Sort by *
Chapitre VI
La gestion du stock stratégique
de masques : des progrès encore
insuffisants depuis la crise sanitaire
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
La crise covid a confirmé la nécessité de disposer d’un stock
stratégique national de masques de protection et de préparer les conditions
de sa distribution en cas de nouvelle pandémie.
Le stock stratégique de masques de protection est détenu par Santé
publique France (SPF
) pour le compte de l’État,
sous la tutelle de la
direction générale de la santé (DGS)
. Acheté pour l’essentiel pendant
l’épidémie de covid 19 dans des conditions d’urgence sanitaire,
il est
aujourd’hui
hétéroclite et vieillissant. Son implantation a été réorganisée
et son renouvellement récemment engagé par des marchés qui peuvent
permettre de le porter jusqu’à près de quatre milliards d’unités.
Toutefois, la DGS
n’a qu’incomplètement
formalisé une doctrine de
gestion de ce stock. Un niveau-cible de 2 milliards de masques a été
récemment déterminé et des publics-cibles désignés mais les conditions
juridiques et opérationnelles de sa rotation
à l’approche de la date de
péremption des produits
ou de sa destruction n’ont pas été définies. Santé
publique France n’a pas préparé les modalités opérationnelles d’une
possible augmentation du stock au-delà de son niveau actuel, ni adapté son
organisation et ses systèmes informatiques pour le distribuer à d’autres
destinataires que les gros hôpitaux publics et les grossistes-répartiteurs
qui desservent les pharmacies.
Il est nécessaire de définir les orientations stratégiques et d’adapter
les outils opérationnels pour garantir la pérennité du stock et la
disponibilité des masques dans les années à venir, d’autant que le coût est
élevé pour les finances publiques.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
207
Chiffres-clés
Selon l’état de l’inventaire de Santé publique France (SPF) de janvier
2024, le stock stratégique inclut 2,1 milliards de masques, dont 1,35 milliard
de masques chirurgicaux, 680 millions de masques FFP2
281
, 67 millions de
masques pédiatriques et 100 000 masques FFP3
282
. Parmi eux, 706 millions
sont périmés.
La totalité des masques acquis pendant la crise sanitaire sera périmée
en 2026.
Des marchés de renouvellement ont été passés en 2023 (achat de
200 millions de masques) et 2024 (achat de 913 millions de masques dans
une première tranche, jusqu’à près de 4
milliards à terme).
I -
Un stock réorganisé et en cours
de renouvellement à des conditions favorables
Deux ans après la fin de la pandémie de covid 19
283
, la France
dispose d’un stock de masques important et hétéroclite dont la localisation
géographique a été repensée pour plus de réactivité en cas de nouvelle crise
sanitaire. Ce stock vieillissant est en cours de renouvellement à des
conditions économiques favorables.
A -
Un stock important et hétéroclite
dont l’implantation a été réorganisée
Santé publique France (SPF) a constitué, sur les instructions de la
direction générale de la santé (DGS), un stock important, acquis pendant la
crise sanitaire, avec des masques de nature et de qualité différentes. Pour
améliorer leur distribution en cas de nouvelle crise sanitaire, leur
implantation sur le territoire national a été réorganisée.
281
Les masques FFP2 (pièces faciales filtrantes de type 2) sont des masques en « bec de
canard » utilisés principalement dans les environnements stériles des hôpitaux et des cliniques.
Leur capacité de filtration est très supérieure à celle des masques chirurgicaux simples.
282
Les masques FFP3 ont une capacité filtrante encore plus importante que celle des
FFP2. Ils sont utiles pour des agents pathogènes particulièrement infectieux.
283
Déclaration de l’O
MS du 6 mai 2023.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
208
1 -
Un stock important et hétéroclite, constitué
pendant la crise sanitaire
Selon l’état
de l’inventaire de janvier 2024, le stock stratégique
s’établit à 1,35
milliard de masques mobilisables, conformes aux normes
européennes et n’ayant pas atteint leur date de péremption, dont 1
milliard
de masques chirurgicaux, 346 millions de masques FFP2, 4,4 millions de
masques pédiatriques et 100 000 masques FFP3.
Le nombre de masques mobilisables détenus est donc supérieur à
l’objectif assigné par la tutelle à Santé publique France pendant la crise
sanitaire : dans une lettre du 8 juillet 2020, le directeur général de la santé
lui avait demandé de constituer un stock d’un milliard de masques, dont
deux cents millions de FFP2, correspondant à ce qui était estimé être les
besoins de dix semaines de consommation de crise.
Une mission prévue par le code de la santé publique
L
’alinéa 5 de l’article L. 1413
-1 du code de la santé publique inclut
dans les missions de Santé publique France «
la préparation et la réponse
aux menaces, alertes et crises sanitaires
». En conséquence,
l’établissement
«
assure, pour le compte de l'État, la gestion administrative, financière et
logistique de la réserve sanitaire et de stocks de produits, équipements et
matériels ainsi que de services nécessaires à la protection des populations
face aux menaces sanitaires graves
».
Cette
mission est exercée sous l’autorité directe de l’État selon
l’article L.
1413-4 du même code : «
à la demande du ministre chargé de la
santé, l'agence procède à l'acquisition, la fabrication, l'importation, le
stockage, le transport, la distribution et l'exportation des produits et
services nécessaires à la protection de la population face aux menaces
sanitaires graves. Elle assure, dans les mêmes conditions, leur
renouvellement et leur éventuelle destruction. »
Santé publique France stocke également en janvier 2024
42,5 millions de masques à usage non-sanitaire
284
ou non-conformes
285
et
706 millions de masques périmés (antérieurement mobilisables, à usage
non-sanitaire ou non-conformes).
284
Masques qui ne répondent pas aux normes européennes mais à des normes
américaines ou chinoises.
285
Masques importés de Chine au début de la crise sanitaire et déclarés impropres à
toute utilisation après avoir été testés à leur réception en France.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
209
Tableau n° 23 :
nombre de masques stockés en janvier 2024
(en millions)
Masques
Stock
cible
Stock
mobilisable
Stock non
mobilisable
Chirurgicaux
800
1 000,9
349,1
FFP2
200
346,1
338,3
FFP3
0,1
0,0
Chirurgicaux pédiatriques
4,4
61,5
Total
1 000
1 351,5
748,9
Source : Santé publique France
2 -
Une réorganisation géographique et logistique
Jusqu’en 2020, la gestion des stocks stratégiques reposait sur une
circulaire du 21 août 2013. Le dispositif s’articulait autour d’une plateforme
nationale de 37 000 mètres carrés, répondant à toutes les normes
pharmaceutiques et située en région Grand Est, et sept plateformes zonales
couvrant les zones de sécurité et de défense, en métropole et outre-mer.
L’expérience
de
la
crise
sanitaire
a
entraîné
d’importants
réaménagements. La plateforme nationale reste gérée par Santé publique
France, les plateformes zonales sont sous-traitées à des prestataires
logistiques avec des surfaces réservées dans des bâtiments plus vastes pour
gagner en souplesse et en réactivité, en cas de crise pandémique. Sept unités
supplémentaires ont été créées sur cinq zones et leur implantation a été
étudiée pour assurer une distribution rapide à tous les points du territoire.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
210
Carte n° 2 :
zonage de distribution des plateformes de SPF en 2024
Note : la carte superpose les périmètres des plateformes correspondant aux zones de défense et les
cinq zones géographiques consacrées spécifiquement aux masques et autres équipements de
protection individuelle (EPI), mises en place dans le cadre de l’acquisition massive d’EPI pendant et
après l’épidémie
; les couleurs correspondent aux sept zones de défense et les « traits gras » aux
périmètres de distribution des sept autres plateformes.
Source : Santé publique France
Dans les départements et régions d’outre
-mer, des sites de pré-
positionnement de proximité ont été constitués. Les
collectivités d’outre
-
mer et la Nouvelle-Calédonie, quant à elles, disposent de compétences
propres
286
en matière de santé et organisent leur stockage et leur
distribution
avec, au besoin, des ponts aériens depuis l’hexagone
.
286
L’État est pleinement compétent en matière de santé publique dans les départements et
régions d’outre
-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte) ; en Polynésie
et en Nouvelle-
Calédonie, il n’est pas compétent dans le domaine
; à Wallis-et-Futuna, Saint-
Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, malgré des particularités locales, il
reste compétent en ce qui concerne la protection sanitaire des populations.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
211
B -
Un renouvellement engagé
Les masques se périment en règle générale après cinq ans de détention.
Tous les masques acquis pendant la crise sanitaire seront donc obsolètes d’ici
2026. La reconstitution du stock stratégique a été engagée avec des masques
d’origine européenne, à des conditions financières devenues fa
vorables.
1 -
Une péremption prochaine des masques acquis
pendant la crise sanitaire
Parmi les masques acquis pendant la crise sanitaire, 715 millions
étaient périmés à la fin
de l’année
2024
287
. Ces masques, à durée de vie
courte, avaient été achetés en Chine au début de la crise sanitaire. Le
1,2 milliard restant se périmera en 2025-2026.
En 2022, 407 millions de masques chirurgicaux à durée de
péremption courte ont été distribués, principalement au ministère de
l’
éducation nationale (91 %). Ces distributions,
possibles en période d’état
d’urgence sanitaire,
ont été interrompues depuis 2023 et elles ne
permettront plus de réduire le stock avant sa péremption complète.
Graphique n° 23 :
nombre de masques périmés dans le stock
de 2021 à 2027 (projection entre 2025 et 2027, en millions)
Note
: Les projections ne prennent pas en compte l’instruction de la DGS du 5
décembre 2024 de
détruire 11 000 palettes,
soit de l’ordre de 600 millions de masques.
Source
: Cour des comptes d’après données Santé publique France
287
350 millions de masques chirurgicaux, 340 millions de FFP2 et 60 millions de
masques pédiatriques.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
212
Ce stock obsolète pose un problème de gestion à Santé publique
France. L’espace de stockage sera saturé à 97
% dès 2025 du fait de
l’acquisition de masques neufs (voir
infra
). En l’absence de toute distribution,
il faudra soit augmenter la taille des plateformes
288
, soit détruire les masques
périmés. Le coût de destruction de 1,4 milliard de masques chirurgicaux serait
de 5
M€ et celui de 700 millions de masques FFP2 de 4
M€.
Les destructions de masques réalisées jusqu’à présent n’ont porté
que sur des masques non-sanitaires périmés et non-conformes, impropres
à toute utilisation. La direction générale de la santé (DGS) a demandé à
Santé publique France de détruire 317 millions de ces masques le 14 mars
2022. 180 millions ont été détruits en 2022 et 100 millions en 2023. Un
moratoire a été ensuite décidé en février 2024 pendant la période des jeux
olympiques. Après un nouvel état des lieux, la DGS a émis, le
5 décembre 2024, une nouvelle instruction portant sur 10 808 palettes, qui
pourraient concerner les 224 millions de masques non-conformes, pollués
ou soumis à inondation, encore stockés par Santé publique France et les
355 millions de masques non-sanitaires déjà périmés ou en voie de
péremption. La DGS n’autorise en revanche aucune destruction de
masques sanitaires standard simplement périmés.
Des études américaines ont estimé que des masques ne perdent pas
leurs propriétés de respirabilité et de filtration après cinq ans
289
. Leur
péremption est surtout liée à la rupture plus fréquente des élastiques de
fixation lors de la pose sur le visage. Selon Santé publique France, les
résultats de ces études ne s’appliquent pas aux masques qu’elle stocke.
Ceux-ci seraient de nature différente et leurs conditions de stockage
(humidité notamment) en réduiraient les capacités de filtration. Aucune
étude scientifique n’a toutefois été conduite en France pour déterminer
pour quelle durée, au-delà des cinq années recommandées par les
fabricants, il était souhaitable de conserver les masques sanitaires, donc
possiblement de les utiliser en cas de crise sanitaire grave.
288
Cette solution supposerait de regrouper les masques périmés dans des zones
spécifiques des plateformes.
289
Par exemple, National Institute for Occupational Safety and Health (États-Unis)
Inhalation and exhalation resistance and filtration performance of stockpiled air-purifying
respirators,
25 mars 2020.
L’étude portait sur près de 4000 masques fabriqués entre 7 à
17 ans auparavant. Elle concluait que 98 % d
’entre eux avaient conservé leurs propriétés.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
213
D’autres équipements de protection individuelle
et tests vieillissants présents dans le stock
Le stock stratégique comprend, outre les masques, 1,47 milliard de
gants, blouses, tabliers, lunettes, sur-chaussures et charlottes, dont
1,15 milliard mobilisable.
Leur distribution a été limitée pendant la crise sanitaire
80 % de
ceux acquis ont intégré le stock stratégique - et les pénuries observées,
hormis pour les gants jusqu’en octobre 2020, ont été brèves. Les blouses et
tabliers nécessitent des espaces de stockage importants et contribuent à la
saturation prochaine des capacités. Enfin, les objectifs de stockage ont été
définis par la DGS pendant la crise sanitaire sans être soumis au Haut
Conseil de la santé publique (HCSP). Dans son instruction du
5 décembre 2024, la DGS a demandé à Santé publique France de détruire
468 palettes de ces équipements. À l’avenir, lorsque le stock sera
entièrement périmé, et après avis du HCSP pour dimensionner le besoin,
elle s’interroge sur l’opportunité de conserver un stock sanitaire d’État en
sus de stocks tampons qu’elle rend
rait obligatoires dans les hôpitaux.
Santé publique France détient également 10,5
millions d’autotests et
2,1 millions de tests antigéniques acquis en 2021 et en 2022, dont la durée
de conservation est inférieure à deux ans. Ces tests sont périmés dans leur
totalité et inutilisables en cas de nouvelle crise sanitaire. Le coût de leur
destruction serait inférieur à 300 000
€ selon l’estimation de la Cour et, en
tout état de cause, moins onéreux que la perpétuation de leur conservation
dans des espaces à température contrôlée.
2 -
Un renouvellement engagé à des conditions plus favorables
après la crise sanitaire
Par lettre du 9 juin 2022, la DGS a demandé à Santé publique France
d’acquérir 200
millions de masques, dont 144 millions chirurgicaux, 16 millions
pédiatriques, 40 millions FFP2 et 30 000 FFP3. Cet achat permet de stabiliser
le nombre de masques mobilisables autour de 1,35
milliard jusqu’en 2025
.
L’instruction de la DGS a requis que les masques soient d’origine
européenne pour leur fabrication et leurs matières premières, hors
élastiques
290
. Les critères environnementaux et sociaux ont été pondérés à
15 % chacun, contre 20 % pour le prix
291
.
290
Application de l’article L. 2112
-4 du code de la commande publique et du guide des bonnes
pratiques et leviers d’action pour garantir la sécurité des approvisionnements (janvier
2022).
291
Les autres critères étant la qualité technique (30 %) et la sécurité des approvisionnements
(20 %).
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
214
Une étude de sourçage auprès de 22 fabricants français a confirmé
que leurs capacités de production étaient limitées. Santé publique France a
donc opté pour une multi-attribution à trois titulaires chacun pour les
masques chirurgicaux et FFP2, interdisant aux candidats de postuler sur les
deux lots. Après autorisation du
conseil d’administration
, l
’appel d’offres
a été publié en octobre 2022
292
. 52 offres ont été déposées et 34 retenues
après vérification de leur conformité.
Seules des entreprises françaises ont répondu
à l’appel d’offres
même si des candidatures européennes étaient possibles
293
. La concurrence
a été réelle, avec
un nombre d’
offres notées allant de 10 pour les masques
pédiatriques à 18 pour les chirurgicaux. Les lots de masques chirurgicaux
et FFP2 ont été attribués le 13 février 2023, les lots de masques
pédiatriques, FFP2 de taille non standard (S et L) et FFP3, le 30 mars
294
.
Les prix obtenus pour cette mise en concurrence ont été bas par
comparaison aux prix objectifs déterminés au préalable : le coût du marché
a été de 11,4
M€ toutes taxes comprises, soit la moitié du prix
-cible.
Un intérêt économique à échelonner les achats dans le temps
au lieu de les concentrer dans les périodes de crise sanitaire
Le coût d’achat des
1,43 milliard de masques chirurgicaux et
0,41 milliard de masques FFP2 stockés au 31 décembre 2020, acquis au plus
fort de la crise sanitaire dans un contexte de pénurie mondiale et, pour partie,
avec des frais logistiques élevés liés à la mise en œuvre d’un pont aérien
depuis la Chine
, s’est élevé à
1,2
Md€ hors taxes
selon le rapport de la Cour
sur les dépenses covid 19 financées par Santé publique France en 2021
295
.
Si les acquisitions avaient été réalisées auparavant au fil de l’eau, à des
conditions de prix proches de celles de 2022, le prix d’achat de ces masques
aurait été de 110 M€ hors taxes, soit 11 fois m
oindre. Le surcoût lié à
l’obligation de reconstituer le stock en période de crise a dépassé 1
Md€.
292
Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 7 octobre 2022 et journal
officiel de l’Union européenne
du 10 octobre 2022.
293
Il semble que les entreprises européennes ont tendance à privilégier leur marché
national, dans un contexte où plusieurs pays essayent de structurer leur propre filière de
masques. Le poids des critères sociaux et environnementaux par rapport au critère de
prix a pu aussi décourager des entreprises non françaises.
294
Ils ont été notifiés aux fournisseurs désignés respectivement le 17 mars et le 26 avril.
295
Tableau n° 11 du rapport
d’observations définitives
adressé le 2 décembre 2021 à la
DGS et à Santé publique France concernant
les
achats liés à la crise sanitaire financés
par les dotations exceptionnelles de l’assurance maladie à Santé publique
France
.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
215
L’
exécution du marché a été difficile. Un fabricant a été dans
l’incapacité de fournir les volumes dans le délai
requis de douze mois après
la notification
du marché et a retardé l’achèvement
de ses livraisons de
mars à novembre 2024
296
. Un autre fournisseur, en grande difficulté
financière, a été placé en redressement judiciaire puis en liquidation,
abandonnant la fabrication de masques et interrompant ses livraisons. Le
marché avec ce fournisseur a été résilié et 42 millions de masques
chirurgicaux et pédiatriques n
ont pas été livrés.
L
e fournisseur défaillant était loin d’être le m
oins-disant pour les
conditions de prix. En tout état de cause, ce ne sont pas les conditions de
prix de ce marché qui sont à l’origine de ses difficultés financières.
3 -
Une reconstitution à venir du stock mobilisable
Même avec l’ajout des 158
millions de masques acquis en 2023, le
nombre de masques mobilisables était appelé à se réduire de façon
importante à partir de 2025.
Aussi, la DGS a adressé à Santé publique France une instruction du
22 février
2024 lui demandant d’acquérir un
milliard de masques
supplémentaires avec la répartition suivante : 677 millions de masques
chirurgicaux et pédiatriques, 303 millions de masques FFP2 et 20 millions
de masques FFP3.
Après autorisation du
conseil d’administration de
Santé publique
France, le marché a été publié le 8 mai 2024. Les résultats ont été notifiés
aux titulaires
en fin d’année
2024, pour une exécution demandée avant la
fin de l’année 2025
. L
e nombre d’attributaires a été porté à dix pour le
lot
de masques chirurgicaux et à six pour le lot de FFP2. Un lot de 23 millions
de masques chirurgicaux a été déclaré infructueux, un lot de 60 millions de
masques FFP2 est toujours en cours d’attribution et 917
millions de
masques ont été finalement commandés, exclusivement à des entreprises
françaises. Si le marché est exécuté dans de bonnes conditions, le nombre
de masques du stock mobilisable devrait donc être porté à 1,4 milliard en
janvier 2026. Le marché prévoit ensuite trois tranches annuelles d’un
montant minimal de 400 millions de masques, qui devraient permettre de
porter le stock au moins à 2
milliards de masques d’ici à janvier 2029
.
296
Les pénalités de retard prévues au marché ne lui ont pas été appliquées car un calendrier
modifié a
été accepté par Santé publique France auquel le fournisseur s’est tenu.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
216
Graphique n° 24 :
état du stock de masques sanitaires mobilisables
de SPF et projection jusqu’en janvier 2029
(en millions)
Note : Sous réserve de livraison dans les délais des masques commandés par le marché de 2024.
Source
: Cour des comptes d’après données Santé pu
blique France
Les acquisitions du marché de 2024 devraient donc permettre de
stabiliser, puis de relever le stock mobilisable, malgré la péremption d’une
grande partie du stock du stock acquis en 2020-2021.
Entre le premier marché de 2022 et le deuxième marché de 2024, les
prix unitaires ont encore baissé,
en lien avec l’effet volume
, de 5,6 % pour
les masques chirurgicaux et de 11,3 % pour les masques FFP2.
II -
Une doctrine d’emploi et une organisation
opérationnelle à redéfinir
Dans le rapport précité de 2021, la Cour avait critiqué
l’absence de
définition par
la DGS d’une doctrine sur le niveau
du stock de masques et
sur les conditions de leur distribution. Pendant la crise sanitaire, le stock
avait été fixé à 1 milliard de masques, dont 800 millions chirurgicaux et
200 millions FFP2, sans que ce niveau ait été clairement rapporté aux
besoins de populations-cibles ni rattaché à un schéma directeur de
distribution dont la logistique aurait été préalablement définie et organisée.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
217
Un nouvel objectif a été fixé à deux milliards de masques par la DGS
après consultation du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Toutefois,
cet objectif n’est pas clairement formalisé et les conditions de rotation du
stock avant péremption et de distribution en cas de crise n’o
nt pas été
clairement définies.
A -
Une doctrine à clarifier
Pour définir l’objectif
-cible du nombre de masques à stocker, le
ministère chargé de la santé a entrepris un processus de consultation du
HCSP, à l’issue duquel une réunion interministérielle a fina
lement permis
d’avaliser un rehaussement de l’objectif. Celui
-
ci n’est toutefois pas
clairement formalisé, ce qui ne permet pas de préparer les conditions de la
distribution en cas de nouvelle crise sanitaire.
1 -
Un long processus de consultation et de décision
Le 5 mai 2021, alors que la Cour investiguait les conditions de
gestion des masques pendant la crise sanitaire, la DGS a saisi le HCSP afin
de lui demander d’émettre des recommandations sur le type de masques
devant constituer le « stock État » et sur le dimensionnement de ce stock.
Dans son avis du 6 août 2021, le HCSP a rappelé que le stock
stratégique visait historiquement la population générale et les catégories à
risque. La crise sanitaire a toutefois élargi cette approche en intégrant les
besoins des établissements et professionnels de santé en cas d
’insuffisance
de leurs propres stocks : en 2020, la priorité a été donnée aux hôpitaux et
aux Ehpad par rapport aux autres catégories. Le HCSP a donc recommandé
à l’État d’identifier les populatio
ns-cibles en fonction de leur exposition au
risque avant de déterminer un objectif-cible de stock.
La DGS a réitéré sa demande, en février 2022, en interrogeant le
HCSP sur la pertinence pour l’avenir de l’objectif qu’elle avait assigné
pendant la crise sanitaire de 1 milliard de masques pour le stock stratégique
et, à défaut, de proposer une nouvelle évaluation. Le HCSP, dans un avis
d’avril 2022, a
décrit trois catégories de populations-cibles (malades et
soignants, professionnels exposés, population générale) et défini leurs
besoins quotidiens minimaux et maximaux selon trois scénarios de gravité.
Il n’a pas chiffré les effectifs par catégorie
ni le nombre de masques requis,
laissant à l’État la responsabilité de cette tâche.
Une réunion, présidée par la directrice de cabinet du ministre chargé
de la santé, le 9
novembre 2022, a conclu que l’estimation du nombre de
masques à acquérir pour couvrir l’ensemble des populations décrites dans
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
218
l’avis du HCSP n’
était «
pas compatible avec les contraintes logistiques et
budgétaires qui sont les nôtres aujourd’hui pour la gestion du stock
sanitaire d’État
». L
a prise en compte de l’avis
aurait conduit à stocker
entre 7 et 25 milliards de masques selon les scénarios.
La DGS a proposé, dans deux notes au ministre chargé de la santé,
du 12 janvier et du 10 février 2023, de doubler le stock stratégique à deux
milliards de masques. La proportion de FFP2 devait passer de 20 % à 30 %,
soit 600 millions de masques, au lieu de 200 millions, auxquels devait
s’ajouter
2 % de FFP3 (soit 40 millions
d’unités
). Le stock stratégique
devait correspondre à sept semaines de consommation, les établissements
de santé, médico-sociaux, professionnels libéraux, etc. devant constituer
des stocks correspondant à trois semaines de crise. Parmi les personnes
précaires, seules les 300 000 personnes sans domicile fixe devaient être
protégés
297
. Enfin, pour les personnes malades et les cas contacts, la
protection prévue correspondait à deux semaines de consommation après
la période de quarantaine.
Tableau n° 24 :
dimensionnement du stock État à 2 milliards
de masques par catégories de populations
(en millions d’unités)
Catégorie
Chirurgicaux
FFP2
FFP3
Semaines
de crise
Professionnels de santé
et connexes (pompiers…)
405,8
226,6
40
7
Personnes atteintes
262,5
0,0
0,0
2
Cas contacts
420,0
168,0
0,0
2
Personnes à risque
210,0
210,0
0,0
7
Personnes très précaires
60,0
0,0
0,0
10
Total
1 358,3
604,6
40,0
Source : direction générale de la santé
La DGS prévoyait en conséquence de demander, par circulaire, aux
agences régionales de santé (ARS)
d’imposer aux établissements
de santé,
médico-sociaux, et aux professionnels libéraux, de constituer trois
semaines de stock. Une campagne de communication devait encourager les
familles à stocker à domicile une boîte de 50 masques ou 10 masques
réutilisables en tissu.
297
Pour les autres personnes en situation de précarité (9 millions), la solution envisagée
était l’envoi de masques lavables et réutilisables.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
219
Le 20 avril 2023, le ministre a retenu
le principe d’«
obtenir une
validation interministérielle, puis faire tamponner les grands objectifs en
mobilisant l’expertise
», nécessaire pour entériner les conséquences
budgétaires de la décision. La DGS a échangé avec la direction générale de
l’offre de soins (
DGOS), Santé publique France et le secrétariat général de
la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)
sur l’application de la
proposition. Le SGDSN en a accepté les principes mais a rappelé la
nécessité pour le ministère de la santé d
’organiser
une réunion
interministérielle pour la faire valider.
La réunion interministérielle
d’arbitrage s’est
finalement tenue le
3 juillet 2024. Pour expliquer ces longs délais de décision, la DGS a
invoqué l’instabilité ministérielle avec six ministres et cabinets successifs
entre janvier 2022 et août 2024 (et deux depuis lors).
2 -
Un objectif qui n’est pas clairement formalisé
La réunion interministérielle a «
pris acte
» de la nouvelle cible à
2 milliards de masques du stock stratégique pour les besoins du système de
santé, des cas contacts et des populations vulnérables, considérant que
« la
définition du besoin de santé publique auquel doit répondre le stock
stratégique de l'État relève de la responsabilité du ministère chargé de la
santé ».
Santé publique France a été informée de ce doublement de
l’objectif, cohérent avec l’instruction reçue de la DGS pour la passation du
marché de masques 2024. En revanche, ni les populations-cibles, ni la
répartition indicative des masques entre elles ne lui ont été précisées. Ces
informations sont toutefois nécessaires
pour préparer l’organisation de la
distribution en cas de nouvelle crise sanitaire.
Il est nécessaire, en outre, de couvrir les besoins des personnels de
l’État, notamment de ceux en première ligne en cas de crise sanitaire
(forces de sécurité intérieure, enseignants…). Ceux
-ci sont estimés à trois
milliards de masques par la DGS, en sus des deux milliards pour les besoins
du système de santé, malades, cas contacts, vulnérables et très précaires.
Selon la DGS, Santé publique France ne serait pas en mesure
d’assurer la conservation d’un tel volume sans une modification profonde
de son organisation. Elle ne pourrait pas non plus en assurer la distribution.
La réunion interministérielle n’a pas pris de décision concernant ces
besoins additionnels.
Le besoin total de couverture pour faire face à une crise sanitaire de
dix semaines a été au final estimé à douze milliards de masques, dont les
cinq milliards déjà cités pour la sphère publique. Pour y répondre, la
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
220
réunion interministérielle a avalisé le principe d’un renforcement de
l’obligation juridique de stockage des employeurs et a demandé que les
modalités de contrôle associées soient instruites
298
. Elle a accepté le
principe d’une campagne de communication à destination de la population
générale pour l’encourager à constituer des stocks. Ces deux actions n’ont
pour l’instant pas été mises en œuvre.
B -
Une nécessaire régularité d’acquisition
et de rotation dynamique des masques
Pour appliquer le nouvel objectif de stock stratégique, les conditions
d’un achat régulier à long
-terme devraient être précisées à Santé publique
France et les masques devraient pouvoir être cédés aux hôpitaux avant
péremption afin d’éviter l’accumulation de stocks périmés coûteux à
entretenir ou leur destruction.
1 -
Des conditions d’achat à long
-terme à préciser
Le marché d’achat engagé en 2024
par Santé publique France sur
instruction de la DGS assurait le renouvellement du stock mobilisable au-
delà de 2026 (cf.
supra
) mais permettait aussi son augmentation à terme.
Pour cela, il a été constitué sur une durée de quatre ans, avec une première
tranche ferme visant l’achat d’un milliard d’unités en 2025
299
et trois
tranches annuelles de 2026 à 2028 pour lesquelles Santé publique France
décidera des volumes à acheter annuellement entre un minimum de près de
400 millions et un maximum de près de 700 millions, en respectant les
parts attribuées à chacun des fournisseurs retenus initialement. Une clause
de révision définit les prix applicables à ces achats sur toute leur durée.
298
L’instruction
précédente de 2013 du SGDSN à destination des employeurs
concernant la « doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement
pathogènes à transmission respiratoire
» n’
était
pas accompagnée d’obligations
spécifiques ni de contrôles. Un droit souple a été
jusqu’ici
favorisé au détriment des
mesures contraignantes pour les employeurs,
avec néanmoins la référence à l’obligation
générale du code du travail sur la protection des employés.
299
Deux lots n’ont pas reçu de réponse satisfaisante, ce qui représente 83
millions de
masques en moins en 2025.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
221
Tableau n° 25 :
nombre de masques commandés
par l’appel d’offres de 2024
(en millions)
Dénomination
Achat
2025
Achats annuels
2026 à 2028
Total
acheté
Chirurgicaux adultes
620
247 à 620
1 361 à 2 480
Chirurgicaux pédiatriques
27
9 à 27
55 à 108
Chirurgicaux à lanières
7
3 à 7
16 à 28
FFP2
243
101 à 243
546 à 972
FFP3
20
8 à 20
44 à 80
Total
917
368 à 917
2 022 à 3 668
Lecture : les achats totaux seront compris entre 2 022 et 3 668 millions de de masques, dont
917 millions en 2025 et le solde entre 2026 et 2028.
Source
: Cour des comptes d’après Santé publique France
Les volumes à acheter entre 2026 et 2028 dépendront ainsi des
instructions données par la DGS et de la capacité des fournisseurs à livrer les
masques de la première tranche dans les délais avant fin décembre 2025.
L’intervalle entre le minimum et le maximum du marché, important, permet
de viser une cible de 2 à 3,7 milliards de masques mobilisables en 2028.
Toutefois, Santé publique France
n’est pas en mesure, avec son
organisation et ses moyens actuels, de gérer un stock de masques supérieur
à 2,5 milliards. Cette capacité de stockage est déjà utilisée, pour plus de la
moitié, par des masques qui seront périmés en 2025 mais encore
potentiellement utilisables en cas de nouvelle crise.
Il serait donc souhaitable que la DGS définisse à Santé publique
France un nouvel objectif de stock stratégique, en précisant s
’il inclut ou non
les masques périmés, et en lui allouant les moyens en rapport avec l’atteinte
de cet objectif. Cet objectif devrait être défini sur un horizon de temps
suffisamment long pour permettre des acquisitions régulières, non soumises
à des à-coups annuels importants. Par exemple, aux conditions du marché de
2024, le coût d’achat annuel de 400
millions de masques pour un stock
mobilisable de 2 milliards d’unités d’une durée de conservation de cinq ans
serait de 27
M€ par an toutes taxes comprises,
soit 135
M€ de valeur du
stock. Il faudrait y ajouter les coûts de stockage, qui doubleraient par rapport
à la période actuelle. Ces coûts conséquents appellent une gestion dynamique
de ce stock pour la rendre plus performante.
La perspective de commandes annuelles régulières et prévisibles
serait une opportunité pour la structuration et la
pérennité d’une offre
nationale et européenne, stratégique en cas de nouvelle crise sanitaire.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
222
2 -
Une gestion du stock à rendre dynamique
Dans un avis du 1
er
juillet 2011, antérieur à la crise sanitaire, le Haut
Conseil de la santé publique avait recommandé une gestion « tournante » et
non « dormante » du stock stratégique. Le but était de transférer aux hôpitaux
les masques avant leur date de péremption plutôt que de les détruire après.
Une telle gestion présente trois avantages. Elle représente une
économie nette pour l’objectif national de dépenses d’assurance maladie
(Ondam) de la sécurité sociale puisqu’elle permet de financer une partie
des besoins des hôpitaux à partir des sorties du stock stratégique. Elle évite
l’accumulation de stocks de masques périmés, onéreux à conserver. Enfin,
en organisant la distribution en continu du stock stratégique vers les
principaux acteurs de santé, elle prépare les distributions de crise.
Dans son avis, le HCSP ne tranchait pas entre une cession à titre
onéreux ou gratuit. Toutefois, la cession à titre onéreux présenterait deux
obstacles importants. Elle supposerait une réforme réglementaire préalable
pour autoriser Santé publique France, établissement public administratif, à
vendre les masques stockés. Surtout, les conditions de prix à appliquer à la
vente seraient difficiles à établir : les prix très élevés pendant la crise ne
pourraient servir de référence et il faudrait prendre en compte le fait que
les produits cédés auraient une durée de péremption plus rapprochée que
s’ils étaient acquis neufs auprès d’un industriel.
La cession à titre gratuit à des hôpitaux publics apparaît plus simple
à organiser. La livraison de 400 millions de masques par an en vitesse de
croisière, pour un stock stratégique de 2 milliards de masques,
correspondrait à plus de la moitié de la consommation annuelle des
hôpitaux publics pour une économie de l’ordre de 25 à 30
M€ par an. Elle
permettr
ait aux établissements bénéficiaires d’alléger la contrainte de
porter leurs stocks de masques à trois semaines de consommation de crise.
Une telle évolution supposerait, toutefois, une modification du code
général de la propriété des personnes publiques (
CGPPP), dont l’article
L. 3212-2 dresse la liste des cessions de biens mobiliers qui, par exception,
peuvent être réalisées gratuitement. En l’état actuel du droit, les seules
exceptions autorisées sont les dons aux personnes précaires et à des États
étrangers.
L’article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022,
issu d’un amendement parlementaire, a étendu l’exception du CGPPP aux
biens meubles de Santé publique France dans le cadre des missions qui lui
sont confiées et au profit des
établissements publics de l’État, des
collectivités territoriales, de leurs groupements et établissements publics,
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
223
et des établissements publics de santé. La justification de cet article reposait
à titre principal sur l’économie des coûts de destruction de
ces stocks par
Santé publique France, estimée entre 1
et 3 M€ par an. Le Conseil
constitutionnel l’a censuré dans sa décision n° 2021
-832 DC du 16 décembre
2021, considérant qu’il n’avait pas sa place dans une loi de financement.
La réunion interministérielle du 3 juillet 2024 a rappelé la nécessité
de cette mesure «
afin de réduire le gaspillage lié à la péremption de
masques »
. Le ministère doit trouver le véhicule législatif adéquat, dans un
cadre juridique sécurisé.
Si cette évolution était appliquée, Santé publique France devrait
mettre en œuvre e
n routine, et non plus seulement pendant les périodes de
crise sanitaire, des livraisons à des établissements de santé, en réponse à
leurs commandes. Elle dispose déjà d’un portail de commandes mais il
n’est opérant que pour les vaccins covid. Elle n’est en outre pas organisée
pour procéder régulièrement à de telles distributions.
C -
Une distribution à préparer dans l’éventualité
d’une nouvelle crise sanitaire
Au-
delà de la reconstitution d’un stock stratégique
, le ministère
chargé de la santé doit réviser sa stratégie de distribution en cas de crise
sanitaire. Pour cela, Santé publique France doit pouvoir disposer de systèmes
d’information opérationnels et d’une carte complète des établissements
bénéficiaires pour leur distribuer les masques en cas de crise.
1 -
Une stratégie de distribution à actualiser
La circulaire du 21 août 2013 précitée, qui constitue le référentiel
actuel, met les préfets au cœur de la stratégie de distribution de crise. Ceux
-
ci sont chargés
d’établir un plan départemental en lien avec les agences
régionales de santé, et de prévoir la réquisition des transports disponibles
ainsi que les destinataires finaux. Les conditions opérationnelles sont
définies de manière indirecte, dans les cahiers des charges des prestataires
de stockage des plateformes et des transporteurs de Santé publique France,
dans l’hexagone et outre
-mer.
Santé publique France est organisée pour assurer des livraisons
via
des intermédiaires et des points à livrer : la distribution des palettes,
décidée par le centre de crise sanitaire de la DGS, passe par les
transporteurs, des grossistes-répartiteurs et des établissements hospitaliers.
Il revient ensuite à ces intermédiaires de distribuer les masques aux
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
224
pharmacies et aux acteurs de santé de leur territoire (autres hôpitaux,
cliniques, Ehpad, etc.). Pendant la crise sanitaire, le circuit des grossistes-
répartiteurs a été efficace
mais celui des hôpitaux réceptionnaires l’a été
beaucoup moins, ceux-ci considérant que la distribution des masques ne
relevait pas de leurs missions. En particulier, la distribution aux
établissements médico-sociaux et aux nombreuses structures de soins
(centres de dialyse, services de soins infirmiers à domicile, etc.), souvent
de petite taille, s’est
avérée peu efficace.
Le relèvement de l’objectif de stock stratégique doit conduire à une
actualisation de la stratégie de distribution. Le compte rendu de la réunion
interministérielle du 3 juillet 2024
invite ainsi à «
travailler à définir les
modalités de stockage, d'acheminement et de distribution du stock
stratégique
», précisant que, «
à ce stade, ces modalités ne sont pas définies
[…], ce qui expose l'État au risque de ne pouvoir répondre aux besoins de
la population en temps utile
. » La mise à jour des schémas et des documents
stratégiques devrait permettre de clarifier les rôles et les responsabilités des
différents acteurs au niveau national et territorial.
2 -
Des systèmes d’information à restructurer
Santé publique France
ne dispose pas d’un système d’information
unifié pour la gestion de ses stocks. Les prestataires privés utilisent leurs
propres logiciels et Santé publique France
s’appuie sur un logiciel ancien
et peu ergonomique,
Gildas
, pour la gestion du stock national. Conçu pour
un stock dormant,
Gildas
ne produit pas automatiquement de tableaux de
bord ni d’alertes sur la péremption des lots. Les inventaires et le suivi
statistique sont réalisés manuellement, ce qui est une source potentielle
d’erreurs
.
L’actualisation
des tableurs doit être réalisée de nuit pour éviter
la saturation des serveurs.
Pour pallier ces limites, Santé publique France a acquis pendant la
crise un second outil,
FluidE
, interfacé avec
Gildas
et les logiciels des
prestataires.
FluidE
produit deux extractions quotidiennes du stock et
inclut depuis 2022 un module de commande pour les vaccins covid.
Cependant, il ne propose ni tableau de bord consolidé ni gestion
automatisée des péremptions.
Le contrat d’objectif et de performance de
Santé publique France
pour la période 2024-2028, signé en juin 2024, prévoit le développement
d’un nouveau progiciel
de gestion de ses stocks pour son établissement
pharmaceutique, intégré avec sa comptabilité (de type
enterprise resource
planning
). Le marché d’acquisition est en cours de préparat
ion, pour une
application prévue à la fin du contrat, en 2028.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LA GESTION DU STOCK STRATÉGIQUE DE MASQUES :
DES PROGRÈS ENCORE INSUFFISANTS DEPUIS LA CRISE SANITAIRE
225
3 -
Une articulation à améliorer avec les acteurs de santé
Pendant la crise sanitaire, il a été envisagé de mettre en œuvre un
portail de commandes ouvert à tous les établissements sanitaires, sociaux
et médico-
sociaux et, parallèlement, d’adapter les cahiers des charges des
prestataires de plateformes de Santé publique France
pour qu’ils puissent
réaliser des petits colis de boîtes de masques et les envoyer à tous les
destinataires identifiés, hors circuit des grossistes-répartiteurs. Le petit
colisage a bien été intégré aux cahiers des charges des transporteurs et des
plateformes sans que Santé publique France ne se soit assurée des
conditions de mise en œuvre opérationnelles de cette clause, notam
ment
par une adaptation des systèmes d’information.
Le projet de répertoire opérationnel des ressources national, qui vise
à cartographier l’ensemble des ressources sanitaires et logistiques
disponibles sur le territoire, constitue une opportunité pour pallier cette
faiblesse. L’interfaçage des systèmes informatiques de
Santé publique
France
avec ce répertoire lui permettrait de disposer d’une carte à jour des
différents acteurs de santé, tant publics que privés, dans les territoires.
En période de crise s
anitaire, l’interfaçage serait complémentaire de
la mise en œuvre d’un portail de commandes et d’un dispositif d’adaptation
des colisages pour un envoi direct des masques par les prestataires de
plateformes de Santé publique France. En dehors des périodes de crise, le
dispositif pourrait être mis en œuvre pour assurer la gestion dynamique du
stock, en assurant en continu les commandes et les livraisons des acteurs
de santé avant la date de péremption des masques, évitant leur destruction
et assurant un débouché régulier et constant à la filière de production
française et européenne.
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
226
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La crise de covid 19 a souligné la nécessité pour la France de
pouvoir, à tout moment, mobiliser un stock permanent de masques au
moyen d’un système de distribution rapide et efficace aux
populations-
cibles identifiées par les pouvoirs publics. Elle a rappelé
l’importance
stratégique
d’une industrie
française et européenne
en mesure d’assurer
une production qui réponde à ces besoins.
Devant la perspective d’une péremption
, dès 2026, de la totalité des
masques acquis pendant la crise, de nouveaux marchés d’achat ont été
lancés par
l’État et
Santé publique France afin de renouveler et augmenter
le stock. Toutefois, le niveau-cible et les conditions de ce renouvellement
n’ont été
que partiellement décidés. La gestion dynamique du stock,
pourtant la plus économique et la plus efficiente pour structurer une filière
industrielle sur la base de perspectives stables de commande de la
puissance publique, n’a pas été juridiquement mise en œuvre
. Les
arbitrages sur les destinataires finaux de masques
n’ont pas été
communiqués à Santé publique France. Le mode de commande et de
distribution vers ces destinataires n’a pas été organisé, au
-delà du principe
de l’envoi aux grossistes
-répartiteurs et aux centres hospitaliers.
L
’État d
oit donc formaliser
une doctrine d’emploi
du stock
stratégique et améliorer la coordination entre les acteurs concernés.
L
’optimisation des processus logistiques
et la modernisation des systèmes
d
’information
doivent
garantir l’efficacité des dispositifs mis en œuvre par
Santé publique France en cas de futures crises sanitaires. En conséquence,
la Cour formule les recommandations suivantes au ministère du travail, de
la santé, des solidarités et des familles et à Santé publique France :
17.
faire évoluer le cadre juridique permettant la cession à titre gratuit
des produits issus du stock d’État dé
tenu par Santé publique France
(recommandation reformulée) ;
18.
après modification du cadre juridique, organiser en période ordinaire
le circuit de distribution des masques avant leur péremption, en
fonction des besoins des hôpitaux publics ;
19.
évaluer au bout de quelle durée de conservation les masques
deviennent inutilisables en cas de crise sanitaire et les détruire en
conséquence ;
20.
étendre le circuit de distribution des masques en cas de crise sanitaire
au-delà des seuls hôpitaux publics et pharmacies.
________________________________________
Sécurité sociale 2025 – mai 2025
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes