Dépôt du rapport public annuel devant le Sénat
Extrait des comptes-rendus des débats, journée du 4 février 2004
M. LE PRÉSIDENT.
– L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des
comptes par M. Logerot, premier président de la Cour des comptes.
Messieurs, veuillez introduire M. le premier président de la Cour des comptes. (M. le premier
président est introduit dans la salle des séances.)
Monsieur le Premier Président, nous sommes heureux de vous accueillir, en espérant que vous
garderez un bon souvenir de votre passage au Sénat. Si vous souhaitez y revenir, vous y serez
toujours le bienvenu, mais pas comme sénateur : le compte y est ! (Sourires.)
M. LOGEROT, premier président de la Cour des comptes.
– J'ai l'honneur de déposer sur le
Bureau du Sénat le rapport public annuel de la Cour des comptes, remis hier au Président de la
République. Je suis sensible à l'honneur que me fait le Sénat en me permettant de lui présenter
les travaux réalisés en 2003.
Depuis plus de dix ans, le rapport public, n'est plus la seule publication de la Cour. Il est l'un de
ses dix rapports pour l'année 2003. Outre ses communications sur l'exécution du budget et sur la
sécurité sociale, la Cour a consacré sept rapports thématiques à des sujets d'actualité. Qu'il
s'agisse des pensions des fonctionnaires, de la gestion du système éducatif, ou encore de La
Poste, les constats et recommandations de la Cour ont été délivrés au moment où ces sujets
étaient en débat et où des décisions étaient en préparation. Nous avons donc anticipé la
programmation de ces travaux, pour être le moment venu en phase avec l'événement. La Cour
entend ainsi contribuer à la modernisation de la gestion de l'État et à l'évaluation des politiques
publiques.
Mais le rapport public annuel reste spécifique. Tout d'abord, il est l'occasion de faire connaître
l'activité des juridictions financières.
Le rapport d'activité, publié depuis trois ans dans un fascicule distinct, répond aux questions de
plus en plus souvent posées : qui êtes-vous ? Comment travaillez-vous ? Qui décide de vos
thèmes de contrôle ? Êtes-vous efficaces ? Cette curiosité est légitime, puisque nous critiquons,
parfois durement, l'administration, les entreprises publiques, quelquefois les associations. Ce
rapport d'activité tente de répondre à ces questions de manière plus concrète que précédemment.
Nous y abordons le contenu même de notre travail. Nous décrivons le contrôle de la gestion, en
restituant cette notion par rapport aux principes utilisés par nos homologues étrangers, en
expliquant ce que pourra être le contrôle de la performance, terme consacré par la loi organique
relative aux lois de finances.
Exposer notre propre activité, montre que nous devons rendre compte.
Le rapport d'activité permet aussi d'exposer les effets des interventions de la Cour et des
chambres régionales des comptes. Notre pouvoir est de dire les choses, en l'occurrence de les
écrire aux ministres, au Parlement ou de les publier. Les suites qui peuvent être données à nos
communications sont notamment entre vos mains.
Les observations figurant dans le présent rapport pourront vous frapper par la diversité des
champs abordés. Vous en connaissez la raison : presque rien de ce qui concerne l'argent public ne
nous est étranger. Nos compétences sont même parfois trop étendues, puisque nos compétences
traditionnelles ont tendance à s'alourdir, alors que la Cour des comptes devra bientôt analyser
l'exécution des missions et programmes des administrations et certifier les comptes de l'État.
Le rapport traite ainsi, cette année, d'un aspect rarement abordé : les recettes fiscales d'une
collectivité territoriale, en l'occurrence la Nouvelle-Calédonie dont la loi organique de 1999 a
consacré l'autonomie fiscale.
Il est aussi très divers par la teneur des observations elles-mêmes, que l'on peut classer en trois
catégories.
Certaines insertions contribuent à l'évaluation de politiques publiques. Ainsi, l'insertion sur la
professionnalisation des armées fait un premier bilan de la manière dont le ministère de la
Défense a opéré une transformation radicale des armées en un minimum de temps et dans un
cadre financier contraint.
Dans le même registre, la Cour dresse un premier bilan de la réforme intervenue dans le secteur
ferroviaire, avec la création en 1997 de Réseau ferré de France : le financement des
infrastructures a été assaini, mais la croissance de la dette n'est pas encore arrêtée.
À propos de la lutte contre l'alcoolisme, la Cour souligne que l'État s'est déchargé sur la Caisse
nationale d'assurance maladie.
La politique d'aide à la petite enfance a des effets positifs au regard des évolutions
démographiques, mais la Cour relève certaines contradictions internes.
D'autres insertions portent sur des organisations et des systèmes.
C'est le cas de l'observation relative au ministère de la Recherche, qui clôt une série de travaux
engagés en 1999 par l'analyse des relations entre les établissements publics de recherche et leur
ministère de tutelle. Elle tend à cerner les difficultés auxquelles se heurte la recherche, qu'il
s'agisse des crédits, de la gestion du personnel ou des stratégies de recherche.
L'insertion sur l'État et le mouvement sportif national analyse la difficile mutation des
interventions du ministère à l'égard des fédérations sportives, dont certaines sont marquées par la
médiatisation.
Enfin figurent dans le rapport des insertions relevant du contrôle de la performance.
L'analyse du projet T.G.V. Méditerranée souligne les progrès enregistrés, par rapport au T.G.V.
Nord, dont la réalisation avait donné lieu à de graves critiques de la Cour en 1996.
Les grands programmes du Commissariat à l'énergie atomique montrent une certaine difficulté à
réagir rapidement et à optimiser l'allocation de moyens comptés.
L'insertion consacrée aux agences de l'eau, examine le septième programme des agences, achevé
en 2002. Cet élément essentiel de la préservation de la ressource est au coeur des débats sur la
politique de l'eau.
Je ne mentionnerai pas chacune des 24 insertions du rapport, toutes représentatives soit de
difficultés juridiques ou financières, soit de dérives nées de choix inappropriés ou de contrôles
internes insuffisants.
Leur diversité montre aussi que la Cour a changé : ne se limitant pas à la litanie des incidents,
elle contribue au débat sur des questions complexes qui sont le lot des décideurs, gouvernants ou
parlementaires.
Mais je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer la mise en oeuvre de la loi organique
sur les lois de finances. Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances, remis en juin, la
Cour s'était inquiétée du retard pris par certaines administrations face à cette nouvelle
constitution budgétaire. La Cour continuera d'assister le Sénat dans l'analyse de la maquette des
missions et des programmes de l'État. Mais je répète que si cette réforme devait se limiter à une
présentation plus attrayante des dépenses et des recettes de l'État, une occasion unique de rénover
la gestion publique aurait été manquée.
La Cour accordera une priorité particulière à cette mission, à la fois puissante incitation et point
d'application de sa propre modernisation. Pour ce faire, je souhaite que le Sénat soutienne la
Cour dans ses demandes de moyens, indispensables à ses nouvelles missions.
Enfin, je me félicite des relations fructueuses qui se sont nouées entre votre Haute Assemblée et
la Cour des comptes. Depuis bientôt trois années, la commission des Finances et la Cour ont su
faire vivre les dispositions de la nouvelle loi organique, et particulièrement son article 58 ; ce
n'est pas moins de douze rapports que la Cour aura remis à la Commission entre 2002 et fin
2004, et la Cour se félicite que votre commission des Finances, sous l'impulsion du président
Arthuis, organise une audition des ministres ou hauts fonctionnaires compétents pour débattre de
chacun de ces rapports. La Cour est aussi sensible au vif intérêt que portent la commission des
Affaires sociales et son président, M. About, au rapport annuel sur l'exécution de la loi de
financement de la sécurité sociale.
J'espère qu'encore une fois, la Cour aura permis d'éclairer certains de ces débats et de faire
prévaloir les principes de la bonne gestion publique. (Applaudissements à droite et au centre.)
M. LE PRÉSIDENT.
– Le Sénat donne acte du dépôt de ce rapport.
M. ARTHUIS, président de la commission des Finances.
– Comme à son accoutumée, le
premier président de la Cour des comptes a brillamment résumé le rapport public annuel qu'il
vient de déposer au Sénat, après l'avoir remis hier au Président de la République, puis à
l'Assemblée nationale.
Je vous prie d'ailleurs de bien vouloir excuser ce décalage inhabituel d'une journée entre la
présentation de ce rapport à l'Assemblée nationale et son dépôt au Sénat, qui résulte de ce que la
commission des Finances était réunie lundi et mardi à Compiègne, à l'invitation de notre collègue
Marini, rapporteur général, pour un séminaire de réflexion sur l'organisation de ses missions de
contrôle et sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances
(L.O.L.F.). Je remercie M. le premier président de la Cour des comptes pour ce calendrier
accommodant, qui soumet la Cour à une forte pression de la part de la presse.
Cette pression est légitime, car le « cru 2003 » des observations des juridictions financières est
particulièrement intéressant. En effet, outre le faisceau d'études ponctuelles qui illustrent les
carences récurrentes de l'État en matière de politique immobilière, de gestion des ressources
humaines et de réflexion stratégique, justifiant a contrario, s'il en était encore besoin, la
modernisation de la gestion budgétaire engagée avec la L.O.L.F., la Cour propose cette année de
nombreux éclairages sur des politiques transversales comme l'aide à la petite enfance, la
professionnalisation des armées ou la lutte contre l'alcoolisme. Intitulée « le rôle du ministère de
la Recherche et ses moyens d'action », l'une de ces études présente une analyse d'une brûlante
actualité sur « la crise de confiance entre les acteurs de la recherche », dont la Cour souligne que
son origine « remonte à plusieurs années ».
Quoi qu'il en soit, ce rapport public annuel ne constitue que la figure de proue de la mission
d'assistance au Parlement que l'article 47 de notre Constitution a confiée à la Cour des comptes.
Comme l'expose le rapport d'activité des juridictions financières, la Cour des comptes transmet
en temps utile au Parlement une part croissante du produit de ses investigations. Ainsi, les référés
du premier président aux ministres et les réponses de ceux-ci sont désormais transmis de droit
aux commissions des Finances. Ces procédures sont extrêmement précieuses et les documents
ainsi transmis sont lus avec attention à la commission des Finances du Sénat, au point que nous
souhaiterions parfois que la Cour formule des diagnostics moins précautionneux et des
recommandations plus précises. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour
2004, notre commission a d'ailleurs défendu, non sans succès, des amendements courageux
directement issus des recommandations de la Cour, comme celles relatives au coût et à l'absence
de contrôle de « l'indemnité temporaire » majorant depuis 1952 les pensions des fonctionnaires
de l'État qui choisissent de passer leur retraite dans un des territoires d'outre-mer ou à la Réunion.
Plus généralement, près des trois quarts des 58 rapports publiés cet automne par la commission
des Finances s'appuient sur des travaux de la Cour des comptes, citée à plus de 500 reprises.
Au-delà du succès de ces procédures d'information du Parlement, je me félicite aussi des
fructueuses relations entre le Cour et notre commission des Finances pour la mise en oeuvre des
deux premiers alinéas de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001.
L'année 2003 aura ainsi permis de définir les modalités d'exploitation, par la commission des
Finances, des enquêtes demandées à la Cour dans le cadre de l'article 58-2°), dont neuf ont été
reçues à ce jour. L'une a fait l'objet d'une audition de notre commission des Finances, mais n'a
pas été rendue publique, afin de préserver la confidentialité d'éléments relatifs à la stratégie d'une
entreprise. Mais quatre ont donné lieu à des rapports d'information de notre commission et les
quatre autres seront exploitées dans les semaines à venir. Les modalités retenues – audition
conjointe par la commission des Finances des magistrats de la Cour ayant conduit l'enquête ainsi
que les responsables de l'organisme contrôlé ou du ministre concerné puis, sauf circonstances
exceptionnelles, publication dans un rapport d'information de la commission du procès- verbal de
cette audition, de l'enquête de la Cour et des réponses de l'organisme concernés ou du ministère –
fonctionnent donc désormais à la satisfaction non seulement de la commission des Finances,
ainsi éclairée, mais aussi des magistrats de la Cour, qui trouvent un débouché tangible à leurs
investigations, ou des responsables des organismes contrôlés, qui ont ainsi l'occasion de
s'expliquer publiquement.
Quant à 2004, nous sommes convenus de ce que cette année serait l'occasion d'expérimenter la
procédure de l'article 58- 1°) de la L.O.L.F., qui permet à des magistrats de la Cour d'apporter
concrètement leur concours à des contrôles de notre commission.
Ce faisant, j'ai bien conscience que nous accroissons la charge de travail à la Cour, également
confrontée au défi de la certification des comptes de l'État. Enfin, rançon de la confiance que le
législateur attache à la Cour des comptes, celle-ci se voit sans cesse confier de nouvelles
responsabilités, puisque la loi du 1er août 2003 relative au mécénat a étendu sa compétence au
contrôle des dépenses financées par des dons ouvrant droit à avantage fiscal, et que la loi du 30
juillet 2003 a prévu le recours aux juridictions financières pour résoudre certaines questions
relatives aux fédérations de chasse.
Ces évolutions soulèvent évidemment la question des moyens des juridictions financières. Si
ceux des chambres régionales sont stables, ceux de la Cour des comptes sont en légère
augmentation depuis 2001. En outre, je connais, monsieur le Premier Président, vos efforts pour
accroître l'efficience de vos services et je ne doute pas que les magistrats financiers aient à coeur
de faire du futur programme « juridictions financières », dont je salue la création, un modèle de
gestion publique.
Cela étant, je crains, comme vous, monsieur le Premier président, que ces efforts ne suffisent à
l'ampleur de la tâche. Mais la commission des Finances du Sénat s'attachera à ce que la Cour des
comptes dispose des moyens, notamment sous la forme de crédits d'études et de postes
d'assistants techniques, nécessaires aux nouvelles missions que lui a confiées le Parlement. Nous
nous interrogeons d'ailleurs sur l'opportunité de ranger le programme « juridictions financières »
au sein de la mission ministérielle « Gestion et contrôle des finances publiques ». En effet,
l'obligation de certifier la régularité et la sincérité des comptes de l'État suppose une déontologie
et une indépendance qui requièrent elles-mêmes des garanties quant à vos moyens.
Nous aurons dans les prochaines semaines l'occasion d'en débattre avec le gouvernement et je
suis convaincu que nous rencontrerons l'assentiment de notre ancien collègue Alain Lambert qui,
à l'occasion du dépôt au Sénat de votre rapport annuel pour 2001, estimait déjà indispensable que
la Cour des comptes soit le maillon fort de la mise en oeuvre de l'ordonnance organique.
(Applaudissements au centre et à droite.)
M. ABOUT, président de la commission des Affaires sociales.
– Je m'associe aux propos du
président Arthuis et je vous remercie, monsieur le Premier Président, de la disponibilité, des
conseils et des analyses de la Cour des comptes ; la commission des Affaires sociales en tire
toujours des enseignements de qualité. (Applaudissements à droite et au centre.)
M. LE PRÉSIDENT.
– Huissiers, veuillez reconduire M. le premier président de la Cour des
comptes. (M. le premier président quitte la salle des séances.)