Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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RAPPORT PUBLIC PARTICULIER
« Les politiques sociales en faveur des personnes
handicapées adultes »
Novembre 1993
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES
PERSONNES HANDICAPEES
A - UN DISPOSITIF DE FORMATION INSUFFISANT
1. - Le dispositif spécifique de formation
2. - Le dispositif ordinaire de formation
B - DES DISPOSITIONS LEGISLATIVES D'APPLICATION MALAISEE
1. - Les "bénéficiaires " de l'obligation d'emploi
2. - La population salariée de référence
3. - Les moyens permettant de s'acquitter de l'obligation d'emploi
4. - La sanction du non-respect de l'obligation d'emploi
C - UNE INSERTION PROFESSIONNELLE FIGEE EN MILIEU PROTEGE
1. - Les déséquilibres de certaines structures de travail protégé
2. - Les difficultés constatées dans la mise en place et le fonctionnement des ateliers
protégés
3. - Les problèmes de financement des centres d'aide par le travail
4. - Les résultats décevants des mesures dites "innovantes"
D - UN ACCES ENCORE DIFFICILE A L'EMPLOI EN MILIEU OUVERT DE
TRAVAIL
1. - Des résultats inégaux et insatisfaisants
2. - Les mesures d'accompagnement de la loi
a) Le rôle de l'ANPE
b) Les programmes d'action départementaux
c) Les incitations financières
DEUXIEME PARTIE : L'INTEGRATION SOCIALE DES PERSONNES
HANDICAPEES
A - UN CADRE DE VIE QUI RESTE A AMELIORER
1. - La politique de l'hébergement
a) Les établissements d'hébergement
b) La vie à domicile
2 - La politique de l'accessibilité
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B - DES AIDES FINANCIERES QUI DEVRAIENT ETRE REEQUILIBREES
1 - La garantie de ressources aux travailleurs handicapés (GRTH) :
un système de rémunération du travail peu compatible avec
l'objectif de réinsertion
a) Complexité et ambiguïtés
b) Des conditions de gestion contestables
2 - L'allocation aux adultes handicapés (AAH) : une prestation de plus en plus
fréquemment détournée de son but
a) Le succès de l'AAH
b) Les dérives de l'AAH
c) La gestion de l'AAH
3 - L'allocation compensatrice : une prestation davantage orientée vers la vieillesse
que vers le handicap
a) Le succès de l'AC
b) Les dérives de l'AC
c) La gestion de l'AC
TROISIEME PARTIE : LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES ET
FINANCIERES
A - DES STRUCTURES DONT LE FONCTIONNEMENT RESTE
GLOBALEMENT DEFECTUEUX
1 - Les difficultés des COTOREP
a) Les moyens des COTOREP
b) Le fonctionnement des COTOREP
2 - Le caractère peu opératoire des mécanismes d'orientation et de suivi :
a) Les centres de préorientation
b) Les équipes de préparation et de suite du reclassement
B - UN CADRE REGLEMENTAIRE ANARCHIQUE ET CONTRAIGNANT, PEU
ADAPTE A UN PILOTAGE EFFICACE DES ACTIONS ENTREPRISES
1 - Le cadre réglementaire :
a) Une réglementation parfois dépourvue de base juridique
réelle
b) Une réglementation surabondante et inutilement complexe
c) Une réglementation parfois lacunaire et fréquemment insuffisante
d) Une réglementation imprécise, voire contradictoire
2 - L'absence de pilotage
C - DES FACTEURS DE BLOCAGE AGGRAVES PAR LES MESURES DE
DECENTRALISATION
1 - L'inutile complexité de certains circuits administratifs :
l'agrément des CRP et des CPO
2 - Des modalités de prise en charge conflictuelles et arbitraires
CONCLUSION :
ANNEXES
REPONSES :DES ADMINISTRATIONS , DES COLLECTIVITES LOCALES,
DES ORGANISMES
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INTRODUCTION
La situation des personnes handicapées demeure un problème de société très important.
Elle est constituée d'un ensemble de cas individuels très variés, dont il est difficile de prendre
une vue générale. On ne saurait oublier qu'elle présente le plus souvent, en dehors de ses
implications collectives qui mettent en jeu la solidarité nationale, des aspects humains,
moraux et affectifs particulièrement douloureux.
En procédant à une évaluation des résultats des politiques sociales mises en oeuvre en
faveur des personnes handicapées adultes, la Cour s'est attachée, pour la troisième fois en un
peu plus de dix ans
1
et avec le concours des chambres régionales des comptes, à dresser un
nouveau bilan des mesures intervenues au profit d'une population dont l'importance
quantitative est mal cernée mais qui reste encore, en dépit des progrès réalisés au cours des
dernières années, trop souvent marginalisée au sein de la collectivité nationale. Cette
nouvelle enquête s'inscrit donc dans le droit fil des travaux antérieurs de la Juridiction, mais
les problèmes soulevés, les critiques formulées et les propositions de réforme suggérées ont
été replacés dans une perspective nouvelle commandée par quatre évolutions : l'effort
soutenu des pouvoirs publics pour tenter d'appliquer dans toute son ampleur la loi
d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées , qui reste le texte de
référence dont les auteurs avaient précisé, lors des débats parlementaires, qu'elle devrait être
révisée en 1995, au plus tard ; les incidences de la politique de décentralisation confiant aux
collectivités départementales le soin de prendre en charge certaines dépenses assumées
antérieurement par l'Etat ; le dispositif nouveau mis en place, en matière d'insertion
professionnelle, par la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des handicapés ; enfin,
l'espoir d'une politique d'ensemble cohérente par le regroupement des interventions
administratives que semblait augurer, à compter de 1988, l'institution d'un Secrétariat d'Etat
spécifique chargé des handicapés.
L'importance des masses financières en jeu a naturellement été décisive dans les choix
de la Cour. Dans son rapport public de 1982
2
,
celle-ci, se fondant sur une évaluation de
source ministérielle faite au début de 1981, estimait qu'au total les dépenses en faveur des
handicapés dans leur ensemble, sous diverses formes et y compris les crédits d'aide sociale et
les prestations servies par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF)
3
,
avaient
atteint environ 23 milliards de francs en 1980, soit 0,8 % du produit intérieur brut. Selon une
estimation officieuse mais vraisemblable émanant du secrétariat d'Etat aux handicapés,
l'ensemble des dépenses de l'Etat
4
,
des organismes de sécurité sociale et des collectivités
locales aurait été, en 1992, de l'ordre de 115 milliards de francs, soit 1,6 % du produit
intérieur brut. Même s'ils comportent une inévitable marge d'incertitude, ces chiffres doivent
1) Rapport public 1982, "La politique en faveur des handicapés adultes : la mise en oeuvre de la loi
d'orientation du 30 juin 1975", p. 43 et suivantes.
Rapport public 1987, "L'indemnisation de l'invalidité et du handicap", p. 266 et suivantes.
Pour établir le présent rapport, la Cour a pris en compte les nombreux ravaux réalisés sur ce domaine depuis
quelques années et dont elle a u prendre connaissance.
2) p. 43, note 1.
3) Un glossaire des sigles figure en annexe 1.
4) Voir annexe 2.
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être gardés en mémoire lorsqu'on s'efforce d'apprécier l'efficacité des mesures mises en
oeuvre, en France, en faveur de la population handicapée .
Dans la conduite de son enquête, la Cour s'est heurtée aux mêmes difficultés que
naguère. Les principales ont trait d'une part à l'absence de définition précise de la notion de
handicap qui est, par nature, variable à l'infini, le même type de handicap pouvant avoir des
effets très différents selon les individus et les circonstances, d'autre part et de manière
corollaire, à l'absence de données statistiques suffisamment fiables.
L'existence d'une déficience physique ou mentale, médicalement constatée, constitue
indiscutablement le mode d'approche le plus courant du handicap, mais celui-ci doit toutefois
être relativisé si l'on donne la priorité à la recherche des meilleures possibilités d'intégration
de la personne handicapée . En effet, le recensement des déficiences n'a de sens que s'il
permet de trouver des possibilités d'atténuer le désavantage social de ceux qui en souffrent.
La difficulté essentielle que l'on rencontre dans l'étude des politiques sociales en faveur
des personnes handicapées a trait à la notion de handicap elle-même, dont les approches sont
multiples et généralement indirectes.
Le seul cadre juridique dans lequel s'inscrit la notion du handicap est lui-même
complexe.
Sur le plan international, l'analyse faite par le Bureau International du Travail et qui
apparaît notamment dans la recommandation n° 99 sur "l'adaptation et la réadaptation des
invalides" permet de mesurer la complexité du problème puisque quatre critères de
classement du handicap sont retenus : en fonction de l'origine (guerre, accident, maladie), de
la nature (clinique ou non), du degré d'invalidité entraîné ou des effets produits à l'égard de
l'individu dans sa capacité de travail ; d'emblée on peut relever que ce classement comporte
trois approches objectives ou, du moins, mesurables, et une quatrième très difficilement
appréciable selon les individus. Plus récemment, la convention internationale du travail n 159
concernant la réadaptation professionnelle et l'emploi des personnes handicapées
5
donne une
définition de la " personne handicapée " mais non du "handicap".. "toute personne dont les
perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable ainsi que de progresser
professionnellement sont sensiblement réduites à la suite d'un handicap physique ou mental
reconnu". La définition adoptée est on ne peut plus vague : qu'est-ce qu'un emploi
"convenable" ? en quoi consiste une réduction "sensible" des perspectives de trouver ou de
conserver un emploi ou de progresser professionnellement ?
L'approche de l'Organisation mondiale de la santé conduit, pour sa part, à distinguer les
déficiences (au niveau de l'organe), les incapacités (au niveau de la personne ) et le
"désavantage social " qui n'est que la conséquence de l'incapacité dans l'accomplissement des
rôles sociaux . Au premier niveau, correspondent des réponses médicales, au second des
réponses médico-psychologiques et rééducatives, au troisième des réponses institutionnelles
et, éventuellement, politiques.
5) Cette convention, adoptée à Genève le 20 juin 1983 a été publiée au JORF du 15 février 1990 (p. 1941) par
décret n° 90-141 du 9 février 1990.
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Sur le plan national, le cadre législatif se présente comme une mosaïque de textes qui
obéissent chacun à des logiques différentes ; indépendamment même des textes organisant
l'assistance (comme la loi du 14 juillet 1905 qui, la première, prévoit l'assistance aux
vieillards, infirmes et invalides et institue l'aide à domicile) on recense des lois portant
réparation de préjudices, d'autres tendant à compenser le handicap, et, bien sûr, des textes à
vocation générale.
Les lois portant réparation de préjudices, du fait de la guerre tout d'abord, ont été la loi
du 17 avril 1916 complétée par celle du 30 juin 1923 qui, au lendemain de la première guerre
mondiale, accordent une priorité d'accès aux emplois du secteur public (emplois réservés)
pour les militaires blessés ou devenus infirmes des suites de cette guerre, la loi du 2 janvier
1918 organisant la rééducation professionnelle en procédant à la création d'un Office national
des mutilés et réformés de guerre et la loi du 26 avril 1924 étendant l'obligation d'emploi des
anciens militaires percevant une pension d'invalidité à l'ensemble des entreprises privées de
plus de dix salariés. Parallèlement, la loi du 31 mars 1919 avait institué un droit à pension
fixé en fonction du taux d'invalidité. A l'origine, l'application de l'ensemble de ces
dispositions était limitée dans le temps mais des mesures de reconduction successives leur
ont conféré un caractère quasi-permanent. Elles ont été insérées dans le code des pensions
militaires d'invalidité
6
.
S'agissant des préjudices nés du fait du travail, la première grande législation (loi du 9
avril 1898) organise la protection des accidentés du travail. Son principe est fondé sur la
suppression de l'action en responsabilité qui obligeait le salarié à prouver une faute ou une
négligence de l'employeur ; elle instaure une réparation forfaitaire de l'accidenté qui fait
intervenir une triple notion : l'indemnisation de l'incapacité, la conséquence professionnelle
de l'accident, le dédommagement lié au risque professionnel. La loi du 14 mai 1930 a ajouté
à ces dispositions le droit à la réinsertion professionnelle et notamment l'accès aux écoles de
rééducation professionnelle de l'Etat aux salariés victimes d'un accident du travail ne pouvant
plus exercer leur profession antérieure ou ayant besoin d'une nouvelle adaptation à leur
emploi.
La loi du 30 octobre 1946, qui abroge celle de 1898, transfère aux caisses de sécurité
sociale la gestion du risque accident du travail et maladie professionnelle, et accentue le rôle
de la prévention. Enfin, la loi du 7 janvier 1981 organise la protection de l'emploi des salariés
victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle par un encadrement strict
des possibilités de licenciement au cours de la période de suspension du contrat de travail et à
l'issue de celui-ci. L'évaluation du handicap repose sur un barème révisé en 1982 : une
réparation est accordée pour tout handicap de 1 à 100 % avec rente à vie variable en
proportion de l'incapacité.
D'autres textes visaient à compenser le handicap. Pour les assurés sociaux , il s'agit
principalement du système d'assurance invalidité de 1930 réaffirmé par l'ordonnance du 4
octobre 1945 instituant la Sécurité sociale et qui a pour but de "garantir les travailleurs et
leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur
capacité de gain". L'état d'invalidité est apprécié en tenant compte de la capacité de travail
restante, de l'état général, de l'âge et des facultés physiques et mentales de l'assuré ainsi que
de ses aptitudes et de sa formation professionnelle.
6) Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre assure a gestion d'importants dispositifs d'ordre
sanitaire et technique qui bénéficient pour une large part aux handicapés "civils" mais qui ne sont pas, en tant
que tels, étudiés dans le présent rapport, consacré aux aspects sociaux des questions intéressant les handicapés
adultes.
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Un texte spécifique pour les aveugles, l'ordonnance du 3 juillet 1945, a organisé leur
protection sociale en organisant, notamment, le placement des intéressés dans des
établissements de formation professionnelle. Pour tous les infirmes la loi du 2 août 1945, dite
loi Cordonnier, généralise l'aide à la réinsertion. L'aptitude au travail ou à une formation des
intéressés est appréciée par la commission d'orientation des infirmes (CODI) créée par le
décret du 11 juin 1954.
Sont venus s'ajouter d'importants textes à vocation générale, au nombre de trois.
La loi du 23 novembre 1957 tente de réunifier la mosaïque de textes relatifs à la
réinsertion professionnelle. Elle précise l'ensemble du processus de reclassement, des soins,
de la réadaptation et de la rééducation jusqu'au placement. Elle est à l'origine de la création
des ateliers protégés (les centres d'aides par le travail - CAT - ayant été créés, eux, dès 1954).
Pour la première fois, apparaît dans ce texte l'expression "travailleur handicapé ", sans que la
notion de handicap soit pour autant définie. Est qualifié de travailleur handicapé "toute
personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites
par la suite d'une insuffisance ou d'une diminution de ses capacités physiques ou mentales".
Cette définition a profondément inspiré celle de la convention n° 159 citée plus haut ; son
pragmatisme ne limite pas pour autant les interprétations possibles (que signifie le terme
"effectivement" ?), et surtout, elle suppose l'existence de critères d'appréciation indiscutables
(par rapport à quoi peut-on apprécier une "insuffisance" ou une "diminution" ?). Quoiqu'il en
soit, la loi de 1957 précise les objectifs à atteindre pour ce qui est des personnes entrant dans
la définition qu'elle donne : d'une part, la réparation - ensemble de mesures médicales et
para- médicales - et, d'autre part, la compensation destinée, notamment, à restaurer la
capacité de gain. Les moyens d'atteindre ces objectifs sont mis en oeuvre dès lors que la
commission départementale d'orientation des infirmes (CDOI) instituée par l'article 167 du
code de la famille et de l'aide sociale a reconnu la qualité de travailleur handicapé .
La loi du 30 juin 1975, dite loi d'orientation en faveur des personnes handicapées , ne
modifie ni les définitions ni les objectifs qui précèdent, mais insère la double action définie
plus haut dans une perspective résolument non-ségrégationniste. Après avoir rappelé que "la
prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation
professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale , et
l'accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l'adulte handicapé physiques, sensoriels ou
mentaux constituent une obligation nationale", elle dispose que "l'emploi et le reclassement
des personnes handicapées constituent un élément de la politique de l'emploi", ce qui
représente politiquement une véritable révolution par rapport à la législation antérieure.
Pourtant, si nette qu'elle soit quant à la définition des objectifs et des moyens à mettre en
oeuvre, la loi reste ambiguë quant à une approche opératoire du handicap. En fixant les
objectifs à atteindre pour toute une population (les travailleurs handicapés), elle postule, sans
les préciser, l'existence de critères de classement permettant de repérer ceux qui font partie de
cette population. Le problème du législateur a été d'identifier individuellement les personnes
qui pouvaient être concernées par les objectifs poursuivis, ce qui revient toujours à constater
une différence par rapport à la normalité, laquelle ne peut être définie que techniquement.
Enfin, dans la droite ligne de ce qui précède, la loi du 10 juillet 1987 en faveur de
l'emploi des travailleurs handicapés a pour objectif de favoriser, dans le respect de
l'obligation nationale définie par le texte de 1975, l'insertion professionnelle des handicapés
en milieu ordinaire de travail ; ce texte qui, selon une formule désormais consacrée, substitue
une obligation de résultat à des obligations de procédure présente la double caractéristique
d'introduire l'emploi des travailleurs handicapés dans le domaine de la politique
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contractuelle, et d'étendre l'obligation d'emploi à l'ensemble du monde du travail : secteur
privé et secteur public.
Compte tenu de la complexité de la définition du handicap, on ne dispose toujours pas
aujourd'hui de données statistiques permettant une approche significative de la population
concernée, répartie par catégorie de handicap et par tranches d'âge. Selon la définition que
l'on donne du handicap, le nombre des handicapés peut varier de 2,5 à 6 millions de
personnes . En 1992, le secrétariat d'Etat aux handicapés l'évaluait à 10 % de l'ensemble de la
population, un pourcentage, communément admis, selon lui, dans l'ensemble des grands pays
industrialisés. La France compterait ainsi plus de 5,5 millions de handicapés, toutes
catégories confondues, sans que l'on soit absolument certain que ce chiffre n'intègre pas, pour
une part non négligeable, des handicapés " sociaux " dont le traitement relève d'une approche
différente. Sur ce total, la population handicapée susceptible d'exercer une activité varierait,
selon les sources, de 1,2 à 1,5 million de personnes , dont environ 100 000 handicapés
relevant du milieu protégé, c'est-à-dire d'établissements - ateliers protégés ou centres d'aide
par le travail - concourant à la production dans des conditions variant en fonction de la
gravité des handicaps de la population accueillie. Les autres se répartiraient de la manière
suivante : de 300 000 à 400 000 peuvent être considérés comme inaptes au travail, de 200
000 à 400 000 sont aptes au travail mais sans emploi (dont plus de 70 000 sont inscrits à
l'Agence nationale pour l'emploi - ANPE -), et de 500 000 à 700 000 travaillent en milieu
ordinaire de production, c'est-à-dire dans les entreprises industrielles, commerciales,
artisanales ou agricoles.
L'absence d'analyse d'ensemble du problème et les incertitudes statistiques qui en
découlent ont des conséquences graves ; en particulier, elles rendent quelque peu illusoires
les efforts des pouvoirs publics visant à arrêter des méthodes de programmation cohérentes
pour la création de places nouvelles dans les établissements accueillant des personnes
handicapées , puisqu'il n'existe aucune évaluation incontestable des besoins. Certes, les
informations disponibles dans les commissions techniques d'orientation et de reclassement
professionnel (COTOREP) pourraient sans doute être mieux exploitées qu'elles ne le sont
actuellement pour combler cette lacune. Toutefois, outre les problèmes de moyens que ne
manquerait pas de soulever cette exploitation - l'évaluation de la capacité de travail se heurte
à la quasi-absence d'outils ou de références en la matière - les résultats obtenus ne seraient
pas nécessairement significatifs, compte tenu des conditions de fonctionnement de ces
commissions. Tout d'abord, le dossier d'une même personne peut, en fonction de la nature de
sa demande, y être examiné plusieurs fois, ce qui risque de fausser le décompte exact des
personnes concernées. En outre, certaines COTOREP tendent de plus en plus fréquemment à
prendre en compte le handicap " social " qui relève en principe de mécanismes différents de
ceux qui régissent le handicap physique ou mental. Enfin, et dans la logique même des lois
de 1975 et de 1987 qui visent à favoriser au maximum l'intégration tant professionnelle que
sociale des intéressés, nombreux sont les handicapés qui se refusent à passer devant la
COTOREP, précisément pour éviter que soit ainsi "officialisée" leur différence. Dans ces
conditions, les carences de l'appareil statistique constituent une faiblesse essentielle de
l'ensemble du dispositif mis en place en faveur de la population adulte handicapée .
Les lois de décentralisation, qui remontent aujourd'hui à une dizaine d'années, reposent
sur un partage de compétences : à l'Etat reviennent les actions qui relèvent de la solidarité
nationale, - notamment les maisons d'accueil spécialisé (MAS), dont le prix de journée est
financé par la sécurité sociale et les CAT, qui s'intègrent dans une politique globale
d'insertion professionnelle des personnes handicapées , relevant également de l'Etat - ; aux
collectivités territoriales, et en premier lieu aux départements, reviennent les actions qui
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relèvent de la solidarité de proximité - foyers d'hébergement financés par l'aide sociale ,
prestations d'aide sociale diverses notamment pour le maintien à domicile des personnes
handicapées -.
Ce partage des compétences a conduit, pour la présente enquête, à un partage des tâches
entre la Cour des comptes, à qui incombe le contrôle de l'Etat et des organismes de sécurité
sociale , et les chambres régionales des comptes, seules compétentes pour toutes les
questions concernant les collectivités territoriales. L'intervention de la Cour a concerné les
administrations centrales et les services déconcentrés de l'Etat ainsi que les caisses de
sécurité sociale dans dix départements, celle des chambres régionales a porté sur les services
de collectivités départementales de leur ressort (voir encadré ci-contre). La méthode
d'investigation des juridictions financières a visé, comme de coutume, à asseoir leurs
observations sur la collecte de faits précis tirés de l'examen des pièces et d'entretiens avec les
gestionnaires.
***
Le champ des contrôles et de l'enquête
Le contrôle de la Cour a donné lieu à des investigations sur place auprès des services de
l'Etat et des organismes concernés dans dix départements : Calvados, Doubs, Lozère, Maine-
et-Loire, Morbihan, Nord, Pyrénées-Atlantiques, Haut-Rhin, Rhône, Val-de-Marne. Le choix
de ces départements a obéi à plusieurs critères, qui se recoupent parfois : importance de la
population, diversité géographique, vocation traditionnelle d'accueil des handicapés,
appartenance à la liste des départements retenus par les pouvoirs publics comme unités-
pilotes pour l'insertion professionnelle, inexistence de structures spécifiques de suivi et de
reclassement des handicapés.
Six chambres régionales des comptes - Auvergne, Guadeloupe-Guyane- Martinique,
Haute-Normandie, Ile-de-France, Midi-Pyrénées et Rhône- Alpes - associées étroitement à
l'étude ont de leur côté mené leurs investigations auprès de douze autres collectivités
territoriales départementales de leurs ressorts respectifs, afin qu'il n'y ait pas superposition,
mais élargissement des contrôles des juridictions financières. Ces investigations concernaient
principalement l'attribution de l'allocation compensatrice, prestation d'aide sociale relevant
désormais de la compétence des conseils généraux, la politique d'hébergement des
handicapés adultes en établissements et l'emploi des handicapés dans le secteur public local
(régions, départements, communes importantes et établissements publics rattachés).
Enfin, les autres chambres régionales ont collecté sur les mêmes sujets des informations
statistiques intéressant la quasi-totalité des collectivités départementales.
Les autorités locales concernées par les observations contenues dans le rapport ont reçu
communication du texte intégral ou seulement d'extraits, selon que leur collectivité
appartenait ou non au champ central de l'enquête.
Dans le cadre de son enquête, la Cour a eu l'occasion de se faire communiquer un
certain nombre de statistiques faisant apparaître le pourcentage souvent important de
personnes lourdement handicapées sur le plan physique à la suite, notamment, d'accidents de
la route. Le sujet traité lui apparaît, en conséquence, indissociable d'un autre thème essentiel,
celui de la prévention. Si, sauf à alourdir et ralentir l'enquête, la Cour a écarté l'examen de ce
dernier domaine dans les développements qui suivent, il convient de ne pas oublier qu'il n'en
constitue pas moins leur complément naturel.
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Par ailleurs, bien que consciente du fait que la politique d'intégration professionnelle et
sociale des personnes handicapées physiques d'une part, des personnes handicapées mentales
ou polyhandicapées d'autre part, ne saurait se poser dans les mêmes termes, la Cour a
volontairement écarté la distinction entre ces différents types de population en raison de la
complexité des problèmes qu'elle soulève, notamment sur le plan médical.
La Cour a enfin volontairement limité ses investigations à l'étude des politiques sociales
mises en oeuvre en faveur des personnes handicapées adultes, sans prendre en compte
l'ensemble du dispositif concernant les enfants. En effet, il lui est apparu souhaitable de
privilégier une nouvelle évaluation d'une politique qu'elle avait déjà analysée antérieurement.
En outre, la loi du 30 juin 1975 étant toujours le texte de base, il a semblé utile, compte tenu
des critiques et suggestions de rationalisation des procédures formulées dès 1982, de
chercher à apprécier la portée des moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour les
améliorer. De plus, la loi du 10 juillet 1987 qui a profondément modifié les règles relatives à
l'obligation d'emploi des personnes handicapées , concerne nécessairement et à peu près
exclusivement les adultes.
Dans cette perspective, les observations des juridictions financières leur ont permis de
constater que l'insertion professionnelle des handicapés adultes reste un objectif
imparfaitement atteint, que leur intégration sociale s'inscrit dans un dispositif insuffisamment
maîtrisé, et que l'ensemble des politiques prévues en leur faveur reposent sur des moyens
inadaptés tant au plan administratif qu'au plan financier.
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PREMIERE PARTIE :
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Toute politique sociale moderne en faveur des personnes handicapées adultes a pour
objectif l'intégration du plus grand nombre d'entre elles dans la société. Ceci suppose, au
premier chef, qu'elles puissent accéder au travail dans les conditions que permet leur état de
santé, le but à atteindre, en l'espèce, étant la meilleure insertion possible en milieu dit
"ordinaire", c'est-à-dire celui où elles se retrouvent côte à côte avec le reste de la population
active
7
.
Conscients des difficultés propres à la population concernée, les pouvoirs publics se
sont efforcés de promouvoir des actions concrètes poursuivant la même finalité :
- mise en place d'un dispositif spécifique de formation qui vient compléter le dispositif
traditionnel ouvert lui aussi, d'ailleurs, aux handicapés mais, par définition, peu adapté à leur
cas ;
- élaboration de textes législatifs, dont le plus récent est celui du 10 juillet 1987, créant
pour le secteur public comme pour le secteur privé
8
une obligation d'emploi de cette
catégorie de travailleurs et prévoyant en leur faveur une garantie de ressource se traduisant
par le versement éventuel d'un complément de rémunération à la charge de l'Etat (ci-après,
IIème partie, B 1°).
Dans une conjoncture économique défavorable marquée, depuis plusieurs années, par
une forte croissance tant du chômage global que du chômage de longue durée, la mise en
oeuvre des politiques annoncées s'est écartée sensiblement des principes qui les sous-tendent.
L'enquête conduite par la Cour et les chambres régionales des comptes a fait ressortir
les difficultés de toute nature rencontrées par les personnes handicapées pour accéder à un
emploi correspondant à leurs aptitudes et à leur qualification en raison, pour une large part,
des résultats décevants du système de formation qui leur est proposé.
A. - UN DISPOSITIF DE FORMATION INSUFFISANT
Plus que pour toutes les autres catégories de population, une formation professionnelle
appropriée constitue, pour les personnes handicapées , un préalable indispensable à un
éventuel accès à un emploi. Or, ni le système spécifique de formation, qui fait intervenir les
centres de rééducation professionnelle (CRP), ni le dispositif ordinaire de formation ne
répondent de manière satisfaisante aux besoins et aux aspirations des intéressés.
1° LE DISPOSITIF SPECIFIQUE DE FORMATION
La répartition sur le territoire des soixante-douze CRP publics, semi-publics et privés
dénombrés au 31 décembre 1991 s'est faite de manière anarchique. Neuf régions
9
,
comprenant vingt départements, ne disposent d'aucun centre ; dans d'autres, mieux équipées,
les implantations géographiques ne sont pas toujours rationnelles. Cinquante-et-un
départements seulement sont, en fait, couverts par le dispositif spécifique de formation. Ceux
où ce dispositif est inexistant, comme le Morbihan, possèdent, en revanche, une importante
infrastructure d'établissements de travail protégé lourds (centres d'aide par le travail), comme
7) On emploie indifféremment, dans ce rapport, les termes milieu "ordinaire" ou milieu "ouvert" pour qualifier
le milieu du travail non protégé où évolue l'ensemble de la population.
8) Au sens de la loi de 1987, le "secteur public" comprend les services de l'Etat, des collectivités territoriales et
des
établissements publics qui lui sont rattachés, le "secteur privé" regroupant les entreprises soumises au code du
travail.
9) Bourgogne, Basse-Normandie, Corse, Picardie, Poitou-Charentes et les quatre régions monodépartementales
d'Outre-Mer.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
13
s'il existait une relation inverse entre l'implantation d'établissements destinés à la formation,
et donc à l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail, et le
développement du milieu protégé de nature médico- sociale .
Cette situation, qui engendre des inégalités entre handicapés selon leur département de
résidence, est d'autant plus regrettable que les personnes orientées en CRP rencontrent
fréquemment des problèmes de mobilité dont l'importance varie en fonction de l'implantation
des lieux de rééducation.
Le déséquilibre ainsi observé est, en l'état actuel de la réglementation, particulièrement
difficile à corriger. En effet, aux termes des articles 10 et 11 du décret du 18 décembre 1985,
intégrés dans les articles R 481-1 et R 481-2 du code de la sécurité sociale , la totalité des
frais de fonctionnement des CRP, préalablement agréés, au moment de leur création ou de
leur extension, par décision interministérielle
10
, est prise en charge par les organismes
d'assurance maladie, à l'exception de la rémunération des stagiaires, à la charge de l'Etat ou
des régions, qui doit faire elle-même l'objet d'un agrément spécifique. Or, la direction de la
sécurité sociale , plus sensible au souci de mieux encadrer les dépenses de l'assurance-
maladie qu'à celui de développer des opérations de formation, est conduite à limiter le coût
global des CRP en imposant à l'ensemble de ces derniers de fonctionner à enveloppe
financière constante : en d'autres termes, toute nouvelle création ou extension d'un centre
n'est plus réalisée depuis plusieurs années que sur la base d'un redéploiement des moyens des
structures existantes. Comme, parallèlement, les retraits d'agrément n'interviennent que
rarement, car la fermeture d'un CRP pose inévitablement le problème de la réinsertion de ses
formateurs et de son encadrement, la situation est pratiquement bloquée. Ainsi se trouvent
figées à la fois les formations et les possibilités pour les CRP de progresser et d'améliorer
leurs performances, alors que les capacités d'adaptation de tout système de formation
professionnelle aux besoins en changement constant de l'économie conditionnent son
efficacité.
Dès lors, nombreux sont les centres dispensant des formations trop anciennes et
inadaptées. Dans certains cas, exceptionnels il est vrai, cette situation peut conduire le CRP à
cesser de lui-même ses activités : il en a été ainsi en mai 1990 pour le centre Madeleine
Monsimier, à Angers, qui était spécialisé dans des formations traditionnelles d'aide en
confection, d'aide comptable, de préparation aux travaux du textile en général, autant de
secteurs devenus obsolètes. Mais le plus souvent, les établissements continuent à fonctionner
en dépit de cette inadéquation de la formation dispensée aux exigences du marché de l'emploi
- dans les CRP décentralisés des Pyrénées-Atlantiques, par exemple, on trouve encore des
sections de formation au bobinage ou à la couture flou - ; ils ne sont généralement pas en
mesure, en raison des modalités de leur financement, d'avoir recours à des techniques
innovantes telles que la formation en alternance même si, exceptionnellement, l'usage de
cette formule a pu être relevé, comme au centre de rééducation professionnelle André
Maginot, à Roubaix, ou encore au Centre lillois de rééducation professionnelle. Cette
situation a des conséquences d'autant plus regrettables que l'Etat tend à se désengager
financièrement d'un certain nombre d'opérations : au centre de rééducation de Mulhouse
11
,
par exemple, il participait jusqu'en 1990 à la couverture de 50 % des équipements
pédagogiques, par le biais des crédits attribués par la délégation régionale à la formation
professionnelle ; désormais, cette dernière n'intervient plus, et les crédits alloués proviennent
de la seule délégation à l'emploi ; la conséquence de cette situation est qu'au centre de
10)Cette procédure très lourde sera détaillée dans la troisième partie du rapport.
11) Voir annexe 3.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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Mulhouse, les opérations financées par l'Etat sont passées de 2,063 millions de francs en
1989 à 0,144 million de francs en 1992.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les COTOREP aient tendance, à travers
les décisions d'orientation de leur première section
12
, à diriger les personnes handicapées ,
autant que faire se peut, vers les centres de rééducation dont la réputation est la meilleure, ce
qui provoque, pour l'entrée dans ces établissements, d'interminables "files d'attente" : il faut
en moyenne un an pour accéder aux formations dans les CRP du Rhône, et deux ans pour
obtenir un stage dans les filières les plus recherchées ("informatique" et "dessin") du CRP de
Mulhouse, déjà cité. Il y a donc souvent inadéquation entre les orientations en formation
décidées par les COTOREP et les capacités du dispositif d'accueil correspondant.
Aucun tableau de bord véritable, au niveau de l'administration centrale, ne permet de
comparer d'une année à l'autre, les dépenses réalisées et les résultats obtenus. Ces derniers,
d'après les informations collectées sur place auprès des caisses primaires d'assurance maladie
(CPAM), sont souvent jugés insuffisants : si les taux de placement affichés des CRP du
Rhône (82,69 %) et de Mulhouse (77 %) sont très satisfaisants, les reclassements observés
dans d'autres départements sont loin d'être aussi performants : la CPAM d'Angers recensait
en 1990 14 placements (dont 3 dans un autre métier que celui enseigné en stage de
formation) sur 80 stagiaires, et en 1991 50 placements à la suite de 121 stages ; celle de Pau
évaluait à 12 le nombre de reclassements intervenus en 1990 (sur 23 stagiaires) et à 14 (sur
42 stagiaires) celui de 1991, étant précisé que le coût annuel pour cette seule CPAM, hors
rémunération des stagiaires, s'élevait respectivement à 26,6 millions de francs et 19,8
millions de francs. Pour leur part, les huit CPAM du Nord portent une appréciation très
nuancée sur les résultats de la rééducation professionnelle en CRP.
Les pouvoirs publics ne disposent que d'informations fragmentaires sur le coût global
de cette politique de formation pour l'assurance- maladie. La Cour l'a évalué de manière
empirique - à partir du nombre total de places agréées dans les centres par la sécurité sociale ,
du taux moyen d'occupation des CRP, d'un prix de journée minimum estimé à 500 francs et
d'un nombre de journées effectives de stage fixé à 305 jours annuels - à environ 1,3 milliard
de francs par an au moins, coût auquel il convient, bien entendu, d'ajouter les sommes dues
au titre de la rémunération des stagiaires. Alors que cette formation est onéreuse, le suivi n'en
est pas toujours assuré de manière satisfaisante
13
.
12) Les COTOREP, dont l'organisation et le fonctionnement seront analysés ultérieurement, sont composées de
deux sections. La première est compétente pour reconnaître la qualité de travailleur handicapé et pour décider
des orientations vers une formation ou une activité professionnelle. La seconde délivre les allocations et
prononce les orientations en établissement spécialisé (voir annexe 4).
13) Sans généraliser des cas qu'il faut espérer isolés, la Cour a eu àconnaître de celui d'une personne
handicapée à la suite d'un accident de trajet en 1979, qui avait bénéficié d'un stage de rééducation
professionnelle au centre de Jurançon (Pyrénées-Atlantiques) en section "photographie" et s'était, grâce à
l'attribution d'un prêt d'honneur de 150 000 francs consenti par la CPAM du Calvados, reconvertie dans
l'astrologie.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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2° LE DISPOSITIF ORDINAIRE DE FORMATION
En dépit d'exemples d'autant plus remarquables qu'ils sont rares - le département du
Morbihan, où n'existe pas de CRP, développe néanmoins une politique de formations locales
très active en utilisant les conventions passées dans le cadre des actions individuelles de
formation - la Cour a pu juger, à l'occasion de ses enquêtes sur place, que le dispositif
ordinaire de formation ne répond pas davantage à l'attente et aux besoins réels des personnes
handicapées .
L'association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ne gère pas de
centres spécialement affectés à la rééducation des personnes handicapées : quelques unes
seulement de ses trois mille sections spécifiques sont réservées prioritairement à cette
population. Aussi cet organisme qui, par ailleurs, a une activité importante d'appui à tous les
niveaux en faveur des handicapés (orientation-bilan par des psychotechniciens dans le cadre
des COTOREP, évaluation et contrôle des centres spécialisés, formation de formateurs etc.)
joue-t- il paradoxalement un rôle modeste dans le domaine de leur formation puisqu'au cours
des dernières années, moins de deux mille stagiaires ont été accueillis dans ses
établissements. Au demeurant, ces derniers ne sont d'ailleurs pas toujours conformes aux
normes d'accessibilité, comme la Cour a pu le constater dans les départements bretons ou
dans celui des Pyrénées-Atlantiques, par exemple. La signature, le 4 août 1992, de deux
conventions avec, respectivement, l'Etat et l'association de gestion du fonds pour l'insertion
professionnelle des handicapés (AGEFIPH)
14
devrait, en principe, permettre de remédier à
ces insuffisances, puisque l'AFPA devrait accueillir quatre mille stagiaires handicapés à partir
de 1994, aménager ses locaux pour en favoriser l'accès à la population intéressée, et réaliser,
pour mille cas particulièrement difficiles, des "parcours individualisés d'insertion". La
réalisation de ces objectifs passe inévitablement par une réflexion approfondie et une
adaptation des méthodes traditionnelles de l'AFPA à ce type d'action spécifique.
Quant à la formation en entreprise, elle reste marginale. En dépit des efforts consentis
par les pouvoirs publics pour favoriser la formation des handicapés en apprentissage - en
1992, 200 millions de francs ont été ajoutés aux 2,6 milliards de francs consacrés par l'Etat à
cette formule - l'échec est à peu près total. La loi du 23 juillet 1987 a tenté de relancer
l'apprentissage mais, malgré l'existence de centres de formation d'apprentis adaptés aux
personnes handicapées , la multiplication des aides émanant tant de l'Etat que de l'AGEFIPH
en faveur des employeurs qui ont recours à des apprentis handicapés et le succès de
l'insertion des apprentis par rapport à celle des jeunes issus des lycées d'enseignement
professionnel, les résultats, localement, se révèlent particulièrement décevants : la formule
n'est pratiquement pas utilisée au profit des handicapés dans les départements visités par la
Cour, même si, comme dans le Haut-Rhin, elle est globalement pratiquée à un niveau
supérieur à la moyenne nationale. Selon certaines directions départementales du travail et de
l'emploi, on pourrait craindre que la bonne image de l'apprentissage, lorsqu'elle existe, soit
compromise si l'on favorise l'admission des handicapés dans les centres de formation pour
apprentis.
14) Créée par la loi du 10 juillet 1987, l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des
handicapés collecte les fonds émanant des entreprises qui ont choisi de s'acquitter de cette manière de leur
obligation d'emploi, et les redistribue pour faciliter l'intégration des intéressés en milieu ordinaire de travail
(Voir infra, B, 3° et ss, et D, 2°, pp. 52 et ss).
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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De la même manière, la formule du contrat de rééducation professionnelle en
entreprise, régi par l'article L 439-9 du code de la sécurité sociale , n'a pas obtenu le succès
escompté. Cette formule suppose l'existence d'une convention tripartite entre un employeur,
un organisme de sécurité sociale et la direction départementale du travail, et conduit à une
prise en charge de la formation modulée dans le temps entre les caisses primaires
d'assurance-maladie et les employeurs.
Plusieurs mesures de relance intervenues en 1985 n'ont pas modifié le nombre de
contrats de rééducation conclus au plan national, de l'ordre de 400 à 430 selon les années, et
qui tend même à régresser. Cet échec est d'autant plus regrettable que, lorsqu'ils existent et
sont menés à leur terme, les contrats de rééducation professionnelle en entreprise débouchent
généralement sur des emplois durables. Ils assurent en effet un reclassement facile puisque
l'intéressé reste dans son milieu de travail et conserve ses habitudes. Par ailleurs, les CPAM
considèrent que cette formule est plus économique que le financement d'un stage de
rééducation professionnelle. Selon les directions départementales du travail, cette mesure ne
serait pas utilisée du fait que les entreprises et les médecins du travail la connaissent mal.
Mais l'explication la plus vraisemblable de l'insuccès de la formule est que cette dernière
subit, comme beaucoup de mesures spécifiques prises au profit des personnes handicapées ,
la concurrence directe des multiples actions en faveur de l'emploi décidées par les pouvoirs
publics et qui, financièrement, peuvent se révéler dans l'immédiat beaucoup plus attractives
tant pour l'employeur que pour la personne handicapée : les contrats de retour à l'emploi
(CRE), ouverts à la population handicapée depuis 1991, constituent un exemple très
caractéristique de cette situation : au titre de cette seule année, 131 contrats ont été conclus
en faveur de travailleurs handicapés dans le Rhône, 115 dans le Haut- Rhin, 113 dans le
Calvados, 50 dans le Maine-et-Loire, 44 dans le Doubs et 6 en Lozère.
B. - DES DISPOSITIONS LEGISLATIVES AMBIGUES
Le dispositif mis en place par la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des
handicapés était censé constituer une nouvelle étape vers l'intégration des personnes
handicapées en milieu ordinaire de travail : aux anciennes obligations presque
essentiellement de procédure qui avaient démontré leur inefficacité a été substituée une
obligation de résultat. Celle-ci concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public (Etat,
collectivités territoriales et établissements publics rattachés), et introduit l'emploi des
handicapés dans le domaine de la politique contractuelle. Tout employeur de plus de vingt
salariés doit, aux termes de l'article L 323-1 du code du travail, employer à temps plein ou à
temps partiel une proportion de "bénéficiaires", énumérés à l'article L 323-3 du même code,
égale au moins à 6 % de ses effectifs.
La règle ainsi posée paraît claire. Elle n'est pourtant pas dépourvue d'ambiguïtés.
1° LES "BENEFICIAIRES" DE L'OBLIGATION D'EMPLOI
Telle qu'elle résulte des dispositions de l'article L 323-3 du code du travail, la définition
des bénéficiaires de l'obligation est loin d'être aussi nette que pourrait le laisser penser le titre
même de la loi "en faveur de l'emploi des handicapés". Cet article énumère en effet huit
catégories de bénéficiaires potentiels. Si les quatre premières - qui concernent les travailleurs
reconnus handicapés par les COTOREP, les accidentés du travail et les victimes de maladies
professionnelles ainsi que les titulaires civils ou militaires d'une pension d'invalidité - ne
souffrent guère de contestation, les autres, en revanche, donnent à la notion de "bénéficiaire"
une acception particulièrement extensive. Elles visent en effet des veuves et orphelins de
guerre et femmes d'invalides dont les conjoints ou pères sont décédés ou ont contracté une
maladie ou une blessure imputables à un service de guerre.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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La liste des bénéficiaires de l'obligation d'emploi est encore plus longue dans le secteur
public que dans le secteur privé puisqu'aux huit catégories précitées viennent s'en ajouter
encore deux autres - agents reclassés et agents bénéficiaires d'une allocation temporaire
d'invalidité - étant également précisé que les titulaires d'un emploi réservé sont aussi pris en
compte pour le calcul du nombre global de bénéficiaires, dans le secteur tant privé que
public. Dans ces conditions, le décompte précis des personnes visées par l'article L 323-3 du
code du travail est particulièrement malaisé. Les différents champs de dénombrement des
intéressés dans le secteur public sont fréquemment sources d'incertitude et d'approximation,
car les risques de chevauchement et, partant, de doubles comptes sont fréquents : par
exemple, un agent territorial reclassé en raison d'une altération de son état physique en cours
d'emploi peut parfaitement faire l'objet d'une reconnaissance de handicap par la COTOREP
et être également recensé à ce titre. De même, rien ne s'oppose à ce qu'une personne
reconnue bénéficiaire de l'obligation d'emploi au titre de l'article L 323-3 précité se retrouve
par ailleurs dans la situation de bénéficiaire d'une allocation temporaire d'invalidité (servie
aux fonctionnaires atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné
une incapacité permanente ou d'une maladie professionnelle), et soit donc décomptée deux
fois. A ces difficultés, s'en ajoute une autre, soulignée par la plupart des collectivités locales :
un certain nombre d'agents relevant des catégories de bénéficiaires énumérés à l'article L
323-3 sont employés sans que leur qualité de personne handicapée ou assimilée soit
systématiquement connue de leurs employeurs, soit parce qu'ils ont été recrutés avant 1987,
alors que l'obligation d'emploi n'existait pas sous la forme prévue par la loi du 10 juillet, soit
parce que leur entrée dans la fonction publique postérieure à 1987 a eu lieu sans que leur
qualité de bénéficiaire ait été avancée par eux pour aboutir à ce recrutement dans des
conditions privilégiées.
Compte tenu des imprécisions signalées, les modes de calcul adoptés par les
collectivités locales, tantôt ne font pas apparaître le décompte spécifique des bénéficiaires
d'une allocation temporaire d'invalidité au motif qu'ils sont déjà bénéficiaires au titre d'une
autre catégorie ; tantôt recensent les mêmes personnes à la fois comme titulaires d'une rente
ou d'une pension d'invalidité et comme bénéficiaires d'une allocation temporaire d'invalidité,
mais ne les comptabilisent qu'une fois dans le total général ; tantôt considèrent les handicapés
reconnus par la COTOREP comme titulaires d'un emploi réservé ; tantôt enfin confondent les
bénéficiaires d'une allocation temporaire d'invalidité avec les victimes d'accidents du travail
titulaires d'une rente de la sécurité sociale . Il en résulte une approche très approximative de
la population censée bénéficier de l'obligation fixée par l'article L 323-1 du code du travail.
Ces difficultés sont aggravées par le fait que le recensement des intéressés, réalisé en
"unités bénéficiaires" de l'obligation d'emploi, n'est pas identique dans le secteur privé et
dans le secteur public : alors que, dans ce dernier cas, chaque agent effectivement rémunéré
compte pour une unité, dans le secteur privé, une même personne peut être décomptée pour
plusieurs unités en fonction de divers paramètres - âge, importance du handicap, formation,
placement antérieur - les résultats globaux ainsi obtenus étant ensuite "proratisés" en fonction
du temps effectif passé par les intéressés dans l'entreprise au cours d'une même année. Un
récent décret d'octobre 1992 a sensiblement modifié les règles initiales d'attribution des
"unités" aux bénéficiaires de l'obligation d'emploi afin de mieux tenir compte des flux
d'embauche des personnes handicapées .
La complexité des mécanismes ainsi décrits, les incertitudes relatives à la population
concernée au regard des objectifs affichés par la loi, les difficultés rencontrées par les
directions départementales du travail et de l'emploi (DDTE) pour surveiller efficacement la
bonne application des procédures, conduisent la Cour à émettre un avis réservé sur l'efficacité
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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réelle du dispositif mis en place. Elle a eu notamment l'occasion de relever qu'un certain
nombre de collectivités publiques déclaraient employer des personnes handicapées sans que
ces dernières relèvent pour autant de la liste des "bénéficiaires" fixée par la loi. Elle a
également constaté - notamment dans le secteur hospitalier - que des agents dont l'état de
santé nécessitait des "postes adaptés" se voyaient, de ce fait, conférer automatiquement la
qualification de " personnes handicapées " : l'Assistance publique de Paris est coutumière de
cette pratique, ce qui lui permet d'atteindre le taux d'objectif fixé par la loi de 1987. Elle a
enfin observé que certaines collectivités locales, comme la commune de Laval (Mayenne)
procédaient, sur la base de l'article L 431-2 du code du travail, à une proratisation des unités
bénéficiaires de l'obligation d'emploi dans les mêmes conditions que celles prévues dans le
secteur privé, et aboutissaient ainsi à des pourcentages d'emploi de personnes handicapées
nettement supérieurs à la réalité. Le département des Landes, pour sa part, qui employait
jusqu'en juillet 1990 sept personnes handicapées pour un effectif global de 529 agents - soit
un pourcentage d'emploi de 1,32 % - inclut dans le décompte, depuis cette date, les effectifs
d'un atelier protégé créé et financé par lui, au titre du quota légal imposé par la loi du 10
juillet 1987. Cette pratique, qui lui a permis d'afficher un pourcentage d'emploi de 9,45 %
pour la fin de l'année 1990 et de 11,43 % en 1991 va manifestement à l'encontre de la lettre et
de l'esprit de la loi en question, qui n'inclut pas les salariés des établissements de travail
protégé parmi les bénéficiaires de l'obligation d'emploi en milieu ordinaire.
2° LA POPULATION SALARIEE DE REFERENCE
Un certain nombre d'interrogations subsistent pour la détermination de l'assiette de
l'obligation d'emploi, qui suppose le calcul préalable de la population salariée de référence.
De l'effectif global de l'entreprise, doivent en effet être déduits les salariés appartenant à "des
catégories d'emplois exigeant des aptitudes particulières", c'est- à-dire des emplois qui ne
peuvent, en raison de leur spécificité, être occupés par des personnes handicapées . Là
encore, la règle ne s'applique qu'au secteur privé, même s'il a été relevé par la Cour que
certaines collectivités locales, telles la commune de Laval, déjà citée, la faisaient jouer en
leur faveur.
La liste de ces catégories d'emplois (trente-trois au total) a été fixée par un décret du 22
janvier 1988 et devait être révisée en fonction des résultats de la première année d'application
de la loi, sur proposition d'une commission désignée parmi les membres du conseil supérieur
pour le reclassement des handicapés. Constituée en octobre 1989, cette commission n'a pu
que constater l'absence d'unanimité en son sein pour formuler des propositions concrètes.
Aussi la liste des emplois établie initialement n'est-elle toujours pas réformée, ce qui est
d'autant plus regrettable que l'énumération à laquelle elle donne lieu conduit à s'interroger sur
le bien-fondé de l'existence de certains emplois prétendument inaccessibles aux handicapés :
le poste de "vendeurs de grands magasins" est l'exemple le plus significatif qui donne
fréquemment lieu à des difficultés d'interprétation. C'est ainsi que dans le département du
Haut-Rhin, un contentieux oppose la DDTE à une entreprise de charcuterie industrielle
comptant 453 vendeurs sur un effectif global de 619 personnes , et qui veut voir réduire à due
concurrence l'assiette des effectifs sur lesquels est calculée son obligation d'emploi.
La liste issue du décret précité de 1988 met par ailleurs en évidence l'incohérence déjà
soulignée concernant la notion de "bénéficiaire" de la loi. Il n'est pas contestable en effet que
la plupart des emplois prévus par décret - intégré dans l'article D 323-3 du code du travail -
peuvent être occupés par les bénéficiaires non handicapés énumérés à l'article L 323-3
précité.
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Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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3° LES MOYENS PERMETTANT DE S'ACQUITTER DE L'OBLIGATION
D'EMPLOI
Les diverses possibilités prévues par le législateur pour permettre aux entreprises et,
dans une certaine mesure, au secteur public, de s'acquitter de leur obligation d'emploi sont
hétérogènes et ne pèsent pas le même poids. A côté de l'embauche directe figurent, tant pour
le secteur public que pour le secteur privé, la possibilité de confier, par convention, des
travaux aux établissements de travail protégé et, pour le seul secteur privé, la possibilité de
s'acquitter d'une contribution financière auprès de l'AGEFIPH, ou encore, de s'engager, dans
le cadre d'un accord de branche, d'entreprise ou d'établissement, à mettre en oeuvre un plan
annuel ou pluriannuel comportant au moins deux des actions suivantes : plan d'embauche en
milieu ordinaire de travail, plan d'insertion et de formation, plan d'adaptation aux mutations
technologiques, plan de maintien dans l'entreprise en cas de licenciement.
Ces différentes actions n'ont évidemment pas la même portée. Les accords d'entreprise,
d'établissement et, a fortiori, les accords de branche, courent le risque de rester de simples
déclarations d'intention dont il est très difficile de surveiller la réalisation.
Lorsque ces accords concernent une ou plusieurs entreprises - ou un ou plusieurs
établissements - situées dans un même département, leur correcte application peut être
surveillée par les DDTE. Mais si l'entreprise dispose, comme c'est souvent le cas, de
plusieurs établissements répartis sur l'ensemble du territoire national, le contrôle devient plus
hypothétique, et parfois même inexistant. Or, les 63 accords actuellement en vigueur sont,
d'après le ministère du travail, en majorité des accords d'entreprises à établissements
multiples ayant pour la plupart une couverture géographique nationale, avec une forte
concentration sur Paris et la région parisienne : tel est le cas, par exemple, pour les accords
concernant EDF-GDF, la Banque de France, la COGEMA, IBM, Citroën, etc.
A plus forte raison, la réalité des engagements pris dans le cadre d'un accord de
branche est difficile à vérifier à court terme. De plus, les accords de branche sont d'une portée
encore limitée, puisqu'actuellement seules deux branches (les assurances et l'hospitalisation
privée à but non lucratif) sur plus de 230 ont conclu des accords sur l'emploi des handicapés,
ce qui est regrettable dans la mesure où ces accords fixent aux entreprises intéressées des
objectifs quantifiés à atteindre.
Le versement d'une contribution à l'AGEFIPH pour toute "unité bénéficiaire"
manquante au regard de l'obligation d'emploi peut se révéler, quant à lui, très attractif pour
l'employeur. Compte tenu de ses modalités de calcul, cette contribution variait, au 31
décembre 1991, de 9 798 francs à 16 330 francs selon la taille de l'entreprise alors que le coût
annuel réel d'un salarié (SMIC + charges sociales ) s'élevait, à la même date, à 83 283 francs.
Il est aisé de comprendre, dans ces conditions, la préférence que bon nombre d'employeurs
accordent au moyen de substitution que constitue l'AGEFIPH, d'autant que les fonds de cette
dernière ont vocation à retourner aux entreprises qui mettent en oeuvre une politique
d'insertion professionnelle des handicapés. C'est ainsi qu'en 1992, 43 500 entreprises sur 87
800 assujetties à l'obligation d'emploi ont contribué à l'AGEFIPH, soit 49,5 % du total, alors
qu'au cours des années 1989, 1990 et 1991, ce pourcentage était respectivement de 26,3 %,
36,8 % et 45,9 %.
Enfin, la possibilité offerte tant aux entreprises du secteur privé qu'à l'Etat, aux
collectivités territoriales et à leurs établissements publics de s'acquitter de leur obligation
d'emploi, dans la limite d'un plafond de 50 %, en concluant des contrats de fournitures, de
sous- traitance ou de prestations de service avec les établissements de travail protégé, a
soulevé, quant à elle, des problèmes multiples jusqu'à la fin de l'année 1992. Les règles
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Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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posées par une circulaire du 23 mars 1988 prise en application de la loi du 10 juillet 1987, et
qui ne seront pas développées ici en raison de leur extrême complexité, ne rendaient même
pas correctement compte de la diversité des situations rencontrées dans les établissements de
travail protégé, où la rentabilité des travailleurs varie en fonction de l'importance de leur
handicap et de la nature de la tâche accomplie.
Aussi bien faisaient-elles l'objet, au plan local, d'une application variable selon les
DDTE : la plupart les mettaient en oeuvre mécaniquement, d'autres s'efforçaient, comme
c'était le cas en Lozère, de les adapter au cas par cas à la réalité. Par ailleurs, les règles en
cause ne concernaient que le secteur privé et non le secteur public. L'Etat, les collectivités
territoriales et les établissements publics relevant d'eux se voyaient en effet appliquer, aux
termes d'un décret du 1er juin 1989, un autre système d'équivalence également complexe qui
avait pour conséquence que l'on s'acquittait de l'obligation d'emploi trois fois plus facilement
dans la fonction publique que dans le secteur privé. Il a fallu attendre près de cinq ans pour
que le caractère peu cohérent des règles fixées par la circulaire de mars 1988 soit enfin
corrigé par les dispositions d'un décret du 5 novembre 1992, qui est venu aligner les systèmes
en vigueur dans le secteur public et dans le secteur privé, tant en ce qui concerne les
modalités juridiques de calcul de l'équivalence - dans les deux cas, on est désormais en
présence d'un texte réglementaire - qu'en ce qui concerne le montant annuel du salaire à
prendre en compte.
4° LA SANCTION DU NON-RESPECT DE L'OBLIGATION D'EMPLOI
Selon le domaine dans lequel il intervient, le non-respect de l'obligation d'emploi donne
lieu ou non à l'application de sanctions pécuniaires, mais pour les seuls employeurs du
secteur privé. L'entreprise qui ne produit pas de déclaration en temps utile ou qui ne satisfait
pas, totalement ou partiellement, à l'obligation que lui impose la loi est astreinte, à titre de
pénalité, au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la
contribution due à l'AGEFIPH, majoré de 25 %. L'importance de ces pénalités tend d'ailleurs
à augmenter : elles ont atteint en 1991 un montant de près de 62 millions de francs, alors
qu'elles n'étaient que de 26,6 millions de francs en 1990.
En revanche, le fait pour l'administration de ne pas employer son quota obligatoire de
bénéficiaires reste, pour elle, sans incidence pratique. L'application de l'obligation qui lui
incombe est seulement censée en théorie faire l'objet, chaque année, d'un rapport présenté
aux comités techniques paritaires ou aux instances en tenant lieu, ainsi qu'aux conseils
supérieurs de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale et de la
fonction publique hospitalière. Au plan local, il semble que cette obligation minimale ne soit
guère respectée : si les communes de Fécamp, Rennes, Rouen, Toulouse ainsi qu'un certain
nombre de centres hospitaliers généraux ou spécialisés affirment avoir procédé à
l'information des comités techniques paritaires, la plupart des autres collectivités territoriales
ou établissements publics interrogés, en revanche, admettent ne pas avoir élaboré le rapport
d'information, ou même n'ont apporté aucune réponse aux questions de la Cour ou des
chambres régionales des comptes sur ce point.
C. - UNE INSERTION PROFESSIONNELLE FIGEE EN MILIEU PROTEGE
Les problèmes rencontrés pour assurer une insertion professionnelle des handicapés en
milieu protégé ont plusieurs origines : les déséquilibres affectant certaines des structures de
travail protégé, les difficultés constatées pour la mise en place et le fonctionnement des
ateliers protégés, les problèmes de financement des centres d'aide par le travail, et les
résultats décevants des mesures présentées comme "innovantes".
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
21
1° LES DESEQUILIBRES DE CERTAINES STRUCTURES DE TRAVAIL
PROTEGE
La législation consacre officiellement l'existence de deux structures de travail protégé,
l'une relevant du ministère du travail - les ateliers protégés (AP), auxquels sont juridiquement
assimilés les centres de distribution de travail à domicile (CDTD) -, l'autre du ministère des
affaires sociales - les centres d'aide par le travail (CAT) -.
Le schéma qu'avait défini la loi d'orientation du 30 juin 1975 reposait sur l'idée selon
laquelle il fallait s'efforcer de faire évoluer la personne handicapée du milieu le plus protégé
(CAT) vers le milieu le moins protégé (AP) afin de favoriser à la fin de son parcours, grâce à
un soutien adapté, son accès au milieu ouvert de travail. Une telle démarche supposait
l'existence, entre les CAT et le milieu ordinaire, d'une importante infrastructure d'ateliers
protégés, formule légère et relativement souple permettant une transition sans rupture
brusque d'un univers à l'autre. Or, la situation du milieu protégé est caractérisée par un
déséquilibre important au détriment des ateliers protégés : en 1990, ces derniers étaient au
nombre de 295 et pouvaient accueillir environ 10 000 travailleurs handicapés , alors qu'à la
même époque, près de 1 100 CAT avaient une capacité d'accueil de l'ordre de 72 000 places.
L'inégale répartition de ces établissements sur le territoire national, conséquence du
dynamisme plus ou moins grand des associations gestionnaires, rendait encore plus difficiles
les tentatives de rééquilibrage. A la fin de l'année 1991, six régions en métropole seulement
15
et les quatre régions d'outre-mer se situaient au-dessous de la moyenne nationale pour
l'équipement en CAT.
Les protocoles d'accord signés le 8 novembre 1989
16
par les ministres du travail et des
affaires sociales ainsi que par le secrétaire d'Etat aux handicapés, d'une part, et quatre
grandes associations représentatives de handicapés - Association des paralysés de France
(APF), Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), Comité national pour la
promotion sociale des aveugles (CNPSA), Union des associations de parents et amis des
personnes handicapées mentales (UNAPEI) - d'autre part, n'ont pas porté remède à ce
déséquilibre.
15) Alsace, Corse, Haute-Normandie, Ile-de-France, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
16) Voir annexe 5.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
22
Aux termes du premier protocole en effet, l'Etat s'est engagé à créer 10 800 places de
CAT en quatre ans contre 3 600 places seulement en AP. A l'issue de ce plan, le déséquilibre
en valeur absolue devrait donc s'être encore accentué et le rapport des deux structures
d'accueil s'être à peine amélioré. A la fin de l'année 1992, on recensait 77 562 places en CAT
pour seulement 11 364 en AP. La Cour ne peut que déplorer que la politique suivie aille
concrètement à l'encontre de toutes les déclarations d'intention exprimées depuis 1975, et
solennellement rappelées dans le premier protocole de 1989, affirmant que le gouvernement
"mènera une large réflexion sur le développement des différents dispositifs incitant à l'effort
d'intégration et d'insertion tant en atelier protégé qu'en milieu ordinaire", et posant comme
principe que cette "réflexion portera sur les conditions permettant d'améliorer le
fonctionnement et de favoriser le développement des ateliers protégés et des structures
d'accompagnement permettant l'intégration et l'insertion vers le milieu ordinaire".
Même si certains départements, comme celui du Nord, consentent un effort
exceptionnel pour promouvoir la création d'ateliers protégés, il reste que les divergences ainsi
constatées entre les objectifs affichés par les pouvoirs publics et la politique menée soulèvent
des problèmes de fond : que représentent les notions d'intégration et d'insertion des
handicapés en milieu ordinaire ? Visent-elles indifféremment les populations d'handicapés
physiques et mentaux ? Peuvent-elles être raisonnablement admises dès lors que la
productivité des intéressés est inférieure à un tiers de la normale, voire, dans certains cas, ne
dépasse pas 5 % à 10 % de celle d'un travailleur valide ?
La réponse à ces questions devrait être un préalable obligé à toute politique visant à
faciliter l'intégration professionnelle des handicapés, ne serait-ce que dans un souci de
clarification du discours d'un certain nombre d'associations qui, tout en prônant l'insertion en
milieu ordinaire de production, ne cessent de réclamer aux pouvoirs publics des créations de
places nouvelles en secteur protégé. Elle aurait également le mérite de conduire à une
réflexion sur le point de savoir si le maintien, en milieu protégé, de deux régimes juridiques
et financiers différents - celui des CAT et celui des AP- présente toujours un intérêt
aujourd'hui. La Cour n'est pas en mesure d'apprécier les avantages, à terme, de la formule de
l'établissement unique de travail protégé analogue à celle existant dans certains pays
européens, comme l'Allemagne, et au sujet duquel un conseil des ministres du 8 décembre
1982 avait constitué un groupe de réflexion. Ce dernier a rédigé un rapport, déposé en janvier
1984, consacré au "travail protégé et (à) l'insertion professionnelle des personnes
handicapées ". La Cour regrette que les conclusions de ce rapport, toujours d'actualité dix ans
après sa parution, n'aient été suivies d'aucun effet. Elle constate, en revanche, que le
cloisonnement actuel des établissements de travail protégé et les difficultés rencontrées par
chaque catégorie d'entre eux vont à l'encontre de la philosophie qui sous-tendait la loi
d'orientation du 30 juin 1975.
2° LES DIFFICULTES CONSTATEES DANS LA MISE EN PLACE ET LE
FONCTIONNEMENT DES ATELIERS PROTEGES
En dépit de quelques mesures destinées à faciliter leur création, la mise en place et le
fonctionnement des ateliers protégés restent très aléatoires et se heurtent à au moins trois
séries de difficultés.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
23
La première est d'ordre réglementaire. Bien qu'un décret du 24 décembre 1991,
modifiant l'article R 323-63 du code du travail, ait expressément prévu la déconcentration des
procédures d'attribution des subventions d'investissement des AP, le système en vigueur reste
lourd et complexe. Il suppose, notamment, l'existence d'une convention conclue après avis de
la commission de l'emploi du comité régional de la formation professionnelle, de la
promotion sociale et de l'emploi. En outre, alors que les modalités d'octroi des subventions de
fonctionnement sont bien définies, aucune précision n'existe sur la manière de calculer la
subvention d'investissement. Or, par définition, les décisions d'investir doivent, pour des
raisons économiques, être prises rapidement par les responsables des établissements et, à
défaut de crédits-relais qui pourraient être mis en place pour répondre à des besoins
immédiats, un AP peut être condamné à la stagnation, voire à la régression. On doit aussi
s'interroger sur la cohérence des dispositions prévoyant que les AP peuvent être créés "par les
collectivités ou organismes publics" (article L 323-31 du code du travail) et font, par ailleurs,
l'objet d'une "comptabilité distincte qui est tenue conformément aux prescriptions du plan
comptable général" (article R 323-61, 3ème alinéa du code du travail). Cette situation
implique un régime fiscal différent de celui des AP créés par des organismes privés assujettis
eux, notamment, à la TVA, à la taxe d'apprentissage et à la taxe sur la formation
professionnelle continue.
La seconde difficulté est structurelle : la fluctuation de la charge de travail dans les AP,
les absences parfois fréquentes des travailleurs handicapés en raison de leur état de santé, la
moindre rentabilité résultant du type de population accueilli conduisent souvent à la nécessité
de recruter du personnel intérimaire pour répondre à la demande et satisfaire ponctuellement
les clauses d'un marché, car l'AP fonctionne exactement comme une entreprise ordinaire et
est donc soumis aux mêmes contraintes économiques que cette dernière. La situation peut
encore se trouver aggravée par la concurrence des CAT, qui sont généralement en mesure de
pratiquer une politique des prix plus attractive, ou la crainte de la concurrence exprimée par
le milieu ouvert de travail, qui peut bloquer la création d'un AP. Au moment de l'enquête, un
établissement de quarante places comportant une scierie et susceptible d'être implanté à
Laval-Atger, en Lozère, n'avait toujours pu obtenir son agrément en raison de l'opposition
des organismes consulaires - en l'espèce, la chambre de commerce et d'industrie de la Lozère
- inquiets du préjudice éventuel que cet atelier protégé pourrait causer aux entreprises
travaillant le bois.
La troisième difficulté à laquelle sont confrontés les AP réside dans les problèmes
qu'ils rencontrent désormais pour aménager leurs postes de travail. Jusqu'en 1992, en effet,
l'article 20 (paragraphe 10 et 20) du chapitre 44-71 du budget du ministère du travail était
abondé en crédits destinés à aider à l'aménagement des postes et lieux de travail, à atténuer
les surcoûts d'encadrement et à encourager les constructeurs de machines. Mais
l'administration s'est désengagée de ce domaine, et les crédits en question ont été supprimés
de la loi de finances de 1992 au motif - non officiellement avoué - que l'AGEFIPH disposait
de moyens financiers lui permettant de prendre le relais en la matière. Or, l'AGEFIPH ne
pouvant légalement agir en milieu protégé - sauf si son intervention permet de faciliter
concrètement une insertion en milieu ordinaire de travail - les AP, du même coup, se voient
privés d'aide dans un domaine pourtant essentiel à leur activité.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
24
Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que bon nombre d'ateliers protégés ne
survivent que grâce à l'attribution, occasionnelle ou régulière, de subventions de
fonctionnement versées par l'Etat qui viennent s'ajouter aux aides que peut dispenser
l'organisme gestionnaire. C'est ainsi qu'en Lozère, un AP géré par l'association des
travailleurs handicapés lozériens en milieu rural (ASTHRALOR), étroitement liée à la caisse
de mutualité sociale agricole (CMSA), reçoit, depuis sa création en 1987, des subventions
annuelles dont le montant varie de 155 000 francs à 240 000 francs, mais bénéficie aussi de
l'aide de la Mutualité sociale agricole qui, sans le subventionner directement, lui octroie
cependant les prêts nécessaires et lui accorde également certaines facilités pour le paiement
des cotisations sociales .
Les exemples d'ateliers protégés qui ne connaissent pas de difficultés financières sont
suffisamment rares pour être soulignés : la Cour a été en mesure de constater que tel était le
cas, par exemple, de l'AP d'Etupes et Seloncourt, dans le Doubs, dont l'essentiel du chiffre
d'affaires provient des activités de sous-traitance avec la société des Automobiles Peugeot, et
dont on peut penser qu'il restera viable tant que perdurera cette sous-traitance.
3° LES PROBLEMES DE FINANCEMENT DES CENTRES D'AIDE PAR LE
TRAVAIL
17
Alors que les ateliers protégés qui, juridiquement, relèvent du ministère du travail,
jouissent d'un statut proche de celui d'une entreprise et ont pour objectif de produire et de
vendre selon des critères de rentabilité, c'est-à-dire de couvrir leurs charges par les produits
de leurs ventes, les CAT sont des institutions médico- sociales placées sous la tutelle du
ministère des affaires sociales et qui développent plutôt une politique d'accueil et d'assistance
aux handicapés. La recherche de marchés de sous-traitance exprime pour les CAT davantage
le souci de satisfaire les besoins occupationnels de leurs pensionnaires qu'une nécessité dont
dépend la survie de l'institution. Le fonctionnement financier et la pérennité de la structure
sont en effet théoriquement garantis, puisque les CAT sont financés par le biais d'une
dotation globale arrêtée par le représentant de l'Etat dans chaque département. Cette dotation
résulte de la différence entre les charges approuvées et les produits attendus inscrits à la
section d'exploitation du budget principal de l'activité sociale qui retrace le fonctionnement
général de l'établissement, à l'exception des charges d'exploitation strictement liées à
l'activité économique de celui-ci. Cette dernière est retracée au sein du budget annexe de
production et de commercialisation ; ce budget annexe n'est pas soumis à l'approbation de
l'autorité de tarification, et peut éventuellement faire l'objet d'un soutien financier de l'Etat
par le biais d'une subvention interne de fonctionnement en provenance du budget social .
Depuis quelques années, le taux annuel d'évolution de la dotation globale de
financement accordée aux CAT est insuffisant pour couvrir les charges des établissements.
L'encadrement strict des budgets des CAT- l'enveloppe globale des crédits d'aide sociale qui
leur est consacrée a évolué conformément à des taux directeurs qui étaient de + 5,06 % en
1990, + 3 % en 1991 et + 2 % en 1992 - est aujourd'hui totalement dépourvu de base réaliste
puisque la dotation ne couvre plus le financement des mesures d'amélioration de la situation
des personnels d'encadrement prévues par les conventions collectives pourtant dûment
approuvées par le ministère du travail. Dans les départements visités, ce financement aurait
supposé, en 1992, un taux directeur de la dotation globale en hausse de 5 à 6 % alors qu'il a
été limité à 2 %. Ce décalage a d'ailleurs été reconnu comme tel par l'administration,
17) Selon les dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, les
CAT peuvent être gérés par des personnes de droit privé, mais aussi relever de personnes morales de droit
public. Dans ce cas, il peut s'agir de services non personnalisés ou d'établissements publics.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
25
puisqu'une circulaire n° 70 du 24 décembre 1991 dispose expressément que le taux directeur
"ne permet de couvrir qu'une partie des mesures de la politique salariale prévue dans le taux
de progression du secteur médico- social ". Outre qu'il est particulièrement mal ressenti par
ceux des établissements qui, comme la Cour l'a fréquemment constaté, s'efforcent de
maintenir un coût à la place sensiblement inférieur à la norme arrêtée par l'Etat (la moyenne
en 1992 était de 55 000 francs), et qui se trouvent, de ce fait, doublement pénalisés, il
témoigne d'un manque de cohérence entre les différentes formes d'action des pouvoirs
publics vis-à-vis d'une même structure et a des conséquences très regrettables.
Il est tout d'abord à l'origine d'instances contentieuses intentées par des CAT contre les
arrêtés préfectoraux de notification de la dotation devant les commissions interrégionales de
la tarification sanitaire et sociale . Le décalage constaté fait craindre aussi des réductions de
personnel alors que le taux actuel d'encadrement dans les CAT est bien souvent insuffisant,
ou une diminution notable des actions de formation professionnelle continue, dont la
déficience, dans le secteur protégé, est déjà manifeste. Enfin, il ne peut qu'inciter les
gestionnaires d'établissements à équilibrer leur budget principal en utilisant les ressources de
la partie commerciale de leur activité et donc, pour que cette dernière dégage des excédents,
à rendre le CAT compétitif à n'importe quel prix. La Cour a relevé maints exemples de CAT
qui, par nécessité, développaient une activité plus productive qu'occupationnelle en
recherchant les marchés les plus rémunérateurs - même s'ils étaient peu formateurs pour les
handicapés - en recourant, en cas de besoin et pour des périodes limitées, à des "Rmistes" ou
à des chômeurs de longue durée, enfin, en s'opposant au départ de leurs pensionnaires les
plus productifs, et donc les mieux adaptables au milieu ordinaire de production. Ainsi se
trouve totalement détournée de son but l'une des idées-force de la loi du 30 juin 1975, à
savoir l'évolution progressive de la personne handicapée du milieu le plus protégé vers le
milieu le moins protégé.
4° LES RESULTATS DECEVANTS DES MESURES DITES "INNOVANTES"
Plusieurs formules visant à faciliter une certaine fluidité entre le milieu protégé et le
milieu ordinaire ont été expressément prévues par les textes. Elles sont malheureusement à
peu près totalement dépourvues d'effets significatifs. La possibilité, pour les entreprises de
créer des AP, prévue par l'article L 323-31 du code du travail, est, de façon générale, ignorée.
Dans les départements où elle a eu l'occasion de se rendre, la Cour n'a relevé que deux
exemples d'utilisation de cette formule : les Houillères du Nord - Pas-de-Calais ont créé à
Douai l'atelier ETHAP-NPC, et l'entreprise SOLLAC a aidé à la création, à Dunkerque, d'un
atelier indépendant qui s'engage sur un volume annuel de sous-traitance pour SOLLAC.
Le développement souhaité des formules juxtaposées CAT/AP- création de sections
d'AP dans les CAT et inversement - rappelé par une circulaire du 3 juillet 1991 afin de
favoriser un "brassage" de travailleurs dont les handicaps sont différents est, lui aussi, très
peu avancé ; il est plus fréquent de rencontrer, comme dans le Doubs, des AP implantés sur
le même site que des CAT, la gestion des deux types d'établissement relevant d'une même
structure, sans que cette situation entraîne pour autant une amélioration évidente de
l'insertion professionnelle des handicapés les plus lourds.
Les formules visant à ouvrir les établissements de travail protégé vers l'extérieur ne
sont guère plus efficaces que les précédentes. La mise à disposition d'une entreprise d'un
travailleur handicapé appartenant à un AP, en vue d'une embauche, est expressément prévue
par les articles L 323-32 et D 323-25-3 du code du travail. Le détachement, individuel ou en
équipe, à la journée ou continu, de travailleurs handicapés admis en CAT et autorisés à
exercer une activité à l'extérieur de l'établissement, a été précisé par un décret du 14 mars
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
26
1986. Les établissements du Maine-et-Loire paraissent avoir volontiers recours à ces
dispositifs (49 mises à disposition et 54 détachements ont été recensés en 1991), ceux des
Pyrénées-Atlantiques affichant une nette préférence pour le second (28 contrats de
détachement conclus en 1991), alors qu'en Lozère on affirme utiliser volontiers les deux
formules (7 mises à disposition et 8 détachements seraient intervenus en 1991) sans toutefois
que les contrats correspondants puissent être toujours produits. Il est symptomatique
d'ailleurs de relever que, même lorsqu'ils existent, ces contrats ne sont pas toujours établis
conformément à la réglementation. Ceci est grave dans la mesure où la mise à disposition ou
le détachement ont des incidences, sur le niveau de ressources des intéressés, qui doivent être
explicitement précisées ; à défaut, on peut craindre que le travailleur handicapé placé à
l'extérieur de son établissement d'accueil ne soit victime d'une exploitation peu compatible
avec toute idée d'insertion.
Compte tenu des observations qui précèdent, et dans la mesure où les établissements de
travail protégé sont naturellement réticents pour laisser partir leurs meilleurs éléments - les
plus productifs - qui sont aussi les plus aisément insérables dans une entreprise ordinaire, on
ne peut que constater la faiblesse du taux de sortie des travailleurs handicapés du milieu
protégé vers le milieu ordinaire de travail. Même s'il est difficilement mesurable avec
précision, son ordre de grandeur est significatif : en 1991 il aurait été de 2 à 3 % dans le
Maine-et-Loire, de 1,5 % dans le Haut-Rhin et de 3,2 % dans le Rhône. En Lozère, il aurait
atteint 10 à 15 % des travailleurs de l'AP géré par l'association Asthralor, précitée. Mais ces
résultats doivent être regardés avec prudence, car ils constituent une photographie de la
situation en fin d'année et n'intègrent évidemment pas les divers incidents qui peuvent
conduire un handicapé "sorti" en milieu ordinaire à revenir en milieu protégé. Le passage
d'un secteur à l'autre fait en effet intervenir de multiples facteurs et l'insertion - ou la
réinsertion - professionnelle échappe bien souvent à la logique rigoureuse que voudraient
imposer les textes qui la régissent (voir encadré : "un exemple de réinsertion difficile").
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
27
UN EXEMPLE DE REINSERTION DIFFICILE
L'exemple qui suit est un exemple réel, rendu anonyme, extrait d'un dossier consulté au
sein de "l'équipe de préparation et de suivi du reclassement" (EPSR) de l'un des départements
visités.
M. X..., né en juillet 1966, est déficient intellectuel et il a été pris en charge dès son
plus jeune âge par le service de l'aide sociale à l'enfance.
- de 1974 à 1981, l'intéressé est placé en maison pour enfants ;
- de 1981 à 1986, il est placé en Institut médico-professionnel ;
- en 1986, il est confié à l'EPSR ; déficient intellectuel, il a toutefois atteint le niveau
CE en français et CP en mathématiques et, comme c'est le cas en général des jeunes dont le
"parcours" est une succession de placements, son autonomie relative reste liée à un
accompagnement social soutenu ; la COTOREP le reconnaît travailleur handicapé, catégorie
C ;
- en septembre 1986, il est embauché comme ouvrier agricole avec un abattement de
salaire de 30 % ; son contrat de travail est rompu au bout de 3 mois ;
- en décembre 1986, il effectue un stage de soudure qui se solde par un échec, en raison
du rythme irrégulier du travail de l'intéressé, de son manque de technicité, et de son
incapacité à s'adapter au milieu ordinaire ;
- décembre 1986 : une préparation individuelle au code de la route jusqu'en juillet 1987
lui permet, en décembre 1987, d'obtenir son permis de conduire ; entre temps, en mars 1987,
l'intéressé a de nouveau été embauché comme ouvrier agricole (abattement de 40 %) et il a
pu trouver un logement indépendant qu'il est en mesure de prendre en charge grâce à
l'allocation-logement dont il bénéficie ;
- octobre 1989 : la COTOREP l'oriente en atelier protégé, avec contrat de prestation de
services dans une scierie ; l'intéressé perçoit toujours l'allocation-logement qui lui permet
d'avoir son appartement individuel en ville ; le soutien social qui lui est nécessaire n'est plus
que bimensuel ;
- avril 1991 : M. X... est embauché sur un contrat de travail à durée indéterminée par
l'entreprise où il était en prestation de services ; l'abattement de salaire décidé par la
COTOREP est de 20 % ; mais en juillet 1991, il atteint l'âge de 25 ans : bien que reconnu
travailleur handicapé de catégorie C, il n'est pas considéré par la COTOREP comme inapte à
80 % ; son allocation-logement lui est, en conséquence, supprimée. De ce fait, fragilisé dans
ses ressources au moment où il atteint une certaine autonomie professionnelle et sociale , M.
X... connaît de nouvelles difficultés dans l'entreprise où il est employé, et risque d'être orienté
en milieu de travail protégé lors d'un nouvel examen de son cas par la COTOREP.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
28
D. - UN ACCES ENCORE DIFFICILE A L'EMPLOI EN MILIEU OUVERT DE
TRAVAIL
Rapprochant des objectifs prévus les résultats de la loi du 10 juillet 1987, la Cour a dû
constater que ceux-ci sont insuffisants, dans le secteur tant privé que public. De plus, les
mesures permettant d'accompagner et de prolonger les dispositions de la loi restent encore à
préciser et à améliorer.
1° DES RESULTATS INEGAUX ET INSATISFAISANTS
La loi avait expressément prévu une période transitoire, de 1988 à 1990, au cours de
laquelle le pourcentage de bénéficiaires de l'obligation d'emploi par rapport aux effectifs ne
devait augmenter que progressivement. Fixé à 3 % en 1988, ce pourcentage devait ensuite
augmenter d'un point par an, de telle sorte que l'année 1991 était la première où s'appliquait
le "régime de croisière" de 6 %.
Dans les entreprises, le quota légal n'a été atteint que pour l'année 1988 (3,9 %), encore
que l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le ministère du travail de procéder cette année là
aux proratisations nécessaires doive conduire à estimer que ce pourcentage est sans doute
supérieur à la réalité. Quoiqu'il en soit, comme le montrent les tableaux qui suivent, sa
stabilité ultérieure n'a pas répondu aux objectifs affichés : 3,6 % en 1989, 3,7 % en 1990, et
3,8 % en 1991. Au cours de cette dernière année, seules 30 400 entreprises sur un peu plus de
88 000 assujetties à l'obligation d'emploi avaient atteint le taux de 6 % par l'emploi direct et
par les engagements pris dans des accords. Près des deux tiers des entreprises se situaient
donc en dehors des normes légales relatives à l'embauche proprement dite.
De plus, les employeurs ont davantage tendance à utiliser les moyens de substitution
que leur offre la loi, et plus particulièrement le versement d'une contribution à l'AGEFIPH,
plutôt que de procéder à des embauches directes. Même en tenant compte de la progression
du taux d'emploi obligatoire, de 1988 à 1991, l'augmentation des sommes collectées par
l'association illustre cette situation : celles-ci ont représenté 320 millions de francs en 1989,
645 millions en 1990, 1,18 milliard en 1991 et 1,6 milliard en 1992. Le succès rencontré par
la formule, cumulée avec les autres moyens permettant de répondre à la volonté du
législateur, conduit paradoxalement à une stagnation de l'embauche, qui devrait pourtant
rester la priorité recherchée.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
29
TABLEAU 1 - L'EVOLUTION DE L'EMPLOI DES TRAVAILLEURS HANDICAPES
1988
1989
1990
1991
Obligation d'emploi
3%
4%
5%
6%
Seuil d'assujettissement (a)
34 salariés
25 salariés
20 salariés
20 salariés
Nombre d'établissements assujettis (1)
52 600
74 100
87 800
88 000
Effectif salarié (2)
7 356 000
7 987 000
8 518 000
8 539 600
Nombre de handicapés déclarés (3)
223 800
235 900
256 300
258 000
dont : accidentés du travail
131 000
134 000
140 300
136 600
COTOREP
65 000
70 500
82 100
84 900
Nombre moyen de handicapés par
établissement : (3) / (1)
4,25
3,18
2,92
2,93
Taux d'emploi de handicapés : (3) / (2)
3,00%
3,00%
3,00%
3,00%
Assiette d'assujettissement (4)
6 777 600
7 398 900
7 885 900
7 903 200
Unités bénéficiaires proratisées (5)
(c)
264 700
293 600
296 900
Taux d'emploi en UBP (b) par rapport
à l'assiette d'assujettissement : (5) / (4)
(c)
3,60%
3,70%
3,80%
(a) Compte tenu de la progressivité du taux de l'obligation, le champ d'application de la loi est
différent chaque année
(b) UBP : unité bénéficiaire proratisée.
(c) Pour 1988, ces informations n'étaient pas connues. Le nombre d'unités bénéficiaires non
proratisées était de 264 500 et le taux correspondant de 3,90 %.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
30
BILAN DES BENEFICIAIRES ET DES UNITES BENEFICIAIRES CORRESPONDANTES
PAR CATEGORIE DE BENEFICIAIRES POUR 1991
Bénéficiaires
Coefficient
correcteur (1)
Unités
bénéficiaires
non proratisées
Coefficient de
prorati sation
(2)
Unités
bénéficiaires
proratisées
ensemble
84 900
-1,62
137 850
0,92
127 300
A
24 400
1
24 400
26 600
B
42 400
1,5
63 600
65 000
handicapés
COTOREP
C
18 100
2
36 200
35 700
formation
professionnelle
1 000
0,5
500
3
âge
24 700
0,5
12 350
3
½ unités
ou unités
supplém.
placement
antérieur
1 600
0,5
800
3
Accidents
ensemble
136 600
-1,02
139 100
0,98
136 200
Du
Taux
10-66,6
132 400
1
132 400
0,98
129 900
Travail
d'IPP
66,6-85
3 400
1,5
5 100
0,94
4 800
en %
>85
800
2
1 600
0,94
1 500
Invalides pensionnés
22 200
1
22 200
0,87
19 400
mutilés de guerre
14 300
1
14 300
0,98
14 000
ENSEMBLE
258 000
-1,21
313 450
0,95
296 900
1) Des unités ou demi-unités sont accordées par la réglementation à certains bénéficiaires selon leur
situation ; le coefficient correcteur permet de passer des effectifs de bénéficiaires aux unités
bénéficiaires correspondantes. S'il est entre parenthèses, il est le produit d'un calcul.
(2) C'est un coefficient de proratisation temporelle ; il tient essentiellement compte du travail à temps
partiel mais aussi de la durée de présence annuelle pour les salariés sous CDD.
(3) Comptabilisées avec la catégorie de handicapés COTOREP correspondante.
Source : ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Rapport sur l'exécution
de la loi du 10 juillet 1987 au titre de
l'année 1991
La situation globale ainsi observée permet de mieux mettre en relief les résultats
remarquables obtenus dans certains départements que la Cour a eu l'occasion de visiter : le
quota de 6 % était atteint en Lozère en 1991, et il l'était pratiquement aussi (5,9 %) dans le
Doubs, étant précisé que, dans ce dernier département, la contribution à l'A.G.E.F.I.P.H. est
passée de 1,3 million de francs en 1988 à 11,5 millions de francs en 1991, avec un montant
triplant d'une année à l'autre de 1988 à 1990. En sens inverse, la faiblesse des cotisations à
l'A.G.E.F.I.P.H. (1,70 %) caractérise l'action des entreprises privées du département du Nord,
qui privilégient l'embauche directe de handicapés (2,93 %) et les accords de branche et
d'entreprise sans que le quota légal soit pour autant respecté (4,78 %).
La Cour a pu enfin relever que si la volonté d'embauche de personnes handicapées,
telle qu'elle est exprimée par les entreprises, croît proportionnellement à la taille de ces
dernières, c'est le phénomène inverse qui se produit quant à la réalité de l'embauche :
nombreuses sont les entreprises occupant moins de 20 salariés - non assujetties à l'obligation
d'emploi - qui procèdent à l'embauche directe de personnes handicapées. Dans le Morbihan,
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
31
par exemple, 65 % des placements réalisés en 1992 par l'équipe de préparation et de suivi du
reclassement (E.P.S.R.)
18
ont été réalisés dans ce type d'entreprises.
Dans le secteur public, où n'existe pas le système de "proratisation" des
bénéficiaires de l'obligation d'emploi, les résultats ne sont guère plus significatifs que
dans le secteur privé.
D'après les informations disponibles, les quotas d'emploi dans la fonction publique
d'Etat ont été, en 1988, 1989, 1990 et 1991 de 3,3 %, 3,7 %, 3,38 % et 3,1 % comme le
montrent les tableaux ci-dessous. Dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière -
pour lesquelles les statistiques de 1991 n'étaient pas connues au moment de l'enquête de la
Cour - ils étaient respectivement, pour la période 1988-1990, de 3,4 %, 4,1 % et 4,05 % pour
la première, et de 3,97 %, 4,3 % et 4,8 % pour la seconde. S'agissant de ces deux derniers
domaines, les travaux des chambres régionales des comptes permettent de mettre en évidence
des résultats intéressants. A priori, aucune région ne respecte le quota légal d'emploi, et trois
départements seulement - Côtes d'Armor, Haute-Corse et Hauts-de-Seine - se situent dans la
légalité. Pourtant, les collectivités territoriales et leurs établissements publics qui sont
impliqués dans une politique active d'insertion professionnelle des personnes handicapées
font un effort souvent remarquable et affichent un quota d'embauche bien supérieur au seuil
de 6 %.
18) Les EPSR (cf. infra, 3ème partie) ont pour vocation de préparer, d'accompagner et de suivre l'insertion
professionnelle et sociale des personnes handicapées en milieu ordinaire.
33
Tableau 3
Effectifs des travailleurs handicapés et autres bénéficiaires de la loi
sur la période 1987-1990
MINISTERES
1987
1988
1989
1990
1991
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Affaires étrangères
188
1,2
203
1,4
254
1,3
332
2,1
352
2,3
Affaires sociales
1 043
4,4
1 142
5,1
1 068
4,9
1 206
4,6
1 074
4,5
Agriculture
-
-
597
2
597
2
947
3,2
995
3,3
Anciens combattants
334
7,6
266
6,3
254
6,3
236
6,2
221
6,1
Aviation civile
598
4,8
602
4,9
646
5,3
675
5,5
971
7,8
Coopération
4
0
19
0,2
19
0,3
13
0,2
13
0,2
Culture
166
1,4
176
1,3
184
1,4
172
1,6
181
1,6
Défense
4 248
3,1
4 299
3,2
4 264
3,3
3 284
2,6
2 944
2,6
DOM-TOM
2
0,1
1
0,1
1
0,1
1
0,1
1
0,1
Economie et finances
9 263
4,6
7 581
3,9
7 455
3,8
7 017
3,6
6 537
3,5
Education nationale
(1)
-
-
31 038
3
31
0,4
30 582
2,8
26 407
2,5
Equipement
-
-
1 894
1,8
1 665
1,6
3 387
3,3
3 365
3,2
Industrie et recherche
(2)
308
3,4
111
1,2
110
0,9
817
1,7
96
1,6
Intérieur
8 298
5,7
12 053
8
12 412
8,3
10 634
6,8
11 275
7,1
Justice
604
1,3
550
1,1
538
1,1
744
1,4
813
1,5
Mer
91
3,3
93
4,3
135
5,5
166
6,8
171
7
Premier Ministre
52
2
50
1,8
27
0,9
28
0,9
25
0,8
PTE
(2)
13 658
2,7
15 389
3
17 116
3,4
18 067
3,8
4
0,5
TOTAUX
38 857
3,4
70 064
3,3
46 876
3,7
78 308
3,3
55 445
3,1
(1) En 1989, les résultats de l'Education nationale ne représentent que le secrétariat d'Etat à la jeunesse et aux sports ; en 1991, Education nationale et jeunesse et sports restent cumulés.
(2) En 1991, hors établissements publics.
Source :
Ministère de la Fonction publique et des réformes administratives. Rapport sur l'exécution de la loi du 10 juillet 1987 au titre de l'année 1991.
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
117
TABLEAU 4
Effectifs des travailleurs handicapés et assimilés par ministère
(1)
(1*)
(2)
(3)
(4)
(5)
Total
Effectifs
%
Affaires étrangères
15
0
72
66
199
0
352
15067
2.3
Affaires sociales
446
23
27
4
559
38
1074
23720
4.5
Agriculture
116
12
84
704
90
1
995
29794
3.3
Anciens
combattants
24
0
16
42
135
4
221
3647
6.1
Aviation civile
84
0
20
69
798
0
971
12471
7.8
Coopération
3
0
4
3
2
1
13
6329
0.2
Culture
99
10
0
80
2
0
181
11500
1.6
Défense
675
0
1097
149
979
44
2944
114902
2.6
Dom-Tom
1
0
0
0
0
0
1
1817
0.1
Economie et
Finances
1232
0
248
1457
3434
166
6537
189017
3.5
Education nationale
2574
0
8110
5796
4596
5291
26367
1065921
2.5
Equipement
602
26
444
1493
641
185
3365
104401
3.2
Industrie
49
0
0
0
44
0
93
5696
1.6
Intérieur
775
45
1790
6892
1782
36
11275
159579
7.1
Jeunesse et sports
11
0
8
11
9
1
40
7304
0.5
Justice
37
0
18
357
379
22
813
54820
1.5
Mer
11
0
4
79
76
1
171
2426
7.0
Premier ministre
1
0
9
15
0
0
25
3029
0.8
PTE
1
0
1
1
1
0
4
771
0.5
Recherche
0
0
0
0
0
3
3
299
1.0
TOTAL ministères
6756
116
11952
17218
13726
5793
55445
1812510
3.1
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
118
TABLEAU 5
Effectifs des travailleurs handicapés et assimilés par établissement public
(1)
(1*)
(2)
(3)
(4)
(5)
Total
Effectifs civils
%
CEMAGREF
9
0
3
8
0
1
21
604
3.5
CNRS
50
0
262
104
115
281
812
24664
3.3
FRANCE TéLéCOM 1025
35
97
2379
241
426
4168
152653
2.7
INRA
32
2
110
31
19
23
215
8584
2.5
INRETS
1
0
2
1
2
0
6
403
1.5
INRIA
0
0
0
0
0
1
1
640
0.2
INSERM
31
7
33
1
22
2
89
4782
1.9
LA POSTE
1446
38
455
3461
1661
3282
10305
273400
3.8
ONF
0
0
0
191
739
0
930
7297
12.7
ONISEP
18
7
2
10
0
3
33
522
6.3
TOTAL Et. publics
2612
89
964
6186
2799
4019
16580
473549
3.5
TOTAL GENERAL 9368
205
12916
23404
16525
9812
72025
2286059
3.2
Signification des colonnes
(1) : COTOREP
(1*) : dont recrutement contractuels art. 3 de loi 10/07/1987
(2) : Accidentés du travail ; victimes maladies professionnelles