Cour de discipline budgétaire et financière
Arrêt du 13 octobre 1993, Carrefour international de la communication (CICOM)
N° 101-271
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LA COUR,
Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes
de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une
Cour de discipline budgétaire et financière;
Vu la décision notifiée le 13 novembre 1989 et enregistrée au Parquet le même jour
par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière
d'irrégularités constatées dans la gestion du Carrefour International de la Communication
(CICOM), établissement public créé par la loi n° 84-409 du 1er juin 1984 et dissous par la loi
n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 22 janvier 1990
transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 24 janvier
1990 désignant comme rapporteur M. Guy BERGER, conseiller maître à la Cour des comptes
;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur
général de la République le 30 mars 1990 à M. Jean-Hervé X... et à M. Jacques Y...,
respectivement ancien directeur général et ancien secrétaire général du CICOM, les informant
de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un
mandataire dûment autorisé, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la
Cour de Cassation ;
Vu les avis émis le 18 août 1992 par le ministre de l'Education nationale et de la
culture et le 30 septembre 1992 par le ministre du Budget ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 21 décembre
1992 renvoyant M. X... et M. Y... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Président de la
Cour de discipline budgétaire et financière, le 27 avril 1993, à M. X... et à M. Y..., les avisant
qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit
par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au
Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les mémoires en défense enregistrés au greffe de la Cour le 11 juin 1993, le 14 juin
1993 et le 8 octobre 1993, présentés par M. X... et par M. Y..., assistés l'un et l'autre de Me
Alain MONOD, avocat associé au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation (SCP Lemaitre-
MONOD), ensemble les pièces annexées ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 30 août 1993 par le
Procureur général de la République à MM. X... et Y..., les citant à comparaître devant la Cour
de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux
d'audition ainsi que la photocopie de la lettre en date du 21 octobre 1986 adressée par M.
Thierry Z... (Société Electricité- Sonorisation Vidéo Aménagements) à M. Jean-Claude A...,
Président du CICOM, produite au cours de l'audience par M. X... ;
Entendu M. BERGER, en son rapport ;
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Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications MM. X... et Y..., assistés de Me MONOD ;
Entendu Mme le Procureur général de la République en ses réquisitions;
Entendu en sa plaidoirie Me MONOD et en leurs observations MM. X... et Y..., les
intéressés et leur conseil ayant eu la parole les derniers ;
Sur la compétence de la Cour
Considérant que le CICOM, établissement public de l'Etat à caractère industriel et
commercial, a été créé par la loi n° 84-409 du 1er juin 1984, complétée par le décret
d'application n° 84-838 du 12 septembre 1984, puis supprimé par l'article 109 de la loi n° 86-
1067 du 30 septembre 1986 qui abrogeait la loi susvisée du 1er juin 1984 à compter du 1er
octobre 1986 et organisait la dévolution de ses biens ; que cet établissement était, à ce titre,
soumis au contrôle de la Cour des comptes en application de l'article 6 bis A de la loi n° 67-
483 du 22 juin 1967 modifiée ; que ses comptes et sa gestion ont d'ailleurs effectivement été
contrôlés par cette juridiction; qu'en conséquence ses représentants, administrateurs et agents
étaient justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en vertu de l'article 1er de
la loi du 25 septembre 1948 susvisée ;
Sur le fond
a) Sur les irrégularités ayant affecté l'exécution de marchés
Considérant qu'une facture de 49 998,77 F, en date du 14 mars 1986, a été établie par
la Société Electricité-Sonorisation-Vidéo- Aménagements pour la fourniture de matériels tels
qu'enceintes, casques, micros, tables de mixage, revêtue d'un certificat de service fait du chef
des services techniques du CICOM, puis visée pour bon à payer le 8 avril par M. X... ; que
cette facture, d'abord rejetée par l'agent comptable, a donné lieu le 21 août 1986 seulement à
l'émission de deux mandats de paiement ; que le compte bancaire du fournisseur ayant été
clôturé entre-temps, le virement fut rejeté et la somme réimputée en septembre 1986 sur le
compte du comptable du CICOM ouvert à la Paierie générale ; que les échanges de
correspondance entre le fournisseur et le président du CICOM, notamment les lettres en date
du 8 septembre, 22 septembre et 21 octobre 1986 - cette dernière étant produite à l'audience -
ne permettent pas de conclure que les matériels ne furent pas livrés ou aussitôt repris et que
les certificats de service fait et les visas pour bons à payer auraient constitués des faux ; qu'en
conséquence il n'y a pas lieu de considérer qu'une irrégularité qui devrait être sanctionnée en
application des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée a été
commise ;
Considérant par contre qu'il résulte de l'instruction que M. X... a signé le 14 novembre
1985 quatre marchés concernant la confection de documents promotionnels sur les actions du
CICOM en 1985, prestations devant être effectuées avant la fin de l'année ; que ces marchés
soit n'ont pas été exécutés, soit ont été modifiés sans avenant ni bon de commande ;
Considérant que l'un deux, le marché n° 85-340, relatif à l'impression de cinq
brochures, d'un montant de 178 493 F TTC avait été passé avec la SA Imprimeries Watelet-
Arbelot ; qu'il a donné lieu le 8 janvier 1986 à l'émission d'une facture du montant du marché
revêtue d'une certification de service fait signée de M. Y... avec mention de la date du 31
décembre 1985, puis d'un visa pour bon à payer signé de M. X... le 22 janvier 1986 ; que cette
facture, ainsi certifiée et visée, reçue par l'agent comptable le 7 février, puis à nouveau le 18
mars, rencontra un refus de paiement de la part de ce dernier ; que cette facture arriérée fit
cependant, au moment de la liquidation de l'établissement public, l'objet de correspondances
pour apurement et que le 17 novembre 1986 les Imprimeries Watelet-Arbelot adressèrent à
l'agent comptable une lettre dans laquelle elles lui demandaient de considérer comme nul le
contrat n° 85-340 dont elles étaient titulaires mais pour lequel elles "n'avaient engagé aucun
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travail", ajoutant : "devant les retards et changements effectués par vos services dans l'objet
même de ce contrat, il avait été décidé que ces travaux dans leur nouvelle définition seraient
confiés à vos fournisseurs habituels" ;
Considérant que, pour le second de ces quatre marchés, le marché n° 85-343, les faits
furent très semblables ; qu'un contrat relatif à la réalisation de travaux de photocomposition
pour cinq brochures a été conclu avec la SA Imprimerie Union pour un montant de 156 552 F
TTC ; qu'il a donné lieu à l'émission d'une facture de ce montant datée du 9 janvier 1986, qui
fut, elle aussi, revêtue d'une certification de service fait signée de M. Y..., avec mention de la
date du 30 décembre 1985, et d'un visa pour bon à payer signé de M. X... le 22 janvier 1986 ;
que cette facture fut transmise deux fois à l'agent comptable, les 14 février et le 18 mars, mais
fit l'objet à chaque fois de refus de paiement pour justifications insuffisantes ; qu'au moment
de la liquidation de l'établissement, l'agent comptable demanda néanmoins des explications au
fournisseur et en reçut une lettre datée du 6 novembre 1986 dans laquelle la SA Imprimerie
Union écrivait : "les changements intervenus au CICOM depuis l'engagement du contrat ayant
modifié vos projets et vos travaux ne nous ayant pas été confiés, nous considérons ce dossier
comme clos : notre facture pro- forma de janvier 1986, dès lors, ne sera pas suivie d'une
véritable facturation" ;
Considérant qu'il est ainsi démontré que pour deux des marchés signés le 14 novembre
1985, des assertions et certifications fallacieuses ont été apposées sur des pièces de dépense;
qu'elles constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'établissement
public tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948
modifiée, même si en définitive les paiements n'ont pas été effectués grâce à la vigilance et à
la prudence de l'agent comptable ;
Considérant toutefois qu'il ne résulte pas de l'instruction que le Secrétaire général et le
Directeur général aient, ce faisant, tenté, en méconnaissance de leurs obligations, de procurer
aux entreprises Watelet-Arbelot et Imprimerie Union des avantages injustifiés, de nature
pécuniaire, entraînant un préjudice pour le CICOM, et commis ainsi une infraction aux
dispositions de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
b) Sur les infractions aux règles de passation des marchés et de tenue des
inventaires
Considérant que le CICOM, en raison de son statut d'établissement public à caractère
industriel et commercial, n'était pas soumis au Code des marchés publics ; que cependant il
avait décidé de se soumettre à des procédures identiques en ce qui concerne la passation des
marchés et en particulier de demander l'avis d'une commission interne pour les marchés de
travaux et de fournitures d'un montant supérieur à 450.000 F (délibération du conseil
d'administration du 19 décembre 1984) puis à 540.000 F (délibération du conseil
d'administration du 12 décembre 1985) ;
Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que certains marchés aient été
systématiquement fractionnés afin de rester en dessous des seuils prévus pour la compétence
de la commission des marchés, évitant ainsi de respecter les procédures choisies ;
Considérant que le CICOM ne disposait pas d'un inventaire fiable de ses
immobilisations corporelles, contrairement aux prescriptions de l'article 217 du décret n° 62-
1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, auquel
l'établissement public était soumis en application du décret n° 84-838 du 12 septembre 1984 ;
Considérant toutefois que les causes de cette situation, en tous points dommageable
puisqu'elle est à l'origine de difficultés lors de la liquidation de l'établissement, étaient
nombreuses et anciennes ; que des efforts ont été faits en vue de remédier à ces difficultés ;
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Considérant qu'il suit de là que ces deux griefs ne peuvent être regardés comme révélant des
infractions caractérisées tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25
septembre 1948 modifiée ;
c) Sur les responsabilités encourues
Considérant que, du fait de l'apposition par lui de sa signature sur les documents dont
s'agit, la responsabilité de M. Y... dans l'établissement de fausses attestations de service fait
sur les factures de la SA Imprimeries Watelet-Arbelot et de la SA Imprimerie Union doit être
retenue ; que, de même, doit être retenue la responsabilité de M. X... dans les faux visas pour
bon à payer apposés par lui sur ces mêmes factures ;
Considérant que le surcroît de travail résultant de la décision qui aurait été prise en
décembre 1985 d'accélérer le règlement des factures, invoqué à leur décharge par MM. X... et
Y... s'il peut constituer une circonstance atténuante, ne saurait les exonérer de leur
responsabilité ;
Considérant que MM. X... et Y... font également valoir que les marchés passés avec
les Imprimeries Watelet-Arbelot et la S.A. Imprimerie Union, concernant la confection de
documents promotionnels sur les actions du CICOM en 1985, faisient partie d'un ensemble de
quatre marchés ; que le règlement tardif du premier d'entre eux, passé avec les Impressions
Latour-Maubourg, a nui à l'exécution des autres contrats ;
Considérant que ces éléments ne peuvent justifier la certification du service fait sur les
factures présentées par les Imprimeries Watelet-Arbelot et la SA Imprimerie Union alors que
les travaux n'avaient pas été réalisés ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction qu'une incertitude a persisté sur les
missions dévolues au CICOM, et que les désaccords entre les dirigeants de cet établissement
public sur les orientations et la gestion ont lourdement pesé sur le directeur général et le
secrétaire général, ce qui constitue des circonstances atténuant la responsabilité de MM. X...
et Y... dans les irrégularités susmentionnées ; qu'au demeurant, la brève existence de
l'établissement ne leur a pas permis de mener à bien des actions de redressement;
Considérant que les faits incriminés se sont produits postérieurement au 13 novembre
1984 et ne sont donc pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l'article 30 de la
loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant qu'il sera fait ainsi une juste appréciation des circonstances de l'affaire en
condamnant M. Y... à une amende de 1 000 F et M.X... à une amende de 1 000 F ;
ARRETE :
Article 1er : M. Y... est condamné à une amende de 1 000 F (mille francs).
Article 2 : M. X... est condamné à une amende de 1 000 F (mille francs).
Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.
Présents : M. JOXE, Premier président de la Cour des comptes, Président ; M.
DUCAMIN, Président de section au Conseil d'Etat, Vice- président ; Mme BAUCHET et M.
FOUQUET, conseillers d'Etat,M. ISNARD, conseiller maître à la Cour des comptes, membres
de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. BERGER, conseiller maître à la Cour
des comptes, rapporteur.
Le treize octobre mil neuf cent quatre vingt treize.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce
requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
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En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président, Le Greffier.
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