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La rémunération du droit à l’image
collective des sportifs professionnels
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PRESENTATION
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En 2003, un rapport rédigé à la demande du ministre des sports
« sur certains aspects du sport professionnel en France » observait que la
rémunération de l’image des sportifs professionnels était parfois assurée
par les clubs professionnels, notamment dans le domaine du football,
sous la forme de versements d’honoraires à des sociétés-écrans, de telle
sorte que les salaires pouvaient être artificiellement minimisés, afin de ne
pas payer de cotisations sociales, et ces honoraires simultanément
dissimulés à l’administration fiscale, afin de ne pas acquitter d’impôts.
Bien qu’il fût malaisé, au-delà de quelques affaires médiatiques
concernant essentiellement le football, de déterminer dans quelles
proportions précises ces risques s’étaient effectivement concrétisés sous
la forme de contentieux fiscaux ou de redressements fondés sur la
qualification de travail dissimulé (article L. 324-10 du code du travail),
ce rapport concluait à la nécessité d’une réforme de la rémunération des
sportifs professionnels, en recommandant qu’elle s’inspire du régime des
artistes-interprètes.
En effet, lorsque ceux-ci sont titulaires d’un contrat de travail, ils
bénéficient d’une distinction entre, d’une part, leur salaire qui est
assujetti aux cotisations du régime général de sécurité sociale, et, d’autre
part, une fraction de rémunération qui leur est versée, selon les termes de
l’article L. 762-2 du code du travail, en raison « de la vente ou de
l’exploitation de l’enregistrement de leur interprétation » et qui est
exonérée de ces cotisations. Le parallèle avec les sportifs professionnels
paraissait a priori peu pertinent, puisqu’il ne s’agit aucunement dans
leur cas de valoriser la vente ou la rediffusion des enregistrements des
matchs auxquels ils participent, mais uniquement leur apport éventuel à
l’image collective de leur équipe : le rapport précité préconisait toutefois
l’instauration de mesures identiques pour le sport professionnel.
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
509
Il aurait toutefois été paradoxal de justifier la suppression de
certaines charges sociales par le seul fait qu’elles pouvaient faire l’objet
d’une fraude. C’est donc en définitive l’objectif de l’amélioration de
l’attractivité des clubs sportifs professionnels français - essentiellement
dans le domaine du football - qui a été mis en avant : cette réforme a en
effet été présentée comme inspirée par la volonté de baisser les charges
sociales pesant sur les clubs professionnels, afin de leur permettre de
servir des rémunérations plus attractives aux sportifs professionnels, et
ainsi de maintenir en France les meilleurs joueurs et même de faire
revenir ceux qui s’étaient expatriés. Cette orientation est au demeurant
toujours celle qui est exposée par le ministère chargé des sports, ainsi
que l’indique le projet annuel de performances (PAP) du programme 219
« Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » : c’est donc
à l’aune des résultats obtenus par rapport à cet objectif qu’il faut
apprécier les résultats de ce régime d’exonération de cotisations sociales.
I
-
Les caractéristiques du dispositif
A - Les dispositions légales
L’exposé des motifs de la loi n° 2004-1366 du 15 décembre 2004,
adoptée à la suite d’une proposition parlementaire visant à définir «
un
régime spécifique pour la rémunération du droit à l’image collective des
sportifs professionnels
», a précisé que, compte tenu de «
la forte
progression des produits de la commercialisation des droits télévisés
» et
de «
la vente des produits dérivés »
, une partie de la rémunération des
sportifs professionnels devait rétribuer leur apport personnel à l’image de
leur équipe.
En fait, le dispositif mis en place, tel qu’il est désormais transcrit
dans l’article L. 222-2 du code du sport, repose sur le principe d’une
exonération complète des cotisations sociales - patronales et salariales -
normalement applicables à une partie des rémunérations versées aux
sportifs professionnels par leurs clubs. Il convient donc d’observer, dès le
départ, que, contrairement à son intitulé, ce dispositif ne correspond
nullement à une rémunération quelconque de la contribution des sportifs
professionnels à l’image collective de leurs clubs, puisqu’il s’applique de
façon indifférenciée à une fraction forfaitaire de leurs rémunérations, quel
que soit leur apport réel - qui n’est aucunement évalué - à la
commercialisation
de
l’image
collective
de
leur
équipe :
cette
dénomination de «
rémunération du droit à l’image collective
» relève
donc d’une simple convention sémantique.
510
COUR DES COMPTES
Ce dispositif est encadré par une double limite : la fraction de la
rémunération qui bénéficie de l’exonération des cotisations sociales doit
être, d’une part, supérieure à deux fois le plafond de la sécurité sociale
(
183
), et, d’autre part, égale ou inférieure à 30 % de la rémunération brute.
Alors même que le sport professionnel, en tant qu’activité privée
lucrative, draine des masses financières de plus en plus importantes, la
construction même de ce dispositif aboutit donc à ce que ce régime d’aide
publique bénéficie avant tout aux sportifs professionnels dont les
rémunérations sont les plus importantes (
184
), et à ce que cet avantage soit
d’autant plus grand que ces rémunérations sont élevées
185
.
B - La mise en oeuvre du dispositif
Trois conditions pouvant être aisément satisfaites doivent être
réunies pour la mise en oeuvre de ce dispositif : le sportif doit être
rémunéré par une société
186
, il doit évoluer dans un sport organisé en
équipes, et une convention collective doit régir la discipline sportive et
déterminer les modalités de calcul de la part de la rémunération qui est
supposée correspondre à la rétribution du «
droit à l’image collective
».
En pratique, les structures juridiques que la loi prévoyait pour
l’application de ce dispositif ont rapidement été mises en place (adoption
de statuts de sociétés sportives pour les clubs, signature de conventions
collectives). Trois disciplines ont immédiatement bénéficié de cette
exonération partielle des cotisations sociales : le football, le rugby et le
basket-ball. Par la suite, le cyclisme, puis le hand-ball ont également mis
en place ce dispositif. Au-delà de ces disciplines, ce système est
susceptible d’une extension continue de son domaine d’application, dans
la mesure où ses dispositions peuvent s’appliquer à tous les sports où une
notion d’équipe est susceptible d’apparaître en compétition, même s’ils
ne sont pas considérés comme des sports collectifs (par exemple,
l’athlétisme ou le tennis).
183) Soit 5 546 euros par mois (juin 2008).
184) Le projet de loi de finances pour 2009 prévoit de faire passer ce seuil à quatre
fois le plafond de la sécurité sociale, soit plus de 11 000 euros par mois: cette
modification a été explicitement justifiée par le fait qu’elle permettait de mieux cibler
le dispositif sur les sportifs les mieux rémunérés, parce qu’ils sont les plus exposés à
la concurrence internationale.
185) La partie exonérée croît en effet avec la rémunération, puisqu’elle représente une
fraction de celle-ci.
186) Société sportive (entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée,
société anonyme à objet sportif, société anonyme sportive professionnelle) ou société
d’économie mixte locale.
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
511
Le nombre de sportifs professionnels bénéficiaires du «
droit à
l’image collective
» a atteint en 2007 un total de 1 267 personnes
(639 pour le football, 492 pour le rugby, et 136 pour le basket).
II
-
Une gestion budgétaire critiquable
A - Des prévisions budgétaires longtemps insincères
Le code de la sécurité sociale dispose, en son article L. 131-7, que
toute mesure d’exonération de cotisations de sécurité sociale doit être
compensée par le budget de l’Etat. Le régime mis en place au titre du
«
droit à l’image collective
» des sportifs professionnels oblige donc
l’Etat à compenser auprès de l’agence centrale des organismes de sécurité
sociale (ACOSS) la perte de recettes qui en résulte pour elle : le montant
de cette compensation était évalué à 32 M€ dans la loi de finances initiale
pour 2008. De 2005 à 2007, ce mécanisme a généré une charge globale de
près de 63 M€ pour les finances publiques. En intégrant les prévisions
pour 2008, le coût total de ce dispositif atteindrait près de 95 M€ pour
seulement quatre années d’application.
Cette charge budgétaire, que le ministère chargé des sports n’avait
aucunement anticipée, s’est traduite dans un premier temps par plusieurs
irrégularités budgétaires. Jusqu’en 2008, les crédits inscrits au budget de
l’Etat ont en effet été insuffisants pour payer la compensation due à
l’ACOSS, ce qui a généré des reports de charge systématiques sur les
exercices budgétaires suivants : les crédits disponibles ne servaient en fait
qu’à payer les dettes cumulées au titre des exercices antérieurs. En 2007,
ces crédits se sont même révélés insuffisants pour apurer les dettes
constituées au regard des années précédentes. En outre, la même année,
cette dépense a été inscrite, non sur le programme 219 «
Sport
», mais sur
le programme 210 «
Conduite et pilotage
» du ministère, ce qui était
manifestement contraire à la transparence budgétaire.
En définitive, il aura fallu attendre 2008 pour que les crédits
budgétaires deviennent enfin conformes au montant de la dette prévisible
et soient inscrits au budget de l’Etat avec un intitulé correspondant à leur
destination réelle.
512
COUR DES COMPTES
B - Un dispositif non maîtrisé
Le mécanisme de la compensation versée par l’Etat est régi par une
convention conclue entre le ministère chargé des sports et l’ACOSS. Son
règlement est effectué sous la forme du versement par le ministère le
30 juin de chaque année d’un acompte de 90 % de la dotation inscrite en
loi de finances initiale, puis d’une régularisation du solde dû l'année
suivante. Ce système de règlement étalé sur deux années est complexe à
gérer dans le temps, car il n’est pas corrélé avec le calendrier des saisons
sportives, et donc avec les périodes de transfert des joueurs, ce qui
complique les prévisions. En outre, le calcul de la compensation due par
l’Etat est retracé par un tableau produit par l'ACOSS, qui récapitule sans
précision un décompte mensuel des cotisations exonérées
187
.
Ce dispositif se caractérise par ailleurs par son imprévisibilité
budgétaire : plus les recettes du sport professionnel provenant des
retransmissions télévisées ou des droits dérivés augmentent, et plus les
rémunérations des joueurs s’accroissent en conséquence, plus l’Etat doit
supporter une charge accrue au titre de l’exonération des charges sociales.
Le ministère est en fait dans l’incapacité complète de prévoir précisément
le coût de ce dispositif, ainsi qu’il l’a reconnu lui-même dans sa réponse
adressée à la Cour : il n’a aucune maîtrise sur l’évolution de la masse
salariale concernée par ce mécanisme.
De surcroît, ce dispositif exerce un effet d’éviction au détriment
des autres actions du programme «
Sport
», dont il représente désormais
près du sixième du montant global. En 2008, les crédits consacrés au
dispositif du «
droit à l’image collective
» ont ainsi été plus importants,
au sein du programme 219 «
Sport
», que l’ensemble des crédits votés
pour l’action «
Promotion du sport pour le plus grand nombre
», et
sensiblement autant que le total des actions «
Prévention par le sport et
protection des sportifs
» et «
Promotion des métiers du sport
» réunies :
cette aide accordée aux sportifs professionnels les mieux rémunérés est
donc désormais supérieure, à elle seule, à l’ensemble des crédits
budgétaires destinés au sport amateur, ou bien à la somme des crédits
consacrés à la lutte contre le dopage et à la reconversion professionnelle
des sportifs de haut niveau.
187) Le projet de loi de finances pour 2009 précise que l’ACOSS devra à l’avenir
transmettre au ministère chargé des sports les données individuelles qui lui sont
transmises par les employeurs des sportifs professionnels, mais sous une forme qui
restera anonymisée.
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
513
Enfin le ministère chargé des sports n’est pas en mesure de justifier
la légitimité budgétaire de ce dispositif, puisque son but essentiel - c’est-
à-dire retenir et faire revenir en France les meilleurs sportifs
professionnels - ne s’inscrit pas dans le cadre des sept objectifs du
programme «
Sport
», et n’est de ce fait suivi par aucun indicateur de
performance. En l’état actuel, ce mécanisme se situe hors du champ
d’application de la loi organique sur les lois de finances et n’est assujetti à
aucun impératif d’efficacité et d’efficience. La direction des sports a
indiqué qu’elle envisageait à terme de calculer pour le football, le rugby
et le basket-ball un indicateur d’efficacité constitué par le pourcentage
des joueurs des équipes de France évoluant dans des clubs français. Or,
au regard de l’objectif de ce dispositif, cet indicateur ne serait guère
pertinent : seule l’évolution, depuis sa mise en place, de la représentation
des clubs français au sein des équipes de France - et non le seul constat
statique du dernier pourcentage atteint - permettrait de rendre compte des
résultats obtenus.
III
-
Un dispositif globalement inefficace
A - Une première évaluation lacunaire
La direction des sports a reconnu qu’en l’absence d’informations
détaillées fournies par l’ACOSS, qui lui oppose le secret professionnel,
elle ne connaissait ni les rémunérations individualisées des joueurs
bénéficiaires, ni leur dispersion, ni enfin le montant total des avantages
tirés par chaque club de ce dispositif. Une première évaluation menée en
avril 2007 s’est en fait fondée largement sur une étude de l’association
nationale des ligues de sport professionnel : le ministère a ainsi été
amené, faute de moyens d’investigation suffisants, à s’appuyer sur une
analyse menée par les principaux bénéficiaires du dispositif qu’il avait
mis en place.
Cette évaluation a au demeurant abouti à des résultats peu
probants. Ainsi, pour le basket-ball, elle indiquait que le dispositif du
«
droit à l’image collective
» avait eu pour effet d’inciter quatre clubs à
changer de statut juridique, en adoptant un statut de société sportive. En
ce qui concerne l’objectif du maintien en France des meilleurs joueurs, le
ministère précisait en outre que le dispositif aurait «
incité les clubs à
rapatrier des joueurs français exilés en Espagne ou en Italie
», mais ne
citait à cet égard que deux exemples.
514
COUR DES COMPTES
En ce qui concerne le football, le ministère faisait état de
l’augmentation des charges sociales versées par les clubs professionnels,
de la hausse des recettes liées à l’impôt sur le revenu payé par les joueurs
professionnels, et de l’augmentation des retombées économiques liées à
l’attractivité des championnats de football professionnels : il ne précisait
pas, toutefois, en quoi ces évolutions étaient liées au mécanisme du droit à
l’image collective. De même, il évoquait le maintien ou le retour en France
de joueurs de haut niveau, mais ne produisait aucune donnée démontrant
que le solde des départs et des retours s’était inversé sous l’effet de ce
mécanisme d’exonération de charges sociales.
Enfin, le ministère indiquait, pour le rugby professionnel, que le
dispositif du droit à l’image collective avait renforcé la position des clubs
français, qui attiraient désormais des joueurs étrangers de premier plan.
Toutefois, dans ce cas également, il ne démontrait pas que l’avantage
concurrentiel des clubs français tenait à l’exonération partielle des
cotisations sociales, et non aux conditions globales de rémunération des
joueurs.
Au total, le ministère faisait donc part d’une attractivité plus forte
des clubs sportifs professionnels, du fait de l’avantage donné en matière de
charges sociales : il ne fournissait cependant aucun élément chiffré et
solide à l’appui de cette affirmation.
B - Un impact résiduel sur l’attractivité des clubs
En définitive, la direction des sports a elle-même reconnu, en
réponse aux observations de la Cour, que l’effet de ce dispositif, en ce qui
concerne le football, ne pouvait être que résiduel par rapport à l’attractivité
des salaires plus élevés servis par les plus grands clubs étrangers.
En effet, depuis sa mise en place, les départs des meilleurs joueurs
français vers l’étranger n’ont pas été interrompus, ni même freinés, et le
retour massif des joueurs les plus réputés, qui était attendu, ne s’est pas
produit. De fait, ce mécanisme, qui ne représente que 3 % environ du
budget des clubs professionnels français, ne peut suffire à lui seul à
compenser l’écart actuel des rémunérations versées par les clubs étrangers
les plus renommés, dont les budgets peuvent atteindre le double ou le triple
de ceux des clubs français les plus riches
188
. L’attractivité des grands clubs
188) Par exemple (étude Deloitte et Touche pour la saison 2006-2007) :
Real Madrid
351 M€, Manchester United 315 M€, FC Barcelone 290 M€, Chelsea 283 M€,
Arsenal 263 M€, Milan AC 227 M€, Bayern Munich 223 M€, Liverpool 198 M€,
Inter Milan 195 M€, AS Roma 157 M€, Tottenham 153 M€, Juventus Turin 145 M€,
Olympique Lyonnais
140
M€,
Newcastle 129 M€, Hambourg 120 M€, Schalke
114 M€, Celtic Glagow 111 M€, Valence 107 M€,
Olympique de Marseille
99 M€
.
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
515
étrangers se fonde en effet sur des ressources globales (billetterie, droits
dérivés, droits télévisés,…) nettement plus importantes, qui leur permettent
d’offrir aux joueurs des rémunérations sensiblement plus élevées.
Plusieurs exemples attestent que l’attractivité des autres pays
européens provient essentiellement de l’écart actuel des rémunérations
entre clubs français et clubs étrangers, ce qui rend marginal l’impact du
dispositif du droit à l’image collective. Ainsi, de 2005 à 2007, après
l'entrée en vigueur de ce dispositif, l'Olympique Lyonnais, qui est le club
de football français disposant du budget le plus important, n'a pas été en
mesure de conserver dans son effectif quatre joueurs de renom, partis
rejoindre des clubs anglais et espagnols malgré la volonté affichée du club
de garder ces footballeurs en son sein. De même, l’analyse de la liste des
23 joueurs sélectionnés dans l’équipe de France pour l’Euro de football de
juin 2008, montre que plus de la moitié, soit 13 joueurs, étaient rémunérés
par des clubs étrangers. Parmi ceux-ci, 7 joueurs étaient déjà expatriés
avant l’adoption du dispositif du droit à l’image collective et n’étaient pas
revenus depuis lors. En revanche, 5 autres joueurs étaient partis à
l’étranger après la mise en place de ce mécanisme. Enfin, un seul retour en
France, concernant un joueur en fin de carrière, pouvait être identifié
depuis cette date. L’analyse de la composition de l’équipe de France lors
de ses derniers matchs (France-Serbie, France-Tunisie) aboutit exactement
au même constat. Pour l’élite du football professionnel, le solde des
départs et des retours s’est en fait plutôt dégradé depuis la mise en place de
ce dispositif, contrairement à l’objectif qu’il était censé poursuivre.
Par ailleurs, l’attractivité du sport professionnel français a été plus
directement renforcée pendant la période récente par des mesures fiscales
générales, telles que la baisse de la tranche marginale d’impôt la plus
élevée à 40 % ou l’abaissement du bouclier fiscal à 50 % des revenus. Une
étude (
189
), citée dans le récent rapport du sénateur Michel Sergent sur le
droit à l’image collective des sportifs professionnels (avril 2008), et
analysant l’évolution des charges salariales et fiscales pesant sur les
joueurs de football de Ligue I, montre ainsi que, pour un salaire moyen
brut mensuel hors primes qui a progressé de 29 300 € en 2004-2005 à
40 800 € en 2006-2007, l’impôt sur le revenu a augmenté de 7 100 € à
11 800 € : il est donc passé de 29 % à seulement 32 % du salaire net, alors
même que celui-ci s’était accru de près de 40 %.
Une autre étude datée d’avril 2007
190
, citée dans le même rapport
sénatorial, montre en outre que, pour un même salaire brut mensuel de
100 000 €, le revenu net (après charges salariales et impôts) est du même
189)
Observatoire de l’Union financière de France.
190)
Source : Union financière de France.
516
COUR DES COMPTES
ordre en France (55,7 % du revenu brut), en Espagne (55,6 %) et en
Allemagne (55,5 %) : il n’est que légèrement inférieur à celui du
Royaume-Uni (59,7 %), et est nettement supérieur à celui de l’Italie
(48,8 %). Les joueurs professionnels français ne sont donc pas
particulièrement désavantagés par rapport à leurs homologues étrangers.
Le taux d’imposition par rapport au revenu est notamment le plus faible
en France (38,4 %, contre 39,5 % au Royaume-Uni, 44,3 % en Espagne,
44,0% en Allemagne et 46,3 % en Italie). Au total, le départ des sportifs
professionnels français vers l’étranger ne s’explique donc pas par des
charges fiscales et sociales qui seraient globalement nettement plus
défavorables.
Passage d’un revenu brut mensuel de 100 000 € au revenu net
en €
France
Royaume
- Uni
Espagne Allemagne
Italie
rémunération brute
100 000
100 000
100 000
100 000
100 000
cotisations salariales
9 600
1 350
200
950
9 100
impôt sur le revenu
34 700
39 000
44 200
43 600
42 100
rémunération nette
55 700
59 650
55 600
55 450
48 800
Source : Union financière de France – citée dans le rapport de la commission des
finances du Sénat sur le droit à l’image collective (avril 2008)
Le rapport publié en novembre 2008 sur la compétitivité du
football professionnel français par le secrétaire d'Etat chargé de la
prospective et de l’évaluation des politiques publiques expose à cet égard
des chiffres différents : il indique que, pour aboutir à une rémunération
annuelle nette de charges et d’impôts de 1,2 M€, la rémunération brute est
supérieure en France de 16 % par rapport à l’Angleterre ou à
l’Allemagne, contre 23 % avant la mise en place du dispositif du droit à
l’image collective. Ces chiffres montrent cependant que, si ce dispositif
est globalement coûteux pour le budget de l’Etat, son impact individuel
pour chaque joueur est en définitive relativement limité. En outre, ces
données ne prennent pas en compte l’effet de l’instauration du bouclier
fiscal, ce qui aboutirait à réduire l’écart entre la France et les autres pays
européens. Enfin, ce rapport, qui préconise le maintien de ce dispositif,
précise que les budgets des clubs anglais et allemands sont supérieurs de
respectivement 134 % et 42 % aux budgets des clubs français : il conclut
de la comparaison de ces chiffres que la compétitivité des clubs français
pâtit moins d’un surcroît de charges que d’un accès aux ressources plus
restrictif que dans les autres grands pays européens.
Une autre étude portant sur les rémunérations brutes 2007-2008
des footballeurs, publiée par un organisme spécialisé dans l'analyse de
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
517
l’économie européenne du football (
191
), précise enfin que le joueur le
mieux rémunéré par un club français - hors contrats publicitaires - se situe
seulement en 40
ème
position, avec un salaire brut annuel de 4,8 M€. Sur
les 40 rémunérations les plus élevées, on relève en revanche 18 joueurs
jouant dans des clubs anglais, 12 dans des clubs espagnols, 7 dans des
clubs italiens, et 2 en Allemagne.
Dans ces conditions, le ministère chargé des sports n’a pu que
reconnaître, en réponse aux observations de la Cour, que, pour le football,
l’effet du droit à l’image collective ne pouvait combler que de manière
mineure le différentiel de rémunération actuel entre les clubs français et
étrangers. Certes, il a précisé que ce constat était moins net pour le rugby,
mais il a également indiqué que les rémunérations des joueurs étaient
dans ce sport - à la différence du football - plus élevées dans les clubs
français : ce constat ne fait que confirmer que l’effet du différentiel de
rémunération est plus déterminant que celui de l’exonération des
cotisations sociales.
Le ministère a également entendu invoquer, pour défendre le
principe du droit à l’image collective, la nécessité de renforcer la
complémentarité et la solidarité entre le sport amateur et le sport
professionnel : toutefois, il n’existe aucun lien direct entre ce dispositif et
le soutien au sport amateur, et aucune disposition ne prévoit le
reversement à celui-ci d’une partie de l’avantage consenti aux clubs
professionnels. Au demeurant, le ministère a reconnu qu’il était soucieux
d’ajuster ce dispositif en vue d’encadrer la dépense publique et de
maintenir ainsi des équilibres globaux conformes à la conception
traditionnelle de l’unité entre sport professionnel et sport amateur : de
fait, compte tenu des ressources budgétaires limitées du ministère, ce
mécanisme diminue les crédits disponibles pour le sport amateur.
Certaines ligues professionnelles ont fait valoir que cette mesure
rapporterait plus aux finances publiques qu'elle ne coûte, dans la mesure
où, grâce à elle, les clubs rémunèreraient mieux leurs joueurs, qui de ce
fait paieraient plus d'impôts. Or, ce dispositif ne prévoit aucun lien entre
l’exonération de cotisations et l’évolution de la rémunération des joueurs.
Pendant la période récente, le salaire moyen brut mensuel des footballeurs
de Ligue 1 a en fait principalement augmenté en raison de l’augmentation
considérable des montants des droits de retransmission télévisée
192
et des
droits dérivés.
Dans ce contexte, le dispositif d’exonération des charges du droit à
l’image collective ne relève en réalité que d’un simple effet d’aubaine,
191)
Futebolfinanc
e.
192) Pour la Ligue 1 de football, ces droits se sont élevés à 653 millions d’euros par
an pour la période 2004-2008.
518
COUR DES COMPTES
qui apparaît d’autant plus discutable que la compétitivité des clubs
professionnels français n’a pas à être recherchée par des exonérations de
charges sociales supportées par les finances publiques. Ainsi que l’a
indiqué la direction du budget en réponse à la Cour, le mécanisme du
droit à l’image collective a sans doute constitué une facilité qui a retardé
une réflexion plus approfondie sur les facteurs structurels qui limitent la
compétitivité des clubs professionnels français, notamment la faiblesse
des fonds propres, le montant moins élevé des recettes d’entrées dans les
stades, l’importance moindre des droits dérivés, des droits télévisés moins
bien répartis entre tous les clubs.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La loi de finances initiale pour 2008, à la suite des préoccupations
manifestées par les parlementaires à l’égard de ce mécanisme
budgétairement coûteux, a prévu que le gouvernement devrait présenter
un rapport sur son efficience, sans toutefois fixer de délai à cet effet. De
même, le conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril
2008 a décidé un « réexamen du dispositif d’exonération des charges
sociales sur la rémunération du droit à l’image collective des sportifs
professionnels », mais sans en préciser les modalités. Par ailleurs, un
rapport d’information a été déposé en avril 2008 par le sénateur Michel
Sergent, qui, après avoir conclu à l’effet limité de ce dispositif sur
l’attractivité des clubs professionnels et à son coût croissant et
incontrôlable, a recommandé un plafonnement des revenus auxquels il
s’applique
193
. Enfin une disposition du projet de loi de finances pour 2009
prévoit que le dispositif ne pourra désormais se déclencher qu’au-delà
d’un seuil égal à quatre fois le plafond de la sécurité sociale : cette
mesure ne représenterait cependant qu’une diminution de 3,3 M€ de la
charge budgétaire pesant sur l’Etat.
Pour sa part, la Cour constate que quatre ans après sa création le
dispositif d’exonération complète des cotisations sociales - patronales et
salariales - normalement applicables à une partie des rémunérations
versées aux sportifs professionnels par leurs clubs n’a pas démontré son
efficacité par rapport au but recherché : les meilleurs sportifs
professionnels français continuent à partir à l’étranger, dans la mesure où
les véritables problèmes structurels de compétitivité des clubs français
dépassent manifestement la seule question des charges sociales, ainsi que
l’a indiqué le rapport récent du secrétaire d'Etat chargé de la prospective
et de l’évaluation des politiques publiques. Cet objectif, surtout, ne
s’inscrit pas de façon claire et cohérente dans le cadre de la politique
193) Cette recommandation visait à fixer pour les revenus exonérés un plafond d’un
montant égal à 15 fois celui de la sécurité sociale, soit 41 595 € bruts par mois.
LA REMUNERATION DU DROIT A L’IMAGE COLLECTIVE
DES SPORTIFS PROFESSIONNELS
519
mise en oeuvre par l’Etat dans le domaine du sport : aucun des objectifs
fixés par le programme « Sport » ne prévoit que, dans un contexte marqué
par les très fortes contraintes budgétaires actuelles, les écarts de
rémunérations entre sportifs professionnels français et étrangers ont
vocation à être
comblés par les
finances publiques. Cette charge n’a donc
pas à être financée par le budget de l’Etat, quel que soit le programme
support. En outre, son coût n’est pas maîtrisé.
Dès lors, la Cour recommande la suppression de ce dispositif et la
réaffectation des crédits ainsi libérés sur des actions plus directement en
rapport avec les objectifs assignés par les pouvoirs publics au programme
« Sport », tels que, en particulier, l’accroissement de la pratique sportive
découlant d’une meilleure formation des jeunes.
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COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
Je partage l’essentiel du diagnostic établi par la Cour des comptes,
dans son insertion « La rémunération du droit à l’image collective des
sportifs professionnels » (DIC), sur l’évaluation du dispositif actuel ainsi que
sur le poids de la compensation de l’exonération de charges dans le budget
du ministère, qui représente désormais 15 % des crédits du programme
Sport.
Je me félicite que la Cour reconnaisse, sur ce dernier point, les
progrès réalisés dans la sincérité de la budgétisation de cette dotation depuis
2008. C’est un effort qui, en effet, mérite d’être relevé.
Je partage également certaines des interrogations de la Cour sur
l’efficacité du DIC, dans sa forme actuelle, sur la compétitivité des clubs
français. Il est vrai que le DIC peut apparaître assez marginal au regard de
la forte progression des droits télévisuels ou des améliorations récemment
apportées à notre fiscalité, qu’il s’agisse de la baisse de la tranche
marginale d’imposition la plus élevée ou de l’instauration du « bouclier
fiscal ».
Les limites de l’efficacité du dispositif actuel ont conduit le conseil de
modernisation des politiques publiques à préconiser un réexamen du DIC,
qui s’est traduit par l’adoption d’une réforme à l’occasion du vote de la loi
de finances (LFI) pour 2009.
Aux termes des modifications apportées par la LFI pour 2009, les
seuils déclenchant l’application du DIC seront compris entre deux et huit
plafonds de sécurité sociale selon les disciplines sportives. Cette réforme
permettra d’améliorer le ciblage du DIC sur les joueurs les plus soumis à la
concurrence internationale en prenant en compte les situations particulières
de chaque discipline.
Cette réforme du DIC ne saurait cependant masquer les déterminants
structurels de la faible compétitivité des clubs français, tels qu’ils ont pu,
notamment, être relevés dans le rapport que vous avez récemment remis au
Premier ministre.
Un certain nombre de mesures complémentaires pourraient ainsi être
explorées, telle une augmentation des recettes de billetterie ou une évolution
de propriété des stades.