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AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
Jeudi 30 janvier 2025 - 11h
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Premier Vice-Président du Sénat, représentant Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Premier Vice-Président de l’Assemblée nationale, représentant Madame la
Présidente de l’Assemblée nationale,
Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et
numérique,
Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification,
Madame la Ministre chargée des Compte publics,
Madame la Ministre déléguée chargée du Tourisme,
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le Vice-président du Conseil d’Etat,
Madame la défenseure des droits,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le premier président de la Cour de Cassation,
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes,
Madame la Procureure générale,
Mesdames et messieurs les présidents de chambre,
Mesdames et messieurs,
Mes chers collègues,
Je suis très heureux de vous retrouver entre nos murs pour notre audience solennelle de
rentrée 2024.
Cette cérémonie annuelle est une tradition essentielle de notre institution, qui
nous permet de présenter nos ambitions et nos réalisations collectives aux plus hautes
autorités de la République.
Je souhaiterais avant tout remercier les personnalités qui nous font l’honneur de leur
présence
. Nous avons le plaisir de recevoir Monsieur le Premier ministre, après avoir
accueilli ses prédécesseurs, le Premier ministre Gabriel Attal l’an passé, la Première Ministre
Elisabeth Borne et le Premier Ministre Jean Castex les années précédentes.
Monsieur le Premier ministre, vous nous faites l’honneur d’être parmi nous aujourd’hui,
dans la Grand’chambre de la Cour des comptes, sous le regard attentif de Marianne, de la
Connaissance et de la Justice.
J’ai le plaisir de vous recevoir dans cette pièce surplombée par
l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre source
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constitutionnelle originelle :
« la société a le droit de demander compte à tout agent public
de son administration
». Ces quinze mots sont tout à la fois la condition, et la garantie, de
l’exemplarité et de l’efficacité de la gestion publique. Ils sont le socle de la confiance des
citoyens dans l’action publique et dans l’État de droit.
Des membres du gouvernement ainsi que les hautes autorités civiles et militaires de notre
pays sont également présents, pour partager ce moment hautement symbolique avec
nous.
Nous les en remercions et sommes très sensibles à leur présence. Je salue
Eric
Lombard,
ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et
numérique ; vos missions, monsieur le ministre, sont essentielles, et les défis à relever sont
immenses, nous ne le savons que trop bien au sein des juridictions financières. Merci de
nous accorder de votre temps. Je remercie également pour sa présence
Laurent Marcangeli
,
Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, dont le rôle est
crucial pour reconstruire la confiance des citoyens dans l’État et l’action publique. En ce
sens, nous travaillons, Monsieur le Ministre, aux mêmes objectifs. Je salue en outre
Amélie
de Montchalin
, ministre chargée des Compte publics, qui porte la lourde tâche d’amorcer le
redressement de nos finances publiques ; les juridictions financières prendront, je m’y
engage, leur part dans l’indispensable amélioration de la qualité de la dépense publique.
Bienvenue également à
Nathalie Delattre
, ministre déléguée chargée du tourisme, dont je
sais l’attachement à la Cour des comptes et que je remercie pour sa présence parmi nous.
Permettez-moi également de saluer particulièrement la présence du Président du Conseil
constitutionnel, qui nous fait l’honneur de sa présence pour la première fois depuis mon
arrivée dans mes fonctions, et à quelques semaines de la fin de son mandat.
Cher Laurent
Fabius
,
j’y vois une reconnaissance de la qualité des relations que nous avons entretenues
ces dernières années et un signe d’amitié. Je salue aussi tout particulièrement le Vice-
président du Conseil d’État, cher Didier-Roland Tabuteau, avec qui nous travaillons en
étroite collaboration sur de nombreux projets, sans oublier que le Conseil d’Etat est notre
juge de cassation, tout comme nous échangeons et travaillons de concert avec Claire Hédon,
Défenseure des droits, que je salue chaleureusement. Je remercie enfin Christophe Soulard,
premier président de la Cour de Cassation, pour sa présence, quelques jours après m’être
rendu à l’audience solennelle de rentrée qu’il présidait – ce qui symbolise bien pour moi le
renforcement des liens entre nos juridictions, depuis la mise en place du nouveau régime
juridictionnel des gestionnaires publics.
J’associe à ces remerciements toutes les nombreuses personnalités présentes ce matin, qui
rehaussent encore cette cérémonie, et au premier chef le premier vice-président du Sénat
Didier Mandelli
, le premier vice-Président de l’Assemblée nationale,
Roland Lescure
, ainsi
que
Christine Pirès-Beaune,
Questeure de l’Assemblée nationale et l’ensemble des
parlementaires présents. Vous le savez, notre mission d’assistance au Parlement est pour
nous essentielle, et votre présence à nos côtés est à mes yeux une reconnaissance de sa
qualité.
Monsieur le Premier ministre, bienvenue dans cette institution de la République chargée
d’une mission qui l’honore et l’oblige.
Une institution
à équidistance entre le gouvernement
et le Parlement,
dans laquelle l’indépendance n’est pas un vain mot.
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C’est même une valeur fondamentale, une véritable ligne de conduite dans l’exercice de
nos
quatre missions : contrôler, juger, évaluer les politiques publiques et certifier les comptes de
l’État et de la Sécurité sociale. Notre rôle d’assistance au Parlement, de contrôle de l’action
du Gouvernement, d’accompagnement des décideurs publics et d’information des citoyens
peut se résumer en une phrase, que vous apprécierez en latiniste éprouvé, et qui est aussi
notre devise :
dat ordinem lucendo,
rétablir l’ordre par la lumière. Nous exerçons ce devoir
en magistrats, et la robe que nous portons aujourd’hui, loin d’être un symbole désuet,
symbolise notre exigence d’impartialité et de collégialité. A l’heure où la démocratie est
remise en cause dans de nombreuses régions du monde et jusqu’en Europe, à l’heure où les
analyses étayées, fiables, objectives se font rares, ce positionnement objectif et indépendant
est inestimable. Il nous faut chaque jour le chérir, le défendre quand il est attaqué, et
chercher à le protéger, voire à le renforcer.
C’est pour demeurer ce pilier de notre système démocratique que les juridictions
financières ont entamé, dès mon arrivée en 2020, une profonde transformation ; l’année
qui vient de s’écouler en a marqué l’aboutissement
. En 2025, la Cour des comptes et les
juridictions financières arborent un nouveau visage. Notre institution est plus ouverte, plus
visible, plus agile, plus attractive, sa gouvernance et ses missions sont modernisées, et nous
n’avons jamais été aussi présents à l’esprit de nos concitoyens, pour qui nous représentons
un tiers de confiance utile et incontournable, dans une époque troublée.
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, chers invités, alors que le rideau
s’est déjà largement ouvert sur 2025, je vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette
année, décisive à bien des égards pour notre pays.
L’année 2024 n’a pas été un long fleuve tranquille ; même si nous espérons en 2025 plus de
stabilité et de sérénité, nous savons que la période n’est pas et ne sera pas simple.
Puisque nous sommes au dernier jour de cette période de vœux, je vous souhaite, je nous
souhaite, je souhaite pour notre pays que l’année 2025 soit une année consciente des
difficultés du monde et de la société française, mais aussi profondément constructive.
Qu’elle soit une année d’action, de projection, de volonté, pour le rétablissement de nos
finances publiques et l’amélioration de notre action publique, et de confiance dans l’avenir
et nos institutions.
Les juridictions financières y contribueront sans aucun doute ; avec des
missions remodelées, une voix qui porte toujours loin, et de nouveaux outils pour préparer
et accompagner les défis présents et à venir de l’action publique.
***
Je vais à présent, comme il est de coutume, céder la parole à la Procureure générale,
Véronique Hamayon – dont ce seront les premiers vœux dans ses fonctions !
Madame la Procureure générale, vous avez la parole.
***
Merci beaucoup Madame la Procureure générale, pour vos mots éloquents et votre
optimisme pour l’année à venir
. Je ne doute pas que sous votre égide, l’année 2025 sera
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placée sous le signe d’une consolidation et d’un approfondissement de notre mission de
jugement.
C’est à présent à mon tour de décliner nos motifs de fierté pour ce qui a été accompli en
2024, mais aussi d’ouvrir des perspectives, que j’espère positives, pour l’année 2025.
*
1.
Je débuterai par nos motifs de fierté collective.
Il y a près de cinq ans, je prenais mes fonctions de Premier président et j’ai
immédiatement lancé un vaste projet de transformation, JF 2025.
Aujourd’hui, sans avoir
nié ou renié leur identité, les juridictions financières arborent un nouveau visage. Nous nous
sommes adaptés, pour répondre toujours mieux aux défis de l’action publique.
L’année dernière, j’appelais de mes vœux la poursuite du mouvement engagé pour faire
de la Cour une institution plus percutante, plus lue, plus écoutée dans le débat public, mais
aussi plus à l’écoute des citoyens
. Ce cap est désormais franchi. Nous débutons l’année
2025 au sein d’une institution ouverte aux citoyens et à leurs préoccupations, visible et
écoutée, aux méthodes agiles, aux missions modernisées et au rayonnement international
renforcé.
D’abord, nous pouvons affirmer sans ambages que nous avons atteint notre objectif
premier d’ouverture aux citoyens ; nous avons réussi à nous placer au cœur de la Cité et du
débat public.
Les juridictions financières et leurs travaux sont mieux connus et plus écoutés
qu’auparavant.
Le 100% publication, c’est-à-dire la publication de l’ensemble de nos
travaux, est une véritable révolution et un immense succès pour la Cour. Depuis sa mise en
œuvre il y a tout juste deux ans, cette réforme nous a conduit à publier en moyenne un
rapport par jour ouvré. En 2023 comme en 2024, nous avons publié près de 180 rapports et
observations définitives. À mon arrivée, ou à mon retour plutôt dans ces murs, c’était une
petite quarantaine.
Nos travaux sont toujours plus lus et commentés ; ils sont, en somme, un véritable point
d’ancrage dans le débat public.
En témoignent les plus de 50 000 retombées presse
observées en 2024 pour nos travaux, ainsi que la hausse importante de visiteurs et de
lecture de rapports sur notre site internet. Ces chiffres ne sont bien sûr ni un objectif unique
ni une fin en soi ; mais ils sont un signal que notre présence à l’esprit des citoyens n’a jamais
été aussi importante, et que les juridictions financières sont aujourd’hui un tiers de
confiance du débat public. Peu d’institutions peuvent se targuer d’une notoriété de 88% et
d’un indice de confiance de 72%, en hausse constante malgré le contexte de défiance dans
les institutions qui caractérise notre époque.
En 2024, la Cour des comptes a donc publié de nombreux rapports, que je crois de très
grande qualité, en s’attachant à être toujours plus alignée sur les préoccupations des
citoyens et sur l’objectif d’une meilleure qualité de la dépense.
Nous avons consacré notre
rapport public à l’adaptation au changement climatique – un sujet ô combien d’actualité
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après le terrible cyclone qui a dévasté Mayotte. Nous avons publié des rapports à la
demande du Parlement. Nous avons toujours veillé à diversifier nos formats, en publiant des
audits flash, et des évaluations de politiques publiques plus nombreuses.
La diversification des formats de nos travaux et la réduction de nos délais d’instruction
nous permettent d’être en phase avec le temps de l’action publique
. Nous avons en
particulier élargi nos publications sous la forme de notes thématiques, notamment à travers
plusieurs revues de dépenses. Ces rapports, au-delà des pistes concrètes d’économies qu’ils
formulent, proposent aussi une méthode ; celle d’un examen méthodique, systématique et
exhaustif des dépenses publiques, qu’il est indispensable de répéter, et répéter encore, tout
au long de l’année 2025 et des suivantes. La Cour y prendra sa part.
Ces nouveaux formats nous permettent aussi de répondre aux besoins exprimés par le
Parlement
. Je pense par exemple à la note publiée à l’automne sur la situation financière de
la sécurité sociale, un format qui manquait jusqu’alors aux commissions des affaires sociales
pour examiner au mieux le PLFSS.
Nous publierons aussi dans quelques semaines le traditionnel « chapitre introductif sur les
finances publiques » du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Le Haut conseil des finances publiques, que je préside ès-qualité, a lui-aussi été fortement
sollicité en 2024, et à nouveau en ce tout début d’année 2025
. Nous avons publié des avis
étayés, précis, sur l’ensemble des textes de lois financières. Nous avons alerté sur la
dégradation préoccupante des finances publiques. Nous continuons de le faire : nous avons
publié ce matin, suite à la saisine du Gouvernement, l’avis du HCFP sur les scénarios
macroéconomiques et de finances publiques du projet de loi de finances, examiné en
Commission mixte paritaire à l’heure où je m’adresse à vous - j’y reviendrai dans quelques
instants. L’autre organisme associé de la Cour,
le Conseil des prélèvements obligatoires, a lui
aussi été prolifique en 2024, en analysant notamment l’égalité des citoyens devant
l’imposition sur le revenu.
En ce début d’année 2025, nous sommes donc, c’est incontestable, plus proches des
citoyens et plus à l’écoute de leurs attentes.
Les outils de participation citoyenne que nous
avons développés ont maintenant fait leur preuve. Notre plateforme citoyenne, qui permet
à tout citoyen de déposer des thèmes de contrôles, est un vecteur puissant de mobilisation ;
chaque campagne nous en persuade un peu plus. En 2023, 20 000 participants avaient été
recensés, et fin 2024, le nombre de sujets déposés par les citoyens a atteint près de 950
thèmes. Les rapports que nous produisons sur les thèmes sélectionnés sont une
concrétisation immédiate de notre raison d’être, l’article 15 de la DDHC.
Par ailleurs, notre plateforme de signalement, gérée par le Parquet général, permet elle-
aussi aux citoyens d’établir un lien direct avec notre institution.
Notre ouverture et notre rayonnement ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux frontières
françaises.
Nos mandats d’audit externe comme nos coopérations entre institutions
supérieures de contrôle ont encore accru l’aire d’influence de la Cour en 2024. J’ai ainsi
l’honneur de présider le comité d’audit de l’ONU pour les deux prochaines années. Enfin
,
nos portes de la rue Cambon sont désormais physiquement
ouvertes à un nombre croissant
de citoyens, qui aiment à les franchir.
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Nous débutons donc 2025 plus proches des citoyens et de leurs attentes que nous ne
l’avons jamais été ; et cela vaut également pour notre mission la plus ancienne – celle de
juger.
Nous avons installé en 2024 Véronique Hamayon comme nouvelle Procureure
générale. Après une réforme historique de la responsabilité des gestionnaires publiques, elle
a mon entière confiance pour asseoir et consolider notre nouvelle architecture
juridictionnelle.
Deux ans exactement après sa création, les fondations ont été posées et le nouveau
régime joue déjà pleinement son rôle.
La montée en puissance de la chambre du
contentieux est assurée, avec des saisines désormais régulières, et le premier bilan en
volume d’activité est très satisfaisant. Les arrêts rendus commencent à dégager une
jurisprudence, à établir des règles de procédure et à éclairer, de façon prétorienne, certains
articles de l’ordonnance du 23 mars 2022.
Une réforme majeure a été menée à bien ; il faut désormais en écrire l’histoire.
Je souhaite
qu’en 2025, ce nouveau régime s’installe dans le paysage, en coopération étroite avec les
autorités administratives et judiciaires, dont une grande partie est représentée ici – je les
salue. Il faut aussi, comme pour tous les textes récents, l’éprouver et laisser le temps à la
jurisprudence de le façonner, de l’ancrer.
En 2025, il nous faudra également tirer des leçons de deux premières années de pratique,
sans nous empêcher d’être lucides sur les limitations concrètes qui peuvent déjà être
entrevues à l’usage.
Ces leçons devront être tirées avec un objectif clair : viser l’exemplarité de l’action
publique,
alors
que
les
exigences
de
transparence
et
de
probité
augmentent
continuellement.
Les mutations que je viens de vous présenter ne sont pas le produit d’un activisme
suspect.
Elles étaient tout simplement nécessaires, pour adapter les juridictions financières
aux enjeux nouveaux de l’action publique et aux attentes toujours plus fortes des citoyens.
Au vu des défis qui attendent notre pays au cours des prochains mois, voire des prochaines
années, nous pouvons être heureux d’avoir achevé cette transformation pour y répondre au
mieux.
2.
Notre rôle de vigie est crucial par temps clair ; il l’est a fortiori lorsqu’il s’agit de
naviguer en eaux troubles. Or, l’année 2024 n’a pas été avare en crises et remous de
tous ordres, et il est difficile de croire que 2025 sera totalement différente.
Nous traversons une crise de nos finances publiques, et je sais, Monsieur le Premier
ministre, que c’est pour vous, et depuis longtemps, une préoccupation de premier ordre.
Je me dois de le constater à nouveau, l’année qui se termine a été véritablement noire pour
les finances publiques. Elle a été aussi marquée par la prise de conscience de la brutale
dégradation de l’état de nos finances publiques, qui sont désormais l’une des principales
préoccupations des Français avec le pouvoir d’achat. N’oublions pas que le projet de loi de
finances pour 2024 a été voté avec un déficit de 4,4 points de PIB, soit 128 milliards d'euros.
Le déficit pour 2024 devrait
in fine
atteindre 6 points de PIB, soit une dégradation de 0,5
point par rapport à 2023 et un écart de de 1,6 point par rapport à la prévision de la loi de
finances pour 2024.
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C’est inédit hors période de crise. Surtout, notre déficit va s'élever à plus du double de la
limite prévue par le Pacte stabilité, 3% du PIB. Il est impératif désormais de replacer notre
endettement sur une trajectoire baissière.
Or, réduire notre déficit est le seul moyen de réduire notre endettement ; et cette
exigence s’est transformée en urgence au cours de l’année 2024.
D’abord, c’est un enjeu de crédibilité
. Nous nous sommes fixés, collectivement, avec nos
partenaires européens, des règles, dont nous sommes d’ailleurs parmi les premiers
bénéficiaires, et nous devons nous y tenir. Nous les avons même rénovées en 2024, car les
précédentes étaient inadaptées, trop procycliques, et étaient devenues illisibles. Si nous ne
respectons pas celles-ci, alors nous serons sanctionnés mais surtout, nous perdrons en
influence en Europe.
C’est ensuite un enjeu de soutenabilité.
L’endettement devient de plus en plus coûteux
pour la France. Nous avons vécu pendant dix ans une période exceptionnelle, durant laquelle
plus on s’endettait, moins on payait. Mais cela a pu créer des illusions dont il faut sortir, car
la situation est bien différente aujourd’hui. L’augmentation de la charge de la dette est
spectaculaire. Elle a déjà doublé depuis 2020, elle était de 53 Md€ en 2024, elle devrait
atteindre 67 Md€ en 2025, et pourrait même filer, si nous n’y prenons garde, vers les
100 Md€ dans quelques années. Le service de la dette va devenir le premier poste de
dépense des administrations publiques, devant l’Éducation nationale, ce qui sera une
première historique, et l’effet « boule de neige » pourrait s’accentuer, avec des
spreads
entre la France et l’Allemagne qui ne cessent de s’accroître. Je suis plus encore peut-être
frappé par le rapprochement entre nos taux et ceux de l’Italie. Nous ne devons pas nous y
résigner !
Enfin, nous désendetter est un enjeu de souveraineté et de capacité à agir
. Plus nous nous
endettons, moins nous pourrons financer les véritables priorités de demain, celles qui seront
utiles aux plus jeunes et aux générations suivantes. Comment financer les investissements
incontournables pour le futur, à commencer par la transition écologique, l’innovation ou la
défense du pays ? S’il y a bien une chose que j’ai retenue de mon parcours au service de
l’État, c’est qu’un État trop endetté est un État asphyxié, qui n’a plus de marges de
manœuvre pour investir dans l’avenir. Les marchés et l’Europe existent : les premiers sont
nos créanciers, la seconde est notre engagement.
Mais ce n’est pas pour l’Europe ou pour
les marchés que nous devons nous désendetter, que nous devons nous réformer : c’est pour
préserver notre souveraineté et les moyens de construire l’avenir de notre pays.
Nous n’avons pas le choix : il faut faire diminuer la dette pour construire le mur
d’investissements qui nous attend
. La dette publique, si elle augmente trop, ôte toute
marge de manœuvre à l’action publique. Elle la paralyse. C’est pour moi une conviction très
ancienne et profonde : la dette est l’ennemie de l’économie et de l’action publique. Et j’aime
cette phrase de Pierre Mendès-France : « les comptes en désordre sont le signe des Nations
qui s’abandonnent ».
Dans cette situation déjà préoccupante, l’état de nos finances publiques et la confiance de
nos partenaires dans notre économie ont été encore aggravés par une situation politique
et institutionnelle inédite.
Et dans ce contexte instable, ce que nous observons lorsque nous
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nous penchons sur le climat économique en France en ce moment, c’est que l’incertitude
progresse. Une incertitude défavorable à la croissance, pour les entreprises comme pour les
ménages : l’investissement ralentit, le taux d’épargne stagne.
Ces perspectives ne sont certes pas, du moins pas dans leur totalité, spécifiques à la
France
. Elles sont aussi dues, nous le savons, à l’instabilité géopolitique qui se poursuit en
2025, après une année 2024 très tendue. Par ailleurs, l’année 2024 a également été
synonyme de moments extraordinaires, comme l’organisation des Jeux Olympiques dans
notre pays, ou encore l’aboutissement de la reconstruction de Notre-Dame de Paris.
En 2025, nous n’avons donc pas d’autre choix que d’agir résolument pour améliorer cette
situation.
Nous le devons, et nous le pouvons. Les Français sont plus conscients que jamais,
en ce début d’année 2025, de la situation dangereuse de nos finances publiques. Le vote de
la loi spéciale le 20 décembre dernier a également permis – heureusement ! – d’éviter tout
shutdown,
et les administrations publiques fonctionnent, en ce mois de janvier, sous le
régime des services votés.
Il est désormais crucial que la loi de finances pour 2025 soit adoptée rapidement.
Le projet
de loi de finances sur lequel vous avez, Monsieur le Premier ministre, saisi le Haut conseil
des finances publiques, présente une prévision de croissance pour 2025 revue à la baisse, de
1,1% à 0,9%, ainsi qu’un objectif de déficit public fixé à 5,4% pour 2024.
Il est à mes yeux,
aux yeux du Haut conseil et de la Cour des comptes, impératif que cet objectif soit respecté.
C’est un seuil de crédibilité essentiel, pour demeurer alignés avec la trajectoire pluriannuelle
soumise à la Commission européenne en octobre.
Mais, je le dis ici solennellement : pour atteindre ce nouvel objectif de déficit, plus réaliste
mais moins ambitieux que le précédent, les mesures d’économies prévues dans le projet
de loi de finances devront être
effectivement
et
complètement
mises en œuvre.
C’est
d’autant plus nécessaire que les marges de manœuvre sont faibles, selon le HCFP, pour
financer des dépenses imprévues ou faire face à des aléas en matière de recettes en cours
d’année.
Atteindre les 5,4% pourrait donc nécessiter de prendre des décisions difficiles et
courageuses, au fil de l’eau. Je suis certain que le ministre de l’Économie, des finances et de
la souveraineté industrielle et numérique, ainsi que la ministre chargée des Comptes publics,
en sont conscients au premier chef.
Respecter le plafond de 5,4% de déficit en 2025 est en effet la condition
sine qua non,
si
nous voulons que la France tienne son objectif de retour du déficit sous 3 points de PIB en
2029, comme prévu dans son plan budgétaire et structurel à moyen terme.
Cet objectif,
inscrit dans notre PSMT, est impératif, et nous devons adapter dès demain le rythme
nécessaire pour le crédibiliser. Il s’agit là d’une ancre de finances publiques dont nous ne
pouvons pas, nous ne devons pas nous écarter.
Monsieur le Premier ministre, le projet de loi de finances sur lequel vous nous avez saisis
marque votre volonté, et celle de votre gouvernement, d’amorcer un redressement de
notre situation de finances publiques. Il faut maintenant le traduire dans les faits.
Nous
avons aussi un rôle crucial à jouer en la matière.
Dans la période que nous vivons, nous
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sommes
des
acteurs
encore
plus
importants
que
d’habitude
dans
l’architecture
institutionnelle française. En 2025, je le sais, nos rapports sur les finances publiques seront
particulièrement attendus et scrutés par les citoyens : nous devons être, et nous serons, la
vigie qui rappelle les faits et pose les enjeux, soulève des défis, propose des réformes en des
termes objectifs.
3.
Forts de nos missions étoffées et redessinées, de nos nouveaux outils et de notre
rapport renouvelé au citoyen, nous sommes prêts pour objectiver, contrôler et
accompagner les défis qui se sont déjà imposés à l’action publique en 2024, et qui
perdureront en 2025.
En 2025, les juridictions financières seront au rendez-vous pour éclairer citoyens et
décideurs publics sur des sujets toujours plus percutants et attendus.
J’ai souhaité que
notre programmation soit réformée, pour devenir plus collective, plus resserrée et plus
stratégique. L’objectif est d’instruire des rapports utiles, structurants, tournés vers l’avenir.
Je suis convaincu que les juridictions financières doivent penser leur programmation de
manière encore plus stratégique, en centrant les contrôles effectués non seulement sur la
quantité, mais aussi sur la
qualité
de la dépense.
C’est l’action publique elle-même, toute
entière, qu’il faut faire évoluer. La tâche est considérable et, elle n’a jamais été vraiment
engagée. Nous n’avons plus d’autre choix que de changer cet état de fait. Cela demandera
du temps, de l’énergie, une volonté constante pour agir dans la durée. Mais c’est, pour moi,
absolument fondamental, et cela sera l’un de nos axes prioritaires pour l’année 2025.
À ce titre, la Cour prendra sa part dans l’effort de redressement des finances publiques en
2025, en réalisant des revues de dépenses, pour proposer des économies dans les
dépenses de faible qualité.
Nous n’en sommes pas à nos premières revues de dépenses, loin
de là. Nous avons déjà travaillé sur des sujets aussi divers que l’enseignement scolaire, le
réseau ferroviaire, le système de retraites, les aides aux entreprises, les soins de ville ou le
logement. En 2024, nous avons publié deux revues de dépenses, sur les collectivités et sur la
sortie des dispositifs d’aide exceptionnels, et nous en publierons une troisième
prochainement sur l’assurance maladie.
Nous poursuivrons ce travail en 2025.
Car une chose est certaine : les économies
indispensables à la réduction du déficit public doivent être prioritairement obtenues par des
réformes structurelles et pérennes, des réformes ciblant les dépenses peu efficaces et peu
efficientes. Elles seront toujours préférables, selon moi, à des mesures générales « de
rabot ».
Pour faire cette révolution de la dépense publique, j’en appelle à notre intelligence
collective, avec de la volonté, avec de la méthode, nous en sommes capables.
En 2025, le Haut-Conseil des finances publiques continuera lui-aussi de porter un œil
vigilant et collégial sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques des lois
financières.
Pour tirer des leçons des exercices de prévisions pour les années 2023 et 2024, qui ont fait
défaut, il faut bien le dire, je plaide pour que son mandat soit élargi, et son rôle soit rendu
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plus contraignant. Comme la plupart de ses voisins européens, il semblerait nécessaire qu’il
intègre une logique de
comply or explain –
en français,
appliquer ou expliquer –
ainsi qu’une
compétence d’avis sur la soutenabilité de la dette, et qu’il dispose d’une information plus
complète. C’est un sujet majeur, dont dépendra aussi le redressement de nos finances
publiques à terme.
L’autre manifestation la plus claire du recentrage stratégique de notre programmation
réside bien évidemment dans la transition écologique, en train de devenir le prisme qui
irrigue l’ensemble de nos travaux
. Notre rôle en la matière n’est pas de suivre le courant
mais de contribuer, à notre échelle, à éclairer les choix structurels d’investissement, de
réorientation des politiques publiques, que le changement climatique rend nécessaire. Les
juridictions financières se sont déjà mobilisées massivement pour
le rapport public annuel
2024 sur l’adaptation au changement climatique. Pour parfaire cette lancée, nous publierons
à partir de septembre 2025 un rapport annuel sur la transition écologique, auquel
participeront de nombreuses chambres de la Cour et des CRTC.
La transition numérique et l’intelligence artificielle représentent un défi tout aussi grand
pour les juridictions financières
. C’est à la fois un outil puissant pour améliorer nos travaux,
et un objet de contrôle, pour s’assurer que son utilisation respecte les normes juridiques et
éthiques qui s’appliquent aux administrations. La Cour doit donc développer une expertise
pointue dans chacun de ces domaines, afin d’en accompagner les évolutions.
De surcroît, les évolutions de notre société et la transition démographique en cours
doivent nous encourager à poursuivre l’analyse de notre modèle de cohésion et de société.
C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer le rapport public annuel 2025, qui sera
publié en mars, aux politiques publiques en faveur de la jeunesse.
Au chapitre des évolutions démographiques de la société, j’aimerais terminer mon propos
en évoquant la mission que vous avez confiée à la Cour au sujet des retraites, Monsieur le
Premier ministre.
Vous nous avez sollicités pour dresser en quelques semaines un constat
objectif de la situation financière de notre système de retraites, et de ses perspectives à
court, moyen et long-terme. Notre rapport, que je vous remettrai le 19 février prochain, doit
constituer la base chiffrée indiscutable à partir de laquelle les partenaires sociaux
échangeront, pour améliorer notre système de retraite tout en préservant son équilibre
financier. Dans un deuxième temps, nous vous rendrons un rapport documentant les
impacts économiques du financement de notre système de retraites sur la compétitivité de
l’économie et sur l’emploi.
J’aimerais avant tout vous remercier pour cette marque de confiance envers notre
institution, que nous mettrons un point d’honneur à mériter à nouveau.
Votre demande
montre combien nous sommes reconnus comme un tiers de confiance, objectif et neutre,
dans le débat public.
Vous pouvez compter, et les partenaires sociaux peuvent compter sur cette entière
indépendance, qui nous définit. J’ai la conviction qu’en cette période de grands doute
démocratique, que l’installation à Washington d’un nouveau président américain, disons un
peu particulier, ne fait que renforcer, le choix de faire confiance aux institutions de la
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République et aux partenaires sociaux fait sens. C’est, pour deux des protagonistes de cette
démarche, une lourde responsabilité : nous ne nous déroberons pas à la nôtre.
Nous nous sommes donc mis en ordre de marche : l’équipe de cette mission a déjà été
constituée et elle a, bien sûr, déjà commencé à travailler
. En s’appuyant sur les données
des administrations, elle formule ses propres hypothèses indépendantes.
Elle travaille à réaliser un état des lieux actuel du financement du système des retraites, une
analyse prospective de la trajectoire du système à horizon vingt ans, ainsi qu’une analyse de
l’impact de quelques leviers existants sur cette trajectoire.
Notre ambition est de fournir aux
partenaires sociaux, que je rencontre les uns après les autres pour les assurer de notre
totale indépendance, ainsi que pour appréhender les leviers d’action prioritaires à leurs
yeux, mais aussi aux parlementaires et aux citoyens, une base de réflexion et de travail
objective, ni plus ni moins. En nous y tenant, nous ferons je l’espère œuvre utile.
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La Cour des comptes, comme toujours et plus encore dans ces temps exigeants et difficiles
que nous vivons, se tient prête à accompagner le Parlement et le Gouvernement dans
l’ensemble de ces défis.
Nous avons beaucoup semé ces dernières années, et en particulier en 2024 ; en 2025,
place à la récolte, pour toujours mieux exercer nos missions fondamentales, et sans rien
perdre de nos valeurs
. Les juridictions financières sont un lieu d’exigence et de respect, un
lieu où la tolérance est de rigueur et le pluralisme des opinions une nécessité respectée par
chacun. Elles évoluent, mais leur nouveau visage, et celui qu’elles prendront demain,
n’oublient pas ces vertus, qui sont leur permanence et leur singularité.
Alors que l’année 2025 s’annonce difficile pour les finances publiques et pour notre pays,
je forme le vœu que nos valeurs de toujours, l’indépendance, la contradiction, la
collégialité, nous guident
; pour que la voix des juridictions financières porte toujours plus
haut et fort ; pour qu’elles contribuent au rétablissement de nos finances publiques ; pour
qu’elles participent à un regain de confiance dans nos institutions ; et pour qu’elles éclairent
les défis présents et à venir de l’action publique.
J’espère aussi, tout au long de cette année 2025, poursuivre et approfondir les liens qui
nous unissent à vous, qui nous faites l’honneur de votre présence aujourd’hui.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite de nouveau une excellente année
.
Si vous le permettez, je vais vous demander de rester assis à vos places un instant, afin que
je puisse raccompagner le Premier Ministre.
L’audience est levée.