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Comment les collectivités délèguent-elles et contrôlent-elles la gestion de leurs services publics locaux ?

CRC OCCITANIE

Dans le rapport portant sur les finances publiques locales de 2024, qui vient d’être publié, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se sont plus particulièrement intéressées aux choix opérés par les collectivités de déléguer la gestion de leurs services à des entreprises privées, à la passation et à l’exécution de ces modes de gestion, ainsi qu’aux modalités de contrôle mises en œuvre.

Les constats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes s’appuient sur les rapports récents produits par ces dernières (un échantillon de 117 rapports a ainsi été analysé), ainsi que l’audition de plusieurs acteurs concernés (représentants des associations d’élus, des directions ministérielles, des fédérations des entreprises publiques, des secteurs de l’eau, des transports).

Pour sa part, la chambre régionale des comptes Occitanie inscrit régulièrement à sa programmation le contrôle de délégations de service public et des relations de collectivités avec des tiers délégataires. Pour la période 2017-2024, cela représente 130 rapports.

  • Si différents secteurs ont été pris en compte, quelques dominantes ressortent tels que l’eau, l’énergie, les déchets, l’aménagement, les transports urbains.
  • Les contrôles ont essentiellement porté sur des délégations de service public auprès de sociétés d’économie mixte (SEM), publique locale (SPL) ou anonyme (SA).
  • La question de la gestion confiée à des associations a été également appréhendée, avec des conclusions pouvant aller jusqu’à la requalification de conventions de subventionnement en marchés publics (exemple : le syndicat mixte Leins Gardonnenque, rapport CRC Occitanie, octobre 2024) , la constatation d’association transparente (exemple : l’association de promotion des flux touristiques et économiques APFTE, rapport CRC Occitanie, février 2024) et de régie de fait de la collectivité.
  • Les contrôles ont permis de mettre en valeur différents risques (gouvernance, financiers, contrôle, conflit d’intérêts) et de proposer des recommandations.

Trois constats ont été soulevés :

1. Le choix opéré par les collectivités de déléguer la gestion de ses services publics est parfois insuffisamment préparé et la concurrence des entreprises est souvent limitée

  • au niveau national, une carence de données relatives aux délégations de services publics est constatée, excepté dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et des déchets (observatoire de la loi Sapin). Il importe ainsi que l’observatoire économique de la commande publique recense également les attributions de délégations de service public, comme le prévoient les textes depuis 2019.
  • au niveau local, l’insuffisance d’études préalables ne permet pas aux exécutifs locaux et à la commission consultative des services publics locaux d’appuyer leur avis sur des analyses approfondies.
  • une limitation de la mise en concurrence est créée de fait par la structure oligopolistique de certains marchés (eau, assainissement, déchets, parkings, transport collectif de voyageurs), qui limite le nombre d’entreprises susceptibles de se porter candidates.

Par ailleurs, certaines modalités de consultation mises en œuvre (absence d’allotissement, inadéquation des périodes et durées de mise en concurrence) ne favorisent pas – voire restreignent – la concurrence. Les irrégularités relevées dans les procédures d’appel à concurrence nuisent tant à la qualité du service public qu’à la sécurité juridique des collectivités et de leurs élus.

Dans son contrôle sur la gestion de la commune de Pézenas (rapport CRC Occitanie, mai 2022), la chambre régionale des comptes Occitanie s’est intéressée à l’opération d’aménagement du quartier de Saint-Christol. Elle a constaté que la procédure de mise en concurrence réalisée par la commune en vue de constituer, avec un partenaire privé, une société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) à qui serait confiée une concession d’aménagement, n’avait pas été effectuée dans des conditions favorables à l’expression de la concurrence et que la délibération qui désigne la candidature retenue se fondait sur une analyse des offres sommaire, qui ne justifie pas le choix opéré.

  • un recours fréquent des collectivités délégantes à des cabinets de conseil est constaté pour la conception des appels à concurrence, l’analyse des réponses et la négociation avec les entreprises retenues. Si ce recours peut être justifié en raison de la technicité des domaines concernés et de l’asymétrie d’informations, il convient en revanche que les collectivités veillent à l’absence de conflits d’intérêts entre les conseillers et les entreprises du secteur

2. Les délégations de gestion des services publics peuvent s’avérer déséquilibrées au détriment des collectivités

Trois grands types de déséquilibres ont pu être constatés :

  • une durée excessive de certaines délégations, parfois prolongées par avenant et pouvant atteindre 30, 40 voire 50 ans, peut avoir pour conséquence d’altérer le jeu normal de la concurrence et d’attribuer à la société délégataire une rente de situation. Le droit est venu plafonner la durée maximale des contrats dans certains secteurs (10 ou 15 ans pour le secteur des transports publics de voyageurs, 20 ans dans les domaines de l’eau, l’assainissement et les déchets) – en permettant des dérogations justifiées. En revanche, aucune durée maximale n’est fixée dans les autres secteurs, ce qui laisse la porte ouverte à des durées excessives.

Dans le contrôle de la société anonyme BRL (rapport CRC Occitanie, juillet 2023) et de sa filiale, qui a pour mission première d’exploiter le réseau hydraulique régional (quatre barrages, un ouvrage digue, une microcentrale hydroélectrique, 106 km de canaux, près de 5 000 km de conduites enterrées, 92 sites de pompage et six usines de potabilisation) dans le cadre d’un contrat d’affermage, la chambre a constaté que le périmètre de cette concession n’avait jamais fait l’objet d’une mise en concurrence depuis sa conclusion il y a 29 ans, et s’était étendu suite à la réalisation d’un nouveau programme d’investissement majeur dit Aqua Domitia.

  • un déséquilibre économique des relations peut être constaté, avec un appel aux collectivités pour aider les sociétés en difficulté, mais une moindre redistribution aux collectivités des gains réalisés par les délégataires. Des aides versées par les collectivités pour aider les entreprises délégataires à faire face à des aléas économiques prévisibles, se trouvent en contradiction avec la définition légale de la délégation de service public qui prévoit que l’entreprise doit être exposée à un risque et l’assumer.

Dans le contrat de délégation conclu par la communauté d’agglomération du bassin de Thau (rapport CRC Occitanie, août 2017) pour le transport urbain des voyageurs, la chambre a constaté que la rémunération du délégataire n’est pas substantiellement assurée par le résultat de l’exploitation, mais par le versement d’une subvention d’équilibre destinée à compenser les contraintes du service public – celles-ci n’ayant cependant jamais été définies ni évaluées.

Le déséquilibre économique est également constaté dans certaines délégations de service public relatives à l’exploitation des aéroports régionaux. Ainsi, dans le contrôle de la société Edeis (rapport CRC Occitanie, septembre 2023), qui assure la gestion de l’aéroport de Nîmes depuis 2017 par conventions de délégation de service public, la chambre a constaté que les comptes sont présentés de manière succincte dans le rapport au délégant, avec une absence d’explication pour certains postes pourtant essentiels comme les charges de développement aérien. Par ailleurs, si la délégation est structurellement déficitaire à hauteur d’un quart du chiffre d’affaires, la contribution de Nîmes Métropole a permis au délégataire de dégager un bénéfice. Sur la période 2013-2021, pour un excédent évalué à 1,18 M€, moins de 16 % est revenu à la communauté d’agglomération Nîmes Métropole.

  • l’absence ou la non application de pénalités ôte aux collectivités un levier pour faire face à des comportements fautifs des délégataires. Ainsi, l’absence de transparence dans le rendu-compte de l’exécution des contrats (absence de transmission de compte d’exploitation, absence d’indication des investissements réalisés, absence de définition des frais de siège et de justification des montants facturés) doit pouvoir être sanctionné par la collectivité délégante.

Bonne pratique : La communauté d’agglomération du Grand Cahors (rapport CRC Occitanie, juillet 2024) a appliqué des pénalités prévues au contrat à son délégataire qui refusait de finir sa prestation, alors que la collectivité avait annoncé ne pas vouloir reconduire la DSP et reprendre en régie la gestion du service des transports publics des voyageurs.

3. Les collectivités doivent mieux maîtriser les délégations de services publics en exerçant leur pouvoir de contrôle

L’externalisation de la gestion des services publics ne signifie pas la déresponsabilisation des collectivités. Celles-ci doivent, au contraire, exercer un contrôle plein et entier, opérationnel et financier sur les délégataires.

Le manque de moyens de contrôles des collectivités a été relevé dans plusieurs rapports, dans des domaines très différents. A titre d’exemple, la chambre a constaté, dans son contrôle de la commune de La Grande-Motte (rapport CRC Occitanie, juin 2023), que pour les concessions de plage attribuées sous forme de délégation de service public, la procédure suivie pour l’attribution des 15 lots concernant la période 2017-2022 avait manqué de transparence et de précision ; que les exploitants bénéficiaient d’un traitement bienveillant par la commune ; que les contrôles, peu fréquents, s’étaient limités à un par an depuis 2020 en dépit des sévères critiques faites par l’État à la suite de ses propres vérifications qui avaient révélé de nombreux manquements. Ainsi, plusieurs exploitants ont acquitté avec retard leurs redevances sans que ne leur soient jamais facturées les pénalités prévues aux contrats.

Les collectivités doivent mieux structurer leur organisation interne et faire monter en expertise leurs services. Trois domaines sont particulièrement concernés :

  • l’accès aux données de gestion collectées ou produites par le délégataire. Si le droit prévoit un accès aux données pendant l’exploitation de la délégation, une évolution est nécessaire pour lever les restrictions qui empêchent l’accès aux données permettant d’exercer le contrôle du fonctionnement et de la situation économique du contrat.
  • la tenue et le suivi d’un inventaire précis des différentes catégories de biens matériels et immatériels, afin que la collectivité préserve ses intérêts patrimoniaux.
  • l’évaluation de la qualité du service produit par le délégataire à destination de l’usager et de la population. Des objectifs et des indicateurs doivent être définis au contrat et suivis, afin d’évaluer la qualité de service recherché.

Bonne pratique : dans le cadre du contrôle de la société Vectalia Béziers Méditerranée (rapport CRC Occitanie, septembre 2023), qui exploite le réseau de transport urbain que lui a confié la communauté d’agglomération de Béziers Méditerranée par délégation de service public, la chambre a constaté l’amélioration de la qualité de service, avec notamment la conversion de plus de la moitié de la flotte de bus au gaz naturel pour véhicules, le déploiement d’une nouvelle offre commerciale et la modernisation d’outils numériques.

De même, l’association des usagers au suivi de la qualité est de plus en plus constatée, avec la réalisation d’enquêtes de satisfaction et la participation à des comités d’usagers.

Bonne pratique : dans la délégation de service public d’eau potable et d’assainissement conclue par la communauté urbaine de Perpignan méditerranée métropole (rapport CRC Occitanie, juillet 2024), la chambre a constaté que, parmi les très nombreux indicateurs prévus, les services aux usagers font l’objet d’indicateurs spécifiques et que des modalités d’intégration des usagers et des associations de consommateurs pourraient être développées dans le cadre d’une « Commission citoyenne tripartite ».

Enfin, le contrôle de la collectivité doit s’exercer dans l’anticipation de la fin d’exécution des contrats et le changement éventuel du titulaire – voire du mode de gestion (exemple, une reprise en régie). Il faut donc que le contrat prévoie les conséquences financières et matérielles d’une résiliation anticipée ou puisse prévoir la conclusion d’un protocole de fin de contrat, listant l’ensemble des informations à transmettre afin d’assurer la continuité du servi

Dans son rapport sur les délégations de service public pour la gestion de la station Font-Romeu Pyrénées 2000 (rapport CRC Occitanie, juin 2023), la chambre a constaté plusieurs clauses introduisant des risques pour les autorités concédantes, principalement sur l’exécution des investissements, la continuité du service public et les conditions de production de neige de culture. De même, la chambre a relevé que le coût des démontages susceptibles d’intervenir en fin de délégation pour adapter la station aux conditions climatiques n’ont pas fait l’objet de prévisions au sein du contrat.

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Au-delà de ces constats, la chambre a également pu constater qu’à la suite de son contrôle, certaines collectivités avaient pu prendre conscience du manque d’information ou des relations déséquilibrées et envisager de reprendre une gestion en régie afin de mieux pouvoir la contrôler.

Ainsi, la société d’économie mixte (SEM) Sodéal (rapport CRC Occitanie, septembre 2023) était liée à la commune d’Agde par trois concessions de services publics portant, d’une part, sur la gestion du port de plaisance du cap d’Agde, incluant le centre nautique et les berges de l’Hérault ; d’autre part, sur la gestion de deux campings agathois, comprenant, outre la location d’emplacements à fins d’hébergement de plein air, l’organisation d’événements, d’activités nautiques, et la gestion d’une aire de camping-car. A la suite du contrôle de la chambre régionale des comptes, cette dernière activité a pris fin de manière anticipée au 1er mai 2021 et a été reprise en régie par la municipalité.

 

DSP - Définition
Les collectivités territoriales (communes, départements et régions) et leurs groupements (intercommunalités et syndicats) exercent leurs compétences en proposant des services publics à leurs habitants. Il peut s’agir de service public à caractère administratif (SPA) tels que la restauration scolaire, les centres de loisirs, ou à caractère industriel et commercial (SPIC) tels que la distribution d’eau potable, la collecte et le traitement des déchets, ou la gestion de parcs de stationnement.
Sous réserve de certaines exceptions décidées par la loi, et conformément au principe de libre administration reconnue par l’article 72 de la Constitution, les collectivités disposent d’une grande faculté de choix pour décider le mode de gestion qui leur apparaît le plus adapté pour exploiter les services publics locaux relevant de leurs compétences : directement en régie ; dans le cadre d’un établissement public rattaché ; ou en délégant la gestion à un tiers – ce dernier pouvant être une entreprise publique, privée ou ayant un capital mixte.                                                                             .
La délégation de service public (DSP) à une entreprise privée ou à une société d’économie mixte traduit la volonté d’externaliser des gestions techniques complexes, en externalisant par là même le financement des investissements et le risque lié à l’exploitation.