences constatées entre ce que le
contribuable a déclaré, d’une part, et les informations communiquées à la
DGI par des tiers d’autre part (montant des salaires…). Il est certes
possible que le contribuable se soit trompé de bonne foi en remplissant sa
déclaration mais, sur cet exemple précis, la frontière entre l’erreur
involontaire et l’omission volontaire apparaît particulièrement difficile à
établir.
Si la frontière entre irrégularité et fraude n’est pas toujours
évidente concernant les résultats du contrôle sur pièces, en revanche le
contrôle fiscal externe semble beaucoup plus orienté sur la recherche de
la fraude
stricto sensu
. Ceci peut notamment se lire dans le taux élevé de
pénalités appliqué suite à un examen de situation fiscale personnelle :
55 % en moyenne en 2005, alors que, pour l’ensemble des impôts, les
pénalités ne représentent que 37 % des droits redressés.
L’examen des résultats du contrôle sur place fait apparaître
plusieurs mécanismes de fraude souvent utilisés par les contribuables.
D’abord, comme pour l’impôt sur les sociétés ou la TVA, la fraude
la plus simple, dans son mécanisme, consiste à chercher à dissimuler tout
ou partie de son activité et de son revenu. Le contribuable s’abstient alors
de signaler, non seulement à l’administration fiscale mais également
souvent aux organismes de sécurité sociale, les revenus dont il a pu
bénéficier et dont il pense que les administrations ne réussiront pas à
avoir connaissance par ailleurs.
La jurisprudence de la Cour de cassation offre de nombreux
exemples de condamnations de personnes physiques pour fraude fiscale
par dissimulation de recettes, par exemple, à l’encontre :
du gérant d’un dancing qui avait mis en place une double
billetterie
181
;
d’un négociant en gros de fruits et légumes qui procédait à des
ventes sans factures à des détaillants, alors que, dans le même
temps, il revendait aux collectivités les marchandises de qualité
181) Cass. Crim. 10 juillet 1991,
Muglia
, n° 90-84333 Cass. Crim. 10 juillet 1991,
Muglia
, n° 90-84333.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
291
inférieure, à bas prix et avec factures, de façon à minorer le
bénéfice net dégagé par son activité
182
;
d’un contribuable qui, exerçant une activité libérale, minorait
ses recettes en payant une partie de ses dépenses au moyen de
chèques non comptabilisés
183
;
d’un exploitant agricole qui avait procédé à des manipulations
comptables ayant pour objet de maintenir le chiffre d’affaires
dans les limites du forfait
184
.
La dissimulation de revenus peut également se traduire par des
redressements
au
titre
des
« revenus
d’origine
indéterminée »,
conformément à l’article L. 16 du livre des procédures fiscales : plus de
10 % des redressements frauduleux étaient fondés sur ce motif en 2005. Il
s’agit de sommes dont l’existence a été constatée sur les comptes du
contribuable mais dont l’origine n’a pas été précisée par le vérificateur.
Un autre mécanisme de fraude à l’impôt sur le revenu porte sur les
questions d’établissement du domicile fiscal du contribuable. Cette fraude
à la domiciliation concerne les contribuables qui prétendent, de manière
mensongère, ne pas résider de manière habituelle en France pour
échapper à l’impôt sur le revenu. Le procédé de fraude consiste alors à
invoquer les stipulations d’une convention fiscale internationale en vertu
de laquelle le contribuable fraudeur serait imposé dans le pays de son lieu
de résidence allégué. La jurisprudence offre de nombreux exemples de
condamnations pour fausse domiciliation, mettant en jeu des conventions
internationales diverses :
condamnation d’un contribuable qui, prétendant bénéficier de
la convention franco-israélienne du 20 août 1963, conclue pour
éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu,
avait en réalité sa résidence effective en France, où il exerçait
son activité principale
185
;
condamnations de contribuables qui, par un procédé de fraude
similaire, invoquaient respectivement la convention fiscale
franco-suisse
186
, la convention franco-togolaise du 24 novembre
1971
187
, la convention du 4 octobre 1985 passée entre la France
182) Cass. Crim. 28 novembre 1988,
Ledamoisel
, inédit.
183) Cass. Crim. 21 mai 1979, DF 1979, comm. 2359.
184) Cass. Crim. 21 juin 1982, n° 81-83317, DF 1983, comm. 946 ; Cass. Crim.
19 janvier 1984,
Hennuyer
, Bull. Crim., n° 351.
185) Cass. Crim 18 septembre 1997,
Tiroche
, Bull. Crim., n° 307.
186) Cass. Crim. 3 décembre 1990,
Grillet
, RJF 05/91, n° 696.
187) Cass. Crim. 1er mars 2000,
Bakalian
, Bull. Crim., n° 100.
292
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
et l'Union Soviétique
188
ou encore les clauses fiscales du traité
de rétrocession de la Suède à la France de l’île de Saint-
Barthélemy, en date du 10 août 1887
189
;
condamnation d’un contribuable qui tirait argument du
caractère international de ses revenus pour ne remettre aucune
déclaration
190
.
Dernier mécanisme de fraude assez important en matière d’impôt
sur le revenu : le recours à des montages. Il s’agit, comme pour les
entreprises en matière d’impôt sur les sociétés, de réaliser certaines
opérations économiques qui ont, en réalité, pour finalité unique de
chercher à éviter au contribuable de payer l’impôt normalement dû.
Ainsi, près de 60 % des affaires traitées en 2005 par le comité
consultatif pour la répression des abus de droit (CCRAD) concernaient
l’impôt sur le revenu. Parmi les montages examinés par le CCRAD, on
peut citer plusieurs exemples parmi d’autres :
le cas de donation de la pleine propriété ou de la seule nue-
propriété de titres avec pour but d’éluder l’impôt sur le revenu
sur la plus-value ;
la création d’une société civile immobilière dans le seul but de
faire échec aux dispositions de l’article 15 II du CGI ;
l’apport de titres à une société, suivie de leur revente par celle-
ci dans le seul but de bénéficier du sursis d’imposition de la
plus-value prévue par l’article 150-0 B du CGI ;
l’utilisation abusive d’un plan d’épargne entreprise.
5.
Les cotisations sociales
Compte tenu du nombre élevé de règles régissant le droit des
cotisations sociales et de la très grande créativité de certains (non-
cotisants), il n’est pas possible de recenser l’ensemble des mécanismes
sanctionnés. On peut toutefois, en s’appuyant sur les travaux réalisés par
l’URSSAF
de
Paris,
dresser
les
grandes
lignes
de
« l’évasion
redressable »
191
. Celle-ci peut être divisée en quatre grandes catégories :
les mesures dérogatoires en faveur de l’emploi, les statuts particuliers, les
exclusions d’assiette et les montages juridiques.
188) Cass. Crim. 16 mai 2001,
Gaydamak
, Bull. Crim., n° 126.
189) Cass. Crim. 11 février 2004,
Lacour
, Bull. Crim., n° 47.
190) Cass. Crim. 18 mars 1991,
Miailhe
, RJF 07/91, n° 1023.
191) Comme indiqué supra, les mécanismes liés au travail dissimulé dont certains
constituent d’ores et déjà des voies d’évasion importante (sous-traitance en cascade,
commerce sur internet, fraude au détachement) ne seront pas analysés ici.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
293
a)
Les mesures dérogatoires en faveur de l’emploi
Comme le montrent les résultats du contrôle de la branche
recouvrement, le chef de redressement le plus important concerne les
exonérations liées aux mesures dérogatoires en faveur de l’emploi. La
première source d’irrégularités et de fraude est donc logiquement liée à
l’optimisation des exonérations.
Au total, 49 dispositifs spécifiques étaient recensés à l’annexe 5 du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, qui
prévoyait un montant total des exonérations de 23 Md€. Le potentiel de
fraude offert par ces dispositifs est donc très important. Toutefois, il faut
signaler
que
la
plupart
des
fraudes
relatives
aux
mécanismes
d’exonération sont préjudiciables aux finances de l’État et non à celles de
la protection sociale, car les exonérations correspondantes font l’objet
d’une compensation budgétaire à 90 %.
A titre d’exemple, on présentera le cas des exonérations
applicables aux entreprises implantées en zones franches urbaines,
caractéristique des mesures d’exonération liées à un territoire
192
. Ce
dispositif, avantageux pour les entreprises mais coûteux pour les finances
publiques (la compensation versée par l’État en 2004 s’élevait à
295 M€
193
) est soumis à un certain nombre de conditions :
l’entreprise bénéficiaire ne doit pas avoir plus de 50 salariés
âgés de plus de 26 ans ;
l’entreprise doit être effectivement implantée dans la zone
franche urbaine où doit également se dérouler son activité
réelle ;
les salariés de l’entreprise doivent résider pour partie dans la
zone franche.
Chacune de ces conditions fixées par le législateur est l’objet de
contournement visant à bénéficier indûment des exonérations :
192) Instituées par la loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de
relance pour la ville, les zones franches urbaines sont des portions du territoire
national où les acteurs économiques bénéficient d’un régime de cotisation exorbitant
du droit commun. Les employeurs y sont ainsi exonérés – totalement pendant trois ans
puis partiellement pendant six ans – de cotisations de sécurité sociale.
193) Source : annexe 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2006.
294
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Certaines entreprises procèdent ainsi à une installation fictive
de leur siège social dans une zone franche urbaine alors
qu’elles n’y exercent aucune activité économique. Les sociétés
de domiciliation commerciales sont ainsi largement utilisées,
ainsi que des déplacements sans objet de salariés dans la zone
afin de prouver leur activité sur place.
Pour atteindre la proportion de salariés résidents, certains
d’entre
eux
sont
embauchés
puis
licenciés
presque
immédiatement.
Afin de ne pas dépasser les seuils d’effectifs, certaines
entreprises pratiquent des restructurations fictives en scindant
leur structure juridique sans aucun effet sur la réalité de
l’organisation de l’entreprise.
Les
comportements
de
certains
employeurs
sont
ainsi
manifestement frauduleux : dans la plupart des cas, ils n’encourent
cependant qu’une majoration de 10 % (plus 2 % par trimestre échu) pour
le retard dans le paiement des cotisations qu’ils ont tenté d’éluder.
b)
Les statuts particuliers
Proche de l’utilisation frauduleuse des mesures dérogatoires,
l’utilisation abusive de statuts particuliers ne relève pas d’un thème de
redressement spécifique identifié par l’ACOSS. Le droit des cotisations
sociales n’est en effet pas uniforme pour toutes les professions et certains
statuts présentent des avantages séduisants pour des employeurs. Trois
exemples peuvent être détaillés : les travailleurs indépendants, les droits
d’auteurs et royalties et les stagiaires
-
Les travailleurs indépendants
Les travailleurs indépendants visés à au premier alinéa de l’article
L.120-3 du code du travail bénéficient d’un régime spécifique de
cotisations sociales s’il n’est pas établi
« que leur activité les place dans
un lien de subordination juridique permanente à l’égard d’un donneur
d’ordre
» (article L.311-11 du code de la sécurité sociale). Le régime des
travailleurs indépendants est particulier en ce que le montant total des
cotisations versées est inférieur à celui du régime général mais que ces
cotisations sont intégralement à la charge du travailleur, ce qui le place
dans une situation moins favorable que s’il était salarié.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
295
Le recours à un travailleur indépendant est donc financièrement
intéressant pour l’entreprise qui cherche à minorer le montant de ses
cotisations sociales. D’anciens salariés ou de jeunes débutants sont ainsi
invités à s’immatriculer auprès des registres du commerce, ce qui permet
en outre à l’entreprise de s’affranchir des règles relatives à la durée du
travail et à sa rémunération. Les exemples les plus typiques sont ceux des
vendeurs par correspondance et des mandataires locaux des sociétés
d’assurance.
Les URSSAF redressent systématiquement les cotisations des
« faux travailleurs indépendants » et obtiennent un certain succès devant
les juridictions, sensibles à une forme de fraude qui vise à échapper aux
dispositions contraignantes du droit du travail.
-
Droits d’auteur et royalties
En vertu des dispositions des articles L.382-1 à L.382-10 du code
de la sécurité sociale, un régime spécial est prévu pour les droits d’auteur.
Les droits d’auteur sont les rémunérations allouées aux «
artistes
auteurs
d'oeuvres
littéraires
et
dramatiques,
musicales
et
chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et
plastiques, ainsi que photographiques
»
194
en contrepartie de la cession à
un tiers des droits d’exploitation de leur oeuvre. Leur régime, plus
favorable que celui des autres salariés du régime général, est géré par
deux associations loi 1901 : l’association pour la gestion de la sécurité
sociale des auteurs (AGESSA) et la maison des artistes.
Afin de bénéficier de ce régime avantageux, les personnes
concernées doivent exercer leur activité de façon indépendante et avoir
accompli un travail de création. La pratique montre toutefois que la
presse utilise très largement ce statut pour des journalistes professionnels,
collaborateurs réguliers de presse, pour des médecins qui coordonnent des
revues scientifiques ou pour des rédacteurs de questions pour jeux
télévisés. Cette pratique s'est également répandue chez les photographes
des agences de presse ou des agences photographiques, principalement
dans le domaine de l'audiovisuel. La subordination de ces « auteurs » à
des employeurs les fait pourtant relever du régime des travailleurs
salariés.
194) Article L.382-1 du code de la sécurité sociale.
296
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
L’utilisation abusive des royalties participe d’un comportement
plus explicitement frauduleux. Les royalties, proches des droits d’auteur,
sont en effet une rémunération «
due à l'artiste à l'occasion de la vente ou
de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou
présentation par l'employeur ou tout autre utilisateur dès que la présence
physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter ledit enregistrement
et que cette rémunération n'est en rien fonction du salaire reçu pour la
production de son interprétation, exécution ou présentation, mais au
contraire fonction du produit de la vente ou de l'exploitation dudit
enregistrement
. »
195
Les deux conditions cumulatives pour recevoir cette qualification
sont donc l’absence physique de l’artiste et le caractère aléatoire de la
rémunération, totalement déconnectée du salaire. Or, les entreprises
utilisent les royalties pour verser des compléments de salaire sous forme
de minima garantis, ce qui est explicitement contraire à la lettre comme à
l’esprit de la loi.
-
Le recours abusif aux stagiaires
Par dérogation aux principes édictés par l’article L.242-1 du code
de la sécurité sociale et en application de l’arrêté du 11 janvier 1978
modifié, les indemnités versées aux stagiaires sont exonérées de
cotisations de sécurité sociale pour les stages à caractère obligatoire – les
stages à caractère facultatif bénéficiant d’un régime préférentiel lorsque
leur rémunération est inférieure à 25 % du SMIC.
Non assujetti aux règles du code du travail concernant le salaire
minimum et exempt de cotisations de sécurité sociale, le stagiaire s’avère
une main d’oeuvre flexible et bon marché. Des entreprises ont donc
logiquement abusé de la formule, certaines d’entre elles employant
jusqu’à 90 % de stagiaires, grâce à des stagiaires dont le lien avec un
organisme de formation était parfois très ténu.
c)
Exclusion de l’assiette des cotisations
Alternativement à l’assujettissement à un régime spécifique, les
cotisants qui veulent minorer le montant de leurs prélèvements
obligatoires peuvent chercher à exclure de l’assiette des cotisations
certains éléments qui devraient pourtant y figurer. La surévaluation des
rémunérations non soumises à cotisations et des frais professionnels
représente ainsi 36 % du montant des redressements opérés par les
URSSAF (cf.
supra
).
195) Article L.762-2 du code du travail.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
297
Quatre voies sont en général utilisées pour exclure une partie de la
rémunération de l’assiette des cotisations : les frais professionnels,
l’épargne salariale, les transactions et le versement de dividendes.
-
La non-déclaration sans justification
La forme la plus simple pour exclure de l’assiette des cotisations
une partie de la rémunération est de ne pas la déclarer, sans autre motif
que celui d’échapper au prélèvement.
Aucune construction juridique ne venant justifier la non-
déclaration, celle-ci pourrait apparaître comme une forme de fraude assez
naïve, susceptible de redressements systématiques et importants. Tel n’est
pourtant pas le cas, notamment quand les sommes non déclarées sont des
avantages en nature consentis par l’entreprise à son salarié. Le contrôle de
cet élément de rémunération est en effet très complexe et en l’absence de
validation réglementaire de la méthode des sondages, le redressement des
avantages en nature est particulièrement consommateur de temps et
d’énergie pour les URSSAF.
-
L’utilisation abusive des frais professionnels et des frais
d’entreprise
Les frais professionnels, définis par l’arrêté du 20 décembre 2002
pris sur le fondement de l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale,
sont
exclus
de
l’assiette
des
cotisations
sociales.
Il
est
donc
particulièrement tentant pour les entreprises de transformer une partie de
la rémunération en frais professionnels en remboursant ceux-ci de
manière excessive ou en conférant ce qualificatif à des avantages en
nature.
Le cas le plus classique de fraude aux notes de frais est offert par
l’utilisation abusive des indemnités kilométriques versées à des employés
dont certains n’ont même pas le permis de conduire, de même que
l’utilisation
des
forfaits
per
diem
pour
les
déplacements.
La
transformation d’avantage en nature en frais professionnels est aussi
traditionnelle : le salarié prétend que le véhicule d’entreprise dont il a
l’usage privé lui sert pour ses déplacements professionnels, que le
logement mis à disposition sert de lieu de rendez-vous, etc.
Plus innovant est le recours à la notion de frais d’entreprise. Une
circulaire ministérielle a en effet étendu cette notion jurisprudentielle qui
permet d’exclure une partie des dépenses de l’assiette des cotisations,
lorsque les frais sont exceptionnels, engagés dans l’intérêt de l’entreprise
et exposés en dehors de l’exercice normal de l’activité des travailleurs
298
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
salariés et assimilés. Par elle-même, l’utilisation des frais d’entreprise en
dehors des cas strictement définis par les textes ne serait pas frauduleuse
si elle ne se cumulait pas avec l’exonération des forfaits accordés pour
frais professionnels : un même repas d’affaire peut ainsi donner lieu à
remboursement au titre des frais d’entreprise et à la déduction forfaitaire
spécifique pour fais professionnels. Selon les responsables du contrôle
des URSSAF, cette pratique connaît un fort développement.
-
Epargne salariale, intéressement et stock-options
Le Plan d’épargne entreprise est un système d’épargne collective
régi par les dispositions des articles L.443-1 à L.443-9 du code du travail.
Il est financé à la fois par les versements volontaires du salarié et par
l’aide complémentaire de l’entreprise appelée « abondement », qui
bénéficie d’une exemption totale de cotisation de sécurité sociale.
Certaines entreprises utilisent l’épargne salariale pour transformer
une partie des salaires en abondement, ce qui est explicitement prohibé
par le code du travail (article L.443-7 : «
Les sommes versées par
l'entreprise ne peuvent se substituer à aucun des éléments de
rémunération
») mais s’avère souvent complexe à établir.
L’intéressement, défini aux articles L.441-1 à L.441-7 du code du
travail, est un élément de rémunération exonéré de cotisations de sécurité
sociale s’il revêt un caractère collectif et aléatoire lié aux performances de
l’entreprise.
Les entreprises font parfois une interprétation large de la notion de
caractère aléatoire, certaines formules d’intéressement se traduisant in
fine par l’octroi d’un minimum garanti qui devrait en toute logique
réintégrer l’assiette des rémunérations soumises à cotisations.
De même, le caractère collectif est lui aussi contourné par les
entreprises, qui accordent parfois un intéressement lié aux performances
individuelles d’un employé : cet intéressement est en fait une prime,
assujettie aux prélèvements sociaux.
Les options d’achat d’actions, plus couramment appelées stock-
options, sont un mécanisme de rémunération inspiré de la pratique anglo-
saxonne et régis par les dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les
sociétés commerciales. Les salariés de l’entreprise peuvent ainsi souscrire
des bons d’achat ou acheter directement des actions à des prix fixés à
l’avance, lesquels sont en général plus bas que le marché – la différence
est appelée rabais. Ce rabais est exonéré de prélèvements sociaux
lorsqu’il est inférieur à 5 % du prix de l’action. En outre, la plus-value
d’acquisition n’est pas non plus assujettie lorsque le titre est nominatif et
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
299
que les titres ont été cédés après un délai supérieur à quatre ans (loi du
15 mai 2001).
Les deux conditions fixées par la loi donnent lieu à des
irrégularités : le rabais est supérieur à 5 % ou le délai d’indisponibilité
n’est pas respecté.
-
Indemnités de licenciement et transactions
Le droit des transactions consécutives aux ruptures du contrat de
travail est marqué par une complexité affirmée et fait intervenir des
renvois entre plusieurs codes. L’article L.242-1 du code de la sécurité
sociale prévoit ainsi que l’indemnité versée lors de la rupture d’un contrat
de travail est exonérée de cotisations sociales si elle est non imposable
selon les critères définis par l’article L.80 duodecies du code général des
impôts. Trois catégories d’indemnités de licenciement font ainsi l’objet
d’une exonération partielle :
les indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un plan
de sauvegarde de l’emploi au sens des articles L.321-4 et
L.321-4-1 du code du travail ;
les indemnités pour licenciement irrégulier ou abusif prévues à
l’article L.122-14-4 du code du travail ;
toute indemnité de licenciement versée à concurrence de leur
montant légal ou conventionnel.
En vertu des dispositions de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2006, les indemnités perçues en exécution d’un accord
d’entreprise, d’un contrat de travail ou d’une transaction dépassant le
montant légal ou conventionnel demeurent exonérées pour la part égale
au plus élevé des deux montants suivants :
50 % du montant total de l’indemnité versée ;
deux fois le montant du salaire brut perçu par le salarié l’année
civile précédant la rupture du contrat.
Afin de contenir le montant des exonérations ainsi accordées, la loi
de financement de la sécurité sociale pour 2006 a limité cette exonération
à six fois le plafond annuel de la sécurité sociale.
Les services du recouvrement ont observé que certaines entreprises
tiraient les conséquences de ces exonérations en pratiquant des
licenciements fictifs, immédiatement suivis de réembauche dans une autre
société du groupe. Une autre forme, plus courante, d’évasion sociale peut
se trouver dans les « clauses parachutes » accordées à certains cadres
supérieurs. Le caractère anticipé des arrangements devrait en effet
conférer aux sommes versées le caractère de rémunérations et non de
dommages-intérêts censés réparer un préjudice.
300
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
-
Le cas particulier des dividendes
Lorsqu’ils ne sont pas versés à titre de rémunération accessoire à
des personnels salariés, les dividendes sont totalement exclus de l’assiette
des cotisations sociales et ne sont assujettis qu’à la CSG et à la CRDS au
titre des revenus. Dans certains cas, ce non-assujettissement occasionne
des arbitrages qui ressortissent de l’évasion sociale. Les associés des
sociétés d’exercice libéral (SEL) créés par la loi n°90-1258 du
31 décembre 1990 ont ainsi la possibilité de scinder en deux leur
rémunération : l’indemnité de gérance pour leur travail et les dividendes
pour le capital, ce qui leur procure une importante capacité d’arbitrage.
Différentes caisses de retraites des professions libérales
196
ont
entrepris de contester devant le juge l’exclusion des dividendes de
l’assiette des cotisations sociales. Ces affaires sont actuellement en
instance.
d)
Les formes de rémunération atypiques
Certaines formes de rémunération ont une nature juridique hybride
ou incertaine, ce qui les rend propices à l’évasion sociale lorsque certains
employeurs tentent d’abuser de situations qui n’ont pas été explicitement
prévues par les textes. Il s’agit notamment des rémunérations allouées par
des tiers.
L’article L.242-1 du code de la sécurité sociale dispose que
l’assiette des
cotisations
comprend l’ensemble
des
éléments
de
rémunération versés au salarié, notamment les gratifications, les gueltes
197
et les avantages en nature (cf.
supra
).
Or, ces différents éléments de rémunération ne sont parfois pas
déclarés comme tels lorsqu’ils sont versés par des tiers : c’est notamment
le cas lorsque les gueltes sont versées aux salariés des entreprises de
vente par les entreprises de fournisseur ou lorsque des cadeaux sont
offerts par des fabricants à des salariés des distributeurs de la marque.
196) Il s’agit de la caisse nationale des barreaux français (la CNBF), la caisse
autonome de retraite des chirurgiens dentistes (CARCD) et de la caisse autonome de
retraite des chirurgiens français (CARCF).
197 « Prime ou commission allouée à un employé de magasin sur le produit des
ventes qu'il réalise » (dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
301
Le dispositif peut être toutefois beaucoup plus élaboré et faire
appel à un véritable montage juridique : ainsi des associations sont-elles
créées puis subventionnées par des employeurs dans le seul but de
rémunérer sous forme de prime les salariés qui n’ont pris part à aucune
autre activité que celle prévue par leur contrat de travail.
Ces montages étaient redressés avec rigueur par les URSSAF avant
les deux arrêts de la Cour de cassation intervenus le 11 mai 2001
URSSAF
de
Paris c/ Société
SCANIA
France
et
URSSAF
de
Paris c/ Société TUPPERWARE France. Dans ces deux arrêts, la
chambre sociale a estimé que les sommes versées aux travailleurs par des
sociétés autonomes par rapport à l’entreprise qui les emploie ne revêtaient
le caractère de rémunération soumise à cotisation que si elles
constituaient la
« contrepartie d'un travail accompli dans un lien de
subordination.
» Le lien de subordination étant complexe à prouver dans
les cas de rémunérations par des tiers, le montant redressé a connu un
certain tassement.
e)
Les montages juridiques par éclatement de la rémunération
L’évasion sociale implique en soi l’utilisation détournée d’un
dispositif
juridique.
Certains
mécanismes
récents
font
toutefois
spécifiquement appel à des montages juridiques de plus en plus
sophistiqués. Ces montages peuvent être purement nationaux ou bien
marqués par leur caractère transnational ; ils connaissent alors une fortune
liée aux failles de la coopération entre les différents États. Après la
description d’un cas de montage juridique utilisant le seul droit interne,
deux exemples serviront à montrer les possibilités aujourd’hui offertes
aux spécialistes de l’optimisation sociale. Tous sont marqués par un
moyen commun : l’éclatement artificiel de la rémunération du salarié.
-
Les groupes transnationaux
Les sociétés en participation ne sont pas le seul moyen de faire
échapper une partie de la rémunération au paiement des prélèvements
sociaux. Les groupes transnationaux offrent des perspectives intéressantes
liées à l’absence de coordination des contrôles entre les différentes
administrations chargées de recouvrir les cotisations sociales.
Ainsi, certains avantages en nature peuvent-ils faire l’objet d’une
prise en charge par une société étrangère appartenant au même groupe, et
ne faire ainsi l’objet d’aucun assujettissement, bien que ces sommes
constituent des éléments de rémunération soumises aux cotisations
sociales selon les dispositions de l’article L.242-1 du code de la sécurité
sociale.
302
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Le contrôle des URSSAF s’avère toutefois impossible dans la
mesure où l’entreprise qui verse le complément de rémunération n’entre
pas dans le ressort du recouvrement français.
-
Les partnerships
L’utilisation des
partnerships
est une variante de l’évasion
pratiquée par les groupes transnationaux. Ces mécanismes, qui relèvent
initialement de l’évasion fiscale, sont l’objet d’un contentieux dont l’issue
devrait s’avérer déterminante pour la capacité du URSSAF à redresser
cette forme d’évasion transnationale
Les
partnerships
sont des sociétés détenues par plusieurs
actionnaires et qui matérialisent des alliances technologiques ou
industrielles. Ce type de société, issu du droit anglo-saxon, est
particulièrement développé dans les cabinets juridiques, ainsi que dans les
sociétés d’audit ou de conseil.
Ces cabinets, installés dans plusieurs pays – dont la France et en
général un pays anglo-saxon –, utilisent les conventions bilatérales pour
assujettir fiscalement une partie des revenus dans une antenne étrangère,
pour peu que ces revenus proviennent de cette antenne. Il suffit alors aux
partnerships
de recruter l’essentiel des clients via l’antenne du pays de
leur choix pour jouer sur les différences de taux d’imposition. Des
avocats français vivant en France avec des clients exclusivement français
déclarent ainsi près de 90 % de leurs revenus à Londres.
Cette évasion fiscale se transforme en évasion sociale lorsque les
partnerships
refusent le paiement (et réclament du même coup le
remboursement du trop versé) de la CSG et de la CRDS sur les sommes
fiscalement assujetties à l’étranger. Ils se fondent pour cela sur le
caractère d’imposition des contributions reconnue par la jurisprudence
évoquée
supra
. La réponse à la question préjudicielle posée par le
Tribunal des affaires sociales le 30 janvier 2006 à la Cour de justice des
communautés européennes déterminera le régime applicable aux
partnerships
198
.
198) Il est à ce titre regrettable que les mémoires rendus par l’État français et
l’URSSAF de Paris présentent des conclusions opposées, ce qui risque d’entraîner un
déficit de cotisations estimé par l’union de recouvrement à 60 M€.
Annexe III – Une méthode directe
simplifiée d’estimation de la fraude
Le principe général de cette approche de la mesure de la fraude,
fiscale ou sociale, est simple. Il consiste à extrapoler à l’ensemble des
contribuables ce que l’on observe en matière de redressements
199
sur
« l’échantillon » des contribuables contrôlés. Ainsi, s’agissant des
cotisations sociales, on observe, dans le cadre du contrôle comptable
d’assiette (CCA) de 2004
200
, un redressement total de 575 millions des
33 milliards d’euros de cotisations liquidées par les 117 000 entreprises
contrôlées. Il en ressort un taux de redressement moyen de 1,74 %. Si on
applique ce taux aux 200 milliards de cotisations liquidées au régime
général par l’ensemble des 2,1 millions d’entreprises, contrôlées ou non,
le redressement obtenu s’élève à 3,5 milliards, soit 1,75 milliard d’euros
en données annualisées
201
.
On va voir maintenant pourquoi et comment ce calcul doit être
affiné.
1. Le ciblage des contrôles fiscaux et sociaux
Les services de contrôle, aussi bien fiscaux que sociaux, savent
depuis longtemps que certaines catégories d’entreprises sont, plus que
d’autres, susceptibles de frauder : le
risque
qu’elles présentent est, en un
sens à préciser, plus élevé que le « risque moyen » de l’ensemble des
entreprises. L’échantillon des entreprises contrôlées sur-représente donc
en principe ces catégories : il y a
ciblage
des contrôles.
1.1 Les deux aspects du risque de fraude : fréquence et ampleur
Le risque présenté par les entreprises revêt deux aspects. D’une
part, la probabilité que ce risque se réalise, c’est-à-dire que le montant de
cotisations qu’elles ont liquidé soit à redresser, et, d’autre part, si
redressement il y a, l’ampleur de celui-ci. Le ciblage, dont l’objet est de
recouvrer la plus grande part possible des impôts et des cotisations
éludés, doit prendre en compte ces deux aspects.
199) Rappelons que dans ce rapport, on s’intéresse, plus largement qu’à la fraude, aux
redressements en général : erreurs d’application de la législation, interprétation de la
législation, …
200) 2004 est l’année durant laquelle a été pratiqué le contrôle. Celui-ci porte sur les
cotisations dues au titre de l’activité des trois années précédentes.
201) On revient en détail sur cette question en 2.2.
304
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Ainsi, la taille des entreprises est un critère central pour
l’appréciation du risque de fraude ou plus généralement de redressement.
Dans le domaine de la fraude sociale, la probabilité qu’une entreprise
contrôlée soit redressée augmente fortement avec sa taille : 44 % chez les
très petites entreprises (TPE), 72 % chez les PME et 88 % chez les
grandes entreprises (GE)
202
(données du CCA de 2004). De même, et bien
que le
taux
de redressement de l’assiette diminue quand la taille augmente
(4,2 % chez les TPE, 2,6 % chez les PME et 1,6 %% chez les GE), le
montant
des redressements augmente, lui, fortement avec les effectifs
(tableau infra).
Tableau n° 6- Fréquence des redressements, dans le cadre du CCA de 2004, des cotisations de
sécurité sociale du régime général
Source : ACOSS - DIRRES
Tableau n°7 - Structure des cotisations liquidées du régime général, totales et contrôlés (CCA),
en fonction de la taille des entreprises
Distribution
des
cotisations
liquidées
selon la taille
Montant total
des
cotisations
liquidées
(Mds
d’euros)
TPE
17,06 %
34
PME
35,22 %
69
GE
47,72 %
94
Total
100 %
197
Source : ACOSS - DIRRES
202) TPE : au plus 10 salariés, PME : entre 10 et 200 salariés, GE : plus de 200
salariés.
Fréquence de
redressement des
personnes contrôlées
Taux de redressement des
cotisations des personnes
contrôlées
TPE
44 %
4,2 %
PME
72 %
2,6 %
GE
88
%
1,6 %
Total
54 %
2,1 %
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
305
De fait, les grandes entreprises (GE) donc sur-représentées dans le
contrôle des URSSAF : alors que, globalement,
5,6 % des entreprises le
sont, 22% des GE sont inspectées alors qu’elles ne représentent que 1 %
des entreprises. De même 15% des petites et moyennes entreprises sont
contrôlées alors qu’elles n’en représentent que 11%. Enfin, seules 4% des
très petites entreprises sont contrôlées alors qu’elles représentent
88 % des entreprises (tableau infra).
Tableau n°8 - Structure des effectifs des entreprises, totaux et contrôlés (CCA en 2004), en
fonction de la taille
Distribution
des
personnes
selon la taille
Nombre de
personnes
(milliers)
Taux de
contrôle des
personnes
Nombre de
personnes
contrôlées
effectivement
Nombre de
personnes
contrôlées si
le contrôle
avait été
représentatif
de la taille
des
entreprises
TPE
88%
1 841
4,30%
78,2
102,9
PME
11%
227
14,70%
33,4
12,7
GE
1%
24
22,30%
5,4
1,4
Total
100%
2 092
5,60%
117
117
Source : ACOSS - DIRRES
Mais
ce
ciblage
des
grandes
entreprises
est
largement
« mécanique » : les masses de cotisations en jeu avec les grandes
entreprises les rendent plus « attractives » au contrôle même si les taux de
redressement sont beaucoup plus faibles.
Bien d’autres critères de risque existent, liés directement à la
structure de l’entreprise (secteur d’activité, structure du compte de
résultat ou de bilan, …), à la législation ou au contrôle lui-même
(probabilité d’être contrôlé, …). Quels qu’en soient les déterminants, le
ciblage conduit à un échantillon
non représentatif
d’entreprises
contrôlées. Il induit ainsi un biais dans une extrapolation globale à
l’ensemble des entreprises des redressements des entreprises contrôlées :
le dispositif de contrôle ne constitue pas un sondage aléatoire simple,
mais un
sondage stratifié
.
306
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
1.2 Une estimation par sondage stratifié
On contourne cette difficulté en stratifiant l’univers des entreprises
en classes « homogènes », par exemple de taille et d’activité, puis en
appliquant la méthode d’extrapolation précédente au sein de chacune de
ces « strates » d’entreprises. Par totalisation sur les classes, on obtient
alors une évaluation plus précise de la fraude de l’ensemble des
entreprises. Formellement, la méthodologie mise en oeuvre pour prendre
en compte le ciblage des contrôles consiste à calculer sur les entreprises
contrôlées de chacune des strates
h
un taux de redressement
τ
h
:
=
h
h
e
i
i
e
i
i
h
m
δ
τ
(
e
h
: ensemble des entreprises contrôlées de la strate
h
,
δ
i
redressement de
l’entreprise
i
,
m
i
cotisations liquidées par l’entreprise
i
) ;
puis à l’appliquer au total des cotisations liquidées par les
entreprises de la strate, fournissant ainsi une estimation
F
de la fraude de
l’univers des entreprises :
=
h
E
i
i
h
h
m
F
τ
(
E
h
: ensemble de toutes les entreprises de la strate)
On obtient ainsi un taux de redressement global en rapportant F au
total des cotisations liquidées par l’univers des entreprises :
=
=
h
h
E
i
i
E
i
i
E
i
i
m
m
m
F
h
τ
τ
(
E
: ensemble des entreprises)
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
307
Il convient bien sûr de s’assurer qu’il y a suffisamment
d’entreprises contrôlées par strate et/ou d’éliminer les entreprises qui sont
l’objet de redressements extrêmes, et qui par extrapolation peuvent
biaiser l’estimation finale.
Avant d’examiner ce que donne cette méthodologie dans le cadre
de la fraude fiscale et sociale, il est indispensable de développer des
éléments d’analyse comparative avec l’extrapolation directe. Rappelons
que celle-ci consiste plus simplement à calculer directement un taux de
redressement global
t
de l’ensemble des entreprises contrôlées puis à
l’appliquer au total des cotisations liquidées par l’univers des entreprises.
On a :
=
e
i
i
e
i
i
m
t
δ
On établit facilement les expressions suivantes des taux de
redressement
sans
et
avec
prise en compte du ciblage :
h
e
i
i
e
i
i
m
m
t
h
τ
=
h
E
i
i
E
i
i
m
m
h
τ
τ
=
Dans les deux cas, il s’agit d’une moyenne des taux de
redressement par strate, taux pondérés dans le premier cas par le poids, en
montant de cotisations liquidées, des strates dans l’échantillon des
entreprises contrôlées, dans le second par le poids des strates dans
l’univers des entreprises. Ainsi,
en l’absence de traitement du ciblage, il y
a surpondération des taux de redressement des strates ciblées
203
. Il en
résulte les deux règles suivantes qui seront utiles pour analyser les
résultats obtenus par la méthode d’extrapolation par stratification :
203) Les strates ciblées par le contrôle sont sur-représentées en effectifs. On suppose
que les strates sont suffisamment homogènes pour que cela se traduise aussi par une
surpondération en terme de cotisations liquidées.
308
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Règle 1
: si les taux de redressement sont
plus élevés
dans les
strates ciblées, alors l’absence de traitement du ciblage conduit à une
surestimation
de la fraude dans l’univers ;
Règle 2
: si les taux de redressement sont
moins élevés
dans les
strates ciblées, alors l’absence de traitement du ciblage conduit à une
sous-estimation
de la fraude dans l’univers.
On voit ainsi que l’idée selon laquelle la non prise en compte du
ciblage conduit à une surestimation de la fraude (règle 1) peut être prise
en défaut (règle 2).
C’est ce qui se produit, on va le voir, avec un
premier
niveau de ciblage
, qui se limite (par définition) à la prise en compte de la
taille
des entreprises et de leur
secteur
d’activité.
2. Ciblage de « premier niveau ». Cas de la fraude sociale
2.1 Les données de contrôle des URSSAF fournies par l’ACOSS
S’agissant de la fraude sociale, la DIRRES – Direction de la
réglementation du recouvrement et du service – au sein de l’ACOSS, a
fourni, pour l’élaboration de ce rapport, une base de données détaillée sur
les contrôles des cotisants par les URSSAF en 2004. Bien que ne
contenant pas, contrairement à la base fournie par la DGI, de données
individuelles, cette « base ACCESS », bien documentée, est d’une grande
richesse informative. Les variables fournies ont été ventilées selon un
certains nombre de critères disponibles de nature à expliquer la fraude.
La base de données contient en premier lieu des statistiques sur le
nombre
total
d'entreprises
en 2004, le nombre d'entreprises contrôlées et,
enfin, le nombre d'entreprises redressées.
Pour être exact, plutôt que
d’entreprises, il s'agit de « personnes » au sens des URSSAF : les
établissements d'une entreprise relevant de la même URSSAF sont
regroupés. Plus important, il s’agit, comme on l’a déjà dit,
du nombre de
"personnes" redressées en 2004 au titre des cotisations dues pour les
années 2001, 2002 et 2003, sans qu’il soit possible de ventiler les
redressements entre chacune des trois années.
Sont également disponibles les effectifs de salariés correspondant à
ces différentes catégories d’entreprises : nombre de salariés des personnes
à contrôler en 2004, nombre de salariés contrôlés en 2004 et nombre de
salariés des "personnes" redressées en 2004 au titre de l'activité 2001 à
2003. Ces effectifs ressortent des derniers BRC de 2003, éventuellement
corrigés par le responsable contrôle. Si, dans l’ensemble, la base est de
bonne qualité s’agissant des effectifs, des incohérences avec les montants
de cotisations ont été détectées. Cette variable, fragile selon la DIRRES,
n’a donc pas été exploitée.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
309
Les cotisations liquidées, donnée essentielle, font évidemment
partie des variables de la base. Il s’agit des cotisations liquidées en 2004.
De même, la base fournit les redressements sur les années 2001-2002-
2003. Il s'agit cependant, comme pour le nombre d’entreprises redressées,
du cumul sur les trois années contrôlées, la ventilation par année n'étant
pas disponible.
Il était nécessaire de disposer d’une ventilation suffisamment fine
de ces variables. De fait, l'information précédente est ventilée selon les
"classes" obtenues par croisement de multiples critères que l'on précise
maintenant.
Les
types de contrôle
. Quatre sont distingués : les contrôles
comptables d'assiette (CCA), les actions spécifiques contre le travail
illégal, les contrôles « forfaitaire et TI », les autres actions de contrôle.
S'agissant des
chefs de redressement
, la ventilation correspond à
celle du document annuel "Bilan du contrôle de cotisants", en distinguant
les redressements positifs des redressements négatifs.
Au total, 17
secteurs d'activité
sont distingués :
sidérurgie, métallurgie ;
BTP ;
bois, matières plastiques ;
industries chimiques ;
pierres et terres à feu ;
caoutchouc, papiers, cartons ;
livres, presse, édition ;
textile, cuir ;
alimentation ;
transport, manutention ;
commerces non alimentaires ;
HCR ;
travail temporaire ;
services sociaux, culture, sport ;
industries diverses ;
administrations,
collectivités
territoriales,
établissements
publics.
310
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Il faut ajouter un 18
ième
secteur, « fictif », qui rassemble les
entreprises pour lesquelles l’information n’est pas disponible (entreprises
non déclarées notamment).
Les données sont ventilées selon 7 tranches de taille : moins de 10,
de 10 à 49, de 50 à 199, de 200 à 499, de 500 à 999, de 1000 à 4999, de
plus de 5000 salariés.
Enfin, la localisation géographique des entreprises est disponible
dans la base de données par la précision venant des URSSAF chargées du
contrôle.
2.2 Mise en oeuvre
La mise en en oeuvre de la méthode exposée en 1.2 est délicate du
fait de la nature des données du contrôle. En effet, chaque année, le
contrôle porte sur les trois années précédentes. L’article L 244.3 du code
de la sécurité sociale prévoit en effet que le délai de reprise des
cotisations et contributions sociales lors des contrôles est porté à trois
années civiles plus éventuellement l’année en cours. En outre, en cas de
constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal, le délai
de reprise des cotisations est étendu à cinq années civiles et à l’année en
cours. A priori, il convient donc, du moins pour les données issues du
CCA puisque ce type de contrôle ne conduit que marginalement à un
constat de travail illégal, de diviser par au moins trois les redressements.
Or, d’une part, une entreprise n’est pas nécessairement fraudeuse sur
toute la période contrôlée ; d’autre part, le contrôle, par manque de
moyen ou pour d’autres raisons, peut ne contrôler une entreprise que sur
une partie des trois années potentielles. Pour ces raisons, il convient de
diviser les montants de redressement mais pas par trois, ce qui serait
excessif. On propose ici de ne garder que la moitié du montant des
redressements CCA. S’agissant des redressements pour travail illégal, il
est très difficile aux contrôleurs d’établir une fraude remontant à plus
d’un an. Les données ont donc été considérées comme annuelles.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
311
Autre difficulté : les
redressements négatifs. Le montant des
redressements pratiqués à l’issue d’un CCA, qui apparaissent dans le
Bilan des cotisants publié chaque année par l’ACOSS (693 millions en
2004 par exemple), totalisent le montant des redressements positifs
(575 millions d’euros) et négatifs (117 millions d’euros) alors que, dans
une logique d’évaluation de la fraude, il ne faut garder que les rappels
positifs. Si l’on s’intéresse au « manque à gagner pour l’Etat », les
redressements positifs extrapolés doivent même être diminués des
redressements négatifs extrapolés. Ces considérations sur la manière de
prendre en compte les redressements négatifs ne valent pas pour les
redressements pratiqués dans le cadre du travail au noir : ils sont dans ce
cas systématiquement positifs !
2.3 Résultats
Les résultats obtenus à partir de la méthodologie exposée en 1.2 et
les données présentées en 2.1 apparaissent dans les tableaux suivants.
312
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°9 - Extrapolation des redressements, positifs et négatifs, dans le cadre d’un contrôle
comptable d’assiette (régime général). Données par secteurs d’activité
Secteur
d’activité
Montant des
cotisations
liquidées (en
Md€)
Montant
estimé des
redressements
positifs à
effectuer (en
M€)
Montant
estimé des
redressements
négatifs à
effectuer (en
M€)
Taux de
redressement
positif des
cotisations
Taux de
redressement
négatif des
cotisations
Non identifiée
0,3
3,5
0,6
1,40%
0,20%
Sidérurgie
métallurgie
22,3
141,8
35
0,60%
0,20%
Bâtiment travaux
publics
10,4
157,5
40,5
1,50%
0,40%
Bois transformé,
matières
plastiques
3,3
22,3
7,3
0,70%
0,20%
Industries
chimiques
4,5
43,8
4,2
1,00%
0,10%
Pierres et terres à
feu
1,6
11,8
3,2
0,70%
0,20%
Caoutchouc
papiers cartons
1,5
8,2
6
0,50%
0,40%
Livres presse
édition
4,8
44,5
12,2
0,90%
0,30%
Textiles cuirs
peaux
3,3
42,7
8,3
1,30%
0,20%
Alimentation
11
101
24
0,90%
0,20%
Transports
manutention
10,9
116,2
24,6
1,10%
0,20%
Commerces non
alimentaires
25,2
252,3
60,5
1,00%
0,20%
Hôtellerie, cafés,
restauration
5,6
70,1
26,1
1,30%
0,50%
Travail
temporaire
5,8
70,2
9,7
1,20%
0,20%
Serv. Sociaux,
culture, sport
23,3
231,3
60,6
1,00%
0,30%
Prestations de
services divers
48,4
494,1
86,7
1,00%
0,20%
Industries
diverses
1,8
35,8
4,8
2,00%
0,30%
Adm., coll.
territ., ets.
publics
15,8
67,5
13
0,40%
0,10%
Ensemble des
secteurs
199,7
1 914,60
427,3
1,00%
0,20%
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
313
Ainsi, les cotisations éludées (relevant du CCA) estimées sur la
population totale seraient de l’ordre de 2 milliards d’euros et, ce qui n’est
pas négligeable, de plus de 400 millions s’agissant des trop perçus. On
observe, sans surprise, des taux de redressement élevés dans les secteurs
HCR et du BTP.
Si le ciblage de premier niveau n’était pas pris en compte (cf. 1.2),
on obtiendrait un montant de cotisations éludées
inférieur
de 180 millions
d’euros. Ainsi, la prise en compte du ciblage de premier niveau joue selon
la règle 2 énoncée au paragraphe 1.2. Au sein des strates ciblées,
correspondant à des seuils d’effectifs élevés, l’effet « taille » des
entreprises l’emporte sur l’effet « secteur d’activité » : si les taux de
redressement par entreprise y sont effectivement plus faibles, les
montants de redressement en valeur absolue y sont bien supérieurs (ce qui
importe au contrôle).
Si l’on s’en tient aux effectifs (tableau suivant), c’est évidemment
la règle 1 qui prime : en l’absence de prise en compte du ciblage, un peu
plus d’un million d’entreprises seraient considérées comme éludant des
cotisations au lieu des 870 000 qui apparaissent dans le tableau suivant.
314
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°10 - Nombre (milliers) et proportion d’entreprises à redresser, positivement et
négativement, dans le cadre d’un contrôle comptable d’assiette (régime général). Données par
secteurs d’activité
Secteur d’activité
Nombre
d’entreprises
Estimation du
nombre
d’entreprises
à redresser
positivement
Estimation du
nombre
d’entreprises
à redresser
négativement
Estimation de
la proportion
d’entreprises
à redresser
positivement
Estimation de
la proportion
d’entreprises
à redresser
négativement
Non identifiée
1,9
0,8
0,3
43,40%
16,80%
Sidérurgie
métallurgie
87,9
42,6
18,6
48,50%
21,20%
Bâtiment travaux
publics
235
100,5
55,9
42,80%
23,80%
Bois transformé,
matières plastiques
19,5
9,2
4,3
47,20%
22,20%
Industries chimiques
7
3,8
1,3
53,30%
19,10%
Pierres et terres à feu
8,2
4,3
1,7
51,80%
21,00%
Caoutchouc papiers
cartons
3,5
2
0,9
57,40%
25,50%
Livres presse édition
45,6
21,5
9,2
47,10%
20,30%
Textiles cuirs peaux
57,9
22,4
8,3
38,70%
14,40%
Alimentation
135,5
51,3
22,7
37,90%
16,80%
Transports
manutention
65,2
33,5
13,1
51,30%
20,00%
Commerces non
alimentaires
368,5
150,5
66,7
40,80%
18,10%
Hôtellerie, cafés,
restauration
191,6
80,3
36,3
41,90%
18,90%
Travail temporaire
2,9
2,4
1
80,70%
34,80%
Serv. Sociaux,
culture, sport
254,2
108,4
51,2
42,60%
20,20%
Prestations de
services divers
535,6
210,6
88,4
39,30%
16,50%
Industries diverses
18,6
7,7
3,1
41,10%
16,80%
Administrations,
coll. territ., ets.
publics
58,9
19,6
5,8
33,30%
9,90%
Ensemble des
secteurs
2 097,50
871,3
389,2
41,50%
18,60%
Les deux tableaux suivants donnent les résultats de l’extrapolation
des contrôles comptables d’assiette à l’ensemble des entreprises, mais
cette fois par tranche d’effectif.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
315
Tableau n°11 - extrapolation des redressements, positifs et négatifs, dans le cadre d’un contrôle
comptable d’assiette (régime général). Données par tranches d’effectifs
Tranche
d'effectif
Montant des
cotisations
liquidées
(en Md€)
Montant
estimé des
redressements
positifs à
effectuer
(en M€)
Montant
estimé des
redressements
négatifs à
effectuer
(en M€)
Taux de
redressement
positif des
cotisations
Taux de
redressement
négatif des
cotisations
0 à 9
36,7
578
149,5
1,60%
0,40%
10 à 49
39,2
431
127,4
1,10%
0,30%
50 à 199
32,1
281,5
76,7
0,90%
0,20%
200 à 499
21,8
155,4
37,2
0,70%
0,20%
500 à 999
15,4
91,4
13,4
0,60%
0,10%
1000 à 4999
26,6
173,3
17,2
0,70%
0,10%
5000 et plus
27,8
203,8
5,9
0,70%
0,00%
Total
199,7
1 914,60
427,3
1,00%
0,20%
Comme on l’a dit, les taux de redressement diminuent quand la
taille des entreprises augmente (tableau ci-dessus) alors que la fréquence
des redressements augmente au contraire avec celle-ci (tableau ci-
dessous).
En prenant également en compte les cotisations applicables aux
régimes complémentaires de retraite et d’assurance chômage, on aboutit à
un résultat total de 2,2 Md€
204
.
204) Evaluation établie à partir des données 2005 de l’ACOSS en retenant un taux de
cotisation retraite complémentaire + assurance chômage égal à 20 % du total
cotisations de sécurité sociale + CSG. Ce taux n’a été appliqué qu’à 67 % du montant
évalué des redressements. En effet, ceux-ci incluent pour 33 % des redressements sur
des exonérations de cotisations sociales qui ne s’appliquent pas aux cotisations
d’assurance chômage ni à celle pour les régimes complémentaires de retraite.
316
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°12
- Nombre (milliers) et proportion d’entreprises à redresser, positivement et
négativement, dans le cadre d’un contrôle comptable d’assiette (régime général). Données par
tranches d’effectifs
Tranche
d’effectif
Nombre
d’entreprises
Estimation du
nombre
d’entreprises
à redresser
positivement
Estimation
du nombre
d’entreprises
à redresser
négativement
Estimation de la
proportion
d’entreprises à
redresser
positivement
Estimation de la
proportion
d’entreprises à
redresser
négativement
0 à 9
1 842,60
699,6
314,7
38,00%
17,10%
10 à 49
205,5
131,9
58,1
64,20%
28,30%
50 à 199
37,5
29,6
12,1
78,80%
32,30%
200 à 499
7,6
6,4
2,7
83,60%
35,10%
500 à 999
2,4
2,1
0,9
86,40%
35,50%
1000 à 4999
1,6
1,5
0,6
92,20%
37,40%
5000 et plus
0,3
0,2
0,1
88,90%
44,50%
Total
2 097,50
871,3
389,2
41,50%
18,60%
Le tableau suivant présente l’extrapolation, à l’ensemble des
entreprises, des cotisations éludées du fait de dissimulation de salariés.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
317
Tableau n°13 - Estimation des cotisations de sécurité sociale éludées dans le
cadre du travail dissimulé des salariés. Données par secteurs d’activité
Secteurs d’activité
Montant des
cotisations éludées
pour dissimulation de
salariés (en M€)
Non identifiée
4,7
Sidérurgie métallurgie
143,1
Bâtiment travaux publics
1089,6
Bois transformé, matières plastiques
3,8
Industries chimiques
10,7
Pierres et terres à feu
10,9
Caoutchouc papiers cartons
8,7
Livres presse édition
40,8
Textiles cuirs peaux
155,3
Alimentation
135,5
Transports manutention
410
Commerces non alimentaires
1 225,40
Hôtellerie, cafés, restauration
298,8
Travail temporaire
10,1
Serv. Sociaux, culture, sport
339,7
Prestations de services divers
1 191,30
Industries diverses
75,3
Administrations, coll.ectivités territoriales, établissements
publics
1,8
Ensemble des secteurs
5 155,30
(1) Uniquement les cotisations du régime général de la Sécurité sociale
On insiste sur la fragilité de ces chiffrages du fait du nombre limité
de contrôles (10 000) dans le domaine du travail illégal par rapport aux
contrôles comptables d’assiette (près de 120 000).
Par rapport à ce résultat de
5,1 Md€
en 2005, qui ne concerne que
les cotisations de Sécurité sociale stricto sensu
,
on y ajoute les cotisations
éludées d’assurance chômage et celle de retraite complémentaire – qui
sont des cotisations sociales mais pas des cotisations de sécurité sociale,
on aboutit à une estimation totale
de 6,2 Md€ de cotisations sociales
éludées au titre du travail dissimulé.
318
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
3. Ciblage de « premier niveau ». Cas de la fraude fiscale
3.1 Une évaluation de l’économie souterraine à partir des contrôles
fiscaux
On présente ici la méthode d’évaluation de l’économie souterraine
telle qu’elle est mise en oeuvre par l’INSEE dans le cadre de l’élaboration
des comptes nationaux. Cette méthodologie répond aux exigences
européennes en la matière.
3.1.1
Principes généraux
Le PIB est la somme des valeurs ajoutées produites par les
différents secteurs de l’économie. Cette valeur ajoutée est égale à la
production
(P)
de
ces
secteurs
diminuée
des
consommations
intermédiaires induites (CI) :
VA = P - CI
Si les données du contrôle fiscal fournissent assez directement le
redressement de la production (cf. 3.1.4), elles ne permettent pas de
connaître de manière fiable le redressement qu’il conviendrait d’appliquer
aux consommations intermédiaires. On contourne cette difficulté en
exploitant une autre expression classique de la valeur ajoutée. Salariés
(leur rémunération S) et entreprises (« l’excédent brut d’exploitation »
(l’EBE)) se partagée celle-ci :
VA = S + EBE
Les données du contrôle fiscal sur place fournissent une bonne
estimation du redressement de l’EBE (cf. 3.1.4). Ainsi, avec les deux
relations précédentes, on dispose du redressement
205
total des charges des
entreprises :
CI +
S =
P -
EBE
205) Le redressement d’un agrégat est désigné par la lettre
.
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
319
Les données de la DILTI sur le contrôle du travail illégal
permettent, à dire d'expert, de déterminer les secteurs d’activité concernés
(i.e. ceux pour lesquels
S > 0) puis la part
α
des salaires dissimulés dans
le total des charges dissimulées :
S =
α
(
P -
EBE)
Cette part
α
est estimée selon les secteurs. Ainsi, avec la seconde
égalité, la valeur ajoutée dissimulée s ‘exprime :
VA =
α∆
P + (1-
α)∆
EBE
dans laquelle
P,
EBE et
α
sont estimés pour chaque secteur. Il
importe de comprendre la signification du coefficient
α
: il représente,
dans le total des charges
dissimulées
, la part des salaires relatifs aux
emplois non déclarés et aux heures non déclarées effectuées par des
salariés déclarés.
Pour les entreprises sans travail au noir (
α
= 0) :
VA =
EBE
A l’opposé, pour les entreprises, déclarées ou non, où tout ou partie
de la VA est réalisée dans le cadre de travail dissimulé :
VA =
P
3.1.2
Les données du contrôle fiscal fournies par la DGI
Les données du contrôle fiscal désormais disponibles, celles qui
seront exploitées en 3.2 pour établir une estimation directe de la fraude
fiscale, ne sont plus aussi riches en informations qu’auparavant. Les
comptables nationaux, dans le cadre de leur récent travail de mise à jour
du redressement du PIB lié à l’économie souterraine
206
, ont pu cependant
exploiter les données du contrôle fiscal des campagnes 1996, 1997 et
1998, qui contenaient encore une information abondante. On y relève en
effet, pour chaque contribuable (personne physique ou morale), contrôlée
par le fisc:
206) Pour la « base 2000 ».
320
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
l’
activité
principale
du contribuable, c’est-à-dire le code APE
de l’entreprise (le cas échéant, le code DGI des professions non
commerciales) ;
le
statut juridico-fiscal
, permettant de distinguer EI et SNF ;
le
régime fiscal
;
les dates (mois et année) de début et fin officielles de la
période
de vérification
;
les
bases d’imposition
avant et après vérification de la TCA
(c’est-à-dire la TVA brute) et de l’IS ou de l’IR (selon le statut
fiscal du contribuable et l’objet de la vérification) ;
les
montants de redressement de l’assiette
de l’IS ou de l’IR
(régime des BIC ou BNC ou BA), détaillés par chef de
redressement (dont, en particulier, les redressements pour
omission ou dissimulation de recettes) ;
les montants des
droits rappelés
de TVA, détaillés par chef de
redressement (dont, en particulier, les rappels de TVA pour
omission ou dissimulation de recettes taxables).
3.1.3
Difficultés d’exploitation
En dépit de leur grande richesse, ces données du contrôle fiscal
soulèvent une importante difficulté d’exploitation, déjà rencontrée avec
les contrôles des URSSAF dans le domaine social : elles ne sont pas
annuelles. Les montants enregistrés (bases d’imposition, redressements en
base, rappels de taxes) au cours d’une campagne de contrôle fiscal se
rapportent, on l’a vu, à des périodes de vérification de durée variable d’un
contrôle à l’autre. La durée officielle d’un contrôle est le plus souvent
comprise entre 12 et 36 mois.
Le calcul des taux moyens de fraude des entreprises contrôlées, au
coeur de la méthode d’extrapolation des contrôles, implique d’additionner
des montants individuels de bases d’imposition (ou de redressements) se
rapportant à des périodes de vérification de durées variables. On ne peut
procéder à de tels calculs sans convertir au préalable les montants
enregistrés en leurs équivalents annuels.
Or, à la différence des données de contrôle des URSSAF fournies
par l’ACOSS pour établir ce rapport, les données DGI sont individuelles
et la période de contrôle est connue au mois près. L’annualisation des
données peut donc être réalisée plus finement que dans le cadre de
l’exploitation des contrôles des cotisations sociales. Pour cela, a été faite
l’hypothèse simplificatrice que les montants de bases d’imposition, de
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
321
redressements en base et de rappels de TVA enregistrés dans les fichiers
de contrôles fiscaux sont proportionnels aux durées des périodes de
vérification auxquelles ils se rapportent.
3.1.4
Mise en oeuvre
L’extrapolation des redressements des entreprises contrôlées à
l'exhaustif des entreprises a été réalisée conformément à la méthodologie
présentée en 1.2.
Aussi bien la population contrôlée que l'univers des entreprises ont
été stratifiés selon trois critères :
le statut juridique (EI ou SNF) ;
le régime d'imposition (donc la tranche de chiffre d'affaires) ;
le secteur d'activité (118 secteurs).
Pour chaque entreprise contrôlée, le redressement de la production
a été « approximé » par celui de la base de TCA pour omission ou
dissimilation de recettes, disponible dans la base du contrôle fiscal. Quant
à l’excédent brut d’exploitation, son redressement a été estimé à partir du
redressement du résultat fiscal pour omission ou dissimilation de recettes,
également disponible dans la base du contrôle fiscal.
On insiste à nouveau sur le fait que les préoccupations des
comptables nationaux, si elles sont liées à la question de la mesure de la
fraude, n’y apportent de réponse qu’indirectement et partiellement. En
particulier, s’agissant de mesurer l’économie souterraine, les comptes
nationaux ne s’intéressent naturellement qu’à la partie « pour omission de
recette » du redressement du CA et de l’EBE. Le redressement par le fisc
de ces postes peut être supérieur, à la dissimulation de recettes pouvant
s’ajouter d’autres chefs relatifs par exemple aux amortissements, aux
provisions, aux plus-values ou aux moins-values, …
Le redressement du résultat fiscal n’a pas été rapporté à sa valeur
déclarée, bien qu'elle soit disponible dans les données du contrôle fiscal,
car un tel résultat peut être nul ou négatif (situation plus fréquente chez
les entreprises contrôlées : c’est ce qui a sans doute attiré l’attention du
contrôleur). Les redressements de la production comme de l’EBE ont
donc été rapportés au total des bases de TCA des entreprises contrôlées
de la strate.
322
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
3.1.5
Résultats
Les taux de redressement ainsi obtenus au niveau des strates
d’entreprises par croisement des 118 secteurs d’activités, des deux statuts
juridiques retenus et des différents régimes fiscaux ont été appliqués au
chiffre d’affaires de l’exhaustif de ces strates, donnant ainsi
P et
EBE
donc, avec
α
(cf. tableau), le redressement de la valeur ajoutée.
Tableau n°14- Redressement de la valeur ajoutée pour fraude et travail au noir, en 2004
En % du PIB
En Mds d’euros
Dissimulation de VA dans les
entreprises non déclarées
0,70%
10,8
Dissimulation de VA liée à du travail
dissimulé dans les entreprises déclarées
0,60%
10,9
Dissimulation d’EBE sans travail
dissimulé
1,50%
25,5
Total
2,80%
47,2
Pour passer au redressement du PIB, il suffit d’ajouter l’écart TVA
soit 8,1 milliards. Le total obtenu représente effectivement 3,3 % du PIB.
On dispose maintenant d’une estimation plus adaptée que l’écart
TVA de la fraude de TVA : 8,4 Mds d’euros.
On applique par ailleurs un
« taux de PO hors TVA », soit 36,1 % aux trois composantes figurant
dans le tableau ci-dessus de la valeur ajoutée dissimulée. Par totalisation,
on obtient une nouvelle estimation de la fraude totale aux PO :
PO éludés = 0,361*47,2 + (7,3 à 12,4) = 24,3 à 29,4 Mds d’euros
3.2 Une estimation directe de la fraude fiscale
3.2.1
Présentation de la base de données
Dans le cadre de ce rapport, une base de données des contrôles
fiscaux a été fournie par la DGI. Elle regroupe les campagnes du
« contrôle sur place » 2002, 2003 et 2004. Il s’agit d’une base de données
individuelle. Chaque année, ces campagnes couvrent plus de cinquante
mille contribuables, essentiellement des entreprises. On dispose pour
chaque entreprise contrôlée de son secteur d’activité, de son régime
d’imposition, du montant des redressements nets totaux ainsi que d’une
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
323
ventilation par grandes catégories d’impôts : TVA, IS, IR, impôts locaux,
droits d’enregistrement et « autres ». On dispose également, pour chacun
de ces rappels, de sa décomposition entre redressements en droits et en
base. S’agissant de la seconde composante, la base de données contient
également une ventilation du redressement de la base d’imposition par
grands chefs de redressement. Enfin, la base contient le chiffre d’affaires
annuel des entreprises contrôlées.
3.2.2
Mise en oeuvre
Comme pour la base de contrôle exploitée par les comptables
nationaux, il a fallu annualiser les statistiques de contrôles fiscaux,
initialement pluriannuelles. Ensuite, la méthodologie utilisée a été,
comme avec les données du contrôle social, conforme aux principes
présentés au paragraphe 1.2 ci-dessus. Plus précisément, au niveau
élémentaire de chacun des 118 secteurs d’activité de la comptabilité
nationale et de chacun des régimes d’imposition (BIC-RN, BIC-RSI,
BNC-DC, IS-RN, IS-RSI) ont été calculés des « taux de redressement »,
obtenus en rapportant les redressements par type d’impôt au chiffre
d’affaires total des entreprises contrôlées de la strate. Ces taux ont ensuite
été appliqués, au sein de chacune de ces strates, au chiffre d’affaires de la
totalité des entreprises. Ces extrapolations ont ensuite été totalisées pour
fournir une évaluation de la fraude pour chacun des différents types
d’impôts.
3.2.3
Résultats
Les résultats obtenus figurent dans le tableau suivant. On insiste
une nouvelle fois sur la fragilité de la méthode. D’une part, elle ne prend
en compte qu’une partie du ciblage (que l’on a qualifié ici de « premier
niveau ») des contrôles. D’autre part, si la référence, en terme
d’extrapolation, au chiffre d’affaires est acceptable pour la fraude de
TVA, elle devient problématique pour l’impôt sur les revenus et l’impôt
sur les sociétés, et perd beaucoup de sens avec les autres types d’impôts.
Malheureusement, le CA est la seule variable d’assiette désormais
disponible dans les bases de contrôle de la DGI. Il conviendrait, pour
pallier cette difficulté, d’apparier ces données avec les liasses fiscales.
324
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau n°15- Estimation pour l’ensemble des entreprises des redressements fiscaux à effectuer,
par grandes catégories d’impôts en 2001 (en M€)
TCA
IS
IR
IDL
autres
Total
Agriculture,
sylviculture, pêche
104,1
39
88,4
29,6
28
289,5
Industries agricoles
et alimentaires
105,2
90,6
92,6
112
85
485,6
Industries des biens
de consommation
205,3
174,8
38
77,1
47
541,8
Industrie automobile
41,8
25,4
0,8
25,7
129
222,2
Industries des biens
d’équipement
255,4
178,7
54,9
113,4
77
679,6
Industries des biens
intermédiaires
361,1
256,9
49,4
266
70
1 003,00
Energie
102
59,5
0,8
54,9
19
236,1
Construction
1 468,50
445,3
790,6
89,1
133
2 926,90
Commerce
2 088,60
872,7
883,9
283
396
4 524,70
Transports
369,2
129,4
111,9
189
72
871,3
Activités financières
167
433,7
56,8
35,5
91
783,9
Activités
immobilières
517,4
433,8
226,4
69,6
487
1 734,10
Services aux
entreprises
1 269,80
878,9
620,2
279,9
471
3 519,40
Services aux
particuliers
935
462,3
599,4
113,8
186
2 296,40
Education, santé,
action sociale
172
91,9
710,6
135,2
94
1 203,80
Administration
45,1
17,4
3,1
10
23
98,1
Activités non
identifiées
14,7
2,2
5
0
1
23,1
Ensemble des
secteurs
8 222,30
4 592,60
4 332,90
1 883,80
2407,9
21 439,50
Le montant total de la fraude fiscale s ‘élève ainsi à 21,4 Mds
d’euros (en 2001), dont 8,2 Mds pour la fraude de TVA. Ce chiffre est
proche de l’évaluation de la comptabilité nationale (7,3 à 12,4 Mds).
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
325
4. Une synthèse du chiffrage de la fraude
L’ensemble des évaluations précédentes permet de dresser un
panorama chiffré de la fraude aux prélèvements obligatoires. C’est l’objet
du tableau suivant, dans lequel les montants sont en milliards d’euros :
Prélèvements fiscaux
Prélèvements sociaux
Type
de
prélè-
-vement
TVA
IS
IR
IDL
Autres
Total
Travail
au
noir
Hors
travail
au
noir
Total
Total
PO
Montant
éludé
(Md€)
7,3
à
12,4
4,6
4,3
1,9
2,4
20,5
à
25,6
6,2
à
12,4
207
2,2
8,4
à
14,6
28,9
à
40,2
Les chiffres avancés ne correspondent pas tous à la même année.
Toutefois, d’une part ces années sont proches, d’autre part, l’imprécision
de ces évaluations rendrait artificielle une actualisation sur la même
période (à l’aide, par exemple, de l’évolution du PIB). L’évaluation est
proche de celle obtenue à partir des données de la comptabilité nationale
(cf.
supra
).
207) Ce chiffre correspond à une réévaluation du travail au noir effectuée par
l’ACOSS.
GLOSSAIRE
ACOSS
Agence centrale des organismes de sécurité sociale
AGESSA
Association pour la gestion de la sécurité sociale des
auteurs
AGIRC
Association générale des institutions de retraite des
cadres
ARRCO
Association pour le régime
complémentaire des salariés
ASSEDIC
Association pour l’emploi dans l’industrie et le
commerce
BCR
Brigade de contrôle et de recherche
ou
Bordereau récapitulatif de cotisations
BNC
Bénéfices non commerciaux
BNEE
Brigade nationale d’enquêtes économiques
BOI
Bulletin officiel des impôts
BREM
Base de recoupement entre Etats membres
CCA
Contrôle comptable d’assiette
CCRAD
Comité consultatif pour la répression des abus de droit
CEDH
Cour européenne des droits de l’homme
CESU
Chèque emploi service
CFE
Contrôle fiscal externe
CGI
Code général des impôts
CIF
Commission des infractions fiscales
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes
CNIL
Commission nationale de l’informatique et des libertés
COG
Convention d’objectifs et de gestion
COLTI
Comité opérationnel de lutte contre le travail illégal
CRA
Commission des recours amiables
CSP
Contrôle sur pièces
DDCCRP
Direction départementale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes
DDTEFP
Direction départementale de l’emploi et de la formation
professionnelle
DEB
Déclaration d’échange de biens
DGCP
Direction générale de la comptabilité publique
DGDDI
Direction générale des douanes et droits indirects
DGI
Direction générale des impôts
DGTPE
Direction générale du Trésor et de la politique
économique
DILTI
Délégation interministérielle à la lutte contre le travail
illégal
DIRCOFI
Direction du contrôle fiscal
328
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
DIRRES
Direction de la réglementation, du recouvrement et du
service (ACOSS)
DISEP
Direction des statistiques, des études et de la prévision
(ACOSS)
DNEF
Direction nationale des enquêtes fiscales
DRTEFP
Direction régionale de l’emploi et de la formation
professionnelle
DSF
Direction des services fiscaux
DSS
Direction de la sécurité sociale
DUE
Déclaration unique d’embauche
DVNI
Direction des vérifications nationales et internationales
ESFP
Examen de la situation fiscale personnelle
FMI
Fonds monétaire international
FSE
Fonds social européen
GARP
Groupement des ASSEDIC de la région parisienne
GE
Grandes entreprises
GREE
Groupes régionaux d’enquêtes économiques
GRH
Gestion des ressources humaines
GUSO
Guichet unique du spectacle occasionnel
HMRC
Her Majesty’s Revenue & Customs
ICE
Inspection de contrôle et d’expertise
IDL
Impôts directs locaux
IGF
Inspection générale des finances
INSEE
Institut national de la statistique et des études
économiques
IRS
International Revenue Service
IS
Impôt sur les sociétés
ITEPSA
Inspection du travail, de l’emploi et de la protection
sociale agricole
LPF
Livre des procédures fiscales
MEL
Mission d’expertise et de liaison
MSA
Mutualité sociale agricole
OASIS
Outil d’aide à la sélection pour les inspections
spécialisées
OCDE
Organisation de coopération et de développement
économique
OCLTI
Office central de lutte contre le travail illégal
OLAF
Office européen de lutte anti-fraude
OLCTI
Office central de lutte contre le travail illégal
ONU
Organisation des Nations Unies
PAF
Police aux frontières
PLFSS
Projet de loi de financement de la sécurité sociale
PME
Petites et moyennes entreprises
PPE
Prime pour l’emploi
LA FRAUDE AUX PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
329
RF
Revenus fonciers
RSI
Régime simplifié d’imposition
ou
Régime social des indépendants
SCI
Société civile immobilière
TCA
Taxes sur le chiffre d’affaires
TIC
Technologies de l’information et de la communication
TPE
Très petites entreprises
TRACFIN
Traitement du renseignement et action contre les circuits
clandestins
TVA
Taxe sur la valeur ajoutée
TVAI
Taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire
UNEDIC
Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans
l’industrie et le commerce
URSSAF
Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité
sociale et d’allocations familiales