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COUR DES COMPTES
Intervention du Premier président
présentation du rapport public particulier
« la gestion de la recherche dans les universités »
13 octobre 2005
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Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour et je vous remercie d’avoir répondu à mon
invitation.
La Cour diffuse aujourd’hui un rapport particulier consacré à « la gestion de la
recherche dans les universités ».
M. Jean Picq, Président de la Troisième chambre, et à ce titre responsable de la
réalisation de ce rapport, vous présentera dans un instant les principaux traits de
ce texte et pourra répondre à vos questions.
J’introduirai de quelques mots cette présentation en m’efforçant de situer le
rapport dans son contexte - contexte caractérisé par de nombreux débats et des
annonces toutes récentes. Cela vous permettra, je l’espère de mieux situer et
apprécier la contribution et les préconisations de la Cour.
Nous savons tous, en effet, que la recherche publique est aujourd’hui l’objet de
toutes les attentions. La publication - et la médiatisation - de résultats considérés
comme médiocres au regard des ambitions que le pays nourrit légitimement dans
ce domaine, ainsi que le mécontentement des chercheurs, ont permis de mettre en
lumière des questions nombreuses et diverses. Questions, qui comme cela est
apparu récemment, ne sont pas uniquement financières. Améliorer les résultats de
la recherche passe aussi par un effort important de structuration, d’organisation et
de gestion du système public. C’est à ce titre que la Cour s’est, depuis longtemps,
préoccupée de la recherche.
Le travail dont nous publions aujourd’hui les résultats est en effet l’étape finale
d’un parcours des juridictions financières engagé il y a plusieurs années et qui a
mis à contribution tant la Cour elle-même que les chambres régionales des
comptes qui effectuent une grande part des contrôles sur les établissements
d’enseignement supérieur.
S’il nous a paru nécessaire de procéder ainsi par étapes, c’est parce que le monde
de la recherche à l’université a été bâti tardivement, qu’il est d’une certaine
manière la résultante des constructions antérieures : celles d’organismes de
recherche puissants, celles d’un ministère acteur lui-même de ce système et celles
d’universités conçues d’abord pour la formation. Sur toutes ces données
antérieures, la Cour s’est déjà exprimée publiquement.
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Cette progression nous a conduit cette fois jusque dans
les laboratoires, ce qui
nous aura permis d’enrichir significativement nos observations.
Il apparaît que le monde des universités est aujourd’hui partenaire à part entière de
la recherche publique. Il accuse dans ce domaine à la fois les faiblesses de
l’ensemble de la recherche française et des faiblesses particulières. Le faire mieux
fonctionner pour améliorer les résultats de la recherche, sans considération d’un
« big bang » institutionnel qui a pu alimenter les débats récents : c’est clairement
l’objectif que poursuit la Cour en publiant ce rapport sur la gestion des activités de
recherche à l’université.
Parmi les pistes d’amélioration que nous suggérons, nombre d’entre elles sont
déjà connues, et plusieurs ont été reprises dans les récentes annonces du
Gouvernement.
D’une certaine manière, et sans en revendiquer le monopole de la paternité, nous
pensons avoir participé à l’élaboration de nombre des mesures qui ont été prises.
Nos précédentes publications, d’une part, les communications que permet notre
procédure contradictoire, d’autre part, ont nourri ces derniers mois des échanges
avec le ministère, les organismes et les universités. Vous le savez, puisque des
extraits de notre texte ont circulé dans d’autres mains que celles de ses
destinataires ; les orientations retenues par le Gouvernement portent la trace de
nos préconisations. Préconisations dont il avait connaissance depuis un ou deux
trimestres. Une fois encore, et contrairement à une idée reçue, vous pouvez voir là
un exemple des effets que peut produire une intervention de la Cour, y compris
sur des sujets complexes.
Notre rapport annuel, que je vous présenterai au mois de février, sera une nouvelle
occasion de vous le démontrer.
En l’occurrence, vous constaterez que les mesures annoncées reflètent les
critiques, mais surtout les orientations de la Cour.
Au-delà, j’insisterai sur une particularité du travail de la Cour qui vous est
présenté aujourd’hui : le prisme d’analyse que nous avons choisi, qui est celui de
la recherche à l’université, nous conduit à faire des recommandations spécifiques
à l’organisation et la gestion des activités de recherche à l’université, et à insister
tout particulièrement sur des aspects auxquels il faudra veiller au moment de la
mise en oeuvre des réformes. Car si nous ne pouvons pas répondre à la question de
la pertinence du modèle français de recherche publique, éclatée entre organismes
de recherche et universités, nous sommes persuadés que des progrès significatifs
doivent encore être faits pour permettre à chacun des deux piliers de donner le
meilleur. de lui-même.
Aujourd’hui, c’est donc le tour des universités d’être sous notre loupe.
Mon exposé sera organisé en 3 points.
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Je ferai d’abord l’inventaire des annonces des pouvoirs publics qui répondent à
nos préoccupations exprimées dans le rapport ou nos travaux précédents.
Puis j’évoquerai certaines de nos préconisations que nous aimerions voir mieux
prises en compte...
Et enfin, j’exprimerai trois de nos craintes qui demeurent à peu près entières.
I - Premier point, donc : La recherche, a toujours estimé la Cour, a besoin
que
soient mis en oeuvre dans la pratique des principes structurants
qui
concernent tant les organismes de recherche que les universités. Il se trouve que
de tels principes viennent de faire l’objet d’annonces précises par le
gouvernement.
Les premiers concernent les dispositifs centraux.
C’est en premier lieu,
la création d’un haut Conseil de la science et de la
technologie
, qui donne un horizon à long terme pour allouer les moyens de la
sphère publique : lutter contre un éparpillement excessif tout en laissant la liberté
aux chercheurs suppose un équilibre, difficile à trouver, mais indispensable dans
un système public comme le nôtre.
C’est surtout la
création d’une Agence de l’évaluation
qui correspond, dans son
principe, à notre voeu de
révision de nos dispositifs d’évaluation
. La Cour a, à de
multiples reprises, souligné le caractère insatisfaisant de l’évaluation de la
recherche. Et je rappelle sa conviction : réviser, selon elle, cela veut dire, d’abord,
unifier les dispositifs existants, alors qu’ils sont aujourd’hui spécifiques à chaque
type de laboratoire ou d’équipe. Réviser, cela veut dire aussi et surtout, de
manière prioritaire, assurer la transparence des critères et l’information sur les
résultats des évaluations qui sont conduites. Réviser cela veut dire enfin soumettre
toute activité de recherche à l’évaluation et donc lui soumettre toute personne
étant supposée avoir une activité de recherche.
A ce propos, je voudrais faire une mise au point, que je ne crois pas inutile : la
Cour ne fait aucun procès à aucune catégorie professionnelle. Elle a bien sûr noté
les lacunes de l’évaluation individuelle des enseignants-chercheurs : que ce soit
son absence complète au titre de leur activité d’enseignant, ou son insuffisance au
titre de leur activité de recherche. Mais elle ne dira rien d’autre que ceci :
l’évaluation est un mécanisme vertueux d’amélioration de la qualité et qu’elle doit
être mise au service d’une meilleure valorisation des talents de chacun, y compris
des enseignants-chercheurs.
La deuxième orientation structurante concerne les carrières scientifiques.
On sait, pour s’en désoler depuis plusieurs années la désaffection des étudiants à
l’égard des carrières scientifiques. Nous ne sommes pas les seuls à en souffrir,
mais le mal est chez nous peut-être plus aigu qu’ailleurs.
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La Cour a pu mesurer les progrès rapides effectués en matière de formations
doctorales avec la création des écoles doctorales et la mise en oeuvre, même si elle
est un peu lente, des exigences de qualité qui
l’accompagnent. Nous sommes là
au coeur d’une mission qui échoit aux seules universités. La Cour considère qu’il
faut poursuivre ces efforts avec ténacité tant les habitudes anciennes sont vivaces,
comme le montre son travail sur l’encadrement et les jurys de thèse où les
améliorations pourraient être rapides. Ne pas faire de la thèse une impasse
professionnelle est une nécessité. Or cette nécessité est insuffisamment prise en
compte.
Enfin, troisième orientation, favoriser les coopérations
Pour faire émerger des équipes puissantes, internationalement reconnues, deux
paramètres sont indispensables, d’une part, des hommes qui travaillent ensemble,
d’autre part une capacité d’adaptation rapide à de nouveaux projets.
S’agissant des projets, la Cour pense qu’il faut accroître la part des financements
incitatifs, alloués à des projets : seuls ceux-ci peuvent fédérer des initiatives,
remédier au cloisonnement des équipes et des institutions, faire émerger le travail
en réseau. L’exemple des programmes européens montre à la fois l’intérêt majeur
de ce type de financement, mais aussi la difficulté qu’ont les unités françaises à
entrer dans cette logique. Raison de plus pour la privilégier.
La Cour pense au demeurant que l’université, par sa dimension pluridisciplinaire,
offre un cadre adapté à cette évolution. Les équipes universitaires, qui ont su
nouer des partenariats avec les organismes de recherche par le passé, doivent
poursuivre dans la voie de la collaboration, pour constituer des équipes renforcées
et plus lisibles. L’émergence des maisons de sciences de l’homme que décrit le
rapport montre la voie, dans un domaine pourtant moins ouvert que les autres
champs disciplinaires à la constitution d’équipes structurées. Quelle que soit la
formule retenue, comme celle des « pôles de recherche et d’enseignement
supérieur » qui ont aujourd’hui les faveurs, il importera que les organisations
mises en place n’aient pas comme conséquence une complexité accrue, bref ne
constituent pas un étage de plus, comme ce fut malheureusement le cas trop
souvent avec les instituts fédératifs de recherche, ce qu’a démontré la Cour.
Ne nous aveuglons pas : il est fort probable que la concentration des moyens
financiers alloués à la recherche sur des lieux moins nombreux qu’aujourd’hui est
indispensable. Mais l’émergence de pôles forts ne doit pas conduire à supprimer
l’accès à la recherche pour certaines universités. Ce serait d’ailleurs un contresens
au regard de ce qu’est l’enseignement supérieur qui est un lieu d’élaboration et de
transmission des savoirs et qui, de ce point de vue, participe pleinement au monde
de la recherche. Mais, si la France a fait le choix d’avoir un grand nombre
d’universités, pour répondre aux besoins d’enseignement, il faut aussi prendre en
compte les besoins et les contraintes de la recherche pour organiser ses activités
au bénéfice de tous.
II - Deuxième point. La Cour a bien noté que le Gouvernement a fait de
l’amélioration de la compétitivité des laboratoires
une obligation. Elle ne peut
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que s’en réjouir, dès lors qu’il s’agit de mieux utiliser les ressources disponibles et
d’accroître la réactivité des laboratoires. Pour autant la connaissance qu’avait la
Cour des modalités d’organisation et de fonctionnement des universités et les
constats qui ont été directement opérés dans les laboratoires au cours de cette
enquête nous conduisent à insister sur plusieurs dimensions de cette question.
Pour ce qui concerne les modalités de financement, j’ai déjà eu l’occasion de
souligner l’intérêt des financements dits « incitatifs », ceux qu’accordera en
particulier l’Agence de la recherche. Il s’agit non pas d’introduire une instabilité
chronique dans la vie des équipes, mais de promouvoir la souplesse et l’adaptation
à des thématiques nouvelles. Il ne s’agit pas non plus de supprimer les
financements alloués dans le cadre des contrats quadriennaux qui lient les
universités au ministère et aux organismes de recherche ; il nous semble
précisément que la formule présente de nombreux avantages, que décrit le rapport,
il s’agit de ne plus en faire la formule de financement quasi-exclusive, comme elle
l’a été pendant de nombreuses années.
Quant à l’allègement des procédures qu’a annoncé le Gouvernement, il ne
concerne directement les universités que par l’adaptation des règles de la
commande publique qui est prévue.
Pourtant la Cour se doit de souligner que les progrès ne seront réels que si
les
universités améliorent significativement leur gestion
. La Cour a déjà dit et redit
que la fonction de gestion des universités était mal assurée ; elle ne peut que
réitérer cette critique aujourd’hui, sachant qu’elle s’adresse aux universités, mais
aussi au ministère. Valoriser la fonction administrative, accepter la mise en place
d’une gestion professionnelle des activités d’enseignement et de recherche dans
les universités sont des premières étapes, revoir le mode de « gouvernement » en
sera une autre. Dès lors qu’elle serait basée sur une bonne information et sur
l’application de règles claires et adaptées aux objectifs poursuivis, la bonne
gestion rassurera, la Cour en est persuadée, les bailleurs de fonds tout autant que
les chercheurs.
Elle est, en tout cas, le prélude incontournable à une autonomie réelle que la Cour
continue à penser tout aussi indispensable. Car curieusement, le monde
universitaire qui proclame son indépendance, ne se gère pas dans l’autonomie,
tant nombre de décisions stratégiques pour son développement sont prises en fait
par le ministère, au mieux en concertation, souvent dans la confusion des
responsabilités. C’est le cas pour le financement des équipes, qui bénéficient de
dotations fléchées dans les contrats quadriennaux. C’est aussi le cas pour le
recrutement des enseignants-chercheurs.
Si la Cour prône l’autonomie, c’est qu’elle est aussi synonyme de responsabilité :
choisir une stratégie, regarder les résultats et en tirer les conséquences ne peut se
faire que si l’on dispose des moyens pour la mener à bien. C’est aussi vrai dans le
domaine de la recherche que dans le domaine de l’enseignement. La construction
d’un projet scientifique et la mise en oeuvre de ce dernier par des organes
spécialisés dans l’université restent des priorités. L’évaluation dont je parlais en
premier en est le corollaire obligé. L’émergence d’un pilote au niveau central
permet en outre de « caler » les projets stratégiques définis au niveau des
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établissements. Donner de l’autonomie aux universités ne signifie pas, en tout cas,
de rompre un dialogue nécessaire avec l’administration centrale et les
organismes : il s’agit de lui donner une réelle portée et donc une meilleure
efficacité.
Il faut aussi améliorer la gestion des laboratoires mixtes qui sont les plus
nombreux aujourd’hui : trop compliquée, cette gestion prend trop de temps et se
révèle un frein à tout ce dont on vient de parler : une gestion professionnelle, une
bonne allocation des moyens. In fine, c’est aussi un frein à la participation aux
programmes-cadres européens dont, pourtant, tout le monde s’accorde à
reconnaître la pertinence et l’importance pour la recherche, pour ne même pas
parler de la source de financement qu’ils représentent.
La Cour a pu mesurer au cours de son enquête combien une gestion éclatée,
obéissant à des règles différentes selon les financeurs était pénalisante et c’est
pourquoi elle préconise de choisir un gestionnaire unique pour chacun d’entre
eux, agissant selon des règles adaptées aux diverses catégories de laboratoires. La
formule du mandat de gestion est, selon elle, une des formules possibles qu’il
faudra expérimenter.
III – Troisième et dernier temps de cet exposé : le rapport traite aussi de trois
points qui pourraient constituer des obstacles à la mise en oeuvre des réformes si
l’on n’y prenait pas garde.
Le premier concerne
la valorisation des activités de recherche
. Je rappelle que
la Cour avait consacré un rapport public particulier à ce sujet pour les organismes
de recherche en 1997.
Les faiblesses dénoncées hier existent toujours aujourd’hui
dans les universités, malgré quelques progrès. Pour inciter plus que par le passé à
cette valorisation, la Cour préconise à la fois de définir des règles permettant
d’identifier plus clairement qu’aujourd’hui les « inventeurs » et donc d’imputer
précisément aux équipes ou aux personnes les résultats de la recherche ; d’offrir
une panoplie de systèmes juridiques adaptés ; de connaître les coûts avant
d’envisager une réponse financière
à des besoins spécifiques.
La Cour a noté que pour certaines universités, la valorisation de la recherche peut
recouvrir l’offre de prestations de service. Les problèmes sont différents, mais les
principes sont similaires : il est certain que, comme la collaboration avec des
organismes privés, la réponse à une demande peut être une occasion de
développer des recherches, d’en trouver des applications qui sont aussi l’objectif
de la recherche publique. Là aussi la question est de définir un cadre juridique qui
ne soit pas un obstacle mais un facilitateur.
C’est donc bien un cadre, ou plutôt des formules spécifiques aux universités qu’il
faut mettre au point, en tenant compte de la grande dispersion des équipes entre
des établissements parfois trop petits pour faire face aux questions très
spécialisées et parfois aux financements nécessaires.
Le deuxième point concerne
les personnels enseignants-chercheurs
. La Cour a
noté les risques de « localisme » et a contrario l’intérêt des
mobilités
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professionnelles pour les chercheurs. Elle recommande donc d’insuffler dans les
dispositions statutaires des enseignants-chercheurs des incitations à la mobilité,
voire des obligations dans ce domaine.
De manière plus générale, afin de valoriser au mieux les compétences des uns et
des autres, la Cour soutient la solution, imaginée par certains enseignants-
chercheurs eux-mêmes, de moduler la participation de chacun aux diverses
activités qui leur sont statutairement dévolues et ceci en fonction des attentes des
établissements et des compétences des individus. Elle note au passage qu’il
s’agirait de restaurer une souplesse qui avait bien été prévue à l’origine… La Cour
suggère de faire conclure avec chacun un contrat individuel d’activité, permettant
de préciser le partage des activités entre ses différentes missions, et de le réviser
périodiquement.
Enfin, troisième point, une bonne articulation entre le futur Haut conseil et le
ministère de la recherche devrait permettre
d’améliorer le dispositif national de
régulation et de pilotage financier
. La Cour tient toutefois à cette occasion à
rappeler
qu’elle
est
perplexe
sur
le
découpage
actuel
de
la
mission
interministérielle « recherche » qui isole un programme consacré aux universités,
de nature pluridisciplinaire, face à des programmes sectoriels auxquels les
universités émargeront de manière indirecte, notamment dans les unités mixtes.
Elle ne peut par ailleurs que souhaiter que, là encore, la création de nouveaux
organismes et dans ce cas, l’Agence nationale de la recherche ne soit pas une
occasion de rendre encore plus complexe un schéma qui l’est déjà beaucoup.
Voilà ce que je souhaitais vous dire.
Je vous remercie de votre attention et je donne la parole au Président Picq qui va
apporter toutes précisions utiles sur le contenu du rapport.