Sort by *
C
OUR DES
C
OMPTES
Les musées nationaux après une
décennie de transformations
2000-2010
Mars 2011
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés sont insérées dans le rapport.
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
La réorganisation des musées nationaux :
une autonomie opportune, un pilotage national
affaibli
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
2
Les dépenses de l’Etat en faveur des musées
nationaux : une décennie de croissance
. . . . . . . .
9
3
Une décennie de développement des musées,
une décennie décevante pour la politique muséale
nationale
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
25
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Sommaire
3
A
u cours de la dernière décennie, les 37 musées nationaux (parmi lesquels figu-
rent le musée du Louvre, le château de Versailles, le Centre Georges
Pompidou, le musée d’Orsay, etc.) ont été au coeur de la politique culturelle nationale :
entre 2000 et 2010, les dépenses de l’Etat engagées à leur profit ont augmenté deux
fois plus vite que celles du ministère de la culture et trois fois plus vite que celles du bud-
get de l’Etat.
Les objectifs assignés à ces musées sont restés les mêmes pendant dix ans : l’amé-
lioration de la gestion des collections nationales ; le développement de l’offre culturelle ;
la diversification et le rajeunissement du public ; l’efficience de la gestion.
Si chaque musée, isolément, peut se prévaloir de certains succès en regard de ces
objectifs, notamment en termes culturels, la politique nationale appelle un constat plus
critique. Elle est devenue plus coûteuse, plus concentrée sur la région-capitale, elle n’a
pas fait sensiblement progresser la démocratisation de l’accès aux musées.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Introduction
5
1
La réorganisation des
musées nationaux : une
autonomie opportune, un
pilotage national affaibli
A la fin des années 1990, le constat
était communément dressé d’un système
trop centralisé, auquel la direction des
musées de France (DMF) et la Réunion
des musées nationaux (RMN) ne parve-
naient plus à insuffler le dynamisme
d’une économie culturelle en pleine
croissance. L’autonomie des musées est
ainsi devenue l’idée-force de la réorgani-
sation engagée à partir de 1999.
Une autonomie
sans stratégie
d’efficience
Si la recomposition institutionnelle
menée
sans
discontinuer
pendant
presque dix ans a conféré aux princi-
paux musées autonomie de gestion
(grâce au statut d’établissement public)
et autonomie culturelle (en les séparant
de la RMN), elle s’est traduite par un
coût net pour l’Etat et ne s’est pas
accompagnée d’objectifs d’efficience.
Aujourd’hui,
la
situation
des
finances publiques et la richesse de l’of-
fre muséale existante interdisent de rai-
sonner uniquement en termes de « déve-
loppement ». La Cour recommande
d’écarter toute nouvelle évolution statu-
taire qui ne reposerait pas sur un projet
crédible stabilisant ou modérant l’enga-
gement financier de l’Etat. La Maison de
l’Histoire de France, destinée à fédérer
neuf musées nationaux, le musée des
civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée (MUCEM) et chacun des
nouveaux départements que le musée du
Louvre envisage de créer sont concer-
nés au premier chef par cette recom-
mandation.
L’évolution de la
RMN
La revendication par les musées de
leur autonomie avait pour corollaire une
réforme du mode d’intervention de la
RMN, dont les activités au profit des
musées étaient l’objet de plusieurs cri-
tiques. Celles-ci allaient trouver un écho
avec la crise financière traversée par
l’établissement après une perte de
7,7 M€ en 2001, puis de 4,9 M€ en 2002.
La « clarification des financements
publics affectés par l’Etat aux musées
nationaux » annoncée en juin 2002 par le
ministre de la culture, entrée en vigueur
le 1er janvier 2004, a ainsi mis fin à la
solidarité des musées nationaux en
matière de financements et d’acquisi-
tions.
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
7
La réorganisation des musées
nationaux : une autonomie oppor-
tune, un pilotage national affaibli
8
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cette réforme entendait toutefois
maintenir un système coopératif en
conservant à la RMN l’intégralité de ses
compétences vis-à-vis des petits musées,
d’une part, et la responsabilité des expo-
sitions, des éditions et des activités com-
merciales des grands musées, d’autre
part, dans le cadre de conventions.
Or entre 2004 et 2009, ces derniers
sont parvenus à exercer progressive-
ment par eux-mêmes ces compétences.
L’échec du système de coopération a dû
être entériné par le ministère de la cul-
ture. La réforme de la RMN, engagée en
2009 dans la perspective de sa fusion
avec l’établissement public du Grand
Palais, repose en effet sur un projet de
transformation en opérateur culturel,
qui ne jouerait plus auprès des musées
qu’un rôle de «
prestataire de services
»
parmi d’autres.
Le nouveau statut de la RMN conti-
nue néanmoins de désigner des compé-
tences « de référence » et des missions
de service public que l’expérience des
années 2000 commande de préciser afin
de ne pas réveiller d’anciens conflits.
L’autonomie des musées constitue
aujourd’hui un point acquis et bienvenu.
Mais aucune définition de l’autonomie
ne saurait justifier que des établisse-
ments publics, tous financés sur fonds
publics et placés sous la responsabilité
du même ministère, refusent de recher-
cher dans des formes de coopération ou
de mutualisation, les moyens d’une plus
grande efficience.
L’affaiblissement
du ministère de la
culture dans ses
fonctions de pilo-
tage national
L’autonomie des musées aurait dû
faire évoluer le pilotage ministériel. A
l’ancienne tutelle devait succéder un
encadrement stratégique incarné par le
choix de dirigeants dotés de lettres de
mission et par l’inscription des objectifs
assignés aux établissements dans un
contrat pluriannuel. Ce pilotage ne s’est
pas concrétisé, les dirigeants des grands
musées étant parvenus à s’extraire de
tout encadrement.
Cette situation a débouché sur un
mode de relations peu satisfaisant,
régulé par les relations directes entre les
équipes dirigeantes des musées et les
autorités politiques, les premières ayant
pris l’habitude de ne référer qu’aux
secondes sans que les services du minis-
tère de la culture parviennent à assurer,
au quotidien, la mise en oeuvre des
orientations de la politique nationale.
Ce fonctionnement a affaibli la
cohérence de la politique des musées et
a placé le ministère dans une situation
où toute décision devient à la fois plus
longue, plus complexe et souvent plus
coûteuse.
9
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
2
Les dépenses de l’Etat en
faveur des musées natio-
naux : une décennie de
croissance
La dernière décennie a été marquée
par un objectif de développement des
ressources propres des musées (droits
d’entrées, redevances, recettes commer-
ciales et mécénats), dont il était espéré
en contrepartie une stabilisation, voire
une réduction des financements de
l’Etat.
Or, il n’en a rien été. En dépit de la
hausse des tarifs pratiquée depuis dix
ans, les équilibres économiques des
musées nationaux considérés dans leur
ensemble n’ont évolué qu’à la marge.
L’économie des
musées : le poids
prépondérant des
financements de
l’Etat
Le montant total des crédits alloués
aux musées nationaux et à la politique
muséale avait atteint, en 2000, un total
de 334 M€. En 2010, celui s’est élevé à
près de 528 M€, soit une croissance de
58 % alors qu’au cours de la même
période, le budget du ministère de la cul-
ture progressait de 32 %.
Si l’on ajoute à cette progression le
doublement des avantages fiscaux asso-
ciés au mécénat, l’effort total de l’Etat
en faveur des musées nationaux s’est
accru en dix ans dans une proportion
comprise entre 70 et 90 %, alors que
l’inflation ne représentait dans le même
temps que 20 %.
En 2009, le coût de fonctionnement
des 37 musées nationaux a représenté
667 M€ auxquels il convient d’ajouter
les rémunérations de leurs personnels
prises en charge par l’Etat, c’est-à-dire
93 M€, soit un total de 760 M€. Sur ce
total, 406 M€ provenaient directement
de l’Etat. Cette même année, leur chiffre
d’affaires « culturel » (qui comprend les
recettes de billetterie, les redevances et
le prix des prestations rendues par les
établissements) a atteint 178,31 M€, soit
moins de la moitié du montant des sub-
ventions de l’Etat.
Sans même prendre en compte les
contreparties fiscales attachées au mécé-
nat, l’Etat contribue aujourd’hui au
fonctionnement des musées nationaux,
grâce à ses subventions et à la prise en
charge d’une partie des personnels,
selon des taux qui s’échelonnent de
55 % (dans le cas du musée du Louvre)
à près de 80 % (dans le cas du Centre
Georges Pompidou et du musée du quai
Branly). En dix ans, ces taux n’ont que
peu diminué musée par musée et sont
même repartis à la hausse en 2009 du
fait de la compensation des mesures de
gratuité décidées au niveau national.
De fait, le taux de ressources pro-
pres de l’ensemble des institutions patri-
moniales s’est contracté en passant de
47 % en 2005 à 39 % en 2010, aucun
musée n’étant parvenu à un niveau qui
permette à l’Etat de réduire son soutien.
Des tensions prévi-
sibles au cours des
prochaines années
Cette croissance des dépenses de
l’Etat s’est faite au nom d’une politique
de développement : par rapport à 2000,
on comptait en 2010 un nouvel établis-
sement (le musée du quai Branly), quatre
musées entièrement rénovés (le musée
national d’art moderne, les musées
Guimet, des Arts décoratifs et de
l’Orangerie) et plusieurs autres agrandis
ou embellis.
D’autres opérations d’investisse-
ment sont aujourd’hui engagées. La
rénovation de l’hôtel de Soubise destiné
à accueillir la Maison de l’Histoire de
France en est un exemple. Les trois plus
gros chantiers de la prochaine décennie
devraient être la construction du musée
des civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée (MUCEM) à Marseille, du
Centre de conservation, de recherche et
de restauration des musées de France à
Cergy-Pontoise et les travaux de rénova-
tion du Grand Palais (dont les différents
scénarios impliquent entre 50,2 M€ et
150,7 M€ de subvention au cours des
années 2014-2016).
L’évolution des crédits d’investisse-
ment programmés de 2006 (6,56 M€) à
2011 (44,54 M€) rend compte de la
charge croissante que représentent ces
travaux chaque année. Au-delà, les équi-
pements nouveaux ou agrandis génère-
ront aussi des coûts de fonctionnement.
Le MUCEM, à ce titre, pourrait avoir un
impact sur le budget du ministère de la
culture à compter de 2013 comparable à
celui du musée du quai Branly au milieu
des années 2000. L’agrandissement du
musée Picasso et l’ouverture du départe-
ment des arts d’Islam au musée du
Louvre se traduiront respectivement par
un accroissement des effectifs, compris
entre 27 et 46 emplois pour le premier,
et 40 emplois pour le second.
L’économie muséale étant ce qu’elle
est, il est difficilement concevable que
l’Etat ne supporte pas l’essentiel de ces
coûts. La décennie 2011-2020 présente
donc d’ores et déjà un risque budgétaire,
qui oblige le ministère de la culture à
engager les musées dans une stratégie
d’efficience volontariste pour compen-
ser au moins en partie les dépenses iné-
luctables liées aux projets programmés.
Le mécénat et la
croissance des
dépenses fiscales
L’essor remarquable du mécénat
culturel depuis l’entrée en vigueur de la
loi du 1er août 2003 résulte de disposi-
tifs fiscaux très favorables aux mécènes,
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les dépenses de l’Etat en faveur
des musées nationaux :
une décennie de croissance
10
avec, en lieu et place de l’ancien système
fondé sur une déductibilité du revenu
imposable, des réductions d’impôt
s’échelonnant selon les cas de 60 à 90 %
de la valeur des dons. Le régime français
est devenu, du point de vue des contre-
parties fiscales, le plus avantageux au
monde, loin devant le régime américain
par exemple.
L’évaluation de la dépense fiscale
consentie par l’Etat constitue donc un
enjeu majeur. La Cour a pourtant
constaté chaque année depuis 2006 que
celle-ci était incomplète et imprécise au
ministère de la culture, et qu’aucune
entreprise sérieuse d’évaluation et de
recensement ne semblait proche d’abou-
tir.
Par ailleurs, l’essor du mécénat aurait
dû conduire l’Etat à préciser davantage
les conditions de son usage dans les
musées. Tel n’a pas été le cas, et trois
séries d’ambiguïtés attendent encore
d’être levées.
La première concerne les contrepar-
ties en nature accordées aux mécènes,
que l’administration fiscale, peu après
l’entrée en vigueur de la loi du 1er août
2003, a « officialisé » pour la première
fois en demandant qu’elles soient valori-
sées avec un plafond égal à 25 % de la
valeur des dons. Ce procédé a ses avan-
tages mais il introduit une confusion
entre le mécénat, supposé désintéressé,
et le parrainage, qui est une dépense de
communication.
La deuxième ambiguïté concerne le
mécénat
de
compétence
ou
« en
nature », qui consiste en la prise en
charge par une entreprise, de travaux ou
de prestations effectués directement au
profit de l’organisme mécéné. La Cour a
constaté que la valeur desdites presta-
tions n’était pas toujours évaluée avec
autant de rigueur que nécessaire compte
tenu de l’avantage fiscal important
(60 % de réduction d’impôt) qui lui est
associé.
La troisième ambiguïté concerne la
tarification des prêts d’œuvres.
Les règles éthiques qui gouvernent
la coopération entre les musées exigent
que les prêts d’œuvres soient consentis à
titre gratuit, moyennant seulement l’es-
poir d’une réciprocité. Mais cette règle
s’est heurtée tout au long de la dernière
décennie au principe de réalité, qui a vu
les musées nationaux engager des coo-
pérations tarifées prenant le plus sou-
vent la forme d’un « mécénat » acquitté
par les Etats, les musées ou les entre-
prises étrangères bénéficiant de prêts
d’œuvres.
Cette tarification officieuse des prêts
constitue une application de l’orienta-
tion politique consistant à valoriser le
capital immatériel de l’Etat. Elle n’en
soulève pas moins des difficultés de
principe au regard de l’environnement
éthique des musées. Il conviendrait donc
d’en énoncer plus précisément les
conditions, par exemple sous la forme
d’une charte nationale élaborée par le
ministère de la culture.
La progression des
effectifs
L’accroissement des dépenses de
l’Etat a financé la progression des effec-
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les dépenses de l’Etat en faveur
des musées nationaux :
une décennie de croissance
11
tifs au sein des musées nationaux. La
Cour des comptes estime qu’ils sont
passés de 6 559 en 2000 à 7 460 en 2009,
soit une progression de 901 emplois
(+13,7 %) due essentiellement aux
grands musées (+613 emplois au
Louvre, +202 emplois à Versailles).
Cette croissance a répondu en partie
à l’extension des plages horaires et à l’ac-
croissement du taux d’ouverture des
salles. Elle traduit aussi le fait que la
réduction du périmètre d’activité de la
RMN et l’autonomie des musées n’ont
pas été neutres en termes d’effectifs. Le
développement de l’offre culturelle n’a
pas été atteint par des gains d’efficience
ou de productivité, mais par une poli-
tique de moyens. Au musée du Louvre,
par exemple, le taux d’ouverture des
salles est passé de 75 % en 2002 à 90 %
en 2009. Cette performance remarqua-
ble a nécessité, entre ces deux dates, une
augmentation des effectifs de la filière
accueil, surveillance, magasinage (ASM)
de 272 postes, soit une croissance de
34 %.
Ces chiffres conduisent à s’interro-
ger sur les marges de productivité dont
disposent les fonctions d’accueil et de
surveillance. Deux voies, à cet égard,
n’ont guère été explorées.
Si les musées nationaux acquièrent
régulièrement de nouveaux équipements
technologiques, ils n’ont pas été encou-
ragés à inscrire ces développements
dans le cadre d’une réflexion à long
terme sur la productivité des fonctions
d’accueil et de surveillance.
En raison de la sensibilité sociale qui
s’y attache, le recours progressif à des
contrats de prestations de surveillance
conclus avec des entreprises privées n’a
pas non plus fait l’objet d’orientations
claires. Certes, c’est la voie empruntée
par les nouveaux établissements, comme
le musée du quai Branly, et c’est celle
qu’il a été demandé au musée Picasso
d’adopter en vue de sa réouverture en
2013. Mais aucune étude n’a été entre-
prise à ce jour pour apprécier de façon
rigoureuse les avantages d’une telle
externalisation, notamment en termes
de coût.
La même rigueur doit prévaloir en
matière budgétaire et en matière d’em-
ploi public. Il n’est en effet pas conceva-
ble que la décennie 2011-2020 débouche
sur
une
nouvelle
croissance
des
moyens : la règle du non-remplacement
d’un agent public sur deux s’y oppose :
elle implique une réduction des effectifs
au niveau de l’ensemble des musées
nationaux.
Aussi convient-il que le ministère de
la culture et ses musées engagent sans
tarder une véritable stratégie d’efficience
en matière de ressources humaines, en
accélérant les possibilités de mutualisa-
tion entre établissements, en étayant
rigoureusement les ratios de coût qui
doivent servir d’objectifs, en diffusant
les bonnes pratiques et en intégrant le
progrès technologique dès la muséogra-
phie des collections.
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les dépenses de l’Etat en faveur
des musées nationaux :
une décennie de croissance
12
3
Une décennie de dévelop-
pement des musées, une
décennie décevante pour
la politique muséale
nationale
La croissance parallèle des subven-
tions de l’Etat et de leurs tarifs a permis
aux grands musées d’accroître leurs
moyens et de multiplier les projets. C’est
à ce titre que l’on peut parler d’une
décennie marquée par une « politique de
l’offre ». Cette richesse de l’offre cultu-
relle peut être considérée comme satis-
faisante en elle-même. Mais elle ne
constitue pas le seul objectif de la poli-
tique nationale des musées.
La gestion et l’enri-
chissement des
collections : des
progrès tangibles
En matière de gestion des collec-
tions, la décennie 2000-2010 a été mar-
quée par deux initiatives.
La première visait à améliorer les
conditions de suivi, d’inventaire et de
récolement des collections nationales
après la révélation de graves lacunes à la
fin des années 1990.
Cette ambition a été portée par la loi
du 4 janvier 2002 relative aux musées de
France. Sur ces plans, la décennie 2000-
2010 a été celle d’incontestables progrès.
Les procédures de récolement sont dés-
ormais rodées, et les organes de suivi et
de contrôles ont été pérennisés. Les
améliorations apparaissent en revanche
plus modestes en matière de conserva-
tion préventive et de gestion des
réserves.
La seconde initiative visait à mettre
fin au dispositif centralisé d’enrichisse-
ment des collections nationales pour
laisser aux musées la responsabilité de
leurs acquisitions. Celles-ci ont connu
un essor considérable, puissamment
amplifié par le développement de la
dépense fiscale associé au mécénat. En
revanche, aucun musée n’a encore for-
malisé une « stratégie d’acquisition »
énonçant ses priorités, qui aurait permis
de renforcer la sélectivité des achats,
comme l’objectif en avait été affiché en
2003.
Le développement
culturel : une poli-
tique de l’offre
Au cours de la décennie 2000, les
grands musées sont devenus des « opé-
rateurs culturels », dont la mission
Cour des comptes
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
13
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
14
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
s’étend au-delà de la définition classique
du musée donnée par la loi du 4 janvier
2002.
La multiplication des
expositions temporaires
Si les années 1970 et 1980 pouvaient
encore apparaître comme celles des
grandes expositions nationales dans les
Galeries nationales du Grand Palais, les
années 1990 ont vu se démultiplier le
nombre et les formats d’expositions :
alors qu’en 2003, la RMN et les musées
nationaux avaient organisé 19 exposi-
tions, ce sont plus d’une soixantaine qui
ont vu le jour en 2009.
La capacité de ces expositions à atti-
rer de nouveaux publics et leur inscrip-
tion dans un modèle économique soute-
nable restent des questions ouvertes. En
effet, dans les grands musées, leur mul-
tiplication s’est accompagnée d’une
inversion de la rentabilité entre les
grandes expositions à billetterie spéci-
fique et les petites expositions insérées
dans les collections permanentes. Alors
qu’au début de la décennie, les pre-
mières étaient souvent déficitaires et les
secondes financées par des parrains ou
des mécènes, ce sont désormais les
bénéfices des « grandes » qui sont réin-
vestis dans les « petites ».
Le développement des
éditions
La maîtrise de leur politique édito-
riale revendiquée par les grands musées
les a conduits à se séparer de la RMN
dans ce domaine. Les publications de
l’ensemble constitué de la RMN et des
quatre principaux musées nationaux
sont ainsi passées de 110 titres en 2000
à 201 en 2008, avant de redescendre à
178 en 2009.
Mais ce développement de l’activité
d’édition ne s’est pas traduit par un dis-
positif plus efficient. La démonstration,
par un audit incontestable, de la perti-
nence économique de sa décentralisa-
tion n’a toujours pas été apportée alors
qu’au plan budgétaire, l’Etat a dû s’enga-
ger davantage.
Les spectacles et les audi-
toriums
La troisième grande composante de
la politique de l’offre au cours des der-
nières années tient à la multiplication
des spectacles, manifestations et événe-
ments au cœur même des musées,
notamment dans les auditoriums. Les
contrôles effectués par la Cour ont tous
débouché sur le constat de l’incapacité
de ces structures à s’autofinancer.
La régulation de la poli-
tique de l’offre, ou la
nécessité d’une comptabi-
lité en coûts complets
Expositions temporaires, éditions et
auditoriums obéissent
aux mêmes
objectifs : représentatifs d’une stratégie
de développement de l’offre culturelle,
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
15
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
ils se veulent complémentaires du cœur
de mission des musées.
Les musées présentent le développe-
ment d’une telle offre comme une ques-
tion de principe, afin que les collections
demeurent des objets vivants. Mais au
sein d’un paysage culturel déjà riche, et
dans une économie muséale qui repose
sur les financements de l’Etat, ces offres
nouvelles posent surtout des enjeux
concrets : quelle redistribution budgé-
taire est-il possible de consentir en
faveur de ces offres ? Dans quelle
mesure contribuent-elles à accroître et à
diversifier la fréquentation ?
Ces activités ont en commun de ne
pas avoir été soumises à des contraintes
d’équilibre économique. Leur multipli-
cation oblige désormais à considérer
celles-ci comme étant au cœur de la vie
des musées, et donc comme des misions
financées de facto par la puissance
publique via ses subventions. Il est donc
indispensable qu’une comptabilité ana-
lytique rigoureuse permette d’en établir
le coût complet afin d’en optimiser le
pilotage.
Devant la stagnation des résultats
obtenus en matière de rajeunissement et
de diversification des publics, il convient
de se demander si l’efficience ne com-
manderait pas de réorienter une partie
des moyens consacrés à cette « politique
de l’offre » au profit d’actions et d’acti-
vités plus directement ciblées sur les
publics prioritaires.
Une politique nationale de
plus en plus parisienne
Le tarissement des aides de l’Etat
aux musées des collectivités territoriales
(qui sont passées de 32,63 M€ en 2000 à
16,53 M€ en 2010), ajouté à une préfé-
rence systématique pour Paris dans le
choix des grands investissements, a dés-
équilibré la politique nationale au détri-
ment des régions.
A s’en tenir aux équipements nou-
veaux, quatre décisions d’implantation
ont contribué à accentuer cette concen-
tration parisienne : la localisation du
musée du quai Branly à Paris ; la création
d’un département des arts d’Islam au
sein du musée du Louvre ; la transfor-
mation de l’aile du Palais de Tokyo déte-
nue par l’Etat en établissement de plein
exercice consacré à l’art contemporain ;
et enfin le choix de l’Hôtel de Soubise,
ancien site des archives nationales au
cœur du Marais à Paris, pour abriter la
Maison de l’Histoire de France.
Les antennes territoriales du Centre
Georges Pompidou et du musée du
Louvre, la première inaugurée à Metz le
12 mai 2010, la seconde prévue pour
ouvrir en 2012 à Lens, constituent une
réponse à la concentration des musées
nationaux
en
Ile-de-France.
Ces
antennes ne bénéficient toutefois que
marginalement de financements de
l’Etat pour leur construction (celle-ci
étant limitée à 5,9 % sur un total de
68 M€ à Metz et à 3,8 % sur un total de
150 M€ à Lens), et plus tard pour leur
fonctionnement (avec seulement 1 M€
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
16
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
sur trois ans à Metz, et aucune aide
d’Etat à Lens en régime d’exploitation).
Seul le transfert à Marseille de l’an-
cien musée des arts et traditions popu-
laires sous la forme du MUCEM, déci-
dée au début des années 2000 et désor-
mais programmée pour 2013 après, des
atermoiements, pourrait marquer le
début d’un rééquilibrage en faveur de la
province.
La concentration parisienne des
financements et des investissements
aurait pu être compensée par une poli-
tique ambitieuse de circulation des
œuvres des musées nationaux auprès
des musées territoriaux, comme l’objec-
tif en avait été esquissé au début de la
décennie.
Toutefois, après quelques événe-
ments («
22 oeuvres du Louvre dans 22
régions
» de 2003 à 2007), cette orienta-
tion n’a pas fait l’objet d’actions volon-
taristes. Au sein des grands musées
nationaux, les indicateurs d’action terri-
toriale se sont nettement infléchis au
cours de la deuxième moitié des années
2000, notamment parce qu’il est plus
avantageux pour les grands musées de
coopérer avec de grandes institutions
étrangères.
Il s’agit là d’une question d’opportu-
nité politique. Mais si l’objectif de
démocratisation
culturelle
continue
d’être au cœur des missions du ministre
de la culture, il apparaîtrait cohérent que
les musées nationaux inscrivent davan-
tage leurs activités sur l’ensemble du ter-
ritoire.
La fréquentation :
une dynamique
quantitative sans
diversification des
publics
Entre 2000 et 2009, la fréquentation
des musées nationaux est passée de
17,8 millions de visites à 28,1 millions,
soit une progression de 58 %. Cet
engouement a été constaté dans la plu-
part des pays de l’OCDE, mais il n’a
nulle part été aussi fort qu’en France.
Si cette hausse de la fréquentation
constituait un objectif commun à tous
les musées, la désignation des publics
prioritaires, c’est-à-dire les jeunes et les
catégories sociales défavorisées, n’est
pas allée sans ambiguïtés et contradic-
tions. Le fait qu’ils bénéficient de la gra-
tuité impliquait une réduction de la fré-
quentation payante par rapport à la fré-
quentation gratuite. Or, c’est le contraire
qui a été demandé aux musées par l’Etat.
Faute d’une mise en cohérence des
objectifs les uns avec les autres, il est dif-
ficile de dire si les musées nationaux les
ont atteints. Les études disponibles sug-
gèrent plutôt que ce n’est pas le cas.
Le public jeune n’a guère
bénéficié de la croissance
de la fréquentation
Signe de son importance, un indica-
teur de fréquentation des jeunes de
moins de 18 ans, en proportion de la
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
17
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
fréquentation totale des musées natio-
naux, a été intégré dès 2006 au projet
annuel de performance de la mission
« Culture ». Sur la base d’un pourcentage
de 17 % atteint en 2003, il était prévu
parvenir à 19 % en 2005 et 23 % à l’ho-
rizon 2010.
Ces objectifs n’ont pas été réalisés,
loin s’en faut, puisqu’en 2009, le minis-
tère de la culture n’affichait qu’un résul-
tat de 15,6 %.
En fait, seule la croissance de la fré-
quentation totale a permis au nombre de
jeunes présents dans les musées de se
maintenir en volume. Mais ils ont sensi-
blement moins « bénéficié » de la décen-
nie que les autres publics, alors même
qu’ils étaient désignés comme priori-
taires : de 2005 à 2009, lorsque la fré-
quentation totale des musées nationaux
gagnait 4,8 millions de visites, celle des
jeunes ne progressait que de 410 000.
L’absence de démocratisa-
tion de l’accès aux
musées
Depuis 1973, le ministère de la cul-
ture collationne et publie les résultats
d’une vaste étude intitulée «
Les pratiques
culturelles des Français
», dont les derniers
résultats datent de 1989, 1997 et 2008.
L’indicateur
de
fréquentation
des
musées révèle à cet égard un résultat
surprenant en regard de l’investissement
massif de l’Etat en faveur des musées
nationaux :
Français de 15 ans et plus...
1989
1997
2008
ayant fréquenté un musée dans
l’année
30 %
33 %
30 %
ayant fréquenté une exposition
dans l’année
23 %
25 %
24 %
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
18
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L’explication de ce paradoxe appa-
rent tient à ce que ce sont les visiteurs
réguliers des musées qui sont devenus
encore plus assidus.
L’absence de démocratisation de
l’accès au musée, elle, est patente si l’on
considère la répartition des visiteurs par
catégories socioprofessionnelles :
Français de 15 ans et plus ayant visité
un muséee dans l’année
1989
1997
2008
Agriculteurs
22 %
20 %
17 %
Artisans, commerçants...
32 %
33 %
30 %
Cadres et professions intellectuelles
supérieures
61 %
65 %
59 %
Professions intermédiaires
43 %
43 %
38 %
Employés
31 %
34 %
22 %
Ouvriers
23 %
22,5 %
15 %
Retraités, inactifs
21 %
30 %
29 %
Ce constat se double d’une margina-
lisation des Français de province,
puisque seuls les parisiens ont vu leur
« taux de visite » progresser en passant
de 57 % en 1997 à 65 % en 2008, alors
qu’il diminuait pour tous les autres.
Ces résultats sont décevants en
regard de l’ambition de démocratisation
culturelle, qui continue d’être au cœur
des missions du ministère de la culture.
Il est vrai que les musées se trouvent
en bout de chaine de cette entreprise qui
doit sans doute être d’abord portée par
les politiques d’éducation à l’art et à la
culture. L’échec évoqué ici n’est donc
pas un grief contre les musées, mais un
symptôme. A l’aube d’une nouvelle
décennie, les musées n’en doivent pas
moins établir un bilan précis et critique
de leurs résultats pour envisager un
redéploiement de leurs activités et de
leurs moyens vers les propositions les
plus aptes à favoriser une réelle diversi-
fication des publics.
Des politiques tari-
faires paradoxales
La décennie 2000-2010 s’est ouverte
sur une orientation politique claire en
faveur de la modération des tarifs d’en-
trée
dans
les
musées
nationaux.
Notamment, la loi du 4 janvier 2002
relative aux musées de France est venue
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
19
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
énoncer sous la forme d’une disposition
de principe : «
Les droits d'entrée des musées
de France sont fixés de manière à favoriser leur
accès au public le plus large
».
En dépit de cette orientation, à par-
tir de 2003, ce sont de fortes augmenta-
tions des tarifs qui ont été décidées par
les musées nationaux. En 2000, les tarifs
de base des musées du Louvre et de
Versailles s’élevaient tous deux à 7,01 €
(46 francs). En 2011, ils atteignent res-
pectivement 10 € et 15 €, soit une hausse
de 42 % au Louvre et 114 % à Versailles.
Dans le même temps, l’inflation ne
représentait que 20 %.
Au-delà de cette hausse des tarifs de
base, les musées ont déployé une straté-
gie tarifaire pour accroître le prix moyen
du billet, avec le développement des
« passeports » et autres billets groupés,
une tarification séparée de plus en plus
élevée des expositions temporaires, et
une réduction du champ des tarifs
réduits.
Cette contradiction entre les orien-
tations politiques et la pratique des
musées est en partie la conséquence
d’un désinvestissement stratégique et
politique du ministère de la culture vis-
à-vis des questions tarifaires, aujourd’hui
documentées et décidées par les seuls
musées. Les tarifs sont devenus des
sujets de gestion majeurs pour ces der-
niers, mais ne sont plus considérés
comme des leviers de la politique natio-
nale.
Avec un public constitué aux deux-
tiers (au Louvre, à Versailles et à Orsay)
de touristes étrangers « captifs », la stra-
tégie de hausse des tarifs n’était pas vrai-
ment risquée. Elle n’a apparemment pas
empêché la croissance de la fréquenta-
tion totale. Nul ne peut toutefois se
hasarder à dire qu’il n’existe aucun lien,
fût-il indirect, entre la progression des
tarifs et le repli de la fréquentation des
musées par les catégories socioprofes-
sionnelles les plus modestes.
La gratuité accordée
aux 18-25 ans et
aux enseignants :
une mesure
coûteuse dont l’effi-
cacité tarde à se
manifester
Au terme d’une décennie marquée
par la prise en main des sujets tarifaires
par les musées, la gratuité accordée aux
jeunes de 18 à 25 ans et aux enseignants
à compter du 1er avril 2009 constitue
une rupture. Mais sa mise en œuvre coû-
teuse l’expose à des critiques.
Des objectifs modestes,
des résultats encore déce-
vants
Le projet annuel de performances
de la mission « Culture » établi pour
2010 a été doté d’un nouvel indicateur
consacré à la part des jeunes de 18 à 25
ans. Il était estimé que les musées natio-
naux avaient atteint, en 2008, un taux de
11,9 %. Or, l’objectif assigné pour 2010
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
20
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
ne s’élevait qu’à 13,8 %, soit une pro-
gression en volume de 10 % par an
parallèlement à une stabilité de la fré-
quentation totale.
En regard, les résultats révèlent des
erreurs de prévision d’une ampleur telle
qu’elles remettent en cause l’économie
même du dispositif. En effet, après trois
trimestres de mise en oeuvre fin 2009, la
proportion des visiteurs de 18 à 25 ans
dans les musées a été précisément mesu-
rée à 7,7 %, soit un chiffre de 4,2 points
inférieur à l’estimation de 11,9 % qui
servait de point de départ.
La mesure produit néanmoins des
effets : la part des 18-25 ans dans la fré-
quentation des collections permanentes
a été estimée à 5,5 % au cours du pre-
mier trimestre d’application, à 8 % au
deuxième trimestre et à 11 % au troi-
sième trimestre. Mais les données
annuelles ne corroborent pas cette pro-
gression. Au musée du Louvre, la struc-
ture de la fréquentation par tranches
d’âge n’a quasiment pas évolué en 2009
par rapport à 2008, la seule progression
notable étant le fait des plus de 60 ans.
Au Centre Georges Pompidou, la pro-
portion des jeunes de 18 à 25 ans parmi
les visiteurs d’avril 2009 à mars 2010
s’est élevée à 9 %, soit le même taux que
celui observé en 2008.
Une compensation budgé-
taire excessive
La nouvelle mesure de gratuité a été
compensée auprès des musées natio-
naux pour un total de 17,87 M€ en 2009
et de 23,15 M€ en 2010 (dont respecti-
vement 14,18 M€ et 18,91 M€ au titre
des jeunes de 18 à 25 ans) sans que des
engagements précis leur soient deman-
dés. Intégrée dans la base des subven-
tions attribuées aux musées à compter
de
2010,
cette
compensation
est
aujourd’hui considérée comme perma-
nente.
Ce choix, coûteux pour les finances
publiques, apparaît discutable. S’il s’im-
posait peut-être à court terme, il eût été
concevable de prévoir une compensa-
tion dégressive, le temps que les musées
parviennent à en équilibrer l’impact par
un surcroît de ressources propres ou par
des gains de productivité.
Quoi qu’il en soit, s’il est un résultat
qui peut être étayé dès à présent, c’est
l’écart substantiel qui existe entre le
pourcentage constaté des jeunes de 18 à
25 ans dans la fréquentation des collec-
tions permanentes et celui qui a servi de
base au calcul de la compensation :
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
21
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Jeunes de 18 à 25 ans
Taux pris en
compte pour la
compensation
Taux constaté sur
les trois derniers
trimestres 2009
Louvre
15,1 %
6,5 %
Versailles
9,1 %
7,5 %
CNAC-GP
14,0 %
7,9 %
Orsay
7,2 %
6,1 %
Quai Branly
15,0 %
18,1 %
Guimet
14,3 %
10,8 %
Rodin
4,2 %
5,8 %
Arts décoratifs
13,0 %
12,5 %
Musée de la musique
9,5 %
4,5 %
Gustave Moreau
14,5 %
8,1%
Musée SCN
12,9 %
5,4 %
Si les taux de fréquentation des
jeunes de 18 à 25 appliqués avaient été
ceux qui ont été constatés en 2009, ce ne
sont pas 14,18 M€ qui auraient été ver-
sés aux principaux musées nationaux
cette année-là, mais seulement 8,63 M€.
Et pour 2010, le trop versé par l’Etat
s’élève à 7,40 M€, soit 40 % de la com-
pensation accordée.
Les enjeux financiers sont moindres
pour ce qui concerne les enseignants,
mais les écarts sont plus importants
puisque les taux de fréquentation
constatés sont dans bien des cas six fois
inférieurs aux prévisions (0,5 % contre
3,5 % estimé au Louvre, 0,7 % contre
3,6 % estimé à Versailles). Ce sont ainsi
2,79 M€ et 3,72 M€ de trop qui ont été
versés respectivement en 2009 et en
2010 au titre de la gratuité « ensei-
gnants », soit 78 % des sommes acquit-
tées.
22
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Au total, les deux dispositifs ont
ainsi provoqué une surcompensation de
8,35 M€ en 2009 et de 11,36 M€ en
2010, soit 19,48 M€ au total.
Malgré cela, le ministère de la cul-
ture n’entend pas faire rembourser par
les musées le trop-perçu, qui a été
affecté à des investissements. Cette solu-
tion constitue un pis-aller discutable car
rien ne dit que ces opérations n’auraient
pas pu être financées par l’appel à d’au-
tres ressources ou étalées dans un autre
calendrier.
Une stratégie d’efficience avisée
commanderait de ne pas perpétuer un
dispositif de gratuité coûteux et d’une
efficacité incertaine, pour privilégier un
redéploiement des moyens que l’Etat y a
déjà consacré au profit de mesures plus
ciblées sur la démocratisation de l’accès
aux musées et la diversification des
publics.
Une décennie de développement des
musées, une décennie décevante
pour la politique muséale nationale
Conclusion
23
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
A
u cours de la dernière décennie, le développement des musées a été financé à
titre principal, non par leurs ressources propres, mais par l’Etat. Dans les
faits, tant les subventions publiques que les effectifs des musées ont crû dans des propor-
tions très supérieures à ce qui était constaté au même moment dans la plupart des ser-
vices publics.
Le contexte du début des années 2000, qui a vu les musées nationaux développer
toutes leurs activités simultanément, n’est plus la réalité d’aujourd’hui. Les exigences
de maitrise accrue des finances publiques s’imposent aussi au ministère de la culture.
Les moyens alloués au cours de la prochaine décennie devront, à cet égard, être assortis
de strictes obligations de résultats vis-à-vis des musées nationaux. L’autonomie des
musées a apporté la preuve de sa pertinence en termes de dynamisme : elle doit désor-
mais montrer qu’elle peut l’être tout autant vis-à-vis des objectifs d’efficience et de diver-
sification des publics.
L’ambition de démocratisation culturelle aurait dû se traduire par des orientations
stratégiques plus étayées et plus volontaristes, notamment en direction des régions. Elle
aurait dû déboucher, comme la loi du 4 janvier 2002 y invitait l’Etat et les musées, à
déployer des politiques tarifaires adaptées qui préviennent l’apparition de « barrières à
l’entrée » pour les familles et les catégories socioprofessionnelles les plus modestes. De
ce point de vue, la gratuité accordée aux jeunes de 18 à 25 ans et aux enseignants appa-
raît inutilement coûteuse en regard d’initiatives plus ciblées sur des publics éloignés de
la culture.
Réorienter la politique de l’offre vers une politique des publics, équilibrer les inves-
tissements culturels sur l’ensemble du territoire, placer l’exigence d’efficience au coeur de
la politique nationale constituent les enjeux d’une nouvelle forme de régulation qu’il
appartient à l’Etat de définir et au ministère de la culture de mettre en place.
C’est la mise en oeuvre d’une telle « régulation » que la Cour appelle de ses voeux.
Elle constitue pour le ministère de la culture une exigence en termes de maîtrise de la
dépense publique, mais aussi une exigence politique et sociale en regard de l’ambition
de démocratisation culturelle.
Recommandations
24
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Les 23 recommandations opéra-
tionnelles formulées par la Cour visent
à traduire les trois grandes orientations
stratégiques suggérées par le présent
rapport pour la prochaine décennie :
.
améliorer
l’efficience
des
musées pour anticiper et préparer la
modération du soutien direct de l’Etat ;
.
rééquilibrer la politique natio-
nale en faveur des régions et inciter les
musées à développer leurs actions ter-
ritoriales ;
.
redéployer les moyens consacrés
à la « politique de l’offre » pour déve-
lopper ceux de la « politique des
publics » afin de favoriser la diversifica-
tion et la démocratisation de l’accès
aux musées.
Recommandations relatives aux
transformations statutaires et au
repositionnement de la RMN :
mettre en cohérence la liste des
musées nationaux mentionnés par le
décret du 31 août 1945, la liste des
grands départements figurant au même
décret, et les services ou établissements
en charge des collections nationales ;
subordonner toute création ou
transformation de musée à l’existence
d’un projet scientifique et culturel et
d’un plan d’activité précis démontrant
la pertinence économique et budgé-
taire du schéma retenu ;
préciser la nature et la portée
des compétences de la RMN rangées
sous les différents intitulés de « presta-
taire de services », « compétences de
référence » et « missions de service
public ».
Recommandations relatives au
pilotage de l’Etat :
adresser systématiquement une
lettre de mission aux présidents et aux
directeurs des musées nationaux au
moment de leur nomination, et inscrire
dans
ces
lettres
l’obligation
de
conclure, dans un délai déterminé, un
contrat pluriannuel de performance ;
inscrire dans les contrats plu-
riannuels un volet relatif à la politique
tarifaire, ainsi qu’un chapitre relatif aux
relations de chaque établissement avec
la RMN.
Recommandations relatives au
mécénat :
évaluer, dans les projets annuels
de performance associés à la mission
« Culture » du budget de l’Etat, la
dépense fiscale liée à tous les disposi-
tifs de mécénat, et notamment au
mécénat « de droit commun » ;
élaborer une « charte éthique du
mécénat des musées nationaux » sur le
modèle de la charte conçue par le
musée du Louvre ;
mettre en place un dispositif
d’agrément des opérations de mécénat
« de droit commun » au-delà d’un cer-
tain seuil, (par exemple fixé à 1 M€) ;
25
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
subordonner l’acceptation des
mécénats de compétence, au-delà d’un
certain seuil (par exemple 1 M€), à une
évaluation contradictoire de la valeur
des apports, puis subordonner la déli-
vrance de l’attestation fiscale à la pro-
duction d’un compte d’opération certi-
fié ;
préparer un code de déontologie
de la circulation des collections natio-
nales conforme aux standards interna-
tionaux.
Recommandations relatives aux
emplois :
Recenser les pratiques de sur-
veillance et les procédés technolo-
giques susceptibles de se traduire, à
court et moyen terme, par des gains de
productivité ;
Intégrer les résultats de ces ana-
lyses dans la gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences des
musées, notamment pour la mise en
œuvre du non-remplacement d’au
moins un départ à la retraite sur deux
dans les effectifs des musées natio-
naux ;
Mettre fin à la pratique des
« emplois mécénés » et réintroduire
dans le plafond soumis au vote de la
représentation nationale la totalité des
emplois.
Recommandations relatives aux
acquisitions :
élaborer des stratégies d’acquisi-
tions pluriannuelles, ou à défaut, ins-
crire les orientations générales des poli-
tiques d’acquisition dans les projets
scientifiques et culturels ou dans les
contrats de performance ;
pour les musées-établissements
publics, remplacer le système des
« 20 % » par des budgets d’acquisitions
triennaux ou quinquennaux sur la base
des prévisions de ressources, et pour
les musées-SCN et les musées de petite
taille, conserver un mécanisme d’acqui-
sitions sur ressources stables mutuali-
sées afin qu’ils ne dépendent pas tota-
lement du mécénat.
Recommandations relatives à la
politique de l’offre :
expliciter dans les contrats plu-
riannuels les objectifs et les résultats
attendus de la programmation cultu-
relle en termes de fréquentation et de
publics ;
dans ces mêmes contrats, fixer
des objectifs économiques précis
(équilibre, déficit maximal, contribu-
tion nette minimale, etc.) aux exposi-
tions, publications, activités et manifes-
tations représentatives de la « politique
de l’offre » en développant les outils de
comptabilité analytique en coûts com-
plets.
Recommandations
Recommandations
Recommandations relatives à la
prise en compte des objectifs de
démocratisation culturelle :
intégrer dans le projet annuel de
performance du ministère de la culture
et dans les contrats pluriannuels des
musées des objectifs et des indicateurs
de rééquilibrage de la politique muséale
en faveur des régions ;
inscrire davantage d’objectifs et
d’indicateurs relevant de l’ambition de
démocratisation de l’accès aux musées
dans les contrats pluriannuels ;
fiabiliser
les
dispositifs
de
comptage des visiteurs au moyen d’une
méthodologie et de dispositifs harmo-
nisés, et éventuellement certifiés.
Recommandations relatives aux
politiques tarifaires et de gratuité :
expérimenter la mise en place
d’un « tarif recommandé » dans un
musée pendant la durée d’un contrat
pluriannuel ;
amplifier les mesures à destina-
tion des publics scolaires et établir des
« passerelles » entre visites scolaires et
visites familiales ;
réorienter progressivement les
crédits destinés à la compensation des
mesures de gratuité vers le finance-
ment d’initiatives innovantes, par
exemple sous la forme d’appels à pro-
jets destinés à favoriser la diversifica-
tion des publics.
26
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes