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Seconde allocution de M. Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
au colloque sur la LOLF,
le 10 novembre 2011
C’est la seconde fois que j’ai le plaisir de m’exprimer devant vous. Je me réjouis de vous voir
toujours nombreux assister à nos échanges et veux adresser mes remerciements à tous les
intervenants. Comme j’ai eu l’occasion de le dire hier, la Cour des comptes a été l’un des acteurs clés
de la réforme. Elle a vu ses missions élargies par la loi organique pour certifier les comptes de l’Etat et
assister le Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement, dans le respect de son
indépendance.
Il était donc logique et attendu qu’elle dresse un premier bilan d’ensemble de la mise en
oeuvre de la LOLF. C’est ce que j’ai souhaité à mon arrivée dans mes fonctions actuelles. L’enquête
menée par la Cour présente plusieurs originalités : elle s’est en effet attachée à prendre en compte la
réalité de terrain, par des contacts nombreux et approfondis avec les gestionnaires de tout niveau. Elle
a ajouté à ses méthodes d’évaluation un nouvel outil : la réalisation et l’exploitation des résultats d’une
enquête par sondage réalisée auprès de 800 agents publics.
Le rapport s’est aussi appuyé sur l’abondante production de la Cour en lien avec la LOLF :
contrôle de l’exécution du budget, travaux de certification, rapport sur la situation et les perspectives
des finances publiques. Il a été préparé par une formation interchambres de la Cour présidée par le
Président Alain Pichon, à partir de contributions de chacune des 7 chambres de la Cour. Le rapporteur
général était Jean-Raphaël Alventosa, assisté de Gwénaëlle Suc, auditrice, et Pascal Desrousseaux,
rapporteur. Je leur suis très reconnaissant, ainsi qu’à toutes les personnes qui ont participé à cette
enquête, pour la qualité et la rigueur des travaux, ainsi que pour leur souci de faire remonter du terrain
les sujets de satisfaction ou d’inquiétude des acteurs.
Je laisse maintenant avec plaisir la parole à Alain Pichon qui va vous présenter le constat
dressé par la Cour après 10 ans de mise en oeuvre de la LOLF et je reprendrai la parole pour dégager
les principales perspectives d’évolution.
[Intervention d’Alain Pichon]
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En s’appuyant sur le constat que vient de vous présenter Alain Pichon, que je remercie à
nouveau chaleureusement, la Cour a souhaité faire état de ses réflexions au Parlement et au
Gouvernement et leur proposer des pistes pour un approfondissement de cette réforme majeure, sous
la forme d’orientations. Certaines de celles-ci sont formulées de façon très concrète et elles concernent
des modalités d’organisation de l’administration. D’autres, nombreuses, sont formulées de manière plus
ouvertes, afin de laisser la réflexion s’approfondir et d'inciter l’autorité politique à trancher. Enfin, en
conclusion, le rapport évoque plusieurs problématiques plus larges en souhaitant contribuer au débat.
Je retiendrai cinq points principaux :
la nécessité d’une réaffirmation du pilotage politique de la LOLF et l'intérêt d’une
revue triennale approfondie des missions et des programmes ;
le besoin d’une plus grande responsabilité des gestionnaires ;
la Cour des comptes peut être encore plus utile qu’elle n’est déjà dans l’appréciation
des résultats et à l’évaluation des politiques publiques, en assistance au Parlement et au
Gouvernement ;
les limites à apporter rapidement à certains contournements de la LOLF ;
enfin, la nécessité d’une gestion d’ensemble des finances publiques.
(1/ Une réaffirmation du pilotage politique de la LOLF est nécessaire)
Dans l’esprit de la LOLF, l’ensemble des actions de l’Etat devait être analysé pour identifier
des politiques publiques significatives, ensuite déclinées en missions et en programmes. Cette
architecture construite sur les politiques publiques devait induire des réorganisations administratives
pour qu’elles s’adaptent aux périmètres des programmes. Il est certain que la maquette budgétaire
initiale issue de la LOLF, l’accent qu’elle devait mettre sur la cohérence des politiques publiques au-
delà des organisations administratives, parfois séculaires, a enclenché quelques réorganisations utiles,
même si parfois difficiles. Par exemple, la gendarmerie nationale a été rattachée budgétairement au
ministère de l’intérieur, selon une évolution qu’avait souhaité le Parlement contre l’avis des
administrations concernées, préfigurant ainsi la réforme administrative intervenue depuis. Mais dans les
faits, la logique a été souvent inverse, à cause de la forte résistance des organisations administratives
existantes, les contours des missions et des programmes continuent trop d’épouser dans une large
mesure les structures existantes. Un approfondissement de la maquette budgétaire est donc
nécessaire, afin qu'elle soit plus cohérente et plus stable.
Pour contribuer à inverser cette logique - et je sais bien comme l’écrit le sociologue Michel
Crozier, que l’on ne change pas la société par décret-, une réappropriation de la réforme par les
autorités politiques -parlementaires et gouvernementales- apparaît nécessaire. Elle pourrait prendre la
forme d’une revue triennale des missions et des programmes. Conduite en association avec le
Parlement et la Cour, cette revue pourrait avoir une double utilité : d'une part contribuer à améliorer
l'architecture des programmes, d'autre part s'interroger sur la pertinence des résultats et de l'analyse de
la performance. S’agissant d’un exercice de nature politique, une telle revue pourrait être conduite par
une structure interministérielle, placée auprès du Premier ministre.
L'idée d’une revue ou d’une révision générale des politiques publiques -quelle que soit la
manière dont on l'appelle- est contenue dans la LOLF : c’est la conséquence de l’adoption d’une
logique de performance et d’évaluation. Mais celle conduite depuis 2007 se voit adresser deux
reproches : d'une part, de ne pas avoir été menée de façon suffisamment transparente, concertée,
pédagogique. Elle souffre d’une certaine façon du même défaut de transparence qui caractérisait
l'ordonnance de 1959. D'autre part, de n'avoir concerné qu'une partie des crédits - personnel et
fonctionnement -, en laissant de côté les crédits d'intervention. Plus de transparence, une meilleure
association des acteurs de la gestion publique, parlementaires et responsables administratifs, auraient
pu davantage contribuer à faire naître des constats partagés qui rendent toujours mieux possible des
réformes durables. La LOLF propose une analyse de l'ensemble des coûts attachés à des politiques
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publiques. Plus que jamais, dans le contexte actuel, révision générale des politiques publiques et LOLF
doivent se compléter mutuellement.
(2/ Un renforcement de la responsabilité des gestionnaires est attendu)
Le constat le plus frappant qui se dégage du rapport – et que le sondage auprès des agents
met bien en évidence –, c’est l’insuffisante réalité de la liberté de gestion des responsables, liberté qui
devait évidemment aller de pair avec l’exercice d’une responsabilité managériale identifiée et aussi
d’une mise en jeu possible de cette responsabilité. En clair, beaucoup de responsables ne sont pas et
ne se sentent pas suffisamment responsables.
En renonçant à une stricte spécialisation des crédits, en privilégiant le contrôle a posteriori au
contrôle a priori, le Parlement a pourtant exprimé en quelque sorte une marque de confiance à
l’administration, à charge pour elle de faire en sorte que cette confiance concerne aussi tous les acteurs
de l’action publique. Or, la promesse d’un assouplissement de la gestion n’a pas été globalement
tenue. Deux raisons expliquent cette situation : d'une part certaines administrations centrales ont
rapidement repris une partie du pouvoir qu'ils avaient délégué. Alain Pichon vous a déjà décrit cette
situation : le fléchage de crédits, l’insuffisance du dialogue de gestion -parfois un monologue de
gestion-, la quasi disparition de la fongibilité asymétrique, tout cela montre bien que la culture du
contrôle a priori et de la méfiance par rapport aux gestionnaires est encore bien présente. Est venue s’y
ajouter la contrainte budgétaire, conduisant la direction du budget à imposer aux gestionnaires un
examen détaillé, ligne à ligne, des crédits, dans l’objectif de mieux contenir la dépense. En l’absence de
délégation des responsabilités et de réel dialogue de gestion, l’insuffisante diffusion de la confiance
explique le sentiment des gestionnaires locaux. La notion de responsabilité est encore loin d'avoir pris
tout son sens, à tous les échelons de l'administration. Elle devrait être davantage affirmée et articulée
entre les gestionnaires.
Sur ce même sujet de la responsabilité, nous invitons les pouvoirs publics à s’interroger sur la
confusion dans les mêmes mains -celles des ministres-
de l’exercice des responsabilités politiques et
des responsabilités budgétaires et administratives qui sont de nature tout à fait différentes et
correspondent à la conduite opérationnelle de la mise en oeuvre de ces politiques. Il est impossible de
mettre en cause des décisions des ministres, qui sont pourtant ordonnateurs principaux des dépenses
de l’Etat, pour les irrégularités de gestion des fonds publics qu’ils peuvent commettre. Cette situation
conduit l’administration à soumettre à leur signature des décisions administratives qui devraient être
prises et assumés par les directeurs d’administration centrale, lesquels sont souvent responsables de
programme.
Cette situation est très spécifique à la tradition française : dans d'autres pays qui nous sont
comparables, des systèmes tout à fait différents font jouer aux responsables administratifs pleinement
leur rôle et permettent une mise en cause de leur responsabilité, sans que les ministres n’en soient pas
moins ministres qu’en France. La situation de notre pays est insatisfaisante et
pourrait appeler une
clarification. Ainsi que l’a dit hier Pierre Joxe, la rédaction de l’article 34 de la LOLF permet aux lois de
finances de définir le régime de responsabilité pécuniaire de l’ensemble des agents des services
publics, du comptable à l’ordonnateur, quelque soit son niveau.
Une meilleure articulation entre les régimes de responsabilité des ministres et des
responsables de programme contribuerait à faire de ceux-ci de véritables gestionnaires publics en
mesure de répondre de l’intégralité de leurs décisions administratives, en application d’une politique
définie par l’autorité ministérielle. Celle-ci pourrait être plus clairement assumée et explicitée par une
lettre de mission adressée par le ministre au responsable de programme. Cette question de la
responsabilité est sur la table, les responsables politiques devront la trancher soit en y apportant une
réponse différente de la situation d’aujourd’hui, soit en précisant alors cette dernière.
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(3/ Le rôle de la Cour peut être renforcé)
Un mot sur le rôle d’assistance de la Cour au Parlement qui s’est considérablement renforcé
avec la LOLF et celui d’assistance au Gouvernement introduit par la révision constitutionnelle. Je crois
devoir le redire, pour dissiper toute ambigüité, la LOLF n’a pas changé le positionnement institutionnel
de la Cour. Elle est restée indépendante des différents pouvoirs dans l’exercice des compétences qui
sont les siennes. En cela, elle doit garder une marge significative de liberté pour arrêter son programme
de travail, afin de mener à bien ses missions de contrôle des comptes et de la gestion des
administrations et de jugement des comptables, qui garantissent aussi la probité, la régularité de la
gestion publique et contribuent à son efficacité.
Les commandes d’enquête formulées par les commissions des finances, des affaires sociales
des Assemblées ainsi que du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale se sont
multipliées. Je crois que nous avons atteint un bon équilibre qui nous permet de mettre notre force de
travail au service du Parlement sans remettre en cause notre liberté de programmation, qui est un gage
essentiel de notre indépendance. La Cour peut être plus utile encore dans l’assistance qu’elle peut
apporter aux pouvoirs publics dans l’appréciation des résultats et l’évaluation des politiques publiques.
Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, que la Cour remet chaque année au
moment du dépôt du projet de loi de règlement, pourrait évoluer pour contribuer à cette révision
triennale des programmes que j'évoquais précédemment en ciblant, chaque année, les programmes qui
feraient l'objet d'une analyse plus approfondie. Ainsi, la Cour apporterait sa contribution à une revue
des politiques publiques, à intervalles réguliers.
(4/ Il doit être mis fin aux contournements du cadre posé par la LOLF que sont les
dépenses fiscales et les démembrements)
Dans les travaux préparatoires de la LOLF, le législateur avait accordé une place importante à
la restauration des principes d’unité et d’universalité du budget. La suppression des taxes parafiscales
et l’encadrement des budgets annexes répondaient à cette préoccupation.
En 2004 a été créée une norme d’évolution portant sur la plupart des dépenses budgétaires de
l’Etat. Depuis cette date, des pratiques de contournement de cette norme se sont mises en place,
renouant avec des pratiques anciennes et ayant pour effet de démembrer le budget de l’Etat, mais
aussi de rendre plus difficile la gestion d’ensemble des finances publiques. Je m’attarderai sur deux de
ces pratiques qui sont la fiscalité affectée et les dépenses fiscales. Elles sont abondamment utilisées
pour financer de nouvelles actions telles que le Grenelle de l’environnement ou le plan en faveur des
services à la personne, comme substituts aux crédits budgétaires. Ces pratiques mériteraient pour le
moins d’être strictement encadrées.
La création d’agences, qui répondent souvent à la définition d’opérateurs de l’Etat, peut
constituer une solution pertinente pour mettre en oeuvre des politiques publiques, à condition que leur
tutelle soit rigoureusement assurée. Mais pour garantir la continuité de leurs moyens et contourner la
norme de dépense, ces opérateurs ont souvent demandé et obtenu l’affectation à leur profit de
ressources fiscales. Cette fiscalité affectée représentait 8,4 Md€ en 2009, soit près du tiers des recettes
publiques des opérateurs concernés. Elle a crû de 21% entre 2006 et 2009. Ainsi, pour prendre un
exemple, l’ADEME a vu ses ressources fiscales affectées progresser de 185 M€ à 511 M€, pendant
que ses recettes issues du budget de l’Etat se réduisaient considérablement. D’autres exemples
peuvent être cités, tels les agences de l’eau, le Conservatoire du littoral ou le Centre national de la
cinématographie. Ces tiers connaissent, une fois l’affectation de recettes fiscales décidée, une moindre
contrainte de gestion que les organismes bénéficiant d’une subvention annuelle issue du budget de
l’Etat. La diversification de la destination des ressources fiscales, au profit de ces démembrements du
budget de l’Etat pose donc problème et contribue à affaiblir tant l’autorisation parlementaire que le
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pilotage par la performance ou même tout simplement l’application des mesures nécessaires à une
meilleure maîtrise de la dépense publique.
Sur ce sujet, la LOLF a apporté des progrès limités, par exemple l’obligation d’une disposition
législative en loi de finances pour affecter une ressource fiscale à une personne morale distincte. Une
annexe détaille aussi les attributaires de ces ressources et évalue les montants affectés. Mais ce cadre
apparaît insuffisant. Il n’a pas suffi à empêcher la dérive de la fiscalité affectée. Les dépenses des
opérateurs auxquels des ressources fiscales sont affectées devraient être incluses dans le périmètre
soumis aux normes de dépenses afin de limiter la tentation d’avoir recours à des démembrements pour
des seuls motifs d’échapper à la contrainte budgétaire. Il serait également opportun d’étudier la
possibilité de donner un caractère limité, par exemple triannuel aux affectations d’impôts et ainsi de
prévoir dans la loi de programmation des finances publiques, après évaluation, soit leur reconduction
soit leur suppression. Cela permettrait au Parlement de mieux identifier ces affectations et surtout de
débattre de leur bien-fondé. En outre, à terme, il serait possible et souhaitable de consolider les
comptes de ces opérateurs avec ceux de l’Etat pour mieux appréhender le coût des politiques
publiques.
D’autres instruments extrabudgétaires existent et ils sont souvent utilisés, avec une maîtrise et
une utilité variables. Par exemple, les garanties apportées par l’Etat peuvent constituer un outil
pertinent d’intervention publique, en particulier dans le contexte actuel. La LOLF a apporté un progrès
en prévoyant l’accord du Parlement par une disposition de loi de finances. L'annexe au compte général
de l'État, qui est audité par la Cour, comporte désormais une liste de ces garanties. Un suivi attentif de
ces garanties est nécessaire car elles représentent une forme d’engagement de l’Etat. Les partenariats
publics privés engagent les finances publiques sur des dizaines d’années, pour des montants cumulés
très importants, sans être suffisamment appréhendés par les parlementaires lors de leur engagement.
La situation actuelle des finances publiques est trop sensible pour ne pas dire trop dégradée,
appelle trop de remises en question profondes, pour qu’il n’y ait pas une vue claire et totalement
transparente du budget pour le Parlement et les citoyens. Pour que le Parlement soit en mesure de
davantage maîtriser les finances publiques, il faut que par le budget, il ait connaissance et prise sur
l'ensemble des acteurs des dépenses de l'Etat. Cela suppose de redonner sa pleine signification à
l’unité budgétaire en limitant strictement les désarticulations du budget de l’Etat. Ces démembrements
rendent le plus souvent inutilement complexe la gestion des finances publiques.
Autre sujet de préoccupation : les dépenses fiscales. Elles se sont multipliées depuis la LOLF
et la création de la norme de dépense. Ainsi, depuis 2004, le nombre de mesures est passé de 400 à
plus de 500 et leur coût a augmenté de 55% sur cette période. Elles représentent désormais un enjeu
qui nous avons estimé dans le rapport public annuel de janvier 2011 à 150 Md€. Certes, la LOLF a
permis d’instaurer une certaine transparence, avec notamment le recensement et le chiffrage des
dépenses fiscales dans les annexes à la loi de finances et leur rattachement à des programmes.
Toutefois, l’exhaustivité et la fiabilité des évaluations de leurs coûts demeurent insuffisantes. La Cour
ne cesse de le répéter : l’effort de réduction des niches fiscales doit s’intensifier et leur encadrement
doit être rendu plus strict. La LOLF pourrait évoluer pour mieux appréhender l’enjeu que représente la
sécurisation des recettes de l’Etat.
(5/ La LOLF doit être prolongée en vue d'une
gestion d’ensemble des finances
publiques)
Je souhaiterais aborder un dernier sujet qui me semble essentiel pour prolonger la dynamique
de la LOLF. Dans le contexte qui appartient à un passé - plus que trentenaire - d’équilibre des finances
publiques, le législateur pouvait se satisfaire de loi de finances centrée exclusivement sur le périmètre
de l’Etat, qui représente 35% de la dépense publique. Il le faisait aussi pour respecter l’autonomie des
autres acteurs de la dépense publique : élus locaux et partenaires sociaux. De nombreux facteurs
rendent cette situation désormais insatisfaisante.
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Le premier de ces facteurs, c’est que depuis plus de dix ans, l’encadrement européen des
finances publiques dans le cadre du traité de Maastricht conduit l’Etat à assumer l’équilibre –ou plutôt le
déséquilibre– des finances publiques dans leur ensemble. Les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur le
déficit et la dette publique ne pourront que se renforcer vers une discipline sans faille – la profondeur de
la crise actuelle et ses soubresauts violent dans
le contexte actuel nous le soulignent avec force. La
difficulté que connaît notre pays pour conduire le redressement des finances publiques montre que le
fonctionnement par silos entre Etat, sécurité sociale et collectivités locales rend plus difficile encore
l’assurance du respect des engagements de la France sur une trajectoire, avec des ajustements
rapides et un consentement éclairé du Parlement. Certes, la création des lois de financement de la
sécurité sociale en 1996 a permis un meilleur pilotage des finances sociales.
Certains progrès ont été permis par la LOLF et sa révision de 2005, avec l’inscription dans la
loi organique du débat d’orientation des finances publiques qui se tient chaque année au mois de juin et
la remise à cette occasion par la Cour du rapport sur la situation et les perspectives des finances
publiques.
La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) est venue
transposer certains principes de la LOLF aux dépenses sociales, notamment l’analyse de la
performance.
Les lois de programmation pluriannuelles des finances publiques, mises en place depuis la
révision constitutionnelle de 2008, ont un périmètre aussi large que celui des finances publiques mais
les dispositions qu’elles contiennent n’ont pas de caractère contraignant sur les lois de finances elles-
mêmes. C’est un défaut majeur.
Ces évolutions contribuent certainement à élargir le cadre du débat parlementaire pour
appréhender l’ensemble des finances publiques mais ne vont toutefois pas encore assez loin pour
fournir au Parlement et au Gouvernement les outils nécessaires pour répondre à la responsabilité qu’a
désormais l’Etat devant les autorités européennes sur l’équilibre financier de l’ensemble des
administrations publiques.
Une autre évolution
plaide pour une meilleure coordination des textes concernant les finances
publiques, c’est le développement des politiques publiques partagées entre les acteurs publics.
Désormais, la plupart des politiques publiques de l’Etat sont partenariales : elles supposent pour leur
mise en oeuvre l’intervention d’autres intervenants publics, le plus souvent les collectivités territoriales,
les opérateurs (par exemple Pôle emploi) ou la sécurité sociale. L’existence d’objectifs et d’indicateurs
concernant le seul Etat ne suffit pas à mesurer la performance de manière complète ou alors ces
objectifs et ces indicateurs font reposer sur le seul Etat le succès ou l’échec de politiques partagées. La
création d’objectifs et d’indicateurs communs décrirait mieux la réalité et permettrait de tirer les justes
conséquences de l’évaluation de la performance. Elle permettrait aussi de mieux évaluer la pertinence
d’ensemble de la politique ou de l’action publique concernée. Une telle analyse suppose aussi de
retracer l’ensemble des moyens affectés aux différents acteurs au service d’une même politique
publique.
Ces évolutions obligent à approfondir la réflexion et pourraient conduire à des adaptations
fortes afin d’assurer une meilleure gouvernance des finances publiques. Je tiens à rappeler ici, comme
je l’ai fait hier, que la LOLF fournit un cadre mais qu’elle ne détermine pas le contenu et les orientations
des politiques budgétaires.
Une première de ces adaptations nécessaires, c’est la consolidation des comptes que la Cour
recommande. La révision constitutionnelle de 2008 exige que les comptes de toutes les administrations
publiques soient réguliers, sincères et donnent une image fidèle de leur gestion, de leur patrimoine et
de leur situation financière. Désormais, l’Etat dispose, grâce à la LOLF, d’une comptabilité générale en
droits constatés, établie grâce aux efforts de l’administration et sous le contrôle externe de la Cour des
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comptes, par ses travaux de certification. Le franchissement de cette étape s’est fait avec succès ; il
nous autorise désormais à aller plus loin et à envisager une consolidation des comptes de l’Etat, de ses
opérateurs et des organismes de sécurité sociale, avec des critères normalisés. En effet, les comptes
des organismes de sécurité sociale sont eux aussi certifiés, par la Cour pour le régime général et par
des commissaires aux comptes privés pour les autres régimes. A terme, l’inclusion des collectivités
locales dans le périmètre de consolidation ou de combinaison sera possible lorsque la qualité de leurs
comptes aura été améliorée, notamment la comptabilisation de leurs actifs, et qu’ils seront, au moins
pour les collectivités les plus importantes, certifiés. Il serait donc bienvenu que soit dès aujourd’hui fixé
l’objectif de créer un compte général et consolidé des administrations publiques, dont la cohérence
avec la comptabilité nationale établie par l’INSEE serait assurée. Un tel effort permettrait au Parlement,
au citoyen et à la Commission européenne de disposer d’une information aussi fiable et sincère que
possible sur l’état des finances publiques.
Une seconde évolution concerne l’articulation des lois de finances et des lois de financement
de la sécurité sociale. La question d’un document unique sur les finances publiques voté par le
Parlement peut se poser. Il pourrait offrir une vision d’ensemble et consolidée des comptes publics,
exprimée initialement dans la comptabilité nationale, puis à terme, en comptabilité générale consolidée.
De nombreuses objections à un document unique sont formulées :
-
les dépenses de l’Etat et de la sécurité sociale sont de nature différente,
-
la notion d’équilibre du budget n’est pas la même,
-
il existe un grand nombre d’organismes de sécurité sociale autonomes et parfois
petits.
Ce que l’on peut constater, c’est que les lois de finances et les lois de financement de la
sécurité sociale sont désormais très imbriquées par la multiplication des flux financiers croisés. De
nombreuses ressources fiscales sont affectées aux régimes de sécurité sociale, pour faire face à leur
besoin de financement sans augmenter les cotisations sociales qui pèsent sur le coût du travail. Ce
mouvement de fiscalisation de la protection sociale est appelé à durer, et peut-être à se renforcer. Il
contribue à mettre en place de nombreux flux financiers qui portent atteinte à la lisibilité d’ensemble des
finances publiques. Les exemples récents de la réforme des retraites ou des évolutions du financement
de la dette sociale le montrent. L’insuffisante transparence des relations fiscales et budgétaires entre
Etat et Sécurité sociale, même pour les spécialistes, pose un problème réel et sérieux de démocratie et
de pilotage.
C’est pourquoi la Cour recommande un examen articulé des deux textes qui rendrait plus aisé
le travail des parlementaires. Ainsi, une discussion générale unique suivie d’un examen des volets
respectifs des deux textes relatifs aux recettes, puis de l’examen des dépenses permettrait une
approche plus globale, plus cohérente, en évitant par exemple que des recettes non encore votées en
loi de finances soient déjà considérées comme des ressources en LOFSS. Le Premier ministre, dans
sa réponse au rapport de la Cour, s’est montré favorable à cette orientation et nous nous en
réjouissons.
L’article 34 de la Constitution limite le contenu des lois de finances aux seules dépenses de
l’Etat. Certains imaginent un élargissement de ce champ, dans le cadre d’une « grande LOLF » pour
reprendre l’expression employée hier par Alain Lambert. Sans que cela fasse l’objet d’une
recommandation de la Cour, il pourrait être pertinent d’étudier attentivement les avantages et
inconvénients d’un document unique des finances publiques formé de plusieurs parties. La première
concernerait l’équilibre global des finances publiques, exprimé à la fois en comptabilité générale
consolidée ou combinée et en comptabilité nationale. Une autre partie concernerait l’Etat, contenant un
article d’équilibre et des dispositions d’autorisation parlementaire, comme la loi de finances actuelle.
Enfin, une dernière partie évaluerait les recettes, les dépenses et l’endettement des régimes
obligatoires de base de la sécurité sociale.
Sans aller jusque là, la Cour propose une loi de règlement commune à l’Etat et à la sécurité
sociale. En effet, l’une des ambitions de la LOLF était de donner un rôle plus important au débat sur le
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projet de loi de règlement, destinée à permettre l’analyse de la performance des politiques publiques.
En effet, les résultats des politiques publiques devraient être en quelque sorte des juges de paix de leur
adéquation aux objectifs fixés et permettant d’apprécier la dépense de l’année suivante. Il était donc
espéré un allongement et un approfondissement des débats sur la loi de règlement, ceci ne s’est pas
produit. Donner davantage d’importance à l’examen de ce texte en y adjoignant l’examen des comptes
et de la performance de la sécurité sociale, qui jusqu’ici a lieu en octobre, dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale serait extrêmement judicieux et contribuerait à ancrer la culture de
contrôle et de l’évaluation, encore insuffisamment établie aujourd’hui. Une solution consisterait donc
dans l’institution d’une loi de résultat unique des finances publiques débattue en juin. Le débat
d’orientation sur les finances publiques aurait lieu quant à lui un peu plus tôt, avant l’envoi à la
Commission européenne du programme de stabilité.
Une plus grande clarté de la structure du budget, une meilleure responsabilisation des
gestionnaires, une restauration de l’unité du budget de l’Etat, une gestion d’ensemble des finances
publiques, voilà des défis à la hauteur de la LOLF qui peuvent dessiner de nouvelles perspectives
d’évolution de la réforme budgétaire et financière de notre pays.
Telles sont quelques-unes des orientations que la Cour soumet à la réflexion des pouvoirs
publics.
La LOLF a représenté d’incontestables avancées pour une meilleure gestion publique. Elle
reste encore sur certains points une réforme inachevée ou à préciser, clarifier, voire conforter afin que
le cadre qu’elle constitue permette de nouvelles orientations.
La crise actuelle rend le redressement des finances publiques à la fois inéluctable et urgent.
Elle oblige à créer les meilleures conditions d’un pilotage global des finances publiques, dont l’Etat est
garant. C’est l’ambition et somme toute une des missions de la Cour des comptes d’y contribuer !
Je vous remercie de votre attention.