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OUR DES
C
OMPTES
L’organisation des soins
psychiatriques :
les effets du plan “Psychiatrie
et santé mentale”
2005-2010
Décembre 2011
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés sont insérées dans le rapport.
Sommaire
3
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Le poids excessif de l’hospitalisation complète
. . . .
7
2
“Santé-justice” : progrès inaboutis
. . . . . . . . . . .
11
3
Un pilotage insuffisant, au détriment d’objectifs
essentiels
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
4
L’organisation territoriale
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
22
Présentation
5
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L
es pathologies relevant de la psychiatrie arrivent en France au troisième rang des
maladies les plus fréquentes après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Plus
d'un million de prises en charge sont assurées chaque année pour un coût à la charge du
seul régime général d’assurance maladie de l’ordre de 13 Md€ par an, soit environ 7 %
de ses dépenses.
S'y ajoute un montant indéterminé à la charge d'autres régimes sociaux, et, au titre
notamment de la prise en charge sociale et médico-sociale, de l’État et des collectivités ter-
ritoriales. Le coût économique et social de ces pathologies est au total évalué à quelque
107 Md€ par an en France, montant analogue à celui constaté en Angleterre par exem-
ple.
Cet enjeu majeur de santé publique a fait l’objet au cours des dernières années de mul-
tiples rapports aux recommandations généralement convergentes. Un plan « psychiatrie et
santé mentale » a été mis en œuvre par les pouvoirs publics à compter de 2005. Ses cinq
axes stratégiques étaient décomposés en 12 objectifs opérationnels, déclinés en 33 mesures
donnant lieu à 196 actions.
Afin d'en établir un bilan et d'examiner les leçons à en tirer, la Cour a procédé à une
enquête approfondie en 2011. Cette enquête a été circonscrite aux soins psychiatriques, hors
maladie d’Alzheimer, autres démences et troubles envahissants du développement tels que
les formes d'autisme.
Des visites ont été effectuées dans onze régions, auprès d'une quarantaine d'établisse-
ments psychiatriques ou pénitentiaires et des agences régionales de santé.
Des contacts constants ont été entretenus pendant l’enquête avec le Haut conseil de la
santé publique (HCSP) qui a publié de son côté un rapport d’évaluation de la mise en
œuvre du plan sous un angle plus médical.
L'absence dans la loi d'une mission de service public de la psychiatrie
Un constat central est que la réalisation du plan a été obérée par le flou entourant la
coordination géographique des services hospitaliers et extrahospitaliers : la « sectorisation
psychiatrique », dont la base juridique a, parallèlement, été progressivement estompée. Les
plans régionaux de santé en cours de développement par les agences régionales de santé sont
de nature à remédier partiellement, mais, malgré le plan, cette mission de service public
a été, omise dans la loi « HPST » de 2009. Une des principales recommandations de la
Cour, (liste en annexe de cette synthèse) est de l’instaurer.
Dans sa réponse publiée en annexe du rapport, le ministre du travail, de l’emploi et
de la santé adopte cette recommandation et annonce une concertation avec les professionnels
à cet effet.
7
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
1
Le poids excessif de
l’hospitalisation complète
Ce chapitre examine l'impact du
plan sur les prises en charge des patients
et leurs parcours de soins, au regard en
particulier de la bonne articulation des
acteurs. Celle-ci est déterminante pour
la pertinence et la qualité des soins
comme pour prévenir et réduire les
ruptures. L’offre de soins se répartit
entre l’hospitalisation complète, les
alternatives à l’hospitalisation et les
prises en charge ambulatoires assurées
par des structures extrahospitalières ins-
tallées en ville auxquelles s’ajoutent les
consultations en ville.
La réduction du nombre de lits hos-
pitaliers a été poursuivie :
Nombre de lits
2001
2005
2010
Psychiatrie
61 920
58 580
57 410
Générale
59 840
56 500
55 240
Infanto-juvénile
2 080
2 080
2 170
La saturation constatée des capacités
de prise en charge en hospitalisation
complète tient toutefois essentiellement
à l’inadaptation de leur utilisation. En
effet, l'objectif de favoriser les prises en
charge extrahospitalières et de désen-
gorger les lits d’hospitalisation complète
n’a pas été atteint, malgré quelques pro-
grès.
Du fait de courants divisant les pro-
fessionnels de santé de manière parfois
antagoniste, il n’y a, au demeurant, pas
de consensus sur un juste recours à ce
type de prise en charge. La rédaction
très consensuelle du plan n’a guère sur
ce point rapproché les points de vue.
Loin de « décloisonner »
(1)
l’hospi-
talisation,
certaines
mesures
ou
annonces postérieures au lancement du
plan ont ainsi durci clivages et incom-
préhensions, notamment en matière de
sécurité
et
d'hospitalisation
sans
consente-ment. A côté de progrès
remarquables, des situations difficiles
perdurent.
Les hospitalisations inadaptées, les
transferts intempestifs de patients du
fait de suroccupations, les ruptures dans
la prise en charge liées à des change-
ments de résidence, notamment pour les
populations précaires ou pour les per-
_______________
(1) Le HCSP a publié en 2011 une étude réalisée pour lui par le CREDOC sur ce sujet.
Le poids excessif de
l’hospitalisation complète
8
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
sonnes incarcérées, sont ainsi relevées
par la Cour. Les alternatives à l’hospita-
lisation demeurent trop peu dévelop-
pées, et le chaînage est encore défaillant
avec les structures médico-sociales. Ces
situations exposent à des risques élevés
de perte d'efficacité de soins par ailleurs
souvent onéreux.
L’augmentation des
effectifs
S’agissant des personnels, le bilan est
en demi-teinte. L’évolution des effectifs
des établissements est mal connue : un
changement de méthodes rend les don-
nées ci-après peu comparables entre le
début et la fin du plan.
Ce dernier a néanmoins permis
d’augmenter les moyens, notamment en
milieu extrahospitalier. Leur estimation
en équivalents temps plein est la sui-
vante :
2005
2010
Médecins salariés
7 800
8 500
Soins
96 000
97 400
Educatifs & soc.
6 300
7 100
TOTAL
110 100
113 000
Internes
1 300
1 550
Libéraux
1 230
1 310
Au 1er janvier 2011, tous modes
d’exercice confondus, les psychiatres
étaient 13 645 en métropole (39,5 %
en exercice libéral exclusif ou mixte, et
60,5 % de salariés), dont plus du tiers en
Ile-de-France. S'y ajoutaient 142 généra-
listes ayant une compétence psychia-
trique, dont 96 salariés.
Alors qu’une correcte répartition
des moyens sur le territoire est essen-
tielle à l’égalité d’accès aux soins, 80 %
des psychiatres exercent dans des villes
de plus de 50 000 habitants.
Les emplois ne sont que difficile-
ment pourvus dans les départements
peu urbanisés. Les mesures prévues
pour inciter les psychiatres à s’y installer
n’ont pas été mises en œuvre.
Plus généralement, le plan n'a pas
traité le problème des postes vacants,
soit un sur cinq postes budgétaires
(1 155 au 1er janvier 2009, taux souvent
proche de celui des autres spécialités).
Une dizaine de cartes illustre dans le
rapport les disparités entre régions ou
départements.
En nombre de psychiatres libéraux
par 100 000 habitants, les inégalités de
répartition se sont légèrement accen-
tuées entre 2000 et 2010 : les écarts
allant du simple au décuple.
Le poids excessif de
l’hospitalisation complète
9
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Il en va de même pour les psychiatres salariés des établissements de santé, soit,
par 100 000 habitants au 1er janvier 2010 :
Le poids excessif de
l’hospitalisation complète
10
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
La formation des infirmiers a été
renforcée notamment grâce au tutorat
des agents débutants. Cette action a
bénéficié de 46,7 M€ (à mi-2011),
mesure prolongée jusque fin 2012 afin
de tirer parti des 75 M€ prévus.
De même, les mesures qui visaient à
porter la formation des psychiatres à
cinq années, ou à créer un mastère de
recherche en psychiatrie, sont restées
inappliquées.
Les mesures visant à une accrédita-
tion des instituts de formation d'infir-
miers et à la réorganisation des stages
ont, elles, été abandonnées.
11
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
2
« Santé-justice » :
progrès inaboutis
Ce chapitre du rapport analyse le
principal programme consacré à une
population donnée. Le programme
« Santé-justice »
(2)
s’adresse à la popula-
tion pénitentiaire. Jusqu’à 40 % des
quelque 65 000 détenus font l’objet d’un
suivi psychiatrique ou en addictologie.
Le cumul de troubles mentaux et de
précarité accroît fréquemment les diffi-
cultés de réinsertion sociale et profes-
sionnelle comme de stabilisation médi-
cale.
S’y ajoute, en cas de faux pas, le
risque d'une réincarcération suivie d'une
dégradation pathologique.
Les douze mesures prévues n’ont
été mises en œuvre que partiellement,
tardivement ou à un niveau non rensei-
gné. En 2010, les 173 sites carcéraux
concernés disposaient de 157 psychia-
tres ETP, organisés en 26 services
médico-psychologiques
régionaux
(SMPR). Le plan ne leur a apporté, entre
2005 et 2008, que 5 M€ de crédits de
fonctionnement
additionnels.
En
revanche, 134,5 M€ (cinq fois plus que
prévu) ont été affectés aux investisse-
ments, de sécurité principalement.
Un nombre plus élevé que prévu
d'unités hospitalières spécialement amé-
nagées (UHSA) a ainsi été financé. Une
UHSA est édifiée et gérée dans le res-
pect des normes hospitalières mais éga-
lement carcérales, au sein d’un établisse-
ment psychiatrique. Sa sécurité externe
est assurée par l'administration péniten-
tiaire.
Une seule unité avait été mise en ser-
vice fin 2010, 16 autres, généralement de
60 lits, étant échelonnées d’ici 2019.
La priorité conférée à l'amélioration
des locaux, dont la vétusté n’est que len-
tement résorbée, et à leur sécurisation
était nécessaire. En revanche, l'optimi-
sation et la continuité des parcours de
soins et de leur débouché vers une réin-
sertion sociale, n'ont pas toujours béné-
ficié d'une égale attention.
Des difficultés de coordination sub-
sistent à plusieurs niveaux. Des dossiers
de réinsertion de patients libérables ne
trouvent pas tous des solutions rapides
et certains demeurent ainsi durablement
sans réponse.
En milieu pénitentiaire, quelque 8 %
des consultations par an sont annulées
au dernier moment, soit du fait des
patients, soit par défaut de disponibilité
de personnels assurant les transferts
internes des détenus. Il en résulte une
__________________
(2) La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychia-
triques a été publiée après l’enquête de la Cour ; sa mise en œuvre n’est donc pas analysée.
“Santé-justice” : progrès inaboutis
12
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
sous-utilisation, qui équivaut à des
dizaines d’ETP de personnels psychia-
triques.
Ce taux atteint 54 % dans le
Limousin, 28 % dans le Nord-Pas-de-
Calais. Selon l'administration péniten-
tiaire, les horaires des personnels psy-
chiatriques ne sont pas toujours adaptés.
Ces distorsions sont onéreuses, au détri-
ment des soins.
A la stigmatisation sociale des préve-
nus, détenus et des anciens détenus,
s’ajoutent pour les services péniten-
tiaires d’insertion et de probation «
de
réelles difficultés (…) il devient en conséquence
impossible de trouver des hébergements stables,
permettant notamment de maintenir la conti-
nuité des soins
», comme le souligne le
ministère de la justice.
Comme le soulignent les rapports
du contrôleur général des lieux de priva-
tion de liberté, il reste à réduire de mul-
tiples situations d’insalubrité, de promis-
cuité, de déficiences en effectifs et en
formation.
Il a ainsi manqué une stratégie cré-
dible et équilibrée entre les exigences
parfois contradictoires qui entourent les
enjeux de protection des personnes et
des libertés.
Le plan d’actions stratégiques 2010-
2014 du ministère de la justice prévoit
des actions plus importantes et mieux
structurées. Au regard de l'objectif de
80 000 places pénitentiaires en 2017, les
capacités de prise en charge psychia-
trique seront encore plus insuffisantes à
moyen terme, si le temps disponible
pour les consultations n'est pas opti-
misé, et si les moyens de suivi postpénal
comme leur efficacité ne sont pas ren-
forcés.
Dans sa réponse, le ministre de la justice
annonce des dispositions prenant en compte les
recommandations formulées en conséquence.
L'absence d'audits internes et de mesures contre la fraude
L'inspection générale des affaires sociales a consacré une vingtaine de rapports aux
établissements psychiatriques depuis 2005. L'absence d'audit interne au ministère
jusqu'en 2010 a, en revanche, obéré son aptitude à contrôler l'efficacité du plan, les
risques y afférents et la fiabilité des statistiques.
Un test a montré que, dans une région, chacun des trois psychiatres les plus
actifs s'étaient fait rembourser en 2009, en moyenne, 63 consultations par jour, la
moyenne nationale étant de 11,5. Il n'y avait pas jusqu'à maintenant d'indicateurs
appropriés de détection de tels abus, mais des fraudes en matière de médicaments ont
été sanctionnées. La Caisse nationale d'assurance maladie a prévu une campagne de
contrôles.
13
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
3
Un pilotage insuffisant, au
détriment d’objectifs
essentiels
Ce chapitre analyse le mode de pilo-
tage du plan et ses conséquences au
regard notamment des objectifs impor-
tants qu’il s’était fixés en matière de ren-
forcement des effectifs, de modernisa-
tion immobilière et de développement
de la recherche.
Le pilotage du plan, initialement
robuste, s'est délité mi-2007. La réparti-
tion, la maîtrise et le suivi des moyens
nouveaux - personnels, investissements,
recherche - en ont été d'autant plus
affectés que leur financement était iné-
gal. Ce financement a été important en
matière de sécurité, difficilement identi-
fiable en matière de création d'emplois,
et très insuffisant en recherche.
Nombre de données financières et
statistiques sont encore provisoires et en
cours d’expertise, ce qui explique qu’un
bilan exhaustif n’ait pas été établi. Ainsi,
n’y a-t-il pas encore d’indicateurs pour
suivre les quatre objectifs en matière
psychiatrique de la loi relative à la poli-
tique de santé publique de 2004, aux-
quels le plan s’est référé.
Des progrès sensibles ont toutefois
été accomplis dans la collecte annuelle
de données, grâce aux investissements
informatiques financés dans le cadre du
plan.
Sous ces fortes réserves, trois don-
nées caractérisent l’apport financier du
plan :
540 M€ de subventions ont été
versés au titre des exercices 2005 à 2008,
dont 36 M€ par l’Etat et le solde par l’as-
surance maladie ;
Depuis 2009, l’assurance maladie
verse 229 M€ par an pour reconduire
des actions du plan ;
jusqu' 1,8 Md€ auront été affectés
entre 2005 et 2017, aux investissements
immobiliers et de sécurité.
Ces derniers sont pour moitié finan-
cés par l’assurance maladie (Fonds de
modernisation
des
établissements
publics et privés de santé, FMESPP), et
pour moitié à la charge des établisse-
ments, par redéploiement interne ou
endettement.
Ces trois principales aides ont repré-
senté une augmentation annuelle infé-
rieure à 2 % des moyens, au regard des
13 Md€/an que représente la psychia-
trie pour l’assurance maladie obligatoire.
Ce dernier financement a connu une
croissance moindre en psychiatrie qu’en
médecine, chirurgie et obstétrique pen-
dant la durée du plan : aussi les mesures
du plan paraissent-elles avoir été finan-
cées par redéploiement ciblé, et non pas
par des crédits additionnels.
Un pilotage insuffisant,
au détriment d’objectifs essentiels
14
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Un programme immobilier important, mais
en retard
Au plan immobilier, domaine dont le plan soulignait les graves déficiences, 329
opérations ont été prévues, dont plus de la moitié restent à livrer, d’ici 2017 :
Année de mise en service
Nombre d’opérations
2005
1
2006
7
2007
19
2008
31
2009
39
2010
18
2011
91
2012
26
2013-2014
12
Ultérieur
58
Date inconnue
27
Total
329
Projets abandonnés
25
Dispersés entre des centaines d'opé-
rations de mises à niveau, en soi néces-
saires et urgentes, ces financements ont
à ce stade abouti au maintien de sites
inégalement fonctionnels, parfois avec
retard. Les prix de revient au mètre carré
ont été très hétérogènes.
Les établissements les plus anciens,
souvent en partie très dégradés, les ex,
« centres
hospitaliers
spécialisés »
(CHS), ont bénéficié de la moitié des
crédits, pour le tiers des projets ainsi
financés.
Les investissements extrahospita-
liers ont, pour leur part, été limités à
12 % du total. Ce niveau est inférieur à
ce qu'appelait la stratégie de changement
en faveur d’un décloisonnement, c'est-à-
dire de services en milieu ouvert, pro-
pices à une meilleure réinsertion sociale.
Un effort important a été ainsi
engagé pour améliorer la qualité et la
sécurisation du parc hospitalier psychia-
trique, mais sans pour autant l'amener
partout au même niveau que les autres
établissements de santé.
Un pilotage insuffisant,
au détriment d’objectifs essentiels
15
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cette modernisation, trop concen-
trée sur les structures d’hospitalisation
complète, n’a pas été guidée par une
stratégie claire et appropriée, faute d’in-
viter avantage à réorienter en profon-
deur les modes de prise en charge pour
prévenir ou abréger l'hospitalisation.
La réponse du ministre du travail et de la
santé annonce un prochain inventaire du patri-
moine hospitalier, ainsi que des mesures d’amé-
lioration de la mise en œuvre et du suivi des opé-
rations immobilières.
La recherche en psychiatrie demeure
la parente pauvre de la recherche en
santé. La recherche épidémiologique en
particulier reste insuffisante. Au regard
des enjeux, le constat négatif que for-
mulait déjà le plan en 2005 demeure
valide.
Le plan avait ainsi classé la recherche
en sciences humaines et sociales parmi
celles «
qui ne sont pas suffisamment dévelop-
pées et doivent faire l’objet d’un soutien priori-
taire
», mais il n'a rien prévu ni suscité
pour pallier cette faiblesse.
Seuls les programmes hospitaliers
de recherche clinique (PHRC) ont béné-
ficié, par redéploiement d’autres sec-
teurs, de moyens nouveaux : l'assurance
maladie a apporté, pour l'essentiel hors
plan, 12,3 M€ à 46 équipes entre 2006 et
2009 (plus du tiers à l'AP-HP et Sainte-
Anne), puis 3,4 M€ à 42 équipes régio-
nales.
L'Agence nationale de la recherche a
lancé un appel à projet « Maladie
Neurologiques et psychiatrie » pour
2008-2010, créé un groupe de travail
« santé mentale et addictions » et, pour
la première fois, un programme « Santé
mentale et addiction » (SAMENTA).
17
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
4
L’organisation territoriale
Le chapitre IV, enfin, traite de l’or-
ganisation territoriale des prises en
charge : la « sectorisation » psychia-
trique. Ce mode d’organisation spéci-
fique des prises en charge psychiatrique
depuis un demi-siècle a fait l’objet d’une
progressive mise en déshérence, abou-
tissant à un flou préoccupant sur le
cadre organisationnel dans lequel doi-
vent désormais s’inscrire les soins en
psychiatrie.
La mise en œuvre du plan s’est
déployée entre une stratégie nationale de
suppression de la sectorisation et, faute
d'une déclinaison crédible sur le terrain,
son maintien de facto, entraînant une
confusion extrêmement dommageable.
Les quelques 107 territoires de santé
pourraient intégrer un maillage de proxi-
mité assurant la pérennité des acquis des
secteurs et remédiant à leurs insuffi-
sances. Cela aiderait à instaurer une
meilleure cohérence entre les capacités
de prise en charge sur la base de réfé-
rences, sinon de normes, à homogénéi-
ser
Mais à ce stade, le plan a insuffisam-
ment apporté à la fois à l’accroissement
des moyens extrahospitaliers et à la
diminution à due concurrence des capa-
cités en hospitalisation complète.
L’atteinte de cet objectif central
suppose que les agences régionales de
santé (ARS) planifient les capacités de
prise en charge ambulatoire ou en hos-
pitalisation à temps partiel en fonction
des besoins, en tenant compte de l’offre
non sectorisée, publique et privée, afin
de garantir à tous les patients une prise
en charge diversifiée et de proximité.
Les ARS élaboraient, fin 2011, leurs
plans stratégiques régionaux de santé
que suivront des schémas d’organisation
(soins, prévention, médico-social) et de
projets territoriaux de santé issus des
travaux des conférences de territoires. Il
est donc urgent que soient sans délai
redéfinis et clarifiés les missions et les
modes d’action des différents acteurs.
Les spécificités de la psychiatrie, qui
impliquent notamment une prise en
charge précoce, une ouverture sur le
médico-social et souvent la nécessité
d’actions de réinsertion, rendent ainsi
nécessaire la définition d’une nouvelle
mission de service public qui lui serait
propre.
Le ministre de l’enseignement supérieur
annonce dans sa réponse divers moyens par les-
quels son administration « s’appuiera sur le
rapport de la Cour des comptes pour améliorer
encore l’accompagnement de cette discipline et
renforcer l’excellence de la recherche française
dans ce domaine ».
19
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Conclusion
L
e plan « psychiatrie santé mentale », sujet central de l'enquête de la Cour, a incontesta-
blement joué un rôle de catalyseur sur le terrain. Le ministère de la santé a évalué en
2009 le degré d'exécution des 33 mesures et 196 actions du plan. Un quart des actions étaient
déconcentrées ; leur hétérogénéité et celle des prestations ne permettent pas d'en tirer des indicateurs
nationaux et significatifs.
Aucun tableau n'a rendu compte du degré de réalisation des trois-quarts des autres actions,
d'importance très variable. Le plan a ainsi souffert d'une maîtrise très insuffisante de la méthodo-
logie qu'appelle la gestion d'un plan de santé publique. Dans ces conditions, le degré de réalisation
du plan est difficilement pondérable. La Cour s'y est néanmoins attachée au niveau des 33 mesures,
dans le tableau ci-après.
Ce tableau rappelle aussi que les objectifs étaient tous formulés en termes de moyens, et non pas
de résultats thérapeutiques, tant ceux-ci ne peuvent le plus souvent être évalués qu'à moyen et long
terme.
Le rapport d'évaluation réalisé par le Haut conseil de la santé publique (HCSP) concomitam-
ment à l'enquête de la Cour conforte les observations de la Cour, et il apporte d'autres études de cas
et appréciations dans les domaines qui sont les siens.
Au regard du constat très critique que dressait le plan en avril 2005, des progrès réels ont certes
permis de modifier significativement l'état des lieux, qui était marqué par l’insuffisance persistante
des structures alternatives en amont comme en aval de l’hospitalisation.
Toutefois, nombre d’actions apparaissent inachevées, et nombre de points d'inflexion majeurs
restent en chantier.
Ainsi, plus de 10 000 personnes demeurent en service psychiatrique aigu alors que leur état de
santé leur permettrait, grâce à une prise en charge adaptée, d'accéder à une autonomie accrue.
Une remobilisation est donc à opérer autour d'un ensemble plus sélectif de priorités et de
mesures, afin de soigner chacun avec la dignité à laquelle il a droit en France, conformément aux
attentes des patients, de leurs familles et des professionnels.
L'enjeu est désormais de réorganiser les soins, en préservant les bénéfices de leur sectorisation,
en renforçant une coordination de proximité.
Une politique de redéploiement plus active des moyens hospitaliers au profit des structures
extrahospitalières est donc nécessaire.
Elle devra tenir compte du contexte de déséquilibre financier de l'assurance maladie, qui offre
des marges de manœuvre très limitées pour l'affectation de moyens nouveaux.
Le ministre du travail, de l’emploi et de la santé annonce dans sa réponse un nouveau plan
consacré à la psychiatrie et à la santé mentale et précise que, déjà en cours de concertation, ce plan
« pourra s’appuyer largement sur les orientations retenues par la Cour ».
Conclusion
20
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
21
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Recommandations
Les 23 recommandations opéra-
tionnelles formulées par la Cour visent
à traduire les quatre grandes orienta-
tions stratégiques suggérées par le pré-
sent rapport :
en premier lieu, la définition et
la mise en œuvre d'une mission de ser-
vice public visant l'ensemble de la psy-
chiatrie (au lieu de la seule hospitalisa-
tion
sans
consentement
comme
jusqu’à maintenant) ;
Cette redéfinition devrait préserver
les acquis de la sectorisation et clarifier
la stratégie. Une telle mission et la
contractualisation qu'elle implique
avec ses acteurs faciliteraient la réorga-
nisation et la hiérarchisation de l'offre
de soins. Le « secteur », à condition
d'évoluer, demeure plus une solution
qu'un problème.
en deuxième lieu, il convient de
plus vigoureusement réduire les dispa-
rités géographiques, par redéploiement
en raison des contraintes financières
de l'assurance maladie, en renforçant la
priorité affectée aux alternatives de
proximité ;
en troisième lieu, la réforme du
financement des soins psychiatriques
doit être élaborée et mise en œuvre.
Les progrès du plan en matière d'in-
formatisation
et
de
statistiques
devraient permettre de ne plus différer
cette remise en ordre, au profit des
structures extrahospitalières ;
enfin, le renforcement de l'effi-
cience et de l'efficacité des soins
appelle
un
renforcement
de
la
recherche et de l'épidémiologie.
Récapitulatif des recommandations
22
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Prises en charge
1. Continuer à développer et à
diversifier l'offre sanitaire extrahospita-
lière, médico-sociale et sociale, notam-
ment pour renforcer l’autonomisation
et la réinsertion sociale des personnes ;
2. évaluer
les
performances,
notamment en termes de délais d'at-
tente pour obtenir un avis médical spé-
cialisé ou une admission dans les struc-
tures, ainsi que d'adaptation aux
besoins des personnes hospitalisées à
temps plein de manière inadéquate ;
3. inclure dans la mission de ser-
vice public de psychiatrie la charge de
repérer, d’analyser et de corriger loca-
lement les ruptures de prise en charge
et des délais d’attente, quelles qu’en
soient les causes ;
4. faire évoluer les modalités
d'organisation et de gestion interne des
établissements pour mieux distinguer
les moyens attribués aux structures
intra- et extrahospitalières et limiter la
fongibilité entre les deux ;
5. renforcer l'organisation et la
permanence des services d'urgences
psychiatriques ;
6. harmoniser la conception, la
répartition et l'emploi des unités pour
malades difficiles ;
7. réformer le financement de la
psychiatrie par l’assurance maladie, sur
la base d'une tarification prenant en
compte la spécificité des prises en
charge psychiatriques.
Santé-Justice
8. publier les circulaires relatives
à la coordination entre l'administration
pénitentiaire et les professionnels de
santé, en prenant en compte l’article
D.90 du code de procédure pénale
dans les protocoles santé-justice, et en
harmoniser la mise en œuvre ;
9. développer des normes et des
indicateurs pour la prise en charge des
patients sous main de justice, y com-
pris au stade postpénal, en renforçant
sa coordination médicale et sociale
comme prévu par le plan d’actions
stratégiques 2010-2014 ;
10. mettre aux normes hospita-
lières établies en 2011 l'ensemble des
locaux pénitentiaires où sont délivrés
des soins ;
11. améliorer la gestion du
temps de consultation dans les établis-
sements pénitentiaires.
Pilotage
12. Mieux coordonner à un
niveau interministériel la politique en
matière de psychiatrie, notamment
entre les ministères de la justice et de la
santé, y compris pour les personnes
placées sous main de justice, ainsi que
son suivi sur la base de tableaux de
bord fiabilisés ;
13. renforcer le pilotage et le
suivi nationaux et régionaux de la psy-
chiatrie ;
14. consolider le financement et
la gestion de la Mission nationale d’ap-
pui en santé mentale dans des condi-
tions conformes à la réglementation en
vigueur ;
Recommandations
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Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Indicateurs
15. développer les sources épi-
démiologiques et statistiques afin de
mettre en œuvre des indicateurs de
santé publique en psychiatrie, à partir
d’une exploitation plus rapide et mieux
coordonnée des données et en ne met-
tant pas en exergue des objectifs
dépourvus d'instruments de suivi.
Financement
16. Distinguer clairement dans
les plans de santé publique et leurs
bilans les mesures pérennes des crédits
non reconductibles, et les mesures nou-
velles, de celles financées par redéploie-
ment.
Ressources humaines
17. Mettre en œuvre un plan à
moyen terme de formation initiale et
continue des personnels intervenant en
psychiatrie ;
18. consolider la mise en œuvre
du tutorat des personnels nouvelle-
ment recrutés, avec des mesures incita-
tives appropriées ;
19. réduire les écarts de rémuné-
ration entre exercice hospitalier et exer-
cice libéral (recommandation réitérée).
Investissements
20. Mettre en conformité avec
des normes nationales les établisse-
ments et services accueillant des
malades mentaux, y compris en milieu
carcéral ;
21. interdire le versement inté-
gral de subventions d’investissement
avant service fait, et subordonner le
versement de leur solde à la mise en
service effective des équipements sub-
ventionnés ;
Recherche
22. Assurer une coordination de
la recherche en psychiatrie, toutes disci-
plines réunies ;
Organisation territoriale
23. Définir dans le code de la
santé publique une mission de service
public de proximité, spécifique à la psy-
chiatrie, en assurant la pérennité des
atouts de la politique de secteur. ;
24. déterminer les conditions
d’autorisation et de fonctionnement de
chacune des diverses activités pouvant
exister en psychiatrie ;
25. mettre en place une hiérar-
chisation cohérente entre l'offre de
soins de proximité et les structures spé-
cialisées desservant des territoires plus
larges ;
26.
généraliser
les
conseils
locaux de santé mentale, regroupant
sur un territoire l’ensemble des acteurs
de la psychiatrie, les généralistes, et
leurs partenaires, notamment les collec-
tivités territoriales.