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Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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RAPPORT PUBLIC PARTICULIER
« Les politiques sociales en faveur des personnes
handicapées adultes »
Novembre 1993
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES
PERSONNES HANDICAPEES
A - UN DISPOSITIF DE FORMATION INSUFFISANT
1. - Le dispositif spécifique de formation
2. - Le dispositif ordinaire de formation
B - DES DISPOSITIONS LEGISLATIVES D'APPLICATION MALAISEE
1. - Les "bénéficiaires " de l'obligation d'emploi
2. - La population salariée de référence
3. - Les moyens permettant de s'acquitter de l'obligation d'emploi
4. - La sanction du non-respect de l'obligation d'emploi
C - UNE INSERTION PROFESSIONNELLE FIGEE EN MILIEU PROTEGE
1. - Les déséquilibres de certaines structures de travail protégé
2. - Les difficultés constatées dans la mise en place et le fonctionnement des ateliers
protégés
3. - Les problèmes de financement des centres d'aide par le travail
4. - Les résultats décevants des mesures dites "innovantes"
D - UN ACCES ENCORE DIFFICILE A L'EMPLOI EN MILIEU OUVERT DE
TRAVAIL
1. - Des résultats inégaux et insatisfaisants
2. - Les mesures d'accompagnement de la loi
a) Le rôle de l'ANPE
b) Les programmes d'action départementaux
c) Les incitations financières
DEUXIEME PARTIE : L'INTEGRATION SOCIALE DES PERSONNES
HANDICAPEES
A - UN CADRE DE VIE QUI RESTE A AMELIORER
1. - La politique de l'hébergement
a) Les établissements d'hébergement
b) La vie à domicile
2 - La politique de l'accessibilité
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B - DES AIDES FINANCIERES QUI DEVRAIENT ETRE REEQUILIBREES
1 - La garantie de ressources aux travailleurs handicapés (GRTH) :
un système de rémunération du travail peu compatible avec
l'objectif de réinsertion
a) Complexité et ambiguïtés
b) Des conditions de gestion contestables
2 - L'allocation aux adultes handicapés (AAH) : une prestation de plus en plus
fréquemment détournée de son but
a) Le succès de l'AAH
b) Les dérives de l'AAH
c) La gestion de l'AAH
3 - L'allocation compensatrice : une prestation davantage orientée vers la vieillesse
que vers le handicap
a) Le succès de l'AC
b) Les dérives de l'AC
c) La gestion de l'AC
TROISIEME PARTIE : LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES ET
FINANCIERES
A - DES STRUCTURES DONT LE FONCTIONNEMENT RESTE
GLOBALEMENT DEFECTUEUX
1 - Les difficultés des COTOREP
a) Les moyens des COTOREP
b) Le fonctionnement des COTOREP
2 - Le caractère peu opératoire des mécanismes d'orientation et de suivi :
a) Les centres de préorientation
b) Les équipes de préparation et de suite du reclassement
B - UN CADRE REGLEMENTAIRE ANARCHIQUE ET CONTRAIGNANT, PEU
ADAPTE A UN PILOTAGE EFFICACE DES ACTIONS ENTREPRISES
1 - Le cadre réglementaire :
a) Une réglementation parfois dépourvue de base juridique
réelle
b) Une réglementation surabondante et inutilement complexe
c) Une réglementation parfois lacunaire et fréquemment insuffisante
d) Une réglementation imprécise, voire contradictoire
2 - L'absence de pilotage
C - DES FACTEURS DE BLOCAGE AGGRAVES PAR LES MESURES DE
DECENTRALISATION
1 - L'inutile complexité de certains circuits administratifs :
l'agrément des CRP et des CPO
2 - Des modalités de prise en charge conflictuelles et arbitraires
CONCLUSION :
ANNEXES
REPONSES :DES ADMINISTRATIONS , DES COLLECTIVITES LOCALES,
DES ORGANISMES
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INTRODUCTION
La situation des personnes handicapées demeure un problème de société très important.
Elle est constituée d'un ensemble de cas individuels très variés, dont il est difficile de prendre
une vue générale. On ne saurait oublier qu'elle présente le plus souvent, en dehors de ses
implications collectives qui mettent en jeu la solidarité nationale, des aspects humains,
moraux et affectifs particulièrement douloureux.
En procédant à une évaluation des résultats des politiques sociales mises en oeuvre en
faveur des personnes handicapées adultes, la Cour s'est attachée, pour la troisième fois en un
peu plus de dix ans
1
et avec le concours des chambres régionales des comptes, à dresser un
nouveau bilan des mesures intervenues au profit d'une population dont l'importance
quantitative est mal cernée mais qui reste encore, en dépit des progrès réalisés au cours des
dernières années, trop souvent marginalisée au sein de la collectivité nationale. Cette
nouvelle enquête s'inscrit donc dans le droit fil des travaux antérieurs de la Juridiction, mais
les problèmes soulevés, les critiques formulées et les propositions de réforme suggérées ont
été replacés dans une perspective nouvelle commandée par quatre évolutions : l'effort
soutenu des pouvoirs publics pour tenter d'appliquer dans toute son ampleur la loi
d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées , qui reste le texte de
référence dont les auteurs avaient précisé, lors des débats parlementaires, qu'elle devrait être
révisée en 1995, au plus tard ; les incidences de la politique de décentralisation confiant aux
collectivités départementales le soin de prendre en charge certaines dépenses assumées
antérieurement par l'Etat ; le dispositif nouveau mis en place, en matière d'insertion
professionnelle, par la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des handicapés ; enfin,
l'espoir d'une politique d'ensemble cohérente par le regroupement des interventions
administratives que semblait augurer, à compter de 1988, l'institution d'un Secrétariat d'Etat
spécifique chargé des handicapés.
L'importance des masses financières en jeu a naturellement été décisive dans les choix
de la Cour. Dans son rapport public de 1982
2
,
celle-ci, se fondant sur une évaluation de
source ministérielle faite au début de 1981, estimait qu'au total les dépenses en faveur des
handicapés dans leur ensemble, sous diverses formes et y compris les crédits d'aide sociale et
les prestations servies par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF)
3
,
avaient
atteint environ 23 milliards de francs en 1980, soit 0,8 % du produit intérieur brut. Selon une
estimation officieuse mais vraisemblable émanant du secrétariat d'Etat aux handicapés,
l'ensemble des dépenses de l'Etat
4
,
des organismes de sécurité sociale et des collectivités
locales aurait été, en 1992, de l'ordre de 115 milliards de francs, soit 1,6 % du produit
intérieur brut. Même s'ils comportent une inévitable marge d'incertitude, ces chiffres doivent
1) Rapport public 1982, "La politique en faveur des handicapés adultes : la mise en oeuvre de la loi
d'orientation du 30 juin 1975", p. 43 et suivantes.
Rapport public 1987, "L'indemnisation de l'invalidité et du handicap", p. 266 et suivantes.
Pour établir le présent rapport, la Cour a pris en compte les nombreux ravaux réalisés sur ce domaine depuis
quelques années et dont elle a u prendre connaissance.
2) p. 43, note 1.
3) Un glossaire des sigles figure en annexe 1.
4) Voir annexe 2.
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être gardés en mémoire lorsqu'on s'efforce d'apprécier l'efficacité des mesures mises en
oeuvre, en France, en faveur de la population handicapée .
Dans la conduite de son enquête, la Cour s'est heurtée aux mêmes difficultés que
naguère. Les principales ont trait d'une part à l'absence de définition précise de la notion de
handicap qui est, par nature, variable à l'infini, le même type de handicap pouvant avoir des
effets très différents selon les individus et les circonstances, d'autre part et de manière
corollaire, à l'absence de données statistiques suffisamment fiables.
L'existence d'une déficience physique ou mentale, médicalement constatée, constitue
indiscutablement le mode d'approche le plus courant du handicap, mais celui-ci doit toutefois
être relativisé si l'on donne la priorité à la recherche des meilleures possibilités d'intégration
de la personne handicapée . En effet, le recensement des déficiences n'a de sens que s'il
permet de trouver des possibilités d'atténuer le désavantage social de ceux qui en souffrent.
La difficulté essentielle que l'on rencontre dans l'étude des politiques sociales en faveur
des personnes handicapées a trait à la notion de handicap elle-même, dont les approches sont
multiples et généralement indirectes.
Le seul cadre juridique dans lequel s'inscrit la notion du handicap est lui-même
complexe.
Sur le plan international, l'analyse faite par le Bureau International du Travail et qui
apparaît notamment dans la recommandation n° 99 sur "l'adaptation et la réadaptation des
invalides" permet de mesurer la complexité du problème puisque quatre critères de
classement du handicap sont retenus : en fonction de l'origine (guerre, accident, maladie), de
la nature (clinique ou non), du degré d'invalidité entraîné ou des effets produits à l'égard de
l'individu dans sa capacité de travail ; d'emblée on peut relever que ce classement comporte
trois approches objectives ou, du moins, mesurables, et une quatrième très difficilement
appréciable selon les individus. Plus récemment, la convention internationale du travail n 159
concernant la réadaptation professionnelle et l'emploi des personnes handicapées
5
donne une
définition de la " personne handicapée " mais non du "handicap".. "toute personne dont les
perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable ainsi que de progresser
professionnellement sont sensiblement réduites à la suite d'un handicap physique ou mental
reconnu". La définition adoptée est on ne peut plus vague : qu'est-ce qu'un emploi
"convenable" ? en quoi consiste une réduction "sensible" des perspectives de trouver ou de
conserver un emploi ou de progresser professionnellement ?
L'approche de l'Organisation mondiale de la santé conduit, pour sa part, à distinguer les
déficiences (au niveau de l'organe), les incapacités (au niveau de la personne ) et le
"désavantage social " qui n'est que la conséquence de l'incapacité dans l'accomplissement des
rôles sociaux . Au premier niveau, correspondent des réponses médicales, au second des
réponses médico-psychologiques et rééducatives, au troisième des réponses institutionnelles
et, éventuellement, politiques.
5) Cette convention, adoptée à Genève le 20 juin 1983 a été publiée au JORF du 15 février 1990 (p. 1941) par
décret n° 90-141 du 9 février 1990.
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Sur le plan national, le cadre législatif se présente comme une mosaïque de textes qui
obéissent chacun à des logiques différentes ; indépendamment même des textes organisant
l'assistance (comme la loi du 14 juillet 1905 qui, la première, prévoit l'assistance aux
vieillards, infirmes et invalides et institue l'aide à domicile) on recense des lois portant
réparation de préjudices, d'autres tendant à compenser le handicap, et, bien sûr, des textes à
vocation générale.
Les lois portant réparation de préjudices, du fait de la guerre tout d'abord, ont été la loi
du 17 avril 1916 complétée par celle du 30 juin 1923 qui, au lendemain de la première guerre
mondiale, accordent une priorité d'accès aux emplois du secteur public (emplois réservés)
pour les militaires blessés ou devenus infirmes des suites de cette guerre, la loi du 2 janvier
1918 organisant la rééducation professionnelle en procédant à la création d'un Office national
des mutilés et réformés de guerre et la loi du 26 avril 1924 étendant l'obligation d'emploi des
anciens militaires percevant une pension d'invalidité à l'ensemble des entreprises privées de
plus de dix salariés. Parallèlement, la loi du 31 mars 1919 avait institué un droit à pension
fixé en fonction du taux d'invalidité. A l'origine, l'application de l'ensemble de ces
dispositions était limitée dans le temps mais des mesures de reconduction successives leur
ont conféré un caractère quasi-permanent. Elles ont été insérées dans le code des pensions
militaires d'invalidité
6
.
S'agissant des préjudices nés du fait du travail, la première grande législation (loi du 9
avril 1898) organise la protection des accidentés du travail. Son principe est fondé sur la
suppression de l'action en responsabilité qui obligeait le salarié à prouver une faute ou une
négligence de l'employeur ; elle instaure une réparation forfaitaire de l'accidenté qui fait
intervenir une triple notion : l'indemnisation de l'incapacité, la conséquence professionnelle
de l'accident, le dédommagement lié au risque professionnel. La loi du 14 mai 1930 a ajouté
à ces dispositions le droit à la réinsertion professionnelle et notamment l'accès aux écoles de
rééducation professionnelle de l'Etat aux salariés victimes d'un accident du travail ne pouvant
plus exercer leur profession antérieure ou ayant besoin d'une nouvelle adaptation à leur
emploi.
La loi du 30 octobre 1946, qui abroge celle de 1898, transfère aux caisses de sécurité
sociale la gestion du risque accident du travail et maladie professionnelle, et accentue le rôle
de la prévention. Enfin, la loi du 7 janvier 1981 organise la protection de l'emploi des salariés
victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle par un encadrement strict
des possibilités de licenciement au cours de la période de suspension du contrat de travail et à
l'issue de celui-ci. L'évaluation du handicap repose sur un barème révisé en 1982 : une
réparation est accordée pour tout handicap de 1 à 100 % avec rente à vie variable en
proportion de l'incapacité.
D'autres textes visaient à compenser le handicap. Pour les assurés sociaux , il s'agit
principalement du système d'assurance invalidité de 1930 réaffirmé par l'ordonnance du 4
octobre 1945 instituant la Sécurité sociale et qui a pour but de "garantir les travailleurs et
leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur
capacité de gain". L'état d'invalidité est apprécié en tenant compte de la capacité de travail
restante, de l'état général, de l'âge et des facultés physiques et mentales de l'assuré ainsi que
de ses aptitudes et de sa formation professionnelle.
6) Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre assure a gestion d'importants dispositifs d'ordre
sanitaire et technique qui bénéficient pour une large part aux handicapés "civils" mais qui ne sont pas, en tant
que tels, étudiés dans le présent rapport, consacré aux aspects sociaux des questions intéressant les handicapés
adultes.
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Un texte spécifique pour les aveugles, l'ordonnance du 3 juillet 1945, a organisé leur
protection sociale en organisant, notamment, le placement des intéressés dans des
établissements de formation professionnelle. Pour tous les infirmes la loi du 2 août 1945, dite
loi Cordonnier, généralise l'aide à la réinsertion. L'aptitude au travail ou à une formation des
intéressés est appréciée par la commission d'orientation des infirmes (CODI) créée par le
décret du 11 juin 1954.
Sont venus s'ajouter d'importants textes à vocation générale, au nombre de trois.
La loi du 23 novembre 1957 tente de réunifier la mosaïque de textes relatifs à la
réinsertion professionnelle. Elle précise l'ensemble du processus de reclassement, des soins,
de la réadaptation et de la rééducation jusqu'au placement. Elle est à l'origine de la création
des ateliers protégés (les centres d'aides par le travail - CAT - ayant été créés, eux, dès 1954).
Pour la première fois, apparaît dans ce texte l'expression "travailleur handicapé ", sans que la
notion de handicap soit pour autant définie. Est qualifié de travailleur handicapé "toute
personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites
par la suite d'une insuffisance ou d'une diminution de ses capacités physiques ou mentales".
Cette définition a profondément inspiré celle de la convention n° 159 citée plus haut ; son
pragmatisme ne limite pas pour autant les interprétations possibles (que signifie le terme
"effectivement" ?), et surtout, elle suppose l'existence de critères d'appréciation indiscutables
(par rapport à quoi peut-on apprécier une "insuffisance" ou une "diminution" ?). Quoiqu'il en
soit, la loi de 1957 précise les objectifs à atteindre pour ce qui est des personnes entrant dans
la définition qu'elle donne : d'une part, la réparation - ensemble de mesures médicales et
para- médicales - et, d'autre part, la compensation destinée, notamment, à restaurer la
capacité de gain. Les moyens d'atteindre ces objectifs sont mis en oeuvre dès lors que la
commission départementale d'orientation des infirmes (CDOI) instituée par l'article 167 du
code de la famille et de l'aide sociale a reconnu la qualité de travailleur handicapé .
La loi du 30 juin 1975, dite loi d'orientation en faveur des personnes handicapées , ne
modifie ni les définitions ni les objectifs qui précèdent, mais insère la double action définie
plus haut dans une perspective résolument non-ségrégationniste. Après avoir rappelé que "la
prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation
professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale , et
l'accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l'adulte handicapé physiques, sensoriels ou
mentaux constituent une obligation nationale", elle dispose que "l'emploi et le reclassement
des personnes handicapées constituent un élément de la politique de l'emploi", ce qui
représente politiquement une véritable révolution par rapport à la législation antérieure.
Pourtant, si nette qu'elle soit quant à la définition des objectifs et des moyens à mettre en
oeuvre, la loi reste ambiguë quant à une approche opératoire du handicap. En fixant les
objectifs à atteindre pour toute une population (les travailleurs handicapés), elle postule, sans
les préciser, l'existence de critères de classement permettant de repérer ceux qui font partie de
cette population. Le problème du législateur a été d'identifier individuellement les personnes
qui pouvaient être concernées par les objectifs poursuivis, ce qui revient toujours à constater
une différence par rapport à la normalité, laquelle ne peut être définie que techniquement.
Enfin, dans la droite ligne de ce qui précède, la loi du 10 juillet 1987 en faveur de
l'emploi des travailleurs handicapés a pour objectif de favoriser, dans le respect de
l'obligation nationale définie par le texte de 1975, l'insertion professionnelle des handicapés
en milieu ordinaire de travail ; ce texte qui, selon une formule désormais consacrée, substitue
une obligation de résultat à des obligations de procédure présente la double caractéristique
d'introduire l'emploi des travailleurs handicapés dans le domaine de la politique
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contractuelle, et d'étendre l'obligation d'emploi à l'ensemble du monde du travail : secteur
privé et secteur public.
Compte tenu de la complexité de la définition du handicap, on ne dispose toujours pas
aujourd'hui de données statistiques permettant une approche significative de la population
concernée, répartie par catégorie de handicap et par tranches d'âge. Selon la définition que
l'on donne du handicap, le nombre des handicapés peut varier de 2,5 à 6 millions de
personnes . En 1992, le secrétariat d'Etat aux handicapés l'évaluait à 10 % de l'ensemble de la
population, un pourcentage, communément admis, selon lui, dans l'ensemble des grands pays
industrialisés. La France compterait ainsi plus de 5,5 millions de handicapés, toutes
catégories confondues, sans que l'on soit absolument certain que ce chiffre n'intègre pas, pour
une part non négligeable, des handicapés " sociaux " dont le traitement relève d'une approche
différente. Sur ce total, la population handicapée susceptible d'exercer une activité varierait,
selon les sources, de 1,2 à 1,5 million de personnes , dont environ 100 000 handicapés
relevant du milieu protégé, c'est-à-dire d'établissements - ateliers protégés ou centres d'aide
par le travail - concourant à la production dans des conditions variant en fonction de la
gravité des handicaps de la population accueillie. Les autres se répartiraient de la manière
suivante : de 300 000 à 400 000 peuvent être considérés comme inaptes au travail, de 200
000 à 400 000 sont aptes au travail mais sans emploi (dont plus de 70 000 sont inscrits à
l'Agence nationale pour l'emploi - ANPE -), et de 500 000 à 700 000 travaillent en milieu
ordinaire de production, c'est-à-dire dans les entreprises industrielles, commerciales,
artisanales ou agricoles.
L'absence d'analyse d'ensemble du problème et les incertitudes statistiques qui en
découlent ont des conséquences graves ; en particulier, elles rendent quelque peu illusoires
les efforts des pouvoirs publics visant à arrêter des méthodes de programmation cohérentes
pour la création de places nouvelles dans les établissements accueillant des personnes
handicapées , puisqu'il n'existe aucune évaluation incontestable des besoins. Certes, les
informations disponibles dans les commissions techniques d'orientation et de reclassement
professionnel (COTOREP) pourraient sans doute être mieux exploitées qu'elles ne le sont
actuellement pour combler cette lacune. Toutefois, outre les problèmes de moyens que ne
manquerait pas de soulever cette exploitation - l'évaluation de la capacité de travail se heurte
à la quasi-absence d'outils ou de références en la matière - les résultats obtenus ne seraient
pas nécessairement significatifs, compte tenu des conditions de fonctionnement de ces
commissions. Tout d'abord, le dossier d'une même personne peut, en fonction de la nature de
sa demande, y être examiné plusieurs fois, ce qui risque de fausser le décompte exact des
personnes concernées. En outre, certaines COTOREP tendent de plus en plus fréquemment à
prendre en compte le handicap " social " qui relève en principe de mécanismes différents de
ceux qui régissent le handicap physique ou mental. Enfin, et dans la logique même des lois
de 1975 et de 1987 qui visent à favoriser au maximum l'intégration tant professionnelle que
sociale des intéressés, nombreux sont les handicapés qui se refusent à passer devant la
COTOREP, précisément pour éviter que soit ainsi "officialisée" leur différence. Dans ces
conditions, les carences de l'appareil statistique constituent une faiblesse essentielle de
l'ensemble du dispositif mis en place en faveur de la population adulte handicapée .
Les lois de décentralisation, qui remontent aujourd'hui à une dizaine d'années, reposent
sur un partage de compétences : à l'Etat reviennent les actions qui relèvent de la solidarité
nationale, - notamment les maisons d'accueil spécialisé (MAS), dont le prix de journée est
financé par la sécurité sociale et les CAT, qui s'intègrent dans une politique globale
d'insertion professionnelle des personnes handicapées , relevant également de l'Etat - ; aux
collectivités territoriales, et en premier lieu aux départements, reviennent les actions qui
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relèvent de la solidarité de proximité - foyers d'hébergement financés par l'aide sociale ,
prestations d'aide sociale diverses notamment pour le maintien à domicile des personnes
handicapées -.
Ce partage des compétences a conduit, pour la présente enquête, à un partage des tâches
entre la Cour des comptes, à qui incombe le contrôle de l'Etat et des organismes de sécurité
sociale , et les chambres régionales des comptes, seules compétentes pour toutes les
questions concernant les collectivités territoriales. L'intervention de la Cour a concerné les
administrations centrales et les services déconcentrés de l'Etat ainsi que les caisses de
sécurité sociale dans dix départements, celle des chambres régionales a porté sur les services
de collectivités départementales de leur ressort (voir encadré ci-contre). La méthode
d'investigation des juridictions financières a visé, comme de coutume, à asseoir leurs
observations sur la collecte de faits précis tirés de l'examen des pièces et d'entretiens avec les
gestionnaires.
***
Le champ des contrôles et de l'enquête
Le contrôle de la Cour a donné lieu à des investigations sur place auprès des services de
l'Etat et des organismes concernés dans dix départements : Calvados, Doubs, Lozère, Maine-
et-Loire, Morbihan, Nord, Pyrénées-Atlantiques, Haut-Rhin, Rhône, Val-de-Marne. Le choix
de ces départements a obéi à plusieurs critères, qui se recoupent parfois : importance de la
population, diversité géographique, vocation traditionnelle d'accueil des handicapés,
appartenance à la liste des départements retenus par les pouvoirs publics comme unités-
pilotes pour l'insertion professionnelle, inexistence de structures spécifiques de suivi et de
reclassement des handicapés.
Six chambres régionales des comptes - Auvergne, Guadeloupe-Guyane- Martinique,
Haute-Normandie, Ile-de-France, Midi-Pyrénées et Rhône- Alpes - associées étroitement à
l'étude ont de leur côté mené leurs investigations auprès de douze autres collectivités
territoriales départementales de leurs ressorts respectifs, afin qu'il n'y ait pas superposition,
mais élargissement des contrôles des juridictions financières. Ces investigations concernaient
principalement l'attribution de l'allocation compensatrice, prestation d'aide sociale relevant
désormais de la compétence des conseils généraux, la politique d'hébergement des
handicapés adultes en établissements et l'emploi des handicapés dans le secteur public local
(régions, départements, communes importantes et établissements publics rattachés).
Enfin, les autres chambres régionales ont collecté sur les mêmes sujets des informations
statistiques intéressant la quasi-totalité des collectivités départementales.
Les autorités locales concernées par les observations contenues dans le rapport ont reçu
communication du texte intégral ou seulement d'extraits, selon que leur collectivité
appartenait ou non au champ central de l'enquête.
Dans le cadre de son enquête, la Cour a eu l'occasion de se faire communiquer un
certain nombre de statistiques faisant apparaître le pourcentage souvent important de
personnes lourdement handicapées sur le plan physique à la suite, notamment, d'accidents de
la route. Le sujet traité lui apparaît, en conséquence, indissociable d'un autre thème essentiel,
celui de la prévention. Si, sauf à alourdir et ralentir l'enquête, la Cour a écarté l'examen de ce
dernier domaine dans les développements qui suivent, il convient de ne pas oublier qu'il n'en
constitue pas moins leur complément naturel.
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Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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Par ailleurs, bien que consciente du fait que la politique d'intégration professionnelle et
sociale des personnes handicapées physiques d'une part, des personnes handicapées mentales
ou polyhandicapées d'autre part, ne saurait se poser dans les mêmes termes, la Cour a
volontairement écarté la distinction entre ces différents types de population en raison de la
complexité des problèmes qu'elle soulève, notamment sur le plan médical.
La Cour a enfin volontairement limité ses investigations à l'étude des politiques sociales
mises en oeuvre en faveur des personnes handicapées adultes, sans prendre en compte
l'ensemble du dispositif concernant les enfants. En effet, il lui est apparu souhaitable de
privilégier une nouvelle évaluation d'une politique qu'elle avait déjà analysée antérieurement.
En outre, la loi du 30 juin 1975 étant toujours le texte de base, il a semblé utile, compte tenu
des critiques et suggestions de rationalisation des procédures formulées dès 1982, de
chercher à apprécier la portée des moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour les
améliorer. De plus, la loi du 10 juillet 1987 qui a profondément modifié les règles relatives à
l'obligation d'emploi des personnes handicapées , concerne nécessairement et à peu près
exclusivement les adultes.
Dans cette perspective, les observations des juridictions financières leur ont permis de
constater que l'insertion professionnelle des handicapés adultes reste un objectif
imparfaitement atteint, que leur intégration sociale s'inscrit dans un dispositif insuffisamment
maîtrisé, et que l'ensemble des politiques prévues en leur faveur reposent sur des moyens
inadaptés tant au plan administratif qu'au plan financier.
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PREMIERE PARTIE :
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Toute politique sociale moderne en faveur des personnes handicapées adultes a pour
objectif l'intégration du plus grand nombre d'entre elles dans la société. Ceci suppose, au
premier chef, qu'elles puissent accéder au travail dans les conditions que permet leur état de
santé, le but à atteindre, en l'espèce, étant la meilleure insertion possible en milieu dit
"ordinaire", c'est-à-dire celui où elles se retrouvent côte à côte avec le reste de la population
active
7
.
Conscients des difficultés propres à la population concernée, les pouvoirs publics se
sont efforcés de promouvoir des actions concrètes poursuivant la même finalité :
- mise en place d'un dispositif spécifique de formation qui vient compléter le dispositif
traditionnel ouvert lui aussi, d'ailleurs, aux handicapés mais, par définition, peu adapté à leur
cas ;
- élaboration de textes législatifs, dont le plus récent est celui du 10 juillet 1987, créant
pour le secteur public comme pour le secteur privé
8
une obligation d'emploi de cette
catégorie de travailleurs et prévoyant en leur faveur une garantie de ressource se traduisant
par le versement éventuel d'un complément de rémunération à la charge de l'Etat (ci-après,
IIème partie, B 1°).
Dans une conjoncture économique défavorable marquée, depuis plusieurs années, par
une forte croissance tant du chômage global que du chômage de longue durée, la mise en
oeuvre des politiques annoncées s'est écartée sensiblement des principes qui les sous-tendent.
L'enquête conduite par la Cour et les chambres régionales des comptes a fait ressortir
les difficultés de toute nature rencontrées par les personnes handicapées pour accéder à un
emploi correspondant à leurs aptitudes et à leur qualification en raison, pour une large part,
des résultats décevants du système de formation qui leur est proposé.
A. - UN DISPOSITIF DE FORMATION INSUFFISANT
Plus que pour toutes les autres catégories de population, une formation professionnelle
appropriée constitue, pour les personnes handicapées , un préalable indispensable à un
éventuel accès à un emploi. Or, ni le système spécifique de formation, qui fait intervenir les
centres de rééducation professionnelle (CRP), ni le dispositif ordinaire de formation ne
répondent de manière satisfaisante aux besoins et aux aspirations des intéressés.
1° LE DISPOSITIF SPECIFIQUE DE FORMATION
La répartition sur le territoire des soixante-douze CRP publics, semi-publics et privés
dénombrés au 31 décembre 1991 s'est faite de manière anarchique. Neuf régions
9
,
comprenant vingt départements, ne disposent d'aucun centre ; dans d'autres, mieux équipées,
les implantations géographiques ne sont pas toujours rationnelles. Cinquante-et-un
départements seulement sont, en fait, couverts par le dispositif spécifique de formation. Ceux
où ce dispositif est inexistant, comme le Morbihan, possèdent, en revanche, une importante
infrastructure d'établissements de travail protégé lourds (centres d'aide par le travail), comme
7) On emploie indifféremment, dans ce rapport, les termes milieu "ordinaire" ou milieu "ouvert" pour qualifier
le milieu du travail non protégé où évolue l'ensemble de la population.
8) Au sens de la loi de 1987, le "secteur public" comprend les services de l'Etat, des collectivités territoriales et
des
établissements publics qui lui sont rattachés, le "secteur privé" regroupant les entreprises soumises au code du
travail.
9) Bourgogne, Basse-Normandie, Corse, Picardie, Poitou-Charentes et les quatre régions monodépartementales
d'Outre-Mer.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
13
s'il existait une relation inverse entre l'implantation d'établissements destinés à la formation,
et donc à l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail, et le
développement du milieu protégé de nature médico- sociale .
Cette situation, qui engendre des inégalités entre handicapés selon leur département de
résidence, est d'autant plus regrettable que les personnes orientées en CRP rencontrent
fréquemment des problèmes de mobilité dont l'importance varie en fonction de l'implantation
des lieux de rééducation.
Le déséquilibre ainsi observé est, en l'état actuel de la réglementation, particulièrement
difficile à corriger. En effet, aux termes des articles 10 et 11 du décret du 18 décembre 1985,
intégrés dans les articles R 481-1 et R 481-2 du code de la sécurité sociale , la totalité des
frais de fonctionnement des CRP, préalablement agréés, au moment de leur création ou de
leur extension, par décision interministérielle
10
, est prise en charge par les organismes
d'assurance maladie, à l'exception de la rémunération des stagiaires, à la charge de l'Etat ou
des régions, qui doit faire elle-même l'objet d'un agrément spécifique. Or, la direction de la
sécurité sociale , plus sensible au souci de mieux encadrer les dépenses de l'assurance-
maladie qu'à celui de développer des opérations de formation, est conduite à limiter le coût
global des CRP en imposant à l'ensemble de ces derniers de fonctionner à enveloppe
financière constante : en d'autres termes, toute nouvelle création ou extension d'un centre
n'est plus réalisée depuis plusieurs années que sur la base d'un redéploiement des moyens des
structures existantes. Comme, parallèlement, les retraits d'agrément n'interviennent que
rarement, car la fermeture d'un CRP pose inévitablement le problème de la réinsertion de ses
formateurs et de son encadrement, la situation est pratiquement bloquée. Ainsi se trouvent
figées à la fois les formations et les possibilités pour les CRP de progresser et d'améliorer
leurs performances, alors que les capacités d'adaptation de tout système de formation
professionnelle aux besoins en changement constant de l'économie conditionnent son
efficacité.
Dès lors, nombreux sont les centres dispensant des formations trop anciennes et
inadaptées. Dans certains cas, exceptionnels il est vrai, cette situation peut conduire le CRP à
cesser de lui-même ses activités : il en a été ainsi en mai 1990 pour le centre Madeleine
Monsimier, à Angers, qui était spécialisé dans des formations traditionnelles d'aide en
confection, d'aide comptable, de préparation aux travaux du textile en général, autant de
secteurs devenus obsolètes. Mais le plus souvent, les établissements continuent à fonctionner
en dépit de cette inadéquation de la formation dispensée aux exigences du marché de l'emploi
- dans les CRP décentralisés des Pyrénées-Atlantiques, par exemple, on trouve encore des
sections de formation au bobinage ou à la couture flou - ; ils ne sont généralement pas en
mesure, en raison des modalités de leur financement, d'avoir recours à des techniques
innovantes telles que la formation en alternance même si, exceptionnellement, l'usage de
cette formule a pu être relevé, comme au centre de rééducation professionnelle André
Maginot, à Roubaix, ou encore au Centre lillois de rééducation professionnelle. Cette
situation a des conséquences d'autant plus regrettables que l'Etat tend à se désengager
financièrement d'un certain nombre d'opérations : au centre de rééducation de Mulhouse
11
,
par exemple, il participait jusqu'en 1990 à la couverture de 50 % des équipements
pédagogiques, par le biais des crédits attribués par la délégation régionale à la formation
professionnelle ; désormais, cette dernière n'intervient plus, et les crédits alloués proviennent
de la seule délégation à l'emploi ; la conséquence de cette situation est qu'au centre de
10)Cette procédure très lourde sera détaillée dans la troisième partie du rapport.
11) Voir annexe 3.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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Mulhouse, les opérations financées par l'Etat sont passées de 2,063 millions de francs en
1989 à 0,144 million de francs en 1992.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les COTOREP aient tendance, à travers
les décisions d'orientation de leur première section
12
, à diriger les personnes handicapées ,
autant que faire se peut, vers les centres de rééducation dont la réputation est la meilleure, ce
qui provoque, pour l'entrée dans ces établissements, d'interminables "files d'attente" : il faut
en moyenne un an pour accéder aux formations dans les CRP du Rhône, et deux ans pour
obtenir un stage dans les filières les plus recherchées ("informatique" et "dessin") du CRP de
Mulhouse, déjà cité. Il y a donc souvent inadéquation entre les orientations en formation
décidées par les COTOREP et les capacités du dispositif d'accueil correspondant.
Aucun tableau de bord véritable, au niveau de l'administration centrale, ne permet de
comparer d'une année à l'autre, les dépenses réalisées et les résultats obtenus. Ces derniers,
d'après les informations collectées sur place auprès des caisses primaires d'assurance maladie
(CPAM), sont souvent jugés insuffisants : si les taux de placement affichés des CRP du
Rhône (82,69 %) et de Mulhouse (77 %) sont très satisfaisants, les reclassements observés
dans d'autres départements sont loin d'être aussi performants : la CPAM d'Angers recensait
en 1990 14 placements (dont 3 dans un autre métier que celui enseigné en stage de
formation) sur 80 stagiaires, et en 1991 50 placements à la suite de 121 stages ; celle de Pau
évaluait à 12 le nombre de reclassements intervenus en 1990 (sur 23 stagiaires) et à 14 (sur
42 stagiaires) celui de 1991, étant précisé que le coût annuel pour cette seule CPAM, hors
rémunération des stagiaires, s'élevait respectivement à 26,6 millions de francs et 19,8
millions de francs. Pour leur part, les huit CPAM du Nord portent une appréciation très
nuancée sur les résultats de la rééducation professionnelle en CRP.
Les pouvoirs publics ne disposent que d'informations fragmentaires sur le coût global
de cette politique de formation pour l'assurance- maladie. La Cour l'a évalué de manière
empirique - à partir du nombre total de places agréées dans les centres par la sécurité sociale ,
du taux moyen d'occupation des CRP, d'un prix de journée minimum estimé à 500 francs et
d'un nombre de journées effectives de stage fixé à 305 jours annuels - à environ 1,3 milliard
de francs par an au moins, coût auquel il convient, bien entendu, d'ajouter les sommes dues
au titre de la rémunération des stagiaires. Alors que cette formation est onéreuse, le suivi n'en
est pas toujours assuré de manière satisfaisante
13
.
12) Les COTOREP, dont l'organisation et le fonctionnement seront analysés ultérieurement, sont composées de
deux sections. La première est compétente pour reconnaître la qualité de travailleur handicapé et pour décider
des orientations vers une formation ou une activité professionnelle. La seconde délivre les allocations et
prononce les orientations en établissement spécialisé (voir annexe 4).
13) Sans généraliser des cas qu'il faut espérer isolés, la Cour a eu àconnaître de celui d'une personne
handicapée à la suite d'un accident de trajet en 1979, qui avait bénéficié d'un stage de rééducation
professionnelle au centre de Jurançon (Pyrénées-Atlantiques) en section "photographie" et s'était, grâce à
l'attribution d'un prêt d'honneur de 150 000 francs consenti par la CPAM du Calvados, reconvertie dans
l'astrologie.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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2° LE DISPOSITIF ORDINAIRE DE FORMATION
En dépit d'exemples d'autant plus remarquables qu'ils sont rares - le département du
Morbihan, où n'existe pas de CRP, développe néanmoins une politique de formations locales
très active en utilisant les conventions passées dans le cadre des actions individuelles de
formation - la Cour a pu juger, à l'occasion de ses enquêtes sur place, que le dispositif
ordinaire de formation ne répond pas davantage à l'attente et aux besoins réels des personnes
handicapées .
L'association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ne gère pas de
centres spécialement affectés à la rééducation des personnes handicapées : quelques unes
seulement de ses trois mille sections spécifiques sont réservées prioritairement à cette
population. Aussi cet organisme qui, par ailleurs, a une activité importante d'appui à tous les
niveaux en faveur des handicapés (orientation-bilan par des psychotechniciens dans le cadre
des COTOREP, évaluation et contrôle des centres spécialisés, formation de formateurs etc.)
joue-t- il paradoxalement un rôle modeste dans le domaine de leur formation puisqu'au cours
des dernières années, moins de deux mille stagiaires ont été accueillis dans ses
établissements. Au demeurant, ces derniers ne sont d'ailleurs pas toujours conformes aux
normes d'accessibilité, comme la Cour a pu le constater dans les départements bretons ou
dans celui des Pyrénées-Atlantiques, par exemple. La signature, le 4 août 1992, de deux
conventions avec, respectivement, l'Etat et l'association de gestion du fonds pour l'insertion
professionnelle des handicapés (AGEFIPH)
14
devrait, en principe, permettre de remédier à
ces insuffisances, puisque l'AFPA devrait accueillir quatre mille stagiaires handicapés à partir
de 1994, aménager ses locaux pour en favoriser l'accès à la population intéressée, et réaliser,
pour mille cas particulièrement difficiles, des "parcours individualisés d'insertion". La
réalisation de ces objectifs passe inévitablement par une réflexion approfondie et une
adaptation des méthodes traditionnelles de l'AFPA à ce type d'action spécifique.
Quant à la formation en entreprise, elle reste marginale. En dépit des efforts consentis
par les pouvoirs publics pour favoriser la formation des handicapés en apprentissage - en
1992, 200 millions de francs ont été ajoutés aux 2,6 milliards de francs consacrés par l'Etat à
cette formule - l'échec est à peu près total. La loi du 23 juillet 1987 a tenté de relancer
l'apprentissage mais, malgré l'existence de centres de formation d'apprentis adaptés aux
personnes handicapées , la multiplication des aides émanant tant de l'Etat que de l'AGEFIPH
en faveur des employeurs qui ont recours à des apprentis handicapés et le succès de
l'insertion des apprentis par rapport à celle des jeunes issus des lycées d'enseignement
professionnel, les résultats, localement, se révèlent particulièrement décevants : la formule
n'est pratiquement pas utilisée au profit des handicapés dans les départements visités par la
Cour, même si, comme dans le Haut-Rhin, elle est globalement pratiquée à un niveau
supérieur à la moyenne nationale. Selon certaines directions départementales du travail et de
l'emploi, on pourrait craindre que la bonne image de l'apprentissage, lorsqu'elle existe, soit
compromise si l'on favorise l'admission des handicapés dans les centres de formation pour
apprentis.
14) Créée par la loi du 10 juillet 1987, l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des
handicapés collecte les fonds émanant des entreprises qui ont choisi de s'acquitter de cette manière de leur
obligation d'emploi, et les redistribue pour faciliter l'intégration des intéressés en milieu ordinaire de travail
(Voir infra, B, 3° et ss, et D, 2°, pp. 52 et ss).
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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De la même manière, la formule du contrat de rééducation professionnelle en
entreprise, régi par l'article L 439-9 du code de la sécurité sociale , n'a pas obtenu le succès
escompté. Cette formule suppose l'existence d'une convention tripartite entre un employeur,
un organisme de sécurité sociale et la direction départementale du travail, et conduit à une
prise en charge de la formation modulée dans le temps entre les caisses primaires
d'assurance-maladie et les employeurs.
Plusieurs mesures de relance intervenues en 1985 n'ont pas modifié le nombre de
contrats de rééducation conclus au plan national, de l'ordre de 400 à 430 selon les années, et
qui tend même à régresser. Cet échec est d'autant plus regrettable que, lorsqu'ils existent et
sont menés à leur terme, les contrats de rééducation professionnelle en entreprise débouchent
généralement sur des emplois durables. Ils assurent en effet un reclassement facile puisque
l'intéressé reste dans son milieu de travail et conserve ses habitudes. Par ailleurs, les CPAM
considèrent que cette formule est plus économique que le financement d'un stage de
rééducation professionnelle. Selon les directions départementales du travail, cette mesure ne
serait pas utilisée du fait que les entreprises et les médecins du travail la connaissent mal.
Mais l'explication la plus vraisemblable de l'insuccès de la formule est que cette dernière
subit, comme beaucoup de mesures spécifiques prises au profit des personnes handicapées ,
la concurrence directe des multiples actions en faveur de l'emploi décidées par les pouvoirs
publics et qui, financièrement, peuvent se révéler dans l'immédiat beaucoup plus attractives
tant pour l'employeur que pour la personne handicapée : les contrats de retour à l'emploi
(CRE), ouverts à la population handicapée depuis 1991, constituent un exemple très
caractéristique de cette situation : au titre de cette seule année, 131 contrats ont été conclus
en faveur de travailleurs handicapés dans le Rhône, 115 dans le Haut- Rhin, 113 dans le
Calvados, 50 dans le Maine-et-Loire, 44 dans le Doubs et 6 en Lozère.
B. - DES DISPOSITIONS LEGISLATIVES AMBIGUES
Le dispositif mis en place par la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des
handicapés était censé constituer une nouvelle étape vers l'intégration des personnes
handicapées en milieu ordinaire de travail : aux anciennes obligations presque
essentiellement de procédure qui avaient démontré leur inefficacité a été substituée une
obligation de résultat. Celle-ci concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public (Etat,
collectivités territoriales et établissements publics rattachés), et introduit l'emploi des
handicapés dans le domaine de la politique contractuelle. Tout employeur de plus de vingt
salariés doit, aux termes de l'article L 323-1 du code du travail, employer à temps plein ou à
temps partiel une proportion de "bénéficiaires", énumérés à l'article L 323-3 du même code,
égale au moins à 6 % de ses effectifs.
La règle ainsi posée paraît claire. Elle n'est pourtant pas dépourvue d'ambiguïtés.
1° LES "BENEFICIAIRES" DE L'OBLIGATION D'EMPLOI
Telle qu'elle résulte des dispositions de l'article L 323-3 du code du travail, la définition
des bénéficiaires de l'obligation est loin d'être aussi nette que pourrait le laisser penser le titre
même de la loi "en faveur de l'emploi des handicapés". Cet article énumère en effet huit
catégories de bénéficiaires potentiels. Si les quatre premières - qui concernent les travailleurs
reconnus handicapés par les COTOREP, les accidentés du travail et les victimes de maladies
professionnelles ainsi que les titulaires civils ou militaires d'une pension d'invalidité - ne
souffrent guère de contestation, les autres, en revanche, donnent à la notion de "bénéficiaire"
une acception particulièrement extensive. Elles visent en effet des veuves et orphelins de
guerre et femmes d'invalides dont les conjoints ou pères sont décédés ou ont contracté une
maladie ou une blessure imputables à un service de guerre.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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La liste des bénéficiaires de l'obligation d'emploi est encore plus longue dans le secteur
public que dans le secteur privé puisqu'aux huit catégories précitées viennent s'en ajouter
encore deux autres - agents reclassés et agents bénéficiaires d'une allocation temporaire
d'invalidité - étant également précisé que les titulaires d'un emploi réservé sont aussi pris en
compte pour le calcul du nombre global de bénéficiaires, dans le secteur tant privé que
public. Dans ces conditions, le décompte précis des personnes visées par l'article L 323-3 du
code du travail est particulièrement malaisé. Les différents champs de dénombrement des
intéressés dans le secteur public sont fréquemment sources d'incertitude et d'approximation,
car les risques de chevauchement et, partant, de doubles comptes sont fréquents : par
exemple, un agent territorial reclassé en raison d'une altération de son état physique en cours
d'emploi peut parfaitement faire l'objet d'une reconnaissance de handicap par la COTOREP
et être également recensé à ce titre. De même, rien ne s'oppose à ce qu'une personne
reconnue bénéficiaire de l'obligation d'emploi au titre de l'article L 323-3 précité se retrouve
par ailleurs dans la situation de bénéficiaire d'une allocation temporaire d'invalidité (servie
aux fonctionnaires atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné
une incapacité permanente ou d'une maladie professionnelle), et soit donc décomptée deux
fois. A ces difficultés, s'en ajoute une autre, soulignée par la plupart des collectivités locales :
un certain nombre d'agents relevant des catégories de bénéficiaires énumérés à l'article L
323-3 sont employés sans que leur qualité de personne handicapée ou assimilée soit
systématiquement connue de leurs employeurs, soit parce qu'ils ont été recrutés avant 1987,
alors que l'obligation d'emploi n'existait pas sous la forme prévue par la loi du 10 juillet, soit
parce que leur entrée dans la fonction publique postérieure à 1987 a eu lieu sans que leur
qualité de bénéficiaire ait été avancée par eux pour aboutir à ce recrutement dans des
conditions privilégiées.
Compte tenu des imprécisions signalées, les modes de calcul adoptés par les
collectivités locales, tantôt ne font pas apparaître le décompte spécifique des bénéficiaires
d'une allocation temporaire d'invalidité au motif qu'ils sont déjà bénéficiaires au titre d'une
autre catégorie ; tantôt recensent les mêmes personnes à la fois comme titulaires d'une rente
ou d'une pension d'invalidité et comme bénéficiaires d'une allocation temporaire d'invalidité,
mais ne les comptabilisent qu'une fois dans le total général ; tantôt considèrent les handicapés
reconnus par la COTOREP comme titulaires d'un emploi réservé ; tantôt enfin confondent les
bénéficiaires d'une allocation temporaire d'invalidité avec les victimes d'accidents du travail
titulaires d'une rente de la sécurité sociale . Il en résulte une approche très approximative de
la population censée bénéficier de l'obligation fixée par l'article L 323-1 du code du travail.
Ces difficultés sont aggravées par le fait que le recensement des intéressés, réalisé en
"unités bénéficiaires" de l'obligation d'emploi, n'est pas identique dans le secteur privé et
dans le secteur public : alors que, dans ce dernier cas, chaque agent effectivement rémunéré
compte pour une unité, dans le secteur privé, une même personne peut être décomptée pour
plusieurs unités en fonction de divers paramètres - âge, importance du handicap, formation,
placement antérieur - les résultats globaux ainsi obtenus étant ensuite "proratisés" en fonction
du temps effectif passé par les intéressés dans l'entreprise au cours d'une même année. Un
récent décret d'octobre 1992 a sensiblement modifié les règles initiales d'attribution des
"unités" aux bénéficiaires de l'obligation d'emploi afin de mieux tenir compte des flux
d'embauche des personnes handicapées .
La complexité des mécanismes ainsi décrits, les incertitudes relatives à la population
concernée au regard des objectifs affichés par la loi, les difficultés rencontrées par les
directions départementales du travail et de l'emploi (DDTE) pour surveiller efficacement la
bonne application des procédures, conduisent la Cour à émettre un avis réservé sur l'efficacité
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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réelle du dispositif mis en place. Elle a eu notamment l'occasion de relever qu'un certain
nombre de collectivités publiques déclaraient employer des personnes handicapées sans que
ces dernières relèvent pour autant de la liste des "bénéficiaires" fixée par la loi. Elle a
également constaté - notamment dans le secteur hospitalier - que des agents dont l'état de
santé nécessitait des "postes adaptés" se voyaient, de ce fait, conférer automatiquement la
qualification de " personnes handicapées " : l'Assistance publique de Paris est coutumière de
cette pratique, ce qui lui permet d'atteindre le taux d'objectif fixé par la loi de 1987. Elle a
enfin observé que certaines collectivités locales, comme la commune de Laval (Mayenne)
procédaient, sur la base de l'article L 431-2 du code du travail, à une proratisation des unités
bénéficiaires de l'obligation d'emploi dans les mêmes conditions que celles prévues dans le
secteur privé, et aboutissaient ainsi à des pourcentages d'emploi de personnes handicapées
nettement supérieurs à la réalité. Le département des Landes, pour sa part, qui employait
jusqu'en juillet 1990 sept personnes handicapées pour un effectif global de 529 agents - soit
un pourcentage d'emploi de 1,32 % - inclut dans le décompte, depuis cette date, les effectifs
d'un atelier protégé créé et financé par lui, au titre du quota légal imposé par la loi du 10
juillet 1987. Cette pratique, qui lui a permis d'afficher un pourcentage d'emploi de 9,45 %
pour la fin de l'année 1990 et de 11,43 % en 1991 va manifestement à l'encontre de la lettre et
de l'esprit de la loi en question, qui n'inclut pas les salariés des établissements de travail
protégé parmi les bénéficiaires de l'obligation d'emploi en milieu ordinaire.
2° LA POPULATION SALARIEE DE REFERENCE
Un certain nombre d'interrogations subsistent pour la détermination de l'assiette de
l'obligation d'emploi, qui suppose le calcul préalable de la population salariée de référence.
De l'effectif global de l'entreprise, doivent en effet être déduits les salariés appartenant à "des
catégories d'emplois exigeant des aptitudes particulières", c'est- à-dire des emplois qui ne
peuvent, en raison de leur spécificité, être occupés par des personnes handicapées . Là
encore, la règle ne s'applique qu'au secteur privé, même s'il a été relevé par la Cour que
certaines collectivités locales, telles la commune de Laval, déjà citée, la faisaient jouer en
leur faveur.
La liste de ces catégories d'emplois (trente-trois au total) a été fixée par un décret du 22
janvier 1988 et devait être révisée en fonction des résultats de la première année d'application
de la loi, sur proposition d'une commission désignée parmi les membres du conseil supérieur
pour le reclassement des handicapés. Constituée en octobre 1989, cette commission n'a pu
que constater l'absence d'unanimité en son sein pour formuler des propositions concrètes.
Aussi la liste des emplois établie initialement n'est-elle toujours pas réformée, ce qui est
d'autant plus regrettable que l'énumération à laquelle elle donne lieu conduit à s'interroger sur
le bien-fondé de l'existence de certains emplois prétendument inaccessibles aux handicapés :
le poste de "vendeurs de grands magasins" est l'exemple le plus significatif qui donne
fréquemment lieu à des difficultés d'interprétation. C'est ainsi que dans le département du
Haut-Rhin, un contentieux oppose la DDTE à une entreprise de charcuterie industrielle
comptant 453 vendeurs sur un effectif global de 619 personnes , et qui veut voir réduire à due
concurrence l'assiette des effectifs sur lesquels est calculée son obligation d'emploi.
La liste issue du décret précité de 1988 met par ailleurs en évidence l'incohérence déjà
soulignée concernant la notion de "bénéficiaire" de la loi. Il n'est pas contestable en effet que
la plupart des emplois prévus par décret - intégré dans l'article D 323-3 du code du travail -
peuvent être occupés par les bénéficiaires non handicapés énumérés à l'article L 323-3
précité.
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Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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3° LES MOYENS PERMETTANT DE S'ACQUITTER DE L'OBLIGATION
D'EMPLOI
Les diverses possibilités prévues par le législateur pour permettre aux entreprises et,
dans une certaine mesure, au secteur public, de s'acquitter de leur obligation d'emploi sont
hétérogènes et ne pèsent pas le même poids. A côté de l'embauche directe figurent, tant pour
le secteur public que pour le secteur privé, la possibilité de confier, par convention, des
travaux aux établissements de travail protégé et, pour le seul secteur privé, la possibilité de
s'acquitter d'une contribution financière auprès de l'AGEFIPH, ou encore, de s'engager, dans
le cadre d'un accord de branche, d'entreprise ou d'établissement, à mettre en oeuvre un plan
annuel ou pluriannuel comportant au moins deux des actions suivantes : plan d'embauche en
milieu ordinaire de travail, plan d'insertion et de formation, plan d'adaptation aux mutations
technologiques, plan de maintien dans l'entreprise en cas de licenciement.
Ces différentes actions n'ont évidemment pas la même portée. Les accords d'entreprise,
d'établissement et, a fortiori, les accords de branche, courent le risque de rester de simples
déclarations d'intention dont il est très difficile de surveiller la réalisation.
Lorsque ces accords concernent une ou plusieurs entreprises - ou un ou plusieurs
établissements - situées dans un même département, leur correcte application peut être
surveillée par les DDTE. Mais si l'entreprise dispose, comme c'est souvent le cas, de
plusieurs établissements répartis sur l'ensemble du territoire national, le contrôle devient plus
hypothétique, et parfois même inexistant. Or, les 63 accords actuellement en vigueur sont,
d'après le ministère du travail, en majorité des accords d'entreprises à établissements
multiples ayant pour la plupart une couverture géographique nationale, avec une forte
concentration sur Paris et la région parisienne : tel est le cas, par exemple, pour les accords
concernant EDF-GDF, la Banque de France, la COGEMA, IBM, Citroën, etc.
A plus forte raison, la réalité des engagements pris dans le cadre d'un accord de
branche est difficile à vérifier à court terme. De plus, les accords de branche sont d'une portée
encore limitée, puisqu'actuellement seules deux branches (les assurances et l'hospitalisation
privée à but non lucratif) sur plus de 230 ont conclu des accords sur l'emploi des handicapés,
ce qui est regrettable dans la mesure où ces accords fixent aux entreprises intéressées des
objectifs quantifiés à atteindre.
Le versement d'une contribution à l'AGEFIPH pour toute "unité bénéficiaire"
manquante au regard de l'obligation d'emploi peut se révéler, quant à lui, très attractif pour
l'employeur. Compte tenu de ses modalités de calcul, cette contribution variait, au 31
décembre 1991, de 9 798 francs à 16 330 francs selon la taille de l'entreprise alors que le coût
annuel réel d'un salarié (SMIC + charges sociales ) s'élevait, à la même date, à 83 283 francs.
Il est aisé de comprendre, dans ces conditions, la préférence que bon nombre d'employeurs
accordent au moyen de substitution que constitue l'AGEFIPH, d'autant que les fonds de cette
dernière ont vocation à retourner aux entreprises qui mettent en oeuvre une politique
d'insertion professionnelle des handicapés. C'est ainsi qu'en 1992, 43 500 entreprises sur 87
800 assujetties à l'obligation d'emploi ont contribué à l'AGEFIPH, soit 49,5 % du total, alors
qu'au cours des années 1989, 1990 et 1991, ce pourcentage était respectivement de 26,3 %,
36,8 % et 45,9 %.
Enfin, la possibilité offerte tant aux entreprises du secteur privé qu'à l'Etat, aux
collectivités territoriales et à leurs établissements publics de s'acquitter de leur obligation
d'emploi, dans la limite d'un plafond de 50 %, en concluant des contrats de fournitures, de
sous- traitance ou de prestations de service avec les établissements de travail protégé, a
soulevé, quant à elle, des problèmes multiples jusqu'à la fin de l'année 1992. Les règles
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Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
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posées par une circulaire du 23 mars 1988 prise en application de la loi du 10 juillet 1987, et
qui ne seront pas développées ici en raison de leur extrême complexité, ne rendaient même
pas correctement compte de la diversité des situations rencontrées dans les établissements de
travail protégé, où la rentabilité des travailleurs varie en fonction de l'importance de leur
handicap et de la nature de la tâche accomplie.
Aussi bien faisaient-elles l'objet, au plan local, d'une application variable selon les
DDTE : la plupart les mettaient en oeuvre mécaniquement, d'autres s'efforçaient, comme
c'était le cas en Lozère, de les adapter au cas par cas à la réalité. Par ailleurs, les règles en
cause ne concernaient que le secteur privé et non le secteur public. L'Etat, les collectivités
territoriales et les établissements publics relevant d'eux se voyaient en effet appliquer, aux
termes d'un décret du 1er juin 1989, un autre système d'équivalence également complexe qui
avait pour conséquence que l'on s'acquittait de l'obligation d'emploi trois fois plus facilement
dans la fonction publique que dans le secteur privé. Il a fallu attendre près de cinq ans pour
que le caractère peu cohérent des règles fixées par la circulaire de mars 1988 soit enfin
corrigé par les dispositions d'un décret du 5 novembre 1992, qui est venu aligner les systèmes
en vigueur dans le secteur public et dans le secteur privé, tant en ce qui concerne les
modalités juridiques de calcul de l'équivalence - dans les deux cas, on est désormais en
présence d'un texte réglementaire - qu'en ce qui concerne le montant annuel du salaire à
prendre en compte.
4° LA SANCTION DU NON-RESPECT DE L'OBLIGATION D'EMPLOI
Selon le domaine dans lequel il intervient, le non-respect de l'obligation d'emploi donne
lieu ou non à l'application de sanctions pécuniaires, mais pour les seuls employeurs du
secteur privé. L'entreprise qui ne produit pas de déclaration en temps utile ou qui ne satisfait
pas, totalement ou partiellement, à l'obligation que lui impose la loi est astreinte, à titre de
pénalité, au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la
contribution due à l'AGEFIPH, majoré de 25 %. L'importance de ces pénalités tend d'ailleurs
à augmenter : elles ont atteint en 1991 un montant de près de 62 millions de francs, alors
qu'elles n'étaient que de 26,6 millions de francs en 1990.
En revanche, le fait pour l'administration de ne pas employer son quota obligatoire de
bénéficiaires reste, pour elle, sans incidence pratique. L'application de l'obligation qui lui
incombe est seulement censée en théorie faire l'objet, chaque année, d'un rapport présenté
aux comités techniques paritaires ou aux instances en tenant lieu, ainsi qu'aux conseils
supérieurs de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale et de la
fonction publique hospitalière. Au plan local, il semble que cette obligation minimale ne soit
guère respectée : si les communes de Fécamp, Rennes, Rouen, Toulouse ainsi qu'un certain
nombre de centres hospitaliers généraux ou spécialisés affirment avoir procédé à
l'information des comités techniques paritaires, la plupart des autres collectivités territoriales
ou établissements publics interrogés, en revanche, admettent ne pas avoir élaboré le rapport
d'information, ou même n'ont apporté aucune réponse aux questions de la Cour ou des
chambres régionales des comptes sur ce point.
C. - UNE INSERTION PROFESSIONNELLE FIGEE EN MILIEU PROTEGE
Les problèmes rencontrés pour assurer une insertion professionnelle des handicapés en
milieu protégé ont plusieurs origines : les déséquilibres affectant certaines des structures de
travail protégé, les difficultés constatées pour la mise en place et le fonctionnement des
ateliers protégés, les problèmes de financement des centres d'aide par le travail, et les
résultats décevants des mesures présentées comme "innovantes".
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
21
1° LES DESEQUILIBRES DE CERTAINES STRUCTURES DE TRAVAIL
PROTEGE
La législation consacre officiellement l'existence de deux structures de travail protégé,
l'une relevant du ministère du travail - les ateliers protégés (AP), auxquels sont juridiquement
assimilés les centres de distribution de travail à domicile (CDTD) -, l'autre du ministère des
affaires sociales - les centres d'aide par le travail (CAT) -.
Le schéma qu'avait défini la loi d'orientation du 30 juin 1975 reposait sur l'idée selon
laquelle il fallait s'efforcer de faire évoluer la personne handicapée du milieu le plus protégé
(CAT) vers le milieu le moins protégé (AP) afin de favoriser à la fin de son parcours, grâce à
un soutien adapté, son accès au milieu ouvert de travail. Une telle démarche supposait
l'existence, entre les CAT et le milieu ordinaire, d'une importante infrastructure d'ateliers
protégés, formule légère et relativement souple permettant une transition sans rupture
brusque d'un univers à l'autre. Or, la situation du milieu protégé est caractérisée par un
déséquilibre important au détriment des ateliers protégés : en 1990, ces derniers étaient au
nombre de 295 et pouvaient accueillir environ 10 000 travailleurs handicapés , alors qu'à la
même époque, près de 1 100 CAT avaient une capacité d'accueil de l'ordre de 72 000 places.
L'inégale répartition de ces établissements sur le territoire national, conséquence du
dynamisme plus ou moins grand des associations gestionnaires, rendait encore plus difficiles
les tentatives de rééquilibrage. A la fin de l'année 1991, six régions en métropole seulement
15
et les quatre régions d'outre-mer se situaient au-dessous de la moyenne nationale pour
l'équipement en CAT.
Les protocoles d'accord signés le 8 novembre 1989
16
par les ministres du travail et des
affaires sociales ainsi que par le secrétaire d'Etat aux handicapés, d'une part, et quatre
grandes associations représentatives de handicapés - Association des paralysés de France
(APF), Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), Comité national pour la
promotion sociale des aveugles (CNPSA), Union des associations de parents et amis des
personnes handicapées mentales (UNAPEI) - d'autre part, n'ont pas porté remède à ce
déséquilibre.
15) Alsace, Corse, Haute-Normandie, Ile-de-France, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
16) Voir annexe 5.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
22
Aux termes du premier protocole en effet, l'Etat s'est engagé à créer 10 800 places de
CAT en quatre ans contre 3 600 places seulement en AP. A l'issue de ce plan, le déséquilibre
en valeur absolue devrait donc s'être encore accentué et le rapport des deux structures
d'accueil s'être à peine amélioré. A la fin de l'année 1992, on recensait 77 562 places en CAT
pour seulement 11 364 en AP. La Cour ne peut que déplorer que la politique suivie aille
concrètement à l'encontre de toutes les déclarations d'intention exprimées depuis 1975, et
solennellement rappelées dans le premier protocole de 1989, affirmant que le gouvernement
"mènera une large réflexion sur le développement des différents dispositifs incitant à l'effort
d'intégration et d'insertion tant en atelier protégé qu'en milieu ordinaire", et posant comme
principe que cette "réflexion portera sur les conditions permettant d'améliorer le
fonctionnement et de favoriser le développement des ateliers protégés et des structures
d'accompagnement permettant l'intégration et l'insertion vers le milieu ordinaire".
Même si certains départements, comme celui du Nord, consentent un effort
exceptionnel pour promouvoir la création d'ateliers protégés, il reste que les divergences ainsi
constatées entre les objectifs affichés par les pouvoirs publics et la politique menée soulèvent
des problèmes de fond : que représentent les notions d'intégration et d'insertion des
handicapés en milieu ordinaire ? Visent-elles indifféremment les populations d'handicapés
physiques et mentaux ? Peuvent-elles être raisonnablement admises dès lors que la
productivité des intéressés est inférieure à un tiers de la normale, voire, dans certains cas, ne
dépasse pas 5 % à 10 % de celle d'un travailleur valide ?
La réponse à ces questions devrait être un préalable obligé à toute politique visant à
faciliter l'intégration professionnelle des handicapés, ne serait-ce que dans un souci de
clarification du discours d'un certain nombre d'associations qui, tout en prônant l'insertion en
milieu ordinaire de production, ne cessent de réclamer aux pouvoirs publics des créations de
places nouvelles en secteur protégé. Elle aurait également le mérite de conduire à une
réflexion sur le point de savoir si le maintien, en milieu protégé, de deux régimes juridiques
et financiers différents - celui des CAT et celui des AP- présente toujours un intérêt
aujourd'hui. La Cour n'est pas en mesure d'apprécier les avantages, à terme, de la formule de
l'établissement unique de travail protégé analogue à celle existant dans certains pays
européens, comme l'Allemagne, et au sujet duquel un conseil des ministres du 8 décembre
1982 avait constitué un groupe de réflexion. Ce dernier a rédigé un rapport, déposé en janvier
1984, consacré au "travail protégé et (à) l'insertion professionnelle des personnes
handicapées ". La Cour regrette que les conclusions de ce rapport, toujours d'actualité dix ans
après sa parution, n'aient été suivies d'aucun effet. Elle constate, en revanche, que le
cloisonnement actuel des établissements de travail protégé et les difficultés rencontrées par
chaque catégorie d'entre eux vont à l'encontre de la philosophie qui sous-tendait la loi
d'orientation du 30 juin 1975.
2° LES DIFFICULTES CONSTATEES DANS LA MISE EN PLACE ET LE
FONCTIONNEMENT DES ATELIERS PROTEGES
En dépit de quelques mesures destinées à faciliter leur création, la mise en place et le
fonctionnement des ateliers protégés restent très aléatoires et se heurtent à au moins trois
séries de difficultés.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
23
La première est d'ordre réglementaire. Bien qu'un décret du 24 décembre 1991,
modifiant l'article R 323-63 du code du travail, ait expressément prévu la déconcentration des
procédures d'attribution des subventions d'investissement des AP, le système en vigueur reste
lourd et complexe. Il suppose, notamment, l'existence d'une convention conclue après avis de
la commission de l'emploi du comité régional de la formation professionnelle, de la
promotion sociale et de l'emploi. En outre, alors que les modalités d'octroi des subventions de
fonctionnement sont bien définies, aucune précision n'existe sur la manière de calculer la
subvention d'investissement. Or, par définition, les décisions d'investir doivent, pour des
raisons économiques, être prises rapidement par les responsables des établissements et, à
défaut de crédits-relais qui pourraient être mis en place pour répondre à des besoins
immédiats, un AP peut être condamné à la stagnation, voire à la régression. On doit aussi
s'interroger sur la cohérence des dispositions prévoyant que les AP peuvent être créés "par les
collectivités ou organismes publics" (article L 323-31 du code du travail) et font, par ailleurs,
l'objet d'une "comptabilité distincte qui est tenue conformément aux prescriptions du plan
comptable général" (article R 323-61, 3ème alinéa du code du travail). Cette situation
implique un régime fiscal différent de celui des AP créés par des organismes privés assujettis
eux, notamment, à la TVA, à la taxe d'apprentissage et à la taxe sur la formation
professionnelle continue.
La seconde difficulté est structurelle : la fluctuation de la charge de travail dans les AP,
les absences parfois fréquentes des travailleurs handicapés en raison de leur état de santé, la
moindre rentabilité résultant du type de population accueilli conduisent souvent à la nécessité
de recruter du personnel intérimaire pour répondre à la demande et satisfaire ponctuellement
les clauses d'un marché, car l'AP fonctionne exactement comme une entreprise ordinaire et
est donc soumis aux mêmes contraintes économiques que cette dernière. La situation peut
encore se trouver aggravée par la concurrence des CAT, qui sont généralement en mesure de
pratiquer une politique des prix plus attractive, ou la crainte de la concurrence exprimée par
le milieu ouvert de travail, qui peut bloquer la création d'un AP. Au moment de l'enquête, un
établissement de quarante places comportant une scierie et susceptible d'être implanté à
Laval-Atger, en Lozère, n'avait toujours pu obtenir son agrément en raison de l'opposition
des organismes consulaires - en l'espèce, la chambre de commerce et d'industrie de la Lozère
- inquiets du préjudice éventuel que cet atelier protégé pourrait causer aux entreprises
travaillant le bois.
La troisième difficulté à laquelle sont confrontés les AP réside dans les problèmes
qu'ils rencontrent désormais pour aménager leurs postes de travail. Jusqu'en 1992, en effet,
l'article 20 (paragraphe 10 et 20) du chapitre 44-71 du budget du ministère du travail était
abondé en crédits destinés à aider à l'aménagement des postes et lieux de travail, à atténuer
les surcoûts d'encadrement et à encourager les constructeurs de machines. Mais
l'administration s'est désengagée de ce domaine, et les crédits en question ont été supprimés
de la loi de finances de 1992 au motif - non officiellement avoué - que l'AGEFIPH disposait
de moyens financiers lui permettant de prendre le relais en la matière. Or, l'AGEFIPH ne
pouvant légalement agir en milieu protégé - sauf si son intervention permet de faciliter
concrètement une insertion en milieu ordinaire de travail - les AP, du même coup, se voient
privés d'aide dans un domaine pourtant essentiel à leur activité.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
24
Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que bon nombre d'ateliers protégés ne
survivent que grâce à l'attribution, occasionnelle ou régulière, de subventions de
fonctionnement versées par l'Etat qui viennent s'ajouter aux aides que peut dispenser
l'organisme gestionnaire. C'est ainsi qu'en Lozère, un AP géré par l'association des
travailleurs handicapés lozériens en milieu rural (ASTHRALOR), étroitement liée à la caisse
de mutualité sociale agricole (CMSA), reçoit, depuis sa création en 1987, des subventions
annuelles dont le montant varie de 155 000 francs à 240 000 francs, mais bénéficie aussi de
l'aide de la Mutualité sociale agricole qui, sans le subventionner directement, lui octroie
cependant les prêts nécessaires et lui accorde également certaines facilités pour le paiement
des cotisations sociales .
Les exemples d'ateliers protégés qui ne connaissent pas de difficultés financières sont
suffisamment rares pour être soulignés : la Cour a été en mesure de constater que tel était le
cas, par exemple, de l'AP d'Etupes et Seloncourt, dans le Doubs, dont l'essentiel du chiffre
d'affaires provient des activités de sous-traitance avec la société des Automobiles Peugeot, et
dont on peut penser qu'il restera viable tant que perdurera cette sous-traitance.
3° LES PROBLEMES DE FINANCEMENT DES CENTRES D'AIDE PAR LE
TRAVAIL
17
Alors que les ateliers protégés qui, juridiquement, relèvent du ministère du travail,
jouissent d'un statut proche de celui d'une entreprise et ont pour objectif de produire et de
vendre selon des critères de rentabilité, c'est-à-dire de couvrir leurs charges par les produits
de leurs ventes, les CAT sont des institutions médico- sociales placées sous la tutelle du
ministère des affaires sociales et qui développent plutôt une politique d'accueil et d'assistance
aux handicapés. La recherche de marchés de sous-traitance exprime pour les CAT davantage
le souci de satisfaire les besoins occupationnels de leurs pensionnaires qu'une nécessité dont
dépend la survie de l'institution. Le fonctionnement financier et la pérennité de la structure
sont en effet théoriquement garantis, puisque les CAT sont financés par le biais d'une
dotation globale arrêtée par le représentant de l'Etat dans chaque département. Cette dotation
résulte de la différence entre les charges approuvées et les produits attendus inscrits à la
section d'exploitation du budget principal de l'activité sociale qui retrace le fonctionnement
général de l'établissement, à l'exception des charges d'exploitation strictement liées à
l'activité économique de celui-ci. Cette dernière est retracée au sein du budget annexe de
production et de commercialisation ; ce budget annexe n'est pas soumis à l'approbation de
l'autorité de tarification, et peut éventuellement faire l'objet d'un soutien financier de l'Etat
par le biais d'une subvention interne de fonctionnement en provenance du budget social .
Depuis quelques années, le taux annuel d'évolution de la dotation globale de
financement accordée aux CAT est insuffisant pour couvrir les charges des établissements.
L'encadrement strict des budgets des CAT- l'enveloppe globale des crédits d'aide sociale qui
leur est consacrée a évolué conformément à des taux directeurs qui étaient de + 5,06 % en
1990, + 3 % en 1991 et + 2 % en 1992 - est aujourd'hui totalement dépourvu de base réaliste
puisque la dotation ne couvre plus le financement des mesures d'amélioration de la situation
des personnels d'encadrement prévues par les conventions collectives pourtant dûment
approuvées par le ministère du travail. Dans les départements visités, ce financement aurait
supposé, en 1992, un taux directeur de la dotation globale en hausse de 5 à 6 % alors qu'il a
été limité à 2 %. Ce décalage a d'ailleurs été reconnu comme tel par l'administration,
17) Selon les dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, les
CAT peuvent être gérés par des personnes de droit privé, mais aussi relever de personnes morales de droit
public. Dans ce cas, il peut s'agir de services non personnalisés ou d'établissements publics.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
25
puisqu'une circulaire n° 70 du 24 décembre 1991 dispose expressément que le taux directeur
"ne permet de couvrir qu'une partie des mesures de la politique salariale prévue dans le taux
de progression du secteur médico- social ". Outre qu'il est particulièrement mal ressenti par
ceux des établissements qui, comme la Cour l'a fréquemment constaté, s'efforcent de
maintenir un coût à la place sensiblement inférieur à la norme arrêtée par l'Etat (la moyenne
en 1992 était de 55 000 francs), et qui se trouvent, de ce fait, doublement pénalisés, il
témoigne d'un manque de cohérence entre les différentes formes d'action des pouvoirs
publics vis-à-vis d'une même structure et a des conséquences très regrettables.
Il est tout d'abord à l'origine d'instances contentieuses intentées par des CAT contre les
arrêtés préfectoraux de notification de la dotation devant les commissions interrégionales de
la tarification sanitaire et sociale . Le décalage constaté fait craindre aussi des réductions de
personnel alors que le taux actuel d'encadrement dans les CAT est bien souvent insuffisant,
ou une diminution notable des actions de formation professionnelle continue, dont la
déficience, dans le secteur protégé, est déjà manifeste. Enfin, il ne peut qu'inciter les
gestionnaires d'établissements à équilibrer leur budget principal en utilisant les ressources de
la partie commerciale de leur activité et donc, pour que cette dernière dégage des excédents,
à rendre le CAT compétitif à n'importe quel prix. La Cour a relevé maints exemples de CAT
qui, par nécessité, développaient une activité plus productive qu'occupationnelle en
recherchant les marchés les plus rémunérateurs - même s'ils étaient peu formateurs pour les
handicapés - en recourant, en cas de besoin et pour des périodes limitées, à des "Rmistes" ou
à des chômeurs de longue durée, enfin, en s'opposant au départ de leurs pensionnaires les
plus productifs, et donc les mieux adaptables au milieu ordinaire de production. Ainsi se
trouve totalement détournée de son but l'une des idées-force de la loi du 30 juin 1975, à
savoir l'évolution progressive de la personne handicapée du milieu le plus protégé vers le
milieu le moins protégé.
4° LES RESULTATS DECEVANTS DES MESURES DITES "INNOVANTES"
Plusieurs formules visant à faciliter une certaine fluidité entre le milieu protégé et le
milieu ordinaire ont été expressément prévues par les textes. Elles sont malheureusement à
peu près totalement dépourvues d'effets significatifs. La possibilité, pour les entreprises de
créer des AP, prévue par l'article L 323-31 du code du travail, est, de façon générale, ignorée.
Dans les départements où elle a eu l'occasion de se rendre, la Cour n'a relevé que deux
exemples d'utilisation de cette formule : les Houillères du Nord - Pas-de-Calais ont créé à
Douai l'atelier ETHAP-NPC, et l'entreprise SOLLAC a aidé à la création, à Dunkerque, d'un
atelier indépendant qui s'engage sur un volume annuel de sous-traitance pour SOLLAC.
Le développement souhaité des formules juxtaposées CAT/AP- création de sections
d'AP dans les CAT et inversement - rappelé par une circulaire du 3 juillet 1991 afin de
favoriser un "brassage" de travailleurs dont les handicaps sont différents est, lui aussi, très
peu avancé ; il est plus fréquent de rencontrer, comme dans le Doubs, des AP implantés sur
le même site que des CAT, la gestion des deux types d'établissement relevant d'une même
structure, sans que cette situation entraîne pour autant une amélioration évidente de
l'insertion professionnelle des handicapés les plus lourds.
Les formules visant à ouvrir les établissements de travail protégé vers l'extérieur ne
sont guère plus efficaces que les précédentes. La mise à disposition d'une entreprise d'un
travailleur handicapé appartenant à un AP, en vue d'une embauche, est expressément prévue
par les articles L 323-32 et D 323-25-3 du code du travail. Le détachement, individuel ou en
équipe, à la journée ou continu, de travailleurs handicapés admis en CAT et autorisés à
exercer une activité à l'extérieur de l'établissement, a été précisé par un décret du 14 mars
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
26
1986. Les établissements du Maine-et-Loire paraissent avoir volontiers recours à ces
dispositifs (49 mises à disposition et 54 détachements ont été recensés en 1991), ceux des
Pyrénées-Atlantiques affichant une nette préférence pour le second (28 contrats de
détachement conclus en 1991), alors qu'en Lozère on affirme utiliser volontiers les deux
formules (7 mises à disposition et 8 détachements seraient intervenus en 1991) sans toutefois
que les contrats correspondants puissent être toujours produits. Il est symptomatique
d'ailleurs de relever que, même lorsqu'ils existent, ces contrats ne sont pas toujours établis
conformément à la réglementation. Ceci est grave dans la mesure où la mise à disposition ou
le détachement ont des incidences, sur le niveau de ressources des intéressés, qui doivent être
explicitement précisées ; à défaut, on peut craindre que le travailleur handicapé placé à
l'extérieur de son établissement d'accueil ne soit victime d'une exploitation peu compatible
avec toute idée d'insertion.
Compte tenu des observations qui précèdent, et dans la mesure où les établissements de
travail protégé sont naturellement réticents pour laisser partir leurs meilleurs éléments - les
plus productifs - qui sont aussi les plus aisément insérables dans une entreprise ordinaire, on
ne peut que constater la faiblesse du taux de sortie des travailleurs handicapés du milieu
protégé vers le milieu ordinaire de travail. Même s'il est difficilement mesurable avec
précision, son ordre de grandeur est significatif : en 1991 il aurait été de 2 à 3 % dans le
Maine-et-Loire, de 1,5 % dans le Haut-Rhin et de 3,2 % dans le Rhône. En Lozère, il aurait
atteint 10 à 15 % des travailleurs de l'AP géré par l'association Asthralor, précitée. Mais ces
résultats doivent être regardés avec prudence, car ils constituent une photographie de la
situation en fin d'année et n'intègrent évidemment pas les divers incidents qui peuvent
conduire un handicapé "sorti" en milieu ordinaire à revenir en milieu protégé. Le passage
d'un secteur à l'autre fait en effet intervenir de multiples facteurs et l'insertion - ou la
réinsertion - professionnelle échappe bien souvent à la logique rigoureuse que voudraient
imposer les textes qui la régissent (voir encadré : "un exemple de réinsertion difficile").
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
27
UN EXEMPLE DE REINSERTION DIFFICILE
L'exemple qui suit est un exemple réel, rendu anonyme, extrait d'un dossier consulté au
sein de "l'équipe de préparation et de suivi du reclassement" (EPSR) de l'un des départements
visités.
M. X..., né en juillet 1966, est déficient intellectuel et il a été pris en charge dès son
plus jeune âge par le service de l'aide sociale à l'enfance.
- de 1974 à 1981, l'intéressé est placé en maison pour enfants ;
- de 1981 à 1986, il est placé en Institut médico-professionnel ;
- en 1986, il est confié à l'EPSR ; déficient intellectuel, il a toutefois atteint le niveau
CE en français et CP en mathématiques et, comme c'est le cas en général des jeunes dont le
"parcours" est une succession de placements, son autonomie relative reste liée à un
accompagnement social soutenu ; la COTOREP le reconnaît travailleur handicapé, catégorie
C ;
- en septembre 1986, il est embauché comme ouvrier agricole avec un abattement de
salaire de 30 % ; son contrat de travail est rompu au bout de 3 mois ;
- en décembre 1986, il effectue un stage de soudure qui se solde par un échec, en raison
du rythme irrégulier du travail de l'intéressé, de son manque de technicité, et de son
incapacité à s'adapter au milieu ordinaire ;
- décembre 1986 : une préparation individuelle au code de la route jusqu'en juillet 1987
lui permet, en décembre 1987, d'obtenir son permis de conduire ; entre temps, en mars 1987,
l'intéressé a de nouveau été embauché comme ouvrier agricole (abattement de 40 %) et il a
pu trouver un logement indépendant qu'il est en mesure de prendre en charge grâce à
l'allocation-logement dont il bénéficie ;
- octobre 1989 : la COTOREP l'oriente en atelier protégé, avec contrat de prestation de
services dans une scierie ; l'intéressé perçoit toujours l'allocation-logement qui lui permet
d'avoir son appartement individuel en ville ; le soutien social qui lui est nécessaire n'est plus
que bimensuel ;
- avril 1991 : M. X... est embauché sur un contrat de travail à durée indéterminée par
l'entreprise où il était en prestation de services ; l'abattement de salaire décidé par la
COTOREP est de 20 % ; mais en juillet 1991, il atteint l'âge de 25 ans : bien que reconnu
travailleur handicapé de catégorie C, il n'est pas considéré par la COTOREP comme inapte à
80 % ; son allocation-logement lui est, en conséquence, supprimée. De ce fait, fragilisé dans
ses ressources au moment où il atteint une certaine autonomie professionnelle et sociale , M.
X... connaît de nouvelles difficultés dans l'entreprise où il est employé, et risque d'être orienté
en milieu de travail protégé lors d'un nouvel examen de son cas par la COTOREP.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
28
D. - UN ACCES ENCORE DIFFICILE A L'EMPLOI EN MILIEU OUVERT DE
TRAVAIL
Rapprochant des objectifs prévus les résultats de la loi du 10 juillet 1987, la Cour a dû
constater que ceux-ci sont insuffisants, dans le secteur tant privé que public. De plus, les
mesures permettant d'accompagner et de prolonger les dispositions de la loi restent encore à
préciser et à améliorer.
1° DES RESULTATS INEGAUX ET INSATISFAISANTS
La loi avait expressément prévu une période transitoire, de 1988 à 1990, au cours de
laquelle le pourcentage de bénéficiaires de l'obligation d'emploi par rapport aux effectifs ne
devait augmenter que progressivement. Fixé à 3 % en 1988, ce pourcentage devait ensuite
augmenter d'un point par an, de telle sorte que l'année 1991 était la première où s'appliquait
le "régime de croisière" de 6 %.
Dans les entreprises, le quota légal n'a été atteint que pour l'année 1988 (3,9 %), encore
que l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le ministère du travail de procéder cette année là
aux proratisations nécessaires doive conduire à estimer que ce pourcentage est sans doute
supérieur à la réalité. Quoiqu'il en soit, comme le montrent les tableaux qui suivent, sa
stabilité ultérieure n'a pas répondu aux objectifs affichés : 3,6 % en 1989, 3,7 % en 1990, et
3,8 % en 1991. Au cours de cette dernière année, seules 30 400 entreprises sur un peu plus de
88 000 assujetties à l'obligation d'emploi avaient atteint le taux de 6 % par l'emploi direct et
par les engagements pris dans des accords. Près des deux tiers des entreprises se situaient
donc en dehors des normes légales relatives à l'embauche proprement dite.
De plus, les employeurs ont davantage tendance à utiliser les moyens de substitution
que leur offre la loi, et plus particulièrement le versement d'une contribution à l'AGEFIPH,
plutôt que de procéder à des embauches directes. Même en tenant compte de la progression
du taux d'emploi obligatoire, de 1988 à 1991, l'augmentation des sommes collectées par
l'association illustre cette situation : celles-ci ont représenté 320 millions de francs en 1989,
645 millions en 1990, 1,18 milliard en 1991 et 1,6 milliard en 1992. Le succès rencontré par
la formule, cumulée avec les autres moyens permettant de répondre à la volonté du
législateur, conduit paradoxalement à une stagnation de l'embauche, qui devrait pourtant
rester la priorité recherchée.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
29
TABLEAU 1 - L'EVOLUTION DE L'EMPLOI DES TRAVAILLEURS HANDICAPES
1988
1989
1990
1991
Obligation d'emploi
3%
4%
5%
6%
Seuil d'assujettissement (a)
34 salariés
25 salariés
20 salariés
20 salariés
Nombre d'établissements assujettis (1)
52 600
74 100
87 800
88 000
Effectif salarié (2)
7 356 000
7 987 000
8 518 000
8 539 600
Nombre de handicapés déclarés (3)
223 800
235 900
256 300
258 000
dont : accidentés du travail
131 000
134 000
140 300
136 600
COTOREP
65 000
70 500
82 100
84 900
Nombre moyen de handicapés par
établissement : (3) / (1)
4,25
3,18
2,92
2,93
Taux d'emploi de handicapés : (3) / (2)
3,00%
3,00%
3,00%
3,00%
Assiette d'assujettissement (4)
6 777 600
7 398 900
7 885 900
7 903 200
Unités bénéficiaires proratisées (5)
(c)
264 700
293 600
296 900
Taux d'emploi en UBP (b) par rapport
à l'assiette d'assujettissement : (5) / (4)
(c)
3,60%
3,70%
3,80%
(a) Compte tenu de la progressivité du taux de l'obligation, le champ d'application de la loi est
différent chaque année
(b) UBP : unité bénéficiaire proratisée.
(c) Pour 1988, ces informations n'étaient pas connues. Le nombre d'unités bénéficiaires non
proratisées était de 264 500 et le taux correspondant de 3,90 %.
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
30
BILAN DES BENEFICIAIRES ET DES UNITES BENEFICIAIRES CORRESPONDANTES
PAR CATEGORIE DE BENEFICIAIRES POUR 1991
Bénéficiaires
Coefficient
correcteur (1)
Unités
bénéficiaires
non proratisées
Coefficient de
prorati sation
(2)
Unités
bénéficiaires
proratisées
ensemble
84 900
-1,62
137 850
0,92
127 300
A
24 400
1
24 400
26 600
B
42 400
1,5
63 600
65 000
handicapés
COTOREP
C
18 100
2
36 200
35 700
formation
professionnelle
1 000
0,5
500
3
âge
24 700
0,5
12 350
3
½ unités
ou unités
supplém.
placement
antérieur
1 600
0,5
800
3
Accidents
ensemble
136 600
-1,02
139 100
0,98
136 200
Du
Taux
10-66,6
132 400
1
132 400
0,98
129 900
Travail
d'IPP
66,6-85
3 400
1,5
5 100
0,94
4 800
en %
>85
800
2
1 600
0,94
1 500
Invalides pensionnés
22 200
1
22 200
0,87
19 400
mutilés de guerre
14 300
1
14 300
0,98
14 000
ENSEMBLE
258 000
-1,21
313 450
0,95
296 900
1) Des unités ou demi-unités sont accordées par la réglementation à certains bénéficiaires selon leur
situation ; le coefficient correcteur permet de passer des effectifs de bénéficiaires aux unités
bénéficiaires correspondantes. S'il est entre parenthèses, il est le produit d'un calcul.
(2) C'est un coefficient de proratisation temporelle ; il tient essentiellement compte du travail à temps
partiel mais aussi de la durée de présence annuelle pour les salariés sous CDD.
(3) Comptabilisées avec la catégorie de handicapés COTOREP correspondante.
Source : ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Rapport sur l'exécution
de la loi du 10 juillet 1987 au titre de
l'année 1991
La situation globale ainsi observée permet de mieux mettre en relief les résultats
remarquables obtenus dans certains départements que la Cour a eu l'occasion de visiter : le
quota de 6 % était atteint en Lozère en 1991, et il l'était pratiquement aussi (5,9 %) dans le
Doubs, étant précisé que, dans ce dernier département, la contribution à l'A.G.E.F.I.P.H. est
passée de 1,3 million de francs en 1988 à 11,5 millions de francs en 1991, avec un montant
triplant d'une année à l'autre de 1988 à 1990. En sens inverse, la faiblesse des cotisations à
l'A.G.E.F.I.P.H. (1,70 %) caractérise l'action des entreprises privées du département du Nord,
qui privilégient l'embauche directe de handicapés (2,93 %) et les accords de branche et
d'entreprise sans que le quota légal soit pour autant respecté (4,78 %).
La Cour a pu enfin relever que si la volonté d'embauche de personnes handicapées,
telle qu'elle est exprimée par les entreprises, croît proportionnellement à la taille de ces
dernières, c'est le phénomène inverse qui se produit quant à la réalité de l'embauche :
nombreuses sont les entreprises occupant moins de 20 salariés - non assujetties à l'obligation
d'emploi - qui procèdent à l'embauche directe de personnes handicapées. Dans le Morbihan,
Cour des comptes - Rapport public particulier
Politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (Nov. 1993)
31
par exemple, 65 % des placements réalisés en 1992 par l'équipe de préparation et de suivi du
reclassement (E.P.S.R.)
18
ont été réalisés dans ce type d'entreprises.
Dans le secteur public, où n'existe pas le système de "proratisation" des
bénéficiaires de l'obligation d'emploi, les résultats ne sont guère plus significatifs que
dans le secteur privé.
D'après les informations disponibles, les quotas d'emploi dans la fonction publique
d'Etat ont été, en 1988, 1989, 1990 et 1991 de 3,3 %, 3,7 %, 3,38 % et 3,1 % comme le
montrent les tableaux ci-dessous. Dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière -
pour lesquelles les statistiques de 1991 n'étaient pas connues au moment de l'enquête de la
Cour - ils étaient respectivement, pour la période 1988-1990, de 3,4 %, 4,1 % et 4,05 % pour
la première, et de 3,97 %, 4,3 % et 4,8 % pour la seconde. S'agissant de ces deux derniers
domaines, les travaux des chambres régionales des comptes permettent de mettre en évidence
des résultats intéressants. A priori, aucune région ne respecte le quota légal d'emploi, et trois
départements seulement - Côtes d'Armor, Haute-Corse et Hauts-de-Seine - se situent dans la
légalité. Pourtant, les collectivités territoriales et leurs établissements publics qui sont
impliqués dans une politique active d'insertion professionnelle des personnes handicapées
font un effort souvent remarquable et affichent un quota d'embauche bien supérieur au seuil
de 6 %.
18) Les EPSR (cf. infra, 3ème partie) ont pour vocation de préparer, d'accompagner et de suivre l'insertion
professionnelle et sociale des personnes handicapées en milieu ordinaire.
33
Tableau 3
Effectifs des travailleurs handicapés et autres bénéficiaires de la loi
sur la période 1987-1990
MINISTERES
1987
1988
1989
1990
1991
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Effectifs
%
Affaires étrangères
188
1,2
203
1,4
254
1,3
332
2,1
352
2,3
Affaires sociales
1 043
4,4
1 142
5,1
1 068
4,9
1 206
4,6
1 074
4,5
Agriculture
-
-
597
2
597
2
947
3,2
995
3,3
Anciens combattants
334
7,6
266
6,3
254
6,3
236
6,2
221
6,1
Aviation civile
598
4,8
602
4,9
646
5,3
675
5,5
971
7,8
Coopération
4
0
19
0,2
19
0,3
13
0,2
13
0,2
Culture
166
1,4
176
1,3
184
1,4
172
1,6
181
1,6
Défense
4 248
3,1
4 299
3,2
4 264
3,3
3 284
2,6
2 944
2,6
DOM-TOM
2
0,1
1
0,1
1
0,1
1
0,1
1
0,1
Economie et finances
9 263
4,6
7 581
3,9
7 455
3,8
7 017
3,6
6 537
3,5
Education nationale
(1)
-
-
31 038
3
31
0,4
30 582
2,8
26 407
2,5
Equipement
-
-
1 894
1,8
1 665
1,6
3 387
3,3
3 365
3,2
Industrie et recherche
(2)
308
3,4
111
1,2
110
0,9
817
1,7
96
1,6
Intérieur
8 298
5,7
12 053
8
12 412
8,3
10 634
6,8
11 275
7,1
Justice
604
1,3
550
1,1
538
1,1
744
1,4
813
1,5
Mer
91
3,3
93
4,3
135
5,5
166
6,8
171
7
Premier Ministre
52
2
50
1,8
27
0,9
28
0,9
25
0,8
PTE
(2)
13 658
2,7
15 389
3
17 116
3,4
18 067
3,8
4
0,5
TOTAUX
38 857
3,4
70 064
3,3
46 876
3,7
78 308
3,3
55 445
3,1
(1) En 1989, les résultats de l'Education nationale ne représentent que le secrétariat d'Etat à la jeunesse et aux sports ; en 1991, Education nationale et jeunesse et sports restent cumulés.
(2) En 1991, hors établissements publics.
Source :
Ministère de la Fonction publique et des réformes administratives. Rapport sur l'exécution de la loi du 10 juillet 1987 au titre de l'année 1991.
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
117
TABLEAU 4
Effectifs des travailleurs handicapés et assimilés par ministère
(1)
(1*)
(2)
(3)
(4)
(5)
Total
Effectifs
%
Affaires étrangères
15
0
72
66
199
0
352
15067
2.3
Affaires sociales
446
23
27
4
559
38
1074
23720
4.5
Agriculture
116
12
84
704
90
1
995
29794
3.3
Anciens
combattants
24
0
16
42
135
4
221
3647
6.1
Aviation civile
84
0
20
69
798
0
971
12471
7.8
Coopération
3
0
4
3
2
1
13
6329
0.2
Culture
99
10
0
80
2
0
181
11500
1.6
Défense
675
0
1097
149
979
44
2944
114902
2.6
Dom-Tom
1
0
0
0
0
0
1
1817
0.1
Economie et
Finances
1232
0
248
1457
3434
166
6537
189017
3.5
Education nationale
2574
0
8110
5796
4596
5291
26367
1065921
2.5
Equipement
602
26
444
1493
641
185
3365
104401
3.2
Industrie
49
0
0
0
44
0
93
5696
1.6
Intérieur
775
45
1790
6892
1782
36
11275
159579
7.1
Jeunesse et sports
11
0
8
11
9
1
40
7304
0.5
Justice
37
0
18
357
379
22
813
54820
1.5
Mer
11
0
4
79
76
1
171
2426
7.0
Premier ministre
1
0
9
15
0
0
25
3029
0.8
PTE
1
0
1
1
1
0
4
771
0.5
Recherche
0
0
0
0
0
3
3
299
1.0
TOTAL ministères
6756
116
11952
17218
13726
5793
55445
1812510
3.1
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
118
TABLEAU 5
Effectifs des travailleurs handicapés et assimilés par établissement public
(1)
(1*)
(2)
(3)
(4)
(5)
Total
Effectifs civils
%
CEMAGREF
9
0
3
8
0
1
21
604
3.5
CNRS
50
0
262
104
115
281
812
24664
3.3
FRANCE TéLéCOM 1025
35
97
2379
241
426
4168
152653
2.7
INRA
32
2
110
31
19
23
215
8584
2.5
INRETS
1
0
2
1
2
0
6
403
1.5
INRIA
0
0
0
0
0
1
1
640
0.2
INSERM
31
7
33
1
22
2
89
4782
1.9
LA POSTE
1446
38
455
3461
1661
3282
10305
273400
3.8
ONF
0
0
0
191
739
0
930
7297
12.7
ONISEP
18
7
2
10
0
3
33
522
6.3
TOTAL Et. publics
2612
89
964
6186
2799
4019
16580
473549
3.5
TOTAL GENERAL 9368
205
12916
23404
16525
9812
72025
2286059
3.2
Signification des colonnes
(1) : COTOREP
(1*) : dont recrutement contractuels art. 3 de loi 10/07/1987
(2) : Accidentés du travail ; victimes maladies professionnelles
(3) : Agents titulaires allocation temporaire d'invalidité
(4) : Anciens militaires
(5) : Fonctionnaires de l'art. 63 loi 11/01/1984
Source : DGAFP sur enquêtes auprès des directions de personnel. Situation au 31 décembre 1991
Des taux d'emploi atteignant, voire dépassant 10 % du total des effectifs ont pu être
observés. Ce résultat est d'autant plus spectaculaire que la seule alternative à l'embauche
directe - la conclusion de contrats avec les établissements de travail protégé - paraît fort peu
répandue dans le secteur public (voir tableau 5). Enfin, le nombre d'établissements
hospitaliers concernés - pour des taux d'emploi généralement substantiels - infirme les
arguments fréquemment invoqués au sein de ce type de structure, selon lesquels les
conditions de travail en milieu hospitalier sont trop difficiles physiquement et
psychologiquement pour que des emplois, même adaptés, puissent être proposés à des
handicapés, notamment dans les services soignants.
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
119
TABLEAU 6
Marchés conclus par les ministères ou établissements publics avec les établissements de
travail protégé
Ministère
Montant total
Equivalence en
bénéficiaires de la loi
du 10/07/1987
Affaires sociales
644 701
9,8
Aviation civile
344 559
5,24
CDC
282 000
4,29
CNESSS
3 409
0,05
Défense
7 077 159
107,54
Education nationale
83 456
1,27
ENA
9 210
0,14
Equipement
363 893
5,53
INRA
223 891
3,4
Intérieur
105 811
1,61
Justice
445 442
6,77
PTE
69 515 944
1 056,36
Recherche et technologie
0
0
Total
79 099 476
1 201,99
Situation au 31 décembre 1991
Source : ministère de la fonction publique et des réformes administratives -
Rapport sur l'exécution de la loi du 10 juillet 1987 au titre de
l'année 1991
Dans le secteur public toujours, l'application de la loi de 1987, qui a reconduit les
systèmes traditionnels de recrutement - concours et emplois réservés - en les complétant par
une troisième voie, celle de la contractualisation sur des emplois de catégorie C et D, révèle
des incohérences. On en relèvera trois.
Tout d'abord, la loi du 10 juillet 1987 a renoncé à supprimer la formule des emplois
réservés, héritée de la vieille législation concernant les invalides de guerre, et qui s'applique à
toutes les catégories professionnelles à l'exception de la catégorie A. Elle a certes ainsi
maintenu un avantage qui est de proposer aux handicapés un examen professionnel unique.
Mais, en contrepartie, subsistent les nombreux inconvénients du système : aléas de l'examen
quant à l'affectation géographique, confusion de fait entre handicapés et victimes de guerre,
lourdeur des mécanismes de gestion du système par le ministère des anciens combattants,
auxquels n'ont pas totalement remédié quatre décrets de simplification pris en 1990.
Ensuite l'article 3 de la loi du 10 juillet 1987 a institué la possibilité de recruter
directement par la voie contractuelle sur des postes de catégorie C ou D, pendant une période
d'un an renouvelable une fois, des personnes reconnues travailleurs handicapés par la
COTOREP. A l'issue de la période considérée, les intéressés sont titularisés sous réserve
qu'ils remplissent les conditions d'aptitude exigées pour l'exercice de la fonction. Cette
nouvelle disposition législative a abouti à un échec total : dans les départements où la Cour a
eu l'occasion de se rendre, elle n'a jamais été utilisée par les administrations déconcentrées de
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
120
l'Etat, qui ne disposent d'ailleurs pas de postes vacants pouvant être proposés à ce type de
recrutement. Au sein des collectivités locales, la formule est également à peu près ignorée :
on a pu relever sa mise en oeuvre par la région Midi- Pyrénées, par le département des
Hautes-Pyrénées ou encore par le centre hospitalier spécialisé du Rouvray (Seine Maritime)
et le centre hospitalier de Bernay (Eure) notamment. Mais, dans tous les cas, elle ne concerne
qu'une seule unité, pour laquelle il n'est pas assuré que l'effort consenti débouche sur une
titularisation. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet insuccès : limitation aux catégories C
et D des emplois concernés - sans doute eût-il été judicieux d'ouvrir aussi l'accès aux
catégories A et B -, simple complémentarité de cette procédure, qui ne se substitue pas à
celles des concours et des emplois réservés, caractère strict des conditions de recrutement,
compte tenu des exigences propres à la fonction publique.
Enfin, dans le cadre du plan pour l'emploi des personnes handicapées adopté par le
conseil des ministres du 10 avril 1991, avait été décidé un ensemble de mesures concrètes
ayant pour objectif essentiel de faciliter l'insertion des intéressés dans des emplois des
administrations de l'Etat, d'accroître la coopération avec les établissements de travail protégé
et d'assurer une plus grande transparence de l'action de l'Etat. Parmi les mesures en question
figuraient notamment le renforcement du suivi des handicapés dans l'administration, la
redéfinition du rôle des correspondants spécialisés en liaison avec la médecine de la
prévention, le développement de la possibilité, pour les services de l'Etat, de conclure des
marchés pluriannuels avec les établissements de travail protégé, la création d'une capacité
d'accueil, dans les administrations de l'Etat, de travailleurs handicapés employés dans le
secteur protégé, l'élaboration d'un état des lieux portant sur les emplois accessibles, dans ces
administrations, aux personnes handicapées , ainsi que diverses initiatives en matière
d'insertion. Au cours de ses investigations sur place, la Cour a malheureusement pu constater
que ces mesures étaient à peu près totalement ignorées, le plan pour l'emploi adopté en avril
1991 étant, de surcroît, assez mal connu des services de l'Etat chargés de le mettre en
application.
2° LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT
a) Le rôle de l'ANPE
Acteur privilégié de l'intégration professionnelle, l'Agence Nationale pour l'Emploi
(ANPE) intervient normalement pour les demandeurs d'emploi handicapés comme pour les
autres catégories de chômeurs, étant précisé que la durée moyenne d'inscription à l'ANPE des
premiers est à peu près le double de la durée moyenne du chômage. Depuis plus d'une
dizaine d'années, l'ANPE s'est d'ailleurs efforcée d'adapter ses moyens au traitement de
l'emploi des personnes handicapées par la création d'un réseau de prospecteurs-placiers
spécialisés, devenus depuis peu des conseillers pour les travailleurs handicapés (CTH).
L'ANPE demande à ces agents, qui ont vocation à être affectés dans les agences locales de
l'emploi, de jouer un rôle d'information, de coordination des actions menées dans un même
département et de suivi de l'activité et des résultats obtenus par l'ensemble du réseau, plutôt
que de se limiter, comme cela était le cas autrefois, au traitement spécifique de la population
handicapée .
La Cour a néanmoins constaté que la mise en oeuvre de cette mesure, au demeurant
conforme à l'idée que les personnes handicapées ne doivent pas faire l'objet d'un traitement à
part, ne s'est pas encore véritablement concrétisée. Tout d'abord, l'affectation de l'ensemble
des CTH dans les agences locales est loin d'être faite ; de plus, les activités de ces agents
conservent encore trop souvent un caractère théorique, alors précisément que l'objectif
Cour des comptes - Rapport public particulier
P
olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
121
recherché est de leur permettre de trouver un équilibre entre leurs tâches d'animation et
d'appui, leur action directe auprès des handicapés et les relations partenariales qu'ils sont
appelés à développer. Il faudrait, ensuite, que l'activité à temps plein des CTH soit
généralisée. Or, à l'heure actuelle, le réseau n'est qu'imparfaitement couvert et il est
nécessaire de le rééquilibrer au profit de certaines régions manifestement sous-dotées.
Au plan local, l'ANPE n'a pas toujours une connaissance suffisante des caractéristiques
propres à la population handicapée ni, plus encore, de l'ensemble des moyens existants pour
faciliter son insertion. Si peu nombreux sont les départements où le nombre exact de
demandeurs d'emploi handicapés en fin de mois est ignoré - la Lozère est un exemple de cette
situation -, beaucoup plus fréquente, par contre, est l'incertitude des responsables locaux de
l'agence concernant, par exemple, la portée et le bilan de la convention conclue en 1990 avec
l'AGEFIPH et renouvelée depuis. Cet accord avait conduit cette dernière à mettre à la
disposition de l'ANPE une enveloppe de 50 millions de francs, afin de lui permettre de
promouvoir un certain nombre d'actions telles que les primes à l'embauche, le prêt de
matériel destiné aux essais professionnels des handicapés, le financement des surcoûts de
formation et le montage d'actions de sensibilisation et de formation. Si le Maine-et-Loire et le
Haut-Rhin peuvent être cités comme exemples de succès de la mise en place de cette
convention (le département du Maine-et-Loire a utilisé à lui seul entre 40 et 50 % de
l'enveloppe régionale), il n'en va pas de même de ceux du Calvados, du Doubs, ou du Rhône,
où aucun suivi n'a été réalisé. Le bilan est tout autant décevant dans le Nord où aucun résultat
n'a été enregistré concernant les actions de formation et d'insertion. Selon le délégué de
l'ANPE dans ce dernier département, l'Agence, qui n'a pas profité de la possibilité de financer
les surcoûts de formation et prestations, n'aurait pas compris le mécanisme consistant à
anticiper sur la programmation et les budgets correspondants la part représentée par les
travailleurs handicapés au sein des bénéficiaires. Les carences ainsi constatées dans
l'exécution de cette première convention sont d'autant plus regrettables que la plupart des
acteurs intervenant dans l'insertion professionnelle des handicapés se plaignent de
l'insuffisance des moyens qui leur sont consentis.
Parallèlement, il a parfois été constaté, comme dans les Pyrénées- Atlantiques, que
l'Agence avait recours à des prestataires de services qui, moyennant une rémunération non
négligeable (5 000 francs par dossier), développaient des actions dites "d'appui spécifique
personnalisé" destinées, en principe, à faciliter l'insertion professionnelle des handicapés
mais qui, concrètement, aboutissaient parfois au placement des intéressés en CAT Une telle
pratique peut certes s'expliquer par l'absence d'EPSR dans ce département, mais témoigne, là
encore, des difficultés sérieuses rencontrées par l'ANPE en ce domaine.
b) Les programmes d'action départementaux
Au plan général, la Cour est également conduite à s'interroger sur la portée des mesures
arrêtées dans le cadre des programmes d'action en faveur de l'insertion professionnelle des
handicapés que le Gouvernement a, le 10 avril 1991, décidé d'expérimenter dans vingt
départements pilotes. L'objectif est de créer une véritable dynamique pour l'emploi grâce à la
mobilisation de tous ceux qui, à des titres divers - administrations, collectivités locales,
associations, entreprises... - peuvent contribuer à cette opération. Sans doute est-il trop tôt
pour porter une appréciation sur les résultats concrets de ces programmes, par définition
variables d'un département à l'autre. Mais la question est d'ores et déjà posée du bien-fondé
d'une intervention financière de l'Etat dont le montant n'est pas négligeable - en 1992, il a été
de 20 millions de francs - afin d'inciter des partenaires naturels à travailler ensemble. En
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122
effet, pour autant que la Cour ait pu en juger, les actions définies dans le cadre de certains
programmes restent relativement vagues. C'est ainsi que le dispositif "Volonté d'insertion en
Anjou pour les handicapés", dans le Maine-et-Loire, vise à recenser les moyens mobilisables
autour du redéploiement et de la coordination des compétences en vue de l'insertion de cette
population en milieu ordinaire de travail, ce qui, en soit, n'est pas particulièrement original. Il
arrive aussi que les objectifs retenus par certains départements aient un caractère
apparemment surdimensionné, tel le programme "handi-25", dans le Doubs, qui a pour
ambition l'intégration de 400 handicapés en deux ans. Surtout, il paraît nécessaire de ne pas
sous-estimer les risques, toujours possibles, de dérives que comportent de telles opérations
dont les coûts prévisionnels sont parfois fort élevés sans que les modalités de financement
soient nécessairement parfaitement définies : en 1992, le coût du programme d'action du
Doubs était estimé, pour l'ensemble des opérations envisagées, à 4,8 millions de francs, alors
qu'à la même époque le financement assuré était de l'ordre de 3,5 millions de francs
seulement. Celui du Maine-et-Loire était évalué à 2,5 millions de francs, dont 1,28 millions
de francs au titre de l'action "département pilote".
Il faut cependant noter le caractère positif de certaines expériences entreprises par les
départements qui, bien que n'étant pas été érigés en départements pilotes par les pouvoirs
publics, n'en ont pas moins mis au point, comme c'est le cas dans le Morbihan, un plan
d'insertion des travailleurs handicapés sur la base des moyens existants.
c) Les incitations financières
Troisième volet des mesures d'accompagnement de la loi de 1987, les incitations
financières émanant tant de l'Etat que de l'AGEFIPH aboutissent, elles aussi, à des résultats
inégaux.
Les aides de l'Etat en faveur de l'emploi des personnes handicapées sont loin de
connaître le succès que l'on pourrait en attendre. S'agissant des aides directes versées aux
travailleurs eux-mêmes, les subventions d'installation à une activité indépendante, prévues
par un décret du 23 janvier 1981, sont rares - en 1991, 1,4 millions de francs seulement a été
engagé sur 3,5 millions de francs inscrits en loi de finances - et les primes de fin de stage ou
primes de reclassement, régies par l'article D 323-4 du code du travail, restent d'un montant si
faible (elles sont plafonnées à 1 000 francs) que l'on peut s'interroger sur les raisons de leur
pérennité. Quant aux aides aux employeurs, elles connaissent des vicissitudes déjà évoquées :
la prime aux employeurs formant des apprentis est victime de la crise affectant le secteur de
l'apprentissage ; les aides à l'aménagement des postes ou des lieux de travail et les aides aux
surcoûts d'encadrement sont progressivement tombées en désuétude, pour être finalement
supprimées dans la loi de finances de 1992. Seuls les contrats de retour à l'emploi, ouverts
aux personnes handicapées à compter du 1er janvier 1991, et qui se sont substitués aux
anciennes conventions d'adaptation professionnelle du fonds national de l'emploi, d'un impact
d'ailleurs dérisoire, connaissent un succès réel dont on peut hésiter à se féliciter dans la
mesure où la formule, financièrement intéressante, empiète sur le développement des contrats
de rééducation en entreprise, pourtant beaucoup plus sûrs en termes d'insertion
professionnelle.
Depuis 1988, les aides de l'Etat sont complétées et amplifiées par les diverses mesures
mises en oeuvre par l'AGEFIPH, qui évoluent sans cesse et qui touchent une population de
plus en plus importante : en 1992, 60 700 handicapés ont bénéficié à un titre quelconque des
actions de l'AGEFIPH, contre 20 700 en 1991. Sur ce total, plus de 20 000 personnes ont fait
l'objet d'une formation, et plus de 27 000 ont été insérées en milieu ordinaire de travail.
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Les ressources substantielles dont dispose le fonds de développement pour l'insertion
professionnelle des handicapés géré par l'association - qui traduisent clairement la préférence
des entreprises pour cette modalité permettant de se libérer de l'obligation qui est la leur
d'atteindre le quota d'embauche de 6 % de bénéficiaires - ont, certes, à ce jour, permis la
réalisation de nombreux projets, mais leur utilisation soulève néanmoins deux questions
importantes.
La première est que ces ressources sont légalement destinées à favoriser toutes les formes
d'insertion professionnelle, mais seulement en milieu ordinaire de travail. Le travail protégé est
donc, en principe, exclu du champ d'intervention de l'AGEFIPH, ce qui entraîne une absence
totale de financement lorsque, par ailleurs, les aides de l'Etat en la matière ont elles-mêmes
disparu, comme on a vu que c'était le cas pour les aménagements de postes de travail en atelier
protégé. L'AGEFIPH verse toutefois une indemnité de 50 000 francs aux organismes de travail
protégé pour tout placement, dans une entreprise en milieu ouvert, d'une personne handicapée
que la COTOREP avait antérieurement orientée vers le milieu protégé.
La deuxième question est liée à l'interprétation que le conseil d'administration de
l'AGEFIPH a donnée de la loi créant le fonds géré par elle. Les employeurs éventuellement
assujettis au versement d'une contribution étant les employeurs privés, il a été considéré que le
milieu ordinaire de travail concernait le seul secteur privé, à l'exception de l'administration et de
ses établissements publics. Cette conception restrictive de la notion de milieu ordinaire de
travail, qui est celle des responsables de l'AGEFIPH, s'appuie sur leur conviction que les
ressources importantes dont ils disposent ne doivent pas conduire l'Etat à se désengager
d'actions relevant de la solidarité nationale. Mais elle soulève aussi des problèmes de cohérence
et accrédite l'idée qu'il existe une double politique en faveur des handicapés adultes : l'une qui
dispose, par le biais de l'AGEFIPH, des moyens importants provenant des entreprises, l'autre,
au contraire, de portée beaucoup plus restreinte, qui fait appel aux crédits de l'Etat.
Au regard de la mission qui lui a été confiée par la loi du 10 juillet 1987, l'AGEFIPH,
dont les excédents comptables n'ont cessé de s'accroître depuis la création de l'association - au
31 décembre 1992, ils s'élevaient à 1,7 milliard de francs et, à la même date, le portefeuille de
placements dépassait 2,8 milliards de francs - est dans une situation qui mériterait d'être
précisée. Les textes prévoient une présence limitée de l'Etat dans le fonctionnement de
l'association - deux personnalités qualifiées, désignées par le ministre du travail, siégeant au
sein du conseil d'administration qui compte vingt membres au total -, et le seul acte de tutelle
auquel il est fait expressément référence : l'approbation annuelle par le ministère du travail de la
répartition de la contribution, reste une procédure formelle, exécutée de surcroît tardivement.
Pourtant, les liens entre l'Etat et l'AGEFIPH ont été renforcés à travers la désignation d'un
contrôleur d'Etat et la définition, en 1991, d'un programme concerté d'intervention du fonds qui
représente un compromis entre les souhaits du ministère de tutelle et les orientations de
l'association. Mais les ambiguïtés et la fragilité du contrôle exercé sur l'AGEFIPH posent le
problème de savoir si, compte tenu de la mission de service public qui lui est déléguée, du rôle
qu'elle joue en matière d'insertion professionnelle et de l'importance des sommes en jeu, il ne
conviendrait pas de renforcer juridiquement la présence de l'Etat dans les instances de décision
de l'association. A cet égard, la présence au sein du conseil d'administration d'un représentant
de la délégation à l'emploi aurait le mérite de favoriser une procédure de concertation régulière
avec le ministère du travail et de permettre la fixation en commun des objectifs à atteindre et
des moyens nécessaires pour les accomplir.
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PROPOSITIONS DE LA COUR CONCERNANT L'INSERTION
PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPEES
1. - Centres de rééducation professionnelle
- Etablissement d'un bilan de la situation financière des centres afin d'évaluer le coût réel
de leur fonctionnement pour l'assurance maladie.
2. - Formation
- Harmonisation des aides de toute nature en faveur de l'emploi pour éviter les
contradictions et faire en sorte que les mesures les plus efficaces (contrats de
rééducation professionnelle en entreprise) ne se trouvent sacrifiées au profit d'autres
formules plus attractives (contrats de retour à l'emploi) mais aussi plus ponctuelles.
3. - Population salariée de référence
- Nécessité de préciser la notion d'emploi exigeant des aptitudes particulières, et en revoir
la liste.
4. - Etablissements de travail protégé
- Nécessité de favoriser le rééquilibrage entre centres d'aide par le travail et ateliers
protégés, et donner à ces derniers les moyens financiers de se créer rapidement ;
- Nécessité de tenir compte de l'impact des conventions collectives dans les CAT pour
fixer le taux de la dotation annuelle de financement.
5. - Emploi
- Ouverture, dans la fonction publique, de la 3ème voie prévue par la loi du 10 juillet
1987 aux agents de catégorie A et B et faire en sorte que la voie contractuelle ne soit
plus subsidiaire par rapport aux formules des concours ou des emplois réservés.
6. - AGEFIPH
- Nécessité de renforcer la présence et le rôle de l'Etat au sein des instances dirigeantes de
l'association.
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DEUXIEME PARTIE :
L'INTEGRATION SOCIALE DES PERSONNES
HANDICAPEES
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A l'occasion de sa nouvelle enquête, la Cour relève comme il y a dix ans, que les
objectifs de la loi de 1975 et des textes subséquents tendant à procurer à la personne
handicapée un cadre de vie aussi proche que possible de la normale sont imparfaitement
atteints, et que, par ailleurs, les diverses ressources dont bénéficient les handicapés devraient
faire l'objet d'un réexamen global dans la mesure où elles s'écartent souvent, en pratique, du
but pour lequel elles ont été instituées.
A.- UN CADRE DE VIE QUI RESTE ENCORE A AMELIORER
Deux grands axes d'une politique qui demeure marquée par ses insuffisances ont été
examinés : l'hébergement et l'accessibilité.
1° LA POLITIQUE DE L'HEBERGEMENT
Cette politique continue à manquer de réelle cohérence, qu'il s'agisse de l'hébergement
en établissement ou du maintien ou de l'accueil à domicile.
a) Les établissements d'hébergement
L'approche des problèmes est rendue particulièrement malaisée du fait de l'éclatement
des établissements d'hébergement en quatre grandes catégories selon le type de prise en
charge des personnes accueillies
19
: les maisons d'accueil spécialisées (MAS) financées
traditionnellement par l'assurance-maladie ; les centres d'aides par le travail (CAT) déjà
évoqués et relevant, par l'intermédiaire d'une dotation globale de financement, de l'aide
sociale de l'Etat ; les établissements financés par l'aide sociale départementale, qui
constituent une mosaïque d'institutions dont l'appellation reste variable et recouvre parfois,
sous une même dénomination, des réalités différentes (foyers classiques, foyers
d'hébergement, foyers de vie, foyers d'accueil, foyers occupationnels, ateliers de type
thérapeutique et occupationnel, centres d'initiation au travail et aux loisirs, sections annexes
de CAT etc.) ; enfin, les foyers à double tarification (FDT), de nature mixte, dont le
financement relève de l'assurance- maladie pour les soins dispensés aux pensionnaires, et de
l'aide sociale départementale pour l'hébergement de ces derniers.
S'il existe une apparence de hiérarchie décroissante, en fonction de la gravité du
handicap, entre les MAS - qui accueillent des personnes incapables d'accomplir l'un des actes
essentiels de l'existence -, les FDT - dont la vocation est d'héberger les handicapés qui ne
peuvent accomplir "la plupart" des actes essentiels de l'existence - et les CAT, où l'activité
occupationnelle des pensionnaires n'exclut pas la réalisation d'un certain travail rémunéré, en
revanche, la place occupée sur l'échiquier des établissements par les divers foyers ou
structures départementales équivalentes est variable, et dépend assez largement de la
politique menée par les associations gestionnaires dont ils relèvent.
La Cour a ainsi eu l'occasion de constater sur place, notamment dans le Doubs, que
certains établissements qui, de par le degré de dépendance des personnes qu'ils accueillaient,
ne pouvaient être que des MAS, n'avaient pourtant pas cette structure juridique, simplement
parce que l'association gestionnaire contestait le système des ressources laissées aux
pensionnaires - qui, dans les MAS, est strictement réglementé - et faisait ainsi bénéficier
"ses" handicapés du régime plus favorable qui s'applique aux établissements relevant de
l'aide sociale départementale. Une telle pratique suppose naturellement un accord des
19) Voir annexe 6.
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127
conseils généraux, organismes payeurs ; on constate ainsi que le mouvement de
décentralisation a, de ce fait, assez largement contribué à compliquer une situation dont la
clarté n'était déjà pas évidente. Dans ces conditions, les tentatives de programmation
annoncées par les pouvoirs publics au niveau national se révèlent souvent aléatoires, les
difficultés budgétaires et financières des établissements sont grandes en raison, notamment,
de la multiplicité des financeurs possibles, et les résultats obtenus sont parfois contraires aux
objectifs affichés.
* Le taux d'équipement très inégal des différents départements avec, pour conséquence,
l'afflux dans les établissements des départements les mieux dotés d'une population
handicapée extérieure, orientée par les COTOREP en fonction des places disponibles et non
du domicile géographique d'origine, a conduit l'Etat, depuis quelques années, à définir une
programmation pluriannuelle des capacités d'accueil, notamment en MAS et en CAT, visant
à opérer un rééquilibrage au profit des régions et des départements les plus démunis. Tel a été
l'objet du "plan MAS", mis en place en décembre 1990, en vue de la création de 4 840 places
nouvelles installées en quatre ans, pour arriver à une capacité totale d'accueil d'au moins
13 000 lits en 1993, et celui des protocoles d'accord du 8 novembre 1989, déjà évoqués,
prévoyant la création sur quatre ans de 10 800 places supplémentaires de CAT.
La cohérence de la mise en oeuvre de ce rééquilibrage est, toutefois, loin d'être
évidente. Ainsi le département de la Lozère, dont le taux d'équipement en MAS est déjà de
6,10 pour 1 000 habitants, contre une moyenne nationale de 0,27, va bénéficier de 40 places
supplémentaires de MAS à Florac dont la création doit intervenir, il est vrai, non pas au titre
de la programmation pluriannuelle, mais dans le cadre d'une enveloppe nationale réservée
aux projets spécifiques implantés en zones déjà équipées. De même, le département du
Doubs, dont le taux d'équipement est le double de celui de la région Franche- Comté et près
de deux fois et demie le taux national, s'est vu accorder 70 places de MAS supplémentaires.
Ces exemples tendraient à montrer que le rééquilibrage géographique est plus une intention
qu'une réalité et qu'à l'issue de la période couverte par les différents plans officiels, les
disparités
géographiques
n'auront
guère
été
corrigées.
D'après
les
informations
communiquées par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Rhône-Alpes,
par exemple, le taux d'équipement en MAS et FDT en fin de plan pour les cinq principaux
départements de la région varierait de 0,22 pour 1 000 (Rhône) à 0,94 pour 1 000 (Ain), avec
des pourcentages de l'ordre de 0,30 pour 1 000 en Isère, 0,42 pour 1 000 en Savoie et 0,71
pour 1 000 dans la Loire.
D'une façon générale, toute programmation d'équipements visant à répondre à un
besoin devrait reposer sur la détermination, même approximative, de l'importance
quantitative de la population concernée et de sa répartition entre les différentes structures. Or,
pour les handicapés, une telle approche se révèle à peu près impossible pour quatre raisons :
les incertitudes, déjà soulignées, qui affectent la définition même de la notion de handicap ;
l'absence fréquente - cas du Haut-Rhin, du Morbihan, du Nord ou du Rhône -, ou la lenteur et
les difficultés d'élaboration - cas du Calvados -, des schémas départementaux arrêtant les
lignes directrices des équipements sociaux et médico- sociaux et permettant de déterminer les
diverses populations en état de dépendance ; les problèmes de recensement des hébergements
inadéquats, c'est-à-dire du nombre de handicapés orientés vers une structure d'accueil par les
COTOREP, mais relevant, en fait, d'un autre type d'établissement inaccessible faute de places
disponibles ; enfin, l'ignorance relative de l'importance de la population handicapée qui n'a
pas sollicité une orientation de la COTOREP, et qui reste hébergée en famille ou en hospice.
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Dans ces conditions, il peut sembler anormal que, dans le cadre du "plan MAS", la
synthèse des réponses des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) au
questionnaire visant à recenser les besoins n'ait fait l'objet d'aucune exploitation au niveau du
ministère des affaires sociales . La Cour a tenté de procéder elle- même à une analyse de ces
réponses, qui lui ont été communiquées ; elle fait ressortir l'existence, au 31 décembre 1990,
de plus de 4 800 orientations en MAS non satisfaites, d'environ 4 900 adultes lourdement
handicapés non orientés accueillis en hôpital ou en hospice, et de 7 500 autres installés dans
leur famille et dont on ignore combien, de par leur état, pourraient bénéficier d'un séjour en
établissement spécialisé.
Les mêmes incertitudes affectent la programmation de places nouvelles en CAT. Les
estimations cumulées des départements et des régions communiquées à la direction de
l'action sociale (DAS) mettent en évidence un niveau de besoin nettement supérieur au
nombre de places que l'Etat s'est engagé à créer dans le cadre de son plan pluriannuel, et, par
voie de conséquence, a conduit ces collectivités locales à demander plus de places que n'en
prévoit la norme moyenne fixée au plan national. Le département du Nord, par exemple,
avait exprimé une demande de création de 405 places en 1991, 425 en 1992 et 315 en 1993,
pour ne s'en voir accorder respectivement au titre de ces trois années que 75, 75 et 81, soit au
total 231 places dont 58 "innovantes", au lieu des 1 145 sollicitées.
Or, la Cour a observé, dans un certain nombre de départements, que les files d'attente à
l'entrée des CAT augmentaient à la suite des décisions d'orientation des COTOREP, bien que
les capacités d'accueil fussent elles-mêmes croissantes. C'est ainsi, par exemple, que dans le
Morbihan une enquête réalisée par la direction départementale des affaires sanitaires et
sociales (DDASS) a fait apparaître qu'entre 1982 et 1991, le nombre de personnes en attente
de placement dans les CAT avait crû de 194 alors que, pendant la même période, la capacité
de ces établissements avait augmenté de 311 places. Dans le Nord, l'équipement en CAT,
bien qu'il excède largement la moyenne nationale - 3,04 pour 1 000 habitants contre 2,40 -
n'empêche pas le délai d'attente pour les personnes en instance de placement dans ce type
d'établissement de varier, selon la direction régionale des affaires sanitaires et sociales
(DRASS), de cinq à dix ans.
Cette absence paradoxale de corrélation entre l'offre de places et la demande de
placements ne peut s'expliquer que de deux manières. Ou bien le suréquipement relatif de
certains départements par rapport à d'autres serait seulement le signe d'un sous-équipement
général car les besoins sont, de toute façon, supérieurs à l'offre. Ou bien les COTOREP
cèderaient à une politique de facilité en dirigeant trop de handicapés vers les CAT ;
l'orientation aurait alors tendance à se faire davantage en fonction de l'offre que des besoins
réels des intéressés - ce qui pose le problème des hébergements inadéquats déjà souligné -.
Dans cette hypothèse, les besoins effectifs de places dans ces établissements risqueraient
d'être surestimés en raison de l'importance des files d'attente et, dans la mesure où celles-ci
sont utilisées pour la planification des équipements et pour l'étude des projets institutionnels
en commission régionale des institutions sociales et médico- sociales , la notion de
programmation se viderait progressivement de son sens.
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** Outre les imprécisions qui affectent ses objectifs quantitatifs, la programmation
pluriannuelle est entravée par les incertitudes de son financement.
S'agissant des CAT, le caractère insuffisant du taux d'évolution de la dotation globale
de financement a déjà été souligné dans les développements qui précèdent.
Pour les MAS, l'aide de l'Etat, apportée sous forme de subventions d'équipement
complémentaires à l'effort financier propre de ces établissements, est au plus de 40 %, mais
ce plafond est de plus en plus rarement atteint depuis 1990. Une circulaire du 24 août 1990
précise en effet que le taux d'intervention de l'Etat "pourra être modulé entre 20 et 40 %". Le
recours des établissements à d'autres moyens financiers complémentaires devient désormais
indispensable ; il est même organisé par l'instruction du 28 décembre 1990 relative à la mise
en oeuvre du programme pluriannuel, qui fixe à 30 % le taux moyen de l'ensemble des
projets subventionnés au niveau régional. Dans un certain nombre de départements où la
Cour a enquêté, des taux de subvention ne dépassant pas 25 % ont ainsi été relevés : par
exemple, les projets de MAS de Bartenheim et de Colmar, dans le Haut-Rhin, ont été
subventionnés respectivement à hauteur de 23 % et de 22,5 %, ceux de Meyzieu et de Bron,
dans le Rhône, l'ont été à concurrence de 25 %.
Cette évolution est d'autant plus inquiétante que, parallèlement, il existe une différence
sensible entre le "coût total subventionnable" à la place prévu par le ministère des affaires
sociales , soit 250 000 francs, et le coût réel des nouvelles places créées, qui n'est
pratiquement jamais inférieur à 350 000 francs. La Cour a même constaté - projet de MAS de
Quingey, dans le Doubs - que le coût total d'une place de MAS réservée exclusivement à des
handicapés physiques pouvait atteindre - équipement matériel et mobilier compris -, près de
640 000 francs en raison des aménagements spécifiques nécessités par la circulation de
chariots plats indispensables à cette catégorie de personnes . Seules les créations de places
intervenant par transformation de locaux existants respectent le coût plafond théorique,
comme à la MAS de Rontignon, dans les Pyrénées Atlantiques.
Cette double tendance - baisse des taux de subvention et coûts plus élevés que prévu -
ne facilite pas l'intervention de partenaires financiers non publics dont, de surcroît, la logique
d'investissement ne recoupe pas toujours les objectifs de la programmation.
En outre, les effets fâcheux de cette baisse du niveau relatif de l'aide de l'Etat sont
accrus par les délais souvent excessifs de notification de l'affectation des crédits tant
nationaux que régionaux. Ils entraînent, dans le meilleur des cas, un retard dans la réalisation
des projets inscrits à la programmation - car il n'est pas possible alors de concevoir un plan
cohérent de financement des travaux - et, dans l'hypothèse la moins favorable, un
ajournement pur et simple du programme envisagé. Dans le Morbihan, l'extension de la MAS
de Guémené, programmée pour 1991, a été retardée dans l'attente de la subvention de l'Etat,
notifiée seulement en septembre 1992. De même, dans les Pyrénées Atlantiques, divers
retards ont été pris, en raison, notamment, de la notification tardive par la région de
l'enveloppe déconcentrée. Ils ont conduit à reconsidérer le budget de la MAS d'Hérauritz, qui
prévoyait la création de 15 places en 1992 et de 6 places en 1993.
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A cet égard, l'examen des crédits de subventions d'investissement accordées par
l'Etat
20
, crédits déconcentrés au niveau des régions et dont une part prépondérante est affectée
aux MAS, fait, il est vrai, apparaître une croissance significative des autorisations de
programme de 1990 à 1993 (respectivement, pour chaque année, 43,3 millions de francs, 52
millions, 85,2 millions, 70 millions soit, au total, 250,5 millions sur quatre ans). Mais les
crédits de paiement diminuent de moitié pendant la même période : 39,3 millions de francs,
17,1 millions, 16,7 millions, 26,6 millions soit, au total, 99,7 millions
21
. Cette évolution "en
ciseaux" est inquiétante. En effet, si les autorisations de programme inscrites au budget sont
lancées, on voit mal comment pourrait être évitée une crise de trésorerie ; si elles ne le sont
pas, il y a discordance entre la politique annoncée et la politique menée.
En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement des établissements, la participation
spécifique de l'Etat peut atteindre 50 % et le complément doit faire l'objet d'un
redéploiement, tant au niveau régional qu'au niveau départemental, entre les crédits affectés à
différentes enveloppes (hospitalière, psychiatrique, médico- sociale ) : en d'autres termes, une
hiérarchisation des priorités doit être établie par ceux qui répartissent les enveloppes. A
Angers, par exemple, l'existence à la fois d'un important centre hospitalier régional et
universitaire (CHRU) et d'un centre hospitalier spécialisé (CHS) de forte capacité s'oppose
pratiquement au redéploiement de l'enveloppe hospitalière ou de l'enveloppe psychiatrique au
profit de nouveaux établissements pour handicapés, sauf à prendre le risque de sacrifier les
besoins du CHRU ou du CHS. On rencontre une situation identique dans le Rhône pour le
financement du fonctionnement des MAS de Meyzieu et de Bron : la marge de manoeuvre
départementale disponible à partir du redéploiement des crédits existants est en effet limitée,
60 % des crédits affectés à l'enveloppe départementale étant dévolus aux Hospices civils de
Lyon.
La nature des foyers à double tarification (FDT) entraîne également des difficultés de
gestion pour cette formule d'hébergement qui, à bien des égards, présente des aspects
intéressants, mais qui comporte aussi, en l'état actuel de la réglementation, de sérieuses
limites.
Lancés à titre expérimental en 1986 pour accueillir des adultes gravement handicapés ,
les FDT, au nombre de 75 pour une capacité d'accueil d'un peu plus de 2 000 places en 1992,
bénéficient d'un double financement de leurs dépenses de fonctionnement : les soins sont
couverts par l'assurance-maladie et l'hébergement par l'aide sociale départementale, ce qui
implique l'intervention de deux arrêtés distincts - l'un émanant du préfet, l'autre du président
du conseil général - fixant deux prix de journée.
La formule n'est pas dépourvue d'avantages : en particulier, elle rend possible, dans le
cadre d'un partenariat, la réalisation de projets dont l'aboutissement serait hypothétique sans
la présence de plusieurs co-financeurs. A ce titre, elle peut avoir un effet dynamisant. Mais,
corrélativement, ses inconvénients sont manifestes : gestion très lourde à tous les niveaux,
difficulté d'une concertation claire entre les DDASS et les services départementaux,
problèmes posés par l'application du "forfait-soins", actuellement plafonné à 45 % du prix de
journée total. Si les dépenses de soins sont supérieures au plafond, l'assurance-maladie refuse
de payer le dépassement, et si le département renonce, lui aussi, à prendre celui-ci en charge,
20) Cet examen n'est pas facilité par les conditions même de la gestion des crédits par les services du ministère
des affaires sociales, de la santé et de la ville : les autorisations de programme sont gérées par la direction de
l'action sociale, tandis que les crédits de paiement le sont par la direction des hôpitaux.
21) Annexe 7.
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le FDT sera déficitaire. Inversement, certains conseils généraux considèrent que les dépenses
de soins sont automatiquement égales au plafond réglementaire même si, en réalité, elles lui
sont inférieures, et ne financent, au titre de l'hébergement, qu'une somme insuffisante qui
risque de mettre, là encore, les établissements en déficit.
Les conséquences de ce système de financement font ainsi apparaître son incohérence :
pour que l'équilibre financier de l'établissement soit assuré, les dépenses de soins ne doivent
être ni inférieures ni supérieures au montant exact du plafond, ce qui interdit à la fois de
dispenser des soins parfois indispensables mais plus lourds que ceux prévus et aussi de
réaliser des économies au niveau des dépenses de maladie.
Les difficultés sont d'autant plus sérieuses que la base juridique des FDT est
extrêmement fragile et peut toujours être remise en cause. Elle ne repose en effet sur aucun
texte législatif ni même réglementaire, mais relève simplement de deux circulaires - l'une de
1986 lançant le programme expérimental, l'autre de 1987 le généralisant - complétées par une
lettre ministérielle de 1988 prévoyant l'accueil en FDT de personnes handicapées mentales
ayant besoin d'un suivi médical régulier. Ces directives sont juridiquement inopposables aux
tiers que sont les départements. Si les pouvoirs publics nationaux ne contestent pas l'utilité de
cette formule et, plus encore, s'ils en souhaitent le développement, il devrait être rapidement
mis fin à la précarité de cette situation. Pour que le partenariat soit autre chose qu'un voeu, il
faut l'organiser dans un cadre juridique précis : tel n'est pas le cas actuellement.
*** Les incertitudes de la programmation et les difficultés budgétaires se conjuguent
avec d'autres facteurs pour conduire à des résultats qui s'éloignent sensiblement des objectifs
voulus par le législateur. La Cour en a relevé au moins quatre.
En premier lieu, les perspectives d'intégration sociale sont parfois remises en cause par
l'application d'une réglementation peu adaptée. Il en va ainsi des conséquences de la mise en
oeuvre de la règle dite du "domicile de secours". Le principe posé par l'article 168 du code de
la famille et de l'aide sociale est que les frais d'hébergement et d'entretien des personnes
handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle et d'aide au travail ainsi
que dans les foyers et foyers-logements sont à la charge de l'intéressé (sans toutefois que ses
ressources puissent descendre au- dessous d'un certain montant) et, pour le surplus éventuel,
de l'aide sociale . Les dépenses d'aide sociale sont acquittées par le département dans lequel
les bénéficiaires ont leur domicile de secours (article 192 du même code), c'est-à-dire,
généralement, le département d'accueil. Toutefois, cette règle ne s'applique pas aux
personnes admises dans les établissements sanitaires et sociaux (article 193 du même code),
qui conservent le domicile de secours qu'elles avaient acquis avant leur entrée dans
l'établissement, c'est-à-dire, en général, celui de leur département d'origine.
Dans les départements à forte concentration d'établissements pour handicapés adultes,
avec une importante population "extérieure", la Cour a pu constater que cette règle avait des
effets exactement contraires à ceux recherchés. Inciter une personne handicapée à quitter le
cadre médico- social pour lui permettre de s'insérer plus facilement reviendrait en effet à la
faire prendre en charge par l'aide sociale du département d'accueil, qui n'y trouve aucun
intérêt. En revanche, la multiplication des foyers d'hébergement, quelle que soit leur
appellation, permet, par la simple application des dispositions de l'article 193 précité, de
renvoyer la prise en charge des intéressés non issus du département d'accueil sur les
départements d'où ils viennent. Un exemple caractéristique est fourni par la Lozère, où cinq
CAT, totalisant une capacité d'accueil de 530 places, comportent tous une section
d'hébergement de même capacité. Les conséquences économiques de cette situation,
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notamment quant à l'emploi, sont favorables pour ce département, qui n'en supporte pas pour
l'essentiel l'incidence financière, puisque près de 80 % des handicapés y résidant sont
originaires d'autres départements, qui les prennent en charge ; en revanche, ni le maintien des
liens familiaux, ni l'intégration sociale des intéressés - même lorsqu'elle est possible - ne s'en
trouvent facilités.
En second lieu, la Cour a relevé qu'un certain nombre de MAS, comme celles de
Grèzes ou de Saint-Germain-du-Teil, en Lozère, créées par reconversion de lits
d'établissements pour enfants, tels les instituts médico-éducatifs (IME), souffraient d'un
grave problème de locaux, en raison de l'inadaptation de ces derniers à la prise en charge de
handicapés lourds : absence d'ascenseurs, grand nombre d'étages, manque de fonctionnalité
pour l'utilisation des matériels médicaux, concentration des pensionnaires (dix handicapés au
minimum par groupe de vie). Si cette situation présente l'avantage de favoriser des prix de
revient relativement faibles, elle ne correspond pas aux besoins à long terme qui sont
exprimés, notamment, pour l'accueil des polyhandicapés. Certains réaménagements,
nécessaires sur le plan humain, conduiront inévitablement à des surcoûts de fonctionnement
non négligeables, qui rendront encore plus problématique le respect des normes
d'encadrement (en principe, le ratio de 1/1 doit être observé), aujourd'hui déjà très imparfait.
La prise en compte de ces facteurs dans le cadre d'une programmation déjà aléatoire devrait
être prioritaire.
La Cour déplore, en troisième lieu, les difficultés que rencontre, dans de nombreux
départements, la politique de l'accueil de jour. Une circulaire du 28 décembre 1978 avait fixé
à 10 % le nombre de places de MAS à réserver au semi-internat, c'est-à-dire à l'accueil,
pendant la journée, de pensionnaires rentrant chez eux la nuit. Le lien avec le milieu ouvert
était, de cette manière, préservé, en même temps qu'étaient garantis les soins dispensés aux
intéressés. Or, si la plupart des nouveaux projets inscrits à la programmation pluriannuelle
s'efforcent de respecter le quota de 10 % fixé par les textes, comme la Cour a pu le relever
dans les MAS de Seloncourt ou de Quingey (Doubs), ce dernier est généralement loin d'être
observé dans les établissements existants. Les six MAS du Calvados disposent de 9 places de
semi- internat pour une capacité d'accueil totale de 181 places, soit un taux de 4,97 % ; pour
un total de 85 places, les trois établissements des Pyrénées-Atlantiques offrent 2 places en
accueil de jour (2,65 %) ; dans le Doubs, les quatre MAS ont une capacité de 153 places,
dont 4 en semi-internat (2,6 %) ; dans le Haut-Rhin, la formule est purement et simplement
ignorée. La situation ainsi observée illustre clairement l'inadéquation des prises en charge par
rapport aux structures d'accueil, mais aussi aux types de pathologies.
Si le semi-internat est difficile à mettre en place, c'est surtout en raison de l'existence de
problèmes budgétaires liés à la couverture des frais de transport des personnes handicapées .
La circulaire interministérielle du 29 août 1986, relative à l'intégration budgétaire des frais de
transport des enfants handicapés fréquentant des établissements d'éducation spéciale a en
effet expressément exclu les MAS de son champ d'application. Dès lors, les transports en
véhicule sanitaire léger de la personne adulte handicapée lors de son retour dans sa famille
restent à la charge de cette dernière qui, bien souvent, en supporte difficilement le coût
financier.
En l'état actuel des choses, le semi-internat, solution permettant à un handicapé hébergé
en MAS de ne pas être totalement coupé de son environnement, semble appelé
progressivement à disparaître au profit de la formule de l'internat et, par voie de conséquence,
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de l'exclusion sociale . Sauf à admettre que tel est le but recherché, il conviendrait d'assurer
les moyens financiers de fonctionnement de la formule du semi-internat.
Enfin, les missions assignées en principe aux institutions d'aide par le travail ne
peuvent, bien souvent, être accomplies dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la
trop fréquente inadéquation d'un dispositif d'accueil relativement rigide aux besoins, par
nature modulables, des personnes handicapées . Le système institué par la loi n'offre pas
suffisamment de souplesse pour répondre à diverses nécessités concrètes : formation
complémentaire pour un jeune adulte accueilli en CAT, baisse temporaire de productivité
exigeant un retrait momentané d'un pensionnaire de ce type de structure, contraintes d'une
fatigabilité chronique ou d'un vieillissement précoce nécessitant un aménagement du temps
de travail. Aussi bien un certain nombre de départements se sont-ils engagés dans des
formules expérimentales dont les noms varient, mais qui recouvrent toujours des réalités
identiques : sections annexes de CAT en Gironde, dans l'Hérault ou en Ille-et- Vilaine, CAT
de soutien en Seine-Maritime, foyers d'insertion et de transition (FIT) dans le Calvados, par
exemple. Cette politique, qui vise à développer des formules destinées à répondre à des
besoins individualisés, devrait être encouragée. Elle est malheureusement encore trop peu
développée et souffre d'une absence manifeste de coordination. Elle est surtout tributaire de
la volonté des collectivités locales d'entreprendre des actions qui obèrent lourdement leur
budget d'aide sociale , déjà grevé comme on le verra par l'accroissement des dépenses liées à
l'allocation compensatrice. Cependant, la rupture de la politique d'isolement des personnes
handicapées ne peut se faire qu'à ce prix.
b) La vie à domicile
Si la priorité de la vie à domicile, même pour des personnes lourdement handicapées ,
est uniformément admise dans son principe, les modalités pratiques de sa mise en oeuvre
revêtent de nombreuses insuffisances et, dans le cas de l'accueil à titre onéreux, ne sont pas
complètement définies.
* Le maintien à domicile des personnes handicapées est impossible sans des aides tant
humaines que techniques. Dans un cas comme dans l'autre, la Cour a noté que le dispositif
mis en oeuvre trouve rapidement ses limites.
Les principales aides en moyens humains reposent sur les services d'auxiliaires de
vie
22
. Ceux-ci ont été organisés il y a plus de dix ans, mais sur la base juridique ténue de
simples circulaires. Destinés "soit à des personnes handicapées dont le besoin d'une tierce
personne pour accomplir un ou plusieurs actes essentiels de l'existence aura été reconnu par
la COTOREP, soit à des bénéficiaires d'un avantage analogue mais servi par un régime de
sécurité sociale "
23
, ces services ont vu la définition de leur rôle affinée en 1982 sur deux
points : d'une part, l'auxiliaire de vie ne doit pas simplement contribuer à renforcer l'aide
ménagère à domicile, elle est appelée à aider des personnes très dépendantes ayant
nécessairement recours à une tierce personne pour effectuer les actes essentiels de l'existence
; d'autre part, elle n'a pas vocation au soutien et à l'accompagnement à temps complet, mais à
l'aide à l'accomplissement des actes en question "par une action ponctuelle et répétée".
22) Voir annexe 8.
23) Circulaire n° 81-15 du 29 juin 1981 relative à la mise en oeuvre du
plan gouvernemental de création d'emplois.
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Traditionnellement, les services d'auxiliaires de vie fonctionnaient à partir d'une
convention conclue entre le préfet et l'organisme promoteur, l'Etat étant appelé à prendre en
charge les frais de fonctionnement à concurrence de 4 000 francs
24
par équivalent temps
plein d'auxiliaire de vie et par mois d'activité, et à verser une subvention de démarrage de 4
000 francs par auxiliaire recrutée. Compte tenu de cette participation, entre 5 et 10 % des
dépenses totales de fonctionnement restaient à couvrir, et il était recommandé de rechercher
localement des aides d'appoint.
Ces mécanismes relativement simples, bien que juridiquement mal fondés - les
circulaires les instituant n'ayant aucune valeur réglementaire - sont aujourd'hui affectés par
les ambiguïtés nées de la mise en place de la décentralisation.
Aux termes de l'article 32 de la loi du 22 juillet 1983, en effet, le département "prend
en charge l'ensemble des prestations légales d'aide sociale , à l'exception des prestations
énumérées à l'article 35" qui restent du domaine de l'aide sociale de l'Etat. Or, l'article 35
susvisé ne comprend pas les frais afférents aux services d'auxiliaires de vie sans que pour
autant ceux-ci constituent une prestation "légale", au sens des dispositions du code de la
famille et de l'aide sociale .
Ce vide juridique conduit de nombreux départements à refuser d'inscrire les crédits
nécessaires au financement des services en cause dans leurs budgets. Cette situation, qui ne
peut trouver sa solution que dans un texte réglementaire, a pour conséquence la pérennisation
de systèmes de prise en charge à la fois contestables et notoirement insuffisants. Depuis
1985, l'Etat continue de verser une subvention forfaitaire annuelle calculée sur l'assiette de
cette année-là (soit 1 864 postes équivalents temps plein d'auxiliaires de vie) et la
revalorisation de cette subvention - qui était de 115,9 millions de francs pour les quatre
derniers exercices budgétaires - n'a été que de 29,50 % de 1981 à 1991 inclus, c'est-à-dire
bien inférieure à l'évolution de l'indice des prix à la consommation pendant la même période
(+ 66,2 %). Actuellement, cette subvention, qui représente plus des trois-quarts des crédits
d'action sociale en faveur des personnes handicapées alloués par le ministère des affaires
sociales , couvre à peine la moitié des dépenses des services. Parallèlement, la participation
financière des départements est très modeste. La Cour a constaté qu'en 1992, 80 % des
services d'auxiliaires de vie ne bénéficiaient d'aucune aide des collectivités locales, dont
l'inertie était tout aussi manifeste en ce qui concerne la création de postes. L'effort budgétaire
supplémentaire fait par l'Etat en 1992 et visant à donner une nouvelle impulsion à cette
création - une dotation non reconductible de 30 millions de francs a été inscrite au chapitre
47-21 pour cofinancer de nouveaux postes avec les collectivités territoriales, qui en auraient
ensuite assumé le fonctionnement - risque d'aboutir à l'échec dès lors qu'il n'a pas été remédié
au vide juridique apparu depuis l'adoption de la loi du 22 juillet 1983.
Le maintien du financement par l'Etat des services d'auxiliaires de vie n'a pas eu l'effet
d'entraînement escompté. Seule une réforme radicale est en mesure d'éviter le dépérissement
de ces services et de clarifier le rôle des collectivités de prise en charge. Elle pourrait
intervenir à deux niveaux : d'une part, l'inscription dans le code de la famille et de l'aide
sociale du principe d'une aide à domicile polyvalente en faveur des personnes handicapées ,
comprenant l'aide aux actes essentiels de l'existence ainsi que les autres champs
d'intervention n'ayant pas de caractère médicalisé ; d'autre part, l'affirmation claire que cette
aide relève de la compétence des départements. Le montant des crédits d'Etat jusqu'ici
24) Le montant de cette dotation est, en 1993, de 5 180 francs.
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consacrés aux auxiliaires de vie à domicile serait alors intégré dans la dotation globale de
décentralisation.
Quant aux aides dites "techniques", elles doivent constituer un moyen pour les
intéressés soit d'agir sur leur environnement (aides aux soins personnels, à la déambulation, à
la communication etc.), soit d'aménager cet environnement pour le faire correspondre à leur
existence (appartement et mobiliers adaptés, par exemple).
Différentes étapes sont nécessaires à une bonne adaptation de l'aide technique à la
personne handicapée : évaluation du handicap et de l'environnement, ouverture de
possibilités d'essai et d'apprentissage, achat, et le cas échéant, remplacement du matériel. Ces
étapes supposent l'intervention d'un conseil technique approprié dont la mise en place n'est
encore qu'embryonnaire. En effet, la rareté des lieux d'information et l'absence de politique
globale d'information en direction soit des professionnels, soit des usagers restent la règle, en
dépit de quelques exceptions remarquables, telles que celles des centres de rééducation
fonctionnelle de Mulhouse ou de Kerpape, dans le Morbihan.
Dans un contexte d'information fragmentée, la mise en place du premier sous-module
de la banque de données nationale reliée à la banque de données européenne HANDYNET,
elle-même rattachée au programme européen HELIOS, constitue, il est vrai un progrès : ce
programme vise en effet à établir, au niveau communautaire, une base et un réseau d'activités
pour le développement d'une politique globale et cohérente en faveur de l'intégration des
personnes handicapées au plan économique et social et à celui de la promotion d'une vie
autonome. En revanche, l'aide de l'Etat à l'agence nationale pour les aides techniques et
l'édition adaptée aux personnes déficientes visuelles (AGATE), créée en 1986, n'a pas donné
les résultats escomptés. Après sept ans de fonctionnement, une banque de données
bibliographiques a bien été créée, mais fin 1991, elle ne comprenait que 37,5 % des ouvrages
existants, sans que les références soient vraiment fiables. Les quelques informations relatives
aux aides techniques rassemblées par AGATE l'ont été sans évaluation sérieuse sur la qualité
et la maintenance des matériels, ni sur la formation des utilisateurs. Cette situation est
d'autant plus regrettable que les moyens budgétaires consacrés par l'Etat à AGATE (soit 12,5
millions de francs de 1985 à 1991 inclus, dont 8,4 millions de francs au titre du ministère des
affaires sociales et de l'intégration) auront été alloués inutilement si une remise en ordre n'est
pas rapidement effectuée, puisqu'aux lieu et place de la coordination souhaitée, AGATE a
abouti à une plus grande atomisation de l'information.
La prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale des aides
techniques aux personnes handicapées pose également des problèmes : insuffisante au titre
des prestations légales, elle reste encore très imparfaite au titre de l'action sanitaire et sociale
.
La prise en charge de l'appareillage est subordonnée à l'inscription au tarif
interministériel des prestations sanitaires (TIPS), dans des conditions prévues par les article
R 165.1 et suivants du code de la sécurité sociale . Or, ce dernier ne prend en compte que
l'appareillage strito sensu et non les aides techniques, qui lui sont assimilées bien qu'elles en
soient distinctes. Il est pourtant généralement admis qu'il y a complémentarité entre
l'appareillage, destiné au traitement et à la correction thérapeutique des affections ou
déficiences fonctionnelles ou organiques, et les aides techniques, outils permettant aux
personnes handicapées d'agir sur leur environnement et d'aménager ce dernier pour que cette
action soit possible. Il est dans ces conditions regrettable que seule la première catégorie
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donne lieu à remboursement au titre du risque, sous réserve de quelques aides techniques, tel
un certain nombre de modèles de fauteuils roulants, elles aussi inscrites au TIPS.
Le souci de maîtriser la dépense s'explique par l'évolution technologique rapide qui
caractérise le domaine particulier des aides techniques et la multiplication des aides
perfectionnées et coûteuses qui en résulte.
Il n'en demeure pas moins que la politique de maintien à domicile, qui répond à un
souhait évident des personnes même les plus sévèrement handicapées , appelle une réflexion
d'ensemble sur le financement des aides techniques qui ne sont le plus souvent pas inscrites
au TIPS, ou dont le coût réel est insuffisamment pris en compte si elles y figurent. Cette
réflexion doit s'étendre aux mécanismes de couverture de ces aides au titre de l'action
sanitaire et sociale du régime de sécurité sociale .
La caisse nationale d'assurance-maladie, à l'instigation du ministre chargé des affaires
sociales , a inscrit en 1985 à son fonds national d'action sanitaire et sociale une enveloppe de
10 millions de francs pour favoriser le maintien à domicile, en finançant notamment les
aménagements du logement et des aides techniques. Cette dotation, reconduite annuellement
et revalorisée en fonction du taux directeur de chaque exercice, a atteint 12,37 millions de
francs en 1992. Elle a, assurément, comblé un vide, mais les différents bilans de son
utilisation font ressortir certaines imperfections.
La répartition entre les caisses, qui n'est pas critiquable en soi, aboutit en effet à des
dotations locales d'importance limitée. Ainsi, en 1991, le plancher était de 50 000 francs et le
plafond de 210 000 francs par caisse. Il en résulte fréquemment un "saupoudrage" d'aides
financières de faible montant, plutôt que l'aide massive qui serait parfois nécessaire. En outre,
les aides accordées ne correspondent de ce fait que rarement aux dépenses réellement
engagées par les intéressés, qui sont alors obligés de se tourner vers d'autres financeurs.
Une telle situation, peu compatible avec la politique du maintien à domicile, résulte
d'une absence de réflexion d'ensemble sur la définition, la prise en charge et le financement
des aides techniques pour les personnes les plus sévèrement touchées. Ces dernières, en effet,
doivent pouvoir disposer de matériels lourds très spécifiquement adaptés et ne peuvent se
contenter des "produits pour mieux vivre" qui, au demeurant, répondent aux besoins du plus
grand nombre.
** Une loi du 10 juillet 1989 a expressément prévu l'accueil par des particuliers à leur
domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes relevant de l'article 46
de la loi d'orientation de 1975, c'est-à-dire des MAS, en spécifiant que ces personnes
"peuvent faire l'objet d'un placement familial à titre permanent ou temporaire, organisé sous
la responsabilité d'un établissement médico- social ou d'un service ou d'une association
agréée à cet effet conjointement par le président du conseil général et le représentant de l'Etat
dans le département, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat".
Dans les départements où elle s'est rendue, la Cour a constaté que la formule envisagée
ne connaissait qu'un succès restreint, au profit à peu près exclusif, d'ailleurs, des personnes
âgées. Seul le conseil général du Morbihan a agréé, outre 36 familles pour accueillir des
personnes âgées, deux familles pour accueillir des personnes handicapées adultes.
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L'échec du dispositif tient à plusieurs causes. En premier lieu, le décret d'application
annoncé par le texte de loi n'est toujours pas intervenu : l'hébergement prévu par le législateur
reste, en conséquence, une simple faculté qui ne s'impose nullement aux départements. En
second lieu, il est médicalement peu concevable de confier sans une formation spécifique
préalable, à des familles d'accueil, des handicapés relevant normalement d'une MAS. Enfin la
troisième cause, sans doute déterminante, du peu de succès de la loi est liée aux transferts de
charges financières. Les départements estiment généralement inopportun de faire peser sur les
collectivités territoriales les frais afférents à ce type de placement, qui concerne une population
relevant d'établissements financés par l'assurance- maladie. Cette pratique aurait selon eux pour
conséquence un alourdissement de leurs charges. Le développement de l'accueil à domicile ne
manquerait pas non plus de faire obstacle à la création de nouvelles structures médico- sociales
que les départements recevant une importante population handicapée extérieure ont
financièrement intérêt à privilégier - la prise en charge des intéressés s'effectuant alors par leur
département d'origine, en vertu de la règle du "domicile de secours", déjà évoquée, au détriment
des formules plus favorables à l'intégration sociale , qui conduisent les départements d'accueil à
financer les dépenses d'hébergement sur leurs crédits d'aide sociale .
Au total, le dispositif d'accueil des handicapés par des particuliers à titre onéreux
fonctionne mal. Or, en le mettant en place, le législateur avait le double souci de répondre à des
préoccupations humaines - garder au handicapé lourd un milieu de vie plus personnalisé - et
financières - le coût de la prise en charge en établissement étant nettement plus élevé -. Sauf à
revenir sur ce double objectif, les pouvoirs publics doivent lever le plus rapidement possible les
préalables nécessaires, notamment juridiques, au fonctionnement effectif de cette formule.
2° LA POLITIQUE DE L'ACCESSIBILITE
Cette politique avait fait dès 1978 l'objet d'une définition précise et ambitieuse. Aux
termes de deux décrets des 1er février et 9 décembre 1978, "est accessible aux personnes
handicapées à mobilité réduite toute installation offrant à ces personnes , notamment à celles
qui circulent en fauteuil roulant, la possibilité de pénétrer dans l'installation, d'y circuler, d'en
sortir dans des conditions normales de fonctionnement et de bénéficier de toutes les prestations
offertes au public en vue desquelles cette installation a été conçue et qui ne sont manifestement
pas incompatibles avec la nature même du handicap". L'insuffisance des résultats n'en est que
plus évidente, en ce qui concerne tant l'accessibilité des transports que celle de la ville et de
l'habitat.
S'agissant de l'accessibilité des transports, la loi d'orientation de 1975 avait déjà prévu que
des dispositions devaient être prises par voie réglementaire pour faciliter le déplacement des
personnes handicapées . Le décret du 9 décembre 1978 précité fixait aux collectivités un délai
de trois ans pour établir des programmes de mise en accessibilité des installations recevant du
public. Dans son rapport public de 1982, la Cour avait déjà relevé les retards observés dans
l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes. En dépit d'un certain nombre de réalisations
intéressantes, des pesanteurs sont demeurées qui n'ont pas contribué à dissiper totalement la
lenteur constatée au début de la décennie.
Par ailleurs, dès le mois d'août 1977 a été institué auprès du Conseil supérieur des
transports des personnes handicapées (COLITRAH) chargé de suivre la réalisation du
programme d'accessibilité et d'établir un compte-rendu annuel. Les missions du COLITRAH
ont été élargies, et sa composition redéfinie, successivement par arrêtés du ministre de
l'équipement en 1984 et 1990. Plusieurs groupes de travail sont chargés d'étudier et de proposer
les mesures à prendre pour l'amélioration des transports et de l'aménagement urbain. Il en a été
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tenu compte dans plusieurs réalisations ou projets comme le lancement du programme
d'autobus à plancher surbaissé, l'intégration du concept d'accessibilité dans les projets EOLE,
METEOR, la desserte de l'aéroport Charles de Gaulle, le tunnel sous la Manche.Les
interventions du COLITRAH comportent aussi la définition de prescriptions concernant les
nouvelles infrastructures de transport et les autobus afin d'en faciliter l'accessibilité.
Pourtant, le COLITRAH lui-même estime que de nombreuses difficultés restent encore à
surmonter concrètement. En particulier, la création de structures de concertation auprès des
collectivités locales n'avance guère. Beaucoup reste à faire également vis-à-vis des usagers et
des personnels des transports, ainsi que dans la formation de ces derniers. Le COLITRAH n'a
été associé que tardivement (1991) à un groupe de travail "pilote" créé en 1990 par le syndicat
des transports parisiens pour améliorer l'information des voyageurs. La mise en oeuvre du
programme lancé en février 1989 sous le nom de "60 mesures pour le transport" est surtout
avancée pour ce qui concerne le réseau ferré. Un certain nombre de mesures, en revanche,
marquent le pas, qui concernent essentiellement les transports individuels, la SNCF et la RATP.
La Cour enregistre néanmoins avec satisfaction qu'une disposition récente, issue de la loi du 27
janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social , permet de sanctionner le stationnement
irrégulier, aux emplacements réservés, des véhicules dépourvus du macaron "grand invalide
civil" (GIC).
En revanche, les deux décrets précités de février et décembre 1978, complétés par un
décret du 4 août 1980, n'ont pas permis de donner une impulsion suffisante à l'accessibilité de la
ville et de l'habitat prévue par l'article 49 de la loi d'orientation.
La création en 1985 des commissions consultatives départementales de la protection
civile, de la sécurité et de l'accessibilité (CCDPCSA), dont les DDASS sont membres, n'a que
peu contribué à l'évolution positive de la situation. Dans la plupart des départements où elle
s'est rendue, la Cour a pu constater que les DDASS n'étaient pas souvent associées aux travaux
des commissions, et que, dans certains départements comme ceux du Haut-Rhin ou du
Morbihan, ces dernières n'étaient même plus réunies depuis plusieurs années. Les
administrations centrales ont elles-mêmes admis cet échec en reconnaissant, dans une circulaire
interministérielle du 28 août 1989 relative à la politique d'accès au logement des personnes
handicapées , que si l'ouverture du cadre de vie et de l'habitat à ces dernières était déjà inscrite
dans les textes, elle ne s'était guère traduite dans les faits, y compris au sein des services publics
- comme on le verra, un cinquième des COTOREP ne dispose toujours pas de locaux
accessibles -. Les CCDPCSA, parfois mises en place tardivement, ne fonctionnent pas toujours
dans des conditions satisfaisantes. La réalisation effective des projets sur lesquels elles sont
appelées à statuer dépend largement du bon vouloir et du dynamisme des collectivités locales.
Quant au plan "ville ouverte" adopté par le conseil des ministres du 21 novembre 1990,
ses ambitions ne se sont encore traduites totalement ni dans le droit positif, ni dans les faits. Au
niveau des principes, il constitue certes un progrès puisque les mesures qu'il comporte
concernent tous les aspects de l'accessibilité et relèvent de différents niveaux normatifs,
certaines d'entre elles ayant d'ailleurs exigé le vote de la loi du 13 juillet 1991 portant diverses
mesures destinées à favoriser l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux d'habitation,
des lieux de travail et des installations recevant du public. Pourtant, les dispositions annoncées,
lorsqu'elles nécessitaient un texte réglementaire, sont loin d'avoir encore été toutes prises.
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B.- DES AIDES FINANCIERES QUI DEVRAIENT ETRE REEQUILIBREES
Indépendamment de la garantie de ressources, gérée par le ministère du travail, qui vise à
donner à la personne handicapée exerçant une activité professionnelle un minimum de
ressources fixé par référence au SMIC et dont le montant varie en fonction des modalités
d'exercice de cette activité, les moyens d'existence des personnes handicapées adultes
s'articulent autour de deux allocations essentielles : l'allocation aux adultes handicapés et
l'allocation compensatrice.
1° LA GARANTIE DE RESSOURCES AUX TRAVAILLEURS HANDICAPES
(GRTH) : UN SYSTEME DE REMUNERATION DU TRAVAIL PEU COMPATIBLE
AVEC L'OBJECTIFDE REINSERTION
25
Dans ses articles 32 à 34, la loi d'orientation du 30 juin 1975 a prévu un dispositif qui
"assure à tout handicapé exerçant une activité professionnelle, quelles qu'en soient les
modalités, une garantie de ressources provenant de son travail". Le système mis en place se
traduit par le versement éventuel d'un complément de rémunération à la charge de l'Etat, qui
vient s'ajouter au salaire direct versé par l'employeur. D'une relative complexité, ce système,
sensiblement modifié par l'un des protocoles d'accord de novembre 1989
26
, s'est finalement
révélé décevant. D'un coût particulièrement élevé, notamment dans les CAT
27
, la GRTH a des
effets qui vont souvent à l'encontre de l'objectif recherché, et les conditions de sa gestion ne
sont pas satisfaisantes.
a) Complexité et ambiguïtés
La GRTH ne concerne, dans les faits, que les travailleurs salariés. Le législateur avait
pourtant prévu que le dispositif s'appliquerait à "tout handicapé exerçant une activité
professionnelle", et l'article 32 de la loi de 1975 indiquait qu'un décret déterminerait les
conditions d'attribution de la prestation aux handicapés non salariés. Ce décret n'est jamais
intervenu : une importante lacune du mécanisme mis en place en 1975 n'a ainsi jamais été
comblée.
S'agissant d'un système de compensation de revenus qui s'inscrit dans la logique du
monde du travail, la GRTH est modulée et varie selon le milieu dans lequel le travailleur
handicapé exerce son activité. Or, si le complément de rémunération versé par l'Etat est fixé de
telle sorte qu'il permet au travailleur handicapé employé en milieu ordinaire ou en AP
d'atteindre, dans tous les cas, le minimum de rémunération prévu par les textes - 100 % du
SMIC en milieu ordinaire et 90 % du SMIC en AP- il n'en va pas de même pour les handicapés
travaillant en CAT. Pour ces derniers, la réglementation a en effet prévu un double système de
plafonnement du complément de rémunération - l'Etat ne verse pas plus de 50 % du SMIC - et
de modulation du salaire direct payé par l'employeur - au minimum 5 % du SMIC - qui aboutit,
bien souvent, à une rémunération globale inférieure au niveau garanti de 70 % du SMIC. Pour
que ce niveau garanti soit effectivement atteint, il faudrait que le salaire direct atteigne 20 % du
SMIC, ce qui est très rare.
25
Voir annexe 9. Dans les développements qui suivent, la garantie de ressources désigne la somme du salaire
direct versé par l'employeur et du complément de rémunération versé par l'Etat.
26) Cf. supra, Ière partie, C, 1° ; p. 34.
27)
En 1983, la GRTH représentait 1,781 milliard de francs, dont 1,610 milliard de francs pour les CAT 103,8
millions de francs pour les AP, 67,7 millions de francs pour le milieu ordinaire de travail. En 1991, elle
atteignait la somme totale de 3,499 milliards de francs, dont 2,980 milliards de francs pour les CAT, 401
millions de francs pour les AP et 117,7 millions de francs pour le milieu ordinaire. Entre 1985 et 1991, la
progression des dépenses en francs courants a été de 49 %, après avoir atteint 263 % entre 1980 et 1985.
Cour des comptes - Rapport public particulier
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olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
140
Les mécanismes de la garantie de ressources n'incitent pas les handicapés à chercher à
rejoindre les structures du milieu ordinaire ; dès lors, il n'est pas surprenant que la masse la
plus importante des dépenses (85 %) concerne les handicapés accueillis dans les CAT.
Quatre raisons expliquent cette situation.
* L'une des principales idées sous-jacentes de la loi d'orientation - celle d'une "carrière
du handicapé" - s'est finalement révélée peu opératoire. Les règles de calcul du complément
de rémunération ne favorisent pas la productivité et poussent au maintien dans les structures
les plus protectrices. En effet, dans le secteur protégé, un système complexe de bonifications
a été mis en place pour tenir compte du travail effectivement fourni par les intéressés et
encourager leur productivité. Ce système vient atténuer le caractère différentiel du
complément de rémunération en permettant au travailleur handicapé dont le salaire direct
dépasse un certain seuil de conserver une partie de ce complément au-delà du minimum
garanti : ainsi la garantie de ressources peut-elle atteindre 130 % du SMIC en AP, et 110 %
du SMIC en CAT. Comme le jeu des bonifications n'existe pas en milieu ordinaire de travail,
où la garantie de ressources ne peut excéder 130 % du SMIC, les handicapés ayant une
activité en milieu protégé ne sont guère incités à rejoindre le milieu ordinaire, en étant
confrontés aux difficultés d'intégration de tous ordres qui les y attendent.
** Le fonctionnement du système de bonification mis en place par les textes, par
ailleurs, est tel que l'augmentation du salaire versé par l'employeur et correspondant à un
accroissement de productivité du travailleur se trouve automatiquement compensée par une
baisse du complément de rémunération, et donc ne se traduit pas pour lui par un supplément
de sa rémunération globale.
Bien qu'à la suite des protocoles d'accord de novembre 1989, deux décrets des 31 mai
1990 et 18 décembre 1991 aient prévu une forfaitisation partielle du complément de
rémunération versé respectivement dans les CAT et les AP afin de limiter les inconvénients
résultant du mécanisme des bonifications, le système continue à s'appliquer au-delà des
limites de la forfaitisation. Dès lors, si l'on suppose que l'augmentation du salaire direct
reflète fidèlement l'effort supplémentaire accompli par le travailleur handicapé , ce dernier,
qui ne reçoit qu'une partie du produit de cet effort, n'a plus aucun avantage à faire en sorte
d'atteindre les performances d'un travailleur valide : contrairement aux objectifs initialement
fixés par le législateur, la garantie de ressources a un effet contre-incitatif pour l'intégration
en milieu ordinaire de travail.
*** En milieu protégé toujours, la faible différence qui sépare les rémunérations
maximales servies aux handicapés les plus productifs dans chaque catégorie d'établissements
- 130 % du SMIC en AP, 110 % du SMIC en CAT - favorise le cloisonnement et freine le
passage des CAT aux AP. De même, les modalités de calcul du complément de rémunération
sont plus favorables en CAT qu'en AP puisque le handicapé est censé avoir travaillé 39
heures dès lors qu'il a respecté l'horaire fixé par le règlement intérieur de l'établissement -
lequel est toujours inférieur à 39 heures - alors que ce complément, en AP, est déterminé en
fonction du nombre d'heures réellement travaillées.
**** La préférence pour le maintien en milieu protégé est accrue par les règles
relatives au plafonnement du cumul des montants de la garantie de ressources et de
l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui sera évoquée ci-dessous. Le cumul entre ces
deux prestations n'a jamais été explicitement exclu puisqu'il n'est pas indiqué dans les textes
que l'AAH s'adresse aux personnes handicapées dans l'incapacité de travailler et la GRTH à
celles qui le peuvent. En pratique, ce cumul s'est développé, notamment pour les handicapés
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olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
141
orientés en CAT, ce qui renforce encore l'intérêt qu'ont les bénéficiaires à demeurer dans le
secteur protégé. Les dispositions qui résultent de l'article 25 de la loi n° 90-86 du 23 janvier
1990 ont cependant pour objectif de limiter les effets antiéconomiques de ce système, mais,
par là-même, l'ont entériné : en effet, cet article, qui complète l'article L 821-1 du code de la
sécurité sociale , prévoit qu'à compter du 1er juin 1990 le cumul des deux avantages est
limité à 100 % du SMIC pour les travailleurs dont le salaire direct est inférieur ou égal à 15
% du SMIC, et à 110 % du SMIC lorsqu'il lui est supérieur. Des dispositions transitoires
permettent le maintien des droits acquis pour les travailleurs handicapés qui bénéficient
pleinement des effets du cumul.
b) Des conditions de gestion contestables
La GRTH est gérée au niveau local par les directions départementales du travail et de
l'emploi (DDTE) et les services départementaux du travail et de la protection sociale agricole
pour les travailleurs employés dans le monde rural. Mais la procédure est liée, en amont, aux
décisions des COTOREP. Or, si celles-ci décident d'orienter un handicapé en CAT, ce sont
les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), chargées de la
tutelle des établissements sociaux et médico- sociaux , qui ont connaissance des entrées et
des sorties, et non les DDTE.
Il en résulte des difficultés d'information pour ces dernières, qui sont chargées de la
liquidation des remboursements aux employeurs des compléments de rémunération versés
par eux aux personnes handicapées - ceux-ci procèdent mensuellement à une avance
remboursable pour le compte de l'Etat - et, fréquemment, des procédures administratives
inutiles (transmission chaque mois à la DDASS par le secrétariat de la COTOREP, de fiches
de renseignements concernant les travailleurs handicapés en CAT qui perçoivent la garantie
de ressources).
L'imprécision de la réglementation et l'insuffisance des moyens dont elles disposent
conduisent les DDTE à se livrer à des contrôles qui restent sommaires sur les modalités de
calcul du complément de rémunération.
Il en est ainsi, notamment, pour la durée du travail accompli. Aux termes d'une
circulaire du 2 février 1980, les travailleurs handicapés sont réputés respecter la durée légale
du travail ; s'ils travaillent une durée inférieure, le calcul de la GRTH est fonction de l'horaire
réellement effectué. Or, l'inspection du travail n'intervient que pour vérifier le respect par les
ateliers protégés de leurs obligations. Les CAT, en revanche, échappent à sa compétence. Si
la Cour a pu constater que, dans certains départements tels que le Haut-Rhin ou le Morbihan,
des enquêtes de fonctionnement étaient menées régulièrement auprès des AP, elle a aussi
relevé que cette pratique n'était pas partout systématique. D'autre part, l'examen des états
justificatifs montre que la durée du travail effectif dans les CAT est particulièrement mal
suivie. Certains établissements se bornent à indiquer la durée légale (169 heures) sans faire
mention des absences ou des temps partiels, la durée légale de travail étant censée respectée
et devenant ainsi la base forfaitaire à partir de laquelle est calculée la rémunération : tel est le
cas du CAT de Vieux (Calvados). D'autres, il est vrai, pour un horaire théorique de 39
heures, ont un souci plus affirmé de réalisme et indiquent clairement que l'horaire maximum
de travail est inférieur et font aussi apparaître les temps partiels. Il en est ainsi au CAT
d'Hérouville-Saint-Clair (Calvados). Une troisième catégorie d'établissements, enfin, se
situent à un stade intermédiaire, tel le CAT "Ateliers les Tilleuls", à Condé-sur-Noireau
(Calvados), qui affiche un horaire plafond de 169 heures, tempéré toutefois par l'indication
de l'absentéisme de ses travailleurs.
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142
Des situations aussi disparates ne peuvent être que difficilement corrigées. Dans la
plupart des cas, la Cour a pu constater que les DDTE se bornaient à vérifier l'exactitude des
calculs effectués par les employeurs. En aval, là encore faute d'informations précises, les
trésoreries générales se livrent à la même opération ; il en résulte que trois intervenants :
employeur, DDTE, trésorerie générale, procèdent successivement aux mêmes calculs sans
qu'aucun contrôle intervienne sur le temps réel de travail.
L'insuffisance, voire, dans certains cas, l'absence de contrôle, touche également le
montant des cotisations sociales que l'Etat rembourse aux employeurs dans des conditions
généralement critiquables. Aux termes de l'article 34 de la loi d'orientation de 1975, "l'Etat
assure aux entreprises et aux organismes gestionnaires des AP, des CDTD et des CAT la
compensation des charges qu'ils supportent au titre de la garantie de ressources et des
cotisations y afférentes". L'article 33 de la même loi rappelle que la GRTH est considérée
comme une rémunération du travail pour l'application de l'article L 120 du code de la sécurité
sociale et des dispositions relatives à l'assiette des cotisations au régime des assurances
sociales agricoles. Des circulaires ultérieures précisent que le complément de rémunération a
un caractère salarial et qu'il est versé au travailleur handicapé en même temps que la
rémunération de son travail, et assujetti aux mêmes cotisations sociales que cette
rémunération.
Des constatations faites sur place, il ressort qu'en raison de l'imprécision de la situation
des travailleurs handicapés, notamment en CAT, les remboursements effectués par l'Etat au
titre des cotisations sociales sont d'une grande diversité, en ce qui concerne tant la nature que
le taux des prélèvements. Les données figurant sur les états justificatifs remplis par les
employeurs ne sont en effet homogènes ni dans le temps pour un même établissement, ni
entre les différents établissements. Certains d'entre eux calculent même systématiquement sur
ces informations erronées les cotisations que l'Etat doit leur rembourser. Il a ainsi été relevé
que les charges sur salaires pour 1992 pratiquées par les seize CAT des Pyrénées-Atlantiques
au titre du complément de rémunération variaient, selon les établissements, à l'intérieur d'une
fourchette allant de 33,18 % à 43,78 % alors que le taux applicable était de 37 %. Le CAT
"ETH Mulhouse", dans le Haut- Rhin, applique au complément de rémunération un taux de
cotisation de 45,40 % et cette erreur perdure sans que les rectifications apportées par la
COTOREP aient un quelconque effet pédagogique. La même situation se retrouve au CAT
"Le Bois Jumel", dans le Morbihan, qui appliquait en août 1992 un taux de 39,20 % ou à
celui d'AFA/ACR, dans le Val-de- Marne, qui pratiquait au quatrième trimestre 1990 un taux
de cotisations sociales de 44,48 %.
De telles incohérences sont souvent explicables. C'est ainsi que certaines cotisations
qui ne devraient pas être prises en comptes dans les CAT, telles que la participation à l'effort
de construction ou à la formation professionnelle continue, figurent néanmoins sur les états
justificatifs mensuels de la GRTH établis par le centre d'enregistrement et de révision des
formulaires administratifs (CERFA), et que les employeurs, en présence d'un imprimé
officiel, ont naturellement tendance à le remplir. Il est fréquent par ailleurs, comme cela a été
observé dans les Pyrénées-Atlantiques, que les demandes réitérées des DDTE à
l'administration centrale pour clarifier la prise en charge de certaines cotisations restent sans
réponse, avec toutes les incertitudes et les erreurs qui peuvent résulter d'une absence de
directives.
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143
La Cour a enfin relevé que la circulaire n° 8/83 du 31 janvier 1983, dite "circulaire Le
Garrec", énumérant la liste des charges patronales à inclure dans le calcul de la garantie de
ressources, précisait que les remboursements afférents aux compléments de rémunération
versés en CAT ne portaient que sur les cotisations de sécurité sociale , d'accidents du travail
et de retraite complémentaire au taux minimum obligatoire, mais ne résolvait pas le problème
en AP et en milieu ordinaire.
Depuis lors, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont été conduits, de leur côté, à
préciser les dispositions de la loi. Dans un avis du 16 avril 1985, le Conseil d'Etat a
clairement indiqué que si la rémunération versée par l'employeur, en contrepartie du travail
effectué, aux travailleurs handicapés accueillis en CAT a le caractère d'un salaire, et est donc
assujettie, notamment, aux cotisations en matière de formation professionnelle et d'effort de
construction prévues respectivement par l'article L 950-1 du code du travail et par l'article L
313-1 du code de la construction, en revanche, le complément de rémunération pris en charge
par l'Etat ne peut être regardé comme un salaire et n'entre donc pas dans le champ des articles
précités. Le même avis précise que les cotisations de retraite complémentaire versées doivent
être calculées sur la base du taux minimum obligatoire et que l'Etat ne peut dès lors être tenu
de rembourser celles qui seraient versées à un taux supérieur. La Cour de Cassation, quant à
elle, dans un arrêt rendu le 13 décembre 1990, a confirmé que le complément de
rémunération n'était pas une contrepartie directe du travail.
En ne prenant pas acte des éléments résultant de la jurisprudence, et en n'adoptant pas
les textes réglementaires conformes à l'interprétation des tribunaux, l'Etat accepte de
supporter des charges indues dont le montant est loin d'être négligeable. A partir d'une
expertise portant sur les liquidations du mois de mars 1991 et concernant 987 CAT sur les 1
038 inscrits au fichier national des établissements sanitaires et sociaux (FINESS), les services
de la délégation à l'emploi ont évalué que 82 % des établissements concernés se voyaient
rembourser par l'Etat des charges patronales payées à tort, pour un montant annuel de 36,7
millions de francs. Selon la même étude, l'Etat remboursait un taux moyen de charges de
42,44 %, alors qu'il devrait être de 36,55 %. Les anomalies les plus fréquemment observées
concernent les taux de retraite complémentaire, l'assurance chômage, la taxe sur les salaires,
et, dans une moindre mesure, le versement transport, la cotisation pour la médecine du travail
ou le prélèvement servant à financer les oeuvres sociales du comité de l'établissement. La
remise en ordre de cette partie des remboursements effectués par l'Etat est d'autant plus
indispensable qu'elle ne nuit ni au travailleur handicapé, ni à l'établissement qui l'emploie, et
qu'elle constitue la suite logique d'une analyse effectuée par le ministère lui-même il y a
maintenant près de deux ans mais dont il n'a été tiré, depuis, aucune conclusion.
L'ALLOCATION
AUX
ADULTES
HANDICAPES
(AAH)
:
UNE
PRESTATION DE PLUS EN PLUS FREQUEMMENT DETOURNEE DE SON BUT
28
L'ouverture des droits à l'AAH est subordonnée soit à la reconnaissance d'une
incapacité d'au moins 80 % appréciée selon le barème du code des pensions militaires
d'invalidité et des victimes de guerre (article 35-I de la loi de 1975), soit à la reconnaissance
par la COTOREP d'un handicap empêchant la personne handicapée de se procurer un travail
(article 35-II de la même loi).
28) Voir annexe 10.
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144
L'attribution de l'AAH (dont le taux plein était de 3 090 francs au 1er juillet 1992) est
soumise en outre à un plafond de ressources égal au minimum vieillesse ; la prestation,
réduite soit en raison du dépassement du plafond, soit d'un cumul avec un avantage de
vieillesse ou d'invalidité, a de ce fait un caractère subsidiaire par rapport aux autres
ressources du demandeur.
Reposant sur une réglementation extraordinairement lourde et complexe (paiement par
les caisses d'allocations familiales et remboursement par l'Etat) qui pèse sur la gestion des
organismes liquidateurs, l'AAH connaît un succès d'autant plus inquiétant que les dérives
d'attribution de la prestation sont nombreuses.
a) Le succès de l'AAH
Le succès de l'AAH se mesure à travers quelques chiffres : les bénéficiaires de la
prestation sont passés de 122 000 en 1976, première année d'entrée en vigueur de l'AAH, à
471 000 en 1983, soit une multiplication de 3,8 en huit ans ; après avoir stagné en 1984 et
1985, les effectifs ont repris leur progression à partir de 1986, année à compter de laquelle
l'augmentation annuelle des bénéficiaires semble s'être stabilisée autour de 3 %. Ce
phénomène est d'ailleurs assez largement le fait du régime général, les effectifs des autres
régimes tendant à évoluer de manière inégale et irrégulière vers la baisse. Dans le milieu
agricole, les allocataires de l'AAH connaissent une assez grande stabilité - de l'ordre de 40
000 personnes -.
La répartition géographique des bénéficiaires est relativement contrastée et fait
nettement apparaître des régions à forte proportion d'allocataires dans la France du centre et
de l'ouest, qui s'opposent à d'autres zones où cette proportion est moyenne ou faible, comme
le bassin parisien, l'est et le sud-est du pays. Cette opposition qui renvoie à celle, globale,
entre l'ouest rural et plus pauvre et l'est de la France, plus actif et urbanisé, conduit à
s'interroger sur le point de savoir s'il n'y a pas là un indice de la dérive de l'AAH, dont
l'attribution serait de plus en plus la réponse à une demande de minimum de ressources et de
couverture sociale , et non la compensation d'un handicap médicalement reconnu.
En francs courants, les dépenses de l'AAH ont triplé de 1976 - 518 millions de francs -
à 1989 - 14 805 millions de francs -. La croissance globale, plus forte que la progression du
nombre des allocataires, est due à une revalorisation des plafonds de ressources par rapport à
la hausse des prix, qui a eu pour conséquence, à défaut d'augmenter la prestation individuelle,
d'octroyer l'AAH à un nombre plus important de handicapés. Cette revalorisation a été
associée à une augmentation du pouvoir d'achat de la prestation entre 1980 et 1992, étant
précisé comme le montre le tableau ci-dessous que la baisse relative en francs constants
observée depuis 1984 a été précédée d'une très forte progression de l'allocation en 1981 et
1982 (en moyenne 30 % chaque année). La Cour a, par ailleurs, pu constater, à travers
l'examen d'un certain nombre de situations individuelles, que la croissance des dépenses de
l'AAH assurait parfois aux bénéficiaires un niveau de ressources qui ne relève plus d'une
logique de minimum social : dans certains cas en effet (notamment lorsque la prestation est
versée à deux conjoints), le montant total des ressources peut n'être pas négligeable, ce qui
conduit à nuancer les appréciations critiques portées par certaines associations sur le taux de
l'AAH.
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145
MONTANT MENSUEL DE L'AAH AU 1ER JUILLET DE L'ANNEE (TAUX PLEIN)
: Année : AAH
: F. courants : Prix
: F. constants :
------------------------------------------------------
:
1980 : 1 300 :
100
: 100
:
100
:
:
1981 : 1 700 :
131
: 113,4 :
115,3
:
:
1982 : 2 125 :
163
: 126,8 :
128,7
:
:
1983 : 2 297 :
177
: 139
:
127,1
:
:
1984 : 2 388 :
184
: 149,3 :
123
:
:
1985 : 2 539 :
195
: 158
:
123,6
:
:
1986 : 2 586 :
199
: 162,2 :
122,6
:
:
1987 : 2 658 :
204
: 167,3 :
122,2
:
:
1988 : 2 762 :
212
: 171,8 :
123,7
:
:
1989 : 2 832 :
218
: 178
:
122,4
:
:
1990 : 2 931 :
225
: 184
:
122,5
:
:
1991 : 3 005 :
231
: 189,9 :
121,7
:
:
1992 : 3 090 :
238
: 192,6 :
123
:
Source : Direction de la Sécurité sociale
b) Les dérives de l'AAH
Les dérives d'attribution de la prestation sont nombreuses, et trouvent leur origine,
d'une part, dans une mauvaise articulation de l'AAH avec, notamment, le régime de
l'invalidité de la sécurité sociale et, d'autre part, dans les conditions d'application de l'article
35-II de la loi du 30 juin 1975.
La procédure qui subordonne l'ouverture des droits à l'AAH à une décision de la
COTOREP est à l'origine d'une grande différence de traitement entre handicap et invalidité.
En effet, l'appréciation de cette dernière appartient au médecin conseil des caisses primaires
d'assurance maladie. Celui-ci qualifie la capacité de l'intéressé à maintenir ses gains
professionnels en fonction d'une appréciation globale tenant compte de l'incapacité physique
et de l'activité antérieure. En revanche, la détermination du taux d'incapacité permanente est
laissée à l'appréciation de la COTOREP, qui se prononce après instruction par une équipe
technique à dominante médico- sociale et selon un barème établi en 1924 pour les blessés et
victimes de guerre, sur l'inadaptation duquel on reviendra ultérieurement.
La logique de l'invalidité conduit donc à apprécier une perte de capacité de gain, tandis
que celle de la COTOREP cherche à déterminer un taux de handicap. Il est, dans ces
conditions, fréquent que deux personnes souffrant d'une incapacité identique la voient
qualifier par deux instances distinctes selon deux séries de critères différents, alors qu'elle a
pourtant les mêmes effets sociaux et professionnels. Cette divergence se trouve encore accrue
du fait du caractère inadapté du barème de 1924 compte tenu des progrès de la médecine, de
l'amélioration des appareillages et de l'apparition de nouvelles pathologies. Il en résulte une
disparité d'application au sein des différentes COTOREP, d'un département à l'autre.
Comme, d'autre part, le montant des ressources totales d'un handicapé percevant l'AAH
dépasse souvent, à situation comparable, celui d'un invalide percevant l'allocation
supplémentaire du fonds national de solidarité, le titulaire d'une pension d'invalidité peut, s'il
se voit reconnaître le statut de handicapé par la COTOREP, combler cette différence de
ressources par l'attribution d'une AAH différentielle. Le même système joue pour les
titulaires du minimum vieillesse.
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Novembre 1993
146
Les inconvénients résultant de cette situation sont importants.
En premier lieu, les objectifs de la loi de 1975 sont détournés. Du fait de leurs
conditions d'attribution plus favorables, les prestations non contributives de la loi
d'orientation sont fréquemment accordées, soit en complément, soit à la place des prestations
contributives
29
de l'assurance-invalidité, notamment dans les cas où l'assuré social ne
satisfait pas aux conditions administratives relatives à la durée d'immatriculation, ou
d'activité antérieure, ou encore lorsque la pension d'invalidité a été refusée. L'AAH cesse
alors d'être le minimum de ressources réservé aux personnes handicapées dépourvues d'une
couverture sociale pour devenir un complément - voire un substitut - à une pension
d'invalidité. Ce détournement d'objet profite à ceux dont les ressources sont les plus
importantes, celles-ci étant neutralisées dans l'AAH par le jeu de déductions et abattements
divers. Autrement dit, l'AAH favorise les personnes disposant de ressources propres et le
caractère redistributif de l'allocation s'exerce ainsi à l'envers.
En second lieu, la multiplication des AAH différentielles, qui sont nécessairement d'un
faible montant tout en constituant un complément de ressources appréciable pour les
bénéficiaires, comporte de graves inconvénients pratiques. Puisque deux dispositifs
d'appréciation de l'incapacité sont sollicités, les intéressés sont conduits à accomplir des
démarches administratives supplémentaires. Les COTOREP sont encore davantage
encombrées. Les coûts de gestion des caisses d'allocations familiales, chargées de payer la
prestation, sont alourdis. La distinction entre invalidité et handicap est obscurcie en raison du
cumul des avantages relevant des deux régimes et de l'attractivité du dispositif de l'AAH pour
les titulaires d'une pension d'invalidité d'un montant inférieur au minimum vieillesse, soit
environ 130 000 personnes sur un total de 430 000.
Ces inconvénients devraient conduire, selon la Cour, à rechercher une harmonisation
des conditions d'attribution de l'AAH et du minimum d'invalidité, éventuellement par une
prise en compte du revenu brut global de l'allocataire, avant déduction des frais
professionnels et avant abattements.
Les dérives de l'octroi de la prestation s'observent également à travers les conditions
d'application de l'article 35-II de la loi de 1975 prévoyant que l'AAH peut être attribuée à une
personne qui ne peut se procurer un travail du fait de son handicap. Les pouvoirs publics ne
se sont pas donné les moyens - statistiques, notamment - d'apprécier de manière précise
l'évolution des attributions de l'AAH au titre de cet article. La Cour a en effet constaté que,
pour pallier les effets des difficultés de l'économie française, notamment en matière d'emploi,
un certain nombre de COTOREP ouvrent des droits à l'AAH au titre de l'article 35-II à des
personnes dans l'impossibilité de se procurer un emploi du fait du chômage et non de leur
handicap. Si certaines COTOREP affirment se montrer très strictes quant à l'appréciation de
la nature du handicap, comme c'est le cas en Maine-et-Loire, d'autres admettent que les
dérives en direction des handicapés " sociaux " sont incontestables, du fait notamment de la
prise en compte, au titre du handicap, de l'alcoolisme chronique ou de la toxicomanie. Il en
va ainsi, notamment, dans le Doubs, mais aussi en Lozère où la COTOREP accorde
volontiers des AAH sociales à des personnes dont le taux de handicap ne justifie pas
nécessairement cette attribution - par exemple, octroi d'une AAH à 80 %, renouvelée à 70 %
pour permettre à un jeune amputé de la main de suivre un stage de formation non rémunéré -
29)
Les prestations contributives sont celles qui ont pour fondement une perception préalable de cotisations de
sécurité sociale.
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Novembre 1993
147
ou encore dans les Pyrénées-Atlantiques, où les handicapés sociaux représentent environ 10 à
20 % de la clientèle de la COTOREP locale. Cette dernière ne paraît pas en mesure de
décourager cette tendance et n'a pas hésité, par exemple, à attribuer l'AAH à 50 % d'invalidité
pour une durée de trois ans à une personne reconnue inapte à l'exercice d'un travail
rémunérateur, alors que la même COTOREP avait préalablement rejeté par trois fois la
demande d'AAH de l'intéressé à un taux inférieur. Ces exemples montrent qu'ont tendance à
être mis sur le même plan l'exclusion sociale et le handicap alors que, depuis 1988 à tout le
moins, le revenu minimum d'insertion est spécifiquement prévu pour apporter une réponse à
la première.
Dans le domaine agricole, tout particulièrement, l'article 35-II est d'application
ambiguë. C'est ainsi qu'au début des années 1980, les COTOREP ont accueilli favorablement
des demandeurs d'AAH qui conservaient la qualité de chef d'exploitation ou de conjointe
participant aux travaux de l'exploitation, au titre de l'article 35-II de la loi qui suppose
pourtant l'impossibilité de se procurer un emploi du fait du handicap. En 1983, le ministère
de l'agriculture a tenté de mettre fin à cette pratique en précisant que les CMSA devaient
notifier des rejets d'AAH aux bénéficiaires, toujours en activité, des décisions prises à ce
titre. Mais, à la suite des refus opposés par les caisses à partir de 1984, un important
contentieux s'est développé, que la Cour de cassation a tranché dans deux arrêts du 15 juin
1988 aux termes desquels les CMSA ne sont pas fondées à suspendre une AAH accordée par
la COTOREP en cas de maintien d'activité. Sur instruction du ministère de l'agriculture,
intervenue à la suite de cette jurisprudence, les CMSA doivent désormais soit saisir la
commission régionale agricole d'invalidité et d'inaptitude au travail et, en appel, la
commission nationale technique, soit demander à la COTOREP la révision de l'AAH pour
modification de l'incapacité de l'allocataire en cas de reprise d'activité postérieure à
l'attribution de l'allocation. Compte tenu des délais de jugement des commissions régionales
agricoles et de ceux des COTOREP, cette procédure très lourde expose les organismes
concernés à des actions de reversement d'indus difficiles à gérer.
Le retour aux principes de la loi d'orientation suppose qu'il soit mis fin à l'extension du
champ d'application de l'AAH au-delà de la population qu'elle vise : or, le nombre des
bénéficiaires de l'AAH a augmenté de 40 % entre 1980 et 1990 et un tiers d'entre eux est
admis au titre de l'article 35-II. Il appartient aux pouvoirs publics d'en tirer les conséquences.
c) La gestion de l'AAH
La gestion de l'AAH par les caisses d'allocations familiales appelle, quant à elle, des
observations sur lesquelles la Cour croit utile d'insister.
D'abord, l'information qui, en la matière, est souvent tardive, est diffusée selon des
circuits peu satisfaisants et fréquemment appliquée à des dates différentes.
La plupart des instructions ministérielles sont communiquées sous forme de lettres à la
caisse nationale d'allocations familiales qui les adresse aux caisses de base, avec
généralement une annexe technique. La CNAF tient également à jour un "suivi législatif" qui
explicite tous les points de réglementation et de procédure avec, le cas échéant, leur
interprétation.
Pour le régime agricole, le circuit est complexe puisque les instructions sont adressées
par le ministère des affaires sociales à celui de l'agriculture qui informe ensuite les CCMSA-
auxquelles, toutefois, le "suivi législatif" de la CNAF n'est pas diffusé - à charge pour elles
de les transmettre aux caisses locales. Les délais sont souvent longs.
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148
La gestion de l'AAH suppose donc une coordination entre divers organismes qui est
loin d'être toujours réalisée même si la Cour a pu constater que, dans certains départements,
comme le Nord, les relations entre la CAF et ses divers partenaires - DDASS, CPAM,
ASSEDIC - étaient satisfaisantes.
La mise en place de la réforme du cumul de l'AAH et de la garantie de ressources
(GRTH) est un autre exemple des défaillances de l'information entre les CAF, les DDTE et
les CAT. Indépendamment des problèmes d'ordre réglementaire qu'elle soulève et qui seront
abordés ultérieurement, cette réforme a révélé, à travers le recensement des travailleurs
handicapés admis en CAT, que les CAF ignoraient généralement que leurs allocataires
étaient admis au bénéfice de la garantie de ressources. Une telle situation aurait dû, en tout
état de cause, être prise en compte rétroactivement, donner lieu à de nouvelles évaluations
des ressources et provoquer des rappels d'indus dans la limite de la prescription biennale. Par
lettre du 31 mai 1990, le directeur de la sécurité sociale soulignait que la responsabilité
d'informer les CAF de l'entrée dans le dispositif de la GRTH incombait à la DDTE et qu'en
conséquence, les allocataires ne pouvant être tenus pour responsables, il n'y avait pas lieu de
rappeler les indus. Ceux-ci sont estimés par la CNAF à un montant variant de 800 francs à 1
400 francs par mois et par allocataire. La décision du directeur de la sécurité sociale est,
certes, équitable à l'égard des allocataires ; elle n'exonère pas pour autant les services
extérieurs de leur responsabilité.
La gestion de l'AAH se trouve affectée également par les difficultés issues de la
réforme du guichet unique. Celle-ci est pourtant positive en soi. Afin de simplifier les
démarches et les circuits d'instruction, une circulaire de la délégation à l'emploi du 24 mars
1988 a prévu la refonte des documents remplis par les personnes handicapées , qui
composent désormais le dossier de base des intéressés, et la mise en place d'un guichet
unique, la COTOREP devenant le seul interlocuteur de la personne handicapée , alors
qu'antérieurement les dossiers étaient répartis entre trois organismes : COTOREP pour la
demande d'admission, CAF ou CMSA pour la demande d'AAH, DDASS pour la demande
d'aide sociale . La COTOREP se voit ainsi confier, outre un rôle de filtrage, une mission
d'accueil et d'information des usagers. Elle est conduite à se prononcer la première sur
l'ensemble des demandes formulées par la personne handicapée avant de notifier ses
décisions aux organismes concernés. Cette nouvelle procédure signifie que les conditions
administratives d'attribution de l'allocation de l'AAH ne sont vérifiées par les CAF ou les
CMSA, dont c'est la responsabilité, que postérieurement aux décisions favorables prises par
la COTOREP au plan médical.
L'examen des applications pratiques du système du guichet unique a fait ressortir
plusieurs effets négatifs.
En premier lieu, comme la circulaire précitée du 24 mars 1988 instituant la réforme n'a
pas précisé le moment auquel elle devenait applicable, les COTOREP l'ont mise en oeuvre à
des dates différentes, en fonction de l'épuisement des stocks des anciens imprimés.
En second lieu, la date d'effet du droit étant désormais fixée à la date de réception de la
demande à la COTOREP et non plus à celle du dépôt dans une CAF ou une CMSA, on
pouvait en escompter une réduction des délais d'instruction. En fait, il n'en a pas été ainsi.
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149
Il est en effet difficile de concevoir qu'une personne handicapée , informée par la
COTOREP qu'elle remplit médicalement les conditions d'éligibilité à l'AAH, puisse
apprendre de la CAF ou de la CMSA, plusieurs mois plus tard, qu'il n'en est pas de même
pour les conditions administratives et que l'allocation lui est, en conséquence refusée. Aussi
la Cour a-t-elle constaté que le système du guichet unique faisait l'objet d'une application très
inégale. Strictement respecté dans le Maine-et-Loire et dans le Rhône, il conduit souvent à
une surcharge de travail de la COTOREP et, par voie de conséquence, à un allongement des
délais d'instruction. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la Lozère ou le Nord, il n'est pas mis en
oeuvre, les responsables de la gestion de l'AAH dans ce dernier département le considérant
comme "non viable". Dans le Doubs, il n'a même pas été mis en place, à la demande expresse
de la COTOREP. Dès lors, l'un des objectifs de la réforme - le raccourcissement des délais -
est resté lettre morte. Les départements du Haut-Rhin et du Morbihan, en revanche, ont mis
au point une procédure permettant de préserver les avantages que le guichet unique avait
voulu instituer, en prévoyant un dispositif d'instruction simultanée des dossiers par la
COTOREP et par la CAF ou la CMSA, et un échange d'informations entre ces différents
organismes. Il semble que cette procédure, qui permet une analyse parallèle des droits
administratifs et des droits médicaux, va dans la bonne direction et mériterait d'être
généralisée. Les CCMSA, pour leur part, proposent que l'imprimé de notification des
décisions comportant deux parties, l'une à remplir par la COTOREP, l'autre par la CMSA,
soit adressé à l'allocataire dès lors que les deux organismes ont statué sur son cas.
L'ALLOCATION
COMPENSATRICE
(AC)
:
UNE
PRESTATION
DAVANTAGE ORIENTEE VERS LA VIEILLESSE QUE VERS LE HANDICAP
Selon les enquêtes menées par les chambres régionales des comptes à la demande de la
Cour, les conditions d'attribution et de gestion de l'allocation compensatrice, dont la prise en
charge relève désormais de l'aide sociale départementale, n'apparaissent pas plus
satisfaisantes que celles concernant l'AAH. Cette situation est d'autant plus préoccupante que
la dépense est, là encore, en forte croissance.
Créée par l'article 39 de la loi d'orientation de 1975 en vue de favoriser le maintien à
domicile, l'AC, qui remplace, en les fusionnant, deux anciennes prestations - la majoration
pour aide constante d'une tierce personne (décret du 15 mai 1961) et l'allocation de
compensation aux grands infirmes travailleurs (décret du 6 novembre 1962) - peut être servie
à toute personne handicapée ne bénéficiant pas d'un avantage analogue au titre d'un régime
de sécurité sociale , lorsque son taux d'incapacité, reconnu par la COTOREP, est égal ou
supérieur à 80 % et que, soit son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les
actes essentiels de la vie, soit son activité professionnelle lui impose des frais
supplémentaires.
a) Le succès de l'AC
Selon les statistiques du ministère des affaires sociales , le nombre des bénéficiaires de
l'AC est passé de 150 000 en 1984 à 216 000 en 1991, soit une progression annuelle de 6 %
en moyenne. Il s'agit majoritairement de femmes dès l'âge de 30 ans, caractéristique qui
s'accentue fortement après 60 ans, compte tenu de l'espérance de vie. Parallèlement, le
nombre de bénéficiaires de l'AC âgés de moins de 30 ans est plus faible dans les
départements ruraux que dans les départements urbains, alors que la tranche d'âge de plus de
60 ans est sur-représentée dans le secteur rural.
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Novembre 1993
150
Les dépenses de l'AC, qui étaient de 4,4 milliards de francs en 1984, ont atteint en francs
courants 7,1 milliards en 1991 avec une augmentation annuelle moyenne de 8,6 %. En francs
constants, la progression a été de 12,3 % entre 1984 et 1989 alors que, dans le même temps, les
dépenses totales d'aide sociale diminuaient de 3,6 %. Ce rapprochement traduit l'ampleur du
redéploiement auquel les dépenses d'aide sociale départementales ont été soumises au profit de
l'AC. Dans le même temps, en effet, les dépenses consacrées aux personnes âgées ont diminué,
en francs constants, de 24,2 %. Ce transfert est le signe manifeste de la dérive de l'AC vers les
personnes âgées dont elle devient la prestation prioritaire au détriment des autres formes d'aide
prévues.
b) Les dérives de l'AC
On relève tout d'abord que l'AC pour frais professionnels supplémentaires est à peu près
totalement ignorée. A travers les données disponibles communiquées par les chambres
régionales des comptes, le nombre de bénéficiaires de cette prestation est, dans certains
départements, inférieur à la dizaine. Dans les autres, la distribution de cette prestation reste
marginale et les statistiques disponibles pour la période 1986-1992 ne permettent pas de
discerner un développement notable. Si par exemple il y a une augmentation sensible du
nombre des allocataires entre 1987 et 1992 dans les Hauts-de-Seine (ce nombre passant de 75 à
115), cette situation reste exceptionnelle et la tendance, dans la plupart des départements, est
plutôt à la stagnation.
Il ressort par ailleurs des enquêtes menées par les chambres régionales des comptes que
l'AC est accordée essentiellement à des personnes âgées. En 1986, cinq régions comptaient une
proportion d'allocataires de plus de 60 ans inférieure à 50 %, six se situaient entre 50 et 60 %,
trois entre 60 et 70 % et trois entre 70 et 80 %. En 1991, une seule région - l'Ile-de-France -
relevait de la première catégorie, une - l'Alsace - de la seconde, neuf de la troisième et huit de la
quatrième. La progression du nombre d'allocataires de plus de 60 ans au cours de la période
considérée est spectaculaire dans certaines régions : de 53 à 64 % dans le Centre. Au plan
général, les estimations ministérielles évaluent à 65 % le nombre de bénéficiaires de l'AC âgés
de plus de 60 ans en 1991, contre seulement 51 % en 1984.
Au sein de chaque région, les disparités départementales peuvent être importantes. En
Aquitaine, par exemple, qui se situe dans la fourchette comprise entre 70 et 80 %, le
département des Landes compte une proportion de 91,47 % de bénéficiaires de l'AC âgés de
plus de 60 ans.
Cette situation résulte essentiellement du fait que le système de la majoration pour tierce
personne (MTP) du régime de la sécurité sociale est beaucoup plus restrictif, dans les
conditions qu'il implique pour y être admis (importance de l'avis médical) et maintenu
(cessation du droit à l'âge de 60 ans), que celui de l'AC (décision de la COTOREP, c'est-à-dire
d'une instance où le médecin est minoritaire, prolongation du droit après 60 ans). Il en résulte
un transfert de bénéficiaires de la MTP vers l'AC et une situation de concurrence entre deux
aides aux finalités différentes, avec un afflux de demandes en faveur de la prestation la plus
favorable, ce qui vide de leur contenu les objectifs initiaux de chacune d'elles.
Financièrement, cette évolution conduit à un transfert d'un autre ordre dans le cadre du
partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales : le budget de la sécurité
sociale en bénéficie aux dépens du budget des départements, qui estiment aujourd'hui être les
victimes d'une situation qu'ils ne maîtrisent pas. Aussi certains départements, tels l'Allier ou le
Puy-de-Dôme, demandent-ils aux personnes handicapées qui sollicitent une allocation
compensatrice de déposer une demande préalable de majoration pour tierce personne auprès de
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151
la sécurité sociale , et leur imposent-ils de ce fait une procédure supplémentaire, qui n'est pas
prévue par les textes réglementant l'allocation compensatrice. Ils justifient cette exigence par le
caractère subsidiaire des dépenses d'aide sociale et par les conséquences financières pour les
budgets départementaux d'une absence de maîtrise des demandes d'AC : le président du conseil
général du Puy-de-Dôme estime, pour sa part, que cette pratique est de bonne gestion. Selon le
président du conseil général de l'Allier, le budget primitif de ce département pour 1993 a
progressé, au seul titre de l'allocation compensatrice, de 11 millions de francs par rapport à
celui de 1992, soit l'équivalent de 2,75 points de fiscalité supplémentaire. Dans le Nord, les
services du département ont fréquemment contesté depuis 1984 les décisions de la COTOREP,
déclenchant ainsi un important contentieux et provoquant des relations difficiles entre le
département et les services extérieurs de l'Etat. La présence d'un médecin du conseil général,
avec voix consultative, aux réunions de la COTOREP a permis récemment de mettre un terme à
cette situation conflictuelle.
Conséquence plus grave, le système de l'allocation compensatrice conduit, dans la
pratique, à des distorsions de situations et, notamment, favorise les personnes âgées hébergées,
ce qui va à l'encontre de ce qui avait motivé sa création, à savoir le maintien à domicile.
La jurisprudence et la réglementation postérieures à la loi de 1975 ont en effet défini un
cadre qui à la fois manque de cohérence et ne correspond plus aux buts fixés initialement par le
législateur. C'est ainsi que la jurisprudence a admis que l'AC ne pouvait être réduite lorsque les
personnes handicapées étaient placées en centre de rééducation professionnelle ou en CAT ne
fonctionnant pas en internat, mais qu'elle pouvait l'être en cas de placement en foyer
occupationnel pendant la journée (décision rendue le 16 octobre 1986 par la commission
centrale d'aide sociale ). Elle a également consacré la règle du versement de l'AC même lorsque
la personne concernée est hébergée en centre de long séjour ou en maison de retraite (Conseil
d'Etat, 20 mars 1985), ces types d'établissement devant être considérés comme relevant de
l'hébergement et non des soins. Dans un département comme le Maine- et-Loire, cette situation
a conduit à une augmentation de 66,5 % du nombre des AC attribuées par la COTOREP entre
1990 et 1991.
Ces interprétations jurisprudentielles ont des conséquences sérieuses. Elles supposent en
effet que l'AC doit être versée aux personnes hébergées en établissements, que ces derniers
soient ou non destinés à accueillir des handicapés dont l'état nécessite l'aide d'une tierce
personne .
Par ailleurs, l'allocation compensatrice n'est suspendue ou réduite que si le bénéficiaire
hébergé est pris en charge totalement ou partiellement par l'aide sociale , ce qui est
généralement le cas des personnes handicapées . En revanche, les personnes âgées ne relevant
pas de l'aide sociale ou hébergées dans un établissement non habilité à recevoir des
bénéficiaires de l'aide sociale continuent à la percevoir dans son intégralité. Autrement dit, c'est
la confusion entretenue sur le terme d'"hébergement", conçu en 1975 comme devant s'appliquer
aux établissements pour handicapés adultes, mais dont le sens a été étendu aux établissements
pour personnes âgées, qui permet le renversement des objectifs initiaux de la loi. En profite, de
surcroît, une population différente, pour partie, de la population initialement visée, savoir toutes
les personnes âgées dépendantes, et non seulement les adultes handicapés actifs ou ayant vieilli.
Le risque n'est au surplus pas négligeable de voir favoriser plutôt des personnes ayant des
revenus propres importants que celles qui en sont dépourvues.
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Ces déviations font l'objet, de la part des départements, de critiques sévères.
En premier lieu, la justification de l'assistance d'une tierce personne est délicate dans le
cas de handicapés hébergés et ne relevant pas de l'aide sociale , sauf dans le cas où une
facturation spécifique "d'aide à la personne " est pratiquée par l'établissement. Il en résulte des
inégalités flagrantes entre des personnes d'état physique, psychique et financier comparable
selon qu'elles demeurent à domicile soit en rémunérant effectivement un tiers, soit sans
rémunérer quiconque, ou qu'elles résident en établissement soit avec prise en charge par l'aide
sociale , soit en rémunérant directement ou indirectement un tiers extérieur, soit sans prise en
charge par l'aide sociale et sans rémunération d'un tiers extérieur.
En second lieu, la pression financière qui s'exerce sur l'AC du fait des conséquences de la
jurisprudence précitée n'a évidemment pas été prévue au moment du transfert des ressources de
l'Etat aux collectivités territoriales dans le cadre du partage des compétences, et les
départements s'estiment aujourd'hui victimes d'une évolution sur laquelle ils sont sans moyen
d'intervention.
En troisième lieu, les mécanismes d'octroi de l'AC sont affectés par le caractère devenu
anachronique de la réglementation de l'aide sociale pour les personnes âgées. La logique de
l'aide sociale repose en effet sur un critère de ressources, celle de l'AC sur un critère médical de
besoin d'assistance. A partir du moment où le second peut se substituer aisément au premier, il
est clair que l'aide sociale se trouve vidée de toute portée. L'élargissement du champ de l'AC
vers les personnes âgées et les facilités ouvertes par la jurisprudence se sont conjugués pour
créer de fait une situation de concurrence entre deux aides aux finalités et avantages respectifs
trop différents pour ne pas provoquer un afflux de demandes en faveur de la prestation la plus
favorable.
En dernier lieu, les dérives constatées ont des conséquences non négligeables dans le cas
d'hébergement en établissements privés non conventionnés. Ceux-ci, en effet, ne sont pas
habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale . Leur régime financier est défini par la loi
du 6 juillet 1990 qui prévoit un système contractuel destiné à favoriser le développement de
nouvelles formes d'accueil pour les personnes âgées dépendantes solvables. Dès lors, le
versement de l'AC, prestation d'aide sociale , pour permettre ou faciliter le paiement de frais de
séjour dans ces établissements constitue un détournement de la réglementation, le conseil
général finançant indirectement, par le biais de l'allocation, des établissements sans disposer
d'un réel pouvoir de contrôle sur la qualité des prestations fournies, en soins comme en
hébergement.
Il apparaît ainsi que l'AC sert non seulement de complément de ressources, dans des
conditions plus favorables que l'aide sociale aux personnes hébergées, alors qu'à l'origine il
s'agissait d'une allocation affectée à la prise en charge d'une tierce personne , mais également
qu'elle peut servir de substitut au forfait-soins pour les établissements, compte tenu de
l'insuffisance de la revalorisation de ce forfait depuis de nombreuses années. Aussi certains
départements ont-ils été conduits à mettre en place diverses pratiques en contradiction avec la
jurisprudence administrative pour limiter les dérives d'application de l'AC. Tel est le cas,
notamment, dans le Lot ou dans l'Ardèche où l'allocation est suspendue dès lors que le
bénéficiaire est hébergé
30
ou encore dans la Haute-Garonne où la COTOREP elle-même
pratique un abattement de 40 à 50 % sur le taux de l'allocation pour toute personne placée en
établissement.
30) En Ardèche, l'allocation n'est suspendue qu'en cas de "non-effectivité" d'une aide extérieure à
l'établissement et étrangère aux prestations d'hôtellerie.
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Les critiques qui précèdent sont d'autant plus graves que, lorsqu'elle est versée dans les
conditions qu'avait prévues le législateur de 1975, l'AC n'est pas toujours suffisante au regard
des besoins.
Tous les responsables des départements consultés lors de l'enquête par les chambres
régionales des comptes estiment en effet que l'allocation, même au taux maximum, ne couvre
pas les frais liés au maintien à domicile des grands handicapés . Le tableau ci-dessous fait
apparaître l'évolution du montant mensuel moyen de l'AC au taux de 80 %, étant précisé que
l'écart par rapport au SMIC s'est creusé depuis 1980 : au 1er juillet 1992, l'AC ne représentait
plus que 72 % du SMIC brut contre 92 % douze ans avant.
MONTANT MENSUEL MOYEN DE L'ALLOCATION COMPENSATRICE (AU TAUX DE 80 %)
: Année : Montant : Accroissement:
----------------------------------
:
1981 :
2 475
:
:
:
1982 :
2 837
:
15 %
:
:
1983 :
3 081
:
9 %
:
:
1984 :
3 192
:
4 %
:
:
1985 :
3 393
:
6 %
:
:
1986 :
3 437
:
1 %
:
:
1987 :
3 552
:
3 %
:
:
1988 :
3 691
:
4 %
:
:
1989 :
3 784
:
3 %
:
:
1990 :
3 865
:
2 %
:
:
1991 :
4 014
:
4 %
:
:
1992 :
4 127
:
3 %
:
Source : Ministère des affaires sociales et de l'intégration
A cette situation, deux types de solutions sont apportées suivant le cas. La réponse
individuelle, la plus courante, surtout dans les zones rurales où les structures familiales
résistent mieux qu'ailleurs, est le recours au sein du foyer à un membre de la famille qui joue
le rôle de tierce personne . On rencontre fréquemment cette situation dans les régions
d'Auvergne ou de Midi-Pyrénées, par exemple. Une réponse institutionnelle est donnée
lorsque les collectivités elles-mêmes, en ordre dispersé, prennent l'initiative de créer une
prestation supplémentaire ciblée soit sur des personnes très âgées (le conseil général de Seine
Maritime a ainsi institué une prestation de garde à domicile au profit de personnes âgées d'au
moins 75 ans et bénéficiant déjà de l'AC, quel qu'en soit le taux), soit sur le taux de handicap
(le département du Tarn a créé une allocation supplémentaire dont le montant peut aller
jusqu'à 20 % de la majoration pour tierce personne au profit des bénéficiaires de l'AC, à
condition que le taux accordé soit de 80 % et que la preuve soit faite de frais de tiers salarié
dépassant le montant de l'AC accordé). L'enquête des chambres régionales des comptes n'a
permis de recenser qu'un seul département (l'Ardèche) suggérant un alignement de l'AC au
taux maximum sur la majoration pour tierce personne de la sécurité sociale , en faveur des
polyhandicapés et des grabataires et sous réserve d'un strict contrôle du caractère effectif de
l'aide.
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Pour intéressantes que soient les initiatives ainsi prises, elles ont l'inconvénient d'être
ponctuelles et donc de provoquer, d'une région à l'autre, des inégalités entre handicapés dans
une situation pratiquement identique.
L'observation précédente est renforcée par le fait que l'appréciation de la notion du
manque à gagner pour la tierce personne soulève des difficultés. Cette condition ne s'applique
que dans le cas des allocations au taux de 80 %, et les départements répondent diversement à
la question de savoir à quels problèmes se heurte son contrôle.
Il en ressort globalement que lorsque la fonction de tierce personne est exercée par un
membre de la famille ne travaillant pas, l'appréciation reste discrétionnaire et donc délicate.
En revanche, lorsqu'il y a cessation d'activité, il existe des éléments de référence précis qui
rendent l'appréciation plus facile. On ne peut que déplorer, en l'espèce, la manière plus ou
moins rigoureuse dont est vérifiée par les COTOREP cette condition mise à l'attribution de
l'AC au taux de 80 %. Dans les départements de l'Allier, de la Haute-Garonne et du Tarn, par
exemple, les commissions exigent la production, de la part de l'employeur, d'un certificat
attestant de l'arrêt total - ou du moins notable - de l'activité de la tierce personne . Le
département de Haute- Garonne, pour sa part, regrette que la possibilité de compenser le
manque à gagner ne soit pas ouverte quel que soit le taux de dépendance de la personne
handicapée , ce qui inciterait à quitter un emploi à temps partiel. Dans d'autres départements,
par contre, les COTOREP évitent de solliciter une preuve aussi nette - c'est le cas de la Seine-
Saint-Denis - ou encore, comme cela a pu être relevé dans le Cantal ou en Haute-Loire,
éludent la difficulté en attribuant des taux d'allocation inférieurs à 80 %, au détriment des
handicapés dont l'état justifierait que le taux octroyé soit égal ou supérieur à ce même
pourcentage.
c) La gestion de l'AC
Les problèmes de fond qui précèdent viennent se greffer sur une gestion difficile de
l'allocation, que la décentralisation n'a pas améliorée.
Pour l'essentiel, les difficultés rencontrées résident, comme pour l'AAH, dans la dualité
existant entre l'autorité qui prend la décision d'attribution et celle qui verse l'allocation.
L'attribution de l'AC relève d'une décision technique de la COTOREP qui vérifie le taux
d'invalidité, apprécie le besoin de tierce personne et fixe le taux de l'allocation ainsi que la
durée de son versement. Le président du conseil général, de son côté, prend la décision
administrative d'admission ou de refus, mais en étant lié sur le plan technique par la décision
de la COTOREP. Ce sont les services du département qui apprécient chaque année les
ressources du demandeur et fixent le montant de l'allocation, qui est égal à la différence entre
le plafond correspondant au taux accordé et le revenu de l'intéressé.
La sous-représentation des élus départementaux au sein des COTOREP - un membre
sur vingt - et le caractère souvent variable de leur participation effective aux travaux des
commissions font que la distinction entre l'autorité qui décide et celle qui paye n'est sans
doute pas satisfaisante, pas plus qu'elle n'est de nature à permettre une meilleure maîtrise des
dépenses de l'AC.
Les départements ne manquent d'ailleurs pas de faire remarquer qu'en droit comme en
fait, la participation d'un seul conseiller général à titre consultatif au sein de chaque
COTOREP - privé, de surcroît, de l'assistance technique de ses propres services - permet
difficilement à ce représentant du département de juger de l'opportunité et d'évaluer l'impact
et le coût financier ou social de la décision, alors qu'un examen simultané des conditions
Cour des comptes - Rapport public particulier
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olitiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes -
Novembre 1993
155
médicales, sociales et administratives au sein d'une commission équitablement représentative
de chacune des parties, ainsi que la présence d'un médecin spécialisé et de personnel
administratif départemental favoriseraient l'implication du département à la démarche
d'amélioration de la qualité du service rendu à la population handicapée .
Il peut sembler paradoxal que les décisions techniques d'attribution du taux de l'AC
s'imposent au service départemental d'aide sociale qui, pourtant, n'en contrôle pas la
procédure, et que l'Etat ait finalement conservé un pouvoir de décision en matière d'aide
sociale en faveur des handicapés, en dépit du partage de compétence opéré dans le cadre des
lois de décentralisation.
Il paraîtrait, dans ces conditions, logique que de nombreux recours contentieux soient
introduits devant les commissions régionales d'invalidité, d'inaptitude et d'incapacité
permanente par les autorités départementales contre les décisions des COTOREP. Pourtant, il
n'en est rien : au cours des trois derniers exercices pour lesquels la Cour a pu disposer
d'informations - 1989, 1990, 1991 - le nombre de recours est resté infime par rapport à celui
des décisions susceptibles d'être contestées. Bien entendu, les recours sont d'autant moins
nombreux que les relations de travail entre les services départementaux et les COTOREP
sont satisfaisantes, mais cette explication ne saurait rendre compte de la faiblesse générale du
contentieux. Il semble plus vraisemblable que les délais de recours - deux mois en première
instance, un mois pour un appel devant la commission nationale technique - soient trop brefs
pour permettre d'étayer une argumentation solide, d'autant que les services départementaux
n'ont pas accès au dossier médical d'instruction.
L'examen d'un certain nombre de dossiers fait apparaître que, globalement, les motifs
de recours sont de deux ordres. Tantôt, les contestations portent sur le principe même de
l'attribution de l'AC aux motifs, notamment, que l'état de dépendance n'est pas avéré, que les
conditions médicales ne sont pas remplies ou encore que le caractère de l'effectivité de l'aide
n'est pas démontré. Tantôt, elles concernent les taux d'allocation attribués. En dépit du
nombre réduit de décisions rendues, il apparaît que les résultats du contentieux sont, dans
l'ensemble, favorables aux départements. Il n'est pas exclu de voir là une tendance visant à
rendre à l'AC sa véritable vocation : les collectivités départementales auraient tout intérêt à la
prendre en compte.
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Novembre 1993
156
PROPOSITIONS DE LA COUR CONCERNANT L'INTEGRATION SOCIALE DES
PERSONNES HANDICAPEES
1° - Domicile de secours
- Rationalisation des règles prévues par le code de la famille et de l'aide sociale en fonction du
lieu de l'hébergement - établissement social ou médico- social ou non.
2° - Accueil de jour
- Admission de la prise en charge des frais de transport des personnes hébergées en MAS et
qui rentrent dans leur famille dans la journée afin de faciliter le développement du semi-
internat.
3° - Auxiliaires de vie
- Clarification du rôle des collectivités de prise en charge, en faisant des départements les
responsables de celle-ci.
4° - Aides techniques
- Harmonisation de la prise en charge par la sécurité sociale de l'appareillage et des aides
techniques.
- Réflexion d'ensemble sur la définition, la prise en charge et le financement des aides
techniques pour les personnes les plus sévèrement touchées.
5° - Garantie de ressources
- Définition des modalités de son application aux non-salariés.
6° - Allocation aux adultes handicapés
- Harmonisation des conditions d'attribution de l'allocation et du minimum d'invalidité,
éventuellement par une prise en compte du revenu brut global de l'allocataire avant déduction
des frais professionnels et avant abattements.
- Modification de l'article 35-II de la loi du 30 juin 1975.
- Amélioration des procédures du "guichet unique".
7° - Allocation compensatrice
- Recherche d'une meilleure définition des notions d'hébergement et de soins pour éviter que la
prestation ne soit versée aux personnes hébergées qui n'ont pas recours aux services d'une
tierce personne .
Cour des comptes - Rapport public particulier
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Novembre 1993
157
TROISIEME PARTIE :
LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES ET
FINANCIERES
Cour des comptes - Rapport public particulier
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Novembre 1993
158
Dans son rapport public de 1982, la Cour avait déjà eu l'occasion de critiquer la
complexité des circuits mis en place par la loi d'orientation du 30 juin 1975. Dix ans plus
tard, peu d'améliorations sont intervenues. Bien au contraire, avec les lois de décentralisation,
le cadre administratif et financier dans lequel s'insèrent les mesures prises en faveur des
handicapés adultes se caractérise à la fois par sa rigidité, ses insuffisances, voire son
incohérence. Cette situation résulte du mauvais fonctionnement des structures créées pour
être la pierre angulaire du dispositif prévu par la loi de 1975, de l'existence d'une
réglementation anarchique et contraignante peu adaptée à un pilotage efficace des actions
entreprises et de facteurs de blocage divers que la décentralisation n'a fait qu'aggraver.
A.
-
DES
STRUCTURES
DONT
LE
FONCTIONNEMENT
RESTE
GLOBALEMENT DEFECTUEUX
Administrativement, la pièce maîtresse du dispositif mis en place en 1975 est
constituée par les Cotorep, dont l'action est accompagnée, en amont, par l'intervention
éventuelle des centres de pré-orientation, et en aval par celle des équipes de préparation et de
suite du reclassement (EPSR).
1° LES DIFFICULTES DES COTOREP
31
Le nombre considérable de rapports, d'études et de propositions d'amélioration
consacrés aux Cotorep depuis 1982, quatre ans après leur installation effective, témoigne, s'il
en était besoin, que les problèmes rencontrés par ces institutions sont encore loin d'être
résolus. La situation générale des Cotorep était d'ailleurs devenue tellement difficile au cours
des dernières années que les ministères du travail et des affaires sociales et de l'intégration
ont, en 1990, diligenté une enquête permettant d'établir un état des lieux exhaustif. Les
résultats de cette enquête, qui viennent d'être publiés, sont éloquents et complètent les
observations de la Cour, qu'il s'agisse des moyens mis à la disposition des Cotorep ou des
modalités de leur fonctionnement.
a) Les moyens des Cotorep
Dans sa réponse aux observations de la Cour publiées au rapport public de 1982, le
ministre du travail recensait, au 1er avril 1981, 1 085 agents affectés aux secrétariats des
Cotorep, dont 512 venaient des DDTE et 573 des DDASS. En juillet 1991, leur nombre était
presque inchangé : 1 232 agents (578 provenant des DDTE et 654 des DDASS) dont 132
étaient mis à disposition, essentiellement par les services départementaux, l'ensemble
représentant 1 083 postes équivalent temps plein. C'est dire que l'Etat n'a pas consenti un
effort exceptionnel en faveur de l'institution alors que, dans le même temps, le nombre global
de dossiers examiné par les commissions passait de 450 000 en 1981 à plus de 690 000 en
1991. La situation des Cotorep est aggravée par le fait que les quatre cinquièmes des agents
titulaires sont de catégorie C et D. Le recrutement des cadres A reste exceptionnel, l'essentiel
de l'encadrement étant de catégorie B.
Dans les départements où elle s'est rendue, la Cour a été en mesure de constater les
conséquences regrettables de cette situation. Dans le Rhône, par exemple, le nombre global
de dossiers reçus par la Cotorep a augmenté de près de 38 % entre 1985 et 1990, mais le
nombre de dossiers examinés n'a progressé que de 6 % car, au cours de la même période, le
31) Voir annexe 4.
Cour des comptes - Rapport public particulier
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Novembre 1993
159
nombre d'agents administratifs a diminué de 2,8 équivalents temps plein, soit 9,4 % du total
des agents affectés à la commission ; en cinq ans, le ratio "nombre de dossiers reçus/nombre
d'agents équivalents temps plein disponibles" dans le département a augmenté de 51 %.
L'insuffisance des moyens face à un accroissement notable de la charge de travail
résultant du nombre de dossiers à traiter conduit fréquemment les services de l'Etat
compétents - en l'espèce, les DDTE - à recourir à des procédés détournés pour renforcer les
effectifs des secrétariats. Le plus fréquent consiste à recruter des personnels bénéficiant de
contrats emploi-solidarité (CES) par l'intermédiaire d'une association-écran. En effet, aux
termes des dispositions de l'article L 322-47 du code du travail, les services de l'Etat ne
peuvent avoir recours eux-mêmes directement à cette formule, réservée pour l'essentiel aux
associations et aux collectivités locales. C'est ainsi que dans le Rhône, la Cotorep a été
renforcée, fin 1991, par douze CES grâce au truchement de l'association franco-américaine.
Dans les Pyrénées-Atlantiques, le même système a été utilisé en 1992 avec la complaisance
de l'association "Amicale des personnels de l'AFPA" pour permettre une accélération de
l'informatisation de la commission.
L'insuffisance en personnel ne concerne pas que les secrétariats des Cotorep : elle est
également patente au niveau de la composition des équipes techniques chargées de l'examen
des dossiers. Ces équipes, auxquelles participent environ deux mille personnes , dont la
moitié est composée de personnel médical, représentent en fait un équivalent de 400 postes à
temps plein, ce qui est manifestement trop peu pour assurer, dans des délais raisonnables, une
instruction satisfaisante des demandes permettant d'informer et de guider les commissions.
Dans le département du Nord, par exemple, l'équipe technique de la Cotorep se
compose d'un effectif en équivalent temps-plein de 5,06 agents. Si l'on repporte à cet effectif
le nombre de dossiers traités en 1991, chaque agent a en charge, à Lille, 4 768 dossiers, pour
une moyenne nationale de 1 888.
Dès lors, l'examen des situations individuelles par les équipes techniques s'effectue
dans des conditions peu satisfaisantes. La difficulté de réunir tous les spécialistes d'une même
équipe conduit à donner à l'instruction la forme d'une juxtaposition d'avis plutôt que celle
d'une appréciation d'ensemble du dossier. De plus, alors que le point de vue médical prévaut
souvent dans le poids des décisions de la première section au regard de celui du représentant
de l'ANPE ou de l'AFPA, les praticiens vacataires s'impliquent peu en deuxième section. Les
bilans de santé sont souvent, de ce fait, sommaires et il est rarement fait recours à des
spécialistes.
Le travail en autarcie des techniciens de certaines Cotorep, qui ne parviennent pas à
développer de bonnes relations partenariales, est également critiquable. La Cour déplore
d'autant plus toutes ces carences que, compte tenu du nombre de dossiers inscrits à l'ordre du
jour de chaque réunion - à la Cotorep du Maine-et-Loire, il peut atteindre plusieurs centaines
en deuxième section - l'obligation expressément prévue par la loi de convoquer aux séances
de la commission la personne handicapée ou son représentant n'est à peu près jamais
respectée, avec tous les risques de dérives, voire de fraudes, qu'une telle situation peut
entraîner. Les pratiques, à cet égard, varient selon les départements. De manière générale, la
personne handicapée n'est convoquée que si elle exprime formellement le souhait d'être
entendue ou si elle a déposé un recours gracieux. Il arrive aussi que la convocation ait lieu
lorsque certains types de demandes sont formulés : ainsi, dans le Rhône, sont
systématiquement convoquées en première section les personnes qui sollicitent une formation
professionnelle, ou, dans le Doubs, celles qui réclament l'attribution d'une AAH au titre de
Cour des comptes - Rapport public particulier
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Novembre 1993
160
l'article 35-II de la loi de 1975. Seule la Cotorep de la Lozère convoque dans chaque section
tous les handicapés qui ont déposé un dossier. Pour louable qu'il soit, ce strict respect de la
loi peut s'expliquer par le nombre relativement restreint de demandes formulées dans ce
département à faible population.
Par ailleurs, alors que la loi de 1975, précisée ultérieurement par divers autres textes au
nombre desquels figure une très importante circulaire du 25 mai 1984, insistait sur l'unicité
des secrétariats et des équipes techniques, seule garantie pour les handicapés de voir leur
situation examinée de manière globale, en 1991, plus d'un quart des Cotorep ne possédait
toujours pas de secrétariat commun aux deux sections les composant : le cas a pu être
observé notamment dans les Pyrénées-Atlantiques. En outre, les deux tiers des commissions
n'ont pas d'équipe technique unique alors que cette formule était expressément recommandée
par la circulaire précitée. Dans un certain nombre de départements, tels que le Doubs, la
Lozère, le Maine-et- Loire, le Nord ou le Val-de-Marne, il existe bien une équipe technique
mais seulement par section avec, il est vrai, des réunions communes lorsque cela se révèle
nécessaire. La Cour a pu également constater qu'étaient parfois créées des équipes techniques
spécifiques, constituées en fonction de tel ou tel type de dossier à traiter. Dans le Calvados,
l'équipe technique comprend au minimum quatre formations - 1ère section, 2ème section,
orientations en CAT, cas spécifique des handicapés mentaux -. Dans les Pyrénées-
Atlantiques, il y a deux équipes techniques en première section dont l'une ne traite que des
problèmes liés aux CAT et, en deuxième section, une équipe qui ne se réunit que pour
examiner les demandes d'attribution de cartes d'invalidité.
Enfin, dans un souci d'amélioration de la qualité du service rendu aux usagers, la
circulaire du 25 mai 1984 avait prévu, d'une part une réorganisation de l'équipe technique par
la constitution d'un noyau de base permanent composé de quatre membres, dont la
responsabilité et l'animation étaient confiées à un médecin coordonnateur, et, d'autre part, la
mise en place, dans chaque Cotorep, d'un service d'accueil spécialisé pour les handicapés.
Près de dix ans plus tard, force est de constater que la moitié des Cotorep environ ne
disposent toujours pas de médecin coordonnateur - seuls le Nord et le Rhône, dans les
départements visités par la Cour, en possèdent un - et qu'un quart d'entre elles n'ont pas
organisé de service d'accueil : celles du Morbihan et du Val-de-Marne, notamment, sont dans
ce cas.
S'agissant des bâtiments, le ministre du travail, répondant aux observations de la Cour
au rapport public de 1982
32
, notait qu'"un effort important a été consenti entre 1978 et 1981
pour doter chaque Cotorep d'un local individualisé. Dans toute la mesure du possible, le
choix des locaux achetés, loués ou mis à disposition a tenu compte des particularités de leur
affectation : accueil en rez-de-chaussée, rampes d'accès, éventuellement cabinet médical.
Dans deux départements seulement la Cotorep ne dispose pas d'un local commun pour la 1ère
et la 2ème section : Seine-Saint-Denis et Charente".
La situation décrite ne s'est apparemment pas améliorée. Sans même parler du cas
spécifique de la Cotorep de Paris, éclatée sur au moins quatre sites - ce qui s'oppose à toute
informatisation - un cinquième des Cotorep restent non conformes aux normes d'accessibilité
comme la Cour a pu le constater, par exemple, dans le Calvados. De plus trop nombreuses
sont encore celles qui ne disposent pas d'un local d'accueil adapté aux personnes handicapées
; l'enquête de la Cour a montré que tel est le cas dans le Calvados, le Doubs ou le Val de
Marne.
32) p. 207.
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Novembre 1993
161
Enfin, l'informatisation des Cotorep, engagée en 1986 et dont l'achèvement est prévu
théoriquement en 1993, a connu de très sérieuses vicissitudes. Au moment où la Cour a
effectué son enquête, 27 sites étaient encore équipés en matériel SFENA, société rachetée en
1987 par la société GOUPIL qui, elle-même, a déposé son bilan. La plupart des autres sites, à
l'exception notable de Paris pour les raisons évoquées plus haut, étaient équipés de matériel
BULL. Le matériel d'origine (DPX 2000) de cette société ayant été abandonné au profit d'un
équipement plus performant, mais aussi plus coûteux, la généralisation de l'informatisation
en a souffert. Un problème sérieux subsiste par ailleurs dans les Cotorep équipées de matériel
BULL : l'édition automatisée des cartes d'invalidité et la production des statistiques ne sont
toujours pas réalisées.
L'échec de l'informatisation de la Cotorep du Rhône (voir encadré ci-après), dont les
conséquences financières sont substantielles, même si elles n'ont pu, au vu des documents
produits, être chiffrées avec précision, est révélateur de l'insuffisance manifeste des études
préalables et surtout d'un défaut de suivi par les directions centrales concernées du ministère,
chaque Cotorep se trouvant ainsi livrée à elle-même avec tous les aléas que cela suppose.
De même, dans le Nord, l'informatisation n'a eu aucune répercussion sensible sur le
délai de traitement des dossiers, pas plus qu'elle n'a limité l'accumulation des dossiers-papier,
toujours obligatoirement détenus par la Cotorep. Cette précaution s'est d'ailleurs révélée utile,
les données statistiques du premier semestre 1990 ayant été accidentellement détruites.
LES DIFFICULTES DE L'INFORMATISATION D'UNE COTOREP
Les avatars constatés dans l'informatisation de la Cotorep du Rhône illustrent
clairement les difficultés rencontrées en la matière.
La première application informatique utilisant une unité de traitement local SFENA a
été implantée en décembre 1987. Dès janvier 1988, des incidents de programme et des
pannes ont eu lieu lors de la saisie du fichier "historique", puis se sont poursuivis lors du
traitement de la gestion courante des dossiers, en octobre 1989, sans que l'administration
centrale du ministère du travail, pourtant alertée à plusieurs reprises, se décide à prendre des
mesures efficaces. La Cotorep a été alors contrainte de revenir aux procédures manuelles,
abandonnées quelques mois plus tôt.
Au début de l'année 1990, la décision a été prise d'installer du matériel BULL et, après
transfert des fichiers et formation des agents, le système est entré en exploitation en
décembre de la même année, avec 18 écrans et deux imprimantes. Après huit mois
d'utilisation, le bilan dressé par le DDTE montre que non seulement le système d'édition
fonctionne mal, mais que la puissance du matériel elle-même est insuffisante. L'application,
par ailleurs, est limitée au traitement administratif des dossiers et ne concerne pas l'aspect
médical ou le travail de l'équipe technique ; le module statistique ne répond pas aux
nécessités d'un tableau de bord local ; le module "suivi des placements" n'est pas utilisé faute
de savoir-faire, et il n'y a pas de gestion d'instance des dossiers en attente. L'échec de la
deuxième application est donc patent et ne peut être résolu, selon le directeur régional du
travail, que par un nouveau changement de matériel sur lequel, à ce jour, le ministère ne s'est
toujours pas prononcé.
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Novembre 1993
162
b) Le fonctionnement des Cotorep
Les difficultés rencontrées par les Cotorep en termes de moyens humains et techniques
ne sont pas de nature à favoriser le bon fonctionnement de l'institution.
L'un des problèmes essentiels rencontrés est celui de la surcharge de travail qui, dans
bon nombre de cas, résulte moins d'ailleurs de l'augmentation naturelle du flux annuel de
dossiers à examiner que de la tendance, déjà décrite, consistant à solliciter les aides mises en
place par la loi du 30 juin 1975 - notamment l'allocation aux adultes handicapés et
l'allocation compensatrice - de préférence à celles des régimes obligatoires de la sécurité
sociale . Les tableaux ci-dessous montrent l'évolution de la charge de travail de 1982 à 1991.
STATISTIQUES COTOREP
DOSSIERS EXAMINES 1ERE ET 2EME SECTIONS
1982-1991
Section n°
1
%
Section n° 2
%
Article 27
fontion publique
%
TOTAL
1982
90870
19,2
377348
79,6
5914
1,2
474132
1983
97280
18,4
424236
80,4
6411
1,2
527927
1984
106242
19,64
426973
79,2
6197
1,1
539412
1985
104801
19,3
432640
79,6
6444
1,1
543, 885
1986
120538
21,1
446245
77,9
6169
1
572952
1987
107915
18
486595
81,1
5355
0,9
599865
1988
117915
18,8
507645
81,2
N.C.
625639
1989
138470
21,5
507956
78,5
N.C.
646426
1990
144065
21,7
521184
78,3
N.C.
665249
1991
158034
22,9
532519
77,1
N.C.
690553
Source : Délégation à l'Emploi - La situation des Cotorep de 1982 à 1991
(décembre 1992)
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117
DECISIONS D'ORIENTATION
1982-1991 -
1ERE SECTION
Milieu
ordinaire
C.A.T.
%
A.P.
%
% total Ets.
Protégés
Formation
%
TOTAL
1982
24 292
42,17
15550
27
5717
10
36,92
12041
20,9
57600
1983
25 860
42,76
17880
29,5
5022
8,3
37,88
11705
19,35
60467
1984
24 847
39,7
19074
30,53
6425
10,28
40,8
12119
19,4
62465
1985
26 716
43,68
17443
28,51
5933
9,69
38,2
11085
18,1
61177
1986
34 355
48,46
18452
26
6211
8,76
34,78
11872
16,75
70900
1987
29 461
45,79
17590
27,27
3818
5,92
33,2
13611
21,1
64480
1988
31 037
46,02
19848
29,43
3940
5,84
35,27
12616
18,7
67441
1989
29 740
46,43
17789
27,77
4792
7,48
35,25
11732
18,31
64053
1990
28 997
41,12
22461
31,84
5810
8,23
40,08
13265
18,8
70533
1991
32 112
43,51
22885
30,75
5524
7,42
38,5
13274
18
74406
Moyennesur 10 ans
44
28,9
8,19
37
19
Source : Délégation à l'Emploi - La situation des Cotorep de 1982 à 1991 (décembre 1992).
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118
DECISIONS D'ATTRIBUTION DES ALLOCATIONS ET CARTES D'INVALIDITE
1982-1991
2EME SECTION
A.A.H.
Attribution
Allocation
compensatrice
Allocation logement
Cartes d'invalidité
1982
140846
61264
6288
108836
1983
145277
77588
7597
120268
1984
129778
76425
7686
119851
1985
146524
56141
6127
111773
1986
150475
130407
8275
139658
1987
146869
66539
6811
NC
1988
140187
72912
6293
143883
1989
122051
76014
7561
164129
1990
124360
82021
7995
168600
1991
117974
91339
9365
167354
Source : Délégation à l'Emploi - La situation des Cotorep de 1982 à 1991 (décembre 1992).
Première conséquence de cette situation, l'obligation fixée par l'article D323-3-13 du
code du travail, qui prévoit au moins deux réunions annuelles de la Cotorep en séance
plénière, n'est pratiquement plus respectée. A Besançon, Lyon et Pau, la commission ne se
réunit plus. A Angers, elle ne se réunit qu'une fois tous les trois ans, et une seule réunion
annuelle continue d'être observée à Colmar et à Vannes.
Seconde conséquence, les délais d'instruction des dossiers par les Cotorep sont toujours
démesurément longs alors que, parallèlement, le temps d'examen consacré à chaque dossier
est souvent excessivement court et peu compatible avec une approche sérieuse des besoins
réels des intéressés. Selon l'enquête précitée sur les Cotorep diligentée à l'initiative des
ministères sociaux , "les délais les plus longs entre le dépôt de la demande et la notification
de la décision ont trait à l'orientation professionnelle. Les plus courts concernent la
reconnaissance de travailleur handicapé , l'attribution de l'AAH et la carte d'invalidité". Cette
constatation n'est pas particulièrement rassurante. Les investigations menées sur place par la
Cour et les chambres régionales des comptes ont permis de faire apparaître que, dans le cadre
de la première section de la Cotorep, il fallait de trois à six mois pour obtenir la
reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé , et de trois à neuf mois pour obtenir
une décision d'orientation. En deuxième section, le délai d'attribution d'une AAH varie de un
à huit mois, celui d'une AC de un à douze mois - avec parfois des délais atteignant dix-huit
mois, comme en Martinique -, la délivrance d'une carte d'invalidité exigeant également de un
à douze mois ; les délais les plus longs peuvent résulter, comme on a pu l'observer dans le
Doubs, d'une politique volontairement restrictive de la Cotorep qui s'efforce, par ce moyen,
de décourager les demandes quasi-systématiques de cartes d'invalidité, eu égard à la
multiplicité des avantages attachés à ces dernières.
Dans l'ensemble des départements visités, les retards observés sont pris dès l'ouverture
du dossier, notamment lorsqu'il y a saisie informatique, puis interviennent les délais
d'examen de pièces, de visite médicale ainsi que la procédure devant la commission elle-
même. Aux délais externes, viennent ainsi se superposer ceux propres à la COTOREP, liés à
l'informatisation et au service médical. Il est, à cet égard, inquiétant de constater que les
délais des traitements des dossiers se sont globalement dégradés alors que, parallèlement, les
mesures de simplification prévues par la circulaire du 25 mai 1984 : procédures simplifiées
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de traitement des dossiers, recours à des procédures d'urgence, modulation des délais de
révision en fonction du type de décision pris, sont pourtant généralement mises en oeuvre par
les Cotorep, mis à part le cas de la Lozère où le nombre de dossiers à examiner reste, on l'a
vu, relativement peu important.
Il faut ajouter que l'annonce relativement fréquente et régulière d'une réforme en
profondeur des Cotorep - ainsi que de la loi de 1975, quand ce n'est pas celle de 1987 - n'est
sans doute pas de nature à motiver particulièrement les personnels des secrétariats, pas plus
que celui des équipes techniques.
Les défaillances dans l'efficacité et le suivi des décisions prises par les commissions
appellent également des critiques. En première section, bien que la plupart des Cotorep
s'efforcent de tenir compte des potentialités virtuelles des personnes handicapées ,
l'orientation a fréquemment lieu "par défaut", c'est-à-dire que l'on tend à prendre davantage
en considération la structure qui est en mesure d'accueillir immédiatement la personne
handicapée que celle qui convient réellement à ses possibilités d'insertion professionnelle et
sociale . Sont ainsi créées artificiellement certaines "inadéquations", comme dans le Maine-
et-Loire, les Pyrénées-Atlantiques ou le Rhône. Le développement du milieu protégé, et
notamment celui des CAT, ne peut guère s'expliquer autrement, les files d'attente pour
l'entrée dans ces établissements croissant, on l'a vu, à mesure qu'augmente le nombre de
places qui y sont créées. Il est certain que, par ailleurs, la conjoncture économique se prête
assez peu à l'orientation en milieu ordinaire de production d'une population globalement
victime de son absence à peu près totale de formation, à laquelle on a vu que le dispositif mis
en place en la matière n'était guère en mesure de répondre.
L'attention de la Cour a été également attirée par les difficultés que rencontrent les
Cotorep et leurs équipes techniques pour apprécier le taux du handicap. L'incapacité
permanente de 80 % dont dépend, notamment, l'attribution de l'AAH, ou l'estimation, en vue
de l'octroi de l'allocation compensatrice, de la perte d'autonomie qui entraîne la nécessité de
recourir à une tierce personne sont appréciées par rapport à un barème qui est celui du code
des pensions militaires d'invalidité ou des victimes de guerre. Or, ce barème, déjà quasiment
inapplicable à un important groupe de bénéficiaires potentiels, celui des handicapés mentaux,
est manifestement devenu inadapté pour l'ensemble, ce qui a rendu urgente sa révision. Celle-
ci a été confiée, en octobre 1987, à un groupe de travail qui n'a pas été en mesure de proposer
un barème unique du handicap. A donc seulement été établi un projet de guide- barème des
déficiences, fondé sur l'approche du handicap introduite par la classification internationale de
l'organisation mondiale de la santé et fixant divers taux d'incapacité selon l'importance de la
déficience ou celle des incapacités fonctionnelles.
Le projet a été soumis aux trois Cotorep de l'Aisne, des Hauts-de- Seine et de Seine-
Maritime pour être expérimenté par les médecins au sein des équipes techniques. En fait,
l'expérimentation a été faite dans des conditions contestables puisqu'elle n'a pas été réalisée
en vraie grandeur - trois commissions ne constituent pas un échantillon représentatif - et que,
par ailleurs, aucun test financier n'a été effectué. Il en résulte une grande incertitude quant
aux effets du barème sur la procédure d'attribution des allocations, notamment celle de
l'AAH octroyée au titre de l'article 35-II de la loi de 1975. C'est seulement en décembre
1991, après cette période de test que sont venues prolonger deux années d'attente que le
projet a été présenté aux associations. Son approbation par décret n'est pas encore intervenue.
La mise en application des dispositions qu'il comporte devrait être précédée par des actions
de formation des médecins pour lesquelles rien ne semble avoir été prévu. La Cour ne peut
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Novembre 1993
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que relever, avec regret, le retard pris par la procédure de révision du barème et le caractère
insuffisant de l'expérimentation qui en a été faite.
Les défauts constatés dans le fonctionnement des Cotorep seraient sans doute atténués
si les institutions créées pour assister les commissions étaient vraiment opérationnelles. Or,
tel n'est pas véritablement le cas.
LE
CARACTERE
PEU
OPERATOIRE
DES
MECANISMES
D'ORIENTATION ET DE SUIVI
a) Les centres de préorientation (CPO)
La loi du 30 juin 1975 avait prévu que l'intervention des Cotorep pouvait être
accompagnée, en amont, par l'action de centres de préorientation
33
, conçue comme un moyen
de les éclairer sur l'orientation des travailleurs handicapés dont les cas n'avaient pu être
résolus par l'équipe technique. Or, il a fallu attendre un décret du 18 décembre 1985, soit plus
de dix ans après la promulgation de la loi d'orientation, pour que ces centres fassent l'objet
d'une réglementation d'ensemble, aujourd'hui regroupée dans les articles R 323-33-1 à R 323-
41-5 du code du travail. Encore la Cour a-t-elle constaté que leur organisation et leur
fonctionnement ne sont pas exempts de critiques.
Tout d'abord, sur un plan réglementaire, les centres de préorientation sont soumis
exactement aux mêmes règles d'agrément et de prise en charge des frais de stage que les
centres de rééducation professionnelle auxquels ils sont assimilés pour les règles de
fonctionnement. La lourdeur du dispositif affectant ces derniers
34
ne les épargne donc pas.
Ensuite, en dépit de l'intervention tardive du décret de 1985, c'est en 1989-1990
seulement que la plupart des centres de préorientation existants ont fait l'objet de décisions
d'agrément. Compte tenu des difficultés de toute nature rencontrées par les Cotorep dans leur
activité d'orientation, il est pour le moins regrettable que quinze ans aient été nécessaires
pour institutionnaliser une structure considérée comme décisive pour l'analyse des cas
particulièrement difficiles.
Enfin, tout comme les centres de rééducation professionnelle avec lesquels ils sont
fréquemment jumelés, comme à Lyon ou à Mulhouse - la même association assurant
généralement la gestion des deux structures - les centres de préorientation ne couvrent pas la
totalité du territoire national. Au nombre de 24, offrant un peu plus de 600 places
permanentes qui représentent, sur la base d'une durée moyenne de stage de huit semaines,
une capacité d'accueil de 3 700 stagiaires par an environ, les centres existants sont répartis
très inégalement, eu égard à la situation démographique des régions dans lesquelles ils sont
implantés. C'est ainsi que deux centres seulement fonctionnent en Ile- de-France (pour 10
millions d'habitants), alors que la région des Pays de la Loire en compte trois, dont deux dans
le seul département de la Sarthe.
Cette répartition quelque peu incohérente, aggravée par le fait qu'une dizaine de régions
sont dépourvues de centres, aboutit, compte tenu du dispositif d'ensemble prévu pour
l'orientation des handicapés, à des situations critiquables. La mission précise et limitée des
centres de préorientation étant l'accueil des travailleurs handicapés dont l'équipe technique
n'a pu résoudre les difficultés d'orientation, l'étendue des besoins réels demeure subordonnée
aux appréciations portées par les équipes techniques des Cotorep, qui se déterminent elles-
mêmes en fonction de l'offre de préorientation existante. Il ne semble pas d'ailleurs, en dépit
33) Voir annexe 11.
34) Voir ci-dessus, Ière partie, A, 1°, p. 21.
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de cette situation, que l'administration centrale du ministère du travail soit particulièrement
préoccupée par l'activité de ces structures d'accueil, si l'on excepte toutefois la délégation à la
formation professionnelle où leur rôle est jugé nettement positif. Cependant, l'action qu'elles
peuvent avoir ne prend réellement son sens que si, en aval, les Cotorep sont en mesure de
consacrer, dans leurs décisions, des orientations utiles ; à défaut, c'est tout le dispositif qui
doit être remis en cause.
La question de l'existence des centres de préorientation mérite donc d'être posée. Dans
certains départements, comme le Morbihan, le problème de l'ouverture éventuelle d'un centre
n'a jamais été soulevé, dans la mesure où des politiques de substitution volontaristes ont été
mises en place. En particulier, la direction départementale du travail de Vannes estime que
l'action des centres de préorientation ne doit pas concurrencer les actions spécifiques de
l'ANPE ou de l'AFPA et, dès lors, privilégie les formations dispensées sur le plan local par
ces deux organismes. Seules sont adressées aux centres de préorientation extérieurs au
département les personnes présentant des problèmes particuliers, notamment médicaux -
traumatisés crâniens, par exemple - ou sociaux - nécessité d'éloigner le handicapé de sa
famille.
b) Les équipes de préparation et de suite du reclassement
Nées du même texte que celui qui instituait les centres de préorientation dans la loi du
30 juin 1975 (aujourd'hui, article L 323- 11 du code du travail), les équipes de préparation et
de suite du reclassement (EPSR), créées pour fonctionner en liaison avec les Cotorep et avec
l'ANPE, et qui ont pour mission essentielle d'apporter un soutien aux personnes handicapées
en milieu ordinaire de travail, relèvent de dispositions statutaires et de modalités de
financement critiquables.
Bien que l'article R 323-33-13 du code du travail dispose "qu'une ou plusieurs EPSR
sont constituées dans chaque département", ce qui tend à montrer l'importance que les
pouvoirs publics attachent à cette institution, une quinzaine de départements restent, à l'heure
actuelle, dépourvus d'EPSR. Parmi ceux où la Cour a eu l'occasion de se rendre, les
Pyrénées-Atlantiques constituent un exemple de cette situation. Deux tentatives de création
d'EPSR privées y ont successivement échoué. En juin 1992, un nouveau dossier a été adressé
à la délégation à l'emploi en vue de l'agrément d'une EPSR privée dont le financement devait
être assuré pour partie par l'Etat et pour partie par le conseil général. Il est toutefois permis de
s'interroger sur les chances de succès de cette nouvelle démarche dans le mesure où, au
moment de l'enquête de la Cour, l'association gestionnaire de l'EPSR n'avait toujours pas été
créée - sa constitution était subordonnée à l'agrément du projet par le ministère du travail - et
où, d'autre part, la subvention du conseil général dépendait de l'acceptation de l'Etat de
s'engager financièrement. Or, comme on le verra, la prise en charge par l'Etat d'une partie du
budget d'une EPSR privée n'intervient que si la structure peut justifier qu'elle autofinance au
moins 25 % de ce budget. Dans ces conditions, chaque interlocuteur risque d'attendre que
l'autre remplisse ses engagements pour prendre lui-même position.
Le fait que tous les départements ne soient pas encore dotés d'au moins une EPSR a des
conséquences regrettables. Tant que le territoire n'est pas intégralement couvert, en effet, le
ministère du travail se montre très réticent pour agréer de nouvelles équipes - même si leur
mise en place est justifiée - venant renforcer celles qui existent déjà. Ainsi, le département du
Maine-et-Loire ne parvient-il pas à faire agréer une EPSR privée pour malades mentaux, et
celui du Nord, qui ne dispose que d'une équipe - dont les résultats sont d'ailleurs
remarquables - implantée à Lille est-il très démuni, car le champ d'action de l'EPSR ne
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couvre pas l'Est du département, notamment, qui n'est doté d'aucune structure de
reclassement ou d'accompagnement.
Dans les faits, l'institution revêt deux formes : l'EPSR peut être publique - elle est alors
créée à l'initiative du directeur départemental du travail par décision concertée de la
délégation à l'emploi et de la direction générale de l'ANPE - ou privée - et, dans ce cas, sa
création et sa gestion résultent de l'initiative d'un organisme, généralement une association
agréé par le préfet -.
Dans le cadre de ses investigations, la Cour a été en mesure de connaître de l'activité de
six EPSR privées - Calvados, Doubs, Lozère, Morbihan, Nord et Rhône - et de trois EPSR
publiques - Haut-Rhin, Maine-et-Loire et Rhône, avec un embryon d'EPSR -.
Qu'elle soit publique ou privée, l'institution a le même rôle - accompagner la réinsertion
professionnelle du travailleur handicapé en milieu ordinaire de travail - et elle est censée
disposer des mêmes moyens. Sur ce dernier point, il n'en est rien. Les moyens humains sont
en effet très différents selon qu'il s'agit d'EPSR privées ou publiques. En 1991 déjà,
l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) relevait que la moyenne des effectifs des
EPSR privées était probablement le double de celle des EPSR publiques, avec une plus
grande pluri-disciplinarité et, surtout, une plus grande souplesse de gestion permettant, grâce
à des rémunérations plus attractives, des embauches ou des remplacements plus rapides.
Les observations générales de l'IGAS ont été corroborées par celles de la Cour dans les
départements visités par elle. Les EPSR publiques du Rhône, du Haut-Rhin et du Maine-et-
Loire étaient, au moment de l'enquête, composées respectivement d'un agent pour la
première, et de trois agents pour les deux autres. Par comparaison, les moyens humains des
équipes privées offrent à ces dernières davantage de possibilités d'action : quatre personnes
dans le Doubs et en Lozère, cinq dans le Nord et dans le Rhône, six dans le Morbihan, et cinq
- du moins théoriquement - dans le Calvados. Dans ce dernier département, pourtant, il a été
observé qu'aux cinq postes à temps plein - qui correspondent à l'effectif maximal autorisé par
une circulaire du ministère du travail du 3 mai 1979 - s'ajoutaient des personnels vacataires
ainsi qu'un poste d'employé administratif au titre des contrats emploi-solidarité. De même, la
confusion entretenue à Caen entre l'EPSR et l'association qui la gère : la Fédération pour la
préparation et la suite du reclassement (FPSR), qui est elle-même un groupement
d'organismes traitant de la réinsertion des personnes handicapées , ménage, semble-t-il, à
l'EPSR un volant de personnel supplémentaire sous couvert d'actions confiées à la
Fédération. Une convention passée entre l'EPSR et la FPSR permet en effet à cette dernière
de disposer, dans le cadre du "crédit formation individualisé", d'un emploi qui, en fait, revient
peu ou prou à l'équipe.
Le déséquilibre actuel constaté au détriment du secteur public risque encore de
s'aggraver, d'abord en raison de la restriction généralisée des effectifs dans l'administration,
qui rend de plus en plus hypothétique la recherche d'agents motivés auprès tant des directions
du travail que de l'ANPE, et ensuite du fait de la mise en place, depuis quelques années,
d'associations relais fréquemment financées par l'AGEFIPH
35
, et composées de personnels
d'origine, de statuts et de rémunérations différents. Des organismes tels que l'Association
Prométhée, qui a des ramifications dans plusieurs départements en dehors de celui - les Côtes
d'Armor - où elle a vu le jour, poursuivent, généralement avec succès grâce à l'action de leurs
équipes pluridisciplinaires, un double objectif (placer les handicapés en milieu ordinaire de
travail et permettre la pérennisation du poste de travail par un suivi réel des personnes
35) Voir plus haut, Ière partie, D, 2°, p. 56.
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placées) qui s'inscrit dans une approche globale à la fois de la personne handicapée et de son
environnement socio -économique et culturel. Un peu partout en France, des opérations
d'insertion des handicapés voient le jour - OHE en Isère, ESPRITH en Midi-Pyrénées, VIAH
en Anjou, DEFIH en Ile-de-France etc. -. Leur succès même concurrence les EPSR, étant
observé cependant que ces opérations permettent, grâce aux moyens qu'elles mobilisent,
d'insérer les personnes les plus productives, le cas des autres, beaucoup plus difficile à
résoudre, étant laissé aux EPSR.
Cet ensemble de facteurs conduit à s'interroger sur la pérennité des EPSR publiques.
Leur nombre atteint la cinquantaine, mais toutes les structures en place ne fonctionnent pas
de façon opérationnelle : la mission précitée de l'IGAS estimait que 39 EPSR publiques
seulement étaient réellement en activité au début de l'année 1991. Par ailleurs, depuis 1986,
moins de cinq EPSR publiques ont été créées, signe manifeste de la crise affectant ce type
d'institution.
Aux difficultés qui précèdent, viennent s'ajouter les problèmes issus du caractère
incohérent du financement des EPSR.
Les structures publiques ne disposent pas de crédits spécifiques et fonctionnent grâce
aux moyens mis à leur disposition par l'ANPE et les services extérieurs de l'emploi et des
affaires sociales . Aussi bien le coût exact de ce fonctionnement est-il généralement ignoré et
fait seulement l'objet d'estimations : en 1991, le coût de l'EPSR du Haut- Rhin était évalué à
0,5 million de francs, et celui de l'EPSR de Maine- et-Loire à 0,6 million de francs, mais on
ne peut exclure que ces chiffres soient sensiblement inférieurs à la réalité.
Les EPSR privées agréées peuvent, de leur côté, être subventionnées à hauteur de 75 %
de leur budget par l'Etat, dès lors qu'elles sont en mesure de justifier qu'elles ont
préalablement collecté des crédits permettant de couvrir le solde de 25 %. Ce financement,
que vient compliquer un système d'avances annuelles sur le montant pris en charge par l'Etat,
n'est pas satisfaisant. Bien que certaines équipes privées parviennent à fonctionner sans
solliciter la subvention de l'Etat au taux plafond de 75 %, voire même, dans certains cas
exceptionnels, à vivre sur leurs seuls fonds propres, le financement des trois quarts du budget
de la plupart des EPSR privées est public et, bien souvent d'ailleurs, le dernier quart l'est
aussi. Il est en effet généralement alimenté soit par des participations des caisses de sécurité
sociale , donc par des fonds résultant de cotisations légalement obligatoires - l'EPSR privée
de la Lozère, par exemple, est gérée par la caisse de mutualité sociale agricole de Mende qui
finance 25 % de son budget - soit par des subventions des collectivités locales, soit par l'Etat
lui-même intervenant dans un cadre conventionnel par l'intermédiaire de ses services
déconcentrés. C'est ainsi par exemple que l'EPSR du Calvados effectue un certain nombre de
prestations extérieures lui permettant de réaliser une partie de son autofinancement : il s'agit
notamment de services rendus à des organismes de formation intervenant en faveur des
personnes handicapées , et que l'on retrouve parmi les structures de formation financées par
l'Etat dans le cadre des actions d'insertion et de formation (AIF), voire même de
l'organisation directe dans le cadre de ces actions, de stages d'insertion professionnelle en
entreprise financés à 100 % sur les crédits du Fonds national de l'emploi. Au total, l'Etat a
ainsi couvert, en sus de sa participation directe de 75 %, une proportion supplémentaire de
près de 8 % du budget de fonctionnement de l'EPSR privée de Caen en 1991.
Comme il n'est pas rare, de surcroît, que certaines EPSR privées soient insérées dans un
cadre d'action plus large - là encore, l'exemple du Calvados est significatif - il est
pratiquement impossible de suivre avec exactitude le jeu des financements croisés.
L'inégalité est plus criante encore dès lors qu'intervient l'AGEFIPH, qui s'interdit de financer
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les équipes publiques, mais octroie des crédits, dont le montant est loin d'être négligeable, à
toute structure d'insertion privée avec laquelle elle a conclu un contrat d'objectifs. Tel est le
cas dans le Morbihan où l'intervention de l'AGEFIPH dépasse 25 % du budget de l'EPSR ; tel
est le cas également dans le Doubs où le contrat d'objectifs, qui permet à l'EPSR d'obtenir
annuellement près de 500 000 francs, soit 25 % de son budget, suppose néanmoins que celle-
ci élargisse ses compétences traditionnelles pour organiser des sessions de redynamisation au
profit de soixante travailleurs handicapés afin de favoriser le placement d'au moins quinze
d'entre eux en milieu ordinaire de travail. Il apparaît ainsi que la recherche par les EPSR
privées du financement de 25 % de leur budget, au minimum, constitue parfois pour elles une
contrainte de nature à peser sur leur activité.
Si, globalement, les budgets des EPSR privées sont considérablement plus importants
que ceux des équipes publiques - les budgets prévisionnels 1992 étaient de l'ordre de 1,6
million de francs dans le Calvados, 2,03 millions de francs dans le Doubs, 1,9 million de
francs dans le Morbihan, 2,2 millions de francs dans le Rhône - il n'est pas évident, pour
autant, que les crédits délégués par l'Etat aux structures privées fassent l'objet d'une
utilisation optimale : les performances des EPSR sont, en effet, relativement hétérogènes et,
bien que leur coût ne soit pas comparable, il n'est pas certain que les équipes privées soient
plus opératoires que les équipes publiques. Dans les départements visités, la Cour a pu noter
que les résultats des EPSR publiques, en dépit de leurs moyens limités, atteignaient un niveau
satisfaisant : à Angers, 225 personnes avaient pu être placées en milieu ordinaire entre 1989
et 1991 ; à Colmar, plus de 50 % des personnes confiées à l'EPSR en 1991 avaient fait l'objet
d'une action d'insertion.
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En ce qui concerne les EPSR privées, les résultats sont inégaux. Il convient de mettre à
part, comme exceptionnels, les très bons résultats atteints par une équipe privée : ATLAS,
créée en 1990 dans le Morbihan et qui affiche un taux de placement en milieu ordinaire tout à
fait remarquable - au titre de 1990, 1991 et 1992, il a concerné respectivement 104, 151 et
215 personnes handicapées , avec un pourcentage de contrats de travail à durée indéterminée
de l'ordre de 33 % la première année, de 46 % la deuxième, et de 52,4 % la troisième -. Dans
d'autres cas, comme celui de l'EPSR du Val-de-Marne - qui, il est vrai, exerce ses
compétences dans un département durement touché par la crise de l'emploi - les résultats sont
plus incertains : le rapport d'activité de cet organisme pour 1991 fait apparaître que sur les
452 personnes qui ont été en relation avec elle au titre de cette année, et sur 269 prises en
charge, seules 128 ont bénéficié d'un placement, dont 28 en milieu protégé - ce qui est, en
principe prohibé -. Sur les 100 placements en milieu ordinaire, 21 sont des contrats de retour
à l'emploi ou de solidarité. De plus, l'analyse de l'origine des demandes fait ressortir que
seules 36 personnes traitées par l'EPSR sont issues d'une procédure Cotorep.
Compte tenu de tous ces éléments, la distinction entre EPSR publiques et EPSR privées
apparaît aujourd'hui dépourvue de signification. Ni les résultats, ni les modes de financement
ne justifient la pérennisation de deux structures à la vocation identique, mais aux moyens
d'existence profondément inégaux. Fondre dans un même ensemble les EPSR actuellement
séparées entre structures privées et structures publiques présenterait sans doute l'avantage de
créer une synergie entre les différents acteurs impliqués dans la politique de l'emploi, de
rééquilibrer l'utilisation des crédits, d'alléger la procédure d'agrément et de conventionnement
des structures privées et d'officialiser une prise en charge des frais de fonctionnement
permettant d'éviter le recours à des moyens détournés pour financer une partie des budgets.
Cette fusion permettrait peut-être également de résoudre le problème du suivi et du
reclassement professionnel des malades mentaux - du moins, lorsqu'ils sont stabilisés - que la
circulaire précitée du 3 mai 1979, qui paraît aujourd'hui dépassée, recommandait de ne pas
confier aux EPSR. Elle pourrait avoir aussi pour avantage de mettre fin à la compétition que
se livrent les deux types de structures pour afficher les meilleurs résultats possibles, ce qui les
conduit à des pratiques contestables au regard des textes qui les régissent : fréquents sont en
effet les placements qu'effectuent les EPSR en milieu protégé, alors précisément que la
vocation de ces institutions est le suivi et l'accompagnement des personnes handicapées en
milieu ordinaire de travail.
L'expérience mérite d'être tentée : rendues à leur vocation initiale, dégagées des
contraintes administratives, les EPSR restent encore, à l'heure actuelle, l'un des moyens les
plus efficaces pour favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées .
B. - UN CADRE REGLEMENTAIRE ANARCHIQUE ET CONTRAIGNANT,
PEU ADAPTE A UN PILOTAGE EFFICACE DES ACTIONS ENTREPRISES
La Cour a déjà eu l'occasion de dénoncer le foisonnement excessif de la réglementation
consacrée à la politique suivie en faveur des personnes handicapées . La situation n'a fait que
s'aggraver au fil des ans et le cadre réglementaire, déjà complexe à l'origine, s'est
progressivement stratifié au fur et à mesure de la publication de nouveaux textes, à laquelle
ne correspond pas nécessairement, d'ailleurs, un allégement des dispositions anciennes. Le
dispositif réglementaire dans lequel s'inscrit ainsi la politique d'insertion professionnelle et
sociale des personnes handicapées constitue davantage un carcan qu'un moyen de gestion
souple et efficace.
A l'occasion de son enquête, la Cour a été conduite à procéder à un recensement des
textes existants et en a relevé, toutes catégories confondues, plusieurs centaines, sans être
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absolument sûre d'avoir été totalement exhaustive. Cet ensemble est malheureusement loin
d'être toujours vraiment cohérent. Par exemple, l'article R 323-97 du code du travail, toujours
en vigueur, renvoie à une disposition législative, l'article L 323-13, qui a été abrogée par la
loi du 10 juillet 1987 ; ou encore, toute la partie réglementaire applicable à l'emploi des
handicapés dans la fonction publique (livre III, titre II, chapitre III, section II, sous-section IX
du code du travail) continue de faire référence aux anciennes dispositions législatives, qui
étaient en vigueur avant la loi du 10 juillet 1987, ce qui la rend à peu près illisible.
1° LE CADRE REGLEMENTAIRE
Selon les domaines auxquels elle s'applique, la réglementation est tantôt dépourvue de
base juridique réelle, tantôt surabondante et inutilement complexe, tantôt lacunaire ou, à tout
le moins, très insuffisante, tantôt imprécise, voire contradictoire.
a) Une réglementation parfois dépourvue de base juridique réelle
La complexité du cadre juridique dans lequel s'inscrivent les politiques sociales en
faveur des personnes handicapées adultes conduit de plus en plus fréquemment les
administrations centrales à réglementer par circulaires, c'est-à-dire par des textes qui
s'imposent à leurs services mais non aux tiers. Certaines de ces circulaires ont parfois pour
ambition de définir directement les modalités d'application de la loi, sans qu'un décret
d'application pourtant indispensable soit préalablement intervenu. Cette pratique contestable
a déjà été rencontrée dans le domaine de l'insertion sociale avec les textes créant les foyers à
double tarification
36
ou ceux organisant les services d'auxiliaires de vie
37
. Elle n'est pas
moins fréquemment utilisée dans le secteur de l'insertion professionnelle des handicapés.
L'exemple le plus significatif en la matière est celui de la circulaire précitée du 23 mars
1988 "relative à l'application de la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des
travailleurs handicapés ". Signée du ministre des affaires sociales et de l'emploi, elle
définissait, pour les employeurs privés, la manière de calculer les équivalences dans le cadre
des contrats passés avec les établissements de travail protégé. Or le calcul préconisé
conduisait à imposer aux entreprises privées des contraintes trois fois supérieures à celles du
secteur public, qui avait, lui, fait l'objet d'une réglementation normale par le décret. Il a
heureusement été mis fin, on l'a vu, en novembre 1992 à cette situation anormale
38
.
D'autres réglementations importantes ont été faites elles-aussi par circulaire : ainsi, une
circulaire DE n° 13/88 du 22 février 1988 qui imposait un seuil minimum de dix emplois de
travailleurs handicapés pour qu'un AP nouvellement créé puisse commencer à fonctionner.
Cette disposition, très contraignante sur le plan économique, a été abrogée par une nouvelle
circulaire DE n° 91/32 du 3 juillet 1991. De même, la première tentative d'encadrement
juridique de la réglementation relative à la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales
afférentes à la garantie de ressources versée aux travailleurs handicapés en établissement de
travail protégé a pris également la forme d'une circulaire - DE n° 8/83 du 31 janvier 1983,
dite "circulaire Le Garrec" - dont on a vu à quelles difficultés donnait lieu son application
39
.
b) Une réglementation surabondante et inutilement complexe
Le caractère surabondant de la réglementation est notamment illustré par l'ensemble
des textes qui régissent l'AAH et la relient aux autres dispositifs de ressources octroyées aux
36) Voir plus haut, IIème partie, A, 1°, p. 68.
37) Voir plus haut, IIème partie, A, 1°, p. 73.
38) Voir plus haut, Ière partie, B, 3°, p. 32.
39) Voir plus haut, IIème partie, B, 1°, p. 87.
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personnes handicapées , en particulier la garantie de ressources. Depuis que les articles 35 à
38 de la loi de 1975 ont créé cette prestation, pas moins de six textes législatifs, douze
décrets et vingt-six circulaires ou lettres ministérielles sont intervenus pour en préciser, en
compléter et en modifier le régime. Ce recensement n'intègre évidemment pas toutes les
instructions internes diffusées aux caisses d'allocations familiales, payeurs de l'AAH, par leur
caisse nationale.
Quant au caractère inutilement complexe de la réglementation qui, dans certaines
hypothèses, confine à l'incohérence, il est mis en évidence par l'ensemble du dispositif relatif
aux ressources laissées à la disposition des personnes handicapées hébergées qui s'articule
autour de trois grands axes : réduction, en cas d'hospitalisation de plus de soixante jours dans
un établissement de soins, du montant de l'AAH d'un pourcentage variable - 20 % ou 35 % -
selon que l'allocataire est marié ou non, sans que pour autant la personne handicapée puisse
percevoir moins de 12 % du montant mensuel maximum de l'AAH, après paiement du forfait
hospitalier ; réduction du montant de l'AAH, en cas de placement en MAS d'une durée
supérieure à quarante- cinq jours, sans que le montant de l'allocation versée à l'intéressé
puisse être inférieur là encore à 12 % du montant mensuel moyen de l'AAH, après paiement
du forfait journalier ; participation de l'allocataire accueilli dans un établissement
d'hébergement spécialisé - foyer de vie, foyer logement ou foyer d'hébergement - aux frais
d'hébergement et d'entretien, sans que ses ressources disponibles résiduelles tombent en
dessous d'un minimum défini par référence à l'AAH : la réglementation, en l'espèce, est
d'autant plus complexe à appliquer qu'elle varie selon que l'établissement assure ou non un
hébergement et un entretien complets, que le pensionnaire travaille ou non, qu'il prend ou
non régulièrement à l'extérieur de l'établissement au moins cinq des principaux repas au
cours d'une semaine, ou qu'il doit assumer la responsabilité de l'entretien d'une famille
pendant son séjour en établissement. Le jeu croisé de ces différents paramètres conduit à une
lourdeur excessive de la gestion des ressources des intéressés
40
c) Une réglementation parfois lacunaire et fréquemment insuffisante
Trop fréquemment, les dispositions réglementaires précises permettant d'appliquer les
normes législatives sont absentes ou insuffisantes.
Il en est ainsi en ce qui concerne l'article 123 de la loi de finances pour 1992, "l'AAH
n'est plus perçue à partir d'un âge déterminé par décret en Conseil d'Etat. Elle est remplacée à
compter de cet âge par les avantages de vieillesse alloués en cas d'inaptitude au travail".
Cette disposition vise à aligner l'AAH sur l'assurance invalidité. De même que cette dernière
laisse la place à l'assurance vieillesse à l'âge de 60 ans, l'AAH devrait être remplacée par le
minimum vieillesse au même âge, étant précisé que des dispositions transitoires permettent
de maintenir les situations individuelles acquises lorsqu'elles sont plus favorables. A ce jour,
le décret d'application prévu pour l'entrée en vigueur de cet article de la loi n'a pas été publié.
S'agissant toujours de l'AAH, la réglementation prévoit que cette prestation ne peut être
versée aux handicapés de moins de 20 ans que s'ils perçoivent une rémunération inférieure à
55 % du SMIC, ou s'ils sont mariés et ne sont plus à la charge de leurs parents, ou encore s'ils
sont eux-mêmes allocataires au titre d'une autre prestation sociale . Lorsque ces conditions ne
sont pas remplies, les handicapés de moins de 20 ans ressortissants des régimes non agricoles
sont censés relever, par décision de la CNAF, du régime des allocations familiales c'est-à-
dire, pour eux, de l'allocation d'éducation spéciale (AES). Or, celle-ci n'est pas versée en
l'absence de parents assurant la charge de l'enfant, d'où un vide juridique pour les intéressés
40) Voir annexe 12.
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de plus de 16 ans et de moins de 20 ans, orphelins ou abandonnés par leur famille. Une lettre
ministérielle du 31 juillet 1989 est bien venue préciser que les handicapés concernés devaient
être reconnus éligibles à l'AAH, mais juridiquement, elle ne saurait introduire dans la
réglementation une modification qui va bien au delà d'une simple interprétation des textes :
seule une disposition de nature réglementaire permettrait de résoudre cette question. Elle
permettrait également de mettre fin à une situation discriminatoire pour les ressortissants du
régime agricole qui s'en tient à l'absence d'AAH pour les jeunes handicapés de moins de 20
ans ne remplissant pas les conditions précitées.
Autre exemple d'une réglementation déficiente : celui de la définition des frais
professionnels susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation compensatrice. Ces frais ne couvrent
pas les dépenses pour études ou pour formation en général, ni le coût de l'utilisation d'outils
technologiques, tels les ordinateurs, compensant le handicap. Dans les rares circonstances où
l'allocation est versée, les besoins ne sont donc pas toujours couverts. Son extension aux
étudiants lourdement handicapés , régulièrement réclamée, est faite spontanément par
certains départements, comme la Haute-Garonne, en dehors des textes réglementaires et
notamment des dispositions du décret du 31 décembre 1977, dont l'article 7 prévoit
l'irrecevabilité des demandes pour des adaptations de véhicules ou des équipements
informatiques.
d) Une réglementation imprécise, voire contradictoire
La réglementation, dans certains cas, est détaillée de manière si excessive qu'elle en
devient pratiquement inapplicable, dans d'autres reste floue et fait apparaître des divergences
critiquables.
* Il en est ainsi des contrôles exercés par les départements sur le bien-fondé de l'aide en
matière d'allocation compensatrice et l'effectivité de la présence d'une tierce personne . Le
caractère effectif de l'aide apportée au handicapé, s'il n'a pas à être prouvé au moment où la
demande initiale est formulée, doit, en revanche, être établi au plus tard lors de l'examen de
la demande de renouvellement de l'allocation. Aussi bien les contrôles exercés par les
départements prennent-ils essentiellement deux formes : vérification des pièces justifiant le
paiement d'une tierce personne , enquêtes sur place pour apprécier l'environnement social et
familial de l'allocataire. Pourtant, les dispositifs mis en place sont très divers dans leurs
modalités et d'une efficacité variable. Tantôt intervient un contrôle strict et qui peut même
aller au delà des exigences posées par les textes, mais qui reste limité à la première
liquidation - cas du département du Lot, par exemple -, tantôt sont exercés des contrôles
annuels par voie de questionnaires, comme dans l'Allier, le Cantal, le Gers ou la Haute-
Garonne, tantôt ont lieu des enquêtes sur place qui se révèlent être le moyen de vérification le
plus sûr (Gers, Haute-Loire, Tarn).
Ce contrôle de l'effectivité de l'aide se révèle particulièrement délicat lorsqu'il s'agit de
l'assistance familiale du conjoint ou des parents et certaines associations de handicapés, telle
l'Association des paralysés de France, reprochent aux départements de ne pas toujours
prendre en compte la réalité de l'aide familiale pour attribuer les allocations et critiquent
également certaines demandes de pièces justificatives (livrets de caisse d'épargne, relevés
bancaires etc.) considérées comme abusives.
Il est regrettable que l'imprécision des textes sur le contrôle et la nature de l'effectivité
de l'aide conduise les départements à mettre en place des modalités diverses de vérification
plus ou moins efficaces, les enquêtes sur place étant généralement peu répandues au profit
des déclarations sur l'honneur dans le cadre du questionnaire annuel. Cette situation a pour
conséquence des politiques très variables de suspension de l'AC en cas de non respect de la
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règle de l'effectivité de l'aide, le nombre de sanctions étant globalement faible par rapport au
nombre d'allocations gérées - 125 cas de suspension en Haute-Garonne en 1991, 6 en
Martinique au cours de la même année - voire nul dans certains départements, comme le Val
d'Oise ou les départements auvergnats ou normands.
** La question de l'intégration des frais d'appareillage dans le prix de journée pour les
personnes handicapées hébergées en MAS donne lieu, elle aussi, à de sérieuses divergences
d'interprétation.
Aux termes du décret n° 88-277 du 26 mars 1988, les frais d'appareillage ne peuvent
être incorporés dans les prix de journée des établissements pratiquant l'hébergement. A partir
de ces prescriptions réglementaires, les organismes d'assurance-maladie admettent le
remboursement, en sus du prix de journée, des frais de réparation des fauteuils roulants.
Toutefois, une circulaire de la direction de la sécurité sociale en date du 4 mars 1991, ayant
comme fondement juridique le même décret, s'efforce de définir la notion d'appareillage en y
introduisant un élément d'individualisation. Tout en confirmant l'exclusion du prix de journée
des appareils et matériels personnalisés qui sont remboursés, à titre individuel - ce qui vise,
notamment, les objets de grand appareillage dont font partie les fauteuils roulants - elle
nuance cette position par deux précisions qui posent parfois problème aux organismes
payeurs : tout d'abord, "les frais d'amortissement et d'entretien des fauteuils roulants non
individualisés sont supportés par la section d'exploitation et couverts par le prix de journée".
Or, compte tenu de la diversité des handicaps et de la multiplication des appareillages de
série adaptés à certaines déficiences, ce critère devient de plus en plus difficile à préciser.
Ensuite, "ces appareillages peuvent toutefois être inclus dans les prix de journée dès lors
qu'ils correspondent à la destination de l'établissement et à la clientèle accueillie".
L'interprétation large ou restrictive de cette possibilité conduit à des inégalités entre les
établissements.
*** Au caractère trop souvent imprécis de la réglementation s'ajoutent de véritables
anomalies. Il en va ainsi de la réglementation relative à l'octroi de l'AAH aux étrangers
résidant en France. Les pays membres de la Communauté économique européenne ont passé
une convention avec la France, et leurs ressortissants sont donc admis au bénéfice de l'AAH.
Le droit à cette allocation a, par ailleurs, été étendu en 1980 aux handicapés qui ne sont pas
eux-mêmes ressortissants communautaires, mais qui sont membres de la famille d'un
ressortissant de la CEE. De plus, il est admis de verser l'AAH à tous les réfugiés ou apatrides,
dès lors qu'ils remplissent les conditions et notamment celle de résidence permanente en
France. Une lettre ministérielle du 5 novembre 1987 précisant la réglementation au regard
des règlements de la CEE sur la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la
communauté prévoit l'attribution des prestations non contributives aux travailleurs et anciens
travailleurs des Etats membres résidant en France dans les mêmes conditions qu'aux
ressortissants français. Il en est de même pour les membres de la famille des ressortissants
communautaires, quelle que soit leur nationalité. Par contre, les conjoints et membres de la
famille d'un ressortissant français qui ne sont ni français ni ressortissants communautaires ne
peuvent bénéficier de l'AAH, sauf convention bilatérale qui n'existe actuellement qu'avec la
Suède. La rigoureuse application des textes conduit ainsi à des disparités entre les membres
de la famille d'un ressortissant français et ceux d'un ressortissant de la CEE, à l'avantage de
ces derniers.
S'agissant toujours des étrangers, la Cour relève la contradiction qui existe dans
l'articulation des deux prestations correspondant à un minimum social que sont
respectivement l'AAH et le revenu minimum d'insertion (RMI) : les étrangers handicapés