Chapitre VI
Les médicaments anti-cancéreux :
mieux réguler en préservant un accès
rapide aux traitements innovants
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Au tournant des années 2000, la mise sur le marché de médicaments
innovants, qui s’ajoutent aux traitements classiques tels que la
chimiothérapie, la radiothérapie ou la chirurgie, a transformé la prise en
charge des patients et amélioré leur espérance de vie.
La rapidité de l’innovation scientifique et le coût élevé de ces
thérapies mettent toutefois à l’épreuve les procédures d’évaluation de leur
efficacité clinique et la fixation de leur prix par les autorités.
La Cour a donc examiné la façon dont les pouvoirs publics évaluent
les progrès thérapeutiques apportés par ces nouveaux médicaments et les
conditions et délais dans lesquels ils sont rendus accessibles à tous les
patients. Elle a analysé les conséquences de leur développement sur la
soutenabilité
des dépenses de l’assurance maladie et les moyens de mieux
réguler leur usage sans limiter les bénéfices apportés aux malades.
Les nouveaux traitements anti-cancéreux ont permis des progrès
thérapeutiques
significatifs
avec
des
conditions
d’accès
plutôt
satisfaisantes (I) mais leur coût considérable conduit à préconiser une
adaptation des dispositifs actuels de régulation (II).
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222
Chiffres-clés
En 2020, 433 136 nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués en
France, portant à 3,4 millions le nombre de patients soignés chaque année.
Le cancer est la première cause de décès en France (169 910 en 2022).
Le cancer est la pathologie la plus onéreuse pour l’assurance
maladie
: son coût s’élevait à 22,5
Md€ en 2021
246
, soit 12,1 % des dépenses
d’assurance maladie.
Les dépenses de médicaments innovants anti-cancéreux délivrés à
l’hôpital et inscrits sur la «
liste en sus »
247
ont connu une forte
augmentation : elles représentaient 3,3
Md€ en 2018 et 5,9
Md€ en 2022.
I -
Une étape nouvelle dans la lutte
contre le cancer
La vague d’innovations en cancérologie a substantiellement modifié
la façon dont le cancer est soigné (A), avec de réels résultats pour les
patients (B). Ceux-ci ont accès de façon rapide, mais inégale à des
traitements (C) dont le caractère innovant est hétérogène (D).
A -
Des molécules
aux modes d’action originaux
La cancérologie constitue un champ propice au développement de
médicaments innovants, qui se distinguent par leur approche et, pour
certains, par leur grand nombre d’indications pour une même moléc
ule.
246
Données de l’assurance maladie comprenant
les soins de ville, les hospitalisations
dans des établissements de santé publics ou privés et les prestations en espèces (dont
les indemnités journalières maladie).
247
La plupart des médicaments délivrés lors d’un séjour à l’hôpital sont compris dans
le tarif de l’hospitalisation et ne font pas l’objet d’un remboursement complémentaire
par l’assurance maladie. Le prix élevé de certains médicaments
innovants par rapport
aux actes hospitaliers pour lesquels ils sont utilisés a conduit le ministère chargé de la
santé à créer, en 200
5, une dotation spécifique de l’assurance maladie
, dénommée
« liste en sus
» des tarifs d’hospitalisation.
L’article L. 162
-22-6 du code de la sécurité
sociale prévoit qu’un arrêté du ministre chargé de la santé autorise l’inscription des
médicaments de cette liste et procède à leur radiation.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
223
1 -
Des approches nouvelles
Depuis 2000, de nouvelles thérapies ont été proposées en
cancérologie, dans la lignée desquelles s’inscrivent les thérapies ciblées
(dont les thérapies géniques), les immunothérapies et les hormonothérapies.
Les thérapies innovantes
Les thérapies ciblées ont pour objectif de bloquer la croissance ou la
propagation de la tumeur en interférant avec des anomalies moléculaires ou
avec des mécanismes à l’origine du développement ou de la dissémination
des cellules cancéreuses.
L
’immunothérapie consiste à stimuler les défenses immunitaires de
l’organisme contre les cellules cancéreuses. Elle est notamment prescrite
dans le traitement des mélanomes, des cancers du poumon métastatiques et
des cancers du sein.
L’hormonothérapie vise
à stopper la stimulation de la tumeur par les
hormones. Le but est de bloquer le récepteur hormonal sur ces cellules
cancéreuses pour les empêcher de proliférer. Ces traitements sont utilisés
pour le traitement des cancers du sein hormono-dépendants (près des trois-
quarts d’entre eux), souvent en complément d’une chimiothérapie.
Une étude de l’Institut national du cancer
248
menée au sein des pays
de l’OCDE souligne que, pour la plupart, les pays membres ne se sont pas
dotés d’une définition officielle des méd
icaments innovants. Une telle
définition, si elle était trop restrictive, risquerait en effet d’écarter certains
médicaments des cadres dérogatoires de prescription dont ils bénéficient.
L’absence de consensus sur la définition de l’innovation
La plupart des pays ne donnent pas de définition officielle de
l’innovation. Quelques États ont recours à une labellisation
: thérapie de
rupture («
breakthrough therapy
») aux États-Unis et médicament innovant
prometteur («
promising innovative medicament
») au Royaume-Uni.
En France, l’Institut national du cancer définit les médicaments
innovants par leur conception, par leur voie d’administration, par
l’amélioration du ratio efficacité
-
tolérance qu’ils permettent ou par la
couverture qu’ils assurent d’un besoin non
satisfait.
248
Innovation médicamenteuse en cancérologie / étude internationale sur la définition
et l’accès à l’innova
tion
, INCa, janvier 2018.
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224
Dans une perspective plus large, l’Agence européenne du
médicament considère comme innovant tout médicament contenant une
substance active ou une association de substances actives qui n'ont pas été
autorisées auparavant.
Dans le cadre de la pr
océdure d’accès précoce, la Haute Autorité de
santé apprécie la présomption d’innovation au regard du plan de
développement du médicament vis-à-vis de comparateurs cliniquement
pertinents s’ils existent
249
.
Une caractéristique commune à ces nouveaux médicaments est leur
action très ciblée. Avant leur apparition, les traitements anti-cancéreux
portaient sur l’organe défaillant, après localisation et mesure de la tumeur.
La tumeur cancéreuse était, selon les cas, retirée par chirurgie ou détruite,
soit par radiothérapie pour les tumeurs localisées, soit par chimiothérapie
pour celles davantage évoluées.
Les nouvelles prises en charge ne visent plus un organe en
particulier : elles bloquent les mutations moléculaires de la cellule
cancéreuse en s’attaquant aux mé
canismes qui lui permettent de se
développer. Elles ne s’adressent plus à la population générale mais à un
nombre de patients restreint, dont les cellules cancéreuses rencontrent les
mêmes anomalies moléculaires.
2 -
Des indications de plus en plus nombreuses
Au caractère ciblé des thérapies nouvelles correspond une forte
dispersion des populations qui en bénéficient. En 2022, parmi les
49 indications
250
des dix médicaments anti-cancéreux les plus onéreux
dispensés à l’hôpital, 57
% concernaient, lors de leur évaluation, moins de
2 000 patients par an chacune, et 22 % moins de 1 000.
249
HAS,
Guide sur l’autorisation d’accès précoce aux médicaments
: doctrine
d’évaluation de la HAS
, avril 2022.
250
L’indication s’entend comme un signe clinique, une pathologie ou toute situation
affectant un patient qui justifie un traitement médical.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
225
Graphique n° 29 :
répartition des 49 indications des 10 anti-cancéreux
les plus coûteux selon le nombre de patients concernés (2022)
Note de lecture : 11 indications étaient destinées à moins de 1 000 patients
en 2022.
Source : HAS, retraitement Cour des comptes
Malgré un effectif réduit des patients concernés par chaque
indication, le nombre de malades qui en bénéficient augmente
régulièrement et devient important. En 2022, 244 563 personnes avaient
reçu un médicament innovant anti-cancéreux soit 18,8 % des prises en
charge à l’hôpital pour un cancer.
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226
Graphique n° 30 :
évolution du nombre de patients ayant reçu
un médicament anti-cancéreux innovant
Note de lecture : Un patient peut avoir reçu plusieurs médicaments. Le champ inclut les
médicaments anti-cancéreux de la liste en sus (thérapies ciblées, hormonothérapie,
immunothérapie, chimiothérapies).
Source : INCa
Cette évolution est tout particulièrement portée par certains
médicaments prescrits pour de nombreuses indications. Par exemple, le
pembrolizumab, molécule parmi les plus utilisées pour les mélanomes ou
pour certains cancers bronchiques, a été dispensé en 2016 à 1 267 patients
au titre de sa première indication et à 48 156 patients au titre de 22 autres
indications en 2023.
3 -
Des médicaments parmi les plus innovants
L’évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS) de l’efficacité
clinique des médicaments anti-cancéreux les positionne parmi les plus
fréquemment innovants de toutes les aires thérapeutiques.
Avan
t de pouvoir être délivré à l’hôpital, le médicament est soumis
à une procédure en plusieurs étapes, qui fait notamment intervenir des
commissions spécialisées de la HAS, chargées de l’évaluation de son
efficacité clinique et médico-économique, avant le Comité économique des
produits de santé, organisme interministériel placé sous l’autorité conjointe
des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
227
Graphique n° 31 :
procédure de mise sur le marché du médicament
Source : Cour des comptes
La commission de la transparence de la HAS est chargée de réaliser
l’évaluation clinique de la nouvelle molécule pour étayer la décision de
prise en charge par l’assurance maladie. Elle
rend d’abord un avis sur le
« service médical rendu » par la nouvelle molécule
251
, puis elle la compare
à la pharmacopée existante pour déterminer «
l’amélioration du service
médical rendu
» (ASMR). L’innovation peut être qualifiée de majeure (I),
importante (II), modérée (III), mineure (IV) ou inexistante (V).
L’analyse des avis d’a
mélioration du service médical rendu mesure
le caractère innovant des médicaments anti-
cancéreux sans qu’aucune des
23 molécules examinées entre 2017 et 2023, obtienne la qualification
d’innovation majeure ou importante
252
. Pour autant, 12
% ont relevé d’une
innovation
modérée
et
17
%
d’une
innovation
mineure,
contre
respectivement 4,2 % et 8 % de la totalité des médicaments examinés.
251
L’article R163
-
3 du code de la sécurité sociale précise que l’appréciation
prend en
compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie
thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de
l'affection à laquelle il est destiné, le cas échéant le caractère préventif, curatif ou
symptomatique du traitement médicamenteux, et son intérêt pour la santé publique.
252
La reconnaissance d’une ASMR majeure est exceptionnelle. Parmi les
reconnaissances d’innovation importante, on trouve, par exemple, en 2022, l'association
de produits dans le traitement de la mucoviscidose.
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228
Graphique n° 32 :
répartition des avis de la HAS
selon le niveau d’innovation (2017
-2022)
Source : HAS (retraitement Cour des comptes)
B -
Des bénéfices substantiels pour les patients
L’espérance de vie des patients atteints de cancer a progressé,
parfois dans des proportions importantes. De nouveaux traitements
devraient prochainement arriver sur le marché, comme les vaccins. Dans la
plupart des c
as, ces innovations s’ajoutent aux prises en charge déjà
existantes plus qu’elles ne les remplacent.
1 -
Une amélioration nette de l’espérance de vie
Les conséquences de cette vague d’innovation et du large accès aux
nouveaux traitements sont déjà sensibles dans les statistiques. Pour le
cancer de la prostate, le taux de survie à cinq ans a augmenté de 21 points
entre 1990 et 2015 pour atteindre 93
%. L’amélioration est de 12 points
pour le cancer colorectal, 11 points pour le mélanome cutané, 9 points pour
le cancer du sein.
Cette progression concerne aussi les cancers dits à mauvais
pronostic, pour lesquels le taux de survie à cinq ans est faible. Pour le
cancer du pancréas, le gain est de 7 points entre 1990 et 2015, même si à
cette date, seuls 11 % des patients avaient une chance de survie à cinq
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PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
229
ans
253
. Pour le cancer du poumon, le taux de mortalité a diminué de 58 %
entre 1990 et 2020 chez les hommes et de 36 % entre 2002 et 2020 chez
les femmes
254
. Enfin, avec les anciens traitements standards, la moitié des
patients atteints de leucémie myéloïde chronique survivait plus de 5 ans ;
ils sont maintenant 85 % à être en vie après 15 ans
255
.
2 -
De nouveaux traitements prometteurs
Ces résultats favorables peuvent être encore améliorés car de
nombreuses molécules n’en sont qu’au début de leur utilisation
thérapeutique ou de leur phase d’essai clinique.
Ainsi, entre 2017 et 2022, alors que les patients atteints de cancer ont
représenté environ 5
% des prises en charge à l’hôpital, la part des nouveaux
médicaments anti-cancéreux, a constitué plus de 20 % des demandes de
remboursement déposées par les laboratoires pharmaceutiques, soit
540
dossiers. D’autres médicaments, comme les cellules CAR
-T, font état de
premiers résultats prometteurs, qui restent encore en partie à concrétiser.
Les cellules CAR-T
Les récepteurs d’antigènes chimériques, dits cellules CAR
-T, sont
un exemple d’innovation médicamenteuse prometteuse. Il s’agit de
thérapies géniques, utilisées jusqu’à présent en oncohématologie. Des
médicaments fabriqués à partir des lymphocytes T du patient sont modifiés
génétiquement et réinjectés pour reconnaître et détruire spécifiquement les
cellules cancéreuses. Ils sont administrés en une seule injection.
La HAS les considère comme un espoir dans le traitement de certains
cancers du sang réfractaires ou en rechute. D’après les études cliniques, le
taux de survie à 12 mois des patients atteints de lymphome diffus à grandes
cellules B serait compris entre 40 % à 60 % selon le traitement utilisé. Il
existe toutefois des i
ncertitudes sur l’identification des patients pour
lesquels le traitement est efficace, sur le maintien de la réponse au traitement
et sur la tolérance de ces cellules à moyen et à long terme.
253
Institut national du cancer,
Panorama des cancers en France
, édition 2023.
254
Moro-Sibilot D, Girard N. Cancers bronchiques : quoi de neuf entre fin 2021 et fin
2022 ?
La lettre du cancérologue
2023.
255
Guilhot F, Rigal-Huguet F, Guilhot J, Guerci-Bresler A, Maloisel F, Rea D, et al.,
Long-term outcome of imatinib 400 mg compared to imatinib 600 mg or imatinib
400 mg daily in combination with cytarabine or pegylated interferon alpha 2a for
chronic myeloid leukaemia: results from the French SPIRIT phase III randomised trial,
Leukemia
, 2021.
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230
Selon les données de l’Agence technique de l’information sur
l’hospitalisation, parmi 639 patients traités par cellules CAR
-T en 2022
pour lesquels un suivi à six mois est disponible, 357 ont bénéficié d’une
rémission complète (329) ou partielle (28),
112 ont vu la maladie
progresser et
123 sont décédés. 362 patients signalaient des complications
ou des effets indésirables.
Enfin, les vaccins
256
préventifs ou curatifs occupent un champ de
recherche en plein développement, avec deux approches distinctes.
Certains vaccins ciblent les virus pouvant induire des cancers, comme les
papillomavirus. D’autres s’attaquent aux systèmes de résistance à la
réponse immunitaire des cancers et sont individualisés. Des essais
cliniques sont en cours sur le mélanome, le cancer du pancréas, le cancer
colorectal ou encore les cancers des voies aérodigestives supérieures.
3 -
Une utilisation limitée à certaines pathologies
et étapes des traitements
La plupart des nouveaux médicaments s’appliquent à certains
organes. Selon une étude
257
sur les traitements approuvés par la
Food and
drug Administration
aux États-Unis, les cancers concernés sont surtout
ceux du poumon, du sein et du sang, et ne concernent pas ceux qui affectent
le cerveau, la tête et le cou.
En outre, les molécules innovantes ne remplacent pas les traitements
classiques mais s’y ajoutent souvent. Par exemple, sur 1
925 patients ayant
bénéficié d’un traitement à base de cellules CAR
-
T en 2022, 77 l’avaient
reçu en seconde intention après un premier traitement classique alors que
tous les autres l’avaient reçu après plusieurs traitements préalables.
256
Le terme vaccin est discuté pour des préparations d’antigènes tumoraux spécifiques.
257
Scott, E.C.,Baines, A.C., Gong, Y.
et al
.
Trends in the approval of cancer therapies
by the FDA in the twenty-first century
. Nature Review Drug Discovery,2023.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
231
C -
Un accès large mais inégal à ces nouveaux
médicaments
La France présente des résultats satisfaisants en termes d’accès aux
médicaments. Toutefois, les délais de négociation des prix de
remboursement sont parfois longs. Pour y remédier, un système
dérogatoire a été mis en place, «
l’accès précoce
», avec des résultats
positifs. L’expertise requise pour élaborer des protocoles de traitements
adaptés soulève la question de l’organisation actuelle de l’offre de soins.
1 -
Un système dérogatoire permettant l’accès rapide des patients
aux médicaments
L’inscription d’un médicament qui a obtenu son autorisation de
mise sur le marché suit deux phases distinctes. Après l’évaluation
scientifique par la commission de la transparence de la HAS pour apprécier
le service médical rendu et son amélioration par rapport aux traitements
existants, le prix de vente est négocié entre le laboratoire pharmaceutique
et le Comité économique des produits de santé (CEPS).
Les textes européens prévoient un délai total maximal de 180 jours
pour toute la procédure
258
. Dans le champ des anti-cancéreux, et selon des
données fournies par la HAS, le délai moyen d’évaluation par la
commission de la transparence a été à lui seul de 123,5 jours entre 2017 et
2022, avec une amélioration dans la dernière période.
En 2023, selon une étude de la caisse nationale d’assurance maladie
(Cnam)
259
portant sur trente médicaments, dont onze anti-cancéreux, les
délais totaux pour l’évaluation de l’amélioration du service médical rendu et
pour la négociation du tarif de remboursement et du prix ont été, pour les
médicaments étudiés, supérieurs en France à ceux de l’Allemagne, de
l’Angleterre et de l’Espagne. Pour les anti
-cancéreux, le délai moyen était de
576 jours en France, contre 368 jours pour l’ensemble des pays étudiés, soit
un écart de 208 jours. Cette durée plus longue a plusieurs causes : une
surcharge de travail pour les services instructeurs
260
, des temps de réponse
parfois longs des en
treprises pharmaceutiques, des délais d’arbitrage par les
tutelles du CEPS ou des délais administratifs de signature et de publication
258
Article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988.
259
Rapport Charges et Produits pour 2024
, Cnam, juillet 2023.
260
Onze postes sont inscrits au tableau des emplois de la section du médicament du
CEPS, dont deux étaient non pourvus pendant l’enquête.
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232
des arrêtés. Une analyse détaillée de ces différents facteurs et de leur
importance relative pourrait permettre d’identifier des leviers d’amélioration.
Afin de permettre un accès plus rapide aux nouveaux médicaments
dans le système hospitalier, les pouvoirs publics ont instauré un régime
dérogatoire au droit commun du remboursement, «
l’accès précoce
»
261
.
Succédant au
dispositif des autorisations temporaires d’utilisation
262
et
entré en vigueur le 1
er
juillet 2021, il autorise, sous certaines conditions
263
,
la prise en charge financière d’un médicament avant même son évaluation
de droit commun par la HAS et l’accord sur son
remboursement, ce qui
permet une mise à disposition rapide des patients. Sept des onze anti-
cancéreux analysés dans l’étude précitée de la Cnam ont bénéficié de ces
procédures dérogatoires et ont donc été rendus disponibles avant leur
évaluation complète.
Un bilan d’étape réalisé en octobre 2023 par la HAS mesure le
succès de l’accès précoce, tout particulièrement dans le domaine de la
cancérologie qui bénéficie à lui seul de 50 % des avis favorables donnés
264
.
Pour ces médicaments, et selon des données fournies par la HAS, les délais
d’évaluation de l’amélioration du service médical rendu ont été divisés par
deux par rapport à la procédure classique, avec 69,5 jours en moyenne.
L’intérêt du recours aux médicaments ayant bénéficié de la
procédure d’accès préc
oce a, en règle générale, été confirmé, selon une
étude conjointe de la HAS et de l’Agence nationale de la sécurité du
médicament et des produits de santé : parmi les 98 molécules bénéficiaires
depuis la mise en place du dispositif, 86 ont par la suite fai
t l’objet d’une
évaluation de droit commun, avec des résultats confirmant l’avancée
thérapeutique pour 67 d’entre eux.
261
Un autre dispositif, l’accès direct, a été créé par l’article 62 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2022, avec une entrée en vigueur prévue le 1
er
juillet 2022. Toutefois,
le premier texte d’application n’a été publié qu’en mai 2023 et un premier médicament est
entré dans le dispositif en décembre 2023, hors du champ des anti-cancéreux.
262
Créées en 1986, les autorisations temporaires d’utilisation permettaient déjà la mise
à disposition de médicaments avant leur évaluation et l’accord sur le remboursement.
263
Il y a cinq conditions : (1) S
’il ne bénéficie pas encore d’une autorisation
de mise
sur le marché, son efficacité et sa sécurité doivent être fortement présumées au vu des
résultats d’essais thérapeutiques
; (2) il doit être indiqué pour une maladie grave, rare
et invalidante, pour laquelle (3) il ne doit pas exister de traitement approprié ; (4) la
mise en œuvre du traitement ne peut être différée
; (5) le médicament doit être présumé
innovant, notamment au regard d’un éventuel comparateur cliniquement pertinent.
264
253 demandes d’autorisation d’accès précoce ont été reçues
. Sur les 125 décisions
rendues depuis le 1
er
juillet 2021, il y a eu 27 décisions défavorables, dont 13 en
cancérologie, et 98 favorables, dont 49 en cancérologie.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
233
2 -
Les prix des tests moléculaires à harmoniser,
des financements à clarifier
Pour apprécier la pertinence d’une thérapie ciblée puis
y recourir à
bon escient, il est nécessaire de connaître au préalable avec précision les
caractéristiques de la tumeur. Des tests moléculaires permettent, dans
certains cas, d’identifier la présence d’une anomalie génétique
dans les
cellules cancéreuses du patie
nt et d’adapter le traitement.
En 2020, l’Institut national du cancer indiquait que 85
000 patients
depuis 2006 avaient bénéficié de ces tests, effectués par des plateformes de
génétique moléculaire. En 2022, plus de 537 000 tests ont été réalisés, dont
parfois plusieurs par patient, pour une dépense totale de 70
M€
265
. Ces tests
ont presque triplé depuis 2017.
Le prix facturé pour l’ensemble des actes d’analyse moléculaire des
établissements hospitaliers pratiqués sur des patients atteints de cancers ou
d’a
utres pathologies, est couvert à hauteur de 50 % par une enveloppe de
l’assurance maladie (493
M€ en 2022). L’autre moitié est financée par les
hôpitaux, avec le risque d’une réduction du nombre de tests pratiqués en
fonction de leur capacité à les financer, aux dépens de la bonne prise en
charge des patients concernés.
Selon les recommandations des sociétés savantes
266
, la majorité des
cancers détectés au stade métastatique devrait faire l’objet d’un test
moléculaire, concernant environ 230 000 patients par an, en France. Le
surcoût additionnel peut être estimé à 330
M€
par an dont, à cadre constant,
165
M€ à financer sur les fonds propres des hôpitaux.
Une clarification du mode de financement des tests moléculaires
apparaît donc souhaitable. Il pourrait s’a
gir, sur le modèle de la liste en sus,
de leur prise en charge intégrale par l’assurance maladie, dans l’attente de
l’inscription sur la nomenclature des actes de biologie.
265
Les tests moléculaire
s sont financés par l’assurance maladie et leur gestion
repose
sur le même principe que la liste en sus des médicaments : le référentiel des actes
innovants hors nomenclature, créé en 2015, permet de les prendre temporairement en
charge avant leur éventuelle inscription sur la nomenclature des actes de biologie.
266
F. Mosele et al., Recommendations for the use of next-generation sequencing (NGS)
for patients with metastatic cancers: a report from the ESMO Precision Medicine
Working Group,
Annals of Oncology
, 2020.
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234
Au préalable, des études cliniques et médico-économiques devraient
objectiver l’in
térêt de ces tests pour les choix de thérapies
267
et les
bénéfices procurés aux patients. Certaines études soulignent que ces tests
renforceraient la pertinence des soins en évitant certains traitements
268
ou
des tests successifs moins performants mais moins onéreux pour les
hôpitaux
269
. Les systèmes d’information des données de santé des hôpitaux
devraient aussi être modifiés pour en assurer le suivi
270
.
Enfin, les écarts de prix des tests moléculaires varient du simple au
double selon les plateformes. La loi de financement de la sécurité sociale
pour 2023 a rendu obligatoire un avis de la HAS avant l’inscription
provisoire sur la liste d’un nouveau test. Parallèlement à cet avis, il serait
utile que des étude
s de coût systématiques soient réalisées par l’agence
technique de l’information sur l’hospitalisation, sur la base desquelles des
tarifs opposables seraient fixés.
3 -
Un maillage hospitalier dense mais peu spécialisé
L’offre de soins en cancérologie est ass
urée par 865 hôpitaux et
cliniques privées, autorisés par les agences régionales de santé. Grâce à
cette organisation, 77,5
% des patients bénéficient d’un temps de parcours
vers l’établissement le plus proche de moins de 30 minutes
271
. Contrepartie
de ce maillage fin, le parcours de soin est peu gradué, en dépit des tentatives
des pouvoirs publics.
Une circulaire prévoyait en 1998 la création de filières de soins
reposant sur un échelonnement des établissements entre «
sites de
référence, sites orientés et structures de soins associées aux prises en
charge de proximité
»
272
. Seuls les sites de référence devaient être chargés
de dispenser des soins de haute technicité pour des patients présentant des
pathologies complexes ou rares. Faute de désignation des établissements
267
La Haute autorité de santé a récemment publié une étude
sur l’utilité de la signature
génomique pour le cancer du sein.
268
Rapport d’évaluation de la HAS,
Actualisation 2023 : utilité clinique des signatures
génomiques dans le cancer du sein RH+/HER2- de stade précoce
, octobre 2023.
269
Groupe de travail Unicancer et Ligue contre le cancer,
Accès aux tests génétiques en
oncologie
, février 2021.
270
Les laboratoires de biologie et
les hôpitaux effectuent des remontées d’informations
sur des tableaux séparés.
271
INCa,
Proposition d’évolution des critères d’ag
rément des établissements de santé
pour le traitement du cancer
, avril 2020, pour la période 2015-2017.
272
Circulaire DGS/DH/AFS n°98-213 du 24 mars 1998 relative à l'organisation des
soins en cancérologie dans les établissements d'hospitalisation publics et privés.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
235
concernés par les agences régionales de santé, cette organisation n’a jamais
été mise en place.
Une réforme des autorisations d’activité, entrée en vigueur en 2023,
repose sur
des seuils d’activité plutôt que sur la répartition des
établissements
selon
leur
niveau
d’expertise
:
l’autorisation
est
conditionnée au traitement annuel d’au moins cent patients par voie
intraveineuse. Ces seuils restent peu pertinents en matière de qualité des
traitements anti-cancéreux car
l’expertise des équipes soigna
ntes prime sur
leur activité comme le reconnait l’Institut national du cancer.
Pour l’administration de cellules CAR
-T, il a été décidé de faire
prévaloir l’expertise des équipes et leur équipement technique
:
28 établissements, répondant à des critères stricts, ont été habilités par les
agences régionales de santé, en application d’un arrêté du 19 mai 2021.
Pour les cancers rares, les établissements de référence définissent les
stratégies diagnostiques et thérapeutiques à appliquer au sein de réunions
de
concertation pluridisciplinaires, le traitement étant ensuite mis en œuvre
par des établissements de proximité. Ce modèle pourrait être étendu aux
traitements par des anti-cancéreux innovants, après étude de son
opportunité et de sa faisabilité par l’Insti
tut national du cancer.
II -
Des mécanismes de régulation à repenser
pour limiter l’envolée des coûts
Le coût des médicaments anti-cancéreux progresse rapidement pour
l’assurance maladie, avec des perspectives préoccupantes à terme (A). Pour
rendre cette progression plus soutenable sans remettre en cause les progrès
thérapeutiques au bénéfice des patients, il est nécessaire de mieux
coordonner les instruments dont dispose le ministère afin de rémunérer les
innovations au juste prix en fonction de leur efficacité clinique réelle (B)
en tenant davantage compte de leur bilan coûts-avantages (C).
A -
Une augmentation préoccupante des dépenses
Les dépenses en matière de traitements anticancéreux, déjà élevées,
sont en progression constante, ce qui pose la question de leur soutenabilité
pour les finances publiques.
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COUR DES COMPTES
236
1 -
Des traitements plus coûteux que les traitements classiques
Selon la caisse nationale d’assurance maladie, le coût moyen d’un
traitement anti-cancéreux est de 14 580
€ par an pour un cancer actif, soit
la prise e
n charge la plus élevée après l’insuffisance rénale chronique
terminale (40 086
€). Ce coût comprend celui des médicaments anti
-
cancéreux, qui présente de fortes disparités : pour les dix molécules les plus
courantes, les montants varient de 3 000
€ à 27
500
€ annuels.
Pour certains médicaments, le coût est encore plus élevé. Il atteint
72 000
€ par patient et par an pour le pembrolizumab
273
. La perfusion
unique de cellules CAR-T coûte entre 300 000 et 400 000
€ hors coût
organisationnel pour l’établissement, qui fait l’objet d’un complément
forfaitaire de tarif.
L’expertise développée en France par certains centres experts,
comme l’institut Gustave Roussy ou l’institut Curie, pourrait être mise à
profit pour produire des cellules CAR-T.
Favoriser les essais et la production de cellules CAR-T
par les hôpitaux
Les cellules CAR-
T ont un prix d’achat élevé, du fait notamment de
leur mode de production : les lymphocytes du patient sont prélevés, congelés
et envoyés à l’étranger où ils sont génétiquement modifiés
avant une nouvelle
congélation et un retour en France à l’hôpital où ils sont injectés au patient.
La France pourrait s’inspirer d’exemples étrangers. Une équipe
académique espagnole a obtenu en février 2021 une autorisation de
commercialisation pour une CAR-
T développée et produite au sein d’un
hôpital à Barcelone, avec des économies considérables
: le prix d’une dose y
est de 89 290
€, contre 327
000
€ en prix facial pour un médicament
commercialisé en France
274
. L’intérêt économique d’une telle production
est
toutefois débattu au regard de ses contraintes techniques et de ses coûts de
développement
275
.
273
Bulletin de l’Académie nationale de médecine, séance du 29 mai 2018
, étude de
l’o
rganisation professionnelle des entreprises du médicament.
274
L’Agence européenne des médicaments (EMA) est en cours d’évaluation de
l’expérience de l’Espagne afin de statuer sur la dérogation au recours à l’AMM
centralisée applicable à ce type de produits.
275
Voir par exemple la
séance du 23 janvier 2024 de l’
Académie nationale de médecine
consacrée aux cellules CAR-T.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
237
2 -
Un fort dynamisme des coûts depuis 2017
Pour analyser la dépense, la Cour a retenu le périmètre des
médicaments anti-cancéreux relevant de la « liste en sus ». Les
médicaments inscrits sur cette liste font, en raison de leur coût et de leur
caractère innovant, l’objet d’un remboursement spécifique par l’assurance
maladie aux hôpitaux : 72 médicaments anti-cancéreux bénéficiaient de ce
mécanisme en 2022. Ils comptaient pour 37 % des molécules de la « liste
en sus » et pour plus de 70 % des dépenses
276
. Leur coût a doublé entre
2018 et 2022, ce qui s’explique pour
moitié par l’augmentation du nombre
de bénéficiaires (effet-
volume) et pour l’autre par la hausse du coû
t de la
prise en charge (effet-prix).
Graphique n° 33 :
évolution des dépenses de médicaments
de la « liste en sus
» (en Md€)
Note
: Dépenses brutes, hors remises, remboursées d’assurance maladie, France entière
Source : Scan santé (ATIH), PMSI (INCa)
Après déduction des
remises versées à l’assurance maladie par les
entreprises pharmaceutiques
277
, la Cour a estimé la dépense nette pour
l’assurance maladie à 2,4
Md€ en 2022
, en augmentation de 50 % par
rapport à 2018.
Les coûts de ces traitements fragilisent le fonctionnement de la
« liste en sus », en principe réservée au financement temporaire et
276
Les plus coûteux sont le pembrolizumab (1,1
Md€ en 202
1) et le daratumumab
(479
M€ en 2021).
277
Il existe plusieurs types de remises négociées entre les entreprises pharmaceutiques
et le Comité économique des produits de santé. Elles viennent en déduction du prix
facial du médicament, publié au journal officiel, pour former un prix net, tenu
confidentiel, eff
ectivement supporté par l’assurance maladie.
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238
dérogatoire de médicaments innovants avant qu’ils ne soient intégrés dans
les tarifs d’hospitalisation. Depuis 2018, en raison des médicaments anti
-
cancéreux, les dépenses de ce poste budgétaire ont systématiquement
dépassé
l’enveloppe qui leur est allouée dans l’objectif national de
dépenses d’assurance maladie (Ondam) voté par le Parlement.
Une « liste en sus » fragilisée par le coût
des médicaments anti-cancéreux
Créée pour favoriser la prise en charge de médicaments innovants,
la « liste en sus » permet leur financement intégral pour les hôpitaux. Leur
inscription est conditionnée par leur caractère innovant, déterminé par
l’amélioration du service rendu, et leur radiation, par u
n écart devenu
inférieur à 30 % entre leur prix et les tarifs des prestations dans lesquelles
ils peuvent être administrés
278
.
Les médicaments anti-cancéreux, en raison de leurs prix élevés,
restent durablement inscrits sur la liste, ce qui ne correspond pa
s à l’objectif
de la « liste en sus » : des sorties régulières doivent permettre de nouvelles
entrées. L’arrivée de nouveaux médicaments encore plus performants ne
conduit pas à leur radiation, sauf demande de réévaluation à l’initiative de
la commission de la transparence ou du ministre chargé de la santé
279
.
Ces difficultés ont été accrues par la décision prise en 2021 d’ouvrir la
« liste en sus
» aux médicaments ayant un niveau d’innovation qualifié de
mineur par la HAS (niveau IV)
280
afin d’accélérer l’accè
s des patients à ces
traitements. Sur vingt-cinq anti-cancéreux inscrits en 2022, cinq relevaient de
cette catégorie. Cet élargissement de la « liste en sus », au coût élevé, conduit
à s’interroger sur la logique qui préside désormais à sa composition.
Si les dépenses de médicaments anti-cancéreux poursuivaient le
rythme de progression constaté entre 2018 et 2022, elles passeraient de
2,4
Md€ en 2022 à 7
Md€ en 2028 après remises
, soit 7 % de la totalité des
dépenses hospitalières remboursées par l’assuranc
e maladie.
278
Article R162-37-2 du code de la sécurité sociale.
279
Décret n° 2020-1090 du 25 août 2020.
280
Jusqu’en 2021, la liste en sus était réservée aux
médicaments présentant une
innovation majeure (I), importante (II), modérée (III) et à ceux présentant une
innovation mineure (IV) si l'indication considérée présentait un intérêt de santé
publique et en l'absence de comparateur pertinent. Le décret n° 2021-1614 du 9
décembre 2021 a supprimé ces conditions.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
239
B -
Des outils d’évaluation clinique à faire évoluer
Dans leurs négociations avec les entreprises pharmaceutiques, les
pouvoirs publics s’appuient sur des évaluations cliniques et médico
-
économiques. Les caractéristiques des médicaments innovants limitent la
pertinence de ces évaluations et incitent à en adapter les modalités.
1 -
Un dispositif remis en cause par les nouvelles molécules
Le développement rapide des médicaments innovants pose deux
défis au dispositif d’évaluation de leur efficacité thérap
eutique : la solidité
de la preuve de l’efficacité de la nouvelle molécule et le nombre de patients
inclus dans les essais.
Le principe des évaluations de la HAS est fondé sur la comparaison
du nouveau médicament à la pharmacopée existante. Il faut donc identifier
un comparateur cliniquement pertinent et disposer de données suffisantes
en nombre et en qualité pour porter une appréciation valable.
Ces méthodes sont adaptées à des médicaments indiqués pour un
grand nombre de patients, arrivant à un rythme lent dans un environnement
stable. Elles le sont moins pour les anti-cancéreux, qui lui sont soumis à
une phase précoce des essais, sur un nombre restreint de patients concernés
par une anomalie moléculaire.
Il peut donc s’avérer impossible avec les méthodes
actuelles de
conclure à une amélioration du service médical rendu, ce qui a des
conséquences sur la mise sur le marché de ces médicaments et sur le prix
auquel peut prétendre l’entreprise pharmaceutique. Certaines entreprises
ont choisi de ce fait de ne pas commercialiser leur produit en France,
comme cela a été le cas pour Carvykti
®
, médicament indiqué pour les
myélomes multiples en rechute et réfractaires aux autres traitements
281
.
En février 2023, la HAS a révisé sa doctrine pour mieux prendre en
compte les situations dans lesquelles la valeur ajoutée du médicament ne
peut
pas
encore
être
évaluée.
Elle
précise
alors
les
données
complémentaires attendues pour réévaluer les conditions de l’amélioration
du service rendu.
281
Carvykti® a bénéficié d’une autorisation d’accès précoce le
23 juin 2022. La
commission de la transparence a évalué le 23 novembre 2022
qu’il procurait une
amélioration du service médical rendu inexistante (ASMR V), ce qui a conduit le
laboratoire à retirer son produit du marché français en mars 2023.
Il n’est pas non plus
commercialisé en Angleterre pour les mêmes raisons.
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COUR DES COMPTES
240
Dans le cadre d’essais reposant sur un
nombre restreint de patients
relevant d’une même anomalie moléculaire, la HAS accepte de recourir à
des comparaisons indirectes, qui apprécient l’efficacité du nouveau
traitement et du traitement existant en recourant à un comparateur
commun, le plus souvent un placebo. Comme le souligne la HAS, cette
reconnaissance ne remet pas en cause l’objectif de disposer de résultats sur
des cohortes de patients plus étendues.
2 -
Un indispensable recueil national des données en vie réelle
Pour résoudre ces difficultés sans remettre en cause l’accélération
de la mise à disposition des nouvelles molécules aux patients, une solution
consiste à étudier
a posteriori
leur intérêt en observant leur efficacité « en
vie réelle »
282
. Pour y parvenir, d
es dispositifs de recueil d’information sont
indispensables.
Ces recueils d’information, complémentaires des données d’essais
cliniques, permettent d’observer dans la population traitée à l’hôpital si les
conditions des essais sont vérifiées (prescription, dosage) et si les résultats
obtenus sont cohérents avec ceux des essais. Ils couvrent des populations
plus importantes sur des durées de prescription plus longues, ce qui peut
contribuer à mettre en évidence les effets à long terme d’un traitement,
notamm
ent d’éventuels effets indésirables, et à établir des comparaisons
entre traitements.
Or, contrairement à plusieurs pays européens, la France ne dispose
pas de registre national permettant de suivre en vie réelle les innovations
thérapeutiques des médicaments anti-cancéreux et leurs résultats
283
, hormis
celui existant pour les traitements par cellules CAR-T.
Le suivi en vie réelle dans certains pays européens
En Espagne, un réseau de registres a été créé en 2010 afin de fournir
aux autorités sanitaires et à la communauté scientifique des résultats sur
l'incidence, la survie et la prévalence du cancer. Une base de données
commune aux différents registres garantit la qualité des données et leur mise
à jour.
282
Les études en vie réelle analysent les effets des médicaments administrés (non-toxicité,
tolérance, efficacité) dans la pratique courante. Elles se distinguent des essais cliniques.
283
En 2023, 33 registres partiels étaient dénombrés par la direction générale de la santé :
19 registres généraux couvrant 24 départements, dont 5 outre-mer, et 14 registres
spécialisés dans le recensement de cancers localisés dans des organes spécifiques.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
241
Le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la
Suède
disposent depuis 2003 d’un registre commun dénommé Nordcan. Celui
-ci
contient des données sur tous les cancers pour l’information, la
planification, le contrôle qualité et la recherche en cancérologie.
Le coût de fonctionnement annuel d’un registre l
imité à un seul
médicament peut être estimé
a minima
à 200 000
€
284
, avec des écarts
importants. Celui d’un registre commun des médicaments de la «
liste en
sus » les plus onéreux serait beaucoup plus coûteux. Il permettrait toutefois
un suivi plus strict des conditions dans lesquelles ces médicaments doivent
être indiqués. Pour limiter la dépense totale occasionnée, les entreprises
pharmaceutiques pourraient, en contrepartie de l’inscription de leur
molécule sur la liste, être appelées à contribuer au financement du registre.
C -
Une gamme des outils de régulation à enrichir
Les évaluations médico-économiques sont limitées du fait des
méthodologies utilisées. Les pouvoirs publics disposent de différents
moyens pour négocier les prix des médicaments. Les outils
d’amélioration
de la qualité et de l’efficience des soins doivent être mis au service de la
qualité de la prescription.
1 -
Mieux utiliser les évaluations médico-économiques
à l’appui des négociations de prix
Un avis médico-
économique est sollicité lorsqu’une
nouvelle
molécule est réputée apporter une amélioration du service médical rendu
majeure, importante ou modérée,
qu’elle est susceptible de modifier
l’organisation des soins ou les pratiques professionnelles et d’avoir des
conséquences significatives sur l
es dépenses d’assurance maladie. La
commission d'évaluation économique et de santé publique (Ceesp)
rattachée à la HAS rend ces avis, aussi destinés à servir d’appui à la
négociation des prix.
L’évaluation médico
-économique prend en compte les coûts induits
pour l’assurance maladie, mais aussi les économies possibles, par exemple
grâce à un meilleur usage du système de soins ou à une amélioration de
l’état de santé des patients. En permettant de mieux anticiper les
conséquences financières de l’arrivée de n
ouveaux médicaments, elle
284
Selon le ministère de la santé, le coût de fonctionnement des 33 registres français est
de 7
M€, mais celui du registre Descar
-
T est d’environ
2
M€.
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242
constitue, pour le décideur public, une aide complémentaire à
l’amélioration du service médical rendu.
Les conditions d’élaboration de ces études en réduisent cependant
la portée. En France, contrairement à l’Angleterre et au P
ays de Galles, la
Ceesp examine les dossiers d’évaluation déposés par les industriels et juge
de leur méthodologie, sans réaliser de travaux par elle-même.
Le National institute for health and care excellence (Nice) :
un acteur essentiel de l’évaluation de l’efficience
Le Nice est une agence administrative indépendante créée en 1999,
placée auprès du ministère de la santé d’Angleterre et du Pays de Galles,
chargée d’évaluer l’efficience des produits de santé.
Une fois le dossier soumis, un groupe académique indépendant
d’experts, cliniciens et économistes de la santé, évalue le dossier. Il transmet
son rapport à un comité indépendant d’évaluation, qui produit un avis sur
son utilisation. Ce recours à des groupes externes, qui place le Nice en
arbitre, est
l’une de ses spécificités.
Le Nice compte 723 agents et dispose de conventions de partenariat avec
neuf centres universitaires indépendants et organismes de recherche
285
, soit
environ 3 000 experts indépendants (médecins, épidémiologistes, statisticiens,
éco
nomistes, patients). Par comparaison, le service d’évaluation du médicament
de la HAS emploie 35 équivalents temps plein plus une cheffe de service et trois
adjoints pour les évaluations cliniques et médico-économiques.
La qualité insuffisante des dossiers médico-économiques réalisés
par les entreprises pharmaceutiques peut, le cas échéant, empêcher la Ceesp
de se prononcer sur le fond. Ces situations sont fréquentes : entre 2017 et
2022, 38 % des dossiers de médicaments anti-cancéreux évalués ont été
invalidés pour cause de réserves majeures portant sur la méthode employée
et donc sur la confiance dans les résultats présentés.
285
Rapport annuel 2021-2022 d
u Nice: Universités d’Aberdeen, Liverpool, Sheffiel
d,
York, Exeter, Southampton, Warwick, Kleijnen Systematic Reviews Ltd, BMJ Group.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
243
2 -
Rendre systématique l’utilisation d’un indicateur d’efficience
Pour rendre compte de l’efficience du médicament, la Ceesp utilise
un indicateur appelé ratio différentiel coût-résultat
286
, qui détermine le
différentiel de coût et de résultat clinique avec un médicament comparable
existant. Dans le cadre juridique actuel, ce ratio est un critère parmi d'autres
dans la négociation du prix.
Dans d’autres pays, il est utilisé comme critère
de décision, entraînant le refus ou l’acceptation de la prise en charge d’un
médicament par la collectivité. En Angleterre, un intervalle entre 20 000 £
et 30 000 £ par année de vie gagnée en bonne santé est utilisé comme seuil
de référence pour accepter la prise en charge du médicament par le système
de santé. Un fonds spécifique a été créé pour financer temporairement les
anti-cancéreux qui dépassaient le seuil de 30 000 £
287
.
Sans entrer dans une telle logique de seuils, le recours à des valeurs
de référence par types de produits, régulièrement mises à jour, enverrait un
signal sur le caractère excessif de la revendication de prix de certains
médicaments. Ce signal aiderait le Comité économique des produits de
santé dans ses négociations pour ramener les prix demandés par les
entreprises pharmaceutiques dans des fourchettes acceptables pour la
collectivité au regard de leur intérêt médico-économique.
3 -
Fixer une trajectoire pluriannuelle aux négociations de prix
a)
Une régulation reposant essentiellement
sur les remises conventionnelles
Pour négocier les prix des médicaments avec les entreprises
pharmaceutiques, le Comité économique des produits de santé s’appuie sur
les avis de la HAS, esse
ntiellement l’amélioration du service médical
rendu, mais aussi, au cas par cas, sur des clauses de l’accord
-cadre signé
tous les trois ans avec l’organisation professionnelle des entreprises du
286
Pour élaborer ce ratio,
sont calculées séparément d’une part, la
différence
d’efficacité
entre un nouveau médicament et un médicament comparable (mesurée en
nombre d’années de vie gagnées en bonne santé) et, d’autre part,
la différence de coût.
La différence
d’efficacité
est ensuite rapportée à la différence de coût, ce qui donne une
indication sur le coût d’une plus grande efficacité.
287
Le Cancer Drugs Fund octroie un financement provisoire pour les médicaments sous
réserve de certaines conditions
, notamment l’existence
d'une incertitude clinique
qu’il
est possible de réduire par une collecte de données.
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244
médicament
288
, sur des orientations ministérielles qui lui fixent des
objectifs de négociation
289
et sur une doctrine issue de sa pratique.
Lors de ces négociations, le Comité économique des produits de santé
et les entreprises pharmaceutiques s’accordent notamment sur des montants
de remises, qui ne concernent que 6 % des médicaments remboursés mais
quasiment tous les anti-cancéreux innovants. Le prix effectivement payé est
donc plus bas que celui officiellement reconnu et publié.
Le montant des remises sur l’ensemble des médicaments de la «
liste
en sus
» s’est élevé à
2,3
Md€ en 2022
290
. Ce montant a triplé entre 2018 et
2022 et a progressé encore plus rapidement pour les anti-cancéreux (3,6 fois
selon les estimations de la Cour), ce qui a nettement contribué à freiner
l’augmentation des dépenses. L’une des rares études
sur le sujet, compte tenu
du fait que les remises sont couvertes par le secret des affaires, va dans le
sens d’une bonne capacité de négociation de la
France. En 2016, les prix
français sur un panier de 31 produits anti-cancéreux étaient inférieurs en
moyenne de 17 % aux prix allemands et de 5 % aux prix italiens
291
. Assez
ancienne, cette étude n’a pas pris en compte les introductions récentes
292
.
Les remises représentent en moyenne 30 % du prix du médicament
mais elles
varient de 15 % à 80 % sous certaines conditions
conventionnelles. Dans tous les cas, elles sont négociées indication par
indication, au coup par coup
, sans fixation d’un objectif pluriannuel fixant
un cap
. Face à l’a
mpleur des remises déjà négociées et à la dynamique des
dépenses de médicaments anti-cancéreux, les contraintes du cadre de
négociation risquent de peser davantage à l’avenir.
288
Créé aux termes de l’article L. 162
-17-13 du Code de la sécurité sociale.
289
Les dernières orientations ministérielles datent du 19 février 2021.
290
Ce montant concerne uniquement les remises effectuées sur les produits, hors autres
types de remises (accès précoce, accès compassionnel, clause de sauvegarde).
291
Vogler S, Vitry A, Babar ZUD. Cancer drugs in 16 European countries, Australia,
and New Zealand, A cross-country price comparison study,
Lancet Oncol
, 2016.
292
Selon une comparaison plus récente mais dont le champ couvre tous les médicaments
sous brevet, les prix des médicaments en France seraient les plus faibles d’Europe après
ceux de la Pologne et de la Grèce. Ils seraient inférieurs de 26 % à ceux du Royaume-Uni,
29
% à ceux de l’Italie et 37
% à ceux de l’Allemagne.
Agence des prestations dentaires
et pharmaceutiques, décembre 2020,
Comparaison de prix internationale 2020. Une
analyse des prix pharmaceutiques suédois par rapport à 19 autres pays européens
, p. 97.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
245
b)
L’échec des contrats spécifiques aux médicaments innovants
Pour répondre à l’en
jeu de maîtrise des dépenses des médicaments
innovants, des contrats spécifiques ont été mis en place. Ils visaient à
permettre une fixation du prix malgré un niveau de preuve insuffisant.
Le Comité économique des produits de santé a ainsi eu recours à des
contrats dits « de prix conditionnels » pour accorder temporairement un
prix à de meilleures conditions que celles qui auraient été justifiées par
l’amélioration du service médical rendu à la date de la négociation
.
Toutefois, aucun des quatorze contrats
signés n’a conduit à une
réévaluation favorable
et l’accord
-
cadre de 2021 n’y fait plus référence.
D’autres types de contrats,
dénommés « contrats de performance »,
ont connu le même sort. Ils ont prévu une évolution du montant des remises
en fonction d’indicateurs issus d’études en vie réelle. Leurs résultats ont
été faibles. Alors
que la démonstration en vie réelle d’une efficacité
supérieure du produit n’a pas pu être apportée pour la plupart des
médicaments concernés
293
, cela n’a pas pour autant conduit l
e Comité
économique des produits de santé à réévaluer le prix.
L’incapacité à mobiliser
les données pharmaco-épidémiologiques
des registres de santé publique, aujourd’hui trop éparses et insuffisamment
développées, pour suivre l’impact réel d’un médicamen
t sur plusieurs
années
294
, rend difficile le développement de ces contrats. La régulation
des prix repose donc essentiellement sur les contrats de droit commun.
c)
Des objectifs de négociation conventionnelle à redéfinir
La principale difficulté à laquelle fait face le Comité économique
des produits de santé est le niveau élevé des prix sollicités par les
entreprises pharmaceutiques lors de la négociation, sans pouvoir s’appuyer
sur une évaluation médico-
économique décisive en l’absence de valeurs de
référence.
293
Le CEPS ne recense qu’un seul cas (un traitement du myélome multiple) où le recueil
de données a conduit à un maintien du prix en raison du succès du traitement.
294
Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation
du système de santé L’exemple du médicament
, Bernard Bégaud, Dominique Polton,
Franck von Lennep, mai 2017.
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246
Comme la Cour l’a déjà souligné
295
, quel que soit le cas de figure,
l’acceptation de prix élevés lors d’une première négociation sert
durablement de référence pour les négociations futures. L’accord
-cadre,
qui permet en théorie un réexamen des prix, n’est p
as automatique.
P
our concilier l’accès des patients aux médicaments innovants avec un
prix adéquat, il pourrait être envisagé de fixer un prix pour une durée limitée,
dans
l’attente
d’études
d’efficacité
clinique
et
médico
-économique
complémentaires. Le résultat de ces études donnerait lieu à une révision du prix.
La fixation d’un prix initial élevé pour les médicaments innovants
est un obstacle à leur sortie de la « liste en sus »,
puisqu’elle compromet
leur prise en charge ultérieure, dans des délais raisonnables,
via
les tarifs
hospitaliers (
cf. supra
). Pour concilier les revendications des entreprises
pharmaceutiques et l’objectif de régulation des prix, il pourrait être
envisagé, pour certaines molécules, dès la première négociation, de décider
une trajectoire pluriannuelle de baisse de prix visant à planifier leur sortie
de la « liste en sus ». Les augmentations de volume liées aux éventuelles
demandes successives d’extension d’indications confirmeraient cette
orientation du prix à la baisse négociée initialement.
Ces différentes options pourraient être intégrées au futur accord-
cadre entre le Comité économique des produits de santé et l’organisation
professionnelle des entreprises du médicament, dont la négociation
commencera en 2024.
295
Cour des comptes,
La fixation du prix des médicaments des résultats significatifs,
des enjeux toujours majeurs d’efficience et de soutenabilité, un cadre d’action à
fortement rééquilibrer,
Ralfss 2017, chapitre VIII.
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LES MÉDICAMENTS ANTI-CANCÉREUX : MIEUX RÉGULER EN
PRÉSERVANT UN ACCÈS RAPIDE AUX TRAITEMENTS INNOVANTS
247
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La vague d’innovations en cours en cancérologie, avec la mise sur
le marché de nombreux médicaments innovants, présente des gains
thérapeutiques importants pour les patients qui en bénéficient. Ces
nouveaux médicaments permettent notamment de considérablement
prolonger la vie des patients, y compris pour des cancers jusqu’alors à
mauvais pronostic.
Pour autant, la fixation de leurs prix par
les pouvoirs publics
présente des défis importants en raison des montants élevés réclamés par les
en
treprises pharmaceutiques et des difficultés d’établir rapidement
l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par rapport à la
pharmacopée existante .Afin de surmonter ces difficultés, une régulation des
dépenses fondée sur une appréciation plus exacte
et plus large de l’efficacité
et de l’impact des nouveaux médicaments est indispensable
;
elle devrait
s’appuyer notamment sur les conditions d’utilisation et les résultats obtenus
dans la vie réelle. L’évaluation médico
-économique,
aujourd’hui
indicative,
doit
également
être renforcée pour devenir un véritable outil de négociation.
Mettre en œuvre ces procédures, déjà appliquées par certains autres
pays, suppose une mobilisation vigoureuse des pouvoirs publics. Celle-ci
est nécessaire pour préserver la capacité de notre système de santé à
concilier durablement un accès rapide au progrès médical et la maîtrise
des dépenses de l’assurance maladie.
Dans
cette
perspective,
la
Cour
formule
les
quatre
recommandations de politique publique suivantes :
18.
renforcer la
capacité de la commission d’évaluation économique et de
santé
publique
à
produire
des
études
médico-économiques
indépendantes des laboratoires pharmaceutiques, en s’appuyant
notamment sur les universités (Haute Autorité de santé) ;
19.
en se fondant sur les études médico-économiques et en vue de la
négociation du prix des médicaments, définir des valeurs de référence
pour l’indicateur exprimant le rapport entre les différentiels de coût et
d’efficacité entre un nouveau médicament et un médicament
comparable existant (Haute Autorité de santé, Comité économique des
produits de santé) ;
20.
mettre en place un registre national de suivi de l’administration des
médicaments anti-cancéreux, financé par une contribution des
laboratoires concernés (ministère du travail, de la santé et des solidarités,
Institut national du cancer) ;
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248
21.
renégocier le prix des médicaments anti-cancéreux innovants lorsque
des études, non disponibles au moment de la fixation du prix initial,
montrent des résultats inférieurs à ceux attendus (Comité économique
des produits de santé).
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