Sort by *
3.
Les jeunes
et la justice pénale
L’augmentation de la délinquance des jeunes de 15 à 25 ans
occupe une place importante dans le débat public et conduit
parfois à remettre en cause le fonctionnement de la justice
pénale. Dans ce contexte, la Cour a analysé la réponse pénale
à la délinquance des jeunes. Elle a circonscrit son analyse
au traitement judiciaire, après que les parquets ont été
saisis de faits mettant en cause des jeunes. Elle n’a examiné
ni l’action des forces de l’ordre, ni la protection des mineurs
en danger, ni les politiques de prévention de la délinquance.
Face aux jeunes de 15 à 25 ans, la réponse pénale n’est pas
homogène. Pour les mineurs, elle obéit à des principes de
valeur constitutionnelle, reconnus par les traités internationaux,
visant à garantir les droits fondamentaux de l’enfant. Ils
se traduisent par la primauté de l’éducatif sur le répressif,
l’atténuation de la responsabilité et l’intervention d’une
juridiction spécialisée, le tribunal des enfants. À partir
de 18 ans, la réponse marque une rupture, les « jeunes
majeurs » basculant dans le droit commun des procédures
et des conditions d’exécution des peines.
191
Le présent chapitre analyse l’importance de cette rupture et de ses conséquences
pour les jeunes. Il souligne, au préalable, la difficulté à caractériser l’évolution de
la délinquance des jeunes. Enfin, il identifie des leviers pour améliorer l’efficacité
aujourd’hui limitée de la réponse pénale.
192
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
193
Chiffres clés
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
Les 8,2 millions de jeunes de 15 à 25 ans constituent
12 % de la population française, ils représentaient
26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis
et 35 % des condamnés en 2023
61
%
c’est la part de jeunes
de 15 à 25 ans parmi
les condamnés
pour infractions à
la législation sur les
stupéfiants
Source : ministère de la justice,
SG, SSER, fichier statistique Cassiopée
(données au 31 mars 2024)
9,4 mois
pour les mineurs, les délais de jugement
sont passés de 23 mois en moyenne
après les faits en septembre 2021 à
9,4 mois en septembre 2023, à la suite
de la réforme du code de la justice
pénale des mineurs
6
,6 %
c’est le taux de peines
d’emprisonnement (en tout ou
partie fermes) sur l’ensemble des
peines prononcées à l’encontre
des mineurs en 2022. Ce taux est
de 22,5 % pour les majeurs.
45
%
des jeunes de 1
5 à 25 ans
condamnés sur la période de
2010 à 2022 l’ont déjà été au
moins une fois dans leur passé
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
194
I.
La délinquance des jeunes, un phénomène
difficile à caractériser
Les statistiques ne reflètent qu’imparfaitement la délinquance des jeunes, qui font
plus fréquemment l’objet de procédures pénales que le reste de la population.
Insuffisantes, ces statistiques gagneraient à être complétées par une analyse plus
précise et qualitative.
A.
Une surreprésentation des jeunes au sein
de la population pénale
Alors que les 8,2 millions de jeunes de 15 à 25 ans constituent 12 % de la population
française, ils représentaient 26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis et 35 %
des condamnés en 20231. Cette surreprésentation des jeunes dans la population
pénale traduit des évolutions tant dans le nombre des affaires transmises que dans
la nature des affaires poursuivies.
Définitions
-
Mis en cause : personne suspectée d’avoir commis un délit ou un crime
et qui fait l’objet d’une procédure transmise au Parquet.
-
Personne poursuivie : personne mise en cause qui fait l’objet
d’un déclenchement de l’action publique (c’est-à-dire le déclenchement
des procédures judiciaires) devant la juridiction compétente.
-
Personne condamnée : personne poursuivie ayant fait l’objet d’une
décision rendue par une juridiction pénale de jugement contenant une
déclaration de culpabilité et emportant une ou plusieurs sanctions.
1.
Une baisse du nombre d’affaires transmises aux parquets
L’indicateur retenu par le ministère de la justice pour caractériser l’évolution de
la délinquance des jeunes est le nombre d’affaires transmises aux parquets dans
lesquelles des jeunes sont mis en cause. Cet indicateur est toutefois contesté
car son évolution est liée à de nombreux facteurs. Outre l’activité des forces de
sécurité, la facilité avec laquelle les victimes déposent plainte et les orientations
données localement par les parquets influent sur le nombre de jeunes mis en cause.
1.
Ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique Cassiopée (données au 31 mars 2024).
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
195
L’indicateur reflète également l’évolution de la loi pénale, qui traduit la sensibilité
de la société et sa perception de ce qui constitue un acte de délinquance. Ainsi, les
dernières décennies ont été marquées par une augmentation de la criminalisation,
c’est-à-dire du nombre des qualifications pénales contenues dans le code pénal.
Les faits passibles de poursuites sont ainsi passés de 10 100 en 1994 à 13 350
en 2014
2
. Une étude récente a également montré que 42 % des condamnations
prononcées en 2018 par les tribunaux correctionnels et les juridictions pour
mineurs portaient sur des infractions routières alors que, quinze ans auparavant,
ces faits ne relevaient pas de la sphère correctionnelle. Ces évolutions ont contribué
au doublement du nombre de mineurs mis en cause de 1992 à 2010
3
.
En revanche, le nombre de jeunes de 15 à 25 ans mis en cause est passé de 630 629
en 2014 à 515 517 en 2023
4
, soit une diminution de 18,2 %. Cette réduction a surtout
concerné les atteintes aux biens (dont le nombre est passé de 189 608 en 2014 à
131 591 en 2023) et les infractions à la législation sur les stupéfiants (de 111 598 en
2014 à 58 565 en 2023). La mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD)
de 200 euros en cas d’usage illicite de produits stupéfiants, par la loi n° 2019-1446
du 24 décembre 2019
5
, qui éteint l’action publique en cas de paiement immédiat, a
contribué à cette diminution. Une tendance comparable avait été observée en 2016
lors de la création des AFD pour réprimer les délits routiers. Au 31 décembre 2022,
l’AFD pour consommation de stupéfiants avait permis de verbaliser 277 883 délits
depuis sa généralisation au 1
er
septembre 2020
6
. En 2022, 143 000 AFD pour
consommation de stupéfiants ont été délivrées, soit 11 900 par mois en moyenne.
GRAPHIQUE N° 1 | Évolution du nombre de mis en cause par classe d’âge
de 2014 à 2023
0
100
000
200
000
300
000
400
000
500
000
600
000
700
000
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
15-17
18-25
Total
Source : Cour des comptes d’après SDSE, série sur 2014/2023 des mis en cause, poursuivis et
condamnés 15/25 ans
2.
Cf.
La fabrique des jugements. Comment sont déterminées les sanctions pénales
, Arnaud Philippe,
La Découverte, Collection Sciences humaines, 2022.
3.
Passant de 98 000 à 216 000, Infostat n° 186 : un aperçu statistique du traitement pénal des mineurs.
4.
Source : ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique Cassiopée (données au 31 mars 2024).
5.
Article L. 3421-1 du code de la santé publique.
6.
Source, rapport d’activité de l’ANTAI (https://www.antai.gouv.fr/sites/default/files/ 20243/Rapport%20
d%E2%80%99activit%C3%A9%202022).
196
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
2.
Une proportion croissante d’atteintes à la personne
La structure de la délinquance des jeunes de 15 à 25 ans a elle aussi évolué depuis
10 ans. La part des mis en cause pour des atteintes aux personnes augmente,
tandis que celle pour des atteintes aux biens et pour des infractions à la législation
sur les stupéfiants diminue, sans doute en lien avec la montée en puissance des
amendes forfaitaires délictuelles.
Malgré ces évolutions, les jeunes de 15 à 25 ans restent surreprésentés pour les
infractions à la santé publique et notamment à la législation sur les stupéfiants,
pour lesquelles ils représentent 61 % de la population condamnée. Ces infractions
atteignent un pic à 18 ans, avec une augmentation significative dès 14 ans. À
partir de 18 ans, les infractions liées à la circulation routière se multiplient et
plafonnent à 22 ans.
GRAPHIQUE N° 2 | Répartition des mis en cause par type d’affaires en 2014 et 2023
21
%
32
%
18
%
9
%
18
%
2
%
1
%
27
%
26
%
22
%
12
%
11
%
1
%
7 Atteinte
à l'environnement
1 Atteinte à la personne humaine
2 Atteinte aux biens
3 Circulation et transport
4 Atteinte à l'autorité de l
’É
tat
5 Infraction à la législation des stupéfiants
6 Atteintes économiques, financières et sociales
1 %
Source : ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique Cassiopée (données au 31 mars 2024)
Parmi les mineurs délinquants, certains commettent parfois des faits d’une extrême
violence, largement relayés par les médias. Cette évolution est toutefois difficile à
apprécier. Si l’on se réfère aux affaires jugées, le nombre de mineurs âgés de 15 à 17 ans
condamnés pour crimes (viols, homicides et violences volontaires, vols criminels et
autres crimes) est passé de 146 en 2012 à 57 en 2022
7
. Néanmoins, sur la période la plus
récente, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse fait état d’une tendance
à la hausse du nombre et des durées d’incarcération, pour des faits d’une extrême
violence et qui concernent parfois des mineurs qui n’ont pas atteint l’âge de 15 ans.
B.
Un appareil statistique à adapter
Les statistiques disponibles ne reflètent qu’imparfaitement la réalité de la délinquance
des jeunes. Aussi, la Cour des comptes souligne régulièrement la nécessité, pour le
ministère de la justice, de se doter d’un appareillage statistique lui permettant de
mieux suivre ces évolutions
8
.
7.
Ministère de la justice, secrétariat général, service de la statistique, des études et de la recherche, fichier
statistique du casier judiciaire national des personnes physiques.
8.
Cour des comptes,
Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs
,
observations définitives, juillet 2023.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
197
Le ministère a conscience de ces insuffisances et a pris des initiatives pour y
répondre, en structurant son service statistique ministériel et en créant des pôles
spécialisés au sein des directions de l’administration pénitentiaire (DAP) et de la
direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). Mais les défaillances de
ses applicatifs « métiers » et les aléas budgétaires freinent la mise en place des
outils, comme l’illustrent les difficultés de création du Panel des jeunes et celles de
l’application informatique Parcours
9
. Les progrès, récents, dans la méthodologie
de récolement de données devraient permettre, à court terme, de les faire aboutir
et de disposer enfin d’un outil de suivi et d’analyse du parcours des jeunes. Le choix
d’élargir le public suivi de 15 à 25 ans devrait permettre de mieux caractériser et
suivre ces parcours délinquants.
Le panel des mineurs et son extension aux jeunes de moins de 26 ans
La création d’un « Panel des mineurs » a été décidée en 1996, afin de décrire
les trajectoires sociales et judiciaires des mineurs délinquants et d’analyser
l’impact des décisions prises en matière d’assistance éducative et au pénal.
S’il a permis de calculer dès 2007 un indicateur de performance de la DPJJ
et d’alimenter des études sur la trajectoire des mineurs, le déploiement
du logiciel « Cassiopée » dans les juridictions pénales en 2008 a compromis
l’alimentation du panel en données.
L’outil a été réactivé en 2018 et son périmètre étendu aux jeunes
majeurs de moins de 26 ans. Selon le ministère de la justice, les travaux
de développement informatiques, dont une partie notable concerne
l’appariement des données, devraient être achevés en 2025.
Dans cette attente, les études qualitatives offrent des indications précieuses.
Des travaux de recherche ont par exemple dressé une typologie distinguant
les délinquants ayant commis des
« bêtises de jeunesse »
, dont la plupart ne
récidivent pas, les délinquants
« pathologiques »
, connaissant des troubles de
santé mentale et des addictions, souvent associés à une grande marginalité,
la délinquance
« d’exclusion sociale qui alimente frustration et violence »
ou
celle de
« protestation »
. Ces travaux doivent être mis en regard de ceux, moins
académiques, conduits notamment à la suite des violences urbaines de l’été
2023. Ils ont mis en évidence une diffusion de la délinquance à l’ensemble du
territoire national, y compris en zone rurale et semi-urbaine, ainsi que des formes
plus marquées de violence avec une surreprésentation des jeunes majeurs.
9.
Outil de pilotage de l’activité et du suivi des mesures éducatives du secteur public de la PJJ, déployé en
2021, mais dont toutes les fonctionnalités ne sont pas encore finalisées.
198
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
Le profil sociologique des jeunes interpelés lors de l’épisode
des violences urbaines de l’été 2023
Les études des inspections générales ont montré que les jeunes impliqués
dans les violences urbaines de l’été 2023 étaient majoritairement des hommes
de nationalité française, âgés de moins de 25 ans, peu diplômés, célibataires
et sans enfant (73 % des émeutiers condamnés). Les études soulignent qu’ils
ont un
« rapport décomplexé à la violence »
et se distinguent par un
« manque
d’ancrage citoyen »
. Par rapport aux émeutes de 2005, les villes moyennes,
les centres-villes et les communes rurales ont également été concernés, et
non plus seulement les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Un rapport du Sénat
10
établit des constats similaires et souligne
que les mineurs déférés
« présentent un profil relativement homogène,
marqué par des fragilités sociales mais dans une proportion bien inférieure
à celle constatée chez les jeunes habituellement ancrés dans la délinquance »
.
II.
L’âge de la majorité, une rupture
qui conditionne la réponse pénale
En application de principes de valeur constitutionnelle, reconnus par les traités inter-
nationaux, visant à garantir les droits fondamentaux de l’enfant, la justice pénale
traite différemment les mineurs et les jeunes majeurs. À 18 ans, une rupture brutale
s’opère en termes de procédures de jugement comme d’exécution des peines.
A.
Des procédures et des décisions judiciaires
différenciées
Le passage à la majorité constitue une rupture tant du point de vue des procédures
suivies que des réponses effectivement données aux actes délinquants des jeunes.
1.
Une rupture forte dans le processus de décision
Pour les mineurs, la justice pénale respecte des principes et des droits spécifiques,
qui émanent notamment du droit international. La convention internationale des
droits de l’enfant (CIDE) du 20 novembre 1989 prévoit le jugement des mineurs par
un tribunal spécialisé, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la présomption de
non discernement. Par une décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a
érigé ces principes en principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
10.
Rapport d’information n° 885 du Sénat sur la délinquance des mineurs, du 21 septembre 2022.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
199
L’excuse de minorité pour les mineurs
Souvent qualifiée d’excuse de minorité, l’atténuation de responsabilité
pour les mineurs est définie par l’article 122-8 du code pénal
11
. Elle a deux
traductions :
-
Un mineur de moins de 13 ans est présumé incapable de discernement
à défaut de comprendre les conséquences de ses actes. L’article L. 11-1
du code de la justice pénale des mineurs prévoit ainsi que
« lorsqu’ils sont
capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du code civil,
sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils
sont reconnus coupables. Les mineurs de moins de treize ans sont présumés
ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize
ans sont présumés être capables de discernement »
. Cette présomption n’est
toutefois pas irréfragable : elle peut être renversée à tous les stades de la
procédure par le magistrat. Si des éléments de procédures font apparaître
que le mineur de moins de 13 ans est capable de discernement, le procureur
peut engager l’action publique et le juge le condamner.
-
Lorsque les mineurs sont poursuivis et jugés coupables, le code de la
justice pénale des mineurs, comme avant lui l’ordonnance du 2 février 1945
relative à l’enfance délinquante, prévoit l’atténuation de leur responsabilité.
Avant 13 ans, seule une mesure éducative peut être prononcée. Ensuite,
si une peine privative de liberté ou une amende est décidée, l’excuse
de minorité s’applique et a pour effet de diminuer de moitié la peine
normalement encourue (articles L. 121-5 et L. 121-6 du code de la justice
pénale des mineurs). Pour les plus de 16 ans, elle peut être écartée
par le juge dans des conditions fixées par l’article L. 121-7 du code
« à
titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la
personnalité du mineur »
.
Les mineurs bénéficient ainsi d’un examen approfondi de leur situation individuelle
par le juge des enfants, dans le cadre d’une procédure qui privilégie une réponse
éducative et personnalisée. L’entrée en vigueur du code de la justice pénale des
mineurs s’est inscrite dans cette logique en organisant le traitement judiciaire des
procédures concernant les mineurs en deux audiences, séparées par une période
probatoire et d’évaluation approfondie. Cette nouvelle organisation a permis de
réduire les délais de jugement, qui sont passés de 23 mois en moyenne en septembre
2021 après la commission des faits à 9,4 mois en septembre 2023
12
.
11.
Il indique :
« les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes,
délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, en tenant compte de l’atténuation de
responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge, dans des conditions fixées par le Code de la justice
pénale des mineurs »
.
12.
Réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, code de la justice pénale des mineurs, présentation de la
réforme, document de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.
200
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
SCHÉMA N° 1 | Principales étapes de la procédure de jugement des mineurs
issues du code de justice pénale des mineurs
Commission des faits
3 mois max
enquête
Audience de culpabilité
Audience de sanction
De 6 à 9 mois
période probatoire
Source : Cour des comptes d’après ministère de la justice
Ce traitement et cette différenciation tranchent avec la justice de droit commun
qui s’applique aux jeunes majeurs. Pour eux, comme pour les majeurs de plus de
25 ans, la justice a largement recours aux procédures simplifiées qui sont devenues
désormais majoritaires
13
. À 18 ans, les jeunes passent ainsi d’une justice spécialisée
et individualisée, qui s’incarne dans le juge des enfants, à une justice qui privilégie
la rapidité de la réponse pénale. Celle-ci est également différenciée en termes de
décisions prises.
Les procédures pénales simplifiées
L’ordonnance pénale est une procédure simplifiée utilisée pour traiter
les affaires pénales simples et de faible gravité. Elle permet de juger
rapidement, sans audience, et prend en compte l’indemnisation de la
victime. Les jugements pris selon cette procédure représentent 38 % des
poursuites devant le tribunal correctionnel
14
.
La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) permet
de juger rapidement l’auteur d’une infraction qui reconnaît sa culpabilité.
Les CRPC représentent 20 % des procédures.
Les comparutions immédiates (49 000 affaires en 2022) permettent de faire
juger une personne tout de suite après sa garde à vue quand les indices
sont suffisants et que l’affaire est en état d’être jugée.
2.
Des peines plus lourdes au-delà de 18 ans
La réponse pénale privilégie davantage les alternatives aux poursuites pour
les mineurs que pour les jeunes majeurs. Les alternatives à l’incarcération sont
devenues plus systématiques. Ainsi, la réponse pénale est progressive et la
probabilité d’être condamné à des peines de prison augmente avec l’âge.
13.
60 % en 2022. Cf.
L’activité pénale des juridictions, justice pénale
, édition 2023.
14.
Ibid n° 28.
a)
Les alternatives aux poursuites
À l’égard des mineurs comme des jeunes majeurs, la politique pénale entend
donner une réponse rapide et systématique aux actes de délinquance. Bien qu’en
légère baisse, le taux de réponse pénale s’établissait ainsi en 2023 à 87 % pour
les mineurs et à 89 % pour les jeunes majeurs de moins de 25 ans
15
. Dans cette
réponse pénale, les alternatives aux poursuites occupent une place essentielle.
Décidées par le procureur, ces alternatives ne débouchent pas sur une condamnation
inscrite au casier judiciaire, mais, par exemple, sur un stage de sensibilisation, un rappel
à la loi ou un travail non rémunéré. Pour les mineurs, leur part dans la réponse pénale
est passée de 64,4 % en 2014 à 55,5 % en 2023. Cette part est moins importante
pour les jeunes majeurs. Elle est passée de 44 % à 29,8 % sur la même période.
b)
Les alternatives à l’incarcération
Lorsque le Parquet décide de poursuivre, les affaires sont renvoyées devant la
juridiction compétente, qui peut prononcer des condamnations sous forme de
peines, applicables aux mineurs et aux majeurs, et de sanctions et mesures éducatives,
réservées aux seuls mineurs. La peine peut consister en une incarcération dans un
établissement pénitentiaire ou en une alternative à l’incarcération.
Les alternatives à l’incarcération ont été systématisées par la loi du 23 mars 2019 de
programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Elles peuvent prendre des
formes diverses : amendes, sursis, détention à domicile sous surveillance électronique,
travail d’intérêt général. Les mineurs pouvaient faire l’objet, jusqu’en 2021, de
sanctions éducatives, relativement peu fréquentes et, depuis 2021, de mesures
éducatives judiciaires, mises en œuvre par la PJJ. En 2023, ces dernières représentaient
18 % des peines et mesures prononcées à l’encontre de mineurs.
c)
La probabilité d’être condamné à des peines d’emprisonnement
augmente avec l’âge
Pour les majeurs, l’incarcération est une décision beaucoup plus fréquente que
pour les mineurs. En 2022, sur les 516 608 peines prononcées par les juridictions
pénales à l’encontre de personnes majeures, 116 407 étaient des peines d’empri-
sonnement en tout ou partie fermes, soit 22,5 %. Pour les mineurs, au contraire, la
prison constitue un dernier recours. Sur les 50 068 peines prononcées à l’encontre
de mineurs en 2022, 3 313 étaient des peines d’emprisonnement fermes ou en
partie fermes, soit 6,6 %
16
.
Moins nombreux à être incarcérés, les mineurs le sont généralement pour des
peines ne pouvant être aménagées, en particulier en raison du niveau élevé de
gravité des crimes commis. Les aménagements de peines sont en conséquence
moins fréquents pour les mineurs. Au 1
er
janvier 2024, 7,3 % seulement des mineurs
écroués en bénéficiaient, contre 18,3 % pour les majeurs.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
201
15.
Ministère de la justice, SSER-SID/Cassiopée, traitement DACG/PEPP.
16.
Chiffres clés de la justice 2023.
Cette différenciation de la réponse pénale entre mineurs et jeunes majeurs reflète
celle des infractions commises. Ainsi, par exemple, les infractions routières font
davantage l’objet de poursuites pour les 18-25 ans (61,7 % en 2023) que pour
les 15-18 ans (22,5 %)
17
. La différenciation traduit également la progressivité de
la réponse pénale et l’aggravation de la récidive. Celle-ci contribue à ce que la
probabilité d’incarcération progresse avec l’âge. Une étude de l’Insee, parue en
2016
18
et malheureusement non renouvelée, a ainsi montré qu’après 18 ans, la
probabilité d’être condamné à de la prison ferme est multipliée par 2,4 à 24 ans
par rapport à 17 ans. La probabilité d’être condamné à un travail d’intérêt général
plutôt qu’à une peine de prison avec sursis se situe au plus haut à 17 et 18 ans et
décline ensuite : elle est divisée par 1,8 à 24 ans par rapport à 17 ans.
B.
Une rupture qui s’accentue en termes de prise
en charge
Une fois la condamnation prononcée, ses conditions d’exécution divergent
fondamentalement selon l’âge des jeunes. La rupture concerne tant les modalités
du suivi que les conditions d’hébergement pour ceux qui sont condamnés le plus
lourdement.
1.
Un suivi moins individualisé pour les jeunes majeurs
Jusqu’à 18 ans, les jeunes sont pris en charge par les éducateurs de la protection
judiciaire de la jeunesse (PJJ), sous le contrôle d’un juge pour enfants. À partir de
18 ans, la prise en charge est assurée par les agents des services pénitentiaires
d’insertion et de probation (SPIP), sous l’autorité du juge d’application des peines
(JAP). Ce changement bouleverse le rapport des jeunes avec les agents qui les
suivent, d’autant plus que les moyens mobilisés par les deux administrations
contrastent.
Un éducateur de la DPJJ en milieu ouvert a en charge entre 25 et 30 mineurs. Ce
nombre est deux fois plus important pour les personnels des SPIP, qui suivent en
moyenne 66 condamnés majeurs. Ce
ratio
, qui s’est amélioré avec l’augmentation
du nombre des emplois alloués à l’administration pénitentiaire, masque des écarts
parfois importants. Certains révèlent une difficulté à pourvoir les postes
19
de sorte
que localement, certaines situations peuvent être plus dégradées, notamment en
milieu fermé.
202
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
17.
Source : ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique Cassiopée (données au 31 mars 2024).
18.
Insee Références, édition 2016–Éclairage–
La délinquance des jeunes.
19.
En 2022, le taux de couverture des postes n’était ainsi que de 78 %.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
203
GRAPHIQUE N° 3 | Évolution du ratio de personnes placées sous main de justice
(PPSMJ) suivies par agent des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP)
75
70
71
68
66
60
62
64
66
68
70
72
74
76
2019
2020
2021
2022
2023
Source : DAP
2.
Des conditions d’hébergement qui se dégradent
Lorsqu’un hébergement est nécessaire, la prise en charge des mineurs s’effectue
dans des structures différenciées. Hors incarcération, elle est gérée par les services
de la protection judiciaire de la jeunesse. Si l’incarcération est décidée, elle intervient
soit dans des établissements pour mineurs, soit dans les quartiers pour mineurs,
qui abritent les deux tiers des mineurs incarcérés.
Les principales structures de prise en charge de mineurs
Les mesures gérées par la protection judiciaire de la jeunesse concernent
3 500 mineurs en moyenne. Ceux-ci sont hébergés dans trois catégories de
structures.
-
53 centres éducatifs fermés (CEF) accueillent les mineurs multi-réitérants
de 13 à 18 ans. Le qualificatif « fermé » renvoie aux conséquences juridiques
d’une fugue éventuelle. Le
ratio
moyen d’encadrement est de 26,5 agents
pour 12 mineurs.
-
Les centres éducatifs renforcés (CER) accueillent des mineurs en situation
de marginalisation et de récidive pour une durée de quatre à cinq mois.
-
Les unités éducatives d’hébergement collectif (UEHC) accueillent jusqu’à
12 mineurs sous mandat judiciaire.
Quand l’incarcération est décidée, les mineurs sont placés dans des structures
relevant de l’administration pénitentiaire, dans lesquelles la PJJ intervient.
204
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) accueillent
de 55 à 60 mineurs. En 2022, les EPM accueillaient 40 % des mineurs
détenus. Le ministère de la justice prévoit 72 emplois de surveillants, deux
personnels de direction de la direction de l’administration pénitentiaire,
auxquels s’ajoutent 45 emplois de la protection judiciaire de la jeunesse, dont
36 éducateurs. Huit personnels d’enseignement et des personnels de santé
complètent le dispositif d’accompagnement des mineurs.
-
Les quartiers pour mineurs (QM) sont implantés dans des établissements
pénitentiaires pour adultes. Les cellules des mineurs sont strictement
séparées de celles des adultes. Les moyens mis en œuvre dans les quartiers
pour mineurs sont 4,7 fois moins importants que dans les établissements
pénitentiaires pour mineurs.
Ces modalités de prise en charge différenciées se traduisent par des coûts
de journée qui varient de 144 € par jour pour les QM à 601 € pour les EPM
et 643 € pour les CEF gérés par des associations en 2021
20
.
En détention, les mineurs bénéficient d’un cadre plus protecteur. L’encellulement
individuel est obligatoire. Une large place est laissée à l’enseignement et à la
formation et les conditions de vie font l’objet d’un encadrement strict (interdiction
de fumer, extinction de la télévision à partir de 22 heures). L’accès aux parloirs est
également plus fréquent, les promenades sont plus longues et en petits groupes.
Un emploi du temps structure la vie des mineurs et les contraint à s’inscrire dans
des actions éducatives.
Pour les jeunes majeurs, les modalités de détention sont très différentes,
a fortiori
pour ceux qui sont incarcérés dans des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation
est élevé. Ces modalités se répercutent sur les conditions de vie au quotidien,
ainsi que sur les possibilités offertes en matière de travail, d’enseignement ou de
formation. Pour les jeunes majeurs, l’incarcération s’accompagne souvent d’une
inactivité et d’un temps passé pour l’essentiel en cellule dans un cadre caractérisé
par une grande promiscuité.
C’est en prison que le passage à la majorité constitue un véritable
« choc carcéral »
,
selon la terminologie des professionnels. D’après une enquête de l’Institut national
de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep)
21
, ce passage à la majorité en
prison est souvent mal vécu par les jeunes, qui redoutent d’être victimes de
violences, les conséquences de l’encellulement avec d’autres codétenus et la
fin du lien avec les éducateurs des services de la protection judiciaire de la
jeunesse qu’ils avaient l’habitude de côtoyer.
20. Cour des comptes, Rapport précité sur les CEF et les EPM, juillet 2023.
21.
Injep,
Expériences du passage à la majorité des jeunes incarcérés
, n° 68, mai 2023.
C.
Des initiatives trop limitées pour atténuer la rupture
à la majorité
Pour atténuer l’impact du passage à la majorité, des mesures ont été prises mais
elles restent peu nombreuses. Les jeunes condamnés peuvent ainsi continuer à
bénéficier d’un suivi de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse jusqu’à
21 ans. C’est le cas à Marseille, par exemple, où cette modalité profite à 41 % des jeunes
suivis. De même, les mineurs détenus dans des quartiers ou des établissements
pénitentiaires pour mineurs peuvent y rester jusqu’à 18 ans et six mois. En 2024,
six jeunes majeurs seulement étaient dans cette situation.
Certains établissements pénitentiaires ont pris des initiatives pour atténuer l’effet
de la rupture pour les 18-25 ans. À Bourg en Bresse, un
« quartier jeunes majeurs »
a été aménagé pour accueillir 20 détenus qui doivent signer une charte dans
laquelle ils s’engagent
« à respecter les règles, à maintenir des relations cordiales et
respectueuses avec l’ensemble des professionnels ainsi que la tranquillité des autres
détenus »
. Une démarche comparable a été lancée à Villepinte. Ces initiatives se sont
faites à moyens constants, sans évaluation à ce jour. Dans un contexte d’aggravation
de la suroccupation dans les maisons d’arrêt, la direction de l’administration
pénitentiaire n’envisage pas de les promouvoir.
De fait, l’accompagnement du passage à la majorité se limite souvent à des échanges
d’informations entre les services concernés. Des dispositions règlementaires les
autorisent et des directives de l’administration centrale incitent les services à mieux
se coordonner
via
notamment la conclusion de protocoles. La refonte des projets
d’établissement doit être l’occasion de les mettre en place et constitue un point
d’attention pour le ministère, en cas de labellisation notamment. Mais ces initiatives,
bienvenues, restent limitées faute de place et de moyens pour les développer.
III.
Une efficacité réduite, un approfondissement
nécessaire des politiques partenariales
La justice pénale à l’égard des jeunes de 15 à 25 ans mobilise des moyens qui ne
sont pas clairement identifiés, mais que la Cour a estimé
a minima
à 2 Md€ par an.
Sur ce total, 34,9 % correspondent au coût de l’incarcération des jeunes majeurs,
34,5 % à celui de la prise en charge des mineurs par la protection judiciaire de la
jeunesse et 27,6 % aux procédures de jugement.
En dépit de ces moyens, la capacité de la justice pénale à prévenir la récidive
des jeunes paraît limitée. Elle gagnerait à être mieux articulée avec les autres
politiques publiques.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
205
206
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
A.
Une efficacité limitée et mal évaluée
La prévention de la récidive est inscrite dans la loi comme l’un des objectifs de la
peine. Or les études quantitatives et qualitatives convergent et montrent que la
récidive est importante pour les jeunes délinquants de 15 à 25 ans, qu’ils soient
pris en charge par le milieu fermé ou le milieu ouvert. Pour mieux comprendre ses
déterminants et améliorer l’efficacité de la justice répressive à l’égard des jeunes,
le dispositif d’évaluation doit être amélioré.
1.
Une politique à l’égard des jeunes qui n’atteint pas ses objectifs
L’article 130-1 du code pénal
22
fixe notamment à la peine l’objectif d’assurer
la protection de la société et de prévenir la commission de nouvelles infractions.
L’article L. 11-2 du code de la justice pénale des mineurs précise pour sa part que
« les
décisions prises à l’égard des mineurs tendent à leur relèvement éducatif et moral
ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes »
.
Cet objectif peut difficilement être considéré comme atteint. Sur la période de
2010 à 2022, le taux de jeunes de 15 à 25 ans condamnés en état de récidive ou de
réitération légales
23
est resté stable, autour de 45 %. Ainsi, près de la moitié des
jeunes condamnés l’ont déjà été au moins une fois dans leur passé. En outre, le
taux de récidive chez les jeunes est, de manière constante, plus élevé que dans le
reste de la population condamnée.
GRAPHIQUE N° 4 | Taux des personnes condamnées en état de récidive
ou de réitération selon leur âge
34 %
36 %
38 %
40 %
42 %
44 %
46 %
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Autres
15-25 ans
Source : Cour des comptes à partir des données du ministère de la justice
22.
Article 130-1 du code pénal : Afin
« d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles
infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :
1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ;
2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion »
.
23.
La récidive légale correspond à la commission, dans une période de dix ans après la condamnation pour
un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement par la loi, d’un crime ou délit puni de la même peine
(articles 132-8 à 11 du code pénal). Il y a réitération lorsqu’une personne, déjà condamnée, commet une
nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale (article 132-16-1 du code pénal).
Une étude statistique parue en juin 2022
24
montre que 54 % des personnes
condamnées une première fois au cours de leur minorité ont été de nouveau
condamnées à des peines
25
ou des sanctions éducatives
26
dans les cinq années
suivantes. Lorsque les intéressés avaient été condamnés plus d’une fois au cours
de leur minorité, le taux de récidive est de 79 %. Le taux de récidive est plus
important pour les outrages ou les infractions à la circulation routière (63 %) que
pour les vols et recels (51 %) ou les viols ou agressions sexuelles (31 %).
Le niveau élevé de la récidive se retrouve quelles que soient les formes de
condamnation.
Pour les condamnés à de la prison ferme, une étude de cohorte réalisée en 2011 sur
un échantillon de 7 000 sortants de prison entre le 1
er
juin et le 31 décembre 2002
27
a montré que 59 % d’entre eux étaient de nouveau condamnés dans les cinq ans
après leur libération, dont 46 % à au moins une peine d’emprisonnement ferme
pour délit ou crime. Les trois quarts des condamnés (75 %) qui étaient mineurs lors
de l’écrou ont été recondamnés (soit 16 points de plus que la population générale)
et 66 % sont recondamnés à la prison dans les cinq ans (soit 20 points de plus que la
population générale). L’étude montre que les taux de récidive des libérés qui avaient
été condamnés à une peine de cinq ans et plus sont moins élevés (37 % de taux de
recondamnation et 29 % de taux de prison ferme) que ceux des libérés condamnés
à des peines plus courtes.
L’efficacité des mesures de milieu ouvert (éducatives ou d’alternatives à l’incar-
cération) n’est pas plus établie. Un rapport de recherche de l’École nationale de
la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), paru en mars 2022
28
, a analysé les
parcours de 521 909 jeunes, nés entre 1975 et 2007, ayant commis au moins une
infraction pénale durant leur minorité et dont la trajectoire a été suivie jusqu’à l’âge
de 25 ans. Il montre que 61 % des mineurs ont commis une deuxième infraction à
une date ultérieure, dont 34 % avant la majorité et 27 % après 18 ans. Ces taux sont
minorés car une partie de la population examinée (32 %) n’avait pas encore atteint
l’âge de 25 ans au moment de l’observation. Certains des jeunes concernés ont
donc pu commettre de nouvelles infractions par la suite, qui n’avaient pas encore
été enregistrées dans leur casier judiciaire.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
207
24.
Infostat Justice n° 186,
2000–2020 : un aperçu statistique du traitement pénal des mineurs
(service
statistique ministériel de la justice, Asmae Marhraoui et Tedjani Tarayoun, statisticiens).
25.
Emprisonnement (avec ou sans sursis, ferme ou partiellement ferme, avec sursis probatoire), travail
d’intérêt général, amende, stage de citoyenneté, autres.
26.
Avertissement solennel, réparation, stage de formation civique, autre.
27.
Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation
, direction de l’administration
pénitentiaire, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 36, mai 2011. Auteurs : Annie Kensey,
Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et Abdelmalik Benaouda,
direction de l’administration pénitentiaire.
28.
ENPJJ,
Carrières délinquantes et parcours de jeunes en institutions
, Rapport de recherche mené sous
la direction scientifique d’Hélène Cherronnet, chercheure à l’INPJJ, laboratoire Clersé UMR CNRS 8019 –
Université de Lille.
2.
Un dispositif d’évaluation à compléter
Alors que la justice pénale ne parvient pas à endiguer le parcours délinquant des
jeunes de 15 à 25 ans, majoritairement multirécidivistes, quel que soit le type de prise
en charge, en milieu ouvert ou fermé, le ministère manque d’outils d’évaluation qui
permettraient de comprendre les ressorts de ce phénomène. Les initiatives récentes
déjà évoquées, en particulier le Panel des jeunes, devraient permettre de disposer de
données fiabilisées. Mais leur analyse doit également progresser en vue de mieux
comprendre qui sont les récidivistes, comment et quand ils repassent à l’acte. La
mobilisation de techniques économétriques pour limiter les biais d’analyse liés à
l’hétérogénéité des profils des jeunes est nécessaire : la réitération des sortants de
prison peut difficilement être comparée sans précaution à celles des condamnés à
une alternative à l’incarcération, l’entrée dans le système pénitentiaire ciblant par
définition les individus les plus délinquants.
Sur le plan qualitatif, des progrès ont été réalisés et doivent être poursuivis. Ainsi, le
ministère de la justice finance avec le Défenseur des droits et l’Institut des études
et de la recherche sur le droit (IERDJ) deux études qui permettent d’apparier des
éléments de plusieurs bases de données afin de mesurer l’impact de la détention
sur les trajectoires d’insertion des jeunes. Une étude confiée à l’École des hautes
études en sciences sociales (EHESS) vise par ailleurs à comprendre le rôle et
la mobilisation des ressources scolaires, professionnelles et familiales dans le
processus de réinsertion des détenus.
D’ores et déjà, l’étude précitée conduite sous l’égide de l’ENPJJ a intégré une analyse
des cas individuels représentatifs de parcours de jeunes délinquants, jusqu’à 25 ans.
Ils permettent d’apprécier comment interagissent les décisions pénales et les
modalités de prise en charge par les différents services de milieu ouvert ou fermé.
Les parcours étudiés montrent que de nombreux jeunes mineurs évoluent dans
leur trajectoire délinquante en dépit des mesures ou sanctions éducatives dont
ils font l’objet, dans une attitude marquée par la rupture avec les institutions. Ces
analyses montrent notamment la forte influence des traumatismes d’enfance, des
quartiers de résidence et des fréquentations, avec beaucoup de points communs
concernant la maltraitance, l’incertitude du logement, l’absence de réelle insertion
sociale et la consommation de stupéfiants. Elles témoignent de la nécessité
d’articuler plus étroitement la prise en charge judiciaire des jeunes avec les autres
politiques publiques.
B.
Une prise en charge judiciaire à mieux articuler
avec les autres politiques publiques
Les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes délinquants se cumulent :
scolarité, santé, logement, travail… Face à ces situations souvent très difficiles,
le ministère de la justice noue de nombreux partenariats avec les acteurs qui
interviennent en la matière. Pourtant, en dépit de ces efforts, des insuffisances
subsistent et la question est posée de l’intervention, le plus en amont possible,
auprès des familles.
208
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
1.
Des insuffisances persistantes
De nombreuses conventions nationales ont été signées par la direction de la
protection judiciaire de la jeunesse, et déclinées aux différents échelons, voire
services concernés. La DPJJ rappelle régulièrement l’importance de ce réseau dans
ses plans stratégiques pluriannuels. Pour les majeurs, la direction de l’administration
pénitentiaire s’inscrit dans une dynamique comparable en développant des
partenariats permettant aux populations qu’elle prend en charge d’accéder
aux dispositifs de droit commun en matière de sécurité sociale, de revenu de
solidarité active (RSA), de logement, etc. Elle développe aussi des partenariats avec
des associations spécialisées, par exemple en matière de lutte contre l’illettrisme
ou les addictions.
Cette démarche doit toutefois être renforcée, notamment dans les domaines de
l’éducation, de la santé et de la formation professionnelle, qui restent problématiques.
a)
Le droit à l’éducation est inégalement assuré pour les jeunes en milieu fermé
Parmi les jeunes incarcérés, qui constituent les cas les plus difficiles, les troubles
cognitifs, l’illettrisme et le décrochage scolaire sont surreprésentés. Le niveau
d’enseignement des mineurs est faible : 36,8 % suivent des cours de remise à
niveau, 7,1 % d’alphabétisation et 15,5 % des cours de français langue étrangère
(FLE). Une étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire
(Injep) sur le passage à la majorité en prison indique que
« près de la moitié des
jeunes rencontrés ont arrêté leur scolarité avant 15 ans »
.
Les rapports et avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté
(CGLPL) évoquent régulièrement les difficultés d’accès à l’éducation. Ils constatent
notamment que, dans les établissements pénitentiaires, le temps d’enseignement
hebdomadaire théorique est de 12 heures dans les quartiers pour mineurs, de
20 heures dans les EPM, de 25 heures dans les centres éducatifs fermés, alors que la
durée d’enseignement hebdomadaire pour un collégien français est de 26 heures.
De surcroît, ces durées ne sont pas respectées. Le CGLPL observe en effet qu’elles
sont en pratique très variables, toujours inférieures à celles théoriquement prévues :
moins de 5 heures de cours hebdomadaires effectifs dans les centres éducatifs
fermés, y compris pour les mineurs de moins de seize ans, pas plus de 15 heures
dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, pas plus de 6 heures dans
les quartiers pour mineurs. Le même constat a été dressé par la Cour
29
, qui a
relevé l’insuffisance du temps de scolarisation des jeunes, largement inférieur à
l’objectif de 20 heures hebdomadaires fixé par la circulaire du garde des sceaux du
24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
209
29. Cour des comptes,
Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs
,
observations définitives, juillet 2023.
Des constats comparables ont été dressés pour les majeurs, et notamment les jeunes,
tout particulièrement au sein des maisons d’arrêt. Les dispositifs de scolarité ne
concernent qu’un nombre réduit de détenus pour des volumes horaires très courts.
Ainsi, d’après le bilan annuel national de l’enseignement en milieu pénitentiaire, les
jeunes majeurs ne représentent que 22 % de la population scolarisée. Le pourcentage
de personnes détenues scolarisées a augmenté, passant de 15 % en 2021 à 20,8 %
en 2022 et 29,1 % en 2023. Cependant le nombre d’heures-professeurs de l’éducation
nationale pour 100 détenus est passé de 21,4 heures en 2021 et 2022 à 20,5 heures
en 2023.
b)
L’accès à la formation professionnelle et à l’emploi connaît encore des points
de blocage
La préparation à l’insertion professionnelle revêt un enjeu majeur pour les jeunes
condamnés, que ce soit en milieu ouvert ou en milieu fermé. En effet, l’accès
à un emploi stable contribue à limiter les risques de récidive. Une étude de la
direction de l’administration pénitentiaire datant de 2011, qui constitue encore la
seule référence disponible, a montré que les sortants de prison sans emploi sont
recondamnés dans les cinq ans après leur libération pour 61 % d’entre eux (dont
49 % à de la prison ferme), contre un taux de 55 % de recondamnation pour les
sortants avec emploi (dont 39 % à de la prison ferme). Mais, selon le ministère
de la justice, et malgré l’obligation de formation après 16 ans, peu de mineurs en
détention bénéficient d’une formation professionnelle proposée par les régions.
La situation est comparable en matière de travail en détention. Pour les mineurs, il
ne peut concerner qu’un nombre très limité de tâches (nettoyage et/ou distribution
des repas) et ne doit pas empêcher le mineur d’accéder à l’enseignement. Après
18 ans, le travail en prison s’effectue dans le cadre du droit commun s’appliquant
aux majeurs. Comme pour l’éducation ou la formation, il n’est accessible qu’à une
faible proportion de détenus,
a fortiori
au sein des maisons d’arrêt où l’inactivité
demeure une réalité dans un contexte de surpopulation endémique.
Ainsi, le pourcentage de personnes détenues travaillant à l’intérieur des établissements
pénitentiaires est en diminution. Il est passé de 30,4 % en 2021 à 28,1 % en 2022 et à
27,8 % en 2023. Au contraire, le pourcentage de personnes détenues stagiaires de la
formation professionnelle a augmenté, passant de 7,9 % en 2021, à 7,7 % en 2022
et à 11,5 % en 2023, malgré l’augmentation de la population carcérale. En valeur
absolue, 13 704 personnes détenues sont ainsi entrées en formation professionnelle
en 2023, contre 11 127 en 2022. La direction de l’administration pénitentiaire signale
toutefois que la réalité de l’accès à la formation professionnelle reste très hétérogène
selon les territoires, le taux de personnes détenues qui en bénéficient variant, selon
les régions considérées, de 0,6 % à 18 %.
210
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
c)
L’accès aux soins de plus en plus difficile pour les jeunes condamnés
de 15 à 25 ans
Les jeunes de 15 à 25 ans pris en charge par la justice se caractérisent par des pratiques
addictives élevées et de nombreux troubles de santé mentale. Une enquête sur la santé
et les substances en prison (ESSPRI) de 2023, menée par l’Observatoire français des
drogues et des tendances addictives, montre que 35 % des détenus de 18 à 34 ans
font un usage quotidien du cannabis. 41 % consomment régulièrement du tabac et du
cannabis, contre 22 % pour les détenus de plus de 35 ans.
La nouvelle
« feuille de route santé »
des personnes sous main de justice fait le
constat que
« la prévalence des troubles psychiques chez les personnes détenues
est élevée »
30
, en particulier les traumatismes subis dans l’enfance (négligence
ou abus). Selon une étude de la Fédération régionale de recherche en psychiatrie
et santé mentale en Hauts-de-France, parue en décembre 2022
31
, les troubles
psychiatriques sont en moyenne trois fois plus fréquents à l’entrée en détention
que dans la population générale de même âge et de même sexe vivant dans la
même région et 36 % des personnes incarcérées présentent au moins une maladie
psychiatrique de gravité marquée à sévère. La même étude révèle que le taux
de suicide est 12 fois plus élevé au sein de la population carcérale que dans la
population générale en France (179/100 000 contre 15/100 000 dans la population
générale). Elle montre que la mortalité dans les cinq années suivant la libération des
personnes détenues est multipliée par 3,6 par rapport à la population générale.
Les principales causes de décès sont l’overdose, les maladies cardiovasculaires,
l’homicide et le suicide.
Pour les mineurs, une étude de la protection judiciaire de la jeunesse parue en
septembre 2023
32
sur les effets de l’enfermement souligne qu’en raison
« de leur
âge, mais aussi de la fragilité sociale, médicale et psychologique de beaucoup de
mineurs suivis par la PJJ, les mineurs détenus sont considérés comme une population
particulièrement vulnérable »
.
Les rapports d’activité des structures de prise en charge des patients détenus, recensés
par le ministère de la santé, ne permettent pas de disposer de données sur l’âge des
patients pris en charge. Mais l’analyse des différents rapports et études disponibles
montre que le niveau de prise en charge sanitaire des mineurs et des jeunes majeurs
bute sur la pénurie de personnels médicaux. Les difficultés de recrutement touchent
toutes les structures médicales, et particulièrement celles spécialisées dans la prise
en charge des troubles psychiatriques, pour 66 % d’entre elles
33
. La pénurie des
professionnels de santé en psychiatrie, et tout particulièrement en pédopsychiatrie,
affecte la capacité de prodiguer ces soins dans l’ensemble des structures de
placement ou carcérales ainsi qu’auprès des jeunes suivis en milieu ouvert.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
211
30.
Étude
Santé mentale de la population carcérale sortante du 20 février 2023
, financée par la direction
générale de la santé.
31.
La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale
, Thomas Fovet, Camille
Lancelevée, Marielle Wathelet, Oumaïma El Qaoubii, Pierre Thomas, Fédération régionale de recherche en
psychiatrie et santé mentale en Hauts-de-France, décembre 2022.
32.
Les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus
, Alice Simon, PJJ, septembre 2023.
33.
Selon le ministère de la justice.
2.
L’importance du milieu familial
L’importance du rôle de la famille dans le devenir des jeunes délinquants est
soulignée par tous les professionnels. Les magistrats insistent sur l’importance de
suivre les plus jeunes, dès le début de leur parcours délinquant, par une prise en
charge complète qui n’est pas toujours assurée. La question de la responsabilité
des parents est souvent soulevée.
a)
Les difficultés d’une intervention précoce
L’ensemble des acteurs s’accorde pour reconnaître l’importance d’une action
forte, dès les premiers signes de fragilité (absentéisme scolaire, délinquance, etc.),
auprès du jeune et de sa famille. Or, les professionnels rencontrés constatent
que le réseau de prise en charge de premier niveau en milieu ouvert est parfois
défaillant car les éducateurs se retrouvent assez démunis et impuissants face à
des mineurs souvent délinquants et récidivistes, surtout en milieu urbain, faute
de moyens adaptés. Les difficultés de recrutement empêchent parfois le renfort
de professionnels. Ainsi, à Marseille, quatre emplois ont été créés dans une zone
exposée, mais trois restaient vacants lors de la visite de la Cour.
La situation est d’autant plus dégradée que les professionnels, de la protection
judiciaire de la jeunesse notamment, se heurtent à l’emprise des réseaux criminels
sur les jeunes de certains quartiers, qui les recrutent dès l’âge de 10 à 11 ans.
Ces réseaux restreignent dans certains cas l’accès des professionnels auprès des
jeunes et des familles, en leur imposant parfois des fouilles lorsqu’ils cherchent à
intervenir.
Dans son rapport d’information sur la récidive des mineurs délinquants, le Sénat
relevait une corrélation entre délinquance, cellule familiale fragile et déscolarisation.
Il notait que 55 % des mineurs délinquants sont suivis en protection de l’enfance,
étant eux-mêmes victimes d’une maltraitance ou d’une carence éducative familiale.
Il soulignait aussi une forte corrélation entre décrochage scolaire et délinquance,
le risque de délinquance étant multiplié par huit en cas d’absentéisme scolaire.
Le Sénat a ainsi relevé que sur 500 jeunes suivis par la protection judiciaire de la
jeunesse à Marseille en 2016, 82,5 % avaient été confrontés à des problèmes et en
avaient posé durant leur scolarité.
Face à ces difficultés, l’action des services du ministère de la justice qui accompagnent
les jeunes condamnés, mineurs ou majeurs, doit s’articuler avec celle des autres acteurs
de prise en charge des jeunes. Elle doit aussi s’inscrire en cohérence avec les autres
politiques de l’État, éducation et maintien de l’ordre, notamment, mais également
avec l’action des collectivités territoriales, surtout en matière d’aide sociale à
l’enfance.
212
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
b)
Un accompagnement des parents à renforcer
Le principe de responsabilité parentale est inscrit dans le droit positif, notamment à
l’article 371-1 du code civil, qui établit clairement qu’elle constitue pour les parents
un
« ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, (…) pour
le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son
éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »
.
C’est d’ailleurs en vertu de ce principe que l’aide sociale à l’enfance et la protection
judiciaire de la jeunesse interviennent dans le milieu familial pour conforter, en
premier lieu, le rôle des parents.
Ce principe est également reconnu en matière pénale. L’article 227-17 du code
pénal prévoit ainsi que
« le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif
légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la
moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement
et de 30 000 euros d’amende (…) »
. Un stage de responsabilité parentale
34
peut être
prononcé par la juridiction de jugement à titre de peine complémentaire en vertu
de l’article 227-29, voire à titre de peine principale en application de l’article 131-11.
Il est toutefois surtout utilisé par les parquets comme alternative aux poursuites
(1 433 en 2023), mais peu par les tribunaux
35
, notamment à cause de la difficulté à
caractériser l’infraction, qui nécessite de démontrer un caractère « intentionnel »
de la part des familles.
Un autre dispositif de prévention de la délinquance, le conseil des droits et devoirs
des familles (CDDF), prévu à l’article L. 141-1 du code de l’action sociale et des
familles, permet d’impliquer les parents. Son instauration était obligatoire dans
les communes de plus de 50 000 habitants depuis 2011
36
, mais ne l’est plus depuis
2019. Le CDDF informe les familles des droits et devoirs des parents envers les
enfants, leur adresse des recommandations et propose aux parents un accom-
pagnement social. L’intervention du conseil peut également déboucher sur une
saisine du juge des enfants en vue de la mise en place d’une mesure d’aide à
la gestion du budget familial
via
un placement sous « tutelle » des prestations
familiales, lorsqu’elles ne sont pas employées pour les besoins des enfants.
Ces dispositifs sont difficiles à évaluer car ils ne font l’objet d’aucun suivi. La
protection judiciaire de la jeunesse souligne toutefois que le principal outil
utilisé est le stage de responsabilité parentale. L’analyse des pratiques et leur
évaluation gagneraient là encore à progresser pour garantir une action effecti-
vement utile auprès des familles et des jeunes.
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
213
34.
L’objectif du stage est de
« responsabiliser les parents sur leur mission d'éducation et leur apporter un
soutien éducatif sur un temps limité et dans un cadre légal bien défini qui n'empiète pas sur les missions du
juge des enfants en assistance éducative »
et de
« lutter contre la délinquance des mineurs, dès lors qu'elle
apparaît comme une conséquence de carences familiales graves »
.
35.
Trois dispositifs de responsabilisation parentale dans le cadre de la prévention de la délinquance
,
rapport de la Mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, novembre 2011.
36.
Article 46 de la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la
sécurité intérieure, dite LOPSI2.
Conclusion
et recommandations
En matière de justice pénale, il n’existe pas de politique homogène
à l’égard des jeunes de 15 à 25 ans. La réponse pénale est marquée
par la rupture du passage à la majorité, tant dans les procédures
de jugement qu’en termes de décisions et de modalités de prise
en charge. La justice des mineurs s’appuie sur un cadre juridique
spécifique, issu d’engagements internationaux et de principes à
valeur constitutionnelle, comme le jugement par une juridiction
spécialisée (le tribunal des enfants), la primauté de l’éducatif sur
le répressif et la présomption de non discernement. Alors que les
mineurs bénéficient d’une forte individualisation de la réponse
pénale, adaptée à leurs spécificités, les jeunes majeurs relèvent du
droit commun. Les peines de prison sont ainsi l’exception pour les
mineurs et plus fréquentes pour les majeurs.
Lorsque des peines sont prononcées, leurs conditions d’exécution
sont également différenciées. Les mineurs bénéficient d’un taux
d’encadrement et de modalités d’hébergement plus favorables.
En revanche, dès 18 ans, les jeunes majeurs sont confrontés à un
univers carcéral de droit commun, ce qui peut entraîner parfois
un véritable « choc » difficile à vivre. Des dispositifs d’atténuation
ont été mis en place, mais ils restent peu développés et, souvent,
ponctuels.
Dans ce contexte, l’efficacité de la politique pénale à destination
des jeunes est insuffisante, malgré un coût estimé à au moins deux
milliards d’euros par an. Les taux de récidive restent très élevés
et les outils mobilisés pour comprendre cette situation sont trop
limités.
L’amélioration de l’efficacité de la réponse pénale nécessite un
renforcement des outils d’analyse de la délinquance des jeunes
et d’évaluation des dispositifs mis en place pour les prendre en
charge. Elle passe aussi par une action publique plus partenariale
afin d’apporter une réponse plus précoce et plus complète,
214
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
dès les premiers signes d’alerte, comme le décrochage scolaire
par exemple. Cette réponse nécessite également de mieux
accompagner les familles.
La Cour formule à cette fin trois recommandations :
1.
après évaluation, promouvoir les dispositifs de prise en charge
et de suivi afin de mieux accompagner le passage à la majorité
des jeunes sous main de justice
(ministère de la justice)
;
2.
renforcer les outils d’évaluation de la politique pénale
à destination des jeunes
(ministère de la justice)
;
3.
renforcer les coopérations entre le ministère de la justice
et les autres acteurs de la prise en charge des mineurs
et des majeurs délinquants
(ministère de la justice)
.
215
LES JEUNES ET LA JUSTICE PÉNALE
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
216
Réponse reçue
à la date de la publication
Réponse du ministre d’État, Garde des Sceaux, ministre de la justice
.................
216
Réponse du ministre d’État, Garde des Sceaux, ministre de la justice
Vous avez bien voulu m
'
adresser votre chapitre intitulé
« Les jeunes et la justice
pénale »
, dont l
'
insertion est prévue dans le rapport public annuel 2025 de la Cour
des comptes.
Aux termes de ce projet, la Cour formule trois recommandations et plusieurs
constats sur lesquels nous souhaitons apporter des précisions et compléments.
En premier lieu, la Cour qualifie de
« brutale »
la rupture dans le traitement de la
délinquance à partir de l
'
âge de 18 ans,
« en termes de procédure et de jugement,
comme d'exécution des peines »
.
Pourtant, si la procédure applicable aux majeurs diffère de celle applicable aux
mineurs, en particulier depuis l
'
entrée en vigueur du code de la justice pénale des
mineurs (CJPM) (procédure de césure en trois temps, mesures éducatives, principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République que sont l
'
atténuation de la
responsabilité pénale des mineurs en fonction de l
'
âge, la primauté de l
'
éducatif,
et la spécialisation des acteurs de la procédure), le droit en vigueur prend bien en
compte la nécessaire transition vers la majorité. Ainsi, le CJPM permet la prise
en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des
jeunes ayant commis des faits durant leur minorité, jusqu
'
à l
'
âge de 21 ans, afin
d
'
accompagner le passage à la majorité. De-même, lorsqu
'
une condamnation a
été prononcée à l
'
encontre d
'
un mineur, le juge des enfants exerce les fonctions
dévolues au juge de l
'
application des peines jusqu
'
à ce que la personne condamnée
ait atteint l
'
âge de 21 ans. La transmission d
'
informations entre les services de la
PJJ et les services d
'
insertion et de probation est en outre facilitée (article R.3345
et D.611-13 du CJPM). L
'
encellulement des personnes détenues devenues majeures
en détention et âgées de moins de 21 ans est spécialement encadré (article D.213-1
du code pénitentiaire) et un mineur détenu ayant atteint la majorité en détention
peut être maintenu jusqu
'
à ses dix-huit ans et six mois dans un établissement ou
quartier mineur (article L124-2 du CJPM). Le cadre législatif vise ainsi à faciliter
l
'
accompagnement du passage à la majorité.
En deuxième lieu, la Cour souligne le difficile accès aux soins pour les jeunes
condamnés et le taux de suicide élevé au sein de la population carcérale. À cet
égard, il peut être souligné que la nouvelle « feuille de route santé » des personnes
sous main de justice intègre plus largement l
'
ensemble des mineurs et jeunes
majeurs suivis par la PJJ, avec des actions ciblées quelle que soit la modalité de
prise en charge. La prévention du suicide est une priorité. Pour les jeunes en milieu
carcéral, la PJJ est intégrée au plan de la direction de l
'
administration pénitentiaire.
En complément de ce plan d
'
actions, la direction de la protection judiciaire de la
jeunesse (DPJJ) a élaboré un plan national de prévention du suicide 2024-2027
dans tous les établissements et services de la PJJ.
Enfin, la Cour formule trois recommandations tendant à l
'
amélioration de
l
'
efficacité de la réponse pénale face à la délinquance des jeunes.
D
'
abord, la Cour préconise la promotion, après évaluation, des dispositifs de prise
en charge et de suivi afin de mieux accompagner le passage à la majorité des
jeunes sous main de justice.
Dans le contexte législatif favorable décrit ci-dessus, sécuriser l
'
accompagnement
des jeunes vers la majorité est pertinent et répond à des enjeux d
'
inclusion sociale
et d
'
insertion socio-professionnelle, de consolidation de ressources personnelles
et institutionnelles propices à leur désistance. La possibilité d
'
une prise en charge
plus longue, y compris après la majorité et jusqu
'
à l
'
âge de 21 ans, amène en
effet à penser l
'
échéance des 18 ans, non plus comme un compte à rebours, mais
comme une étape clé de l
'
accompagnement. Le ministère de la justice, conscient
que le passage à la majorité est un tournant dans le traitement pénal, travaille à
accompagner cette transition.
Ensuite, la Cour invite au renforcement des outils d
'
évaluation de la politique
pénale à destination des jeunes.
Des travaux en ce sens ont déjà été initiés par le ministère de la justice afin de
mesurer l
'
efficacité des dispositifs de prise en charge des mineurs et jeunes majeurs.
Ainsi, concomitamment au développement de l
'
application PARCOURS, un nouvel
infocentre est alimenté quotidiennement par un flux automatique de données
pseudonymisées. Il permet aujourd
'
hui la production de données de pilotage et
d
'
indicateurs de performance qui viennent nourrir les dialogues de gestion avec
les directions interrégionales, l
'
évaluation de la mise en œuvre du CJPM et la
diversification des dispositifs de prise en charge. Les travaux en cours sur ce nouvel
infocentre permettront de réaliser des études et de publier des indicateurs sur les
parcours des mineurs et jeunes majeurs sur un temps long ainsi que les effets de
la prise en charge et de l
'
action éducative.
En outre, le ministère de la justice travaille à réactiver le panel des jeunes et à
permettre l
'
appariement de différents systèmes d
'
information, ce qui contribuera
à l
'
évaluation des parcours des jeunes pris en charge.
Enfin, la Cour appelle au renforcement des coopérations entre le ministère de la justice
et les autres acteurs de la prise en charge des mineurs et des majeurs délinquants.
Au sein du ministère de la justice, la DPJJ participe ainsi activement à renforcer les
coopérations avec les autres acteurs de la protection de l
'
enfance.
RÉPONSE REÇUE À LA DATE DE LA PUBLICATION
217
Ainsi, au niveau national, la DPJJ est un membre actif des instances nationales
de gouvernance de la protection de l
'
enfance, à savoir : le Conseil national de la
protection de l
'
enfance (CNPE), le Groupement d
'
intérêt public France Enfance
Protégée (GIP FEP) et le Haut conseil de l
'
enfance, de la famille et de l
'
âge (HCFEA).
En outre, la PJJ est aussi fortement ancrée dans les instances territoriales de
gouvernance de la protection de l
'
enfance. Concrètement, cela se traduit d
'
une
part, par la participation des services déconcentrés de la PJJ aux instances locales
(instances quadripartites, instances de coordination tripartites, observatoires
départementaux de la protection de l
'
enfance, commissions cas complexes,
comités départementaux pour la protection de l
'
enfance), et d
'
autre part, par
le renforcement de sa complémentarité avec les services départementaux de
l
'
aide sociale à l
'
enfance (ASE)
via
notamment sa participation aux démarches de
contractualisation ou la mise à disposition de professionnels PJJ dans les cellules
de recueil et d
'
évaluation des informations préoccupantes (CRIP).
Par ailleurs, la DPJJ a conclu plusieurs partenariats nationaux avec des acteurs
associatifs clés de la protection de l
'
enfance pour améliorer l
'
accompagnement
et le suivi des mineurs et des majeurs délinquants (partenariat avec la Fédération
nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), la Fédération
nationale des associations départementales d
'
entraide des personnes accueillies
en protection de l
'
enfance (FNADEPAPE) ou encore son récent partenariat avec
la CNAPE pour le développement du projet de plateforme numérique d
'
accès au
droit
« La BASE »
, destinée aux jeunes de 16 à 25 ans bénéficiant ou ayant bénéficié
d
'
un suivi par l
'
aide sociale à l
'
enfance et/ou la PJD.
En matière de prévention de la délinquance, la DPJJ est également très investie
dans le renforcement de la coordination avec les acteurs de cette politique
publique. Ainsi, au niveau national, elle participe activement aux travaux menés
par le SG-CIPDR pour actualiser la stratégie nationale de prévention de la
délinquance et entretient des liens réguliers avec celui-ci: Au niveau territorial,
les professionnels de la PJJ participent, à hauteur de leurs moyens, aux instances
locales de coordination telles que les conseils locaux de sécurité et de prévention
de la délinquances (CLSPD), les groupes locaux de traitement de la délinquance
(GLTD), ou toute autre instance ayant pour objet de mieux prévenir la délinquance
(par exemple, des cellules de veille du décrochage scolaire ou tes conseils de droits
et devoirs des familles).
Enfin, la PJJ a formalisé un plan d
'
action national 2023-2027 pour l
'
insertion
scolaire et professionnelle précisant les modalités de coopération des acteurs dans
l
'
accompagnement des parcours d
'
insertion des mineurs et des majeurs, à l
'
appui
d
'
un travail partenarial à tous les niveaux de l
'
institution. Le passage à la majorité
y est envisagé comme un temps particulier à investir. D
'
ailleurs, le passage à la
majorité fait l
'
objet d
'
une attention particulière de la part des professionnels de la
PJJ : des protocoles locaux déclinent les procédures de travail avec les partenaires
et acteurs de la prise en charge des majeurs (échanges d
'
informations, relais,
entretiens conjoints, réunion de synthèse par exemple). L
'
éducateur référent du
COUR DES COMPTES
| RAPPORT PUBLIC ANNUEL
218
RÉPONSE REÇUE À LA DATE DE LA PUBLICATION
219
jeune doit anticiper la fin des prises en charge par l
'
élaboration de relais vers les
dispositifs de droit commun. Il s
'
appuie sur les différents partenaires présents
sur le territoire notamment la prévention spécialisée et le service pénitentiaire
d
'
insertion et de probation.
Si les ambitions dégagées par le rapport sont donc partagées par le ministère de
la justice, ce dernier a d
'
ores et déjà engagé un certain nombre de travaux afin de
les atteindre.
Je vous remercie donc de bien vouloir prendre en compte ces différents éléments.