Intervention de M. Didier Migaud, Premier président
Présentation à la presse du rapport thématique sur
Les musées nationaux après une décennie de transformations 2000-2010
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes pour la présentation de ce rapport public
thématique : «
Les musées nationaux après une décennie de transformations
».
C’est un rapport ambitieux que vous avez sous les yeux, puisqu’il se propose de dresser un bilan
complet, critique mais équilibré, de dix années de politique muséale conduite par le ministère de la culture et les
37 musées nationaux.
« Politique muséale » : l’expression est un peu précieuse, mais elle rend compte d’une réalité politique
et institutionnelle. Les 37 musées nationaux (parmi lesquels figurent le Louvre, Versailles, le Centre Georges
Pompidou, le musée d’Orsay, le musée du quai Branly…) constituent une communauté : ils sont les dépositaires
des collections nationales, ils sont financés majoritairement par des subventions publiques, et ils se voient
assigner quelques grands objectifs communs par l’Etat.
Bref, il existe une politique nationale des musées, dont le ministère de la culture devrait être le pilote et
les 37 musées nationaux les fers de lance.
Le bilan dressé par la Cour repose sur une série de contrôles approfondis des grands musées, de leurs
activités, de leur gestion, mais il constitue un bilan du point de vue de la politique nationale.
Comme tout bilan, il comporte ses bons et ses mauvais points, il rend compte des succès comme des
échecs.
Au titre des succès, en dix ans, les musées nationaux se sont enrichis, ils se sont embellis, ils ont accru
la variété et la richesse de leur offre culturelle. Tout aussi incontestable est la croissance de leur
fréquentation totale. En dix ans, les musées nationaux ont enregistré quelque dix millions de visites
supplémentaires : c’est en soi une performance.
Mais les succès des musées, outre qu’ils ont eu un coût, ne font pas forcément le succès de la
politique
nationale
.
Les observations de la Cour sont à lire au regard de deux exigences :
-
la gestion rigoureuse des finances publiques, c’est-à-dire la
maîtrise du coût
d’une politique et
l’appréciation de sa « soutenabilité » budgétaire ;
Seul le prononcé fait foi
1
-
l’évaluation
de cette politique, c’est-à-dire la confrontation de ses objectifs, de ses moyens et de ses
résultats.
Je vais commencer ma présentation par ce premier constat : la politique de développement des musées
nationaux déployée depuis dix ans a eu pour corollaire une croissance importante des dépenses publiques qui
n’est plus soutenable.
*
I - LA PROGRESSION DES DEPENSES PUBLIQUES CONSACREES AUX MUSEES N’EST PLUS
SOUTENABLE
Les musées nationaux bénéficient tous de trois sources de financement :
-
les concours du budget de l’Etat, en l’occurrence du ministère de la culture ;
-
les tarifs d’entrées ;
-
et les autres recettes, qui comprennent les produits commerciaux, les redevances perçues auprès des
concessionnaires et les mécénats.
Au cours des années 2000-2010, ces trois catégories de recettes ont toutes progressé simultanément.
Les tarifs d’entrée ont été augmentés dans tous les musées, dans des proportions variables selon les
établissements (+ 40 % au Louvre, + 115 % à Versailles…) mais partout sur un rythme supérieur à l’inflation.
Mais cette croissance des recettes de billetterie ne s’est pas traduite par une réduction des
financements directs de l’Etat, au contraire.
Ces financements directs de l’Etat sont passés en dix ans de 334 M€ à 528 M€, soit une augmentation
de presque 60 %.
Cette dynamique signifie que les dépenses de l’Etat en faveur des musées nationaux ont
progressé deux fois plus vite que celles du ministère de la culture et trois fois plus vite que celles du
budget général de l’Etat.
A ces financements directs, il convient d’ajouter les dépenses fiscales qui bénéficient aux musées grâce
au régime du mécénat. Celles-ci se sont également considérablement accrues depuis l’intervention de la loi du
1
er
août 2003.
J’aimerais m’y attarder un peu.
Le mécénat et les dépenses fiscales
Vous le savez, la Cour a entrepris depuis quelques années de recenser, chiffrer et évaluer les dépenses
fiscales de l’Etat, qui constituent une autre forme de dépense publique.
La loi du 1
er
août 2003 entendait donner un nouvel élan au mécénat. Pour cela, elle a doublé l’avantage
fiscal consenti aux mécènes. Avant 2003, entreprises et particuliers pouvaient
déduire
leurs dons de leur revenu
imposable. Aujourd’hui, les particuliers bénéficient d’une
réduction d’impôt
:
une réduction de l’impôt
sur le revenu égale à 66 % de la valeur des dons pour les particuliers, une réduction de l’impôt sur les sociétés
égale à 60 % pour les entreprises.
Par ailleurs, il existe depuis 2002 un dispositif spécifique de mécénat destiné aux acquisitions des
musées. Dans ce régime, réservé aux entreprises, 90 % des fonds versés peuvent donner lieu à une réduction
de l’impôt sur les sociétés.
Seul le prononcé fait foi
2
En résumé :
le mécénat culturel contribue à l’enrichissement des collections et aux activités des
musées, mais les avantages fiscaux qui lui sont associés, qui sont très favorables aux mécènes, il faut le
souligner, en font une dépense publique qui doit être suivie et évaluée avec rigueur. Tel n’est pas le cas
actuellement.
Je précise ces deux points.
La loi du 1
er
août 2003 a fait du régime français du mécénat le plus « subventionné fiscalement » au
monde. Aux Etats-Unis, par exemple, les mécènes – qui sont majoritairement des particuliers, et non des
entreprises contrairement à la situation française – bénéficient en gros du régime fiscal qui préexistait à la loi de
2003, c’est-à-dire qu’ils peuvent déduire leurs dons de leur résultat imposable. C’est un dispositif très
sensiblement moins aidé que le dispositif français.
Malgré cela, la Cour n’a formulé aucune recommandation visant à modifier le niveau des avantages
fiscaux français. Le Gouvernement et le législateur ont pris une position explicite en 2003 : il leur appartiendra d’y
revenir le cas échéant.
En revanche, il est indispensable que ces avantages fiscaux soient rigoureusement évalués dans le
cadre de la loi de finances, suivis en cours d’exécution, et
in fine
délivrés au vu de comptes certifiés (du moins
au-delà d’un certain seuil). Aucune de ces trois exigences n’est remplie actuellement : il s’agit d’une anomalie en
regard d’une dépense publique de ce niveau.
Les enjeux sont substantiels. Le mécénat d’acquisition, le seul qui fasse l’objet d’un suivi par
l’administration fiscale, a représenté de sa création en 2002 jusqu’à l’année 2009 un montant total de 128 M€, et
donc une dépense fiscale de 115 M€ en huit ans.
Le mécénat culturel « de droit commun », quant à lui, je l’ai indiqué, ne fait l’objet d’aucun suivi. Au vu
des sommes reçues par les principaux musées nationaux, il est probable que la dépense fiscale associée à ce
dispositif représente chaque année entre 20 et 30 M€.
Cette parenthèse importante étant refermée, je reviens à mon propos sur le rythme de progression des
dépenses consacrées aux musées.
La progression des dépenses publiques n’est plus soutenable
Au total, donc, si l’on compte la progression de 60 % des dépenses budgétaires que j’évoquais à
l’instant et le doublement des avantages fiscaux liés au mécénat depuis 2003,
la Cour estime que l’effort
public en faveur des musées nationaux a augmenté dans une proportion comprise entre + 70 et + 90 % en
dix ans
.
Très peu de services publics ont bénéficié d’un tel effort. Et même si personne n’est insensible au
rayonnement des grands musées nationaux, c’est le rôle de la Cour de le dire :
cette dynamique de dépense
n’est plus soutenable
.
Elle ne l’est pas au regard de la nécessaire maîtrise des dépenses qu’exige la situation des comptes
publics.
Cette dynamique de dépense n’est pas non plus soutenable au regard des grands chantiers que
l’Etat a déjà programmés dans le domaine des musées
. Il s’agit là d’un point très important, car les réponses
des grands musées et du ministère de la culture ne s’y sont guère attardées.
Les « grands chantiers culturels » constituent une politique permanente de l’Etat, et la Cour en a déjà
rendu compte dans un rapport public qui portait ce titre publié en décembre 2007. Au cours des années 2000-
Seul le prononcé fait foi
3
2010, les grands chantiers menés à bien au profit des musées nationaux ont représenté environ 500 M€, dont
290 M€ pour le seul musée du quai Branly.
Or, si l’on s’en tient aux opérations d’ores et déjà programmées,
les grands chantiers à financer sur la décennie 2011-2020 représentent le double de cette somme, avec
près d’un milliard d’euros
.
Si l’on ajoute à ce coût d’investissement la nécessité de financer, après, le fonctionnement des
équipements nouveaux
ce sont de très, très graves tensions budgétaires qui sont à redouter pour le
ministère de la culture.
Ce risque d’ « effet boule de neige » s’explique par le fait qu’en dix ans, la capacité des musées à
s’« autofinancer » n’a pas progressé.
L’autonomie des grands musées a contribué à leur dynamisme culturel, mais ils restent aussi dépendants
qu’auparavant des financements de l’Etat.
Plusieurs recommandations de la Cour visent donc à engager les musées dans une stratégie de
maîtrise des dépenses qui leur a fait défaut pendant dix ans.
Les nouveaux équipements ne doivent être décidés qu’après la mise au point de plans d’activité
crédibles ; les contrats pluriannuels doivent être rendus systématiques et assortis d’une visibilité sur les
financements ; la gestion des ressources humaines doit être placée sous le signe des gains de productivité ; des
objectifs économiques précis doivent être assignés à la « politique de l’offre »…
Aucune autre stratégie de financement n’est envisageable.
Procéder à des hausses de tarifs très importantes ? La Cour ne le recommande pas au regard de
l’objectif de démocratisation de l’accès aux musées. Il faut être cohérent.
S’en remettre au mécénat ? Outre qu’il y a une dépense fiscale à la clé, un tel scénario n’est pas
crédible alors que le mécénat culturel s’est fortement réduit ces deux dernières années.
Le ministère de la culture et ses musées ne disposent donc d’aucune marge de manoeuvre du côté des
recettes. Il faut enrayer la dynamique des dépenses. Cela passe par des redéploiements fondés sur une stricte
hiérarchie de leurs objectifs, et par une gestion encore plus efficace.
J’en viens maintenant à la seconde partie de cette présentation.
*
II – LES MUSEES NATIONAUX N’ONT PAS ATTEINT TOUS LEURS OBJECTIFS, NOTAMMENT EN
MATIERE DE DEMOCRATISATION
En dépit de cette décennie exceptionnelle en termes de moyens, les musées nationaux n’ont pas atteint
tous les objectifs assignés au cours des dix dernières années. Ou plus exactement, la politique de l’Etat n’a pas
atteint tous ses objectifs.
Si je formule cette nuance, c’est parce que chaque musée, considéré isolément, a pu se voir fixer de
nombreux objectifs, notamment dans le cadre des « contrats de performance » conclus avec l’Etat.
Mais si l’on considère les musées nationaux dans leur ensemble, et donc la politique de l’Etat à leur
égard,
quatre objectifs
sont restés à peu près les mêmes tout au long de la décennie écoulée.
Seul le prononcé fait foi
4
Ces quatre objectifs sont :
1.
améliorer la gestion des collections nationales ;
2.
développer l’offre culturelle ;
3.
diversifier le public, en désignant les jeunes et les personnes éloignées de la culture comme publics
prioritaires ;
4.
parvenir à une gestion plus efficiente, en augmentant notamment la part des « ressources propres » par
rapport aux subventions de l’Etat.
Je me suis déjà attardé sur ce dernier objectif : il n’a pas été atteint. Les musées ont augmenté leurs
ressources propres en volume, mais cela n’a pas eu pour conséquence une réduction, ou même une stabilisation
des subventions de l’Etat. En 2006, le « taux de ressources propres » des institutions patrimoniales atteignait
43
%
et la représentation nationale fixait une cible de 48 % à atteindre en 2010. En 2009, ce taux a en réalité décru et il
ne s’élève plus qu’à 39 %.
Ce taux donne une indication très globale, mais le rapport de la Cour comporte d’autres exemples. On
peut ainsi remarquer que les trois grands musées nationaux ont accru leurs effectifs de 1 000 personnes en dix
ans.
Les autres objectifs ont donné lieu à des résultats inégaux.
L’amélioration de la gestion des collections nationales
La gestion des collections nationales, tout d’abord.
Il y a quatorze ans, la Cour avait critiqué de graves carences dans le suivi des oeuvres des collections
nationales. Les choses se sont grandement améliorées : les inventaires sont désormais informatisés,
ils sont plus fiables, et les procédures de récolement, qui visent à vérifier que les oeuvres sont bien là où elles
sont censées être, sont désormais rodées.
Par ailleurs, les collections nationales se sont enrichies, les grands musées ayant depuis 2003 la
responsabilité de leurs achats et le mécénat d’acquisition ayant eu des conséquences heureuses de ce point de
vue.
Je ne m’étends pas davantage sur ce sujet des collections, sinon pour redire que le rapport de la Cour
souligne les progrès accomplis dans ce domaine, tant par le ministère de la culture que par les musées.
J’en viens maintenant au second objectif, à savoir le développement de l’offre culturelle des musées.
Le développement de l’offre culturelle
Sur ce plan, les résultats sont évidemment spectaculaires, puisque c’est au nom de ce développement
que l’Etat a accru ses dépenses.
Un musée entièrement neuf a vu le jour, le musée du quai Branly, et bien des musées se sont agrandis.
Mais surtout, les musées nationaux ont multiplié les projets et les initiatives. Le nombre d’expositions temporaires
a triplé ; les musées ont développé leurs publications, plusieurs ont introduit l’art contemporain, les événements
et les spectacles au coeur même de leurs murs ; plusieurs se sont dotés d’auditorium pour offrir conférences et
concerts.
Seul le prononcé fait foi
5
Bref, l’offre culturelle des musées nationaux est incontestablement plus riche qu’elle ne l’était il y a dix
ans.
Mais, vous me permettrez l’image, de circonstance, il y a deux ombres à ce tableau.
La première ombre, c’est que l’Etat a concentré ses investissements et ses moyens sur la capitale,
accentuant le déséquilibre Paris – province en matière d’équipement culturel au lieu de contribuer à la réduire.
La concentration parisienne des investissements de l’Etat
En 2002, l’Ile-de-France représentait 49 % de la fréquentation des quelque 1200 musées labellisés
« Musées de France ». En 2009, ce chiffre a atteint 58 %.
Or, les trois quarts de ce phénomène de concentration sont liés aux 26 musées nationaux franciliens. Et
au vu de ce constat, on s’interroge sur la préférence systématique pour Paris qui a caractérisé les choix
d’investissement de l’Etat, qui risquent de perpétuer ce déséquilibre.
L’effet s’en fait déjà ressentir pour le musée du quai Branly. Il se manifestera dans les prochaines
années pour ce qui concerne le département des arts d’Islam, l’espace national consacré à l’art contemporain qui
occupera le palais de Tokyo et la Maison de l’Histoire de France. Seul le MUCEM (à Marseille) constitue, de ce
point de vue, un investissement de l’Etat en province dans le domaine des musées.
Dans le même temps, l’Etat a fait le choix, en 2002, de ne plus soutenir au plan financier les musées
territoriaux. Les quelques aides qui subsistent sont non seulement résiduelles, mais en diminution. Elles ont été
divisées par deux entre 2000 et 2010, année où elles ont atteint 16,53 M€.
A cet égard, le plan Musées en région conçu par le ministère de la culture, doté de 70 M€ sur la période
2011-2013 au bénéfice de 79 projets, est le signe d’une prise de conscience. Mais ce plan ne constitue pas pour
autant un rééquilibrage territorial des investissements de l’Etat : pour comparaison, le département
des arts d’Islam aménagé au sein du Louvre, à lui seul, représente un investissement de 98 M€. Et la rénovation
du Grand Palais pourrait représenter 235 M€ à l’horizon 2015. Bref, les ordres de grandeur sont sans commune
mesure.
Par ailleurs, les indicateurs permettant de suivre l’action des grands musées nationaux en régions, et
notamment leurs prêts et dépôts auprès des musées territoriaux, se sont infléchis dans la deuxième moitié de la
décennie, contrairement à ce qui leur avait été demandé en 2003.
La création d’antennes régionales constitue à cet égard une véritable innovation, et elle permettra de
relancer une politique de présentation d’oeuvres majeures en région.
Le Centre Pompidou à Metz et l’antenne du musée d’Orsay à Giverny ont déjà rencontré leur public, et il
en ira sans doute de même du Louvre à Lens. Ces antennes contribueront donc probablement à rééquilibrer
quelque
peu
la
politique
nationale.
Mais
il
faut
le rappeler : ces équipements sont quasi-intégralement financés par les collectivités territoriales, et non par l’Etat,
à la fois pour leur construction et plus tard pour leur fonctionnement.
La seconde ombre au tableau du développement de l’offre culturelle, qui n’est pas sans lien avec ce que
je viens d’évoquer, c’est que
la diversification du public des musées n’a pas eu lieu
.
L’absence de diversification des publics
Tout au long de la décennie, l’Etat a demandé à ses musées de rajeunir leur public et de s’ouvrir aux
Français
éloignés
du
monde
de
la
culture.
Ce
double
objectif
incarnait
l’entreprise
de
« démocratisation culturelle » qui constitue depuis 1959 la raison d’être du ministère de la culture.
Seul le prononcé fait foi
6
Et dans sa lettre de mission à la ministre de la culture, le Président de la République écrivait de nouveau,
en août 2007, que la démocratisation culturelle avait échoué, je cite, «
parce que la politique culturelle s’est
davantage attachée à augmenter l’offre qu’à élargir les publics
».
Ce constat est cohérent avec celui que dresse la Cour pour ce qui concerne les musées nationaux.
Tout d’abord, le public des musées ne s’est pas rajeuni.
A partir de 2006, la proportion des jeunes de moins de 18 ans dans la fréquentation des musées est
devenue un indicateur de performance du ministère de la culture. Or, il n’a cessé d’afficher des résultats
décevants, en passant de 17 % en 2003 à 15,6 % en 2009, loin de la cible de 20 % qui avait été fixée au milieu
des années 2000.
Ce constat doit être lu simplement : les musées déploient bien évidemment des actions en direction des
jeunes, et notamment en direction du public scolaire. Mais ces actions ne se sont pas renforcées au cours de la
décennie. En regard de la hausse de la fréquentation totale, la part des jeunes a donc diminué.
La Cour recommande donc d’amplifier les actions en direction du public scolaire, et peut-être d’en
imaginer de plus innovantes.
Le rapport cite à cet égard la mesure suggérée par un ancien directeur du Metropolitan Museum of Arts
de New York : confier à chaque jeune invité au musée dans le cadre d’une visite scolaire un « billet familial
gratuit » afin qu’il puisse revenir avec sa famille. Voilà typiquement une initiative représentative de cette
« politique des publics » que la Cour recommande d’amplifier en redéployant ne serait-ce qu’une petite partie des
moyens alloués à la « politique de l’offre ».
Les musées, sur ce plan, doivent être innovants et volontaires. Car le constat est décevant :
la
démocratisation de l’accès aux musées n’a pas progressé.
La forte hausse de la fréquentation totale est due principalement aux touristes étrangers et au
public des amateurs parisiens, qui sont devenus encore plus assidus. La diversification sociale érigée en
objectif tout au long de la décennie ne s’est pas produite.
Le rapport en donne plusieurs indices, mais le principal vient du ministère de la culture et de sa très
passionnante étude sur « Les pratiques culturelles des Français
».
En 1989, 30 % des Français de plus de 15 ans avaient visité un musée au moins une fois au cours des
douze derniers mois. En 1997, ce taux avait progressé à 33 %. En 2008, après une décennie d’investissements
soutenus, il est redescendu à 30 %.
Plus problématique encore au regard de la démocratisation, cette baisse est sensible dans toutes les
catégories socioprofessionnelles, sauf chez les retraités et les inactifs (25 % en 1997 à 30 % en 2008). La
fréquentation des musées enregistre également une baisse dans toutes les catégories « géographiques », sauf
chez les habitants de Paris
intra muros
: ils étaient 57 % à avoir visité un musée dans l’année écoulée en 1997,
ils sont 65 % en 2008. Pour les parisiens, aucun doute, la politique nationale des musées s’est révélée efficace.
Les musées, c’est une évidence, se situent en bout de chaîne de la démocratisation culturelle. La Cour
n’a pas à analyser les déterminants sociologiques, psychologiques, économiques qui tiennent les deux tiers des
Français éloignés des musées. Mais chacun pressent que l’éducation artistique, la sensibilisation à l’art, à
l’Histoire, au patrimoine, sont autant de préalables à l’action des musées. Le resserrement de leur public autour
des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées et des parisiens n’est pas un grief, mais le symptôme
d’une réalité sociale que ces musées ne peuvent modifier à eux seuls.
Seul le prononcé fait foi
7
Pour autant, cela ne doit pas empêcher leurs dirigeants et le ministère de la culture de réagir.
C’est pourquoi le rapport consacre plusieurs pages à l’analyse de la principale mesure nationale
intervenue ces dernières années : la gratuité accordée aux jeunes de 18 à 25 ans et aux enseignants à partir du
1
er
avril 2009.
Il est trop tôt pour juger de l’efficacité de cette mesure, qui doit encore atteindre sa vitesse de croisière.
Mais la Cour dresse un bilan critique des conditions dans lesquelles elle a été budgétairement compensée
auprès des musées. Il est d’ores et déjà acquis que les estimations de fréquentation des jeunes et des
enseignants ayant servi de fondement au calcul de la compensation étaient surestimées. Sur les deux années
2009 et 2010, l’Etat a versé 19,48 M€ de trop sur un total de 41 M€.
La Cour estime qu’il serait plus efficient de redéployer ces sommes au profit d’initiatives plus
directement ciblées sur les publics éloignés de la culture.
L’affaiblissement du ministère de la culture
L’une des explications à ce paradoxe qui a vu les moyens s’accroître et les résultats reculer, du moins
vis-à-vis de certains objectifs, c’est que le « système » constitué par les musées nationaux a perdu son pilote.
Au cours des dix dernières années, le ministère de la culture s’est considérablement affaibli, et il a
éprouvé les plus grandes difficultés à mettre en oeuvre des orientations nationales.
Il ne s’agit pas là d’une affirmation polémique, j’y insiste, mais d’un constat que la Cour étaye par de
nombreux exemples.
Cet affaiblissement n’est nulle part plus évident qu’en matière de politique tarifaire, mais nous l’avons
constaté aussi dans la gestion des droits photographiques à l’heure du numérique, vis-à-vis de la gestion des
personnels de surveillance ou en matière de coopération entre établissements.
Je voudrais souligner à ce propos que l’autonomie des musées, que la Cour a appelée de ses voeux,
qu’elle a encouragée et qu’elle soutient encore, n’impliquait nullement un tel affaiblissement du ministère de la
culture. Je serais tenté de dire : au contraire. L’autonomie de gestion confiée aux établissements aurait dû
faciliter la tâche du ministère dans son rôle de gardien des grands objectifs de la politique nationale. C’est-à-dire
des quatre objectifs que j’ai cités. Il n’en a rien été.
Le ministère n’a pas su imposer les contrats pluriannuels avec les établissements, du moins avant la fin
de la décennie ; il n’a pas su assigner des objectifs d’efficience aux musées ; il n’a pas su
subordonner le développement de la politique de l’offre à des objectifs précis en termes de publics ; il n’a pas su
créer une culture « managériale » du « rendre compte » auprès des dirigeants des grands musées, si je puis
m’exprimer en des termes peu habituels au monde de la culture.
*
J’arrive au terme de cette présentation.
Que ce rapport suscite le débat, qu’il conduise le ministère de la culture a préciser et justifier ses
objectifs, qu’il oblige les musées à rapporter les moyens qui leur sont alloués aux résultats qu’il atteignent, que
les chercheurs s’emparent du rapport de la Cour et que la presse se fasse l’écho de cette effervescence… tout
cela sera le signe que nous faisons oeuvre utile.
J’observe d’ailleurs que les 23 recommandations formulées par la Cour sont acceptée dans leur grande
majorité.
Seul le prononcé fait foi
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Je voudrais enfin terminer mon propos sur des considérations optimistes.
Les musées nationaux ont bénéficié d’un afflux de moyens sans précédent au cours des dernières
années. Ils se sont agrandis, ils se sont embellis, ils se sont dotés de professionnels qualifiés. Tout ceci a coûté
cher, tout ceci a nécessité un investissement soutenu de la part de l’Etat et une progression importante des tarifs.
Mais il y a là un acquis sur lequel les musées peuvent capitaliser.
Dans cet esprit la Cour ne recommande en aucun cas de « revenir en arrière ». Cela n’aurait aucun
sens, cela desservirait les musées tout autant que la politique nationale.
Non, la Cour recommande de préparer une décennie 2011-2020 marquée par une double exigence : la
maîtrise de la dépense publique, et la concentration des moyens sur les objectifs réellement prioritaires de la
politique nationale.
Le ministère de la culture a donc devant lui trois chantiers :
-
améliorer l’efficience des musées pour anticiper et préparer la modération des financements de l’Etat ;
-
rééquilibrer la politique nationale en faveur des régions et inciter les musées à développer leurs actions
territoriales ;
-
redéployer les moyens consacrés à la « politique de l’offre » pour développer ceux de la « politique des
publics » afin de favoriser la démocratisation de l’accès aux musées.
Ce rapport et les recommandations qu’il contient n’ont d’autre but que de l’y aider.
Je vous remercie de votre attention.
Moi-même, Jean Picq et Emmanuel Giannesini sommes à votre disposition pour répondre à vos
questions.
*
Réponse à un argument du ministre de la culture :
l’évolution de la fréquentation gratuite n’est pas un indicateur de démocratisation
Aujourd’hui, les musées nationaux sont gratuits pour tous les jeunes de moins de 25 ans, pour les
demandeurs d’emploi, les personnes en situation de handicap et pour les bénéficiaires des minima sociaux. Il
serait donc tentant de lire dans l’évolution de la fréquentation gratuite un indicateur du rajeunissement des
publics et de sa diversification sociale.
Dans sa réponse, c’est ce que le ministre de la culture s’est employé à faire, en notant que de 2005 à
2009, la fréquentation gratuite des musées avait crû de 40 % lorsque la fréquentation payante n’avait progressé
que de 7 %.
La réalité est différente, car il faut prendre garde à ce que l’on mesure.
Tout d’abord, les chiffres cités par le ministre de la culture portent sur les 1200 musées de France, et
non sur les 37 musées nationaux. Or, entre 2005 et 2009, de nombreux musées territoriaux sont devenus gratuits
pour tous les publics (par exemple à Nice, à Limoges, à Grenoble, à Lyon) ce qui modifie nécessairement les
termes de la comparaison.
Dans le cas des musées nationaux, la gratuité pour tous le premier dimanche de chaque mois, instituée
en 1999, représente une proportion importante de la fréquentation gratuite, qui ne peut être assimilée telle quelle
à un indicateur de démocratisation. Les études disponibles, notamment au Louvre et à Orsay, montrent que le
public de ces dimanche est le même que celui des autres week end de l’année.
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Enfin et surtout, la gratuité accordée aux jeunes de 18 à 25 ans et aux enseignants à partir du 1
er
avril
2009 représente 1,5 millions de visites qui étaient payantes en 2005 et qui sont devenues gratuites en 2009. Il y
a là un effet de périmètre, pas de tendance.
Si l’on considère les musées nationaux, les seuls dont traite ce rapport, la période 2005-2009 s’est
traduite par une progression d’un quart de la fréquentation totale qui, est passée de 22,5 millions de visites à 28,4
millions. Une fois neutralisé l’effet de périmètre lié aux mesures de gratuité décidées à compter du 1
er
avril 2009,
la fréquentation payante et la fréquentation gratuite ont évolué exactement au même rythme. Mais en valeur
absolue, cela signifie qu’il y a eu 4,2 millions de visites payantes supplémentaires pour 1,6 millions de visites
gratuites de plus. Bref, la fréquentation des musées nationaux n’est pas « tirée » par la fréquentation gratuite,
mais bien par la fréquentation payante.
Tout ceci est un peu technique, j’en ai conscience. Mais la juste mesure de l’évolution de la fréquentation, des
différentes formes de fréquentation devrais-je dire, implique de ne pas commettre d’erreurs d’interprétation.