Chapitre IV
Les niches sociales des compléments de
salaire : un nécessaire rapprochement
du droit commun
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Au salaire de base perçu par tout salarié du secteur privé
s’ajoutent
différents compléments comme la contribution de l’employeur au
financement de la protection sociale complémentaire, les versements liés
au partage de la valeur en entreprise, les aides sociales et culturelles ou la
rémunération des heures supplémentaires.
Ces compléments sont versés aux salariés par l’employeur ou par le
comité social et économique. Ils sont le plus souvent volontaires. Afin de
favoriser
leur
développement,
ils
bénéficient
d’exemptions
ou
d’exonérations de cotisations sociales qu
i en diminuent le coût pour
l’employeur. Ils relèvent ainsi de régimes sociaux dérogatoires et se
traduisent par des pertes de recettes pour la sécurité sociale, partiellement
atténuées par l’instauration de taxes compensatoires.
Dans la période récente, les compléments de salaire ont été
renforcés pour améliorer ou protéger le pouvoir d’achat des salariés du
secteur privé sans trop peser sur le coût du travail et sur la compétitivité
des entreprises : les heures supplémentaires ont, à nouveau, été exonérées
de cotisations salariales en 2019 ; une prime exceptionnelle de pouvoir
d’achat, créée en 2019 après la crise des «
gilets jaunes », est devenue la
prime de partage de la valeur en 2022, en réponse à la reprise de
l’inflation
; la loi du 29 novembre 2023, qui transpose un accord national
interprofessionnel entre les partenaires sociaux, oblige désormais toute
entreprise de dix salariés et plus à mettre en œuvre un dispositif de partage
de la valeur en entreprise. Parallèlement, les taux des taxes
compensatoires ont été réduits, notamment pour les petites entreprises.
Ce faisant, les compléments de salaire se sont, en partie, substitués
aux salaires de base, ce qui a entraîné de moindres recettes pour la sécurité
sociale et une augmentation de ses déficits. En outre, les différents
compléments de salaire liés au partage de la valeur en entreprise varient
sensiblement selon le secteur économique et la taille des entreprises et
peuvent être cumulés par un même salarié. Il en résulte un enjeu d’équité
du prélèvement social entre entreprises et entre salariés.
Ce chapitre examine les élargissements récents des réductions de
cotisations sociales sur les compléments de salaire et les diminutions de
taxes compensatoires (I). Il en analyse les conséquences sur l’équ
ilibre
financier de la sécurité sociale et sur l’équité du prélèvement social (II). Il
avance des propositions pour améliorer le pilotage de ces régimes sociaux
dérogatoires, rétablir une plus grande équité dans le prélèvement et
réduire le manque à gagner pour la sécurité sociale (III).
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156
Chiffres-clés
Dans le secteur privé, les compléments de salaire se sont élevés
à 87,5
Md€ en 2022 et ont complété le salaire de base en moyenne de 13,2
%.
Ils relèvent notamment du partage de la valeur en entreprise
(30,7
Md€ y compris prime de partage de la valeur) et de la contribution de
l’employeur au financement de la protection sociale complémentaire
(25,3
Md€). Les régimes sociaux dérogatoires qui leur sont appliqués se
traduisent par une perte nette de recettes pour la sécurité sociale qui peut
être estimée à 18
Md€
en 2022, après prise en compte des taxes
compensatoires pour 8,9
Md€.
46 % des salariés du secteur privé bénéficient des principaux
dispositifs de partage de la valeur en entreprises (24
Md€ en 2021),
soit
+ 3 points depuis 2017 (
participation aux résultats de l’entreprise
,
intéressement
, abondements de l’employeur du plan d’épargne entreprise,
plan d’épargne retraite collectif).
La prime de partage de la valeur
s’est
élevée à 5,3
Md€ en 2022 et a
été distribuée à 5,5 millions de salariés ; 44 % des montants ont été attribués
à des salariés bénéficiant déjà de la participation ou de l’intéressement.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
157
Tableau n° 23 :
compléments de salaires versés en 2022
et régimes sociaux dérogatoires associés (en Md€)
Compléments de salaire
Régimes sociaux dérogatoires
Aides directes aux salariés
:
titres-restaurant, chèques vacances, aides
culturelles et sportives, chèque emploi
service universel, remboursement
des frais de transport domicile-travail
11,9
Régime dérogatoire le plus favorable :
outre l’exemption de cotisations sociales,
exemption de CSG-CRDS et de toute taxe
compensatoire
Indemnités de rupture du contrat
de travail
: licenciement, rupture
conventionnelle, mise à la retraite d’office
4,8
Exemption de cotisations sociales
et de CSG-CRDS mais taxe spécifique
(30%) sur les indemnités de rupture
conventionnelle et de mise à la retraite
Partage de la valeur en entreprise
:
dont participation financière et
actionnariat salarié
: participation aux
résultats de l’entreprise (obligatoire pour les
entreprises > 50 salariés), intéressement, plan
d'épargne entreprise,
stock-options
,
attribution gratuite d'actions, prime de
partage de la valorisation de l'entreprise
(PPVE) créée par la loi du
29 novembre 2023 (25,4
Md€)
{30,7}
25,4
Exemption de cotisations sociales
mais application de la CSG-CRDS
et du forfait social (0 %, 10 %, 16 %
ou 20 %, selon la taill
e de l’entreprise et
les conditions d’épargne salariale)
ou de taxes spécifiques (
stock-options,
attribution gratuite d'actions,
PPVE)
dont prime de partage de la valeur
(PPV)
5,3
Exemption de cotisations sociales
mais application de la CSG-CRDS
et du forfait social à 20% pour
les entreprises >250 salariés
À
titre temporaire jusqu’à fin 2026,
exemption de la CSG-CRDS et
du forfait social des primes versées
aux salariés gagnant moins de 3 Smic
dans les entreprises < 50 salariés
Protection sociale complémentaire
en entreprise
: prise en charge financière
par l’employeur du secteur privé pour
ses salariés d’au moins la moitié d’un contrat
d’une complémentaire de santé (obligatoire),
d’un contrat de prévoyance ou d’un contrat
de retraite supplémentaire type plan
d’épargne retraite collectif (facultatif)
25,3
Exemption de cotisations sociales
mais application de la CSG-CRDS,
du forfait social (0 % pour les entreprises
< 11 salariés ou 8 %) et de la taxe
de solidarité additionnelle sur les contrats
de complémentaires de santé (13,5 %) ou
d’une taxe spécifique sur les contrats de
retraite supplémentaire.
Heures supplémentaires
14,9
Exonération des cotisations salariales
et déduction forfaitaire des cotisations
patronales
Total compléments de salaire de base
87,5
Source : PLFSS 2024 et DSN
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158
I -
Depuis 2018, une extension sans précédent
des dispositifs dérogatoires qui perdent
en cohérence
Selon l’article L.
242-1 du code de la sécurité sociale, les
rémunérations du travail doivent être soumises à des cotisations sociales à
la charge des employeurs et des salariés qui financent les régimes
obligatoires de base de la sécurité sociale, les régimes complémentaires de
retraite et l’assurance chômage, mais aussi à des taxes comme la cotisation
sociale généralisée (CSG) ou la contribution pour le remboursement de la
dette sociale (CRDS). Leur montant total s’élève à 63,81
% du salaire
brut
155
. Les compléments de salaire dérogent à ce principe et sont exemptés
de cotisations sociales voire, pour certains, de CSG et de CRDS.
Différentes taxes assises sur les compléments de salaire exemptés,
dont les taux varient entre 0 % et 30 %, viennent compenser partiellement
le manque à gagner pour les régimes obligatoires de base de la sécurité
sociale, mais pas pour les régimes complémentaires de retraite et
l’assurance chômage. Il en résulte une grande complexité.
Depuis 2018, les compléments de salaire ont pris une ampleur sans
précédent. Ils tendent, de plus en plus, à répondre à un objectif
d’amélioration du pouvoir d’achat, au même titre que le salaire de base,
mais à moindre coût pour les entreprises du fait de leur régime social
dérogatoire. Parallèlement, les taux des taxes compensatoires, créées pour
atténuer les effets de ces dispositifs sur les finances sociales, ont été réduits.
A -
Des dispositifs dérogatoires nombreux
aux objectifs imprécis
Les régimes sociaux dérogatoires des compléments de salaire ont
été historiquement créés pour répondre à des objectifs spécifiques dans un
cadre de décision collective
au sein de l’entreprise. Depuis 2018, cette
double contrepartie tend à s’effacer pour viser un objectif d’ordre général
d’amélioration ou de protection du pouvoir d’achat des salariés, en
complément des augmentations de salaires de base mais avec davantage de
flexibilité et à moindre coût pour les entreprises.
155
Taux applicable au 30 septembre 2023 hors dispositifs généraux de réduction des taux
à un salarié dont la rémunération est inférieure au plafond de la sécurité sociale (43 992
€).
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
159
Exemption et exonération : une différence de droits sociaux
Les allègements de cotisations sociales pour les compléments de
salaire prennent la forme, soit d’exemption d’assiette, soit d’exonération
de
taux. Il existe 19
exemptions d’assiette de cotisations sociales, dont la
participation aux résultats de l’entreprise ou la contribution à une
complémentaire de santé, et 5 exonérations de cotisations sociales,
principalement pour les cotisations salariales des heures supplémentaires.
La distinction entre exemptions et exonérations de cotisations sociales
est essentielle : les compléments de salaire exemptés ne sont pas créateurs de
droits sociaux pour le calcul des prestations en espèces de la sécurité sociale
notamment pour la retraite, et la perte de recettes pour la sécurité sociale n’est
pas compensée par l’
État ; les compléments de salaire exonérés créent des
droits sociaux, notamment à la retraite, sans recette correspondante ; ils
devraient être c
ompensés par l’
État mais, en pratique, ne le sont pas.
1 -
Des compléments de salaire conçus pour répondre
à des objectifs spécifiques d’amélioration du statut de salarié
Destinées à encourager le partage de la valeur en entreprise, les
premières exemptions on
t porté sur les dispositifs d’intéressement (1959)
et de participation aux résultats de l’entreprise (1967)
156
: les salariés sont
associés à la performance de l'entreprise en cas d’atteinte de ses objectifs
ou à ses bénéfices, dont ils perçoivent une quote-part. Les montants
exemptés sont versés soit directement au salarié, soit
via
des dispositifs
d’actionnariat salarié, comme le plan d’épargne entreprise (PEE) pour
constituer une épargne utile au développement de l’entreprise.
Les exemptions sur les attrib
utions gratuites d’actions et sur les
stock-options
157
visent à améliorer l’attractivité internationale des
rémunérations et à faciliter le recrutement de profils à haut potentiel par
des petites entreprises à forte perspective de croissance.
Une deuxième ca
tégorie d’exemptions relève des aides directes
versées par l’employeur ou par le comité social et économique de
l’entreprise aux salariés pour améliorer leur statut. Les secours ponctuels,
les dispositifs d’aide aux repas (titres
-restaurant, prime, restauration
collective) et de départ en vacances (chèques-vacances) ont été élargis à
156
Code du travail, art. L. 3312-1 (intéressement) et L. 3322-1 (participation).
157
Code du commerce, art. L. 225-177 à L. 225-186-1 (
stock-options
) et L. 225-197-1
à L. 225-197-
6 (attributions gratuites d’actions)
.
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160
l’ensemble des aides culturelles et sportives
158
ainsi qu’à la prise en charge
d’une partie des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail.
Les exemptions concernant la protection sociale complémentaire en
entreprise ont été complétées en 2016 par une obligation légale de
l’employeur d’affiler ses salariés à un contrat collectif d’assurance
complémentaire de santé pour garantir une prise en charge complète des
dépe
nses mal couvertes par l’assurance maladie
159
. Elles visent aussi à
encourager l’employeur à proposer une couverture du risque d’invalidité,
non couvert par la sécurité sociale, et à contribuer à une retraite
supplémentaire par capitalisation, en sus des régimes obligatoires de
retraite de la sécurité sociale et des régimes complémentaires.
Enfin, les exemptions des indemnités de rupture du contrat de travail
sont considérées comme une compensation du préjudice subi par le salarié
en cas de licenciement ou de
mise à la retraite d’office. La rupture
conventionnelle bénéficie aussi d’un régime social dérogatoire
160
.
Plusieurs de ces compléments de salaire sont mis en œuvre par le
truchement d’intermédiaires, notamment pour les titres
-restaurants et pour
les organismes complémentaires de santé et de prévoyance. Leur
transparence sur les commissions qu’ils perçoivent et sur les marges qu’ils
réalisent est parfois insuffisante.
Un manque de transparence de certains intermédiaires
Les titres-restaurants sont distribués principalement par quatre
entreprises. Dans un avis rendu au Gouvernement en 2023
161
, l’Autorité de
la concurrence a appelé à la transparence des commissions financières pour
assurer le respect de la concurrence. Les quatre entreprises ont été
sanctionnées en 2019 pour entente et à des amendes de 415
M€
162
.
158
Instruction ministérielle du 17 avril 1985.
159
Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et code de la sécurité sociale, art. L. 911-1 et suivants.
160
Code du travail, art. L. 1235-3 (licenciement), L. 1237-5 (mise à la retraite) et L. 1237-
11 (rupture conventionnelle).
161
Avis du 12 octobre 2023 relatif au proje
t d’encadrement réglementaire des
commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurant sur les commerçants.
162
La sanction de l’Autorité de la concurrence du 17
décembre 2019 a été confirmée
par la décision de la Cour d'appel de Paris du 16 novembre 2023.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
161
Pour les organismes complémentaires de santé et de prévoyance, les
prestations versées aux salariés atteignent seulement 80 % des cotisations
perçues en 2021, le ratio allant de 77 % pour les assurances à 86 % pour les
institutions de prévoyance. La différence est constituée par les frais
marketing et de gestion, lesquels dépassent ceux de la sécurité sociale pour
des montants gérés très inférieurs
163
, par la constitution de réserves
financières importantes au vu de ratios prudentiels de solvabilité qui
apparaissent largement couverts
164
, et par les profits.
2 -
Une relance récente des dispositifs de partage
de la valeur en entreprise
Les compléments de salaire ont été renforcés pour améliorer le
pouvoir d’achat ap
rès la crise des « gilets jaunes », pour permettre aux
employeurs de récompenser leurs salariés mobilisés durant la crise
sanitaire, pour faire face au retour d’une forte inflation tout en évitant
d’alimenter la boucle salaire
-inflation, et pour relancer le dialogue social
sur le thème du partage de la valeur en entreprise.
À compter de 2019, le régime social des heures supplémentaires a
été allégé par une exonération totale des cotisations salariales d’assurance
vieillesse de base et complémentaire
165
. Un tel dispositif avait déjà été créé
en 2007 et supprimé en 2012 car jugé peu efficient. Le nouveau dispositif
se distingue du précédent par l’absence de compensation par l’
État de la
perte de recettes pour la sécurité sociale.
Également en 2019, une prime ex
ceptionnelle de pouvoir d’achat
(Pepa) a été créée, assortie d’une exemption de cotisations sociales dans la
limite d’un plafond de
1 000
€ par an et de 2
000
€ sous conditions. La
prime de partage de la valeur (PPV), instituée par la loi n° 2022-1158 du
16 août 2022, lui a succédé avec un plafond porté à 3 000
€ par an et à
6 000
€ sous conditions. Les montants versés sont à l’appréciation de
l’employeur, le cas échéant après simple information du comité social et
économique de l’entreprise, et non pas sel
on des règles définies par accord
163
Soit 7,5
Md€ pour les frais de gestion des sinistres, d’administration et d’acquisition, contre
7,3
Md€ en 2018 de charges de gestion des caisses de sécurité sociale
in
Les complémentaires
santé : un système très protecteur mais peu efficient
, Cour des comptes, juin 2021.
164
À hauteur de 235 % du minimum de capital requis et de 518 % du capital de
solvabilité requis, en 2022.
La situation financière des organismes complémentaires
assurant une couverture santé
, Drees, 2022.
165
LFSS pour 2019 et loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018. Il a été étendu aux
enseignants pour leurs missions particulières par le décret n° 2023-823 du 25 août 2023.
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162
collectif. Les modalités définies ont été souples pour favoriser une
diffusion rapide et large, notamment dans les petites entreprises.
Diverses autres mesures de la LFSS pour 2023 ont visé à renforcer
le pouvoir d’achat des salariés, par l’augmentation des plafonds
d’exemption des titres
-restaurant, de la prime de transport et du forfait
mobilités durables ainsi que par l’obligation de prise en charge des frais de
transports publics. Les achats de titres-restaurant ont été temporairement
élargis à l’ensemble des biens alimentaires.
Enfin, la loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 transposant
l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur en
entreprise a obligé les entreprises de 10 salariés et plus ayant réalisé un
bénéfice pendant trois exercices consécutifs à mettre en place un dispositif
de partage de la valeur
166
. Elle a aussi créé une nouvelle prime, dite de
partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE), dans le cas où la valeur
de l’entreprise aug
menterait sur une période de trois années.
Des sujets d’attention suscités par la loi du 29 novembre 2023
La loi du 16 août 2022 dispose qu’à titre temporaire, jusqu’à la fin de
2023, la prime de partage de la valeur versée aux salariés gagnant moins de
trois fois le Smic est exemptée de cotisations sociales mais aussi de
CSG/CRDS, de forfait social, d’impôt sur le revenu et de taxe sur les salaires.
La loi du 29 novembre
2023 portant transposition de l’accord
national interprofessionnel relatif au partage de la valeur en entreprise a
prorogé ce régime exceptionnel jusqu’à la fin de 2026 dans les entreprises
de moins de 50 salariés. La durée de ce régime temporaire, après
prorogation, atteint donc quatre ans et demi. Il s’agit, pour la Cour, d’une
irrégularité, seule une loi de financement de la sécurité sociale pouvant
instituer
une
exemption
au-
delà
d’une
durée
de
trois
ans
167
.
L’administration considère qu’il
ne s'agit pas d'une prorogation mais de la
création d’un nouveau dispositif.
166
À titre expérimental, pendant cinq ans, au choix de l’employeur entre
l’intéressement, la participation ou la prime
de partage de la valeur, en cas de bénéfice
net fiscal supérieur ou égal à 1
% du chiffre d’affaires.
167
Code de la sécurité sociale, art. LO 111-3-16.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
163
Par ailleurs, dans s
on avis au Gouvernement, le Conseil d’
État a
estimé que la prorogation du régime exceptionnel de la prime de partage de
la valeur exposait les salariés à une rupture d’égalité devant l’impôt, selon
qu’ils travaillent dans une entreprise de plus ou de moins
de cinquante
salariés et en l’absence de lissage autour du seuil de la valeur de trois
Smic
168
.
3 -
Des montants importants distribués pour des objectifs
macroéconomiques peu lisibles
Les compléments de salaire bénéficiant de régimes sociaux
dérogatoires se sont élevés à 87,5
Md€ en 2022. Les trois principales
catégories relèvent du partage de la valeur en entreprise (35 % du total), de
la protection sociale complémentaire (29 %) et des heures supplémentaires
(17 %).
Graphique n° 15 :
montants des compléments de salaires versés
en 2022
Lecture : « Partage de la valeur en entreprise »
: participation aux résultats de l’entreprise,
intéressement, plan d'épargne entreprise, stock-options, attribution gratuite d'actions et prime de
partage de la valeur (PPV) ; « Aides directes aux salariés » : titres-restaurant, chèques vacances,
aides culturelles et sportives, chèque emploi service universel et remboursement des frais de
transport domicile-travail.
Source : PLFSS 2024 et déclaration sociale nominative (DSN)
168
Avis n°
407-057 du 17 mai 2023.
0
5
10
15
20
25
30
35
Partage de la
valeur en
entreprise
Protection
sociale
complémentaire
en entreprise
Heures
supplémentaires
Aides directes
aux salariés
Indemnités de
rupture
En Md€
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164
À court terme, le dispositif de prime exceptionnelle de pouvoir
d’achat puis de prime de partage de la valeur a été une réponse utile pour
distribuer du pouvoir d’achat sans alimenter la boucle salaires
-inflation
dans un contexte de forte inflation. À moyen terme, cette réponse perd
toutefois de son intérêt dans un contexte de ralentissement de l’inflation.
Des objectifs macroéconomiques peu explicités et discutables
Les études d’impact des récentes lois votées apportent peu d’éclairage
sur les attendus macroéconomiques des dispositifs réformés de compléments
de salaire. Elles se limitent à l’énoncé d’objectifs de principe, à quelques
simulations de revenu supplémentaire par salarié (heures supplémentaires et
prime de partage de la valeur), sans analyse de l’effet redistributif
macroéconomique. L’étude d’impact de la loi du 23
novembre 2023 affiche
des objectifs non chiffrés d’amélioration du pouvoir d’achat des salariés des
petites entreprises et d’augmentation de leur productivité par une incitation à
s’investir dans la perfor
mance de leur entreprise.
Le Conseil d’analyse économique, placé auprès du Premier ministre,
a estimé que l’obligation imposée aux entreprises de 11 à 49
salariés
d’adopter un dispositif de partage de la valeur pourrait aboutir à transférer
aux salariés entre 350 et 500
M€, pour un coût annuel de 75 à 200
M€ pour
les finances publiques
169
. Il est dubitatif sur les effets macroéconomiques de
ces dispositifs qui «
semblent ne pas affecter significativement les
performances des entreprises et se substituent fortement aux salaires
». Il
recommande «
d’adosser le système de partage de la valeur à une formule
unique dont les paramètres pourraient être ajustés en fonction de la taille
des entreprises ou négociés par branche ou entreprise
».
B -
Un tassement du rendement
des taxes compensatoires
Des taxes compensatoires dues par les entreprises ont été instituées
sur la plupart des compléments de salaire exemptés de cotisations sociales.
Elles représentent
de facto
une «
voie médiane entre l’absence
d’assujetissement et l’
application des taux de droit commun
»
170
. Les taux
ont été récemment réduits pour renforcer l’attractivité des dispositifs
exemptés, ce qui a conduit à un tassement de leur rendement.
169
Que faut-il attendre des mécanismes de partage de la valeur ?
CAE, juillet 2023.
170
PLFSS 2024, annexe n° 4.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
165
1 -
Un ensemble complexe de taxes compensatoires
À l’exception des aides dire
ctes aux salariés et des indemnités de
licenciement, tous les compléments de salaire exemptés de cotisations
sociales sont soumis à des taxes compensatoires. Les premières d’entre
elles ont été appliquées aux retraites-chapeaux, en 2004, puis aux
stock-
options
et aux attributions gratuites d’actions, en 2008.
Un forfait social a été créé par la LFSS pour 2009
171
à la suite de
rapports de l’Assemblée nationale et de la Cour des comptes qui relevaient
déjà une multiplication des exemptions de cotisations sociales
172
. Il s’agit
d’une contribution de l’employeur assise sur les revenus d’activité
assujettis à la CSG et exemptés de cotisations sociales. Initialement fixé
à 2
%, le taux du forfait social a été relevé progressivement jusqu’à
20 %
par la LFR pour 2012. Il est versé à la branche retraite (6,2
Md€ en 2022)
sans être constitutif de droits à retraite.
Enfin, une taxe de solidarité additionnelle
173
repose sur la
contribution de l’employeur au contrat collectif d’une complémentaire de
santé. Elle est acquittée par les mutuelles, les institutions de prévoyance ou
les assurances et est versée à la branche maladie. Fixée au taux de 13,27 %,
son montant peut être estimé à 1,5
Md€ en 2022.
2 -
Une baisse des taux et un tassement du rendement
Afin d’encourager les complémen
ts de salaire exemptés, les taxes
compensatoires ont été récemment allégées. Le taux de la contribution de
l’employeur sur les attributions gratuites d’actions a été diminué de 30
%
en 2017 à 20 % en 2018
174
. Le taux du forfait social sur la participation et
sur l’intéressement a été réduit de 20
% à 16
% en cas d’investissement
dans des PME et un taux de 10 % a été créé, sous conditions, lorsque
l’employeur abonde l’intéressement des salariés
175
. Le forfait social a été
supprimé pour la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés,
171
Code de la sécurité sociale, art. L. 137-15.
172
Rapport d’information de la mission d’information commune sur les exonérations
de cotisations sociales
, Assemblée nationale, 2008.
L’assiette des prélèvements
sociaux,
Cour des comptes, Ralfss 2007.
173
Code de la sécurité sociale, art. L 862-4.
174
Le taux fixé à 10 % en 2008 a été porté à 30 % en 2012, réduit à 20 % en 2015,
remonté à 30 % en 2017 et réduit à 20 % en 2018.
175
Loi n° 2015-990 du 6 août 2015.
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166
pour l’intéressement dans celles de moins de 250
salariés
176
et pour les
abondements volontaires des employeurs au plan d’épargne entreprise en
2021-2023
177
.
En conséquence, le taux de compensation des pertes de recettes de
la sécurité sociale a baissé de 43,5 % en 2018 à 35,6 % en 2023. Malgré la
dynamique de l’assiette des salaires, les montants perçus sont restés assez
stables et les pertes nettes ont beaucoup augmenté : la sécurité sociale ne
récupère qu’à peine plus du tiers du manque à gagner qu’elle subit du fait
des exemptions sur les compléments de salaire.
Graphique n° 16 :
évolution du rendement des taxes compensatoires
assises sur les compléments de salaire exemptés
Lecture : en 2022, les pertes brutes de recettes pour la sécurité sociale liées aux exemptions
de cotisations sociales sont estimées à 24,8
Md€. Elles sont atténuées par des taxes
compensatoires à hauteur de 8,9
Md€. Les pertes de recettes liées aux exemptions sont ainsi
compensées à proportion de 36,1 %.
Source : PLFSS 2024, annexe 4 et jaune budgétaire PLF 2024
176
LFSS pour 2019.
177
LFI 2021, art. 207.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
167
II -
Un financement de la sécurité sociale
fragilisé, une équité du prélèvement social
mise à mal
Le recours croissant aux compléments de salaire exemptés et
exonérés de cotisations sociales minore la progression des recettes de la
sécurité sociale et contribue à son déficit en se substituant en partie à des
augmentations de salaire de base soumises à cotisations sociales. Il fragilise
l’équité du prélèvement social entre les entreprises et entre les salariés.
A -
Des dispositifs dérogatoires qui pèsent
sur l’évolution des recettes de la sécurité sociale
Dans la période récente, des compléments de salaire bénéficiant de
régimes sociaux dérogatoires se sont substitués aux salaires, entraînant une
moindre progression de recettes pour la sécurité sociale.
1 -
Une substitution aux salaires devenue plus forte
La loi dispose que les compléments de salaires ne peuvent se
substituer ni à des augmentations de rémunération ni à des primes déjà
prévues
178
.
De 2014 à 2017, les compléments de salaire, hors heures
supplémentaires, et les salaires de base du secteur privé ont évolué au même
rythme, sans effet visible de substitution. En revanche, de 2018 à 2023, la
progression des versements de compléments de salaire exemptés est devenue
plus rapide (7,8 % par an) que celle des salaires de base (4,1 % par an).
178
Voir notamment les lois précitées du 16 août 2022 et du 29 novembre 2023.
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168
Graphique n° 17 :
évolution relative des versements de salaires de
base et de compléments de salaire exemptés dans le secteur privé
(base 100 en 2014)
Lecture : base 100 en 2014, la masse salariale du secteur privé atteint 135 en 2023 tandis que les
compléments de salaire progressent à 163.
Sources : PLFSS pour 2024, annexe 4 (tableau 9, p. 34), Placss 2022, annexe 2 (tableau 7, p. 35)
et Repss Financement (tableau 1, p. 95), DSN
Les progressions le
s plus dynamiques ont porté, d’une part, sur les attributions gratuites d’actions
et sur les stock-options, dont la taxe compensatoire a été diminuée (+ 36,1
% par an), d’autre part
sur le chèque emploi-service universel (+ 10,2 % par an), qui bénéficie du régime social le plus
dérogatoire. La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et de la prime de partage de la valeur
sont les plus volatils (1,9
Md€ en 2021, 5,3
Md€ en 2022 et en 2023).
L’Insee estime entre 15 et 40
% la part de rémunération versée sous
forme de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou de prime de partage de
la valeur qui s’est substituée à une augmentation de salaire
179
. Le Conseil
d’analyse économique souligne aussi les effets de substitution aux salaires
des dispositifs de partage volontaires de la valeur. Ils sont un moyen pour les
entreprises d’arbitrer, pour la part de la valeur ajoutée qu’elles entendent
réserver à leurs salariés, entre des augmentations de salaire pérennes et des
distributions ponctuelles et réversibles selon l’évo
lution de la conjoncture.
179
Prime de partage de la valeur : des versements massifs fin 2022, avec de potentiels
effets d’aubaine
(mars 2023) et
P
rime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2019
:
entre hausse des salaires et aubaine pour les entreprises
, Insee Références (2020).
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
169
L’augmentation des compléments de salaire au détriment des salaires de base
contribue donc à l’érosion de la base contributive des cotisations sociales.
2 -
Un principe de compensation des pertes de recettes
de la sécurité sociale non
mis en œuvre
En application de la loi, dite Veil, n° 94-637 du 25 juillet 1994, les
pertes de recettes de la sécurité sociale résultant de réductions de
cotisations sociales sont compensées par l’État. La compensation ne s’est
pas appliquée aux exemptions, pour la plupart antérieures à la loi.
Plus récemment, la compensation prévue par la loi du 16 août 2022
portant création de la prime de partage de la valeur est restée sans suite
180
.
Le Gouvernement a considéré que, par construction, la prime n’aurait pas
été versée si elle n’avait pas été créée par la loi et ne présentait donc pas de
coût direct pour la sécurité sociale. L’hypothèse sous
-jacente est celle
d’une absence totale de substitution avec les hausses de salaire,
éventuellement admissible pour un dispositif transitoire mais pas pour un
dispositif pérenne. Le forfait social est d’ailleurs appliqué à la prime de
partage de la valeur pour les entreprises de plus de 250 salariés, ce qui
contredit l’argumentaire gouvernemental.
3 -
Une augmentation de la perte de recettes équivalente
à la hausse du déficit de la sécurité sociale entre 2018 et 2022
L’annexe°4 du PLFSS pour 2024 estime la perte de recettes de la
sécurité sociale, en 2022, à 14,5
Md€ pour les exemptions d’assiette
181
et à
2,2
Md€ pour les exonérati
ons liées aux heures supplémentaires. On doit
ajouter à ces montants l’estimation des pertes liées à l’exemption de la
prime de partage de la valeur (1,1
Md€) et aux remboursements des frais
de transport domicile-travail (0,3
Md€), qui ne figurent pas dans
l’annexe.
La perte de recettes totale peut être estimée à 18
Md€ en 2022, soit
8,1
Md€ de plus qu’en 2018. Une telle augmentation est du même ordre
que celle du déficit de la sécurité sociale hors covid (+ 6,6
Md€), comme
le montre le graphique ci-dessous.
180
Article
1 IX résultant d’un amendement parlementaire.
181
Cette estimation tient compte des exonérations générales de cotisations sociales qui
seraient appliquées aux compléments de salaire s’ils étaient soumis au régime social de
droit commun.
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170
Graphique n° 18 :
évolutions comparées de la perte de recettes liée
aux compléments de salaire et du déficit de la sécurité sociale
hors covid
Sources
: PLFSS 2024 et extraction de la déclaration sociale nominative par l’Acoss
pour la Cour des comptes
L’augmentation de
la perte de recettes pour la sécurité sociale
de 8,1
Md€, de 2018 à 2022, se décompose entre la part relevant de la
progression des salaires de base, qui peut être estimée à 1,7
Md€, et celle
découlant de l’extension des régimes dérogatoires des complément
s de
salaire, évaluée à 6,4
Md€
182
. Cette perte, comparable aux 6,6
Md€
d’augmentation du déficit de la sécurité sociale hors covid, retarde le retour
à l’équilibre financier de la sécurité sociale et doit conduire à atténuer le
caractère dérogatoire des régimes sociaux des compléments de salaire.
182
Ces estimations sont toutefois des ordres de grandeur et demeurent soumises aux
évolutions de comportement qui seraient observées si le droit commun des cotisations
sociales était appliqué aux compléments de salaire.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
171
B -
Une distribution variable des compléments
de salaires entre entreprises et salariés,
favorisant cumuls et concentration
L’attribution par l’employeur de compléments de salaire n’est pas
obligatoire, sauf exception. Leur montant varie fortement entre les
entreprises selon leur taille et selon leur activité. Ces écarts rompent
l’équité du prélèvement social.
1 -
Des compléments de salaires liés au partage de la valeur
en entreprise dont les montants varient beaucoup
selon la taille de
l’entreprise
et les salaires perçus
Certains de ces dispositifs restent peu répandus, comme les
attributions gratuites d’actions
: 0,3 % des salariés en ont bénéficié.
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat puis la prime de partage
de la valeur ont été, par ailleurs, largement distribuées depuis leur création
puisque, pour ce seul dispositif, 30
% des salariés l’ont perçue en 2023.
Concernant les dispositifs historiques de partage de la valeur en
entreprise de participation aux résultats,
d’intéressement, d’abondements
de l’employeur au plan d’épargne entreprise et au contrat de retraite
supplémentaire, la part des salariés bénéficiaires a progressé de trois points
de 2017 à 2021, pour atteindre 46 %. Les salariés des entreprises de moins
de 10 salariés sont les principaux bénéficiaires de cette progression mais
leur part demeure faible, puisque 14
% bénéficient d’un de ces dispositifs,
contre 53 % des salariés des entreprises de 10 salariés et plus
.
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172
Graphique n° 19 :
part des salariés du secteur privé
bénéficiant du partage de la valeur en entreprise
183
Lecture : base 100 en 2017, les versements de compléments de salaire de partage de la valeur
progressent à 126 en 2021, alors que la part des salarié bénéficiaires au sein du secteur privé
évolue de 43 % à 46 %.
Source : Dares, Résultats n° 64 (2023), n° 19 (2022), n° 46 (2021), n° 44 (2020), n° 36 (2019)
La proportion de salariés bénéficiaires varie fortement selon le
niveau de leur salaire de base, sauf pour la prime de partage de la valeur.
Les 45 % de salariés qui perçoivent entre 1 et 1,4 fois le Smic comptent
ainsi pour 42 % des bénéficiaires de la prime de partage de la valeur, mais
seulement pour 32 % de la participation, 27
% de l’intéressement et 16
%
des plans d’épargne entreprise. À l’opposé, les
11 % de salariés qui
perçoivent plus de trois fois le Smic comptent pour 8 % des bénéficiaires
de la prime de partage de la valeur, mais pour 18 % de la participation,
18
% de l’intéressement et 27
% des plans d’épargne entreprise.
183
Participation aux résultats, intéressement, abondements de l’employeur du plan
d’épargne entreprise et du plan d’épargne retraite collectif.
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UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
173
Graphique n° 20 :
répartition des salariés bénéficiaires des différents
dispositifs de participation par niveau de salaire, en 2022
Lecture : en 2022, les salariés percevant entre 1,1 et 1,4 Smic brut représentent 45
% de l’effectif total
des salariés et 41,8 % des bénéficiaires de la prime de partage de la valeur.
Source : déclaration sociale nominative (DSN)
2 -
Des versements inégaux selon les entreprises
au titre des dispositifs de partage de la valeur en entreprise
L’assez faible proportion de salariés du secteur privé bénéficiant de
la particip
ation aux résultats de l’entreprise et de l’intéressement s’explique
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174
par le nombre limité d’entreprises qui les distribuent
: 10,5 % des
entreprises de 10
salariés et plus ont distribué de l’intéressement entre 2017
et 2021 et 8,2 % de la participation
184
. Par comparaison, malgré son
caractère récent, la prime de partage de la valeur a été plus distribuée, par
31,5 % des entreprises de 10 salariés et plus
185
.
Les versements varient fortement selon la taille des entreprises : celles
de plus de 2 000 salariés versent 42,7
% de l’intéressement et 32,2
% de la
participation en 2021, alors qu’elles pèsent 21,4
% de la masse salariale du
secteur privé comme le montre le graphique
ci-dessous. À
l’opposé, les
entreprises de 0 à 9 salariés, qui représentent 15 % de la masse salariale, ne
versent que 2,6
% de l’intéressement et 0,8
% de la participation. Seule la
prime de partage de la valeur est utilisée par toutes les entreprises, quelle que
soit leur taille, dans des proportions plus proches de leur part de masse
salariale. Elle est particulièrement utilisée par les entreprises de 0 à 9 salariés,
sans doute en raison de la simplicité de sa mise en œuvre.
Graphique n° 21 :
part de la masse salariale et des versements
de participation financière selon la taille des entreprises, en 2022
Lecture : en 2022, les entreprises de 0 à 9 salariés représentent 15 % du total de la masse salariale
du secteur privé, mais seulement 0,8
% de la participation aux résultats de l’entreprise, 2,6
% de
l’intéressement et 23,6
% de la prime de partage de la valeur.
Source : déclaration sociale nominative (DSN)
184
Dares, enquêtes du disposi
tif d’observation de l’activité et des conditions d’emploi
de la main-
d’œuvre (Acemo), l’enquête sur la participation, l’intéressement et l’épargne
d’entreprise (Pipa) et l’enquête sur les très petites entreprises.
185
Données issues de la déclaration sociale nominative (DSN), Acoss, étude 2023.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
175
3 -
Une augmentation importante des heures supplémentaires,
hétérogène selon les secteurs économiques
et les catégories professionnelles
Après
l’exonération
de
cotisations
salariales
des
heures
supplémentaires en 2019, leur volume a fortement progressé (+ 18,8 % de
2018 à 2022), ainsi que le nombre de salariés concernés (+ 17,3 %). Cette
tendance a cependant été hétérogène selon les secteurs économiques, le
nombre d’heures supplémentaires baissant de 18
% dans la fabrication des
matériels de transport et augmentant de 50 % dans les activités financières
et d’assurance.
Graphique n° 22 :
évolution du nombre d’heures supplémentaires
de quelques secteurs économiques de 2018 à 2022
Lecture : le secteur de la fabrication des matériels de transport totalise 12 460 768 heures
supplémentaires en 2022, soit une baisse de 18 % par rapport à 20182, alors que le secteur des activités
financières totalise 18 763 983 heures supplémentaires en 2022, en hausse de 50 % par rapport à 2018.
Source : Dares
Contrairement à l’effet attendu dans l’étude d’impact du projet de
loi, la progression du nombre d’heures supplémentaires a bénéficié d’abord
aux cadres et aux professions intellectuelles supérieures (+ 14 % sur la
période 2019-2022), aux professions intermédiaires (+ 11 %) et, dans une
moindre mesure, aux ouvriers (+ 7 %), population initialement ciblée.
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176
III -
Des dispositifs sociaux dérogatoires
à mieux piloter et à réformer
Compte tenu de l’ampleur prise par les compléments de salaire, et
dans le
cadre du renforcement de l’évaluation de l’ensemble des niches
sociales
186
, un renforcement du pilotage apparaît nécessaire afin de
préserver un équilibre entre les objectifs d’amélioration du pouvoir
d’achat, de soutenabilité financière de la sécurité sociale et d’équité du
prélèvement social. Des réformes s’imposent pour limiter les pertes de
recettes de la sécurité sociale et renforcer l’équité de l’effort contributif.
A -
Un pilotage des régimes sociaux dérogatoires
des compléments de salaire à mieux structurer
Même si un rôle de synthèse budgétaire est déjà assuré par la
direction de la sécurité sociale, les diverses catégories de compléments de
salaire sont suivies de manière cloisonnée par différentes administrations.
Un suivi interministériel serait n
écessaire. Sa mise en œuvre implique de
fiabiliser les données pour un pilotage global des régimes sociaux
dérogatoires des compléments de salaire, distinct des salaires de base.
1 -
Une information à fiabiliser et des recoupements à clarifier
avec les données issues de la déclaration sociale nominative (DSN)
Les exemptions et exonérations de cotisations sociales sur les
compléments de salaire sont décrites avec celles sur les salaires de base
dans une annexe du PLFSS. Une annexe au projet de loi d’approbation
des
comptes de la sécurité sociale présente par ailleurs des évaluations de ces
dispositifs, en application de la loi organique du 14 mars 2022
187
.
Les assiettes exemptées sont calculées à partir de données
hétérogènes, recueillies au moyen d'enquêtes par échantillonnage ou auprès
des organismes intermédiaires. Ces données sont susceptibles d’être
rectifiées, parfois pour des montants importants. Au titre de 2021, elles ont
186
La loi organique n° 2020-354 du 14 mars 2022 a prévu que toutes les niches sociales
fassent l’objet d'une évaluation, une fois tous les trois ans.
187
PLFSS, annexe 4,
Présentation des mesures de réduction et
d’exonération de
cotisations et contributions ainsi que leur compensation
, Placss, annexe 2,
Présentation
et évaluation des mesures d’
exonération de cotisations.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
177
ainsi été chiffrées à 53,8
Md€ au printemps 2023 puis révisées à 58,2
Md€
à l’automne
de la même année
188
. L’écart porte sur les contributions de
l’employeur à la protection sociale complémentaire.
En outre, des écarts importants apparaissent entre les montants
inscrits en PLFSS et ceux déclarés par l’employeur dans la déclaration
sociale nom
inative (DSN). C’est le cas en particulier pour les contrats
collectifs de protection sociale complémentaire (santé, prévoyance, retraite
supplémentaire) qui ressortent à 24,4
Md€ au titre de 2022 dans le PLFSS
pour 2024 et à 13,6
Md€ dans les DSN, ainsi q
ue pour les titres-restaurant,
respectivement à 4,9
Md€ et à 3,6
Md€.
Enfin, des discordances apparaissent entre les différents documents
budgétaires
pour
2024
concernant
les
rendements
des
taxes
compensatoires : le forfait social au titre de 2022 est chiffré tantôt à
5,88
Md€, tantôt à 6,19
Md€
189
.
Un recours accru à la DSN, après fiabilisation de ses conditions de
renseignement par les entreprises et dans la limite des actuelles obligations
déclaratives des employeurs, présenterait l’avantage de mettre fin
aux
enquêtes par échantillonnage et de permettre un calcul plus rapide des
montants de compléments de salaire.
2 -
Un suivi spécifique à organiser pour mieux rendre compte
de l’extension des régimes sociaux dérogatoires
L’annexe
4 du PLFSS, qui décrit les compléments de salaire
exemptés, ne mentionne ni la contribution de l’employeur aux frais de
transport domicile-travail (1,3
Md€ en 2022) ni la prime de partage de la
valeur (5,3
Md€ en 2022), montants pourtant accessibl
es dans la DSN.
En conséquence, l’indicateur du PLFSS qui rapporte l’ensemble des
réductions de cotisations sociales sur les salaires de base et sur les
compléments de salaire aux recettes de la sécurité sociale est erroné.
Plafonné à 14 % en loi de programmation des finances publiques 2018-
2022 et 2023-2027, il est estimé à 13,8 % en 2023 dans le PLFSS pour
2024. Il dépasse en réalité le plafond des 14 % après prise en compte de la
prime de partage de la valeur et les frais de transport domicile-travail.
188
Placss 2022 annexe 1 (p. 95) et PLFSS 2024, annexe 4 (tableau 9).
189
PLF 2024,
Voies et moyens
et
Bilan des relations financières entre l’État et la
protection sociale.
L’estimation pour 2024 diffère plus encore, entre 7
Md€ et 6,2
Md€.
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178
Un deuxième indicateur, présenté dans l’annexe
4 du projet de loi
d’approbation des comptes de la sécurité sociale, rend compte de la part
des compléments de salaire exemptés dans les salaires de base. Il a vocation
à permettre de «
limiter les exemptions de cotisations sociales
» pour
préserver l’«
équité du prélèvement social
». Le ratio était de 9,1 % en
2021
190
. En ajoutant, comme il se doit, la prime de partage de la valeur et
les remboursements de frais de transport domicile-travail, il atteignait 10 %
et est monté à 10,9 % en 2023
191
.
Dans son annexe 4, le PLFSS présente séparément les exonérations
et les exemptions sans distinguer si elles se rapportent aux salaires de base
ou aux compléments de salaire. Une catégorisation entre mesures
dérogatoires sur les salaires de base et sur les compléments de salaire
prendrait mieux en compte les dynamiques propres à ces deux composantes
de la rémunération. Cela permettrait de préciser dans quelle mesure les
différents dispositifs atteignent leurs objectifs d’améli
oration du pouvoir
d’achat, d’accroissement de la productivité des salariés ou d’amélioration
des conditions de travail, et de décrire leurs incidences sur les finances
sociales et sur l’équité du prélèvement social.
3 -
Des contrôles Urssaf à conforter
Les Urssaf exercent deux types de contrôle sur les compléments de
salaire exemptés.
Le contrôle habituel a conduit à 23,6
M€ de régularisation en 2022, soit
0,3 % seulement des compléments de salaire exemptés. Malgré la complexité
des régimes sociaux dérogatoires pour les compléments de salaire, et compte
tenu de l’effet de plusieurs dispositifs réglementaires atténuant la capacité des
agents de contrôle à régulariser certaines anomalies constatées, ce taux résiduel
est à peine supérieur à celui des régularisations de cotisations sociales de droit
commun sur les salaires de base qui est de l’ordre de 0,1
%.
Depuis 2021, les Urssaf sont désormais aussi chargées de l’examen
préalable au fond des accords d’épargne salariale, soit un total de 24
814 accords
contrôlés
en 2022. Il apparait d’ores et déjà qu’une part importante, de l’ordre
d’un quart, a fait l’objet d’une demande de mise en conformité
192
.
190
Placss 2022, annexe 1
Financement
, p. 100, tableau 1.
191
Le régime indemnitaire exempté de la fonction publique
d’
État suit une évolution
similaire, plus atténuée, de 25,4 % en 2014 à 26,2 % en 2021 (DGAFP, Rapport 2022).
192
Selon l’Acoss,
sur les 10 765 accords examinés de juillet à décembre 2022, période
depuis laquelle les résultats des examens sont désormais consolidés, le taux de
non-
conformité s’est élevé à 26,5
%.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
179
B -
Une nécessaire mise en cohérence pour limiter
les pertes de recettes de la sécurité sociale
Trois mesures permettraient
de redonner des marges de manœuvre
financières à la sécurité sociale, tout en renforçant la cohérence et l’équité
du prélèvement social. L’exonération de cotisations salariales pour les
heures supplémentaires crée une impasse financière dans les droits
con
tributifs à retraite qui doit être corrigée. Les mesures d’exemption
d’assiette, qui se sont additionnées au fil du temps, créent des effets de
cumul à neutraliser. La fiscalité compensatoire pourrait gagner en
cohérence en étant simplifiée.
1 -
Des droits contributifs à retraite à financer
La mesure d’exonération de cotisations salariales des heures
supplémentaires a permis un gain de pouvoir d’achat des salariés mais est
coûteuse à plusieurs égards. La perte de recettes a atteint 2,2
Md€ en 2022
pour la sécurité sociale, dont 345
M€ pour les heures supplémentaires
nouvelles depuis le vote de la loi. En outre, les heures supplémentaires
exonérées de cotisations salariales entrent dans le calcul des droits à
pension et pèseront à terme sur l’équilibre financier
de la branche retraite.
Du fait de sa non compensation par l’État, à la différence des
déductions de cotisations patronales
193
, l’exonération de cotisations
salariales s’est traduite par une perte nette de recettes pour la branche
vieillesse. Elle avait été jugée financièrement soutenable en 2019 dans un
contexte de retour à l’équilibre de la sécurité sociale, ce qui ne correspond
plus aux projections actuelles.
Cette création de droits à la retraite sans cotisations doit être corrigée
pour éviter de creuser le déséquilibre de la branche vieillesse
: l’exonération
devrait être transformée en exemption afin que les heures supplémentaires
ne soient plus créatrices de droits ou le financement de l’exonération actuelle
devrait être assuré par une compensation appo
rtée par l’État, comme dans le
précédent dispositif de 2007. Cette compensation pourrait prendre la forme
de crédits budgétaires, comme pour la déduction des cotisations patronales
et afin d’assurer la bonne information du Parlement.
193
Les déductions forfaitaires patronales sur les heures supplémentaires, qui dépendent
de la taille des entreprises, ont représenté une charge budgétaire de 709
M€ en 2022.
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180
2 -
Des cumuls de dispositifs de partage de la valeur
à mieux encadrer
Il n’existe pas de plafond global des compléments de salaire, chaque
dispositif ayant ses propres règles. Les plafonds annuels d’exemption des
dispositifs de participation et d’intéressement atteignent, chacun,
75 % du
plafond annuel de la sécurité sociale, soit 34 776
€ au
1
er
janvier 2024
194
.
Ces plafonds sont rarement atteints, 98 % des versements de participation
et d’intéressement étant inférieurs à 10
000
€. La prime de partage de la
valeur est, quant à elle, plafonnée dans son montant, à 3 000
€ par an,
6 000
€ en cas d’accord collectif sur un complément de salaire lié aux
résultats dans l’entreprise.
Le recours aux dispositifs de partage de la valeur, variable, a
représenté un complément de salaire de 4,1 % en moyenne au sein du
secteur privé en 2022. Selon les secteurs économiques, ce taux moyen varie
cependant fortement, de 0,7
% dans le secteur de l’action sociale et de
l’hébergement médico
-social à plus de 10
% dans l’industrie chimique et
pharmaceutique
ou les activités financières et d’assurance. Il atteint même
16,2 % pour la cokéfaction et le raffinage. Le secteur du commerce, dont
la masse salariale est la plus élevée, verse des compléments de salaire dans
une proportion proche de la moyenne (4,3 %).
Une telle hétérogénéité entre les secteurs économiques tient
probablement en partie à la taille respective de leurs entreprises et recoupe
le constat précédent d’un plus fort recours aux compléments de salaire des
grandes entreprises.
194
Ce même plafond est appliqué pour la nouvelle prime de partage de la valorisation
de l’entreprise, créée par la loi du
28 novembre 2023.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
181
Graphique n° 23 :
poids des compléments de salaire
dans la rémunération par secteurs économiques en 2022
Lecture : en 2022, dans le secteur de la cokéfaction et du raffinage, les compléments de salaire
relevant du partage de la valeur (participation aux résultats, intéressement, PEE, Perco, prime de
partage de la valeur) représentent 16 % de la masse salariale, contre 1 % dans le secteur de
l’hébergement et de la restauration.
Source : déclaration sociale nominative (DSN)
Ces cumuls ressortent davantage encore par salarié. Pour les deux
disp
ositifs de participation aux résultats de l’entreprise et d’intéressement,
sur un total de 19,5
Md€ versés à 8
millions de salariés, en 2022, les 38 %
de salariés qui ont bénéficié du cumul des deux dispositifs ont perçu 60,6 %
des versements. Ils ont bénéficié de 3 899
€ en moyenne, contre 1
534
€
pour les bénéficiaires d’un seul des deux dispositifs.
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182
Graphique n° 24 :
proportion des salariés bénéficiaires
de la participation aux résultats, de l'intéressement
et des deux dispositifs cumulés, en 2022
Lecture : en 2022, parmi les salariés bénéficiaires de la participation aux résultats et de
l’intéressement, 38
% cumulent des versements de ces deux types de dispositifs pour un total de
61 % des versements.
Source : déclaration sociale nominative (DSN)
En outre, 44 % des versements de la prime de partage de la valeur
en 2022, soit 2,3
Md€, ont été cumulés avec de l’intéressement et de la
participation. Cette prime visait à étendre les compléments de salaire à de
nouvelles catégories de salariés. Elle s’est en réalité largem
ent ajoutée aux
dispositifs précédents. Il en sera probablement de même pour la nouvelle
prime de partage de la valorisation de l’entreprise.
Pour réduire les cumuls, l’exemption de cotisations sociales pourrait
être limitée à un seul dispositif de partage de la valeur en entreprise.
Alternativement, tous les plafonds d’exemption de cotisations sociales de
ces dispositifs pourraient être réduits aux montants retenus pour la prime
de partage de la valeur, soit 6 000
€ de versement
195
.
3 -
Des incohérences des taxes compensatoires à corriger
Les taxes censées compenser le manque à gagner pour la sécurité
sociale lié aux exemptions de cotisations ont des taux divers et la CSG-
195
Une autre option, plus équitable, serait d’instituer un plafond unique d’exemption à
tous les compléments de salaire. Elle serait complexe à gérer compte tenu de la diversité
des dispositifs existants et des différences dans leurs calendriers de versement.
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LES NICHES SOCIALES DES COMPLÉMENTS DE SALAIRE :
UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
183
CRDS ne s‘applique pas à tous les compléments de salaire. De ce fait, le
poids des taxes compensatoires varie selon les compléments de salaire.
Graphique n° 25 :
synthèse des taux de taxes sur les versements
des compléments de salaire applicables au 1
er
janvier 2024
Lecture : en 2024, les taxes assises sur les compléments de salaire relevant de la protection sociale
complémentaire en entreprise s’élèvent à 31
% de leur montant.
Source : Cour des comptes à partir du PLFSS 224 et du Placss 2022
196
196
(1) La contribution sur les
stock-options
est assise sur la valeur des actions à date
d’acquisition par le bénéfi
ciaire et due lorsque cette acquisition est effective. (2) La
contribution sur les attributions gratuites d’actions s'applique, soit à une assiette égale
à la juste valeur des options telle qu’estimée pour l’établissement des comptes
consolidés pour les sociétés appliquant les normes comptables internationales, soit à
25
% de la valeur des actions, à la date de la décision d’attribution.
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184
Une convergence progressive des différents taux du forfait social
applicables aux dispositifs de partage de la valeur en entreprise,
actuellement de 0 %, 10 %, 16 % et 20 %, selon les dispositifs et les tailles
d’entreprises
,
vers le taux de référence de 20 %, rétablirait une cohérence.
Les éventuelles modulations de ce taux devraient être temporaires, par
exemple pour les
entreprises mettant en œuvre un dispositif pour la
première fois. Le rendement de cette mesure peut être estimé en première
analyse à 1
Md€, à comportements constants
197
.
Parmi l’ensemble des dispositifs exemptés, les
stock-options
et les
attributions gratu
ites d’actions ont connu la progression la plus forte
(+ 36,1 % / an sur 2018-2023
198
), compte tenu de leur régime dérogatoire
favorable
199
. Une harmonisation des taux et des assiettes avec les autres
dispositifs de partage de la valeur exemptés serait de nature à assurer
l’équité du prélèvement social.
Au
minimum, la contribution de
l’employeur, dont le taux a historiquement fluctué entre 20
% et 30 %,
devrait être rétablie à 30 %. Cette mesure peut être chiffrée à près de
400
M€ de recettes supplémentaires po
ur la sécurité sociale.
Ces chiffrages sont des ordres de grandeur. Par construction, ils
n’intègrent pas les modifications de comportement des entreprises et des
salariés qu’induirait une hausse des taxes compensatoires.
197
Sans changement des taux du forfait social pour les contributions de l’employeur à
la protection sociale complémentaire de 0 % ou 8
% selon la taille d’entreprise.
198
La hausse est de 19,8 % par an de 2017 à 2023.
199
L
es gains d’acquisition d’attribution gratuites d’action ne sont soumis à la
contribution salariale de 10
% qu’au
-
delà d’un plafond de 300
000
€ par an.
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UN NÉCESSAIRE RAPPROCHEMENT DU DROIT COMMUN
185
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
L’ampleur prise par les régimes sociaux dérogatoires pour les
compléments de salaire en modifie leur portée. Ils portent désormais
atteinte aux équilibres financiers de la sécurité sociale et à l’équité du
prélèvement social entre les entreprises et entre les salariés. Dans un
contexte de déficits croissants d’ici à 2027 et de cumul du recours aux
différents dispositifs à l’avantage d’un nombre restreint d’entreprises et de
salariés, un rapprochement du droit commun s’impose.
Les pistes identifiées sont, d’une part, de faire compenser par l’État
l’exonération des cotisations salariales des heures supplémentaires
(2,2
Md€), d’autre part, de faire converger les taux du forfait social vers
le taux de référence de 20 % (1
Md€), d’appliquer le forfait social à la
prime de partage de la valeur y compris pour les entreprises de moins de
250 salariés (1
Md€) et de relever le taux de la contribution de l’employeur
sur les attributions gratuites d’actions de 20
% à 30 %, comme auparavant
(0,4
Md€), soit une augmentatio
n totale du prélèvement sur les entreprises
de 2,4
Md€. Cette dernière estimation ne prend pas en compte les possibles
changements de comportement d’entreprises après remise en cause des
avantages dont elles bénéficiaient.
En sus de ces mesures, un
alignement des plafonds d’exemption de
cotisations sociales des dispositifs de participation financière sur ceux de
la prime de partage de la valeur, non-chiffrable, serait de nature à atténuer
les cumuls et à préserver l’équité du prélèvement social.
Dans
une double perspective d’équité des efforts contributifs entre
salariés et de réduction des déficits de la sécurité sociale, la Cour formule
donc les recommandations suivantes de politique publique (ministère du
travail, de la santé et des solidarités, ministère de l'économie, des finances
et de la souveraineté industrielle et numérique) :
10.
mettre en place un pilotage interministériel des exemptions et
exonérations de cotisations sociales qui tienne compte de leur
soutenabilité financière, des enjeux économiques associés, et de
l’équité du prélèvement social
; évaluer les effets de substitution entre
salaire et compléments de salaire induits par les taux de prélèvements
non homogènes ;
11.
mettre en œuvre le principe fixé par la loi du 16
août 2022 de
compensation de la perte de recettes résultant de la prime de partage
de la valeur, au minimum par l’application du forfait social au taux
de 20 % aux entreprises de moins de 250 salariés ;
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186
12.
compenser par crédits budgétaires le manque à gagner pour la
sécurité social
e de l’exonération des cotisations salariales des heures
supplémentaires ;
13.
rétablir à 30
% le taux de contribution de l’employeur sur les
attributions gratuites d’action et faire progressivement converger les
taux du forfait social des compléments de salaire liés aux résultats de
l’entreprise vers le taux de droit commun de 20
% ;
14.
afin de limiter les effets de cumul des exemptions de cotisations
sociales et de substitution sur le long terme aux salaires de base,
abaisser les plafonds d’exemption des complém
ents de salaire de
partage de la valeur en entreprise en les alignant sur ceux de la prime
de partage de la valeur.
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