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Chapitre V
L
’indemnisation des arrêts de travail
pour maladie du régime général : une
dépense à maîtriser, une réglementation
à simplifier
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
L’indemnisation des arrêts de travail pour maladie a été couverte
de manière mutualisée en France dès la loi du 5 avril 1928, avant la
création de la sécurité sociale
200
. Ses paramètres originels, reconduits
pour l’essentiel en 1945
201
, n’ont jamais été révisés malgré les progrès
thérapeutiques, l’extension du champ d’affiliation à l’a
ssurance maladie,
la diversification des types de contrats de travail et des situations
d’activité.
Pendant la crise sanitaire, la charge financière des indemnités
versées a fortement augmenté en raison des mesures dérogatoires décidées
pour faire face à la pandémie. Les dépenses sont restées très élevées en
sortie de crise dans un contexte d’inflation, de vieillissement de la
population salariée et de perception d’une dégradation de son état de
santé, reflétée par les baromètres sur l’absentéisme.
La cais
se nationale d’assurance maladie (Cnam) s’est engagée dans
un renforcement des actions de lutte contre la fraude et de régulation
médicalisée grâce, notamment, à des progrès réalisés dans les systèmes
informatiques et à des réformes de l’organisation et de
s objectifs de son
service médical. Ces actions indispensables ne pourront toutefois, à elles
seules, assurer la soutenabilité de la dépense. La gestion administrative
doit être simplifiée pour réduire son coût et améliorer les délais de
liquidation des as
surés. Par ailleurs, le niveau de l’indemnisation à la
charge de l’assurance maladie pourrait être réduit à la lumière des
obligations de maintien du salaire assumées par les entreprises du fait de
la loi et de la négociation collective.
La croissance des
dépenses d’indemnités journalières maladie a des
causes systémiques dont les effets ont été amplifiés par la pandémie (I). La
complexité de la réglementation conduit à d’importants coûts de gestion et
à des difficultés pour les assurés ; elle appelle une simplification (II). La
lutte contre la fraude et l’accentuation de la maîtrise médicalisée des
arrêts de travail devront être complétées par une évolution des paramètres
d’indemnisation prenant en compte la protection prise en charge par les
entreprises (III).
200
Le risque d’arrêt de travail pour maladie
se distingue du risque d’accident du travail
et de maladie professionnelle, dont la protection est encore plus ancienne.
201
L'assuré malade a droit, sur attestation médicale, à une indemnité par jour ouvrable
d'un demi-salaire, jusqu'à la guérison ou la consolidation de la blessure. Depuis 1945,
la durée de carence est de trois jours et la durée
maximale d’indemnisation
de trois ans.
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190
Chiffres-clés
Les dépenses d’indemnisation des arrêts de travail pour maladie du
régime général sont passées de 7,7
Md€ à 12
Md€ entre 2017 et 2022
(+ 56 %)
202
. Par comparaison, les indemnités journalières pour maternité ou
paternité ont représenté 3,8
Md€ en 2022 et les indemnités journalières pour
accident du travail ou maladie professionnelle 4,4
Md€.
La même année, 8,9 millions d’arrêts de travail pour maladie
indemnisés ont été dénombrés. Les indemnisations d’une durée supérieure
à six mois ont représenté 6 % des arrêts maladie mais 45 % de la dépense.
Le motif des arrêts de travail n’est connu que pour 50
% d’entre eux.
I -
Des dépenses dynamiques à la croissance
amplifiée par la pandémie
La dépense d’indemnités journalières maladie a atteint un nive
au
inédit en 2022. Les causes de cette augmentation se répartissent entre des
facteurs systémiques et les effets de la pandémie de covid 19, qui a donné
lieu à des mesures dérogatoires.
A -
Une dépense d’un niveau inédit en 2022
Selon la commission des comptes de la sécurité sociale, le montant
d’indemnités journalières versées aux travailleurs salariés et indépendants
en arrêt maladie a atteint 12
Md€ en 2022 (+
4,3
Md€ par rapport à 2017).
La dépense a progressé de 9 % par an en moyenne entre 2017 et 2022,
contre 3 % par an entre 2010 et 2017.
Dans la période 2017-
2022, la hausse a été d’abord de 5,1
% par an
de 2017 à 2019. La pandémie a conduit à une augmentation inédite de la
dépense en 2020 (+ 30 %), puis à un reflux en 2021 (- 9 %). Une vive
progression a été à nouveau constatée en 2022 (+ 19 %). Sur les trois ans,
l’augmentation annuelle moyenne a atteint 12,2
%.
202
Les indemnités journalières versées par l’assurance maladie se distinguent des
indemnités journalières pour accidents du travail et des indemnités journalières maternité.
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L’INDEMNISATION DES
ARRÊTS DE TRAVAIL POUR MALADIE
DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
191
Graphique n° 26 :
évolution annuelle des montants indemnisés
entre 2017 et 2022 par le régime général (en M€)
Champ : travailleurs salariés et travailleurs indépendants affiliés au régime général, dépenses y
compris arrêts dérogatoires covid 19
Source : Cour des comptes, d’après les données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Pour analyser cette évolution, les dépenses exceptionnelles
découlant de
l’épidémie de covid 19 doivent être distinguées des dépenses
relevant de facteurs plus permanents. Il convient, au surplus, de rappeler
que la frontière dans la prise en charge des dépenses entre la branche
maladie et la branche accidents du travail - maladies professionnelles
(AT-
MP) fait l’objet de débats récurrents.
Une incertitude sur l’imputation
du coût des indemnités journalières
La méconnaissance d’une exposition des salariés peut conduire à ne
pas déclarer une pathologie comme maladie professionnelle. L’article
L. 176-
1 du code de la sécurité sociale prévoit en conséquence qu’un
prélèvement est opéré chaque année sur la branche des accidents du travail
et maladies professionnelles au profit de la branche maladie pour tenir
compte des dépenses indûment supportées par cette dernière.
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192
Ce versement, de 1
Md€ par an de 2017 à 2021, a été réévalué à
1,1
Md€ en 2022 puis à 1,2
Md€ en
2023
203
. Contrairement aux indemnités
journalières maladie, la reconnaissance de maladies professionnelles a
diminué en 2022 (- 6,4 %).
B -
Des facteurs permanents qui participent
à l’augmentation des dépenses
Les dépenses d’indemnisation des arrêts de travail s
ont sensibles à
l’évolution des salaires, ainsi qu’aux caractéristiques de la population
active affiliée au régime général.
1 -
Un rôle important de l’évolution des salaires
Le montant de l’indemnité versée par le régime général est calculé sur
la base de 50 %
du salaire brut moyen de l’assuré, dans la limite d’un plafond
égal à 1,8 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Les
deux facteurs principaux qui expliquent l’évolution de la dépense d’indemnités
journalières maladie sont donc le Smic et le salaire moyen par tête.
Les règles de revalorisation du Smic
Le Smic est augmenté automatiquement chaque année au 1
er
janvier
en fonction de l'inflation constatée et de la progression des salaires des
ouvriers et des employés. Il peut être reva
lorisé en cours d’année si le taux
d’inflation dépasse un certain seuil. Le Gouvernement peut décider à tout
moment d’une revalorisation supérieure à cette indexation automatique.
Le Smic a augmenté de 2,8 % de 2017 à 2019 et de 13,6 % de 2020
à 2023, dans un contexte de tensions inflationnistes croissantes.
Les revalorisations du Smic contribuent à augmenter le niveau moyen
de l’indemnisation de trois manières
: un effet-base sur la rémunération des
17 % de salariés payés à ce niveau en 2023, une revalorisation des salaires
immédiatement supérieurs, et un effet de relèvement du plafond de
l’indemnité journalière. Les deux premiers effets sont prédominants puisque
92 % des indemnités versées sont inférieures au plafond.
203
La commission chargée de l’évaluation de la sous
-déclaration des maladies
professionnelles a estimé en 2021 que le montant était compris entre 1,2
Md€ et 2,1
Md€.
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
193
La progression du salaire moyen par tête est, quant à elle, fonction
de la dynamique des salaires mais aussi de la structure par âge de la
population active, le salaire augmentant avec l’âge
204
. Or, le report
progressif de l’âge de la retraite de 60 à 62
ans depuis 2011 et
l’augmentation de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une
retraite à taux plein contribuent à conserver les salariés âgés sur le marché
du travail. Selon le rapport annuel 2023 du Conseil d’orientation des
retraites, le taux d’activité des 50
-64 ans a progressé de 11 points entre
2010 et 2021. L’augmentation de la population active sur la période récente
découle en grande partie du maintien dans l’emploi des plus de 55 ans.
La progression du salaire moyen par tête, modérée de 2017 à 2019
(+ 5,5 % au total), est devenue plus rapide entre 2020 et 2022 (+ 6,7 %).
En conséquence, l’indemnité journalière moyenne a été calculée sur des
salaires moyens plus élevés de 12,2
% en 2022 qu’en 2017, l’inflation
cumulée ayant atteint 11,7 % sur la période. Ces éléments se répercutent
sur le montant moyen d’indemnité versé par journée indemnisée, qui a crû
de 7,5 % entre 2017 et 2022 pour atteindre 34,10
€ en 2022.
L’augmentation des dépenses a été moins rapide que celle des
salaires car près de la moitié résulte d’indemnités versées au titre d’arrêts
d’une durée supérieure à six mois, qui ne bénéficient pas de revalorisation
durant le laps de temps où elles sont versées. Les hausses de salaires et les
fortes augmentations du Smic appliquées en 2022 et en 2023 continueront
à avoir des effets en 2024 et au-
delà. Le montant moyen de l’indemnité
liquidée a déjà augmenté de 6,5 % sur le premier semestre 2023.
2 -
Des effets démographiques et de changement
de périmètre d’affiliation
Le volume de prescriptions d’arrêt de travail dépend de l’
état de
santé de la population active, du nombre d’affiliés au régime général et de
leur structure d’âge.
Davantage de personnes en activité conduit à un nombre plus élevé
d’arrêts de travail. Or, depuis 2017, la population active a augmenté de 2,5
%.
En
outre, le périmètre du régime général s’est étendu avec
l’intégration en 2020 du régime social des indépendants et donc la prise en
charge de l’indemnisation des arrêts de travail des travailleurs
indépendants, auxquels se sont ajoutés, depuis le 1
er
juillet 2021, les
204
D’après l’Insee (
Portrait social 2023
), la rémunération annuelle moyenne des salariés
âgés de 55 ans ou plus est de 32 % supérieure à celle des salariés âgés de 25 à 39 ans.
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194
professionnels libéraux affiliés à la caisse nationale d’assurance vieillesse
des professions libérales. En 2022, environ 230 000 travailleurs non-
salariés ont perçu une indemnité journalière maladie, pour un montant total
de dépenses d’indem
nisation de 369
M€
205
.
Enfin, les actifs âgés ont tendance à être affectés de pathologies plus
nombreuses et plus incapacitantes que les actifs plus jeunes, ce qui est à
l’origine d’un nombre d’arrêts de travail plus élevé et d’une durée moyenne
supérieure. Les plus de 55 ans représentaient 18,3 % de la population active
en 2022 mais 27
% des journées indemnisées par l’assurance maladie au
titre des indemnités journalières maladie. La durée moyenne des arrêts de
travail indemnisés des 55-
59 ans s’établissait
à 53 jours en 2022, contre
29 jours pour les 35-39 ans.
C -
Des dépenses imputables à l’épidémie de covid 19
difficiles à isoler
En mars 2020, devant la propagation du virus sur le territoire, la loi
a prévu la possibilité de déroger aux règles d’attribution
des indemnités
journalières maladie
206
afin de faciliter la prise en charge des personnes
malades ou vulnérables et de leurs proches. Ce dispositif est monté en
charge après la fin du premier confinement, le 11 mai 2020.
Les mesures dérogatoires ont été étendues à plusieurs reprises pour
inclure les personnes présentant les symptômes de l’infection ou faisant
l’objet d’une mesure d’isolement
207
et ont été appliquées jusqu’au
31 janvier 2023. Elles comprenaient la suspension de la vérification des
conditions d’o
uverture des droits, un allègement des contrôles des services
médicaux des caisses primaires d’assurance maladie (Cpam) et la
suspension du décompte du délai maximal d’indemnisation de trois ans
pour tous les arrêts, quelle que soit leur cause. Un téléservice permettant
d’effectuer une déclaration en ligne et de bénéficier d’une indemnisation
dès le premier jour d’isolement a été ouvert en janvier 2021.
La caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a identifié les arrêts
pour motif covid afin de mesurer les dépenses afférentes. Elle y a rattaché
une part des arrêts de travail non-identifiés pour motif covid dans le
système national des données de santé, notamment ceux dont le motif
n’avait pas été inscrit par le médecin prescripteur.
205
Données Cnam, hors indemnités dérogatoires covid.
206
Ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-427 du 15 avril 2020.
207
Décret n° 2021-13 du 8 janvier 2021.
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
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195
Tableau n° 24 :
dépenses d’indemnités
journalières maladie (IJM)
pour motifs covid 19 et hors covid 19 dans le régime général
208
(en Md€)
2020
2021
2022
Total
IJM dérogatoires covid 19
1,3
0,6
1,4
3,3
IJM rattachées covid 19
0,8
0,2
0,3
1,3
Sous-total IJM covid 19
2,1
0,85
1,7
4,6
IJM hors covid 19
8,9
9,2
10,3
Total
11,1
10,1
12,0
Source
: Cour des comptes, d’après données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Le coût des indemnités covid 19 dérogatoires ou rattachées a été
évalué dans les comptes du régime général à 4,6
Md€ de 2020 à 2022. Hors
covid, la dépense d’indemnités journalières maladie a augmenté de 7
% par
an sur la période 2020-2022, en accélération par rapport à 2017-2019
(+ 5 % par an) et à 2010-2017 (+ 3,2 % par an).
Cette dépense ne recouvre cependant pas tous les coûts induits
.
Les
mesures d’allégement des contrôles sur les indemnisations de plus de six
mois et la levée de la limite du délai d’indemnisation ont entraîné une
augmentation du nombre de personnes indemnisées sur longue période. La
crise sanitaire a aussi réduit le nombre de personnes qui ont repris un travail
ou, au contraire, ont été admises en invalidité du fait de l’allongement des
délais de prise en charge
209
et des consignes données au service médical de
ne pas mettre fin aux indemnisati
ons en cours. Le nombre d’arrêts de
travail de plus de deux ans a fortement augmenté jusqu’en mai 2021 et n’a
que peu diminué par la suite. Fin 2022, il restait 28 % supérieur à 2019.
Ces effets ont joué un rôle important dans le dynamisme des dépenses
puisque les arrêts supérieurs à six mois, qui ne représentent que 6 % du
nombre d’arrêts indemnisés, induisent près de la moitié de la dépense
d’indemnités hors covid. Le coût, par rapport à 2019, du surplus de journées
indemnisées pour des arrêts de plus de six mois est évalué par la Cour entre
208
Pour les sept premiers mois de l’année 2023, les dépenses d’indemnités journalières
imputables à la covid 19 ont été estimées à 120
M€. Cnam,
Focus sur l
es dépenses d’IJ
,
septembre 2023.
209
A
ccès à l’imagerie, aux consultations de spécialistes, déprogrammation
d’interventions non
-urgentes, etc.
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196
405
M€ et 886
M€ pour la seule année 2022
210
et s’ajoute à la dépense de
1,7
Md€ estimée par la Cnam pour les indemnités dérogatoires et rattachées.
Malgré les difficultés méthodologiques découlant du contexte
pandémiqu
e, une décomposition simplifiée des facteurs d’augmentation de
la dépense est présentée dans le graphique ci-dessous.
Graphique n° 27 :
décomposition des facteurs d’augmentation
de la dépense de 2017 à 2022 (en M€)
Source : Cour des comptes
Sur les 4,3
Md€ d’augmentation de la dépense en 2022 par rapport à
2017, 1,7
Md€ est directement imputable à la crise sanitaire. S’y ajoute un
montant minimum de 400
M€ résultant de l’allongement du délai maximal
d’indemnisation au
-delà de trois ans, des d
ifficultés d’accès au système de
soins en période pandémique et de l’allégement des contrôles du service
médical pour la poursuite de l’indemnisation au
-delà de six mois.
210
Selon qu’est prise en compte ou non la tendance de long terme à l’augmentation du
nombre d’arrêts de plus de six
mois (+ 3 % par an en moyenne), qui était déjà constatée
sur la période 2012-2019.
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
197
Les facteurs économiques et démographiques expliquent 1,3
Md€
de hausse, dont 0,7 Md
€ dû à l’augmentation du Smic et du salaire moyen
par tête, 0,2
Md€ à l’augmentation de la population active et 0,4
Md€ à
l’extension du périmètre du régime général aux indépendants et aux
professions libérales.
La vive progression de la dépense entre 2017 et 2022 peut donc être
en grande partie expliquée par des facteurs démographiques et salariaux ainsi
que par les incidences de la crise sanitaire. 0,9
Md€ ne peuvent être rattachés
à aucune de ces causes prises isolément. Ils incluent les conséquences du
vieillissement de la population active sur la durée des arrêts de travail, qui ne
peuvent être chiffrées précisément. Une augmentation de la durée des arrêts
pour motif psychologique a aussi été constatée, qui s’inscrit dans la durée
:
la Cnam a constaté une augmentation de la durée moyenne des arrêts de 10 %
pour toutes les classes d’âge entre 2010 et 2019
211
.
Les baromètres de l’absentéisme publiés par divers acteurs reflètent
la perception d’une dégradation de l’état de santé de la population
française. Selon le baromètre Malakoff-Humanis 2022, le nombre de
salariés jugeant leur état de santé dégradé est passé de 25 % à 31 % entre
2020 et 2022. Selon ce sondage, les troubles psychologiques représentaient
20
% des motifs d’arrêt en 2022 contre 15
% en 2020
212
.
Dans un contexte de retour à la normale sur le plan sanitaire et de
rétablissement par la Cnam des actions de régulation de la dépense
d’indemnités journalières dans le cadre de sa stratégie pluriannuelle
213
, la
dynamique de la dépense devra être suivie avec attention. Cette dynamique
se confirme en 2023 avec un montant de dépense ramené à 10,8
Md€, dans
lequel les indemnités journalières covid ne comptent plus que pour 100
M€
et les indemnités journalières hors covid progressent encore de 500 M€.
211
Cnam,
Rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution
des charges et des produits de l’assurance maladie au titre de 2024 (loi du 13 aoû
t 2004)
pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses
, juillet 2023.
212
Ces chiffres, issus de sondages réalisés sur des échantillons d’environ
1 000 personnes, doivent toutefois être pris avec précaution.
213
Celle-ci comporte des actions à destination des assurés, des prescripteurs et des
employeurs visant à mieux réguler la dépense d’indemnités journalières maladie, dont
de nombreuses dimensions sont analysées en partie III
infra
.
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198
II -
Une réglementation à simplifier
L’adaptation de la réglementation à la diversité des situations
d’activité aboutit à une grande complexité. Celle
-ci est source de coûts de
gestion importants et a des conséquences préjudiciables pour les assurés,
notamment les plus précaires. La vérification des droits des assurés et la
détermination du revenu servant de base au calcul de leur indemnisation
mériteraient d’être simplifiées.
A -
Une trop grande complexité, coûteuse
et préjudiciable aux assurés
La réglementation des indemnités journalières a cherché à prendre en
compte les caractéristiques particulières des multiples situations d’emploi.
La grande complexité qui en découle est à la source de coûts de gestion
importants,
d’erreurs et de délais de liquidation défavorables au
x assurés.
1 -
Une complexité réglementaire suscitée par la diversification
des situations d’emploi
L’indemnisation d’un arrêt de travail est calculée sur la base de 50
%
de la moyenne du salaire brut, apprécié sur les trois ou les douze mois
précédant l’arrêt
de travail selon les cas. Elle est versée sous la condition
d’un nombre minimum d’heures travaillées ou d’une rémunération
minimale constatée durant les trois, six ou douze mois précédant l’arrêt.
La diversification des modes de rémunération a progressivement
rendu la notion de salaire brut moins aisée à déterminer : primes assujetties
ou non à cotisations sociales et à l’impôt, treizième mois, intéressement et
participation, tickets-restaurants, frais de déplacement, etc.
La difficulté à qualifier le re
venu et l’activité s’est accentuée avec
la diversification des situations des personnes ayant un emploi, au fur et à
mesure de leur rattachement au régime général (contrats à durée
déterminée, saisonniers, intérimaires, intermittents, personnels de maison,
assistantes maternelles, etc.).
Cette multiplication de situations spécifiques rend plus complexe le
recensement des périodes d’activité ainsi que le calcul du revenu de
référence à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité.
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
199
La complexité s’est accentuée avec l’ouverture des règles du maintien
de droits
214
aux demandeurs d’emploi inscrits à France Travail. Ces règles
conduisent à devoir apprécier le salaire de référence sur des périodes
d’emploi parfois éloignées de la date de la prescription d’arrêt
de travail
215
.
La réglementation oblige aussi à neutraliser les périodes non travaillées en
cas d’activité réduite permettant de percevoir à la fois un revenu d’activité et
une allocation chômage, ce qui constitue une opération complexe.
L’ouverture de l’in
demnisation des arrêts de travail à diverses
catégories
de
travailleurs
non-salariés
(artisans
et
commerçants,
professionnels libéraux et personnels médicaux)
216
a conduit à leur
appliquer des règles différentes de celles établies pour les travailleurs
salariés. Leur indemnité est calculée sur la moyenne des trois dernières
années de revenu non-
salarié, sous des conditions de revenus et d’activité
minimale spécifiques. Le montant maximal de leur indemnité est régi par
des règles propres
217
.
Le cas des personnes qui exercent à la fois une activité indépendante
et une activité salariée et qui bénéficient donc des deux régimes nécessite
un double calcul. À revenu global identique, une personne dans cette
situation se trouve avantagée du fait de l’absence de plafon
nement global
des sommes versées, ce qui pose un problème d’équité.
2 -
Une complexité coûteuse en gestion et préjudiciable
aux assurés
La modernisation des outils de gestion
(cf. infra)
aurait dû permettre
de réduire les effectifs affectés à la liquidation des prestations dans les
Cpam. En réalité, les effectifs ont augmenté du fait de la pandémie de
covid, et, en dépit de cette augmentation, un stock de dossiers s’est
constitué qui n’a pu être résorbé que p
ar de nouveaux recrutements.
214
Les demandeurs d’emploi bénéficient du maintien d
e leurs droits aux prestations en
espèces de la sécurité sociale pendant la période de versement de leur allocation
chômage et pendant un an au-delà (art. L. 311-5 du code de la sécurité sociale).
215
Il a été constaté à la Cpam de Créteil que la liquidation
d’une indemnité en septembre
2023 a nécessité de demander à un chômeur des bulletins de salaires remontant à 2009.
216
Les commerçants et artisans bénéficiaient d’indemnités journalières maladie servies
par le régime social des indépendants. Depuis le 1
er
juillet 2021, les professionnels
libéraux (hors avocats) peuvent bénéfici
er d’indemnités journalières maladie selon des
règles qui leur sont propres.
217
Au 1
er
janvier 2024, l’indemnité brute servie aux travailleurs indépendants ne peut
pas excéder le montant de 63,52
, contre 52,28
€ pour les salariés
.
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COUR DES COMPTES
200
En 2022, la liquidation des indemnités journalières maladie occupait
directement 3 673 équivalents temps plein rémunérés, soit 7,4 % de
l’effectif des Cpam
218
, pour un coût salarial de 183
M€. À ce montant,
s’ajoutent des charges
indirectes de gestion administrative, ainsi que le coût
des effectifs des directions régionales du service médical, directement ou
indirectement mobilisés par les indemnités journalières maladie. À partir
de la comptabilité analytique de la Cnam, la Cour a estimé la charge totale
de gestion administrative et médicale entre 5 000 et 7 500 agents, pour un
coût annuel supérieur à 400
M€.
Une part significative de ces coûts est imputable à la vérification des
conditions d’éligibilité et à l’estimation de la ba
se indemnitaire de
six situations dites complexes : chômeurs, intérimaires, assistantes
maternelles, employés de maison, intermittents, praticiens et auxiliaires
médicaux conventionnés. La liquidation de ces indemnités requiert une
connaissance pointue de la réglementation et la maîtrise de nombreux
applicatifs informatiques. De ce fait, le nombre de dossiers complexes
traités par agent ne dépasse pas quatre à cinq par heure. À la Cpam des
Bouches-du-Rhône, les indemnités complexes mobilisent 15 % du temps
de liquidation alors qu’elles représentent moins de 4
% des arrêts de travail.
Elles ont en outre des effets sur d’autres processus (prise de contact des
assurés, médiation, contentieux, etc.).
L’outil informatique utilisé pour la gestion de la plupart des
liquidations de prestations de l’assurance maladie a des limites et des
carences connues. Il s’agit d’un applicatif ancien, dont le remplacement est
prévu au premier semestre 2024.
La mise en service du nouvel outil de liquidation des indemnités
journalières maladie des travailleurs salariés, dénommé Arpège, devrait
apporter une automatisation plus grande et une ergonomie améliorée,
malgré certaines craintes des agents
219
. La Cnam estime les gains
d’efficience de ce nouvel outil à 996 équivalents temps plei
n entre 2025 et
2027. Cependant, Arpège ne résoudra pas les problèmes de liquidation qui
218
8,7
% des effectifs si l’on prend également en compte les effectifs occupés à la
liquidation des indemnités journalières au titre des accidents du travail et maladies
professionnelles.
219
Arpège est utilisé pour la liquidation des prestations des travailleurs indépendants
depuis 2020. Sa mise en service s’est accompagnée d’erreurs informatiques qui ont
conduit à des blocages et à un nombre important d’indus, qui n’ont pu être rattrapés –
manuellement -
qu’à compter du premier semestre 2022.
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
201
résultent de la complexité du calcul de l’indemnité dans un certain nombre
de cas (maintien de droits, emploi discontinu ou à employeurs multiples).
La fréquence des erreurs résiduelles affectant le calcul du montant
des indemnités dues avoisine 8
% pour l’exercice 2023
220
. Leur montant
est estimé à 453,3
M€, soit 1,8
% du montant des prestations. Les erreurs
les plus courantes affectent le calcul du salaire de référence, du fait de
l’application incorrecte d’une réglementation devenue trop complexe.
La complexité réglementaire explique aussi les délais moyens de
liquidation de la première indemnité, qui ont augmenté de manière
continue ces dernières années pour atteindre 32,8 jours en 2022 (+ 15 %
par rapport à 2017). Les délais sont encore plus longs pour les indemnités
complexes. Cette situation porte préjudice aux assurés, notamment aux
plus précaires, qui relèvent souvent des cas complexes.
Les indemnités journalières pour maladie constituent près du tiers
des flux de prise de contact du public avec les Cpam (arrêt initial, droits,
délais de paiement, montant, situation, contestations). Elles entraînent, plus
que d’autres prestations, des réclamations réitérées par un
même assuré,
par téléphone, par courrier électronique ou par lettre. La situation n’est
satisfaisante ni pour les bénéficiaires, ni pour les caisses de sécurité sociale,
sur lesquelles elle fait peser une charge disproportionnée. Si la
règlementation étai
t simplifiée, une part de l’effectif chargé de ces missions
pourrait être réaffectée.
B -
Des simplifications réglementaires à envisager
Pour améliorer la qualité du service rendu aux assurés et réduire les
coûts de gestion, une simplification de la réglementation est nécessaire. Elle
est reconnue par la nouvelle convention d’objectifs et de gestion qui lie
l’assurance maladie et l’État pour la période 2023
-2027 : «
L’État s’engage à
[…] simplifier et harmoniser la réglementation des indemnités journalières
pour en faciliter la liquidation
». Les simplifications pourraient porter sur la
vérification des conditions d’ouverture des droits et sur la détermination du
revenu servant de base au calcul des indemnités journalières.
220
La Cnam contrôle chaque année la fréquence et la portée financière des erreurs qui
affectent les indemnités journalières pour maladie, pour accidents du travail et maladies
professionnelles et pour maternité et paternité
mises en paiement à partir d’un
échantillon de 5 235 indemnités en 2023, réparties à parité entre les trois risques.
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202
1 -
Les conditions
d’ouverture des droi
ts
Le ministère chargé de la santé a mené en 2018 des réflexions visant
à supprimer les conditions d’ouverture des droits pour les arrêts maladie de
moins de six mois pour les salariés. La seule condition qui serait encore
vérifiée serait l’existence d’un
contrat de travail. En revanche, les conditions
du nombre minimal d’heures travaillées et du revenu minimal cotisé seraient
supprimées. Cet allègement permettrait de mieux couvrir les salariés
précaires, récemment en emploi, travaillant dans de très petites entreprises
(50 % des cas) ou auprès de particuliers employeurs (30 % des cas).
Le coût de cette mesure pour l’assurance maladie avait été évalué en
août 2018 à 40
M€ par an par la direction de la sécurité sociale. Il serait
utile d’actualiser cette esti
mation et de la comparer aux économies de
gestion qu’elle permettrait.
2 -
Les modalités de calcul du revenu de référence
Le calcul du revenu de référence est affecté lorsque la
réglementation oblige à établir l’indemnisation à partir de salaires anciens
(chômeurs), de périodes de travail discontinues (contrats à durée
déterminée, saisonniers, intérimaires, intermittents) ou de salaires versés
par plusieurs employeurs (personnels de maison, assistantes maternelles).
De premiers échanges techniques ont eu lieu à la mi-2023 entre la
Cnam et la direction de la sécurité sociale afin d’identifier les voies d’une
simplification.
Ces
travaux
semblent
privilégier
l’harmonisation
réglementaire des règles entre les indemnités journalières servies en cas de
maladie, d’acci
dents du travail et maladies professionnelles, de maternité
et paternité. Trois scénarios sur les quatre étudiés par la Cnam reposent
ainsi sur une généralisation du calcul de l’indemnité sur les salaires des
douze derniers mois, déjà appliquée aux salaires discontinus, au lieu des
trois derniers mois appliqués actuellement à la grande masse des salariés.
Un tel allongement se traduirait par une augmentation des exigences
administratives et une nouvelle augmentation des frais de gestion.
Une autre approche consisterait à raccourcir la période de référence
à trois mois pour tous les salariés et chômeurs, quitte à recourir à des
forfaits pour les assurés n’ayant pas perçu de salaire au cours des trois
derniers mois précédant l’arrêt de travail (cas des person
nes en emploi
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
203
discontinu)
221
, tout en plafonnant l’indemnité au niveau de celle versée par
France Travail au titre du chômage pour contenir les risques d’arbitrage
entre les deux régimes.
Une telle simplification permettrait une réduction des délais de
liquidation des indemnités et donc un versement plus rapide de leurs
indemnités aux assurés. Elle améliorerait le paiement à bon droit des
prestations. L’effectif affecté aux missions de liquidation pourrait être
réduit et réaffecté, en tout ou partie, à la maîtrise médicalisée de ces
dépenses ou à la lutte contre les fraudes.
L’analyse de ce scénario devrait prendre en compte des «
situations-
types
» afin d’en chiffrer plus précisément les effets sur les montants perçus
par les assurés. Pour la plus grande partie des salariés, une telle évolution
serait sans conséquence sur le montant total perçu, compte tenu des
obligations légales et conventionnelles pesant sur l’employeur au titre du
maintien du salaire (cf.
infra
).
III -
Une dépense à mieux maîtriser
D’importantes
modernisations des outils informatiques ont été
mises en œuvre, qui doivent être généralisées pour améliorer l’efficience
de la gestion des indemnités journalières. La montée en puissance de
nouveaux outils pourrait aussi permettre un contrôle plus efficace et plus
gradué des arrêts de travail prescrits. Enfin, une meilleure maîtrise de la
dépense d’indemnités journalières maladie et le redressement des comptes
publics invitent à réexaminer les paramètres de l’indemnisation.
A -
Des actions de fiabilisation des données
et de lutte contre la fraude à intensifier
Deux importantes modernisations ont été déployées ces dernières
années, qui contribuent à fiabiliser les données utilisées pour établir les
droits à indemnisation et à automatiser les procédures. Elles concernent les
employeurs d’une part et les médecins prescripteurs d’autre part.
221
Le rapport au Premier ministre de la mission Bérard, Oustric et Seiller,
Plus de
prévention, d’efficacité, d’équité et de maîtrise des arrêts de travail, neuf constats, vingt
propositions,
en janvier 2019, proposait plus largement de forfaitiser l’indemnité
journalière versée par la sécurité sociale au titre des trente premiers
jours d’arrêt de
travail (proposition 17).
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204
Concernant les employeurs, la déclaration sociale nominative (DSN),
mise en œuvre dans le secteur privé en 2017 et dans le secteur public en 2022,
a simplifié les déclarations sociales. Les employeurs doivent informer les
Cpam de l’arrêt de travail du salarié en fournissant une attestation de salaire
(voir
infra,
schéma n° 1). Les informations portées sur cette attestation
permettent de vérifier les conditions d’ouverture de dr
oit, de déterminer le
dernier jour de travail et de reconstituer les salaires à prendre en compte pour
le calcul de l’indemnité. Lorsque celle
-ci est télétransmise aux Cpam,
l’indemnité peut être établie et versée automatiquement. Il s’agit d’un
progrès considérable, qui justifie que le taux de transmission des attestations
de salaire par la DSN constitue un nouvel indicateur dans la convention
d’objectifs et de gestion État
-Cnam 2023-2027
222
.
Concernant les prescripteurs d’arrêts de travail, un téléservice a été
déployé à partir de 2011 à destination des médecins de ville, pour leur
permettre de transmettre par voie numérique les avis d’arrêts de travail. Ce
transfert supprime le risque d’erreu
rs matérielles (corrections, ratures,
mauvaise lisibilité) et permet de notifier directement l’arrêt de travail à la
Cpam, sans qu’il soit nécessaire à l’assuré d’envoyer un courrier séparé. Le
motif de l’arrêt est codé, ce qui permet un contrôle médical e
t un suivi
statistique des prescriptions. Enfin, la falsification de l’avis d’arrêt de travail et
l’usurpation de l’identité du professionnel de santé prescripteur sont rendues
beaucoup plus difficiles, alors que la revente
via
internet d’avis falsifiés en
format papier s’est développée, ainsi que les médias s’en sont fait l’écho.
Une détection et une sanction des fraudes encore insuffisantes
Le montant des fraudes aux indemnités journalières (maladie, accidents
du travail et maladies professionnelles, maternité et paternité) détectées par
l’assurance maladie s’est élevé à 12,8
M€ en 2022
223
, ce qui apparaît faible.
Dans le périmètre des indemnités journalières maladie, le nombre de
fraudes détectées par la Cnam (1 800 cas) a donné
lieu à l’engagement de
1 450 actions contentieuses en 2023. Pour la même année,756 pénalités
financières ont été prononcées à l’encontre des fraudeurs. Une montée en
puissance de ces actions est nécessaire. Les indemnités journalières maladie
ne font pas partie des domaines pour lesquels une estimation de la fraude
aux prestations est établie
224
mais la Cnam a annoncé des travaux en ce sens
courant 2024.
222
69 % des attestations de salaire ont été transmises
via
la DSN en 2023.
223
Cnam,
Bilan pour 2022 des actions de contrôle interne et de lutte contre la fraude
.
224
Ralfss 2023, chapitre VII «
La lutte contre les fraudes aux prestations sociales : une
action plus dynamique à renforcer encore
».
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
205
Pour qu’un fraudeur puisse être sanctionné, l’assurance maladie doit
faire authentifier les faux avis d
’arrêt de travail par le praticien victime
d’une usurpation d’identité. Toutefois, le formulaire à remplir n’est
disponible qu’en format papier, ce qui dissuade certains praticiens. La
procédure mériterait d’être simplifiée et de pouvoir être effectuée en
ligne,
afin que soient systématiquement poursuivis les auteurs et les utilisateurs de
ces documents frauduleux
225
.
Ce type de fraude, impliquant des avis d’arrêt de travail au format
papier, serait tari par la transmission généralisée des avis
via
le téléservice
prévu à cet effet. La télétransmission doit s’effectuer depuis le poste
informatique du praticien et est authentifiée par sa carte de professionnel
de santé.
L’importance des améliorations apportées est telle qu’il est
indispensable de tendre le plus rapidement possible vers la généralisation.
L’absence d’équipement informatique ou d’accès à internet ne constituent
plus des arguments recevables pour l’immense majorité des praticiens.
L’ergonomie du service a par ailleurs été améliorée depuis 2019
: selon un
test de l’Agence du numérique en santé, la saisie d’un avis d’arrêt de travail
prend en moyenne 65 secondes.
L’article L. 161
-35
226
du code de la sécurité sociale prévoit que «
les
arrêts de travail sont prescrits, sauf exception, de manière dématérialisée
par l'intermédiaire d'un service mis à la disposition des professionnels de
santé par les organismes d'assurance maladie
» sous peine de sanctions,
en principe prévues dans le cadre conventionnel médical. Toutefois, faute
de signature de nouvelles conventions médicales avec les professions
concernées, ces sanctions n’ont jamais été définies
227
. En conséquence, le
taux de télétransmission des avis d’arrêt de travail par les professionnels
installés en ville atteignait 67 % en septembre 2023, ce qui est sensiblement
225
Dans le cadre de son instruction, la Cour a examiné plusieurs cas d’usurpation d’identité
signalés par des médecins généralistes en 2023, notamment quatre faux avis d’arrêt
de
travail papier émis par un même faussaire et utilisés en juin et juillet 2023 par des assurés
affiliés aux Cpam 93, 94 et 17. En janvier 2024, les pénalités financières pour fraude
n’avaient pas encore été appliquées et les signalements au procureur de
la République sur
le fondement de l’article 40 du code pénal n’avaient pas encore été effectués.
226
Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, art. 55 (V). La loi prévoyait une entrée en
vigueur de ces dispositions au plus tard au 31 décembre 2021.
227
L
e règlement arbitral rédigé en l’absence de convention et approuvé par l’arrêté du
28 avril 2023 offrait la possibilité de déterminer ces sanctions, au même titre que les
autres sujets ressortant du champ des conventions. Il ne les a pas fixées.
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206
inférieur à l’objectif figurant dans la convention d’objectifs et de gestion
2018-2022 (75
% d’avis télétransmis en 2022).
La Cnam continue de privilégier l’incitation à la sanction dans le
cadre des négociations conventionnelles en cours. Elle a ainsi proposé une
refonte du forfait de structure : les médecins percevraient de la Cnam une
rémunération spécifique dite « dotation numérique
», à la condition d’utiliser
certains téléservices, dont la télétransmission des avis d’arrêt de travail.
Il est toutefois nécessaire de faire appliquer effectivement les
dispositions légales, en appliquant au besoin des sanctions, si les incitations
ne suffisaient pas. Les nouvelles conventions devraient fixer aux médecins
de ville des objectifs globaux de télé
transmission assortis d’un calendrier
prédéfini et déterminer les sanctions applicables, sauf exceptions prévues,
à ceux qui ne télétransmettent pas, si ces objectifs collectifs ne sont pas
atteints. À défaut, la loi devrait préciser ces sanctions.
B -
Des efforts de maîtrise médicalisée à renforcer
D’importants progrès ont été réalisés par l’assurance maladie dans
l’organisation et les objectifs du service médical, ainsi que dans les outils
informatiques de contrôle des médecins prescripteurs et des assurés. Des
moyens pourraient toutefois être redéployés pour renforcer le contrôle des
prescriptions par le service médical. Pour les assurés souffrant d’une
affection de longue durée, une révision de la durée maximale
d’indemnisation permettrait au service médical
d’intervenir à un moment
plus adapté pour prévenir la désinsertion professionnelle.
1 -
D’importants progrès déjà réalisés
La gestion médicalisée du risque s’est améliorée depuis 2017 même
si elle a été fortement ralentie par la pandémie de covid 19.
L’organ
isation du service médical a été réformée à partir de 2018
pour le rapprocher des médecins prescripteurs
. Cette évolution s’est
accompagnée d’une diversification des compétences, avec le recrutement
d’infirmières et de «
conseillers services ». La nouvelle organisation
s’appuie sur un contrôle plus ciblé des arrêts de travail d’une durée
inférieure à six mois et sur le contrôle et l’accompagnement des assurés en
arrêt de travail de plus de six mois.
Les outils de contrôle à la disposition du service médical lui
permettent de mieux contrôler les arrêts de travail, en détectant les
prolongations d’arrêt ou en analysant le comportement de certains
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
207
médecins prescripteurs à partir des codes de pathologies utilisés. L’outil dit
de requête unique permet d’identifie
r les dossiers à contrôler en fonction
de la durée et du motif des arrêts de travail, et de répartir le travail de
contrôle des équipes en fonction des compétences des agents.
La batterie d’indicateurs de performance du service médical s’est
étoffée. Des valeurs minimales à atteindre ont été introduites et les objectifs
sont devenus plus ambitieux. Les indicateurs sont désormais opposables au
service et doivent donner lieu à la mise en place d’un plan d’action en cas
de non-atteinte des objectifs ou de dégradation des résultats.
La requête unique, initialement conçue comme transitoire, a été
améliorée depuis juin 2023 par le déploiement d’un nouveau logiciel,
dénommé Matis, qui doit assurer des détections automatisées portant sur le
flux des arrêts de travail en instance de traitement. Il doit aussi permettre
une amélioration du suivi des dossiers et de la coordination des acteurs.
D’autres outils ont été créés pour améliorer la relation avec les
assurés et avec les médecins prescripteurs. Ils permettent notamment au
service médical d’intervenir plus tôt et de superviser les flux de nouveaux
arrêts de travail. Leur montée en puissance est toutefois conditionnée par
l’achèvement de certains développements informatiques.
Depuis 2022, la Cnam cherche à renforcer la coordination entre les
Cpam, les caisses d’assurance retraite et d’accidents du travail (Carsat) et
le service médical en vue d’assister les entreprises caractérisées par des
taux d’absentéisme élevés. Elle prévoit d’y associer les services de
prévention et de santé au travail en 2024.
2 -
De nouveaux outils d’aide à la prescription
et de contrôle des prescripteurs
Des référentiels de prescriptions ont été créés et actualisés sous
l’égide de la Haute Autorité de santé (HAS)
228
. Les référentiels, à
l’
enrichissement desquels les professions médicales sont associées,
constituent un outil de normalisation des prescriptions. Il existe une
soixantaine de référentiels de prescriptions correspondant aux motifs
d’arrêts de travail les plus fréquents.
228
La HAS, e
n application de l’article L.
161-39 du code de la sécurité sociale, travaille
à la mise à jour et à la création de fiches pour des pathologies à fort enjeu (hausse des
motifs,
durée d’arrêt longue). Le calendrier prévisionnel prévoit la création d’un
référentiel syndrome dépressif en 2025.
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208
La conve
ntion d’objectifs et de gestion 2023
-2027 entre la Cnam et
l’État prévoit de les prendre en compte dans les logiciels d’aide à la
prescription, ce qui doit contribuer à améliorer la pertinence des durées
d’arrêt prescrites. Conjugués à la dématérialisation
de l’avis d’arrêt de
travail et au déploiement de l’outil Matis, les référentiels de prescription
constituent d’importants outils d’aide à la régulation et au contrôle des
arrêts. Au lieu d’essayer d’identifier, au sein d’une masse importante
d’arrêts de travail, ceux d’une durée excessive, le service médical peut
désormais concentrer ses efforts sur l’analyse de la pertinence des arrêts de
travail dépassant les durées recommandées.
Le recours aux nouveaux outils, dans la mesure où il permet un suivi
en t
emps réel des prescriptions d’arrêts de travail effectuées par chaque
praticien, doit favoriser la détection précoce des cas de sur-prescription et
améliorer le dialogue entre le service médical de l’assurance maladie et les
prescripteurs, avant la mise en
œuvre éventuelle de mesures de sanction
par les procédures de mise sous objectif ou de mise sous accord
préalable
229
.
Ces procédures, lourdes pour le service médical et généralement mal
acceptées des praticiens, ne concernent aujourd’hui qu’un faible nombr
e
de professionnels et sur une durée de six mois au maximum. Elles
deviendraient le point d’aboutissement d’un processus plus gradué.
3 -
Une révision de la durée maximale d’indemnisation
à considérer
Dans le cas général, la durée maximale d’indemnisation des
arrêts
de travail est de 360 jours, sur une période de trois années
230
. Pour les
assurés souffrant d’une affection de longue durée, l’indemnisation est
versée pendant une durée maximale de trois années, calculée de date à date.
229
Lorsque le service médical de l’assurance maladie constate que le volume de
prescriptions d’un praticien est supérieur à la moyenne, le directeur de la Cpam peut
proposer à celui-
ci, à l’issue d’une procédure contradi
ctoire, un objectif de réduction
du volume de prescriptions à atteindre dans un délai compris entre quatre et six mois ;
si l’objectif n’est pas atteint, des pénalités peuvent être prononcées. En cas de refus de
la mise sous objectif, une commission peut décider de mettre le praticien sous accord
préalable. Le versement d’indemnités journalières au titre d’un arrêt de travail prescrit
par ledit praticien est alors subordonné à l’accord préalable du service médical. En cas
de récidive après deux périodes de
mise sous accord préalable, le praticien s’expose à
une pénalité financière.
230
Article L. 323-1 du code de la sécurité sociale.
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DU RÉGIME GÉNÉRAL : UNE DÉPENSE À MAÎTRISER,
UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
209
Cette durée, inchangée depuis 1945, ne tient pas compte des progrès
thérapeutiques, qui permettent aujourd’hui de stabiliser plus rapidement
l’état de santé des patients et donc de statuer plus précocement sur leur
retour au travail ou leur placement en invalidité.
Une durée de trois ans permet de prendre en charge les assurés
souffrant de pathologies au long cours, mais elle augmente le risque de
désinsertion professionnelle et retarde la mise en invalidité de personnes
dont l’état est stabilisé
231
. Inversement, une durée calculée de date à date
peut s’avérer trop courte pour des pathologies chroniques (sclérose en
plaques, certains cancers, etc.) pour lesquelles les malades travaillent mais
se voient prescrire de nombreux arrêts justifiés.
Des travaux menés conjointement par la Cnam et par la direction de
la sécurité sociale ont porté sur l’hypothèse d’une réduction de trois à
deux
ans de la durée maximale d’indemnisation continue, s’accompagnant
de la possibilité de calculer le droit à indemnisation sur une période de
trois ans glissants pour des pathologies chroniques sévères. Sous réserve
d’effets indésirables qui n’ont à ce stade pas été identifiés, une telle mesure
supprimerait les indemnisations longues continues, tout en évitant des
ruptures d’indemnisation pour des arrêts répétés
en lien avec une
pathologie chronique sévère, permettant ainsi une indemnisation plus
adaptée à la réalité de la situation médicale des assurés
232
.
C -
Des paramètres d’indemnisation qui doivent tenir
compte de la protection assurée par les entreprises
Du fait de la loi et des conventions collectives, les entreprises ont
l’obligation, sous certaines conditions, de maintenir le salaire de leurs
employés en cas d’arrêt de travail. Une modification des paramètres
d’indemnisation par le régime général serait donc ne
utre pour la plupart
des assurés mais créerait des charges nouvelles pour les employeurs.
Certaines mesures concernant les délais de carence auraient également des
conséquences pour les salariés.
231
Les pensions d’invalidité sont d’un montant inférieur
à celui des indemnités
journalières maladie.
232
Les dépenses d’indemni
tés journalières maladie versées au-delà de deux ans sont de
756
M€ en 2022. Le raccourcissement de la durée d’indemnisation de trois à deux ans
représenterait une économie brute d’un montant approchant.
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COUR DES COMPTES
210
1 -
Un niveau élevé de protection sociale assumé
par les entreprises
L’indemnisation de la perte de revenu pour maladie au titre de la
sécurité sociale a été historiquement complétée par un ensemble
d’obligations légales ou conventionnelles supportées par les employeurs.
En cas d’arrêt de travail pour maladie, un sal
arié du secteur privé ne perçoit
pas que les indemnités journalières versées par la sécurité sociale. Sous
certaines conditions
233
fixées par la loi de mensualisation des salaires de
1978 et la convention collective dont il relève, son employeur doit
maintenir tout ou partie de son salaire.
Les obligations de maintien du salaire par l’employeur
La mensualisation, créée par la loi n°78-49 du 19 janvier 1978,
emporte l’obligation pour les employeurs de garantir la rémunération d’un
salarié en arrêt de travail dès le huitième jour en cas de maladie, à 90 % de
son dernier salaire pendant trente jours, puis à 66,66 % pendant trente jours
supplémentaires
234
.
Ces niveaux constituent des
minima
qui varient selon l’ancienneté
du salarié. Ils peuvent être améliorés par
accord de branche ou d’entreprise,
jusqu’à garantir un maintien du salaire net sur la durée de l’arrêt de travail,
comme le prévoit par exemple la convention collective de la métallurgie.
La gestion administrative des arrêts de travail et les flux financiers
qui en découlent, résultant de l’application des règles du code du travail et
du code de la sécurité sociale, est présentée dans le schéma ci-dessous.
233
L’obligation de maintien de salaire est applicable
à compter d’un an d’ancienneté
dans l’entreprise, ce qui exclut les nouveaux embauchés et les salariés en contrat à durée
déterminée de moins d’un an.
234
Soit l'employeur déduit
le montant des indemnités versées par l’assurance maladie
et verse le complément de salaire à l'assuré, soit il se subroge au salarié pour percevoir
les indemnités et il verse la totalité de son dû au salarié, le terme de subrogation
désignant la substitution d'une personne à une autre dans une relation juridique.
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
211
Schéma n° 1 :
fonctionnement en gestion du versement des
indemnités journalières et du maintien du salaire par l’emp
loyeur
Note
: ce schéma présente le cas le plus fréquent d’un arrêt de courte durée ne faisant pas intervenir de régime de
prévoyance collective.
Source : Cour des comptes
La charge financière assumée directement par les entreprises au titre
du maintien de salaire en cas de maladie est évaluée à 5
Md€ en 2022
235
.
Le montant des prestations découlant des garanties d’assurance souscrites
contre le risque d’arrêt de travail de leurs salariés est en outre évalué à
6,6
Md€ en 2022
236
. Les dépenses supportées par les entreprises au titre de
l’indemnisation des arrêts de travail ont donc atteint 11,6
Md€ en 2022,
soit un montant comparable aux dépenses d’indemnités journalières de
l’assurance maladie (12
Md€).
Selon l’institut de recherche et documentation en économ
ie de la
santé (Irdes)
237
, environ 70 % des salariés ne subissent aucune perte de
revenu en cas d’arrêt maladie de courte durée, de nombreux accords
collectifs prévoyant un maintien du salaire au-delà des niveaux
minima
235
Drees,
Comptes de la protection sociale 2022
.
236
Drees,
Comptes de la protection sociale 2022
. Assureurs pour 3,7
Md€ (56
%),
institutions de prévoyance pour 2,2
Md€ (33
%) ou mutuelles pour 0,7
Md€ (11
%).
237
Irdes,
Enquête Protection sociale complémentaire d'entreprise
2017.
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212
fixés par la loi de mensualisation, sans jour de carence
238
. Le niveau de
remplacement du salaire assuré par les entreprises pour les arrêts longs est
en moyenne de 80 % du salaire brut, soit un niveau proche du salaire net,
pour des durées et des dégressivités variables. Pour la plupart des salariés,
les indemnités versées par le régime général ne reflètent qu’une part des
revenus perçus, comme le montre le graphique ci-dessous.
Graphique n° 28 :
répartition de l’indemnisation entre l’assurance
maladie et l’employeur en fonction de la durée de l’arrêt
Note : L
es durées d’arrêt de travail, signalées en abscisses correspondent aux bornes temporelles de leurs différents
modes de prise en charge. La surface de chaque aire n’est donc pas proportionnelle à la dépense prise en charge.
Source
: Cour des comptes d’après
CTIP
Cette réalité juridique et financière emporte deux conséquences
pratiques. D’une part, ce niveau de couverture élevé, qui neutralise les jours
de carence du régime général et maintient en grande partie le salaire, incite
238
Les salariés moins bien couverts travaillent dans de petites entreprises non rattachées
à une branche ou sont présents dans l’entreprise depuis moins d’un an (période d’essai,
contrat à durée déterminée, intérim, saisonniers, etc.).
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
213
peu à reprendre rapidement le travail
239
. D’autre part, dès lors que
l’obligation de maintien du salaire courant repose sur l’entreprise, une
modification des paramètres de l’indemnisation du régime général n’a pas
d’impact financier pour la plus grande part des salariés.
2 -
Une répartitio
n des efforts d’économies à réexaminer
Une meilleure maîtrise des dépenses d’indemnités journalières
suppose une plus grande responsabilisation des acteurs. Diverses options
ont été examinées en 2018 puis en 2023 par le Gouvernement, qui portent
essentiellement sur le délai de carence.
Le délai de carence
Le délai de carence est la période qui s’écoule entre la date à laquelle
la maladie est constatée et le premier jour à partir duquel les indemnités sont
versées par l’assurance maladie. Il est aujourd’hui
de trois jours. Il ne fait
pas obstacle à la prise en charge, par les employeurs qui le souhaitent ou qui
y sont tenus en vertu d’un accord collectif, au versement de tout ou partie
du salaire au titre des journées non indemnisées.
Schéma n° 2 :
prise en charge des sept premiers jours
d’arrêt de travail
Source : Cour des comptes
239
Des niveaux d
’indemnisation
élevés
peuvent favoriser l’allongement de la durée des
arrêts maladie, comme cela a été vérifié empiriquement en Allemagne : le taux de
remplacement a été diminué de 100 % à 80 % en 1996
avant d’être
rétabli à 100 % en
1999 ; la première réf
orme a conduit à réduire le nombre de jours d’arrêt maladie des
personnes en ayant initialement peu, tandis que la seconde a contribué à allonger la
durée des arrêts des personnes ayant plus de 10 jours d’arrêt
.
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214
Une première hypothèse consisterait à ne plus indemniser les arrêts
de travail de moins de huit jours. Cette mesure permettrait à l’assurance
maladie d’économiser 470
M€ (sur la base des
dépenses en 2022). Une
deuxième hypothèse serait de porter le délai de carence de trois à sept jours
pour tous les arrêts, quelle que soient leur durée. Si cette dernière mesure
était appliquée y compris pour les affections de longue durée, elle
permettrai
t une économie d’environ 945
M€ pour l’assurance maladie.
Sans modification des garanties actuelles issues des négociations
collectives, ces options entraîneraient une augmentation des charges des
entreprises respectivement de 330
M€ et 660
M€, le solde ét
ant supporté
par les salariés qui ne bénéficient pas d’un maintien de salaire.
Le président du Medef a exprimé en juin 2023 sa préférence pour la
solution d’un jour de carence d’ordre public fixé par la loi, également
recommandée par la Cour en 2019
240
. Cette mesure consisterait à interdire
aux entreprises de verser le salaire du jour suivant immédiatement l’arrêt
de travail
241
, adressant ainsi aux salariés, aux employeurs et aux médecins
prescripteurs «
un signal supplémentaire en faveur de la maîtrise de la
fréquence des arrêts de travail
»
242
.
Du point de vue financier, l’introduction d’un délai de carence
d’ordre public ne constituerait pas une économie pour le régime général,
puisque le délai de carence de l’assurance maladie s’applique d’ores et déjà
aux tro
is premiers jours d’arrêt. En revanche, parce qu’il remettrait en
cause les obligations issues d’accords collectifs prévoyant le maintien du
salaire dès le premier jour d’arrêt et les décisions unilatérales
d’employeurs, il se traduirait par une économie p
our les entreprises
d’environ 1
Md€. Cette mesure entraînerait une perte de revenus pour les
salariés d’environ 0,6 Md€, ainsi qu’une perte de recettes pour la sécurité
sociale de l’ordre de 0,4
Md€ du fait de l’absence de cotisations sociales
sur les salaires non versés.
Les montants économisés par les entreprises justifieraient des
mesures contribuant au rétablissement de l’équilibre financier de la sécurité
sociale, par exemple au moyen d’une diminution du taux de prise en charge
des indemnités par l’ass
urance maladie. Une baisse de cinq points de ce taux,
à 45 % au lieu de 50 % du salaire brut, permettrait au régime général de
réduire ses dépenses au niveau des économies réalisées par les entreprises.
240
Ralfss 2019, chapitre III «
Les indemnités journalières : des dépenses croissantes
pour le risque maladie, une nécessaire maîtrise des arrêts de travail
».
241
Dans le cas d’une affection longue durée, ce délai ne s’appliquerait qu’au premier
arrêt de travail si les suivants sont en rapport avec cet
te affection, comme c’est d’ores
-
et-déjà le cas pour les indemnités journalières maladie.
242
Cf. rapport de la Cour précité. Une telle mesure devrait toutefois faire l’objet d’une
expertise juridique, au regard de jurisprudences récentes.
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
215
Au total, la palette des mesures d’économies pour les
indemnités
journalières maladie apparaît diversifiée. Celles-ci peuvent porter sur les
conditions dans lesquelles les arrêts de travail sont prescrits (lutte contre la
fraude et maîtrise médicalisée du risque), les durées et les taux de prise en
charge pa
r l’assurance maladie. Le tableau ci
-
après présente l’ordre de
grandeur des économies annuelles qu’elles permettraient, sous l’hypothèse
de comportements inchangés.
Tableau n° 25 :
économies annuelles pour l’assurance maladie
de différentes mesures (en M€)
Mesures
243
Économie annuelle
Actions de maîtrise médicalisée du risque
200
Contrôles et lutte contre les fraudes
50
Évolution des paramètres de prise en charge :
- non-indemnisation des arrêts de moins de huit jours
470
- délai de carence porté de trois à sept jours quelle
que soit la durée des arrêts de travail
950
-
mise en place d’un jour de carence d’ordre public
combiné à une baisse de 5 points du taux de prise en
charge par l’assurance maladie
600
- réduction du taux de prise en charge par
l’assurance ma
ladie, par point de pourcentage
244
200
-
révision de la durée maximale d’indemnisation
750
245
Source : Cour des comptes et Cnam pour les actions de gestion du risque et de lutte contre la
fraude (toutes indemnités journalières confondues).
243
Hors économies réalisées sur la gestion. Une forfaitisation des indemnités versées
pour les cas d’indemnités journalières maladie dites «
complexes » libérerait
a minima
15
% de l’effectif affecté à leur liquidation, soit une économie potentielle de 27
M€.
244
Un effet comparable pourrait être obtenu en modifiant le revenu de référence pris en
compte pour le calcul de l’indemnisation, par exemple en alignant les règles applicables
aux salariés sur celles des non-
salariés (calcul de l’indemnisation sur la moyenne des
trois d
ernières années de revenu imposable) en contrepartie d’une augmentation du taux
de prise en charge à hauteur des économies visées. Cette piste nécessiterait un délai de
mise en œuvre plus important que les autres en raison des développements
informatiques
nécessaires à la création d’un flux de la DGFiP vers l’assurance maladie.
245
Un surcroît de dépenses au titre de l’invalidité serait à déduire de cette économie brute.
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216
La mise en œuvre
de telles mesures peut avoir des effets différenciés
selon les catégories de salariés et d’entreprises. Elle devrait être précédée
d’une concertation avec les partenaires sociaux.
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UNE RÉGLEMENTATION À SIMPLIFIER
217
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La progression des dépenses d’indemnités journalières maladie du
régime général, passées de 7,7
Md€ à 12
Md€ entre 2017 et 2022, est trop
rapide, même en prenant en compte les incidences conjoncturelles de la
pandémie de covid 19. Elle est tirée par des facteurs démographiques et
économiques
: d’une part, l’augmentation et le vieillissement de la
population active affiliée au régime général, d’autre part, la progression
du Smic et des salaires sous l’effet de l’inflation. Après les récentes
augmentations du Smic, elle va se poursuivre sur les prochains exercices.
Au regard de la dynamique de la dépense, il apparaît indispensable
de réaliser des économies pour l’assurance maladie.
Q
uatre axes d’efforts
sont à poursuivre simultanément : la règlementation doit être simplifiée,
ce qui améliorera la qualité de la gestion au bénéfice des assurés et
diminuera ses coûts ; la lutte contre les fraudes doit être accentuée au
moyen, notamment, d’une généralisation rapide de la télétransmission des
avis d’arrêt de travail à l’assurance maladie
; les actions de maîtrise
médicalisée du risque doivent être intensifiées en direction des praticiens
prescripteurs, des assurés et des employeurs ; enfin, les paramètres
d’indemnisation doivent être révisés.
À ces fins, la Cour formule les deux recommandations de gestion et
la recommandation de politique publique suivantes :
15.
afin de lutter contre la fraude aux faux arrêts de travail et en
complément de mesures incitatives, prévoir, dans la convention des
médecins de ville, un object
if de télétransmission assorti d’un
calendrier, et déterminer, si les objectifs ne sont pas atteints, les
sanctions encourues par les professionnels qui ne recourent pas au
téléservice ; à défaut, fixer ces sanctions par la loi (Cnam, ministère
du travail, de la santé et des solidarités) ;
16.
afin de simplifier la gestion, prévoir le versement d’un forfait
correspondant à une indemnité journalière moyenne en cas d’absence
de salaire sur chacun des trois mois précédant l’arrêt de travail
(ministère du travail, de la santé et des solidarités) ;
17.
afin de réduire les dépenses de l’assurance maladie, modifier les
paramètres de l’indemnisation des arrêts de travail, notamment en vue
de mieux en répartir la charge entre la sécurité sociale, les entreprises
et les assu
rés, à l’issue d’une concertation avec les partenaires
sociaux (ministère du travail, de la santé et des solidarités).
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