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Chapitre X
Une branche autonomie aux leviers
insuffisants pour faire face à des enjeux
démographiques cruciaux
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Quinze ans après la création de la caisse nationale de solidarité
pour l’autonomie (CNSA),
la loi
446
a créé en 2020 une nouvelle branche
de la sécurité sociale, chargée du risque de perte
d’autonomie pour les
personnes en situation de handicap et pour les personnes âgées. La mise
en œuvre de cette branche a été rendue effective par la conclusion avec
l’Etat en avril 2022 d’une nouvelle convention d’objectifs et de gestion
couvrant les années 2022 à 2026.
Cette inclusion dans le champ de la sécurité sociale
implique d’en
respecter les grands principes
: l’égalité d’accès aux prestations, la
solidarité nationale, un équilibre financier pérenne.
Trois ans après l’achèvement de l’édifice juridiq
ue de la réforme, la
Cour a souhaité présenter les grandes lignes d’un premier bilan. Celui
-ci
n’a pas pour ambition de traiter l’ensemble des problématiques, souvent
distinctes, des personnes en situation de handicap et des personnes âgées
en risque de pe
rte d’autonomie.
La Cour analyse, d’une part, la portée des changements déjà
intervenus dans la structuration de la branche par rapport aux objectifs
fixés, d’autre part, les conséquences des évolutions démographiques que
la France subira à partir de 2030
avec l’entrée dans le grand âge des
générations nombreuses de l’après
-guerre. Pour la branche autonomie, le
devoir de solidarité va changer d’échelle et des réponses claires devront
être rapidement apportées sur son organisation et sur ses pouvoirs.
Un nouveau risque et une nouvelle branche de sécurité sociale ont
été reconnus, mais cette création à forte portée symbolique a encore des
effets limités (I).
Face aux mutations démographiques qui s’annoncent, et
à leurs conséquences pour les finances publiques, des clarifications et des
choix sont nécessaires à court terme (II).
446
Par deux lois du 7 août 2020, l’une organique n°2020
-
991, l’autre ordinaire
n°2020-992,
relatives à la dette sociale et à l’autonomie.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
321
Chiffres-clés
L’effort national en faveur du soutien à l’autonomie (
projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 2025, annexe
7
447
) :
-
90
Md€, dont 62
% financés par la sécurité sociale (dont les 2/3 par la branche, qui
finance ainsi 41
% de l’effort total), 23
% par l’État et 14
% par les départements.
Charges de la branche autonomie : 42,6
Md€
en loi de financement de la sécurité
sociale pour 2025, dont :
-
78 % (33,3
Md€) pour
financer les établissements et services médico-sociaux pour
les personnes âgées (17,6
Md€
) et celles en situation de handicap (15,7
Md€
).
-
18 % (7,7
Md€) pour le cofinancement de l’allocation personnalisée d’autonom
ie et
de
la prestation de compensation du handicap, et le financement d’autres prestations
comme l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ou l’allocation journalière du
proche aidant.
Produits de la branche autonomie
: 41,9 Md€ (
loi de financement de la sécurité
sociale pour 2025), dont :
-
37,3 Md€ de contribution sociale généralisée, 2,5
Md€ de contribution de solidarité
pour l’autonomie, 1,0
Md€ de contribution additionnelle de solidarité pour
l’autonomie, 0,9
Md€ de taxe sur les salaires.
Offre
d’ac
compagnement (fichier national des établissements sanitaires
et sociaux au 31 décembre 2024) :
-
pour personnes âgées : 902 000 places en établissements et services médico-sociaux
dont 68
% dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes (Ehpad), 129 000 places en services de soins à domicile, 119 500 places
en résidence autonomie,
-
pour personnes en situation de handicap : 542 000 places en établissements et
services médico-sociaux dont 361 000 pour adultes et 181 000 pour enfants.
Bénéficiaires de prestations au 31 décembre 2023 (direction de la recherche,
des études, de l’évaluation et des statistiques)
:
-
1,37 million de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (820
000 à
domicile, 550 000 en établissements), 464 00
0 de l’allocation d’éducation de
l’enfant handicapé, 407
000 de la prestation de compensation du handicap,
quelques milliers par an pour l’allocation journalière du proche aidant
.
447
L’effort national en faveur du soutien à l’autonomie
est l’estimation annuelle de
l’ensemble des dépenses publiques à destination des personnes âgées en perte
d’autonomie
et des personnes en situation de handicap émanant de la sécurité sociale
(dont la branche autonomie),
de l’État
et des départements. Elle est publiée depuis
l’exercice 2021 en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
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322
I -
L
a reconnaissance d’un risque,
une branche aux réalisations encore limitées
La reconnaissance, longtemps annoncée mais plusieurs fois différée,
d’un cinquième risque de sécurité sociale
a été finalement décidée en
réaction à la crise sanitaire. La nouvelle branche est atypique, avec des
missions et des objectifs ambitieux. Son bil
an est aujourd’hui
peu
satisfaisant. Encore en construction, elle doit composer avec un jeu
d’acteurs complexe et
dispose de peu de leviers de pilotage.
A -
Une évolution majeure
La reconnaissance d’un nouveau risque de sécurité sociale a conduit
à créer une branche atypique au sein du régime général.
1 -
Un risque identifié de longue date, une branche récente
La reconnaissance d’un
risque
de perte d’autonomie incluant les
sujets du handicap et du vieillissement a été consacrée par la loi du 30 juin
2004 créant la c
aisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA),
établissement public
sui generis
de l’
État, créé après
la canicule de l’été
2003
et les défauts de prise en charge sanitaire qu’elle avait révélés. La
CNSA a été transformée par les lois de 2020 et la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2021 en caisse nationale de sécurité sociale.
Risque et branche, sécurité sociale et aide sociale
Le risque
de perte d’autonomie ne correspond à aucun des risques
identifiés dans les comptes de la protection sociale
448
. Il inclut certains
droits individualisés (allocation personnalisée d’autonomie, prestation de
compensation du handicap)
relevant de l’aide
sociale et de la compétence
des départements. En devenant des prestations de la branche autonomie,
entrant dans le champ de la sécurité sociale, ces droits auraient vocation à
être les mêmes pour tous, sous réserve des conditions d’éligibilité définies
et de l’application éventuelle d’un barème national.
448
Ces risques sont la maladie, l’invalidité, le décès, les accidents du travail et maladies
professionnelles, la vieillesse, la famille dans le périmètre de la sécurité sociale ; la
pauvreté, le logement et le chômage, hors de ce périmètre.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
323
Les branches du
régime général, listées à l’article L.
200-2 du code
de la sécurité sociale, sont des regroupements comptables et financiers.
Leurs prévisions de recettes et leurs objectifs de dépenses sont votés en loi
de financement de la sécurité sociale pour les risques
qu’elles gèrent. Les
comptes de la branche autonomie se confondent avec ceux de la CNSA.
La prise en compte de ce nouveau risque dans une cinquième
branche de la sécurité sociale a fait débat. Comme pour la création de la
CNSA, une crise sanitaire en es
t à l’origine. La branche a été créée par
amendement parlementaire aux lois du 7 août 2020, puis traduite dans la
LFSS pour 2021 après remise d’un rapport de préfiguration
449
. L’exposé
des motifs de l’article 16 du projet de loi en décrit les ambitions
: « assurer
une meilleure équité territoriale dans l’accès aux droits, améliorer l’offre
d’accompagnement à destination de ces publics et renforcer les politiques
transversales du handicap et du grand âge ».
2 -
Une caisse de sécurité sociale singulière
Les caisses nationales du régime général sont administrées par des
conseils paritaires, avec un commissaire du Gouvernement. La CNSA a
conservé un conseil beaucoup plus étoffé, héritage de la période
2004-2020, incluant des représentants des associations, des départements
et de l’État. La tutelle de la caisse est assurée, outre par les directions de la
sécurité sociale et du budget, par la direction générale de la cohésion
sociale.
Sans réseau local, la branche n’a pas de relation directe avec les
bénéficiaires de ses financements. Elle ne gère pas de prestations mais
contribue, en tout ou partie, à les financer. La gestion des dotations aux
établissements relève des agences régionales de santé et celle des
prestations individuelles ressort des départements, hormis pour
l’allocation
d’éducation de l’enfant handicapé
et l’allocation journalière du proche
aidant, versées par les caisses d’allocations familiales et de mutualité
sociale agricole.
Son périmètre
est plus limité qu’
envisagé en préfiguration. Seul le
financemen
t de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé a été
transféré de la branche famille. L
’allocation aux adultes handicapés
reste
financée par
l’État.
La branche assure ainsi 41 % de
l’effort national de
soutien à l’autonomie
.
449
Laurent Vachey,
La branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement
,
septembre 2020.
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324
Les dotations de la branche aux établissements et services médico-
sociaux figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS)
sous la forme de deux sous-
objectifs de l’objectif national de dépenses de
l’assurance maladie (Ondam), pour les personnes âgées et pour
les
personnes handicapées
450
.
La CNSA contribue aux dépenses des départements pour l’allocation
personnalisée d’autonomie (APA)
451
et pour la prestation de compensation
du handicap (PCH)
452
. Elle répartit entre les départements des concours dans
le cadre d’une
enveloppe fermée non corrélée à leurs dépenses. La part de sa
contribution aux dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie varie,
selon les départements
453
, entre 16 % et plus de 50 %, 43 % en moyenne.
La branche est financée principalement par une fraction de la
contribution sociale généralisée, et dispose de deux ressources spécifiques,
la contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA) et la contribution
additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA)
454
. Le financement
prépondérant par la CSG illustre le caractère universel des prestations
financées par la branche : le droit à la couverture du risque ne dépend pas
d’un statut ou d’une activité professionnels.
3 -
Une meilleure information du Parlement,
un recentrage des missions
Les dispositions organiques relatives aux LFSS déterminent
dorénavant les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de la
branche. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)
comprend une annexe spécifique décrivant les dépenses de la branche et
l’effort national de soutien à l’autonomie
. Les réalisations sont soumises à
l’approbation du Parlement dans le projet de loi d’approbation des comptes
450
Le maintien de ce rattachement a pour justification le fait que ces dotations ont pour
objet de financer des dépenses de soin.
451
L'APA est une aide financière destinée aux personnes âgées de 60 ans et plus en
perte d'autonomie. Elle finance des services d'aide à domicile (« APA à domicile ») ou
d'hébergement en établissement (« APA en établissement »).
452
La PCH est une aide financière destinée aux personnes en situation de handicap en
vue d'adapter leur environnement et d'améliorer leur quotidien (aide humaine, matériel,
aménagement du logement, etc.). Les maisons départementales des personnes
handicapées évaluent les besoins et attribuent la prestation.
453
Une péréquation tenant compte des écarts de richesse entre départements est appliquée,
modifiant le ta
ux de couverture des dépenses d’APA par la CNSA selon les départements.
454
La CSA (0,3 % des salaires bruts), versée par les employeurs, est la contrepartie de
la « journée de solidarité » travaillée mais non payée. La CASA, créée par la LFSS pour
2013, est prélevée au même taux sur certains avantages de vieillesse et d'invalidité.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
325
de la sécurité sociale auquel est annexé un
rapport d’évaluation
455
. La
certification des comptes, auparavant confiée à des commissaires aux
comptes, relève désormais de la Cour des comptes
456
. Enfin, la CNSA a
publié, en février 2025, un premier rapport de branche. L’information du
public et du Parlement a ainsi été renforcée.
Les missions de la CNSA (art. L. 223-5 du code de la sécurité
sociale) ont été réduites de quatorze à sept et sont désormais comparables
à celles des autres caisses nationales de sécurité sociale. Toutefois, les
missions «
d’égalité de traitement des demandes de droits et de
prestations »
et de «
répartition équitable sur le territoire national
» lui
sont propres et résultent des compétences des départements en matière de
financement de l’allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation
compensatoire du handicap.
La loi du 8 avril 2024
457
lui a confié, au bénéfice des départements,
une «
mission nationale d'accompagnement, de conseil et d'audit
» afin de
déployer des outils de contrôle interne et de maîtrise des risques et de
garantir la qualité du service.
Le décret d’application n’a pas
encore été
publié.
La convention pluriannuelle d’objectifs et de gestion signée avec
l’État en 2022 assigne trois
objectifs à la CNSA : garantir la qualité de
service et l’accès aux droits des
personnes en perte d’autonomie
, soutenir
l’adaptation de l’offre aux besoins des publics, structurer et outiller la
nouvelle branche pour piloter le risque autonomie.
B -
Un premier bilan peu satisfaisant
L’intégration
à la sécurité sociale devait se traduire par une
meilleure planification et utilisation des moyens. Malgré une forte
progression des dépenses, les résultats sont parcellaires.
455
L
es rapports d’évaluation des politiques
de sécurité sociale visent à apprécier les
résultats de ces politiques au regard des objectifs qui leur sont assignés.
456
Cf. Cour des comptes,
Certification des comptes du régime général de sécurité
sociale
, mai 2025, et, dans le présent rapport, l’a
vis de la Cour sur la cohérence des
tableaux d’équilibre et du tableau de situation patrimoniale de la sécurité sociale
.
457
Loi n° 2024-217 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir
et de l'autonomie.
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326
1 -
Une forte progression des dépenses
Les dépenses totales de la CNSA, qui s’identifient avec celles de la
branche, ont augmenté de 6,9 % par an entre 2020 et 2025 (3,8% par an
hors inflation), et devraient atteindre 42,6
Md€ 2025 selon la LFSS.
Les dépenses relatives aux établissements sont passées de 25,5
Md€
en 2020 à 33,3
Md€ en 2025, les
revalorisations salariales (4,7
Md€ depuis
2020) expliquant l’essentiel de la hausse
458
. La prestation de compensation
du handicap et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé augmentent
respectivement de 9,0 % et de 8,2 % par an en raison de la croissance du
nombre des bénéficiaires. Pour l’allocation personnalisée d’autonomie, la
progression totale entre 2020 et 2023 (+11,6 %) tient plutôt à
l’augmentation de la dépense moyenne par bénéficiaire. Sur la période, les
dépenses prises en charge par la CNSA ont été plus dynamiques (+19,1 %)
que celles des départements (+ 6,5 %) pour cette allocation
459
: la part
financée par la CNSA a augmenté de trois points et atteint 43 % en 2023.
Graphique n° 31 :
principales dépenses de la branche autonomie
(M€ courants)
Source
: Cour des comptes d’après comptes 2020 à 2024 et LFSS 2025
458
Revalorisations notamment issues du Ségur de la santé et de ses extensions ainsi que
de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique.
459
La participation de la CNSA à ces dépenses est corrélée à ses recettes, qui ont
augmenté sur la période. La contribution de la CNSA a donc davantage progressé que
celle des départements.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
327
Dans un contexte où le taux d’occupation
des places en établissements
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a diminué
(passant de 93 % en 2019 à 88
% en 2023), le nombre de places n’a
augmenté que de 2 % (+ 14 000).
Les agences régionales de santé (ARS), chargées d’exécuter
annuellement les crédits pour les établissements, peinent à déployer les
actions de transformation de l’offre. En 2022 et en 2023, 1 Md€ de crédits
délégués n’ont pu être exécutés conformément à leur objet, soit le double
des montants d’avant la crise sanitaire. Ils ont été utilisés en fin d’exercice
par les ARS pour soutenir des établissements en difficulté
460
, financer des
aides à l’investissement ou des dépenses de personnel non pérennes.
Le niveau élevé de ces réallocations s’explique notamment par le
fait que
les grands plans nationaux font l’objet d’instructions parfois
tardivement publiées quant à l’emploi de leurs crédits. Au
-
delà d’un
contrôle plus resserré des besoins de trésorerie des ARS
461
, il conviendrait
de
renforcer l’articulation et la convergence
de
l’utilisation de ces crédits
avec les plans d’aide à l’investissement mobilisés au niveau national
.
2 -
Un contrôle interne et une lutte anti-fraude insuffisants
Les réalisations de la CNSA en matière de contrôle interne et de lutte
contre la fraude sont analysées chaque année par la Cour dans le cadre de
la certification des comptes de la branche.
Les actions de contrôle interne de la CNSA sur les financements
attribués, rendues obligatoires par le code de la sécurité sociale (art. D. 114-4-6
et suivants), sont insuffisantes. Les dotations aux établissements, réparties par
les ARS
via
des arrêtés de tarification, sont versées par les caisses primaires
d’assurance maladie. Ces dernières ne vérifient pas l’exactitude des calculs des
ARS au regar
d notamment de l’activité, déclarée et réelle, des établissements.
La CNSA ne dispose pas d’informations suffisantes sur les contrôles réalisés
par les ARS pour prévenir les erreurs et les fraudes éventuelles. L’insuffisance
des contrôles et les risques d’
erreurs concernent également le calcul des
concours versés aux départements et le versement de l’allocation d’éducation
de l’enfant handicapé.
460
En LFSS pour 2025, un fonds de soutien de 300 M€ a été voté et ser
a alloué aux
établissements en difficultés par des commissions locales, mises en place depuis
septembre 2023, réunissant le directeur général de
l’ARS,
le président du département,
les services de la direction régionale des finances publiques, des Urssaf,
de l’
assurance
maladie et de la Banque des territoires.
461
La CNSA et ses tutelles ont indiqué travailler à réduire les marges excédentaires
de trésorerie des ARS et à envisager un éventuel réexamen de leurs dotations.
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328
De premiers travaux de cartographie des risques ont été lancés en
2024, les actions concrètes de maîtrise des risques restant à engager. Pour
la lutte contre la fraude, également obligatoire (art. L. 114-9 du code de la
sécurité sociale),
un plan d’action est annoncé par la CNSA en 2025.
3 -
Des disparités territoriales persistantes
Déjà critiquées par la Cour
462
, les disparités territoriales demeurent.
En matière d’offre de places en établissement, le rapport d’évaluation
précité annexé au
projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité
sociale note une réduction des écarts pour les adultes en situation de
handicap mais une croissance pour les enfants et pour les personnes âgées.
Les disparités territoriales sont importantes, tant en ce qui concerne la
répartition entre établissements et domicile que dans le statut des
établissements (privés, publics, privés non lucratifs).
S’agissant des prestations individuelles, la dépense moyenne
d’allocation personnalisée d’autonomie par bénéficiaire varie du simple au
double selon les départements
463
alors que la loi précise que cette allocation
est «
définie dans des conditions identiques sur l'ensemble du territoire
national
» (art. L. 232-
1 du code de l’action sociale et des familles).
Les équipes médico-sociales de chaque département ont la
responsabilité d’évaluer la perte d’autonomie de la personne et de définir
un plan d’aid
e associé dont le coût sera couvert, en partie, par
l’allocation
464
en se fondant sur des indicateurs de perte d’autonomie.
Les indicateurs de la perte d’autonomie, grille AGGIR et GIR
La grille AGGIR (autonomie gérontologie groupe iso ressources
465
)
sert à év
aluer le degré de perte d’autonomie d’une personne en vue de
l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie.
Le GIR (groupe iso-ressources) correspond au degré de perte
d’autonomie d’une personne âgé
e (six niveaux de GIR, de 1, perte
d’autonomie
la plus forte, à 6). Il
est calculé à partir de l’évaluation faite par
les équipes médico-sociales départementales,
à l’aide de la grille AGGIR.
462
Cour des comptes,
La CNSA : des missions mieux assurées, des progrès à
poursuivre
, rapport public annuel, février 2018.
463
Son montant varie de 3 792
à 8 533
€ en 2022 pour une moyenne de
4 985
€.
464
L’allocation
est attribuée selon des critères d’âge et de perte d’autonomie.
Son
montant dépend des ressources
de la personne en perte d’autonomie.
465
Les personnes appartenant au même groupe iso ressources disposent de capacités
fonctionnelles similaires pour accomplir les actes de la vie quotidienne.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
329
Les écarts ont deux origines principales. D’une part, la valeur du
point GIR n’est pas la même selon les départements et n’a pas suivi
l’inflation dans nombre d’entre eux. D’autre part, les conditions de
reconnaissance du GIR dont relèvent les personnes âgées qui sollicitent
l’allocation sont hétérogènes entre les départements, voire en leur sein.
Certains départements sont, en effet, davantage confrontés à la perte
d’autonomie ou font face à des contraintes budgétaires. Ils peuvent être
amenés à évaluer de manière restrictive le niveau des plans d’aide pour un
même état de dépendance (nombre d’heures d’aide à domici
le, présence ou
non d’aides techniques).
Carte n° 3 :
montant moyen d’allocation personnalisée d’autonomie
par bénéficiaire en 2022
Source
: Cour des comptes d’après données Drees –
L’aide sociale aux personnes âgées ou handicapées,
édition 2024
Des disparités de
montant par bénéficiaire s’observent également
pour la prestation de compensation du handicap.
4 -
Des difficultés croissantes pour les Ehpad
La
proportion
des
établissements
déficitaires,
tous
statuts
confondus, est passée de 26 % en 2020 à 59 % en 2023
466
. Ces déficits se
concentrent sur les sections budgétaires dépendance et hébergement des
466
Données transmises par la direction générale de la cohésion sociale.
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COUR DES COMPTES
330
établissements. La progression des
recettes n’
a pas suivi celle des dépenses,
amplifiée par le contexte inflationniste et des revalorisations salariales. La
chute des taux
d’occupation
, en partie liée aux attentes des usagers
467
, pèse
sur l’équilibre financier. En matière de ressources humaines, le secteur
connaît des difficultés de recrutement et des tensions organisationnelles :
les métiers du grand âge se caractérisent par une pénibilité importante, un
absentéisme élevé, un
turnover
massif et un recours accru à l’intérim.
C -
Un cadre actuel trop complexe
La complexité du financement des concours aux départements et
aux établissements et la faiblesse des leviers pour transformer
l’offre et
orienter les usagers sont aggravées par l’insuffisance des systèmes
d’information nécessaires pour le partage des données de tous les acteurs.
1 -
Des concours aux départements devenus illisibles
Les concours financiers de la CNSA aux départements sont passés
de trois à douze en quelques années. Outre la couverture des prestations, la
CNSA finance des actions nouvelles, votées en LFSS, visant à structur.er
une
offre d’accompagnement, notamment à domicile,
qui relève
essentiellement de l’action
des départements.
Chaque concours financier obéit à sa propre logique de répartition.
Devenus illisibles pour les départements, ils ne sont pas un levier
d’animation des politiques
territoriales pour la CNSA qui, par ailleurs,
n’obtient pas en contrepartie d
es données suffisamment pertinentes et
actualisées, pour objectiver les différences de traitement sur le territoire.
Une réforme des concours est intervenue en LFSS pour 2025 (cf.
infra
).
2 -
Un pilotage des Ehpad complexe et fragmenté
Le constat est ancien
: l’
autorisation, le financement et le contrôle
des Ehpad sont fragmentés entre plusieurs acteurs, entraînant un défaut de
coordination et un manque de visibilité pour les gestionnaires.
467
En 2023,
selon le baromètre d’opinion de la Drees, 69
% des personnes âgées de
plus de 65 ans
estiment qu’il n’est pas envisageable pour elles de vivre à l’avenir dans
un Ehpad contre 60 % en 2013.
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FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
331
La tarification des Ehpad, complexe et inefficiente
Le financement des Ehpad repose sur trois sections tarifaires relevant
de règles et de financeurs différents : (1) la section soins, à la charge de la
branche autonomie, (2) la section dépendance, financée majoritairement par
une prestation, l’allocation personnalisée d’autono
mie en établissement,
attribuée par les départements (avec un concours de la CNSA) complétée
par une participation des résidents, (3) la section hébergement, financée par
les résidents qui peuvent, s’ils y sont éligibles, percevoir l’aide sociale des
départements.
Au-delà des coûts de gestion, cette tarification conduit à des sous-
financements chroniques des dépenses relevant des sections hébergement et
dépendance par les départements.
Dès 2019, le rapport Libault
468
exposait trois scénarios
d’évolution
pour
unifier le pilotage auprès d’un seul financeur, ARS ou département
.
Depuis, plusieurs rapports ont pris position dont deux en 2024, parus à
quelques jours d’intervalle, proposant des solutions
opposées. Le
premier
469
préconise de confier la tutelle et la tarification aux seules ARS
«
car ces établissements ont vocation à être de plus en plus médicalisés
»,
le département se recentrant sur l’accompagnement à domicile. Le
second
470
propose à l’inverse d’unifier au niveau des départements la
responsabilité en matière de grand âge.
Concernant le financement des Ehpad, une simplification a été
prévue en LFSS pour 2024, comme préconisé par la Cour
471
, avec la fusion
des sections soins et dépendance pour les départements expérimentateurs.
Ces départements, dont le nombre a été porté à 23 en LFSS pour 2025,
doivent transférer au 1
er
juillet 2025 la prise en charge des dépenses de
dépendance à la branche autonomie en contrepartie d’un
e baisse des
concours qu’elle leur verse et d’une reprise de recettes fiscales
.
L’annexe
9
du PLFSS pour 2025 a précisé que le transfert
de charges n’est qu’en partie
couvert par le transfert de ressources. Le surcoût en année pleine pour la
sécurité sociale et le gain financier consécutif pour les départements sont
estimés à 234
M€
.
468
D. Libault, rapport de la concertation grand âge et autonomie, mars 2019.
469
É. Woerth,
Décentralisation : Le temps de la confiance
, mai 2024.
470
Boris Ravignon,
Coûts des normes et de l’enchevêtrement des compétences entre
l’État et les collectivités
: évaluation, constats et propositions
, mai 2024.
471
Cour des comptes,
La prise en charge médicale des personnes âgées en Ehpad
,
communication à la commission des affaires sociales du Sénat, février 2022.
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COUR DES COMPTES
332
De nouveaux
contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens
472
ont
été conclus
entre certains établissements et les ARS pour fixer des objectifs
de qualité et d’efficience, en contrepartie de perspectives pluriannuelles de
financement. Cette réforme a pu avoir un effet structurant dans le champ
du handicap, mais elle ne produit pas les effets escomptés dans le secteur
des Ehpad, dont les problématiques d’équilibre financier viennent
complexifier et ralentir la négociation de ces contrats. Ce contexte rend
plus difficile
l’élaboration d’une réflexion partagée par les ARS, les
départements et les gestionnaires sur le renouvellement du modèle
économique et qualitatif de l’Ehpad de demain.
L’adaptation de l’offre découle surtout des opportunités de
financements résultant des nombreux appels à projets et à manifestation
d’intérêt lancés par la branche
: en 2023, jusqu’à quatorze stratégies
nationales étaient déployées ou en cours de déploiement par les ARS.
Ces appels à projets se heurtent aux disparités des capacités des
act
eurs locaux à s’en saisir
et peuvent conduire à des biais de sélection
selon l’expertise des gestionnaires ou les ressources qu’ils peuvent y
consacrer. Certains départements ne répondent pas aux appels à projets
lancés par la CNSA ni ne les relaient, faute de ressources pour les instruire
ou de temps pour délibérer dans les délais, alors même qu
’ils peuvent
accuser un retard dans leur
taux d’équipement
473
. Dans ce contexte, les
ARS peinent à exécuter tous les crédits délégués (cf.
supra
).
3 -
Une orientation difficile des usagers
Malgré la création de portails d’information
474
, les usagers et leurs
aidants
doivent faire face à un nombre important d’interlocuteurs
(caisses
locales de sécurité sociale, maisons départementales des personnes
handicapées, services départementaux, établissements sanitaires et médico-
sociaux, etc.), travaillant de manière cloisonnée et occasionnant des
ruptures de prise en charge.
Ce constat a conduit la CNSA à engager en 2024 la préfiguration
d’un service public départemental de l’a
utonomie dans 18 départements.
472
Tous les ESMS avaient l’obligation d’avoir conclu
ces contrats avec les autorités
ayant délivré leur autorisation au 1
er
janvier 2017. Cette échéance a été reportée à fin
2022, puis fin 2024, puis fin 2026, aucune ARS
n’ayant pu atteindre l’objectif malgré
un rythme soutenu de négociation.
473
Les données transmises par la CNSA montrent notamment une moindre participation
des départements ultra-marins, pourtant affectés par un sous-équipement en ESMS.
474
www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/; www.monparcourshandicap.gouv.fr/
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
333
Issu du rapport Libault de 2022 et de la loi du 8 avril 2024
475
, ce service
public
a vocation à mieux articuler l’action de l’ensemble des opérateurs
dans chaque département, sans créer d’instance supplémentaire.
Dans le champ du handicap, le baromètre des maisons départementales
des personnes handicapées présente l’intérêt de fournir aux usagers et aux
opérateurs de la branche des indicateurs de qualité du service rendu, actualisés
trimestriellement (satisfaction des usagers, délai de traitement des demandes
etc.). Il révèle une forte hétérogénéité des délais de traitement des demandes
des bénéficiaires. Il n’a pas d’équivalent dans le domaine du grand âge.
4 -
Des systèmes d’information inaboutis
La CNSA recourt à un nombre importa
nt de systèmes d’information
pour recenser les besoins et l’offre
auprès de ses partenaires (ARS,
départements ou établissements) et
mesurer l’efficacité des actions menées.
La mise en cohérence de ces outils multiples est complexe. La CNSA est
dépendante de ses partenaires et ne dispose pas de moyens pour garantir
une saisie régulière et complète des outils utilisés.
En 2015, la loi a prévu d’harmoniser les systèmes d’information
476
pour
rapprocher les processus métier des maisons départementales des personnes
handicapées, faciliter la transmission d’informations à leurs partenaires et les
relations avec les usagers. Les éditeurs de logiciels, propres à chaque maison
départementale, devaient donc converger vers des spécifications arrêtées par
la CNSA. Dix ans plus tard, certaines fonctionnalités sont déployées mais elles
ne sont pas opérationnelles pour toutes les maisons départementales. Les mises
à jour techniques et réglementaires induisent une forte charge de travail tant
pour la CNSA que pour les équipes
départementales. Les gains d’efficacité
attendus pour les processus de travail n’ont donc pas été obtenus. Une
évolution vers un système d’information national semble indispensable, ce qui
suppose de doter la CNSA d’un mandat explicite en ce sens.
Compte tenu de ce précédent, le législateur a privilégié la voie
d’un
système d’information
unique de gestion pour la remontée et le traitement
des données départementales de
l’allocation personnalisée d’autonomie
(art. 49 de la LFSS pour 2022). Le projet initial, soumis à la direction
475
Dominique Libault,
Vers un service public territorial de l'autonomie
, mars 2022.
Loi
portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie.
476
Art L. 247-
2 du code de l’action sociale et des familles
: «
Les MDPH doivent utiliser
un système d'information commun, conçu et mis en œuvre par la
CNSA, interopérable
avec les systèmes d'information des départements, ceux de la Caisse nationale
d'allocations familiales et ceux de la CNSA, dans des conditions précisées par décret
».
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COUR DES COMPTES
334
interministérielle du numérique, avait suscité des réserves quant à sa
dépendance excessive à l’égard de
prestataires externes
(de l’ordre de
80 %). Alors que plus de 10
M€ avaient déjà été dépensés pour le
développement de cet outil, le projet, largement remanié, a reçu un avis
conforme de la direction interministérielle du numérique en février 2025.
Les difficultés de déploiement de ces deux projets illustrent la
complexité d’un pilotage de la branche par la donnée,
pourtant identifié
comme un objectif stratégique lors de sa création. Une consolidation
pertinente des outils informatiques reste à accomplir par la CNSA, avec la
validation de ses tutelles quant aux délais et moyens pour y parvenir.
L’
utilisation de ces outils devrait être opposable aux différents acteurs.
II -
Face aux enjeux du vieillissement,
des évolutions nécessaires
L
’allongement de la durée de vie et l’arrivée des générations du
baby-boom
aux âges où la perte d’autonomie devient plus fréquente
auront
pour effet une augmentation sensible dès 2030 du nombre de personnes
dépendantes. Toutefois, la dynamique des dépenses liées à la prise en
charge à domicile ou en établissement reste conditionnée à des hypothèses
rendant les trajectoires budgétaires incertaines. Dès à présent, il apparaît
nécessaire de clarifier les besoins et la gouvernance
, et d’améliorer le
fonctionnement
d’une branche encore en construction.
A -
Une hausse future des dépenses à mieux évaluer
L
a branche ne dispose pas d’une projection des besoins
, qui
devraient fortement augmenter avec le vieillissement de la population, et
de leur financement au-delà de 2030. La trajectoire définie par le
Gouvernement jusqu’en 2028 repose sur une hypothèse
forte de virage
domiciliaire qui devra être confirmée.
1 -
Une forte augmentation de la population exposée
au risque de perte d’autonomie
La tranche des personnes âgées de 75 à
85 ans s’
est accrue de
2 millions entre 2020 et 2025 pour atteindre 6,1 millions de personnes.
Celles encore vivantes entre 2030 et 2040 auront alors entre 85 et 95 ans et
seront, pour leur plus grande part, en perte d’autonomie.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
335
Graphique n° 32 :
population des 65 ans et plus en France
Source : Insee, estimations de population et scénario central des projections 2021-2070
E
n 2023, plus d’un tiers des
personnes de plus de 85 ans était
bénéficiaire de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)
477
et 21 %
hébergées en Ehpad. L
’âge moyen d’entrée en établissement se situe à
85,4 ans.
Le niveau de dépendance des résidents en Ehpad s’accroît depuis
2011. En 2022, 54 % des résidents étaient très dépendants (GIR 1 et 2)
478
.
La prévention, l’allongement de la durée de
vie en bonne santé et les
progrès de la prise en charge des maladies neurodégénératives peuvent
faire diminuer la prévalence de la perte d’autonomie
, mais ne remettent pas
en cause la progression tendancielle des dépenses de prise en charge dans
les vingt à trente prochaines années.
477
Drees,
L’aide sociale aux personnes âgées ou handicapées,
novembre 2024.
478
Cour des comptes,
La prise en charge des personnes âgées en Ehpad,
février 2022.
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COUR DES COMPTES
336
P
erte d’autonomie
: des projections allant du simple au double
On estime entre 1,5 et 3 millions les
personnes en perte d’autonomie
à horizon 2030
selon la méthode d’estimation utilisée.
La première méthode retient une définition administrative de la
dépendance en estimant le nombre de personnes dépendantes à partir du
nombre de bénéficiaires de
l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)
:
1,55 million à horizon 2030 (+210 000 par rapport à 2023) et 1,8 million en
2040
479
. Cet indicateur, retenu pour la construction de la trajectoire
budgétaire de la branche, présente des inconvénients : il ne tient pas compte
du non recours
à l’APA, ni des pertes d’autonomie surven
ues avant 60 ans
(
l’APA n’étant pas servie av
ant
cet âge). Il n’intègre pas
les défauts de la
grille AGGIR ni
la faible fréquence de révision des plans d’aides à domicile
et des niveaux de dépendance en Ehpad
480
.
La seconde méthode
s’appuie sur des données déclaratives de
limitation d’autonomie issues d’enquêtes de la D
rees
481
. Elle conduit à un
effectif
de l’ordre du double
: 3 millions de personnes en 2030, 3,5 millions
en 2040.
2 -
Une accélération à terme du coût de la dépendance
L’effet démographique le plus important débutera à partir de 2030,
quand la génération née en 1945 atteindra 85 ans. Alors que cette inflexion
est identifiée depuis de nombreuses années, la branche ne dispose pas
d’outils de projection et d’analyse approfondies des besoins de
financement à long terme.
De 2014 à 2023, l
’effort national de soutien à l’autonomie
à
destination des personnes âgées en perte d’autonomie
est passé de 1 % du
PIB à 1,24 % pour atteindre 29,5
Md€
. Les projections sont morcelées et
peu actualisées. Les derniers résultats, en 2019
482
, indiquaient que le coût
de la dépendance passerait à 1,4 % du PIB en 2030, puis à 2,1 % en 2060.
479
Projections du modèle lieux de vie et autonomie (Livia) de la Drees, actualisé en 2024,
reposant sur une hypothèse intermédiaire d’évolution de la dépendance qui partage le gain
d’espérance de vie entre autonomie et état de dépendance en deux parts égales
.
480
Le soutien à l’au
tonomie des personnes âgées à horizon 2030
, Haut Conseil de la
famille, de l’enfance et de l’âge, 2018.
481
Vie Quotidienne et Santé
2014 et
Care-Ménages
2015.
482
« Personnes âgées dépendantes : les dépenses de prise en charge pourraient doubler
en part de
PIB d’ici à 2060
», Romain Roussel,
Études et Résultats
de la Drees n°1032,
octobre 2017. Projection actualisée dans le rapport Libault précité (2019).
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
337
a)
D’ici 2030, des dépenses en hausse non financées et une volonté
de développer la prise en charge à domicile
Le Gouvernement
estime qu’
un fort virage domiciliaire permettra
de répondre à l’essentiel de la progression des besoins
à horizon 2030.
Un virage domiciliaire ambitieux à horizon 2030
Le virage domiciliaire est un objectif réaffirmé depuis plusieurs
années, au cœur de la création de la cinquième branche,
consistant à favoriser
le plus longtemps possible le maintien des personnes âgées dépendantes à
leur domicile ou dans un logement intermédiaire, plutôt qu’en Ehpad.
Le Gouvernement retient l’hypothèse d’un recul de l
a prise en charge
en établissement d’ici
à 2030, passant de 41 % à 37 %. Pour atteindre cet
objectif, 85 % des nouveaux bénéficiaires de
l’allocation personnalisée
d’autonomie
d’ici à 2030
devraient être accompagnés à domicile. Une telle
évolution suppose un renforcement et une structuration du secteur de
l’accompagnement à domicile et des solutions d’habitat alternatifs
d’ici à
2030. Elle pourrait se heurter toutefois au manque de professionnels dans le
secteur d
e l’aide à
domicile au niveau national et à la baisse prévisible du
nombre d’aidants
familiaux
483
.
La dernière trajectoire budgétaire publiée de la branche autonomie
2025-2028 intègre la création de 35 000 places en Ehpad à horizon 2030.
26 000 seraient obtenues en redéployant, selon des modalités non
précisées, des places actuellement occupées par des résidents en perte
d’autonomie légère (GIR 5 et 6)
484
au profit de résidents relevant de GIR 1
à 4.
Il n’y aurait que
9 000 créations réelles, soit moins de deux places par
Ehpad existant. De tels redéploiements ou créations de places n’auraient
pas d’impact
sur les fortes disparités départementales observées.
L’hypothèse de virage domiciliaire retenue suppose, en outre, de
renforcer fortement les capacités et la structuration du secteur de l’aide et
du soin à domicile.
S’agissant du soin, 25
000 places (et autant
d’équivalents temps plein
-ETP) seraient créées dans les services de soins
infirmiers à domicile d’ici à 2030. L’objectif pour chaque place créée est
d’accompagner jusqu’à sept personnes en perte d’autonomie à domicile
.
483
Ce
nombre devrait diminuer avec la baisse de la fécondité, l’augmentation des
divorces, l’éloignement
des aidants potentiels, etc. (Cf. Institut des politiques publiques,
Vieillir à domicile : disparités territoriales, enjeux et perspectives
, mars 2023).
484
Les personnes relevant des GIR 5 et 6, dont la perte d’autonomie est modérée, ne
perçoivent pas l’allocation personnalisée d’autonomie.
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COUR DES COMPTES
338
Selon la direction de la sécurité sociale, ces mesures coûteraient
1,2
Md€ d’ici 2030, auquel s’ajouteraient 2,7
Md€ pour la création de
50 000 postes de personnel en Ehpad. La branche autonomie ne dispose
pas des marges pour financer ces développements, son déficit prévisionnel
passant de 0,7 Md
en 2025 à 2,8 Md
en 2028 selon la LFSS pour 2025.
La mise en œuvre d
u
virage domiciliaire devra faire l’objet d’un
suivi au cours des prochaines années pour éviter que les places en Ehpad
ne deviennent insuffisan
tes à partir de 2030. L’accompagnement en
établissement s’impose souvent comme le continuum d’une perte
d’autonomie qui ne peut plus être prise en charge à domicile en raison de
son coût et du reste à charge pour la personne dépendante.
b)
À partir de 2030, des enjeux sociaux et financiers croissants
Malgré les enjeux démographiques affectant la branche à compter
de 2030, il n’existe pas de projections structurées des besoins
d’accompagnement et de financements sur la décennie 2030 –
2040. Or,
deux postes augmenteraient sensiblement sur la période, les dépenses de
prestations d’allocation personnalisée d’autonomie et le coût de la prise en
charge en établissement.
Un doublement des dépenses
d’
allocation personnalisée
d’autonomie
d’ici 2040
À horizon 2040, le nombre de bénéficiaires de
l’
allocation
personnalisée d’autonomie
devrait augmenter de 34 % par rapport à 2023
(+ 460 000). La dépense, de 6,8
Md€ en 2023, progresserait de 80
% à
100 %
485
. Cette estimation ret
ient l’hypothèse la plus optimiste d’un fort
virage domiciliaire,
dans lequel l’accroissement du nombre de personnes
âgées dépendantes concernerait exclusivement le domicile et les habitats
alternatifs, le nombre d’entrées en Ehpad restant stable
.
485
Perte d’autonomie des personnes âgées : quels besoins et quels coûts pour
accompagner le virage domiciliaire ?
Institut des politiques publiques, Pauline
Mendras, novembre 2023. Une étude Insee de septembre 2013 confirme ces ordres de
grandeur (
L’allocation personnalisée d’autonomie à horizon 2040
, Analyses n° 11).
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
339
À domicile, l’allocation personnalisée d’autonomie est u
tilisée à
90 % pour financer des services humains. Son augmentation tiendrait
essentiellement à la hausse du nombre de professionnels du domicile et de
leurs salaires. La probable baisse du nombre d’aidants familiaux pourrait
conduire les allocataires à re
courir à de l’aide professionnelle et à
pleinement utiliser les
plans d’aide qui leur sont notifiés
486
.
Dans le cadre actuel de
l’organisation actuelle du financement de la
prise en charge des personnes âgées, la hausse du coût de cette allocation
pèserait essentiellement sur le budget des départements.
S’agissant des dépenses en établissements, l
a nature même de
l’accompagnement en
Ehpad évoluera et se concentrera sur les cas de
dépendance les plus lourds
et sur les personnes atteintes de troubles
cognitifs. Déjà observée, cette tendance
devrait s’accentuer,
nécessitant des
taux d’encadrement plus élevés et des dépenses majorées liées aux forfaits
soins et dépendance des résidents.
Même en considérant que les Ehpad accueilleraient en 2040 le même
n
ombre de résidents qu’en 2020, ce qui supposerait une nouvelle
accentuation du virage domiciliaire au-delà de 2030, le seul effet de
l’augmentation du taux de dépendance des personnes accueillies
nécessiterait une hausse d’effectifs de 61
000 ETP (+ 14 % pour un coût
estimé de 3,3 Md€ sans tenir compte d’éventuelles revalorisations salariales),
alors même que la faible attractivité du secteur est étayée par de nombreux
rapports
487
. Cette spécialisation dans l’accueil de la grande dépendance
conduira les établissements à se médicaliser davantage, impliquant, au-delà
de la réalisation d’investissements, un changement de modèle
488
.
En retenant l’hypothèse d’un taux d’entrée en Ehpad se maintenant
à 37 % entre 2030 et 2040, la Cour estime à 90 000 le nombre de places
dans les établissements dont la création est nécessaire. Compte tenu de ces
enjeux, notamment financiers, une projection par le Gouvernement des
besoins au-delà de 2030 est nécessaire.
486
Aujourd’hui, 15
% des plans d’aides notifiés par les départements dans le cadre de
l’APA sont, selon la Drees, sous
-exécutés par les bénéficiaires (volonté de limiter son
reste à charge, présence d’aide familiale, pénurie de professionnels etc.).
487
Rapports Libault,
op. cit
. (2019), El Khomri,
Plan de mobilisation nationale en faveur de
l’attractivité des métiers du grand âge
, 2019, Bonnell et Ruffin,
Les métiers du lien
, 2020.
488
Cour des comptes, février 2022,
op. cit.
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COUR DES COMPTES
340
3 -
Une sous-estimation des besoins à la croisée des champs
du grand âge et du handicap
Le déploiement des actions de la branche demeure cloisonné. La
perméabilité entre les deux champs des personnes âgées et handicapées est
faiblement prise en compte dans les indicateurs statistiques
489
et dans les
outils de projection utilisés pour répondre aux besoins en établissements et
services médico-sociaux.
À
titre d’exemple, la fréquence de
s maladies neurodégénératives
augmente
avec l’âge
490
. Les personnes qui en sont atteintes sont très
majoritairement hébergées en établissement
491
. Leur prise en charge est un
défi pour la branche, au regard de son orientation domiciliaire. Plus
largement, l
’amélioration
nette
de l’espérance de vie des personnes en
situation de handicap, conjuguée aux progrès en matière de repérage et de
diagnostic,
appelle une transformation de l’offre afin de prendre en charge
dans de meilleures conditions les personnes handicapées vieillissantes.
Comme l’a souligné la Cour
492
, l
’augmentation du nombre de
personnes en situation de handicap âgées de plus de 50 ans est un
phénomène d’ampleur
: le nombre de bénéficiaires de
l’allocation aux
adultes handicapés de plus de 50 ans a augmenté de 55 % entre 2011 et
2019. La Cour a évalué à 1,2
Md€
le coût annuel
de l’ouverture d
e
120 000 places à domicile, nécessaire pour couvrir les besoins et limiter les
fréquentes
ruptures
d’accompagnement
subies
par
les
personnes
handicapées
vieillissantes.
Pour
autant,
pour
10 000
entrées
en
établissement évitées, l’économie s’élèverait à 40
0
M€ par an.
489
Selon les données de l’
Institut de recherche et de documentation en économie de la
santé, la France compte 9,7 millions de personnes atteintes de limitations motrices et
3,5 millions de troubles psychiques, intellectuels ou cognitifs. I
l n’est pas possible de
distinguer dans les statistiques les personnes en situation de handicap vieillissantes
parmi celles qui ont plus de 60 ans.
490
P
lus d’un million
de personnes sont
touchées par la maladie d’Alzheimer et autres
démences, 175 000 sont traitées pour la maladie de Parkinson, 2 300 nouveaux cas sont
déclarés par an de maladies du motoneurone, dont la principale cause est la sclérose
latérale amyotrophique selon Santé Publique France.
491
La Drees estimait en 2016, qu’un tiers des personnes
de 75 ans ou plus hébergées en
établissement
souffrait de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie assimilée, contre
4 % des personnes du même âge vivant à domicile.
492
Cour des comptes,
L’accompagnement des personnes en situation de handicap
vieillissantes
, septembre 2023.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
341
L’
imbrication des problématiques
d’âge et de besoins des
personnes
en situation de handicap devra être mieux appréhendée par la branche. Or,
la Drees ne dispose pas d’un outil de modélisation dans le domaine du
handicap équivalent à
Livia
pour le grand âge.
B -
Des transformations de la branche à mener
Pour affronter l’enjeu démographique, les préalables sont la
définition précise des besoins et de leur évolution et la validation d’une
trajectoire de financement. Dès à présent, la CNSA doit remplir pleinement
ses missions. Un objectif plus ambitieux devrait être de tirer toutes les
conséquences de la création de la branche en clarifiant les responsabilités
respectives des départements, des ARS et de la CNSA.
1 -
Une analyse approfondie des besoins et des conditions
de leur financement à compter de 2030
La CNSA doit
s’atteler en priorité à la fiabilisation des données
qu’elle collecte et à leur exploitation pour évaluer l’efficience des
financements déjà accordés. Ce préalable est nécessaire pour permettre la
production d’
une analyse plus poussée et prospective des besoins, de leur
temporalité, des effets induits par les choix d’organisation ou de tarification
envisagés, et de l’investissement à consentir dans la prévention et le
repérage précoce des fragilités. Cette analyse devra reposer sur des
hypothèses de répartition entre accueil en établissement et maintien à
domicile, inclure des solutions intermédiaires (résidences autonomie) et
viser à réduire les disparités territoriales. Elle devra s’accompagner d’une
définition des besoins en formation, en prenant en compte la situation du
marché du travail et les pénuries de personnel de certains territoires ou
certaines spécialités. Ce préalable, permettant de déduire la trajectoire des
ressources de la branche, serait à finaliser pour la prochaine convention
d’objectifs et de gestion en 2027, ou
en
2028 pour s’aligner sur le calendrier
des autres caisses nationales du régime général.
En 2000, cinq ans avant que la première génération du
baby-boom
n'atte
igne l’âge de la retraite, a été créé le conseil d’orientation des retraites,
pour guider les pouvoirs publics dans les mesures à prendre pour les
régimes de retraite. En 2025, cinq ans avant que cette même génération
n’entre dans le grand âge, un besoin similaire existe pour l’autonomie. Une
instance d’expertise autonome devrait être chargée d’établir une trajectoire
des besoins et de leur financement
, dans le cadre d’une loi de
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342
programmation, prévue par la loi d’avril 2024
. Les missions et les moyens
du c
onseil de l’âge
493
pourrait être renforcés dans cet objectif.
2 -
Au minimum, mieux assurer les missions de la CNSA
La principale intervention
de la CNSA est l’
attribution de
financements aux acteurs, départements ou établissements. En tant que
gestionnaire du risque autonomie, la CNSA doit mieux contrôler la qualité
et
l’
effectivité de ses dépenses et recueillir des données plus nombreuses et
plus fiables pour mieux piloter.
a)
Une gestion du risque à renforcer, des missions à prioriser
Le contrôle interne
participe à la qualité de service et à l’équité du
traitement dû aux usagers. Lorsqu’elle vérifie que les allocations et
financements sont attribués conformément à la réglementation, la CNSA
devrait intégrer les risques des activités et décisions prises par des parties
prenantes nombreuses et hétérogènes. Toutefois, la Cour a émis d’importantes
réserves sur la faiblesse du contrôle interne territorial au sein de la CNSA :
l’effectif
consacré à ce contrôle interne (quatre personnes prévues, deux postes
pourv
us en 2024) ne permet pas d’assurer un pilotage du risque auprès de tous
les acteurs, ni d’assurer la mission d’accompagnement, de conseil et d’audit au
bénéfice des départements et des maisons départementales des personnes
handicapées que lui a confiée le législateur en 2024.
Une revue des missions au sein de la CNSA pourrait permettre de
réallouer des personnels sur ses missions prioritaires et, dans certains
domaines, de privilégier une action en subsidiarité et en partenariat avec
les autres acteurs du
champ de l’autonomie, notamment les
caisses
d'assurance retraite et de la santé au travail, impliquées dans des actions de
prévention auprès des publics en GIR 5 et 6. Le nombre d’appels à projets
et à manifestation d’intérêt pilotés au niveau national pou
rrait être réduit.
L’animation par la CNSA du réseau des ARS et conseils
départementaux, depuis fin 2022, s’appuyant sur un nouveau cadre de
coopération visant à la conclusion de conventions tripartites, est réelle mais
493
Il est actuellement
l’un des trois conseils spécialisés du Haut Conseil de la famille, de
l’enfance et de l’âge, placé auprès du Premier ministre et qui a pour missions «
d’animer
le débat public et d’apporter aux pouvoirs publics une expertise prospective et
transversale sur
les questions liées (…) à l’avancée en âge, à l’adaptation de la société
au vieillissement et à la bientraitance, dans une approche intergénérationnelle
»
(art. L. 142-
1 du code de l’action sociale et des familles).
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
343
peu évaluée et entraîne d’importants
coûts de coordination et de suivi. Le
cadre conventionnel avec les branches vieillesse, maladie et famille devrait
être renforcé afin de progresser dans la gestion du risque, le contrôle interne,
la lutte contre la fraude et la qualité comptable, au niveau national et local.
b)
Un pilotage par la donnée qui doit évoluer,
d’une logique d’offre
à une logique de couverture des besoins
L’absence de réseau et d’un système d’information associé rendent
la CNSA dépendante d’une collecte de données effectuée par ses
partenaires
via
de nombreuses applications spécifiques. Utiles pour
recenser l’état de l’offre à l’échelle départementale, ces opérations
fragmentées impliquent des efforts importants de mise en cohérence de la
part de la CNSA. Les données collectées sont
axées sur l’offre et demeurent
partielles. Les ARS, par exemple, ne fournissent des informations que sur
les structures qu’elles cofinancent
494
, excluant le secteur non médicalisé de
l’aide à domicile, pourtant essentiel dans le cadre du virage domiciliaire.
Cette connaissance de l’offre repose trop peu sur les données et les besoins
des usagers, faute d’outils pour effectuer de tels rapprochements.
La branche doit structurer un cadre de gouvernance des données des
systèmes d’information et dresser
l’
état des lieux des indicateurs
disponibles et nécessaires pour piloter la couverture efficiente des besoins
par l’offre. Elle doit identifier les systèmes d’information à mobiliser afin
d’élaborer
une stratégie
et une politique d’architecture et d’urbanisation
495
,
indispensables au pilotage des politiques qui lui sont confiées.
Le recrutement en mars 2024 d’un responsable des données, le
projet de déploiement d’un portail en
open data
, la définition d’une
doctrine de partage des données vont dans le sens des engagements de la
CNSA dans le cadre de son actuelle convention d’objectifs et de gestion.
c)
Des concours qui doivent devenir plus exigeants
Les concours financiers aux départements ont été regroupés et
simplifiés par la LFSS pour 2025
496
pour un surcoût par rapport à
l’ancien
calcul estimé à 200
M€, en attendant une réforme d’ensemble envisagée
pour 2026.
494
Les établissements médico-sociaux, les soins infirmiers à domicile.
495
L’urbanisation est une discipline d’ingénierie informatique visant à rendre le
système d’information plus lisible, rationnel et efficace.
496
Il a été mis fin au plafonnement des concours de la CNSA en pourcentage de ses
recettes. Le montant des concours 2025 est défini sur la base du taux de couverture des
dépenses départementales constaté en 2024.
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344
Le gain de visibilité qui en résulte pour les départements devrait
avoir pour contrepartie l’engagement de communiquer à la CNSA en temps
utile des données relatives aux titulaires de prestations, sans lesquelles elle
ne peut identifier les disparités de traitement sur le territoire. Faute de
respect de cet engagement, le taux de participation de la CNSA aux
dépenses nouvelles devrait être minoré.
3 -
Une stratégie ambitieuse
: tirer parti de l’intégration
de l’autonomie dans le champ de la sécurité sociale
En créant la branche, le législateur a souhaité inscrire le risque de
perte d’autonomie dans le champ de la sécurité sociale. Pour en tirer
les
conséquences dans
le secteur du grand âge, il serait justifié d’affirmer le
rôle des ARS dans le pilotage des Ehpad et de redéfinir l’allocation
personnalisée d’autonomie à domicile.
La création d’
un réseau de caisses locales rattachées à la CNSA
ajouterait de la complexité et des coûts pour un bénéfice non démontré mais
la CNSA pourrait davantage s’appuyer sur les réseaux existants, en
particulier sur les ARS. Celles-ci voient déjà leur rôle réaffirmé vis-à-vis
des gestionnaires d’Ehpad en devenant dès 2025, dans près d’un
quart des
départements, l’interlocuteur unique pour le financement des budgets soins
et dépendance de leurs établissements (cf.
supra
). Dans la crise financière
actuelle des Ehpad, elles contribuent à sélectionner les opérateurs qui
appellent un soutien et
accompagnent leur retour à l’équilibre par des aides
financées par la branche.
Dans la logique du principe du « financeur-décideur », le rôle de la
branche pourrait être renforcé. Elle pourrait davantage s’appuyer sur les
ARS, qui deviendraient des agence
s régionales de la santé et de l’autonomie
(ARSA), pour réguler des établissements amenés à se médicaliser dans une
logique d’efficience et de consolidation de l’offre.
L’implication des
départements resterait indispensable : ils demeureraient des interlocuteurs
essentiels en tant que financeurs de l’aide sociale à l’hébergement des
résidents en établissement et les garants,
via
les outils de planification
existants
497
,
d’un maillage territorial de l’offre médico
-sociale incluant les
services d’aide à domicil
e.
Avec le virage domiciliaire et l'augmentation du nombre de personnes
dépendantes, le recours à l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile
497
Comme les schémas départementaux d’organisation sociale et médico
-sociaux
prévus au L. 312-
5 du code de l’action sociale et d
es familles ou dans le nouveau cadre
de coopération mis en place par la CNSA.
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UNE BRANCHE AUTONOMIE AUX LEVIERS INSUFFISANTS POUR FAIRE
FACE À DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES CRUCIAUX
345
est, par ailleurs, appelé à croître de manière significative. La branche devrait
accompagner cette évolution
, tout en affirmant l’intégration de cette allocation
dans le champ de la sécurité sociale. Pour cela, il serait envisageable de
distinguer, au sein des prestations actuellement couvertes (heures d’aide etc.),
celles qui pourraient constituer un panier-socle financé par la CNSA dans le
cadre de la solidarité nationale. Ce socle deviendrait une prestation de sécurité
sociale répondant à un barème national établi en fonction du degré de perte
d’autonomie, dont les tarifs seraient encadrés.
Cette évolution serait cohérente
avec les modalités actuelles d’octroi des aides apportées aux personnes non
éligibles à l’allocation personnalisée d’autonomie par les services d’action
sociale des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail
498
, qui sont
également individualisées avec un barème national.
Le principe de l’attribution de l’aide et la détermination du niveau
de dépendance des personnes resteraient de la compétence des équipes
médico-sociales départementales.
Le financement de ce panier-socle de prestations à définir pourrait être
assuré par
l’actuel concours financier de la CNSA aux départements. Au
-delà
de ces prestations financées par la CNSA, il demeurerait un reste à charge
pour les personnes, que les départements pourraient atténuer dans une logique
d’aide sociale ou en choisissant de solvabiliser un panier de prestations
supérieur, en vertu du principe constitutionnel de libre administration. Les
départements ne dépendraient plus d’un concours financier de la branche et
conserveraient la maîtrise de
leurs politiques d’aide sociale en fonction de
leurs priorités et de leurs contraintes budgétaires. Leur compétence sur
l’organisation des services d’aide à domicile ne serait pas modifiée.
Une telle évolution permettrait de clarifier le rôle de chaque acteur
en assurant une plus grande équité territoriale de traitement, comme prévu
par la loi.
498
L’aide sociale de la branche vieillesse intervient déjà auprès de personnes âgées
fragiles mais non éligibles à l’allocation personnalisée d’autonomie (degrés de perte
d’autono
mie correspondant aux GIR 5 et 6).
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346
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La création de la cinquième branche de la sécurité sociale,
consacrée à l’autonomie
, est une réforme majeure mais inaboutie.
L’inté
gration de la prise en charge des personnes âgées et handicapées à
la sécurité sociale a enrichi l’information du Parlement et du public mais
le premier bilan est peu satisfaisant pour l’usager, malgré la progression
des ressources et des dépenses. Le cont
rôle de l’efficience de ces dernières
reste insuffisant. L’objectif de réduction des inégalités territoriales n’a pas
été atteint. Le cadre institutionnel reposant sur de multiples acteurs, dont
les départements, n’a pas évolué. Les systèmes d’information
ne permettent
pas un pilotage effectif de la branche par la CNSA.
Or, face à une évolution démographique certaine, la branche ne
dispose pas de projections fiables des besoins et de leur financement au-
delà de 2030. Les hypothèses actuelles de trajectoire financière reposent
sur une hypothèse ambitieuse de prise en charge majoritairement à
domicile, qui devra être confirmée. Le délai jusqu’à la prochaine
convention d’objectifs et de gestion de la CNSA, à partir de 2027 ou de
2028, doit permettre d’élaborer une stratégie, d’identifier les besoins, de
disposer des moyens de pilotage nécessaires et de clarifier les
responsabilités des multiples intervenants.
La Cour formule ainsi les recommandations suivantes au ministère
du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la Caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie
:
31.
à partir de projections démographiques et de scénarios de prise en
charge associant les départements, préciser les besoins liés au grand
âge après 2030 ; en déduire une trajectoire de financement ;
32.
élaborer un cadre de gouvernance informatique de la branche
(cartographie, stratégie de collecte, etc.) garantissant une remontée
des données et leur partage entre les opérateurs concernés dans le
cadre de la future
convention d’objectifs
et de gestion ;
33.
renforcer le rôle des agences régionales de santé dans la régulation
des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes
et l’attribution de
leurs financements complémentaires (crédits
disponibles en fin d’exercice et
fonds de soutien) ;
34.
af
fecter au financement d’un panier
-
socle de prestations d’aide à
l’autonomie à domicile, à définir
, le montant actuel des concours
versés par la
Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
aux
départements pour l’
allocation personnalisée
d’autonomie
.
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