Cour de discipline budgétaire et financière
Arrêt du 10 mai 1989, Centre national d'enseignement à distance (CNED) – centre de
Vanves
N° 80-227
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,
LA COUR,
Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion
commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline
budgétaire et financière ;
Vu la décision en date du 18 décembre 1985 et 29 janvier 1986, notifiée le 25 juillet 1986 et
enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline
budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion du Centre de Vanves, Centre
national d'enseignement par correspondance (CNEC) dénommé depuis 1986 Centre national
d'enseignement à distance (CNED) ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 10 février 1987 transmettant le
dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 22 mai 1987 désignant
comme rapporteur Mme LAMARQUE, Auditeur à la Cour des comptes ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général de la
République le 12 janvier 1988 à Mme X et à M. Y, les informant de l'ouverture d'une instruction et les
avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un
avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les avis émis le 3 octobre 1988 par le Ministre de l'éducation nationale et le 14 novembre 1988 par
le Ministre délégué chargé du budget ;
Vu la lettre du Ministre de l'Education nationale en date du 10 janvier 1989 faisant connaître que la
commission consultative spéciale compétente à l'égard des inspecteurs d'académie avait été
consultée le 6 janvier 1989 sur le cas de M. Y, et transmettant l'avis de ladite commission ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 9 mars 1989 par le Président de
la Cour de discipline budgétaire et financière à Mme X et à M. Y, les avisant qu'ils pouvaient, dans un
délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par un
mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour
de cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 16 mars 1989 par le Procureur
général de la République à Mme X et à M. Y les citant à comparaître devant la Cour de discipline
budgétaire et financière ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe le 4 avril 1989, présenté par Me Martine LUC-
THALER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, assistant Mme X ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe le 24 avril 1989 présenté par M. Y ;
Vu l'ensemble des pièces figurant au dossier, et notamment les procès-verbaux d'audition ;
Entendu Mme LAMARQUE, Conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;
Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu Mme X et M. Y en leurs explications ;
Entendu le Procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en ses plaidoiries Me LUC-THALER, et en leurs observations Mme X et M. Y, les intéressés
et leur conseil ayant eu la parole les derniers ;
Sur le fond
Considérant que Mme X, alors maître de conférences à l'Université de Reims, avait été mise à la
disposition du Centre de téléenseignement de Vanves en 1970 par lettre du Président de l'université
au directeur du centre, décision reconduite par des échanges de lettres successifs ; qu'elle a continué
à percevoir son traitement principal de Maître de conférences puis de professeur d'université du
rectorat de Reims jusqu'à son départ à la retraite en 1986 alors qu'elle n'exerçait plus aucune fonction
à l'Université de Reims ; qu'elle a perçu simultanément du centre de Vanves des vacations
importantes censées rémunérer des rédactions de manuscrits et des heures de stages sur la base de
l'heure supplémentaire d'enseignement supérieur ;
Considérant que l'instruction ouverte pour la période non couverte par la prescription, s'étendant à
compter du 25 juillet 1981, a permis de relever diverses irrégularités relatives à l'application de la
réglementation des cumuls de rémunérations publiques d'une part, des règles de la comptabilité
publique sur la liquidation et l'ordonnancement des dépenses d'autre part ;
En ce qui concerne l'infraction à la réglementation des cumuls de rémunérations publiques
Considérant que Mme X, qui n'a cessé d'être rémunérée à titre principal par le rectorat de Reims
jusqu'à son départ à la retraite en 1986, a perçu simultanément du centre de Vanves des vacations
qui ont largement excédé, pour la période non couverte par la prescription, son traitement principal ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret n° 58-430 du 11 avril 1958 fixant les conditions
d'application de l'article 12 du décret du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de
rémunérations et de fonctions, modifié par le décret n° 55-957 du 11 juillet 1955, lorsqu'un organisme
public est amené à verser une rémunération, quelle qu'en soit la nature, à un agent déjà rémunéré à
titre principal ou exclusif par un autre organisme, il doit notifier à ce dernier la nature et le montant de
la rémunération versée, l'organisme qui reçoit la notification ouvrant au nom de l'agent intéressé un
compte individuel de cumul ; que l'article 5 dudit décret de 1958 dispose que si l'ensemble des
rémunérations versées à un même agent dépasse le double du montant de son traitement principal
net, les sommes perçues en dépassement doivent être reversées à l'organisme ayant servi la
rémunération principale ;
Considérant que le Centre de Vanves n'a pas notifié au rectorat de Reims les rémunérations versées
à Mme X, empêchant le rectorat de tenir le compte de cumul et de réclamer le reversement des
sommes perçues par l'intéressée en dépassement de la limite du cumul ;
Que les rémunérations versées à Mme X par le centre de Vanves ont dépassé la limite du cumul ;
qu'au cours des années civiles non couvertes par la prescription, les rémunérations reçues par Mme X
en dépassement de cette limite ont été de 111 845 F en 1982, 119 740 F en 1983, 163 671 F en 1984
et 9 434 F en 1985 ; que certes des redressements ont été effectués mais qu'ils ne sont intervenus
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qu'après le contrôle de la Cour des comptes et sur intervention du Procureur général de la République
auprès du recteur de l'académie de Reims par lettre du 31 mai 1985 et qu'ils n'ont porté que sur les
excédents par rapport à la limite du cumul correspondant aux années 1984 et 1985 mais que sur les
excédents correspondant aux années 1982 et 1983, soit 231 585 F, n'ont pas été reversés ;
Considérant que ces irrégularités constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses du
CNEC, et qu'elles ont procuré à Mme X un avantage injustifié entraînant un préjudice pour l'Etat qui lui
versait sa rémunération principale ; qu'elles tombent donc sous le coup des articles 5 et 6 de la loi du
25 septembre 1948 modifiée ;
En ce qui concerne les infractions aux règles de la comptabilité publique sur la liquidation et
l'ordonnancement des dépenses
Considérant que le règlement général sur la comptabilité publique du 29 décembre 1962 dispose que
les ordonnateurs, principaux ou secondaires, constatent les droits des organismes publics, engagent
et liquident les dépenses ; qu'ils sont responsables des certifications qu'ils délivrent et peuvent
déléguer leurs pouvoirs (articles 5, 6 et 7) ; que la liquidation d'une dépense par un ordonnateur a
pour objet de vérifier la réalité de la dette et d'arrêter le montant de la dépense et qu'elle est faite au
vu des titres établissant les droits acquis aux créanciers (article 30), en particulier au vu des pièces
justifiant le service fait ;
Considérant que Mme X a reçu du centre de Vanves des vacations dont le nombre a atteint un chiffre
très élevé, 2 227 heures notamment en 1984, soit plus de 40 heures par semaine, qui s'ajoutaient à
son traitement principal payé par le Rectorat de Reims ;
Considérant que, pour justifier ces règlements, Mme X a fait valoir qu'elle avait continué à assurer la
préparation des agrégations scientifiques, tâche qui lui était dévolue à l'origine, alors qu'elle avait été
chargée de nouvelles fonctions à la suite du départ d'autres collaborateurs du centre et avait été
finalement nommée directrice pédagogique des enseignements supérieurs ; que M. Y a indiqué, de
son côté, qu'il avait estimé que la charge professionnelle de Mme X avait progressivement doublé au
fur et à mesure que les autres membres de la direction pédagogique quittaient le centre sans être
remplacés ;
Considérant que les rémunérations versées à Mme X par le centre de Vanves l'étaient sur la base de
relevés trimestriels d'heures supplémentaires censés correspondre d'une part à la rédaction de
manuscrits et d'autre part à l'animation des stages, ces relevés étant signés et certifiés exacts par
Mme X et servant de base à l'établissement des états de liquidation joints aux mandats de paiement ;
qu'il est manifeste que les travaux supplémentaires qu'a pu exécuter Mme X pour l'encadrement de la
coordination pédagogique ne correspondent pas, pour une grande partie au moins, à l'objet indiqué
sur les relevés ;
Considérant qu'au surplus, en raison de leur nombre, ces vacations ne pouvaient correspondre en
totalité à une tâche supplémentaire, mais bien à l'activité principale exercée à plein temps par
l'intéressée et rémunérée par le traitement maintenu à Mme X par le Rectorat de Reims ; qu'ainsi les
vacations faisaient, au moins en partie, double emploi avec le traitement ;
Considérant enfin que Mme X a déclaré que les vacations qui lui avaient été versées entre 1982 et
1984 étaient dues en partie à des missions, parfois de longue durée, accomplies à l'étranger ; que ces
missions n'ont pas fait l'objet des autorisations et formalités requises par les décrets du 21 mai 1953,
du 10 août 1966 et du 21 avril 1981 et par l'instruction du 21 août 1969 de la direction de la
comptabilité publique ; qu'elles n'ont pas donné lieu à la production des pièces justificatives prévues
par la nomenclature annexée à l'instruction M 9-1 sur la réglementation comptable des établissements
publics nationaux à caractère administratif (état des frais de déplacement, titre de transport, ordre de
mission établi par l'ordonnateur) et qu'elles ont été exécutées sans autorisation expresse du directeur
du Centre de Vanves et de l'administrateur délégué du CNEC ;
Considérant que ces irrégularités, relatives à la liquidation et à l'ordonnancement des vacations,
constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses du CNEC et qu'elles ont procuré à
Mme X un avantage injustifié entraînant un préjudice pour cet établissement public ; qu'elles tombent
donc sous le coup des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
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Sur les responsabilités encourues
En ce qui concerne M. Y
Considérant que M. Y, inspecteur d'académie, directeur du centre de Vanves d'octobre 1971 à août
1986, était l'ordonnateur des rémunérations versées à Mme X ; qu'à la suite de la création du centre
national d'enseignement par correspondance, par décret n° 79- 1228 du 31 décembre 1979, il avait la
qualité d'ordonnateur secondaire et qu'il avait reçu de l'administrateur délégué du Centre, le 3 juin
1980, délégation de signature pour tous les actes de gestion concernant les personnels occasionnels,
catégorie à laquelle Mme X se rattachait ;
Considérant que c'est donc à M. Y qu'incombait, en application de la réglementation sur les cumuls, la
charge de notifier le versement de ces rémunérations complémentaires au recteur de l'académie de
Reims, ordonnateur du traitement principal de ce professeur, ce qui aurait permis à celui-ci de
réclamer le reversement par l'intéressée des sommes dépassant la limite du cumul ;
Que M. Y connaissait depuis son entrée en fonctions la situation administrative de Mme X pour avoir
demandé au ministre, en 1972, confirmation de la mise à disposition de l'intéressée par l'Université de
Reims ;
Que son attention avait été attirée à plusieurs reprises en 1978 et 1979, par le comptable du Centre
de Vanves, sur l'importance des vacations versées à Mme X, qui pouvait laisser penser que la limite
du cumul était dépassée, sur la nécessité de procéder aux notifications requises par la réglementation
sur les cumuls et sur la responsabilité qui lui incombait en tant que directeur de l'établissement ;
Qu'il lui appartenait de pallier les carences constatées dans la gestion des services placés sous son
autorité et en particulier de prendre les mesures nécessaires pour que les notifications destinées à la
tenue des comptes de cumuls soient faites, alors même que le service d'intendance chargé de la
gestion du personnel enseignant avait cessé en 1974 d'établir les déclarations de cumul en alléguant
un excès de travail ;
Qu'ainsi M. Y a, en toute connaissance de cause, autorisé le versement jusqu'en 1985 à ce
professeur de vacations excédant la limite du cumul et s'est abstenu de procéder aux notifications
réglementaires, ce qui a permis aux versements irréguliers de se poursuivre ;
Considérant en deuxième lieu qu'en sa qualité d'ordonnateur, M. Y devait vérifier l'existence des droits
de Mme X, déterminer ou vérifier le montant de la dette du centre de Vanves à son égard, vérifier ses
conditions d'exigibilité et s'assurer que cette dette n'avait pas été éteinte en totalité ou en partie par un
autre paiement ;
Qu'en autorisant le paiement de vacations qui, en partie au moins, ne correspondaient pas à un
service fait, en liquidant ces dépenses sur la base des relevés d'heures supplémentaires établis par
Mme X sans les contrôler, en ne tenant pas suffisamment compte enfin de la rémunération principale
versée par le rectorat de Reims à ce professeur mis à la disposition du centre qu'il dirigeait, M. Y a
enfreint les règles qui s'imposaient à lui ;
Considérant qu'à plusieurs reprises, en 1978 et 1979, le comptable de l'établissement avait attiré
l'attention de M. Y sur les anomalies relatives aux vacations de Mme X, en lui demandant de justifier
le montant des heures supplémentaires et de la réalité du service fait ; que par ailleurs un problème
similaire rencontré au centre de Lille avait conduit l'administrateur délégué de CNEC, lors d'une
réunion du 21 octobre 1982, à donner à ce sujet des instructions de caractère général aux directeurs
des centres ;
Considérant que M. Y a donc engagé sa responsabilité au titre de l'article 5 de la loi du 25 septembre
1948 modifiée, en raison de l'inapplication de la réglementation tant sur le cumul de rémunérations
publiques que sur la liquidation et l'ordonnancement des vacations de Mme X, et au titre de l'article 6
de ladite loi en raison des avantages procurés à cette dernière ;
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Considérant toutefois que l'insuffisance de personnel et notamment l'absence auprès de lui d'un
véritable responsable des services administratifs, ainsi que les défaillances dans les contrôles
internes sont des circonstances de nature à atténuer la responsabilité de M. Y ; qu'en outre celui-ci n'a
pas tiré d'avantage financier personnel des irrégularités qu'il a commises ;
En ce qui concerne Mme X
Considérant que Mme X, en raison des fonctions de directeur pédagogique des enseignements
supérieurs qu'elle exerçait, avait à certifier l'exactitude des relevés de vacations établis par les
membres du corps enseignant, et préparait ainsi la liquidation de ces rémunérations ;
Considérant qu'en certifiant les relevés de vacations qu'elle avait établis pour son propre compte et
qui, pour partie, ne correspondaient pas à un service fait, Mme X a concouru à l'irrégularité commise
dans la liquidation de l'ordonnancement des sommes qui lui ont été versées par le centre de Vanves ;
Considérant que les infractions aux règles de la comptabilité publique applicables aux dépenses du
CNEC qu'elle a commises, même si elles ont été rendues possibles par l'absence de contrôle de la
part de M. Y, tombent sous le coup des sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre
1948 modifiée ;
Que l'intéressée a perçu au cours des années non prescrites un total de rémunération nette supérieur
à deux fois son traitement principal de professeur d'université de 2ème classe qui correspondait en
1984 à l'échelle - lettre A 3 ; qu'en fait elle a perçu 477 617 F en 1982, 511 678 F en 1983, 582 791 F
en 1984 et 443 028 F en 1985, année au cours de laquelle le contrôle de la Cour des comptes a été
effectué, lesdites sommes correspondant à son traitement principal net pour 182 886 F en 1982, 195
969 F en 1983, 209 560 F en 1984 et 216 797 F en 1985 et aux vacations du Centre de Vanves pour
le surplus ; que les reversements effectués par Mme X à la suite du contrôle de la Cour des comptes
n'ont porté que sur les excédents de rémunération par rapport à la limite du cumul et n'ont concerné
que les années 1984 et 1985 ; Qu'ainsi Mme X, même en tenant compte des reversements qu'elle a
été contrainte d'effectuer en 1986, a tiré un avantage financier personnel très important des
irrégularités commises par M. Y et par elle-même ;
Considérant qu'il y a lieu de tenir compte d'une manière générale du développement des préparations
aux agrégations organisées par le Centre de Vanves et des résultats qui y ont été obtenus ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de
l'affaire en infligeant à M. Y une amende de 25 000 F et à Mme X une amende de 20 000 F.
ARRETE :
Article 1er : M. Y est condamné à une amende de vingt cinq mille francs (25 000 F).
Article 2 : Mme X est condamnée à une amende de vingt mille francs (20 000 F).
Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.
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